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L'ÉGLISE NOTRE-DAME-DE-LA-JOIE DE MERLEVENEZ.

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Merlevenez, canton de Port-Louis, arrondissement de Lorient, est le chef-lieu d'une paroisse du diocèse de Vannes, située vers le milieu de la presqu'île formée par la « rivière d'Etel », l'Océan et la rade de Lorient, et qui faisait autrefois partie du doyenné de Pou-Belz.

Son nom, dont la forme la plus ancienne qui soit connue ne remonte pas au-delà du XIVème siècle, fut peut-être d'abord Brelévenez. Bre, brec'h, signifiant en breton : colline, éminence, et levenez étant la forme ancienne du mot léuiné = joie, on aurait donc : Colline de la Joie ou Montjoie. Brelévenez est le nom actuel d'un faubourg de Lannion possédant une célèbre chapelle de pèlerinage que l'on peut attribuer aux XIIème et XIIIème siècles. Le Brelévenez vannetais serait devenu Merlévenez en passant par la forme intermédiaire Berlévenez, dont il ne nous reste aucun témoin dans les documents connus.

Il y a bien une difficulté : c'est que Merlevenez s'étale en terrain presque plat, tandis que le Brelévenez des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) est dressé sur une colline dominant Lannion, d'où l'on y monte par un curieux chemin en escalier. Sans le témoignage de cette forme, indiquée par Rosenzweig [Note : Rosenzweig. Dictionnaire topographique du Morbihan, Paris, 1870, p. 179. — Cf. J. Loth. Chrestomathie bretonne, 1890, p. 192] d'après un seul texte, de 1370, dont il ne donne pas la source, ce qui empêche la vérification, ou eût volontiers expliqué Merlévenez par merh ou merc' h, en breton : jeune fille, vierge, et lévenez = joie, c'est-à-dire : la Vierge de la Joie ou Notre-Dame de Joie.

Nous préférons ne pas faire état d'une légende sans consistance, d'après laquelle un seigneur du pays aurait fait élever la chapelle en reconnaissance de la naissance d'une fille longtemps désirée ; mais ce n'est peut-être pas par une simple coïncidence que, à quelques kilomètres de là, sous les murs de la ville d'Hennebont, au bord du Blavet, s'éleva, en 1252, l'abbaye de la Joie [Note : Rosenzweig, op. cit., p. 101. — J. Le Bras. Recherches sur le culte de la Vierge à Hennebont, dans la Revue morbihannaise, 1913, p. 225-233. — Fonds de l'abbaye de la Joie, aux Archives du Morbihan].

Ce vocable eut un grand succès en Bretagne. De tous côtés on y trouve des églises ou chapelles dédiées à Notre-Dame de Joie. En certains sites sévères ou mélancoliques, comme les côtes sauvages de la presqu'île de Penmarch ou des landes nues des Montagnes Noires, cela fait un touchant contraste avec la tristesse désolée du paysage.

Nous ne sommes pas beaucoup plus abondamment renseignés par les textes sur l'histoire de Merlévenez que sur l'origine de son nom. Des quelques rares notions glanées par les historiens locaux [Note : V. Cayot-Délandre. Le Morbihan, son histoire, ses monuments, Vannes, 1847, p. 500, avec une gravure intéressante dans l’Album qui accompagnait cet ouvrage (Planche XVII). — Luco, Pouillé historique de l’ancien diocèse de Vannes : Bénéfices séculiers, Vannes 1908, p. 393-394. — Voir aussi la notice consacrée à cette paroisse dans l’Histoire des paroisses du diocèse de Vannes, par le chanoine Le Mené] il semble ressortir que l'église paroissiale qui est l'objet de cette étude fut, à l'époque romane, la chapelle d'une maison de Templiers. Le siège de la paroisse était alors au village de Trévelzun [Note : V. Luco, op. cit., p. 394. Rosenzweig, op. cit. p. 275], où il ne reste plus trace visible d'édifice religieux. Un pèlerinage à la Vierge dispensatrice de toutes joies [Note : N.-D. de Toutes-Joies est le vocable d'une paroisse moderne de Nantes. Ailleurs, la même idée a donné N.-D. de Liesse], Intron Varia er Leüinez, fut de temps immémorial en honneur dans la vieille chapelle romane.

Eglise de Merlevenez (Bretagne).

L'édifice actuel semble, nous le verrons, contenir des vestiges d'une construction antérieure au XIème siècle. Près de là, voie romaine et fontaine sacrée réunissent les éléments classiques des plus traditionnelles assemblées bretonnes. Celle-ci a traversé les siècles et se tient encore chaque année, sous le nom de « Pardon de la Joie ». Les offrandes et le mouvement commercial que suppose un afflux de pèlerins expliquent, mieux encore que sa possession par un établissement de Templiers qui dut être modeste, la présence d'un édifice plus important et plus richement décoré que ne l'étaient généralement, à l’époque romane, les simples églises paroissiales des campagnes bretonnes.

Aussi, quand les Templiers eurent été supprimés (1312) et que le temporel de leur maison de Merlevenez eut été transféré à l'évêque de Vannes, celui-ci installa-t-il dans la chapelle le siège de la paroisse, qui en prit désormais le nom. Du couvent des Templiers il ne resta rien que des fondations de murs qu'on leur attribue dans le chemin qui est au chevet de l'église et des dénominations qui en perpétuent indirectement le souvenir et qui, dans l'extrême pénurie de documents écrits, nous seront de quelque secours pour l’interprétation archéologique. C'est ainsi que l'église était anciennement percée, du côté de l'orient, de trois portes nommées : porte de la tour, porte du chœur et porte de l'orgue. Le champ contigu au chevet, s'appelait parc er hloestre, c'est-à-dire : champ du cloître (V. Luco, op. cit., p. 394).

En dehors des données fournies par l'examen archéologique de l'église nous savons bien peu de chose de son histoire. D'après une délibération du général de la paroisse, du 17 décembre 1486, que Cayot-Delandre avait vue, les seigneurs de Kermadio étaient considérés comme fondateurs et avaient, de ce chef, les droits de prééminence dans l'église. C'est à ce titre encore qu'ils ouvraient la ronde, le jour du pardon de Notre-Dame, et qu'ils lançaient le ballon du populaire jeu de la « soule » à la fête de saint Jean-Baptiste, resté patron de la paroisse (Cayot-Délandre, op. cit., p. 500).

En 1533, on reconstruisait, paraît-il, le clocher abattu par la foudre (Cayot-Délandre, op. cit., p. 500). En 1680, dans la déclaration faite, le 13 mars, aux commissaires chargés de la réformation du domaine royal dans la sénéchaussée d'Hennebont, on lit cette description : « L'église parrochiale dudit Merlevené scituée au bourg, contenante de long 5 cordes et demie et 1 pied et de franc 43 pieds sans comprendre ses deux aisles qui font la croisée d'icelle de ses deux costés ; sous fonds de ladite église et cimetière cerné de murailles il y a 45 cordes 3/4 y compris la sacristie estant au bout du levant de ladite église ».

Ignorée de Prosper Mérimée dans son Voyage archéologique dans l'Ouest de la France (1836), l'église de Merlevenez fut signalée pour la première fois à l'attention des archéologues, et en termes d'une exactitude méritoire pour l'époque, par Cayot-Delandre en 1847. Quelques années plus tard (1851), Charles de la Monneraye lui consacrait une page de son Essai sur l'histoire de l'architecture religieuse en Bretagne aux XIème et XIIème siècles (Rennes, 1851). A part une simple description, sommaire et bien sèche, de Rosenzweig dans son Répertoire archéologique du Morbihan (Paris, 1863), elle n'a fait l'objet d'aucune autre étude spéciale. Les abbés Luco et Le Mené se sont bornés à des notions historiques sur la paroisse, le premier dans son Pouillé historique, le second dans son Histoire des paroisses du diocèse de Vannes.

Dès 1838 une demande de classement, avait été introduite ; elle n'aboutit pas [Note : Archives de la Commission des Monuments historiques, à l'Administration des Beaux-Arts]. Depuis lors, bien des monuments du même département qui sont loin de valoir celui-ci ont été classés. L'instance est de nouveau en cours ; l'on doit en souhaiter vivement le succès, car c'est miracle que cet édifice, l'un des plus intéressants de l'époque romane en Bretagne et dont la sculpture, sans parler du beau clocher gothique, présente un caractère exceptionnel en cette province, n'ait pas souffert davantage du vandalisme ou de l'ignorance. Un nettoyage bien compris a même été heureusement opéré aux piles de la nef et du transept depuis le temps où Cayot-Delandre et La Monneraye déploraient le badigeon dont elles étaient « entièrement enduites ».

Plan. — L'église, en forme de croix latine, bien orientée, comprend une nef de cinq travées, flanquée de deux bas-côtés. Un transept à deux croisillons, dont le carré est couvert d'une voûte d'ogives à huit compartiments portée sur trompes, et, un chœur à chevet, plat ajouré d'une grande verrière à meneaux flamboyants.

Plan de l'église de Merlevenez (Bretagne).

Une absidiole rectangulaire s'ouvrait dans le croisillon nord. Son entrée est aujourd'hui murée et un rétable en masque l'emplacement. De l'extérieur, cette petite chapelle est fort reconnaissable ; c'est l'ossuaire du cimetière, encore recouvert d'une voûte en berceau et à peine modifié par l'ouverture d'une petite fenêtre à claire-voie de bois et par l'adjonction du bénitier encastré dans la muraille extérieure de tous les ossuaires bretons.

Y eut-il autrefois une absidiole correspondante contre le croisillon sud ? Il est difficile de le savoir, car une sacristie moderne en occupe l'emplacement et a pu lui être substituée ; mais il peut, fort bien n'y avoir pas eu de chapelle de ce côté. Le fait ne serait pas unique. Nous avons montré ailleurs qu'à Saint-Gildas de Rhuis l'absidiole du croisillon sud n'a jamais existé que dans l'imagination de Mérimée, attendu que la salle capitulaire des moines s'appuyait à ce croisillon [Note : Mélanges d'archéologie bretonne, 1ère série. Paris, 1921, p. 101 et 103]. De même, à Landévennec, le plan des deux croisillons n'était pas symétrique. Seul, un examen de la maçonnerie, débarrassée de l'enduit qui la masque à l'intérieur et à l'extérieur, permettrait de voir si elle comportait ici une baie correspondant à l'entrée d'une chapelle.

Extérieur. — Les murs de l'église sont en blocage de gneiss et de granit, matériaux ordinaires du pays ; les contreforts, portails, piédroits des baies, en grand appareil de granit. La partie basse des murs de la nef, de la façade et d'une partie des croisillons, épaisse, irréguilière, de construction grossière et inhabile, donne une impression d'archaïsme faisant songer à l'absidiole sud du chevet de Saint-Gildas, qu'il est difficile de ne pas faire remonter au XIème siècle. A Merlevenez, un ressaut irrégulier, à 3 m. 50 ou 4 mètres du sol, indique l'endroit de la reprise postérieure.

La façade, amortie en pignon aigu, est épaulée par quatre contreforts à faible saillie. Entre les deux du milieu s'ouvre la porte, refaite quand, au début du XIIIème siècle, on vint plaquer devant elle un porche formé par la retraite successive de quatre voussures décorées de bâtons rompus, de dents de scie et de fleurs à quatre pétales. Le premier arc est presque en plein cintre, les autres se brisent de plus en plus pour aboutir à celui qui encadre la porte et dont le tracé est en tiers-point. Ils sont soutenus par des piédroits dont les angles sont arrondis en colonnettes et que surmonte une collerette continue de petites feuilles plates sous un tailloir à talon. Ce porche est couronné d'un fronton triangulaire à l'antique, très surbaissé, avec un entablement éventré par la partie supérieure des archivoltes qui montent presque jusqu'au sommet du tympan dont le petit écoinçon est orné d'un masque grossier. Ce sont à peu près les mêmes dispositions qu'à Kernitron (Finistère) et à Perros-Guirec (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor) ; mais en ces deux derniers endroits le porche à fronton s'élève sur le côté sud de l'église et non sur la façade, préludant aux fameux porches méridionaux qui seront, du XVème au XVIIIème siècle, l'une des particularités des églises bretonnes.

A Merlevenez, il y a bien aussi un porche méridional ouvert sur le croisillon ; mais il est amorti d'une façon toute différente et assez spéciale, par une corniche droite que supportent des modillons sculptés d'animaux et de grotesques : portail autant que porche, avant-corps manifestement ajouté après coup contre le mur du croisillon, lui-même refait au XIIème siècle, car il masque en partie le bas des contreforts qui soutiennent ce mur et qu'on voit émerger au-dessus de sa corniche.

Comme celui de la façade, il est formé par quatre voussures reposant sur des piédroits profilés de colonnettes à chapiteaux sculptés ; ceux-ci ne sont pas décorés de feuilles stylisées, mais de masques et de scènes animées. Sur les claveaux des archivoltes on retrouve, en revanche, les mêmes bâtons rompus, dents de scie, fleurs à quatre pétales, et aussi d'autres fleurs à six pétales et de curieux fleurons à trois lobes annonçant déjà la fleur de lys qui sera si chère aux décorateurs bretons, du XVème au XVIIIème siècle. Les quatre arcs sont en tiers-point. Un simple boudin encadrait la porte, grossièrement restaurée, comme celle de la façade, à notre époque. Un homme accroupi supporte le gros tore qui, de chaque côté, amortit l'angle du tableau supérieur de cet ensemble plus décoratif que tout ce dont l'extérieur des édifices romans conservés en Bretagne nous offre l'exemple.

Malheureusement, le granit légèrement rosé dans lequel le sculpteur a travaillé n'était pas d'un grain assez serré pour rester exposé pendant des siècles à l'action des pluies chargées d'embruns, violemment projetées par les tempêtes de sud-ouest si fréquentes en cette région. A l'opposé du noir granit de Kersanton, qui durcit à l'air et au frottement et qui a pris dans maintes églises du Finistère l'aspect métallique et poli du bronze, celui-ci est devenu si friable qu'il se délite au simple toucher. Certaines sculptures, maintenant informes, sont méconnaissables.

Au milieu du bas-côté sud se trouve une petite porte basse, encadrée d'une triple voussure en plein cintre à grosses moulures toriques et qui est postérieure à la maconnerie très archaïque dans laquelle on voit manifestement qu'elle fut ouverte ou agrandie après coup.

Une autre porte, très exiguë, sans aucune moulure ni décoration, se reconnaît, aveuglée depuis une époque très ancienne, à la base du croisillon nord, au milieu d'une maçonnerie faite de blocage noyé dans un mortier rose, de coquilles marines et de brique pilée, analogue au ciment romain. Toute cette partie de la construction est assurément fort vieille et paraît antérieure à tout le reste de l'édifice.

Les fenêtres sont de plusieurs types, correspondant aux différentes étapes de la construction, que nous essaierons de déterminer. Les plus anciennes de ces baies, datant probablement du XIème siècle, simples meurtrières ébrasées à l'intérieur, se reconnaissent, bouchées aujourd'hui, dans le mur du chœur, dans l'absidiole du croisillon nord et dans le bas-côté nord.

D'autres, également romanes, mais du XIIème siècle, offrent des dimensions plus grandes. Sans parler de celle qui ajoure le pignon de la façade, haute, assez large, à double rouleau uni, encadrée du côté de l'intérieur par une simple moulure torique, et qu'une retouche moderne rend un peu suspecte, on en voit de plus petites, mais cependant beaucoup plus larges que celles du XIème siècle, dans le mur du chœur, à côté de celle du type précédent — ce qui dénote avec une quasi-certitude la réfection de portions de mur dès l'époque romane — et dans le bas-côté nord. Il y en avait au moins deux dans le bas-côté sud. Elles sont figurées sur la gravure publiée dans l'album de Cayot-Delandre : une double archivolte en plein cintre dont les arêtes sont amorties par des boudins retombe sur de courtes colonnettes à petits chapiteaux. Elles ont disparu depuis 1847 pour faire place aux deux fenêtres actuelles, sans caractère, comme celles qui éclairent l'autre bas-côté.

De grandes baies à meneaux flamboyants ont été percées dans le mur du chevet et dans ceux des croisillons. La verrière qui garnissait celle du chevet a été bouchée lorsque, au XVIIIème siècle, on a placé le monumental retable, de style classique et d'assez bonne fature, qui garnit tout le fond du chœur. On dut ouvrir à ce moment, pour l’éclairer, la grande fenêtre du côté sud.

Les contreforts sont plats, du type roman sans larmiers, simplement amortis en glacis. Seuls, ceux du bas-côté sud présentent le type gothique et ont été ajoutés pour étayer ce mur dont la partie supérieure est, en effet, fortement déversée.

Clocher. — Sur le carré du transept s'élève un clocher qui, par l'harmonie de son plan et l'élégante robustesse de ses proportions, mérite d'être classé parmi les plus beaux de la Bretagne, à côté de ceux de Rosporden de Redon et du Folgoët, sans pouvoir être comparé pour la hardiesse et la légèreté à ceux de Pontcroix ou de Saint-Pol-de-Léon.

Il offre, à l'encontre de tous ceux-là, la très rare particularité, presque introuvable dans l'Ouest, même au pays normand, terre d'élection des beaux clochers, d’être octogonal. C'est à peine, en effet, si l’en peut dire que la tour romane surmontant le carré du transept de Sain-Sauveur de Redon est à huit pans, car c'est bien plutôt une tour carrée aux angles largement arrondis.

Bien que le clocher de Merlevenez ne soit que du XIVème siècle, sa place est celle qu'occupait babituellement à l'époque romane, cette partie de l'édifice dans les églises bretonnes quand elle ne consistait pas tout simplement en une tour de charpente. Il dut ici remplacer une vieille tour carrée surmontant une coupole romane portée par les arcades et les trompes du transept. Très vite, il ne put manquer de faire contraste avec la médiocrité des autres clochers de cette région vannetaise, qui, pour l'époque antérieure au XVème siècle, est extrêmement pauvre en monuments de cette espèce.

Aussi n'hésiterions-nous guère y voir le prototype — compte tenu des changements que la mode des temps imposait — de ces beaux et hardis clochers qui surgirent, lors de la renaissance architecturale de la Bretagne aux XVème, XVIème et XVIIème siècles, avec une richesse frappante et une évidente parenté, dans ce coin du diocèse de Vannes : Kervignac, Hennebont, Saint-Nicodème, Quelven.

Quoi qu'il en soit, ce clocher comprend une tour à huit pans, montée sur les arcades et les trompes du carré du transept et terminée par une haute flèche. La souche paraît aussi ancienne que le carré sur lequel elle est bâtie, c'est-à-dire de l'extrême fin du XIIème siècle ou peut-être du début du XIIIème s, comme on le verra plus loin. Sur cette base repose un étage ajouré aux quatre points cardinaux de baies jumelées à arcs tréflés qu'encadrent des voussures en tiers-point retombant sur de fines colonnettes. Chacun des quatre pans intermédiaires est décoré d'arcatures trilobées. Plus haut, règne une galerie dont la balustrade est faite d'une série de quatre-feuilles.

Troute cette décoration, d'une sobre élégance, indique la fin du XIVème siècle. Elle procède du système d'ornementation, plus sévère, de la tour septentrionale du XIIIème siècle à la cathédrale de Vannes et peut être apparentée à celle du beau clocher gothique isolé sur la place de Redon.

Le soubassement de la flèche, partie droite, en retrait, s'arrêtant à un chéneau de pierre muni de gargouilles à têtes de monstres, est de la même campagne que le précédent étage. Il est éclairé sur la galerie par deux petites baies nord-sud que protègent des dais en mitre ornés de crochets. Quant à la partie pyramidale, elle est le fruit d'une reprise. On a vu que le « clocher » aurait été détruit, par la foudre en 1533 et rebâti après cette date. Le fait ne peut évidemment concerner que la flèche, qui dut être reconstruite assez exactement sur le modèle de l'ancienne, car, sans ce document — dont, à vrai dire, nous n'avons pas la source — et sans l'aspect un peu différent de l'appareil, qui en est une confirmation, rien n'empêcherait d'attribuer la flèche actuelle à une date sensiblement analogue à celle du soubassement. Quatre petits clochetons rompaient l'uniformité des rampants dont une grosse moulure ronde souligne les arêtes, comme un couvre-joint, jusqu'à l'extrême pointe, amortie par une boule aplatie.

On montait à la tour par un curieux petit passage couvert, ménagé au point de jonction du bas-côté et du croisillon nord, et qui accédait à un escalier grimpant, pardessus le croisillon, dans une sorte de tourelle à pans coupés et à retraites successives, jusque sur la voûte du transept, puis, par une vis extérieure, arrivant à la galerie du clocher. Cette ingénieuse, plutôt, qu'heureuse, disposition fut l'expédient imaginé lorsqu'au XIVème siècle on remplaça par ce monumental clocher, la vieille tour romane, courte et trapue, à laquelle on accédait sans doute par une échelle, de l'intérieur ou des combles. Il fallut, pour soutenir tout cet escalier de pierre extérieur, construire dans la dernière travée du collatéral nord un épais massif de maçonnerie qui le sépare complètement du croisillon et masque une partie de la pile correspondante du transept.

Intérieur. — La nef compte cinq travées formées d'une série d'arcades en tiers-point, à double rouleau non mouluré, soutenues par des piles cruciformes cantonnées sur leurs quatre faces de colonnes engagées qui montent, au droit du mur, jusqu'à un gros boudin horizontal courant tout le long de la nef et qui semble attendre la retombée normale d'un berceau. La partie saillante de la pile carrée elle-même se profile jusqu'à la même hauteur et le tout est surmonté de chapiteaux dont la décoration continue donne à l'ensemble l'aspect d'une sorte de pilastre destiné, semble-t-il, à recevoir un arc doubleau.

Or, la nef est recouverte d'une simple charpente lambrissée et n'a certainement jamais été voûtée, malgré ce que donne à penser à beaucoup de visiteurs la présence de tout cet appareil de supports. En réalité, le constructeur a simplement copié, de façon irraisonnée, ce qu'on faisait dans les pays où on l’on voûtait de pierre, comme en Poitou et en Saintonge.

En Bretagne, où, pour de multiples raisons que ce n'est ici le lieu ni de rappeler ni d'examiner en détail, on conserva toujours — sauf de très rares dérogations pour des monuments exceptionnels ou pour de petits espaces comme des carrés de transept, des absides, des déambulatoires ou des chapelles — la coutume de couvrir le vaisseau d'une charpente, lambrissée ou non, les colonnes qui montent ainsi jusqu'à la hauteur des retombées servaient simplement de support aux entraits et les cordons horizontaux, d'appui aux sablières et au lambris. Ce fut leur rôle à Merlevenez, comme aux piles alternées de Guérande.

Si la charpente actuelle n'utilise pas ces supports, c'est par un souci d'élévation postérieur à leur construction ; elle repose plus haut, par suite d'un exhaussement des murs exécuté au XVème siècle dans toutes les parties de l'église, probablement lors de l'importante transformation qu'elle subit après la construction du clocher et dont la marque est fort apparente en plusieurs endroits, notamment à la face ouest du croisillon sud.

Les collatéraux fourniraient, s'il en était besoin, la preuve péremptoire du parti, arrêté dès l'origine, de voûter en bois, malgré ces hautes colonnes-pilastres dont le rôle fut purement décoratif. Dans les bas-côtés, en effet, toutes les colonnes engagées ont une assise de pierre qui manque à une hauteur correspondant à celle de l'une des courtes colonnes en encorbellement prises dans le mur gouttereau. Cette cavité fut évidemment destinée à recevoir l'un des bouts de l'entrait de chaque demi-ferme couvrant le collatéral, l'autre bout devant reposer sur le chapiteau de la demi-colonne.

La nef n'est pas éclairée directement. Elle ne recevait le jour que par la haute baie du pignon de façade, par les petites fenêtres des bas-côtés, du chœur et des croisillons.

La construction en est parfaitement homogène ; on dut la bâtir d'un seul coup. Au raccord de la dernière travée avec les piles antérieures du transept on perçoit, au contraire, un collage manifeste. De plus, la décoration des chapiteaux y devient différente. Alors que dans la nef elle est très variée, empruntée à la fois aux motifs géométriques et à la figuration végétale ou animée, au carré du transept, elle est uniformément composée d'une collerette de petites feuilles plates stylisées couvrant, sous un épais tailloir, la corbeille, assez courte, des chapiteaux. Ces caractères indiquent que le carré est postérieur à la nef. La décoration purement végétale invite à descendre jusqu'au XIIIème siècle ; mais les deux campagnes durent être assez rapprochées l'une de l'autre car le parti général, les matériaux et l'exécution sont identiques.

Sur les quatre grandes arcades en tiers-point qui circonscrivent le carré, est portée une belle voûte d'ogives à huit compartiments. Le passage du carré à l'octogone est réalisé grâce à quatre petites trompes bien appareillées et soigneusement montées dans les angles. Les nervures des huit voûtains, profilées d'un listel, viennent se réunir autour d'un large oculus central qui fait fonction de clef et est ménagé pour la sonnerie des cloches.

Cette voûte, de conception savante et d'exécution experte, doit être rapprochée du clocher qui la surmonte et considérée comme très postérieure au système qui la supporte, ainsi que le prouverait encore, s'il en était besoin, le recoupement, par l’un des petits arcs formerets relancés au XIVème siècle dans les murs du XIIIème, d'une longue baie étroite pratiquée au-dessus de l'arc triomphal.

Le carré du transept dut être d'abord couvert d'une coupole, comme l'indiquerait normalement la présence des trompes contemporaines des arcades : mais peut-être aussi n'y eut-il qu'un simple plancher. C'est ce qui arriva très fréquemment en Bretagne. Selon cette hypothèse, les trompes n'auraient pas eu ici d'utilité plus effective que les colonnes hautes de la nef et des bas-côtés.

Le croisillon sud présente une curieuse particularité : trois arcades en plein cintre, dont deux aveugles et la troisième servant à faire communiquer le croisillen avec le bas-côté correspondant, sont supportées par deux colonnettes surmontées de chapiteaux presque cubiques décorés de gros masques. Elles soutiennent un massif de maçonnerie qui fait saillie sur le mur ouest du croisillon et qui présente au milieu de sa partie supérieure un épais et large corbelet. On a l'impression d'une construction rapportée, d'un placage. Si l'on se rappelle qu'il y avait autrefois du côté de l'orient trois portes : celles du chœur, du clocher et de l'orgue, on est très porté à voir ici le support d'une tribune qui aurait pu être utilisée pour l'orgue.

Les murs des bas-côtés sont à l'intérieur aussi frustes qu'au dehors. Il faut rappeler ici leur renflement et l’irrégularité de leur construction à la partie inférieure. Tout le haut fut remanié à l'époque où furent élevées les piles de la nef et l'on y encastra des colonnettes reposant à mi-hauteur sur des culots sculptés.

Il n'y a pas la moindre ressemblance, ni dans la conception, ni dans l'exécution, entre le parti dont procèdent la nef, le carré du transept ou certaines modifications apportées à diverses portions de l'édifice, au dedans comme au dehors, et celui que suivit le bâtisseur de ses murs gouttereaux, de ce que nous apellerions volontiers sa carcasse primitive. Cette différence frappante ne laisse pas de poser un point d'interrogation même à l'observateur le moins averti des choses de l'archéologie. Le besoin d'y répondre nous amène à définir les diverses campagnes de la construction.

Campagnes de construction. — Pour les parties les plus anciennes un précieux élément d'appréciation fait défaut : l'examen détaillé des maçonneries, à l'intérieur et à l'extérieur. Si les arcades et les piles de la nef et du carré ont été débarrassées du badigeon qui les recouvrait, il n'en a pas été ainsi des murs, encore presque entièrement enduits d'un épais crépissage qui dissimule reprises et collages. Aussi n'est-il pas facile de dire s'il y eut seulement deux ou bien trois campagnes avant celle qui nous a laissé les travées de la nef et le carré du transept.

L'existence d'une première et très vieille église, d'âge, de dimensions et de plan inconnus, nous est révélée, au croisillon nord, par l'étroite porte, bouchée depuis longtemps, que nous y avons signalée, par le blocage et le mortier rosé fort archaïques qui l'avoisinent et par l'absence de contreforts à l'un des angles, simplement marqué par un décrochement des deux murs perpendiculaires. Peut-être l'enduit cache-t-il ailleurs des frapments semblables d'un édifice qui dut être antérieur au milieu du XIème siècle mais dont on ne peut rien dire de plus précis.

Il céda la place à un monument ayant à peu près les mêmes formes extérieures que l'église actuelle puisque ses parties basses sont encore presque partout en place. Celui-ci subsista-t-il jusqu'à la fin du XIIème siècle sans remaniement ? On peut en douter et penser qu'au cours du XIIème siècle, la partie supérieure des murs fut refaite pour être rehaussée et amincie en même temps qu'on ajoutait partout, des contreforts dont le moyen appareil de granit, assez soigné, épousant exactement le ressaut qui existe au raccord des parties haute et basse de la muraille, dénoterait, en Bretagne, une époque plus avancée que celle dont la grossière maçonnerie de la base des murs est le témoin : substructions où l'on cherchait par l'épaisseur massive de l'assiette à compenser l'absence d'étais et l'imperfection du travail ou des matériaux.

Vers le même temps, on aurait allongé le chœur, transformant en chevet plat un ancien chevet semi-circulaire moins profond, ajouté l'absidiole du croisillon nord et agrandi certaines fenêtres. Mais, pour oser affirmer l'existence de ces deux campagnes, qui se placeraient l'une dans la seconde moitié du XIème siècle, l'autre dans la première du XIIème, il faudrait pouvoir faire sur la maçonnerie les minutieuses observations directes qui sont maintenant impossibles. On doit espérer que bientôt cet édifice composite, devenu enfin monument historique et dégagé de la gangue qui le déshonore encore trop, fournira des éléments de comparaison utiles à l'histoire, bien peu étudiée jusqu'à présent, de la technique des constructeurs bretons.

Vers la fin du XIIème siècle, l'église de Merlevenez offrait ainsi le même plan qu'aujourd'hui. Mais les deux porches n'existaient pas ; un clocher de charpente devait occuper la place du clocher actuel. On aurait pu supposer, à première vue, que la nef ne comportait pas alors de bas-côtés et consistait en une vaste salle rectangulaire, couverte d'un grand toit à double pente rapide supportée par les murs extérieurs et, au besoin, par des poteaux de bois à l'intérieur, à l'exemple des vieilles halles ou « cohues ». Ce type dut être commun en Bretagne au XIème siècle, car plusieurs églises remontant, au moins partiellement, à l'époque romane offrent le cas manifeste du recoupement postérieur d'un trop large vaisseau par deux murs parallèles percés d'arcades, en vue de soulager la charpente et les murs gouttereaux qui en supportaient toute la charge. Il n'en fut pas ainsi à Merlevenez car nous y trouvons un témoin, peu considérable, il est vrai, mais digne de foi, de l'existence d'une nef à deux bas-côtés avant l'édification des travées actuelles. C'est la petite arcade qui donne accès du collatéral sud au croisillon correspondant. Elle vient s'appuyer gauchement à la pile du carré et, comme celle-ci est d'un diamètre plus fort que n'était celui du mur à arcades qu'elle a remplacé, il a fallu entamer légèrement le cintre de la baie du collatéral. Il y a donc là un reste de la construction antérieure, faisant corps avec le mur ouest du croisillon.

On peut ainsi restituer par la pensée, sans trop de témérité, semble-t-il : une nef bordée de deux murs bruts parallèles, percés d'arcades en plein cintre et, probablement, de petites fenêtres en meurtrière éclairant, faiblement mais directement, le vaisseau central, flanqué d'étroits collatéraux, qui précéda la nef actuelle. C'est le type le plus simple et le plus ordinaire, à cette époque, en Bretagne, celui dont on observe encore des spécimens dans cette partie du pays vannetais, notamment à Inzinzac, à Plumergat, à Plœmeur, etc.

Peut-être cependant le bandeau des arcades retombait-il, comme dans certaines églises plus soignées, sur de frustes colonnes surmontées de chapiteaux parés d'une sculpture rudimentaire, car le bénitier du bas-côté sud, creusé dans un chapiteau de granit extrêmement archaïque, où l'on distingue de petites croix gravées en creux comme on en trouve sur les sarcophages, pourrait bien être un vestige de cette disposition.

A l'extrême fin du XIIème siècle, cette nef, vaste mais indigente, menaçait-elle ruine ou parut-elle trop démodée ? Toujours est-il qu'on la transforma de fond en comble par l'implantation, au milieu du vaisseau, de la série d'arcades que l'on y voit et qui furent construites et décorées avec un soin dont la Bretagne des temps romans n'offre pas de très nombreux exemples en dehors des cathédrales et de quelques rares églises monastiques.

En même temps, on construisit ou remania les parties hautes des murs extérieurs pour y encastrer des demi-colonnes destinées, nous l'avons vu, à supporter le bout des entraits des demi-fermes des bas-côtés. A l'intérieur du croisillon sud on plaqua contre le mur occidental les arcatures dont nous avons essayé de déterminer la fonction. On refit la porte du bas-côté sud et les fenêtres même côté, celles du moins qui furent figurées dans l'album de Cayot-Delandre, en 1847, et qui remplacèrent les anciennes meurtrières ébrasées. Cette dernière réfection était devenue indispensable puisque la nouvelle nef n'avait pas d'éclairage direct, et qu'il fallait désormais compter sur les bas-côtés pour lui envoyer de la lumière.

Pourquoi datons-nous cette campagne de la fin du XIIème siècle, d'accord avec La Monneraye, qui, sur la foi un peu fragile de l'emploi d'arcs brisés, classait toute l'église dans le « style de transition », sans avoir aperçu les différentes campagnes que révèle l'examen détaillé auquel nous venons de convier le lecteur ?

On sait que la présence d'arcs brisés est une présomption, mais non point une preuve absolument certaine de la date tardive d'un édifice roman : mais, à Merlevenez, tout concourt avec cet emploi prépondérant de l'arc en tiers-point à indiquer une époque très rapprochée du XIIIème siècle. D'abord, le parti adopté pour les colonnes montantes de la nef, puis la perfection de l'appareil et le travail fouillé de la sculpture, enfin le profil de certaines bases étalées en larges doucines avec griffes d'angle. C'est à peine si quelques-unes de ces bases présentent encore des formes élevées de chapiteaux renversés ornés de dessins géométriques, qui sont dans la tradition romane.

Si l'on n'oublie pas que nous sommes en Basse-Bretagne, où les modes nouvelles s'infiltrèrent toujours lentement, on se demandera s'il ne faut pas repousser jusqu'à l’aurore du XIIIème siècle la construction de monuments qui, comme celui-ci et comme la collégiale de Saint-Aubin de Guérande, sentent si manifestement l'influence des formules répandues par le nouveau style de l'Ile-de-France.

Il le faut, en tous cas, et très nettement, pour le carré du transept, qui fit l'objet de la campagne suivante, peu postérieure à la précédente, comme nous l'avons déjà montré par l'analogie des procédés et des formes.

Les mêmes tailloirs et les mêmes chapiteaux à corbeille garnie d'une rangée de petites feuilles stylisées se retrouvent aux piles du transept et aux piédroits du porche de la façade, ce qui tendrait à attribuer la construction des deux porches ouest et sud, dont l'air de parenté est si grand, à la même date et aux mêmes ouvriers que ceux auxquels on doit le carré du transept. Si le porche de la façade diffère de celui qui orne le croisillon méridional par son amortissement en fronton triangulaire, qui est déjà un embryon des hauts gâbles gothiques dont le paroxysme peut être noté au porche de Pont-Croix, en revanche, la décoration de ses voussures reproduit la plupart des motifs de l'autre. Mais la décoration y fut complétée par la copie de certains motifs empruntés aux chapiteaux de la nef (martyre des saints Laurent et Simon, démon engoulant un homme, etc.) au lieu de l'être à ceux du transept.

Au XIVème siècle, on éleva le clocher et l'on monta sur le carré du transept la jolie voûte à huit branches d'ogive qui prouve, avec un bon nombre d'autres, que les maîtres d'œuvre bretons, malgré leur amour inné de la charpenterie, ne repoussaient, pas de parti pris le voûtement de pierre et qu'ils y recouraient volontiers quand ils avaient, pour recevoir les poussées latérales des écrasants voûtains de granit, d'aussi solides appuis que de grosses piles de transept étayées par des murs de croisillons et de chœur.

Vers le même temps, on dut renforcer le mur du bas-côté sud à l'aide de gros contreforts à larmiers.

Rosenzweig a relevé sur une sablière du chœur « en caractères gothiques » la date de la charpente : 1410. Il est à présumer fortement que cette charpente fut placée, en même temps qu'on retouchait et surélevait toutes les parties hautes de l'édifice, peu de temps après l'achèvement du clocher, dont les caractères sont bien, en effet, pour la Bretagne, ceux de la fin du XIVème siècle.

Du début du XVème date aussi l'ouverture des grandes fenêtres à meneaux du chevet et du croisillon sud, percées dans des murs antérieurs, comme cela est arrivé si souvent à l'époque flamboyante.

Enfin, pour arriver à nos jours, il n'y a plus à noter que l'établissement, au XVIIIème siècle, d'un grand rétable qui garnit tout le chevet ainsi rendu aveugle et de deux autres, plus petits, qui masquent également le mur oriental des deux croisillons.

Décoration. — La particularité peut-être la plus frappante de cette église, c'est sa sculpture, d'une variété d'inspiration et d'une vigueur d'exécution qu'on chercherait vainement ailleurs en Bretagne, si ce n'est à certaines piles de Saint-Aubin de Guérande. Il suffit, en effet, d'un minimum de facilité d’observation pour reconnaître dans la décoration de quelques chapiteaux de ces deux monuments, non pas seulement de l'analogie, mais une similitude telle qu'il faut admettre, de toute évidence, que la sculpture en est due au même atelier sinon au même ciseau. Non seulement beaucoup de sujets sont les mêmes des deux côtés, mais leur facture est absolument identique. C'est ainsi que l'on trouve sur les grosses colonnes de Guérande les martyres de saint Simon et de saint Laurent, le sagittaire, le démon engoulant un homme, l'avarice, etc., qui sont également figurés, et avec les mêmes détails de pose, de costume, d'expression, aux piles cruciformes de Merlevenez. C'est comme de la sculpture en série.

Profondément creusée, énergique, animée, et d'une grande fantaisie, elle expose au regard la plupart des genres de sujets qui furent chers aux sculpteurs romans, depuis les figures géométriques, les entrelacs de cordages ou de vannerie, les draperies, les feuillages stylisés, les fleurs à multiples pétales, les fleurons, jusqu'aux animaux réels ou fantastiques, aux masques, aux grotesques, aux personnages isolés, empruntés à la vie courante ou allégoriques, et aux petites scènes animées, à deux ou plusieurs acteurs.

On y trouve ainsi : des dents de scie, des bâtons brisés, aux deux porches ; des jeux d'entrelacs, unis ou perlés, seuls ou entremêlés de figures humaines, des palmettes, des feuilles d'acanthe et diverses feuilles d'eau, aux chapiteaux de la nef ; des marguerites es à quatre pétales, aux deux porches ; à six pétales, au porche méridional ; des fleurons à trois branches, annonçant la fleur de lys, en guise de crochets d'angle, aux colonnettes engagées dans les murs des bas-côtés ; des belettes ou hermines, à la petite porte du sud ; un cheval, à l'une des arcatures du croisillon sud ; des masques tirant la langue ou se livrant à d'autres jeux de physionomie parfois très expressifs où le nez proéminent a souvent le premier rôle, aux culots des bas-côtés, aux chapiteaux quasi cubiques du croisillon sud et aux angles de divers chapiteaux des colonnes hautes de la nef ; et ici ou là, comme au hasard, des personnages variés : homme accroupi les deux bras sous les cuisses : vilain en bliaud tendant le dos et s'arc-boutant sur les genoux pour supporter une colonnette : un autre, en même position, mais vu de face ; sorte de sirène écartant des deux mains les longues nattes de sa coiffure ; têtes de diables avalant des entrelacs, bateleur faisant la cabriole ; sirènes affrontées ; démons avalant un homme dont on ne voit plus sortir de l'énorme bouche fortement endentée que la portion inférieure du corps : personnages dans des postures obscènes ou lascives : lutteurs s’mpoignant à bras-le-corps ; scènes de martyre (saint Laurent étendu sur un gril à chaque bout duquel un bourreau, à l'aide d'un soufflet, attise le feu ; saint Simon attaché sur le dos à une roue tandis que deux hommes, à bout de bras, lui promènent sur le ventre une énorme scie de scieur de long ) ; allégories, soit mythologiques, telles le sagittaire, centaure visant de son arc un dragon qui darde vers lui une langue acérée, soit morales, comme l'avarice, figurée par un homme serrant précieusement un sac d'argent entre ses jambes et détournant la tête du misérable qui s'avance, tout courbé, pour lui demander l'aumône, ou l'ivrognerie, représentée par un homme assis à terre, une grosse bouteille entre les jambes. Ailleurs, un personnage paraît s'écarter avec frayeur d'un autre qui retient, quelque chose entre ses mains. S'agit-il de Joseph fuyant la femme de Putiphar ?...

Tous ces sujets se trouvent distribués pêle-mêle, sans suite ni ordre apparent, sur les chapiteaux de la nef et des collatéraux comme au portail méridional et aux modillons de la corniche qui le surmonte.

Les tailloirs ont le profil le plus ordinaire en Bretagne : un biseau sous une bande : mais à certains d'entre eux, ce profil se répète deux fois, formant comme un double étage. Aux piles du carré, un talon remplace le biseau.

Les bases appartiennent à divers types de la fin du XIIème et du commencement du XIIIème siècle. On y trouve déjà les tores aplatis garnis de griffes, mais il y a des modèles plus archaïques. par exemple la seconde pile du côté sud, où, sur une base haute, en chapiteau renversé, est sculptée une curieuse suite de signes en forme de large tau.

Somme toute, la sculpture de Merlevenez offre une sorte de raccourci de la décoration romane, représentée par des spécimens. On dirait aujourd'hui une « foire d'échantillons ».

Le sculpteur fut un artisan habile qui n'inventait pas et reproduisait les motifs classiques du répertoire de son temps, mais d’un ciseau exercé et vigoureux. Certains masques notamment sont d'une truculente ironie et d'un rare relief. Malgré la grossièreté de la matière travaillée et les injures du temps, les attitudes dénotent presque toujours un sens des formes humaines et du mouvement que l’ont chercherait vainement en Bretagne au XIIème siècle.

Il n'y a, du reste, rien de particulièrement breton dans cette décoration, qui est presque certainement l'œuvre d'un homme habitué à sculpter une pierre plus tendre. Un Breton, tailleur de granit, ne se fût pas avisé d'entreprendre de le fouiller si profondément.

De cette riche collection un seul type courant est absent : précisément celui qui est, le plus caractéristique de la décoration bretonne : la crossette, que l'on trouve répétée partout, dans les églises romanes de cette province. Au contraire, la sculpture à personnages et à scènes animées, qui domine ici, est extrêmement rare en Bretagne, où l'on rencontre seulement quelques pauvres figures humaines frustes et plus ou moins stylisées, presque toujours simples têtes plates, masques sans vie ni expression, mêlés comme des accessoires à des rinceaux de feuillages, entrelacs, palmettes, crossettes, spirales ou autres motifs végétaux où géométriques qui constituent le fond de la sculpture bretonne.

Le cas serait donc unique en Bretagne, s'il n'y avait lieu d'excepter aussi les grosses piles rondes de Perros-Guirec (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor) et celles de Saint-Aubin de Guérande [Note : La crucifixion, soulignée d'une curieuse inscription en relief « IESUS NAZARENUS, REX IUDEORUM » qui rehausse la nudité du bandeau rectangulaire d’un curieux et bien fruste chapiteau de l’église paroissiale de Langonnet (Morbihan ) est de sculpture tellement rudimentaire qu’on ne peut guère en faire état].

Mais à Perros-Guirec, les scènes à personnages qui entourent comme une frise le haut du pilier et qui représentent, entre autres motifs, le sacrifice d'Abraham et une scène de banquet, non, d'ailleurs, sans un certain sentiment artistique de la composition et de la vie, sont naïvement exécutées, avec une simplicité de moyens un peu gauche et en faible relief, ce qui dénote, au surplus, l'habitude de travailler la matière à la fois dure et friable qu'est le granit. Comme celle du tympan du porche méridional de Notre-Dame de Kernitron (Finistère), cette sculpture rappelle les procédés de certaines figures méplates de l'école normande.

Quant à Saint-Aubin de Guérande, la similitude de sa décoration avec celle de Merlevenez est, nous l'avons déjà dit, éclatante. L'une est la réplique de l'autre, sans qu'il soit possible de dire avec certitude à laquelle attribuer la priorité. Le sculpteur reproduisit d'un côté et de l'autre, sans aucune vergogne, ses types familiers, ceux qu'il avait bien dans l'œil et dans la main, car le martyre de saint Laurent et celui de saint Simon se trouvent sans la moindre modification à Guérande et à Merlevenez, comme la figuration de l'avarice, le démon engoulant un homme, le sagittaire, etc.

Tout ceci dénote un ouvrier peu original, mais adroit praticien, imposant ses modèles et les exécutant, de place en place, où on l'appelle.

Et nous avons dit que ce sculpteur n'était pas breton.

Recherchons donc, en dernier lieu, quelles influences architecturales et décoratives se sont exercées sur la construction de l'église de Merlévenez.

Influences. — Deux points semblent déjà acquis : le sculpteur traite le granit comme du calcaire et il y reproduit des sujets de nature très diverse où dominent les figures et les scènes animées.

Ceci déjà suffit à nous conseiller de tourner les yeux vers la région poitevine-saintongeaise, où des églises comme celle d'Aulnay, par exemple, offrent des exemples d'une sculpture abondante, vivante, profondément fouillée, dont les motifs sont empruntés à l'Écriture, aux légendaires et aux bestiaires, sculpture dont la parenté avec celle que nous venons d'observer est impressionnante, si l'on consent à tenir compte des différences d'exécution dues à la difficulté qu'opposait au ciseau la matière rebelle de Merlevenez ou de Guérande (Cf. Congrès archéol. de France : Session d'Angoulême, 1913).

Or, dans cette même région, quel genre d'édifices trouvons-nous ? Des églises à nef obscure, éclairée seulement par les fenêtres des collatéraux, couvertes d'un grand toit englobant nef et bas-côtés, des archivoltes à arêtes vives : caractères que nous avons constatés à l'église de Merlevenez [Note : Deshoulières, La théorie d'Eugène Lefèvre-Pontalis sur les écoles romanes : L'Ecole du Sud-Ouest, dans le Bulletin Monumental, LXXXV, 1926, p. 5-22. — Noter dans le sens des influences poitevines, le vocable de Sainte-Radegonde, donné à la très vieille paroisse de Riantec, limitrophe de celle de Merlevenez, au bord de l'Océan].

Celle-ci, en revanche, montrait une façade à pignon, plate et sans ornements avant l'adjonction très postérieure du porche, une nef et des bas-côtés lambrissés, un chœur assez profond, à chevet d'abord rond, puis plat, éclairé directement, des piles cruciformes. Tout cela fait songer aux églises de la région de la Loire [Note : Deshoulières, L'Ecole de la Basse-Loire, Ibid., LXXXIV, 1925, p. 242-252] et aux influences monastiques qui rayonnèrent de là sur la périnsule armoricaine.

Enfin, les porches ajoutés devant la façade et contre le croisillon sud rappellent, par la décoration géométrique ou torique de leurs archivoltes, par la tête plate du tympan de l'un d'eux, celle de certains portails normands, comme ceux de Chambois (Orne) et de Rots [Note : G. Huard. La restauration de la nef de l'église de Rots, dans le Bulletin Monumental, 1914, p. 107 et ss.], ou des grandes arcades de la nef, à la cathédrale de Bayeux.

De même, le beau clocher de la fin du XIVème siècle, à part son plan octogonal commandé par l'existence des trompes romanes du carré sur lequel il fut bâti, est dans la tradition de ceux qui font la gloire de l'école normande.

***

Il n'y a rien que de très naturel dans cette complexité d'influences. Leur rencontre à Merlevenez rendait l'étude de cette église particulièrement suggestive et c'est pourquoi il nous a paru intéressant d'en faire l'objet d'une analyse un peu détaillée.

Pendant trop longtemps, en effet, on a classé d'un mot, en bloc, la Bretagne dans le domaine de l'école romane normande, simplement parce que ses églises, d'ailleurs mal connues et peu étudiées, n'étaient pas voûtées de pierre. E. Lefèvre-Pontalis a déjà sommairement indiqué que la question n'est pas si simple et que, dans la région bretonne bordant l'Océan, les influences poitevines et celles que, vers la fin de sa vie, dans son enseignement à l'École des Chartes, il appelait « de la Basse-Loire » avaient été plus puissantes que les normandes.

Dans un travail d'ensemble sur les églises romanes de la Bretagne, résultat d'une enquête approfondie menée depuis quinze ans à travers les cinq départements de cette grande province où les restes romans, souvent difficiles à découvrir dans des édifices très remaniés, sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit généralement, nous espérons pouvoir apporter bientôt la confirmation de ces vues, dont il convient seulement de tempérer la rigueur par la constatation de diverses influences accessoires et temporaires dues à la politique (emprise de la dynastie anglo-normande) ou aux relations monastiques et intellectuelles.

Analysant ailleurs l'église de Saint-Gildas de Rhuis, nous avons eu l'occasion de montrer l'importance des relations maritimes sur l'évolution artistique de la Bretagne [Note : Mélanges d'archéologie bretonne, 1ère série, Paris et Nantes, 1921, p. 109 et 112].

Plus on creuse cette vérité, plus on la confronte avec les données d'un examen archéologique méthodique des monuments, et plus on est convaincu que la Bretagne, abstraction faite des campagnes rennaises, librement ouvertes par la nature aux courants venus de la Basse-Normandie et du Maine, n'était vraiment perméable que par les côtes. La mer est, pour cette province, la véritable voie séculaire des échanges de toute nature, et c'est vers elle qu'il faut toujours regarder pour trouver l'origine de formes ou de pensées, comme la source de matières premières ou de marchandises, étrangères. L'art suit les matériaux qui doivent lui servir d'expression.

Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur une idée générale qui sera développée ailleurs dans ses conséquences et étayée par de nombreux exemples ; mais il n'était sans doute pas hors de propos de l'énoncer, car elle trouve dans le cas de Merlevenez l'une de ses plus complètes illustrations. Elle seule peut expliquer avec naturel cette rencontre en une simple église rurale de Basse-Bretagne de conceptions ligérines, poitevines-saintongeaises et normandes.

La région où se trouve Merlevenez est un pays surtout agricole, mais où les influences apportées par mer pénètrent aussi profondément dans les terres que les longs couloirs sinueux, aux bords déchiquetés, dans lesquels la marée pousse son flot salé à la rencontre des eaux douces, usant du lit que celles-ci ont creusé. De là, on gagnait en bateau, par brise favorable, en quelques heures, ou l'embouchure de la Loire, alors facile à remonter jusqu'à Angers, seule université et centre intellectuel de l'Ouest, puis jusqu'à Tours, métropole ecclésiastique et monastique de la Bretagne, ou bien le golfe du Poitou, les rives de la basse Charente, d'où venait, sculptée d'avance ou non, la belle pierre calcaire de Taillebourg. Et l'on y arrivait, du pays de Vannes et de la Cornouaille, beaucoup plus vite, plus économiquement et plus sûrement que dans les campagnes et les villes normandes ou mancelles, par les vastes landes désolées et les brousses boisées de l'intérieur de la péninsule.

Ainsi s'explique tout naturellement que les lignes générales de notre église de Merlevenez, dans sa forme primitive, aient été inspirées des méthodes de la vallée de la Loire, puis qu'il y ait eu, plus tard, des modifications d'origine poitevine dans la nef nouvelle et dans la décoration due à un sculpteur vraisemblablement saintongeais, tandis que l'influence normande se fit sentir ensuite dans les parties les plus récentes : porches et clocher.

Rien donc de spécifiquement breton dans ce monument, qui se présente comme un point de rencontre d'éléments empruntés ailleurs et utilisés en les amalgamant selon les conditions du lieu, de la matière et de l'histoire : en somme, véritable synthèse de l'architecture dans les régions du sud de la Bretagne pendant quatre siècles.

(Roger Grand).

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