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La Légende du Marquis de Guerrand et la Famille Du Parc de Locmaria.

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Les chants populaires de Basse-Bretagne ne sont guère favorables aux nobles d'autrefois. Des soixante-dix-neuf gentilshommes mis en scène dans le recueil des Gwerziou et des Soniou Breiz-Izel, quarante-cinq au moins, soit près des deux tiers, y paraissent en posture désavantageuse ou ridicule. Quand ce ne sont point des meurtriers, des suborneurs, des spadassins, ce sont des larrons ou des dupes. Une douzaine tout au plus y tiennent un rôle honorable, justiciers, défenseurs du faible, âmes charitables et compatissantes. Parmi ces petits tyranneaux dont nos vieilles ballades bretonnes, dit Anatole Le Braz, ne prononcent le nom qu'avec terreur, contre lesquels on les sent animées d'une haine sourde et profonde, les marquis de Coatredrez et du Cludon, les seigneurs de Goashamon, de La Villeneuve, du Rechou, de Kersauzon, de Locdu, de Villaudry, de Boisriou, de Runangoff et bien d'autres, il en est un surtout qui demeure, dans la mémoire des habitants de l'ouest du Tréguier, comme le prototype du « grand seigneur méchant homme ». C'est le marquis de Guerrand : « markiz Gwerrand », « markiz brunn », « markiz Locmaria ».

Ville de Plouégat-Guerrand (Bretagne) : château de Guerrand.

Le personnage flétri sous cette triple appellation fut, d'après la légende, une sorte de don Juan impérieux, débauché, sanguinaire, faisant l'amour l'épée au poing et la menace à la bouche. Sa rencontre était redoutée à l'égal de celle d'une bête fauve dont il avait le poil roux, l'extérieur sauvage et brutal. Il habitait, entre Morlaix et Lannion, au riant terroir plantureux de Plouégat [Note : Plouégat-Guerrand, anciennement paroisse de l'évêché de Tréguier et de la sénéchaussée de Lanmeur, aujourd'hui commune du canton de Lanmeur (Finistère). Jusqu'au XVIIème siècle, elle s'appelait Plouégat-Goallon ou Kergoallon, du nom de son principal fief, possédé dans le principe par une famille Goallon. Après l'érection de la terre de Guerrand en marquisat (1637), ce dernier nom prévalut sur l'ancien. Il apparaît pour la première fois dans les registres paroissiaux en 1648. Sous la Révolution, la commune s'appela pendant quelques années Plouégat-Vallon], l'imposant château de Guerrand, qu'enveloppaient de belles futaies et que cernait un mur d'enclos de près de deux lieues de tour. Sa résidence était somptueuse : on y admirait deux salles, l'une toute argentée, « de la couleur du soleil », l'autre toute dorée « de la couleur de la lune ». Mais les attraits de cette riche demeure ne l'y retenaient point. Il préférait rôder au dehors, battre le pays, le consterner par ses violences, ses facéties cruelles, l'assouvissement de ses passions déchaînées, vérifiant une fois de plus l'ancien proverbe :

Grand seigneur et grand chemin

Sont de forts mauvais voisins

Quand il sortait, sa mère courait mettre en branle la cloche du château. A ce signal d'alarme, les jeunes paysannes abandonnaient les champs pour s'enfermer au logis, les marchands rentraient leurs évantaires, les voyageurs hâtaient le pas de leurs montures, les laboureurs se glissaient furtifs à l'abri des haies ; les mendiants eux-mêmes, aux trousses desquels le marquis eût vite fait de lancer ses chiens, s'éclipsaient vers Lanmeur ou Plouigneau aussi vite que le permettaient leurs jambes perclues. C'était une angoisse, une frayeur universelles.

Guillaume Lejean a narré, en 1846, dans sa Notice sur Plouégat-Guerrand [Note : Insérée dans le journal hebdomadaire l'Echo de Morlaix. On sait que le célèbre voyageur et explorateur de l'Abyssinie, né en 1826 à Traondour en Plouégat-Guerrand, fut jusqu'en 1847 secrétaire de la sous-préfecture de Morlaix et publia dans des revues et des journaux locaux diverses études historiques, qui n'ont jamais été réunies en volume], quelques-uns des tristes exploits attribués au fameux marquis. Celui qui retentit le plus fort dans l'âme populaire fut le meurtre d'un jeune clerc, accompli lâchement, au cours d'une fête d'Aire-Neuve donnée au manoir de Kerhallon. Le clerc était fiancé à une belle fille de la paroisse, que le marquis convoitait de longtemps comme une proie difficile et tentante. Aussi jalousait-il férocement son humble rival et ne recherchait-il qu'un prétexte pour s'en débarrasser. L'occasion lui parut propice. Il se prit de querelle avec le clerc, le provoqua, l'accula à la défensive et, sans vergogne de heurter sa fine épée de gentilhomme au pen-baz d'un fils de paysan, il le perça par traîtrise d'un coup mortel.

Ce forfait souleva une vague d'indignation telle que le meurtrier crut prudent de quitter la Bretagne afin de se soustraire aux poursuites judiciaires entamées contre lui. Quand il reparut à Guerrand, vingt ans plus tard, les dures expériences de la vie l'avaient assagi et transformé. Il se racheta d'avoir été l'épouvante et le scandale du canton en en devenant l'édification et l'exemple. Son château fut désormais une sorte d'hôpital, de rendez-vous des gueux, qui s'enhardirent vite à en franchir le portail, assurés d'avance du plus charitable accueil [Note : En 1693, écuyer Olivier-François de La Bouessière, fondé de pouvoirs du marquis de Locmaria, déclare qu'au château de Guerrand « on donne la charité aux pauvres toutes les sepmaines passé Pasques, et quy monte a plus de six quartiers d'orge par sepmaine pour les dits pauvres ». (Archives du presbytère de Plouégat)]. Après les avoir nourris, réconfortés, soignés, le marquis se retirait dans son oratoire. Là, sans témoins, il priait avec larmes jusqu'à une heure avancée. Lorsqu'un passant attardé s'étonnait d'y voir briller encore de la lumière, on lui répondait: « C'est le marquis de Guerrand qui veille : il supplie Dieu à genoux de lui pardonner sa jeunesse ».

La mort du grand seigneur repentant fut celle d'un juste. Avant d'expirer, il dicta un interminable testament où il s'efforçait d'indemniser ses victimes, où il faisait de multiples aumônes et legs pieux à toutes les églises et chapelles des alentours, où il fondait, pour ses chers pauvres, un hôpital au bourg de Plouégat. Mais cette longue expiation, ce dévouement aux miséreux, ces libéralités posthumes, ne suffirent point, dit-on, à satisfaire si tôt la justice divine. Bien des année après, les laboureurs qui regagnaient de nuit leurs chaumières en longeant le sombre étang de Goasquéden, endormi au fond d'un ravin sinistre, rencontraient souvent, errant dans les ténèbres, un cavalier silencieux, monté sur un cheval noir. Alors tout frissonnants, ils hâtaient leur marche et murmuraient à voix basse, tête nue, une oraison pour le repos de l'âme en peine du marquis de Guerrand.

Ainsi peut-on résumer brièvement le cycle des légendes qui se sont formées autour de ce nom redoutable. Il n'a pas été recueilli moins d'une vingtaine de chansons populaires — dont plusieurs, il est vrai, ne diffèrent entre elles que par des détails — sur le thème de l'immoralité, des crimes et de l'expiation du trop célèbre « markiz brunn ». Ces complaintes bretonnes se divisent en trois catégories. Les premières contiennent le récit, plus ou moins dramatisé, de la fatale Aire-Neuve du manoir de Kerhallon, qui coûta la vie au clerc [Note : H. de La Villemarqué, Markiz Gwerrand, dans le Barzaz-Breiz, éd. 1839, t. II, p. 71-83, et éd. suiv. — G. Lejean, Le marquis de Guérand. Notice sur Plouégat-Guerrand, dans l'Echo de Morlaix, 1846 (trad. seule). — G. Milin, Kloarek Lambaul, dans le Bull. de la Soc. Acad. de Brest, IV, 1865, p. 98-104. — F. Luzel, Kloarek Lambaul, dans Gwerziou Breiz-Izel, t. II, 1874, p. 472-477 ; Kloarek Lambol, seconde version, ibid., p. 478-483. — F. Luzel, Kloarek Ann Amour, dans Gwerziou Breiz-Izel, t. II, p. 466-471, — H. Guillerm, Guerz ar c'hloarek yaouank, dans Recueil de chants populaires bretons..., 1905, p. 177-184. — Guillerm et Herrieu, Annaïk Calvé, dans Recueil de mélodies bretonnes. Quimper, David, s. d., p. 15 et 16. — Guerz Cloarec bihan Paul, dans les manuscrits Lédan, t. VIII, p. 123 (Biblioth. de Morlaix). M. Th. Guyomard, de Morlaix, me communique obligeamment une autre version manuscrite, recueillie par M. Abgrall, de Botmeur, des lèvres de Marie-Louise Bellec, âgée de 96 ans, sous le titre de Fiek Kalvez, Fiacre Calvez, l'un des noms que les ballades donnent à l'héroïne du drame (on trouve aussi Anne Calvez, Fiacre Folgalvez, etc. Une Anne Calvez, veuve avec 3 enfants, habitait en 1693 à Traonvoas, en Plouégat). Cette version a beaucoup de rapports avec celle du Barzaz-Breiz ; quant au clerc, les chants l'appellent soit Kharek Lambaul (bihan Paul en est une déformation), soit Kloarek An Amour ou Lammour. Il n'y avait pas de familles portant ces noms à Plouégat-Guerrand ni à Garlan. Mais il existait des Lamour à Lanmeur au XVIIème siècle].

Les deuxièmes ont trait au repentir de son assassin, ou plutôt au testament réparateur que celui-ci ordonna, avant de paraître devant Dieu [Note : E. Souvestre, Gwerz du marquis de Guérand (trad. seule d'une version incomplète), dans Le Finistère en 1836, Brest, 1838, p. 16. — G. Milin, Maro markiz Gwerrand. Dans le Bull. de la Soc. Acad. de Brest, IV. 1865, p. 105-110. — F. Luzel, Markizes Guerrand, dans Gwerziou Breiz-Izel, t. II, 1874, p. 484-489. — Henri de Kerbeuzec, (abbé Duine), La fin du marquis de Guérand, dans Cojou-Breiz, 1ère série (Plougasnou), 1896, p. 32-46 (trad. seule). — A. Le Bras, Testamant ar Markiz, dans Les Saints Bretons d'après la tradition populaire (Annales de Bretagne, t. XIII, 1897-1898, p. 100-110)]. Les dernières enfin font allusion, soit aux moyens de séduction employés par l'opulent seigneur, pour faire, parmi les filles jolies et pauvres du voisinage, de faciles conquêtes ; soit aux divertissements et aux fêtes qu'il offrait à ses pairs dans les vastes salles du château [Note : F. Luzel et A. Le Braz, Bal, dans Soniou Breiz-Izel, 1890, t. I, p. 30-31. — Ibid., Fantik Bourdel, dans Soniou… t. I, p. 176-179. — Canaouen goz, dans les manuscrits Lédan, t. II, p. 99 (Biblioth. de Morlaix). C'est un dialogue entre le marquis de Locmaria et une bergère, qu'il s'efforce en vain de séduire en lui offrant des coiffes en toile de Maubeuge ? (coëffou lien Monbleu). — Voir aussi dans Elvire de Cerny, Contes et légendes de Bretagne, 1893, p, 40-41, l'histoire intitulée Ronan Quesmeur, qui contient un aperçu des traditions populaires, relatives au marquis. Anatole Le Braz s'est servi des mêmes traditions pour sa nouvelle Le Bâtard du Roi dans les Vieilles histoires du pays Breton, 1897, p. 78-83, et Charles Le Goffic, pour sa nouvelle Le Marquis Rouge, dans Passions celtes, 1908. V. aussi A. Le Braz, Le Cloarec breton d'après la poésie populaire, Bullet. de la Soc. Arch. du Finistère, XVI, 1889, 40-42].

Auquel des possesseurs de ce domaine, dont nous avons la liste depuis le XIVème siècle, faut-il identifier le malfaisant héros des traditions trégorroises ? Inutile de remonter au-delà de l'époque de Louis XIII, en raison de certains traits qui ne peuvent convenir à une époque antérieure. Emile Souvestre qui, le premier, en 1836, a publié une traduction incomplète du Testament ar markiz, ne précise point de quel personnage il s'agit ; mais La Villemarqué, dans son Barzaz-Breiz paru en 1839, n'hésite pas à accuser Louis-François du Parc, marquis de Locmaria, fils aîné de Vincent [Note : La Villemarqué lui donne à tort le prénom de Jean] du Parc, créé marquis de Locmaria et de Guerrand en 1637 pour ses services militaires, et de Claude de Névet ; et il cite au sujet de ce jeune et brillant gentilhomme l'opinion enthousiaste de Mme de Sévigné, qui le vit et l'admira fort, aux Etats de Vitré, en 1671. Quant à Guillaume Lejean, sa Notice sur Plouégat-Guerrand désigne Charles-Marie-Gabriel du Parc, marquis de Locmaria, et fait de lui le fils de Louis-François, alors qu'il n'était que son arrière-neveu, dernier rejeton d'une branche cadette sortie du tronc principal dès là fin du XVIème siècle [Note : La famille du Parc, originaire de la terre de ce nom, peroisse de Saint Jacut du Mené, évêché de Saint-Brieuc, est une des plus anciennes lignées chevaleresques du pays. Ses traditions, appuyées sur certains titres de l'abbaye de Boquen, la font sortir de la première maison de Penthiévre, et son premier auteur connu serait Eudes, dit Gargaion, né vers 1160-1170, dont le fils Guillaume, chevalier, né vers 1200, prit ou reçut le surnom de du Parc. La branche aînée s'est fondue vers 1480 dans Beaumanoir du Besso. La branche de la Roche-Jagu a produit un champion du combat des Trente, compagnon de Duguesclin, et gouverneur de Quimper. Vers 1490, une alliance de la branche du Parc en Le Gouray, devenue l'aînée, avec les Coëtgoureden, lui apporta la terre de Locmaria en Ploumagoar près de Guingamp. En 1548 une autre alliance avec les Boiséon lui transmit la terre et le château de Guerrand, dont Fontenelle s'empara en 1593. Au siècle suivant, Vincent du Parc, premier marquis de Guerrand, recueillit le riche patrimoine de sa mère Françoise do Coëtredrez et devint l'un des plus puissants gentilshommes de Basse-Bretagne. Après l'extinction de la branche aînée en 1745, et celle de son héritière, la branche de Keranroux, en 1769, leur immense fortune fut partagée entre les familles de Cleuz du Gage, Quemper de Lanascol, Caradeuc de La Chalotais, Rogon de Carcaradec, Le Cardinal de Kernier et du Breil de Rays]. Cette opinion erronée a été adoptée par Luzel, mais ne semble pas défendable.

En recherchant, à mon tour, la solution de ce petit problème, j'ai été amené, par l'examen attentif de diverses données éparses dans le texte des chansons populaires, ou fournies par des pièces d'archives, à une conclusion différente de celle des autres ci-dessus. Je suis d'avis que le terrible Markiz-Guerrand n'était, ni Charles-Marie-Gabriel du Parc, ni même Louis-François du Parc, mais le père de celui-ci, Vincent du Parc. Avant d'exposer les raisons qui m'inclinent à cette créance, j'indiquerai d'abord pour quels motifs j'estime devoir décharger l'arrière-neveu et le fils de Vincent des accusations que Lejean et La Villemarqué ont portées contre eux.

Charles-Marie-Gabriel du Parc s'exclut par le simple exposé des faits. Né à Rennes en 1736, fils unique de Joseph-Gabriel du Parc, comte de Lézerdault et seigneur de Keranroux [Note : Cette branche était issue de François du Parc, seigneur de Lezversault, fils puîné de François du Parc, seigneur de Locmaria et de Guernaon, et de Claudine de Boiséon, dame de Guerrand, qui épousa vers 1595 Françoise de La Forest, fille héritière de Charles de la Forest, seigneur de Keranroux, Coatgrall, Guicquelleau, et de Françoise de Kerc'hoent, dame du Herlan. Le domaine de Keranroux, l'un des plus beaux de la région de Morlaix, appartient aujourd'hui au comte de Gouyon de Beaufort, descendant des du Parc de Keranroux par les Nompère de Champagny, de la Fruglaye, Caradeuc de La Chalotais et Penmarc'h de Kerenroy. Dans le grand salon du château, des peintures sur canevas du XVIIIème siècle, imitant, des tapisseries, représentent Charles-Marie-Gabriel du Parc se livrant aux plaisirs de la chasse au chevreuil et au sanglier] (en Ploujean, près Morlaix) et de sa seconde femme Marie-Anne-Gabrielle de Cleuz du Gage, il était encore jeune enfant et déjà orphelin lorsque la mort sans alliances et le testament, l'instituant légataire universel de son cousin au 6ème degré Jean-Marie-François du Parc, marquis de Locmaria et de Guerrand, décédé sans alliance, à Paris, le 2 octobre 1745, lui apportèrent le magnifique héritage de la branche aînée de sa famille. Devenu majeur, il n'habita guère ses domaines de Bretagne, mena à Versailles et dans la capitale la vie dissipée et galante où se complaisaient alors tant de riches gentilshommes, et ne revint au château de Guerrand que pour y mourir prématurément, à 34 ans, le 29 décembre 1769, ne laissant point de postérité de son mariage avec Marie-Louise de Ploësquellec, qu'il avait épousée en 1759.

Pour Louis-François du Parc, qui vivait au siècle précédent, la question est plus complexe. Né au château de Guerrand le 25 août 1647, de Vincent du Parc, marquis de Locmaria, et de Claude de Névet, sa femme, il fut envoyé de bonne heure à l'Académie, à Paris, dont il sortait lorsque Mme de Sévigné le vit aux fêtes de Rennes et de Vitré en 1671, l'admira dansant avec M. de Coëtlogon et deux demoiselles bretonnes « des passe-pieds merveilleux et des menuets d'un air que les courtisans n'ont pas, à beaucoup près », et le dépeignit à Mme de Grignan en termes si flatteurs : « Je voudrais que vous eussiez vu l'air de M. de Locmaria et de quelle manière il ôte et remet son chapeau. Quelle légèreté ! quelle justesse ! Il peut défier tous les courtisans et les confondre sur ma parole. Il a soixante mille livres de rentes et sort de l'Académie. Il ressemble à tout ce qu'il y a de joli et voudrait bien vous épouser ».

Trois ans plus tard, le fringant marquis était colonel du régiment de Joyeuse. Il fut fait brigadier et inspecteur général de cavalerie en 1688, combattit à Fleurus en 1690, devint maréchal de camp en 1693, servit sur la Moselle, au Luxembourg, en Allemagne, fut créé en 1702 lieutenant-général, capitaine-général du ban et arrière-ban de l'évêché de Tréguier, et commandant dans les Trois-Évêchés de Basse-Bretagne [Note : Je dois la communication des états de service du marquis de Locmaria, que je résume brièvement ici, à notre aimable confrère le vicomte Gustave du Parc, de Bruxelles. Bien que la dernière branche des du Parc, celle de Rosampoul et de Keramelin, à laquelle il appartient, ait quitté la Basse-Bretagne depuis le temps de l'émigration et se soit aujourd'hui dispersée jusqu'en Amérique, ses représentants n'en sont pas moins justement fiers de leur origine, et ils viennent, il y a deux ans, de relever légalement le nom illustre de Locmaria. Le vicomte du Parc, admirablement documenté sur le passé de sa maison, dont il a complété et rectifié la généalogie, a bien voulu me fournir de très utiles indications, et ce m'est un agréable devoir de lui exprimer ici ma respectueuse reconnaissance. L'étude raisonnée des textes et des documents qu'il possède lui a également imposé la conviction que Louis-François du Parc ne peut être le féroce markiz-brunn de la légende]. Louis XIV le récompensa de la part glorieuse qu'il avait prise à la victoire de Spire (1703) en le désignant pour être nommé maréchal de France et en lui attribuant des drapeaux, des timbales, quatre canons et trois couleuvrines enlevés aux Impériaux. Cette artillerie demeura jusqu'à la Révolution dressée en trophée sur la terrasse de Guerrand [Note : Les canons de Guerrand furent empruntés en 1791 par la municipalité de Morlaix pour le service de la garde nationale. Sous la Restauration, on en retrouva deux, et on les rendit à la famille Quemper de Lanascol, qui les conserve encore au château de Langourla]. Ayant quitté le service en 1704, le vieux soldat se maria sur le tard en épousant à Rennes, en 1707, Marie-Renée-Angélique de Larlan de Kercadio, fille du comte de Rochefort, président à mortier au Parlement de Bretagne, et de dame Madeleine Courtin (contrat du 12 février 1707). Elle lui donna un fils, Jean-Marie-François, né en 1708. S'étant rendu aux eaux de Bourbonne, diocèse de Langres, pour tâcher de rétablir sa santé ébranlée par les fatigues de ses nombreuses campagnes, le marquis de Locmaria y mourut le 10 septembre 1709 et fut enterré dans l'église paroissiale de cette localité. Son coeur seul, enfermé dans une urne de plomb, fut ramené en Bretagne par ses domestiques, et déposé le 3 novembre en grande cérémonie dans l'église de Plouégat-Guerrand « en lieu de suretté soubz un drap mortuaire jusqu'à ce que le mosolée qu'on doit lui faire ne soit achevé » [Note : Ce tombeau est décrit dans une enquête de 1710 relative aux droits et prééminences des marquis de Locmaria. C'était « un mausolée à une lizière de marbre, sur le piédestal duquel était représenté en relief le seigneur marquis de Locmaria, lieutenant-général, décédé le 10 septembre 1709, suivant les inscriptions portées sur deux plaques de marbre. Ces plaques, placées aux deux extrémités, étaient soutenues par deux piédestaux et accompagnées de deux statues de tuffeau, avec des bustes représentant, l'un messire Vincent du Parc, décédé le 16 juillet 1669, l'autre messire Joseph-Gabriel du Parc, comte de Locmaria, décédé le 15 septembre 1712 » le tout sur « un enfeu ou caveau voûté de taille ». (A. K. Prééminences et droits honorifiques de la famille du Parc de Locmaria en Basse-Bretagne, dans la Revue Historique de l'Ouest, XV, 1899, p. 248). Cette monumentale sépulture s'élevait au fond de la chapelle de Saint-Yves, formant l'aile droite du choeur de l'église de Plouégat. Démontée ou détruite sous la Révolution, on n'en trouve plus aujourd'hui le moindre vestige, bien que la chapelle qui la contenait existe encore. Peut-être a-t-on simplement enfoui les statues et les bustes dans le caveau seigneurial. Il serait bien à souhaiter que l'on y fît des fouilles].

Est-il possible de retrouver, dans ce séduisant jeune homme à « l'air charmant », formé dès l'adolescence aux façons les plus raffinées de la cour, dans ce vaillant officier général que les nécessités de la guerre et de ses affaires [Note : Le marquis de Locmaria avait eu à soutenir un long et coûteux procès comtre le marquis de Goezbriand qui lui disputait l'héritage de la famille de Kerguezaiy. Il finit par obtenir gain de cause, et, dans sa joie, il offrit à Notre-Dame de Paris un tableau votif. D'après la Description historique des curiosités de la ville de Paris, p 116, ce tableau représentait, dans une bordure cintrée et dorée, « le Parlement assemblé pour juger un procès de conséquence, au-dessus duquel est une gloire céleste où Saint-Yves paraît intercéder le Seigneur pour l'heureuse issue de cette affaire. Ce tableau est un voeu de M. le marquis de Locmaria, d'une ancienne famille de Bretagne, mort lieutenant-général des armées du Roi »] tinrent presque toujours éloigné de la Basse-Bretagne, le farouche et brutal markiz brunn, la bête sauvage des légendes, toujours prêt à se colleter avec les paysans et à faire leurs femmes ou leurs filles « marquises par force » ? D'ailleurs, les gwerzes composées sur le trépas et le testament si curieux du marquis, ce testament dont l'abbé Duine a pu dire qu'il aurait besoin d'être accompagné d'une carte de géographie, précisent toutes qu'il est mort au château de Guerrand, peu de temps après avoir revu sa femme, qu'il avait fait mander à Guingamp. Il ne peut donc s'agir de Louis-François, décédé, comme nous l'avons vu, à Bourbonne. J'ajouterai que M. l'abbé Plougoulm [Note : Ancien recteur de Plouégat-Guerrand. Actuellement (vers 1928) recteur de Tréboul, canton de Douarnenez (Finistère)] et moi avons dépouillé soigneusement les registres paroissiaux de Plouégat-Guerrand et des communes avoisinantes qui existent presque partout dans cette région, pour la période postérieure à 1660, sans y avoir relevé aucune trace des prétendus actes de violence reprochés au marquis.

Aucun acte de décès qui puisse se rapporter au drame de l'Aire-Neuve de Kerhallon. Fort peu de naissances illégitimes, et les pères la plupart du temps nommés en toutes lettres, sans que jamais parmi eux figure aucun membre de la famille du Parc. Absolvons donc et réhabilitons la mémoire du lieutenant-général, en corrigeant la page, mal inspirée du Barzaz-Breiz, où La Villemarqué jette à l'étourdie la suspicion et le blâme sur une belle figure de gentilhomme breton, dont La Chesnaye des Bois a écrit qu'il était « connu pour avoir toujours été honorable dans sa dépense, pour son assiduité et son application au service, pour son désintéressement et enfin pour la valeur et prudence qu'il a fait paraître dans toutes les occasions de guerre où il s'est montré » [Note : Le vicomte G. du Parc possède à son château d'Herzèle (Flandre Orientale) un grand tableau dont il a bien voulu m'adresser une photographie, et qui représente le marquis de Locmaria à la bataille de Spire, en uniforme de lieutenant-général, montant un cheval cabré. Il est coiffé d'un tricorne galonné d'or, et les boucles d'une épaisse perruque encadrent son visage aux larges traits réguliers, à l'expression énergique et fière. Au second plan se déploient les lignes de la cavalerie et de l'infanterie françaises ; sur l'autre rive du Rhin, la ville de Spire élève les nombreux clochers de ses églises et de ses monastères. Pendant la guerre de 1914-1918, qui a coûté au vicomte du Parc son fils aîné, le vicomte Raphaël du Parc, lieutenant d'infanterie dans l'armée belge, tombé glorieusement à 22 ans devant Dixmude le 4 mars 1918, le château d'Herzèle a été souvent occupé par des états-majors allemands, et son propriétaire éprouvait un patriotique orgueil à montrer aux officiers ennemis le portrait du marquis de Locmaria, en leur apprenant qu'il avait jadis combattu et vaincu leurs ancêtres. Par suite de ce respect inné de la hiérarchie si vif chez les Allemands, il n'était pas rare qu'un officier passant devant l'effigie du lieutenant-général lui fît le salut militaire].

Vincent du Parc, père de Louis-François, était fils lui-même de Louis du Parc, lieutenant de la compagnie de gendarmes du duc de Retz, capitaine de l'arrière-ban de l'évêché de Tréguier, gouverneur de Guingamp, époux en 1606 de Françoise de Coëtredrez [Note : M. Bourde de La Rogerie, archiviste d'Ille-et-Vilaine, me signale obligeamment un arrêt du Parlement de Bretagne du 31 mars 1622, Interdisant au sieur de Locmaria de continuer les fortifications commencées à sa maison, située à une demi-lieue de la mer. S'agit-il de Guerrand ou de Coëtredrez ?]. Avec ce Vincent, nous atteignons la première moitié du grand siècle, c'est-à-dire une époque où les moeurs se ressentaient encore des passions effrénées, de la barbarie et du mépris de la vie humaine engendrés par les affreuses calamités de la Ligue. C'est l'époque des duels sans merci qui décimaient la noblesse, des rapts, des attentats, des haines exaspérées qui exigeaient du sang. Plusieurs chansons bretonnes datent de ce temps et nous ont conservé de tragiques et saisissantes histoires. Elles nous montrent le seigneur de Kervégant tuant traîtreusement son ami Adrien de Lezormel, seigneur des Tourelles, sur la Lieue de Grève, en 1624 (Luzel, Gwerziou Breiz-Izel, t. II, p. 189-201) ; le seigneur de Coëtloury assassinant le seigneur de Porzlan au pardon de Saint-Gildas en Tonquédec (Ibid, t. II, p. 203-217) ; le marquis de Coëtredrez ravissant les jeunes filles sur le chemin du Guéodet (Ibid, t. I, p. 337-349) ; le seigneur de Guémadeuc tranchant, aux États de Rennes, en 1616, une querelle de préséance en frappant à mort son compétiteur, le baron de Névet (Ibid, t, I. p. 367-381) ; ou bien le comte des Chapelles, François de Rosmadec, exécuté à Paris en 1627 pour avoir secondé son cousin Montmorency-Bouteville dans le célèbre combat singulier de la Place Royale (Ibid, t. I, p. 457-463). C'est l'époque où Jean de Lannion, seigneur des Aubrays, le Lézobré légendaire, triomphait de ses ennemis et du « Maure du Roi », en d'épiques rencontres (Ibid, t. I, p. 291-396 et t. II, p. 564-581), tandis que survivait encore le souvenir des rapts et des massacres de La Fontenelle (Ibid, t. II, p. 55-73), des atrocités de la Charlézenn (Ibid, t. II, p. 74-87), des frères Rannou (Ibid, t. II, p. 88-93), du seigneur de Villaudrain (Ibid, t. II, p. 465-475).

Vincent du Parc avait, du reste, dans sa plus proche ascendance, de qui tenir. Son père, Louis du Parc, avait tué en duel ou autrement, son propre beau-frère Yves de Coëtredrez, ce qui débarrassa, il est vrai, la région d'un vrai sacripant, accusé de plusieurs crimes capitaux, et assura, d'autre part, à la soeur du défunt, Françoise de Coëtredrez, femme de Louis du Parc ; un superbe héritage. Vincent dût naître vers 1607 ; âgé d'à peine vingt ans ; il était déjà orphelin de père et de mère, ce qui lui permettait de se livrer sans retenue à toute la fougue de sa nature emportée, aux désordres et aux attentats flétris par les chants populaires. Mais cette orageuse période de sa vie fut sans doute assez courte. Il se rendit à Paris, obtint la faveur du cardinal duc de Richelieu, qui le nomma enseigne, puis capitaine de sa compagnie de gens d'armes. En cette qualité, il prit part au siège de La Rochelle, combattit en Lorraine, en Alsace, à Trèves, à Mayence, à Corbie et s'y distingua par son courage. En 1637, Louis XIII reconnut « les grands et recommandables services que nostre cher et bien aimé Vincent du Parc, chevalier, seigneur de Locmaria nous a rendus, dit-il, en plusieurs occasions importantes au bien de nostre service, maintien et accroissement de nostre État » par l'érection au titre de marquisat de la terre de Guerrand, à laquelle furent annexées les châtellenies du Portzmeur (en Plouégat-Guerrand), du Ponthou (paroisse du même nom), de Lesquern (en Lanmeur), de Penenez (en Locquirec), de Coatsaoff (en Plouigueau), et de Guernaon (en Lohuec), avec institution de quatre foires par an et d'un marché chaque jeudi au bourg de Plouégat. Une copie ancienne de ces lettres d'érection existe aux archives du château de Lesquiffiou.

Le nouveau marquis épousa vers 1645 Claude de Névet, dame du Plessis-Gaultron en Sévignac, fille de Jacques, baron de Névet, et de Françoise de Tréal, et veuve de Gabriel de Goulaine, baron du Faouët. Il devint maréchal de camp, était gouverneur de Concarneau en 1643, et présida la noblesse aux États de Bretagne de 1653. Il semble avoir, dès lors, quitté la carrière des armes. Il passa ses dernières années au château de Guerrand, qu'il fit restaurer ou rebâtir luxueusement au goût du jour, et qu'il entoura d'un parc muré de 125 hectares. On le voit offrant en 1654 des orgues à l'église de Plestin, paroisse limitrophe de Plouégat, Il mourut à Guerrand le 16 juillet 1669, à l'âge de 60 ans, en ordonnant par son testament, en date du même jour, qu'une rente de 700 livres fût affectée à l'établissement et, à l'entretien, au bourg de Plouégat, d'un hôpital pour dix ou douze pauvres, avec une gouvernante et un chapelain.

Or, cette fondation charitable se trouve très explicitement spécifiée et détaillée dans la gwerze de Testament ar Markiz, ce qui suffit, à mon sens, pour établir l'identité incontestable du défunt. Voici la traduction des strophes qui intéressent notre sujet : « Avec le reste de l'argent : — Un hôpital sera construit à Guerrand. — Pour loger douze pauvres. — Dès aujourd'hui jusqu'à toujours. — On leur donnera de la bouillie, à midi. — De la viande et de la soupe deux fois par jour, — Du pain de seigle sera bon pour eux. — Ils auront quatre vaches à lait dans leur maison. — Et un prêtre pour les instruire ». Cet hôpital dresse encore sur la place de Plouégat ses hautes toitures en croupe et sa façade de granit décorée, d'une statue de la Sainte Vierge. Il fonctionnait en 1673, et hébergea douze pauvres jusqu'à la Révolution, qui le ferma et le vendit [Note : Son dernier aumônier fut l'abbé Le Guern, qui émigra. Un arrêté du département, en date du 2 messidor an II, ordonne la translation à l'hospice de Morlaix des 17 pauvres de l'hôpital de Plouégat, en allouant pour leur nourriture une somme annuelle de 1700 francs à prendre sur les revenus de l'ancienne seigneurie du Guerrand (G, Lejean, loc. cit.)]. Une maison plus basse qui y attient, est l'ancien auditoire de la juridiction du marquisat de Guerrand. Un forgeron l'occupe vers 1928. Diverses autres circonstances relatées dans le chant ne peuvent non plus s'appliquer qu'à Vincent du Parc. En premier lieu, son décès survenu à Guerrand, alors que Louis-François est mort loin de Bretagne. Puis, le fait que sa femme vivait séparée de lui, à Guingamp ou au château voisin de Locmaria, ce qui décèle une mésintelligence ayant peut-être ses causes dans certaines rechutes passagères du marquis. Enfin, cette kyrielle de legs aux paroisses et aux sanctuaires de la région, tandis que les testaments de Louis-François, en date du 1er août 1706 et du 10 mai 1709, se bornent à fonder une messe quotidienne à perpétuité dans la chapelle du château.

Ma démonstration eût encore été plus convaincante s'il m'avait été donné de mettre la main sur quelque document définitif. Par malheur, des archives criminelles de la juridiction de Morlaix-Lanmeur, il ne subsiste que de rares débris remontant à peine au milieu du XVIIIème siècle, et dans les registres paroissiaux de Plouégat, Lanmeur, Guimaëc, Locquirec, Plougasnou, Garlan, que j'ai dépouillés, je n'ai pu découvrir, je le répète, aucune des traces qu'auraient dû y laisser le dévergondage proverbial et l'humeur belliqueuse du dangereux marquis [Note : Voici le seul acte de décès des registres de Plouégat qui puisse laisser supposer un crime. Encore ne s'agit-il probablement que d'un accident de charroi ou de battage : « 3 août 1668, — Philippon Le Bail mourut de mort violente et presque subite, et fut enterré en l'église paroissiale, en témoignage de quoi j'ai signé : Rebours, prêtre, J. Le Goff, prêtre et recteur ». La famille Le Bail, lignée paysanne importante et aisée, habitait les lieux nobles du Dannot et de Kersalaün. Son nom ne rappelle en rien celui du clerc Lammour ou Lambol de la Complainte. Je ne cite que pour mémoire le décès au château de Guerrand, en 1703, d'Yves Le Citoller, « mort d'une blessure reçue par quelque malfacteur en la paroisse de Plouégat-Moisan »]. On peut donc croire que celui-ci exagérait singulièrement, en Trégorrois hâbleur, lorsqu'il déclarait, tel ce comte de Toulouse faisant parade de ses « mille et trois » maîtresses : Etre Montroulez ha Gwerrand, - M'euz uguent markizes ha kant. - Tre Montroulez ha Pont-Meno. - Em'euz kement all tro war dro. - Reit Kant scoet da bep-hini 'n hê, - Evit sevel ho bugale. - Evit sevel ho bugale, - Pe ne gwir int d'in coulscoude. (Entre Morlaix et Guerrand j'ai cent-vingt « marquises ». — Entre Morlaix et Pont-Menou [Note : Gros village entre Lanmeur et Plestin, autrefois célèbre par ses foires, et situé au nord de la commune de Plouégat] j'en ai autant ou environ. — Donnez cent écus à chacune d'elles pour élever leurs enfants. — Pour élever leurs enfants, puisque cependant ils sont de moi).

Quelques personnes ont songé aussi à incriminer Joseph-Gabriel du. Parc, comte de Locmaria, frère cadet du lieutenant-général, né à Guerrand le 25 août 1648, mort au même lieu le 15 septembre 1712, sans avoir été marié. Mais son nom ne se rencontre pas fréquemment sur les registres. Il était en 1698 officier de vénerie, exactement « lieutenant des toiles », de Monsieur. Il paraît s'être adonné à la dévotion. Il fit le voyage de Rome et en rapporta des reliques dont il fit don à sa paroisse. On a même la transcription, faite de sa propre main à Paris le 7 janvier 1694, signée : Joseph-Gabriel du Parc, comte de Locmaria, et scellée de son cachet en cire rouge, blasonné de trois jumelles, de l'authentique de ces reliques, qu'il reçut des mains de Philippe-Thomas Honnardus, du titre de Sainte Marie sur la Minerve, cardinal prêtre de Morfoleia, le 29 mai 1692. Suit l'authentique de l'archevêché de Paris, donné le 27 novembre 1693 par François, évêque de Bethléem, lequel déclare qu'après avoir fait ouverture de « la bouette venue de Rome » et en avoir vérifié le contenu, il a placé les reliques dans neuf reliquaires de bois doré, à l'exception de celles de Saint Alban, qui ont été données à la paroisse de Saint Sulpice (Archives de la paroisse de Plouégat-Guerrand). Il ne semble vraiment pas qu'on puisse retrouver en ce pacifique et pieux gentilhomme à l'existence effacée l'assassin du clerc.

Pour épuiser jusqu'au bout la série de conjectures, reste à parler de Jean-Marie-François du Parc, fils unique de Messire Louis-François du Parc, marquis de Locmaria et de Guerrand, lieutenant-général des armées du Roi, et de dame Marie-Renée-Angélique de Larlan de Kercadio de Rochefort, né le 7 juin 1708 à Guerrand et baptisé le 7 septembre suivant dans l'église de Plouégat. Ses parrain et marraine furent deux pauvres de l'hôpital, Noël Le Caer et Marie Le Laour. A sept ans, il rendit aveu au Roi pour l'héritage de son père, comprenant 35 fiefs de haute justice. En 1724, il se trouvait à Paris, à l'Académie du sieur de la Guérinière, et servait son quartier près du Roi en qualité de mousquetaire. Devenu capitaine de cavalerie au régiment de Royal-Piémont, sa mauvaise santé l'obligea, après la bataille de Guastalla, de quitter le service, tout en conservant le titre honoraire de colonel du régiment de gentilshommes de l'évêché de Tréguier (en 1739-1740). Dès lors, il vécut surtout dans la capitale, s'occupa de recherches scientifiques, correspondit avec des savants et même avec Voltaire. Ayant fait graver en 1741 le portrait du célèbre géomètre et mathématicien Moreau de Maupertuis, il en adressa une épreuve à Voltaire en lui demandant un quatrain à inscrire au-dessous. L'auteur de La Henriade lui envoya les vers suivants : Ce globe mal connu, qu'il a su mesurer, - Devient un monument où sa gloire se fonde. - Son sort est de fixer la figure du monde, - De lui plaire et de l'éclairer (OEuvres complètes de Voltaire, Paris, 1817, t. IX, 485).

Le dernier marquis de Locmaria est mort à Paris, sans alliance, à 37 ans, le 2 octobre 1745. Par testament en date du 26 septembre, il instituait pour légataire universel son cousin au 6ème degré Charles-Marie-Gabriel du Parc de Lezversault, et il ordonnait qu'une fondation de 24.000 livres, valant 1.200 livres de rente, fût employée à doubler le nombre des pauvres entretenus à l'hôpital de Plouégat. Aucun trait de la légende du terrible marquis ne peut non plus convenir à ce dernier, bien plus Parisien que Breton, de tempérament débile et d'humeur studieuse, qui hantait surtout les philosophes et les intellectuels de son temps, et dont la signature n'apparaît presque jamais sur les registres de sa paroisse natale.

Depuis le XVIIIème siècle, le splendide domaine de Guerrand a connu bien des vissicitudes. Lors de la chute de l'ancien régime, il appartenait à Charlotte-Marie de Cleuz du Gage, épouse de Charles-Claude Quemper, comte de Lanascol. Cette famille émigra en s'embarquant au port voisin de Toulan-an-Héry, en Locquirec, après avoir pris, dit-on, la précaution d'enfouir beaucoup d'or et d'argent monnayé, d'argenterie et de bijoux en certain endroit proche de la grande avenue. Mais à son retour, les arbres avaient été coupés, le terrain transformé, les points de repère n'existaient plus et toutes les fouilles demeurèrent inutiles. Quant à la propriété, elle avait été lotie et vendue nationalement, les 11 floréal et 11 prairial an II, 14 frimaire et 7 thermidor an IV, et acquise par les citoyens Guillaume Mahé, François Pezron et Favier. Favier céda sa part aux deux autres, qui divisèrent le parc et les bâtiments par moitié. Mahé eut le château et Pezron l'orangerie, qu'il aménagea en habitation. Les bois furent exploités pour le service de la marine.

Un demi-siècle plus tard, l'oeuvre de destruction était déjà bien avancée. Voici ce qu'en disait Emile Souvestre, dans son Finistère en 1836, (p. 16) : « Suivez les murs du parc de Guerrand, qui ont plus d'une lieue de long et jetez un regard sur son château magnifique qu'entourent des prairies, des eaux, des bois, des jardins, mais qu'attriste un air d'abandon, de délabrement. Naguère, cette demeure royale retentissait du joyeux tumulte des fêtes ; ces taillis, dont les ombrages rampent honteusement à terre, s'élevaient en majestueuses futaies, et l'on en entendait sortir par rafales, vers le soir, les sons étouffés du cor et les aboiements des meutes égarées ; mais la révolution a ôté à ce lieu toutes ses pompes. Le château de Guerrand, tombé aux mains d'honnêtes bourgeois, menace ruine, et vous ne verrez plus que l'ombre de ce qu'il était autrefois ».

M. Marcel de Jaegher, peintre et graveur de grand talent, né à Morlaix et habitant Paris, possède un dessin du château de Guerrand, exécuté par son oncle Jules de Jaegher. C'était un majestueux édifice du XVIIème siècle, à pavillon central décoré d'un fronton, et deux autres pavillons flanquant les extrémités du corps de logis, avec des toitures élancées que coupaient de riches lucarnes. Il a été démoli avant 1840 ; lors des travaux, on découvrit des tuiles et des fragments de poterie remarquables, révélant que le manoir féodal avait succédé à une villa gallo-romaine. L'habitation actuelle, de style hybride, est accolée à l'ancienne chapelle conservée, qui terminait l'une des ailes ; son campanile contient encore cette cloche dont la mère du markiz-brunn allait tirer la corde dès que son scélérat de fils s'esquivait du logis. La chapelle était dédiée à Sainte Anne. On a remonté aussi deux ou trois lucarnes de pierre et adossé au pignon un petit oratoire de 1677 qui se trouvait il y a quelque vingt ans à l'angle Sud-Ouest du parc.

Celui-ci a subi dernièrement un affront irréparable, dans sa moitié appartenant aux héritiers de la famille Swiney, qui la tenait par alliance des Pezron. Elle est tombée aux griffes des marchands de biens, qui naturellement en ont rasé aussitôt les belles avenues, les futaies et jusqu'aux taillis. Après avoir tondu le sol à blanc, ils l'ont découpé en parcelles et quelques maisons paysannes s'élèvent déjà sur la partie avoisinant le bourg. Le parc avait une surface de 125 hectares entièrement, murés. L'angle rentrant assez prononcé, décrit par l'enceinte du côté de l'Est, témoigne, paraît-il, de l'obstination d'un seigneur jaloux de son fastueux voisin, et qui, pour empêcher ce dernier d'arrondir son domaine, refusa à tout prix de lui céder le terrain nécessaire.

 

APPENDICE
Lettres de service du lieutenant-général Marquis de Locmaria.

Je dois à notre aimable collègue M. Moreau de Lizoreux, de Quimper, l'intéressante communication d'une vingtaine de lettres de service et autres pièces concernant la carrière militaire du lieutenant-général marquis de Locmaria. Ces papiers proviennent des archives du château de Guerrand, dont ils sont peut-être les derniers débris. Faute de place, je ne puis en donner ici qu'une analyse sommaire.

1°. — 16 octobre. — Ordre de payement, signé : Louvois, des appointements de M. de Locmaria en qualité de mestre de camp d'un régiment de cavalerie et de capitaine de la compagnie mestre de camp dudit régiment.

2°. — Mars 1686. — Lettre signée : de Barbesieux [Note : Louis-François Le Tellier, marquis de Barbesieux, 3ème fils de Louvois, auquel, après la mort subite de ce dernier, le roi avait confié le Département de la guerre. Il était secrétaire d'Etat depuis 1665. Mort en 1701, à 35 ans], pour adresser à M. de Locmaria diverses ordonnances au sujet des régiments de milice et des fournitures d'étape aux régiments de cavalerie.

3°. — 10 novembre 1690. — Lettre signée : Louis, commettant le marquis de Locmaria, brigadier et inspecteur général de la cavalerie pour visiter, pendant l'hiver, les troupes logées à Metz, Pont-à-Mousson, Nancy, Toul, Saint-Mihiel, Bar-le-Duc, Commercy, Neufchâteau, Mirecourt, Epinal, etc..

4°. — 18 janvier 1693. — Lettre signée : Louis-Auguste de Bourbon [Note : Louis-Auguste de Bourbon, légitimé de France, due du Maine, colonel général des Suisses et Grisons, grand maître de l'artillerie, lieutenant-général des armées en 1692. Mort en 1736], félicitant le marquis de Locmaria du soin qu'il a pris du régiment de cavalerie du prince. « J'ai reçu très régulièrement toutes les lettres que vous avez pris la peine de m'escrire qui m'ont fait un extrême plaisir. Continuez, je vous prie, car il est fort agréable d'être en commerce avec un homme comme vous et de le compter dans le nombre de ses amis ».

5°. — 9 avril 1693. — Lettre signée : le maréchal duc de Noailles [Note : Anne-Jules, duc de Noailles, vice-roi de Catalogne, gouverneur du Roussillon et de Perpignan, lieutenant-général des armées, maréchal de France en 1693. Mort en 1708], remerciant M. de Locmaria de l'avoir félicité pour sa promotion au rang de maréchal de France, le 27 mars précédent.

6°. — 31 mai 1693. — Lettre signée : de Barbesieux, ordonnant à M. de Locmaria de faire punir exemplairement huit soldats maraudeurs du régiment royal des Vaisseaux, qui avaient été reconduits à Hombourg par des paysans, « Sa Majesté voulant réprimer la licence de ses troupes, qui sont devenues extrêmement libertines ».

7°. — 18 juin 1693. — Lettre signée : le maréchal de Boufflers [Note : Louis-François, due de Boufflers, lieutenant-général en 1683, maréchal de France en 1693, commanda l'armée d'Allemagne, puis de Flandre, où il défendit Lille et sauva l'armée à Malplaquet. Mort en 1711], écrite au camp d'Honffalize, donnant divers ordres au marquis de Locmaria pour la réparation du pont de bateaux de Mont-Royal, la confection d'un autre pont de bateaux à Berncassel, sur la Moselle, le ravitaillement des troupes, etc..

8°. — 13 juillet 1695. — Lettre signée : L.-A. de Bourbon, écrite au camp de Bottes, remerciant le marquis de Locmaria de lui avoir appris l'arrivée du maréchal de Boufflers à Namur.

9°. — 21 janvier 1696. — Lettre signée : Harcourt [Note : Henri, marquis d'Harcourt. lieutenant-général en 1693, maréchal de France en 1703, mort en 1718], écrite à Luxembourg où il était commandant. « Vous devez être persuadé que je fais grand fonds sur notre ancienne amitié et que je ne négligerai aucune occasion pour vous rendre tous les petits services qui dépendront de moi... J'ai été bien fâché de ne vous pas voir sur l'état nouveau des lieutenants-généraux, m'intéressant plus que personne au monde à ce qui vous regarde ».

10°. — 16 mars 1696. — Lettre signée : L.-A. de Bourbon, remerciant le marquis de Locmaria de ses nouvelles. « S'il se passe quelque chose sur votre frontière..., vous me ferez plaisir de continuer à m'en instruire, étant toujours bien aise d'être averti par des personnes dont je connais l'habileté et l'attention ».

11°. — 3 février 1697. — Lettre signée : le prince Tserolaes de Tilly, écrite à Liège, pour se plaindre de ce que les officiers de M. de Locmaria oppriment les particuliers, et réclamant justice « touchant l'excursion faite par M. de la Croix sur Ongres et Sevet ».

12°. — 5 mars 1697. — Lettre fort sèche signée : de Barbesieux, faisant connaître à M. de Locmaria, qui sollicitait le commandement d'Arlon, que le Roi en avait disposé en faveur de M. d'Astier, auparavant commandant à Villefranche, en la comté de Nice.

13°. — 19 juin 1697, — Lettre signée : le maréchal de Choiseul [Note : Claude, comte de Choiseul, maréchal de France en 1693, remplaça en 1696 le maréchal de Lorges sur le Rhin. Il préparait alors le passage de ce fleuve et le marquis de Locmaria lui amenait de Luxembourg neuf escadrons et dix bataillons avec lesquels il occupa Spire], écrite au camp d'Ostouen, au sujet de la marche des troupes et de leur ravitaillement en pain. M. de Locmaria venait d'arriver à Ebersheim.

14°.— 9 janvier 1698. — Lettre signée : Turgot [Note : Ce Turgot, grand'père du Ministre de Louis XVI, était, semblet-il, intendant en Alsace], écrite à Metz, à propos du règlement des frontières françaises, restreintes par le traité de Ryswick, et de la remise à une garnison espagnole de la place de Luxembourg.

15°. — 2 septembre 1698. — Lettre signée : A. F., évêque de Noyon [Note : François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, conseiller d'Etat, commandeur du Saint-Esprit, excellent homme, mais dont Saint-Simon a narré quelques traits de vanité assez ridicules. Mort en 1701], écrite à Compiègne, adressée au marquis de Locmaria, à Noyon, pour le remercier de ses bontés (il paraît s'agir d'un cantonnement de troupes dans la région). « Je n'ai pas manqué d'informer le Roy de toutes vos honnêtetés dont je rendrai aussi compte à M. le maréchal ».

16°. — 15 octobre 1701. — Lettre signée : Tallart [Note : Camille d'Hostern, comte de Tallart, lieutenant-général en 1693, ambassadeur en Angleterre en 1697, maréchal de France en 1703. Battu et fait prisonnier à Hochstedt en 1704. Mort en 1728], écrite au camp près la Calmine. Ordre de marche des régiments Dauphin-Etranger, de Bar et de Thracy. Questions de passeport, de ravitaillement en avoine dans les pays de Luxembourg et de Liège, etc..

17°. — 29 septembre 1702. — Lettre signée : Le maréchal de Catinat [Note : Nicolas Catinat, seigneur de Saint-Gratien, maréchal de France en 1693, vainqueur à la Marsaille, nommé pour commander sur le Rhin en 1702. Refusa de tenter le passage de ce fleuve et tomba en disgrâce. Célèbre par sa modération et ses vertus], écrite au camp d'Illkirch. En partie chiffrée. Voici le déchiffrement fait sur l'original. « Je renvoie, ce matin, un courrier qui m'a été dépêché de la Cour. Je prends la liberté de proposer au Roi si sa Majesté ne trouveroit pas à propos que vous avançassiez avec ce corps [8 bataillons et; 15 escadrons qui lui étaient amenés par M. de Saint-Laurens] du côté de Sarrelouis avec ordre de faire des courses dans le Palatinat ou autres terres ennemies tant pour exiger des contributions que pour faire une diversion qui donnât attention aux ennemis. Je ne sais point quels seront les ordres que l'on vous envoira, voyez par avance avec M. de Saint-Contest quelles pourroient être les mesures qu'il devroit prendre pour votre subsistance en cas que vous receviez ordre de vous avancer sur la Sarre ».

18° — 15 octobre 1702. — Lettre du même, écrite à Strasbourg. Nouveaux ordres modifiant les précédents au sujet de la marche sur la Sarre. Ordre d'arrêter à leur passage à Metz et de mettre en prison tous les officiers de l'armée du maréchal de Boufflers qui auraient quitté l'armée d'Allemagne sous prétexte que leurs semestres étaient expirés et qu'ils avaient eu permission de partir.

19°. — 18 octobre 1702. — Lettre signée : Chamillart [Note : Michel de Chamillart, contrôleur général des Finances, ministre en 1700. Secrétaire d'Etat à la Guerre en 1701, disgracié en 1709. Mort en 1721], écrite à Fontainebleau, approuvant au nom du Roi toutes les dispositions prises pour satisfaire à ses ordres, et justifiant M. de La Lande, commandant la citadelle de Metz, de n'avoir pas voulu livrer du matériel des magasins sans ordre du Roi. Au dos, et de la main du marquis de Locmaria. : « Lettre de M. de Chamillart du 18 octobre 1702 touchant les dispositions que j'ay faictes ».

20°. — 20 octobre 1702. — Lettre signée : Tallard, écrite à Luxembourg. « Notre pont sera lundi à Trêves. Je vous supplie très humblement de l'y faire construire avec le plus de diligence qu'il vous sera possible, car j'espère passer dessus la Moselle mardi au soir et camper dans la plaine de Trêves avec vous... La seule grâce que je vous demande, c'est d'avoir le plus de pain que vous pourrez, c'est-à-dire au moins pour quatre jours et vos caissons chargés ».

21°. — 25 octobre 1702. — Lettre signée : Le maréchal de Catinat, écrite à Strasbourg. Adresse : « A monsieur le marquis de Locmaria, lieutenant-général des armées du Roy, à son camp près Tresves ». « ..... L'on me mande de Luxembourg que M. le comte de Tallard devoit venir camper, le 19 à Etelbrone. Si la Cour a persisté à faire joindre le corps qu'il commande avec le vôtre, il peut vous joindre commodément en trois jours de marche. Suivant les dernières nouvelles que j'ai reçues d'Huningue, le prince Louis de Bade était encore campé à Stoffen et M. de Villars auprès de Fridelingue ».

(L. Guennec, 1928).

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