Retour page d'accueil       Retour "Histoire du Mont-Saint-Michel"  

Le Mont-Saint-Michel sous les rois de France

En 1204, Philippe Auguste attaque la Normandie du dernier Plantagenêt, Jean sans Terre. Il envahit la province par l'est. Le fameux Château-Gaillard, dernier cri de la fortification militaire, est pris. A l'ouest, le Breton Guy de Thouars, allié du Capétien, referme le mouvement de tenailles et assiège le Mont-Saint-Michel, point stratégique à la frontière. Faute de pouvoir s'en rendre maître, il y met le feu. Une partie de l'Abbaye flambe. Premier acte dramatique de l'annexion du monastère au royaume de France.

La reconstruction, entreprise avec le mécénat du souverain, qui entend faire oublier les générosités de ses prédécesseurs normands, est commencée seulement à partir de 1211. L'Abbé Jourdain mourra un an plus tard à Tombelaine. Son successeur, Raoul des Isles (1212-1228), est le véritable auteur de la Merveille. Jamais admiration ne fut plus méritée. La Merveille est cet ensemble grandiose, élevé au nord, en reprenant sans doute, comme le pense M. Nortier, les parties basses du XIIème siècle. Six salles, trois étages : au rez-de-chaussée, aumônerie de style roman et cellier. Au-dessus, salle des Hôtes et salle des Chevaliers, de style gothique. Au troisième étage, réfectoire et cloître, terminés en 1228. Dans ce cloître aérien et poétique, aux colonnettes fragiles, les écoinçons de calcaire sont tapissés de feuillages décoratifs d'une étourdissante richesse. Saint François d'Assise, représenté là, aurait goûté ces parfums des champs. La Merveille, par son invention architecturale, par sa sculpture où revit toute la flore de la nature, est hors de pair dans l'art monastique. Elle est contemporaine des grandes cathédrales gothiques, alors en pleine reconstruction, à la suite des incendies du début du siècle (Chartres, Reims, Amiens, Coutances). Elle participe de ce « miracle français » du XIIIème siècle.

Une forte personnalité marque le milieu du siècle, l'Abbé Richard Turstin (1236-1264). Grand seigneur, il continue les constructions vers l'est (entrée nouvelle, salle des Gardes, et officialité pour la justice). Il a le privilège d'accueillir, en 1256, Saint Louis, venu en pèlerinage après sa croisade malheureuse et sa captivité en Egypte. Le roi fut reçu dans la salle des Hôtes de la Merveille toute neuve, sur ce sol carrelé de céramiques de couleur, aux armes de France et de Castille, dont il reste quelques témoins. Il reviendra en 1264, suivi, en septembre 1272, de son fils Philippe III le Hardi, puis, en 1311, de Philippe IV le Bel, qui laisse à l'Abbaye de somptueux présents : une statue de saint Michel en or.

Prospérité et calme s'installent au Mont. Le « scriptorium » retrouve l'activité des copistes enlumineurs du temps de Torigni. Les pèlerins et les « pastoureaux » accourent des quatre horizons du monde occidental. Les monastères heureux, comme les peuples, n'ont pas d'histoire. Mais la paix est précaire et la guerre est aux portes.

Dès la première moitié du XIVème s., de vagues craintes se manifestent. On plante une tour ronde sur l'éperon nord-est de l'île. C'est la première fortification. Le roi, de son propre chef, tente d'installer une petite garnison — une poignée d'hommes — contre le gré des Abbés, qui, de tous temps, avaient eux-mêmes assuré leur propre défense avec l'aide de leurs vassaux.

L'importance stratégique occasionnelle de la sainte montagne, due à la protection naturelle de l'îlot, avait déjà été mise en lumière par des sièges épisodiques au début du XIIème s. et en 1204. Ce n'étaient que des incidents momentanés, rançon des temps troublés, qui n'altéraient pas le caractère essentiellement religieux du sanctuaire. Le XIVèmee s. lui imposera un rôle militaire d'une autre dimension. L'Abbaye sera contrainte de devenir forteresse (F. E.).

© Copyright - Tous droits réservés.