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Prééminences de la Famille de Maillé – Kerman
** dans l'Evêché de Léon en 1614 **

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« De toutes les provinces du royaume, écrivait vers 1680 le marquis de Refuge, lieutenant-général des armées du Roi, dans son rarissime Armorial et Nobiliaire de l'Evêché de Léon en 1443, il n'en est aucune qui ait plus d'ancienne noblesse que la Bretagne et particulièrement cette partie de la Basse-Bretagne qui compose l'évesché de Léon ». L'étude des réformations et des montres de la noblesse léonaise confirme pleinement cette assertion du marquis de Refuge, dont Saint-Simon a vanté l'étonnante science généalogique et héraldique, et que la question intéressait d'autant plus que sa famille, établie à Paris depuis plus de deux siècles, était originaire des paroisses de Plouvien et de Locbrévalaire, aux environs de Lesneven. Parmi ces si nombreux gentilshommes moins pourvus en général d'argent que d'honneur, quatre maisons principales formaient pour l'évêché à peu près l'équivalent de ce qu'on nommait alors « les quatre grands chevaux de Lorraine », ou bien « les trois barons du Languedoc ». Un vieux dicton les énumérait en caractérisant chacune d'elles par sa qualité la plus éminente. On disait : « Antiquité de Penhoat ; Vaillance du Chastel ; Richesse de Kerman ; Chevalerie de Kergournadec'h ». Il serait bien tentant d'esquisser l'histoire de ces quatre lignées de preux dont l'une tout au moins, avec Tanneguy du Chastel, a marqué dans les annales de la monarchie française, mais nous devons nous borner ici à considérer seulement la troisième, celle que distinguait une opulence d'ailleurs relative.

La famille de Kermavan, Kermaon, Kerman ou Carman, avait pour berceau le château du même nom, sis en la petite paroisse de Kernilis, près de Lesneven. Sous le Premier Empire, on en voyait encore de belles ruines, particulièrement une haute tour ronde à mâchicoulis qui semblait, au sommet de sa colline, planer en dominatrice sur la contrée. Aujourd'hui, quelques mouvements du sol, quelques traces de douves, marquent seuls l'emplacement de la forteresse féodale [Note : Sur le château de Kermavan, voyez Fréminville, Antiquités du Finistère, 1832, t. I, p. 216 ; Kerdanet, dans ses annotations à la Vie des Saints de Bretagne, d'Albert Le Grand, 1837, p. 102, et le Bulletin diocésain de Quimper, t. XV, pp. 150-152]. Les Kermavan possédaient en l'évêché de Léon trois autres châteaux à motte, Lesquélen en Plabennec, La Marche en Trézilidé et Le Bois-Seizploué en Plounévez-Lochrist. Ils avaient une certaine préférence pour ce dernier, qu'ils rebâtirent somptueusement vers 1570. C'est dans la chapelle de Lochrist que la pierre tombale d'Alain de Villamavan (sic), chevalier, mort, selon son épitaphe, en 1263, le mercredi après la fête de sainte Agathe, constitue le plus ancien souvenir connu de sa famille [Note : Fréminville a le premier décrit cette pierre dans ses Antiquités du Finistère, 1832, t. Ier, p. 99. La lecture de l'épitaphe est défectueuse. Il a lu Pierre de Kermavan, décédé le jour de sainte Agathe, en 1212. C'est le Pierre d'Izelvet (an Aotrou Piar an Izelvet) que la Villemarqué cite dans la ballade bretonne de La Fiancée (Barzaz-Breiz). Plus tard, Pol de Courcy a rectifié le prénom en celui d'Alain et déchiffré plus exactement ce qui restait visible de l'inscription, actuellement bien effacée. Voir plus loin la lecture de Jean Bouricquen].

Béatrix de Kermavan, fille ou petite-fille d'Alain, épousa François de Léon, sire de Lesquélen en Plabennec, fils d'Alain de Léon — frère cadet d'Henri IV, vicomte de Léon — et de l'héritière de Lesquélen, à condition de relever pour sa postérité le patronyme de Kermavan. Alain de Kermavan, leur fils, déclare en 1294 devoir deux chevaliers à l'armée ducale. On trouve en 1356 un Hervé de Kermaon, chevalier, acquéreur d'une maison à Saint-Pol-de-Léon. Son fils, Tanguy, chevalier, capitaine de Lesneven en 1379, ratifie en 1381 le traité de Guérande. Sa femme, N... de Rohan, lui donna Alain de Kermavan, époux de Jeanne de Rosmadec, fille d'Yvon, seigneur de Gouarlot, et d'Eléonore du Pont, veuve en 1409, dont issut Tanguy de Kermavan, marié à Marguerite, dame de Pennanéach. Leur fils Tanguy épousa par contrat de septembre 1409 Aliette de Quélen, fille aînée de Conan de Quélen, baron du Vieux-Chastel, et de Tiphaine de Quellennec. Il fut chambellan du duc, capitaine de Brest en 1423, et commandait en 1420 l'une des compagnies levées pour la délivrance de Jean V. Il obtint en 1454 du duc Pierre II l'érection en bannière de sa terre de Kermavan, dont il avait reconstruit le château.

Son fils, qui porta également le prénom héréditaire de Tanguy, épousa en 1434 Marguerite du Chastel, fille d'Olivier, seigneur de Trémazan, et de Jeanne de Plœuc, combattit dans les rangs bretons à Saint-Aubin-du-Cormier en 1488 comme capitaine des gentilshommes de l'évêché de Léon, et y fut fait prisonnier. L'un de ses enfants, Jean de Kermavan, occupa le siège épiscopal de Léon de 1503 à 1514 [Note : Sur l'évêque Jean de Kermavan, voyez Albert Le Grand. Catalogue des Evêques de Léon, à la suite de sa Vie des Saints de Bretagne, édit; de 1901, p. 245]. L'aîné, toujours prénommé Tanguy, épousa en 1510 une héritière vannetaise, Louise de la Forest, morte en 1544, héritière de Louis, seigneur dudit lieu, et d'Isabeau de Camson. De cette alliance naquirent un sixième Tanguy, mort sans postérité, et une fille Françoise [Note : Il y eut en réalité, d'après la généalogie donnée par le P. du Paz, 5 enfants : Jean, mort sans postérité ; Françoise, mariée à Jean de Ploesquellec, seigneur de Bruillac ; Tanguy, mort sans postérité de son mariage avec Catherine de Rohan ; François, mort sans postérité, et Jeanne, mariée à Olivier, sire de Kergournadech, également sans postérité], qui apporta le vaste héritage de sa maison aux Ploesquellec par son mariage en 1541 avec Jean de Ploesquellec, seigneur de Bruillac en Plounérin.

De même qu'autrefois les Lesquélen, les Ploesquellec ne firent point difficulté d'abandonner leur patronyme pourtant glorieux pour se parer du beau nom de Kermavan sous lequel le fils aîné de Françoise, Jean de Quermant ou de Guermand, ainsi que l'appelle Brantôme, acquit à la Cour une réputation de bretteur et de duelliste déterminé. Brantôme a narré quelques-unes des prouesses de ce rival des Saint-Mégrin, des Quélus, des Bussy d'Amboise et autres « escalabreux » lurons de telle trempe. En 1565, Jean de Kerman, « jeune gentilhomme brave, vaillant et des riches gentilshommes de Bretaigne », fit un meilleur emploi de sa rapière en allant aider les chevaliers de Malte à repousser l'assaut des Turcs. Mais dès son retour, il se noya dans la Seine en s'y baignant avec M. de Guise.

Son frère cadet et héritier, Maurice de Kerman, chevalier de l'Ordre du Roi, épousa Claude de Goulaine, fille de Christophe, seigneur dudit lieu, et de Claude de Montejean [Note : Claude de Goulaine fit son testament le 30 juillet 1593, au château de la Forest en Languidic, près Hennebont (Arch. dép. du Finistère, 16 H 30). Elle avait eu la douleur de survivre à ses deux fils, Louis et Christophe]. Il se construisit à sa terre du Bois en Plounévez-Lochrist, qu'on appelait communément le Bois des Sept-Paroisses, en breton Coat-Seiz-Ploué, parce que le fief de cette seigneurie s'étendait sur sept paroisses environnantes, un magnifique château Renaissance dont un pavillon à triple colonnade atteste encore l'antique splendeur. Ses deux fils, Louis, marquis de Kerman, et Christophe, seigneur de la Marche, furent tués tous deux à Rennes en 1584 dans une sanglante rencontre avec un autre grand seigneur léonais, Jacques de Tournemine, marquis de Coatmeur, qui succomba lui-même aux suites de ses blessures [Note : Louis et Christophe de Kerman furent enterrés dans l'église du couvent de Bonne-Nouvelle. Leur mère demandait, par son testament de 1593, que leurs restes fussent ramenés à Saint-Pol et déposés au couvent des Carmes où elle souhaitait reposer elle-même (Arch. du Finistère, 16 H. 30)].

Louis n'ayant pas eu d'enfants de sa femme, Diane de Luxembourg [Note : Elle était fille de Jean de Luxembourg, comte de Brienne, et Guillemette de la Mark, fille du duc de Bouillon, maréchal de France], et Christophe n'étant pas marié, leur sœur aînée, Claude de Kerman, hérita d'eux. Elle avait épousé en 1577 un puissant gentilhomme tourangeau. François de Maillé, seigneur de l'Islette, Villeromain, le Plessis-Bonnay, etc., chevalier de l'Ordre et gentihomme de la Chambre de Roi [Note : Mme de l'Islette mourut à La Forest le 16 août 1614, à 5 h. du matin. Une lettre de son fils en donne avis aux religieux Carmes de Léon et leur fait part de son intention de conduire avant deux ou trois mois le corps de la défunte dans leur église, en la réunissant à « ceux de feuz messieurs de Carman qui sont à Rennes ». Il les prie en attendant de commencer à célébrer des services pour sa feue mère et de se souvenir d'elle dans toutes les bonnes prières du couvent (Arch. du Finistère, 16 H. 30)]. Louis XIII érigea en marquisat, par lettres d'août 1612, la terre de Kerman, et en comté celle de Seisploué par lettres du 12 janvier 1626 en faveur de leur fils, Charles de Maillé [Note : « C'estoit, dit le P. Cyrille Le Pennec, dans son Dévot Pèlerinage du Folgoet, un seigneur qui estoit dans l'estime, parmi les plus sensez, d'estre l'un des bons et solides jugements de la Bretagne ». Le recteur de Kernilis consacra à sa mémoire, sur son cahier paroissial, quatre vers latins très élogieux (Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 102)], épouse de Charlotte d'Escoubleau, fille de Louis d'Escoubleau, seigneur de Sourdis, gouverneur de Melun, et de Jeanne de Rostaing.

C'est à ce Charles de Maillé, qui ne devait pas survivre aux fatigues du siège de La Rochelle [Note : Il mourut à son château de l'Islette, où il s'était fait transporter, le 24 juin 1628, et fut inhumé aux Cordeliers de Tours, laissant pour fils aîné Donatien, marquis de Kerman, époux en 1644 de Renée-Mauricette de Plœuc, fille héritière de Sébastien de Plœuc, marquis de Tymeur, et de Marie de Rieux. Il fut tué en 1652 dans un duel avec le marquis du Chastel-Mezle. Entre autres enfants, il laissa Henri de Maillé, marquis de Carman, mort à son château de Maillé en Plounévez-Lochrist, le 4 décembre 1728, à 78 ans, lequel avait épousé : 1° en 1674, Marie-Anne du Puy de Murinais, amie de Mme de Sévigné, et morte à Paris en 1707 ; 2° en 1715, Louise de Kersaintgilly-Traonjulien, qui avait eu de lui un fils en 1713. L'aîné du premier lit, Donatien de Maillé, marquis de Carman, colonel du régiment de son nom, avait fait abandon de tous ses biens à ses créanciers. Le marquisat de Carman fut acquis en 1741 par le fameux banquier Crozat du Chastel, qui le transmit aux Gontaut-Biron, et le comté de Maillé fut acquis en 1747 par Louis-Antoine de Rohan, comte de Chabot. De son mariage avec Marie Binet de Marcoignetz, le marquis de Maillé-Carman eut Donatien, capitaine de cavalerie, époux de Marie d'Anglebermer de Lagny, veuve du marquis de Saint-Phal (dont une fille comtesse de Serans), deux fils non mariés et une fille, comtesse de Sade, qui fut la mère du marquis de Sade si fâcheusement célèbre], qu'est dédié un très curieux recueil conservé dans les archives du château de la Ryais en Ménéac (Morbihan), appartenant à M. le marquis du Plessis de Grénédan. Ce document forme un cahier papier de 35 pages, dont la première porte en caractères gothiques ornementés le long titre qui suit :

Bref Estat des Préminences du Marquisat de Kerman et Conté de Seizploé de mesme qu'elles sont ès Eglisses, Coventz et Chapelles, tant en pierre, boys, vistres et aux lisières, en Léon.

Visité, recueilliz et ce présant livre faict pour hault et puissant Messire Charles de Maillé, chevalier de l'Ordre du Boy, gentilhomme ordinaire de sa Chambre, seigneur marcquis de Kerman, conte de Seizploué, baron de la Forest, etc par son painctre et vistrier humble et fidel serviteur Jan Bouricquen en 1614.

Entre les deux parties de ce titre s'étale au milieu de la page un grand motif héraldique colorié. Les armes de la famille de Kerman — écartelé aux 1 et 4 d'azur à la tour d'or portée par une roue de même, qui est Lesquélen, aux 2 et 3 d'azur au lion d'or, qui est Kermavan — figurent sur un écu en bannière, incliné à l'antique, sommé d'une couronne de marquis et entouré du collier de l'Ordre de Saint-Michel. Cet écusson a pour timbre un heaume à visière baissée, coiffé d'un chapeau de cardinal ceint d'une couronne et dont le retroussis est d'hermines. Un lion d'azur hunpassé de gueules forme cimier. Une banderole qui lui sort de la gueule, offre en lettres gothiques la devise des Kermavan : Dieux avant [Note : Voici l'origine de cette devise. Un incendie ayant éclaté au château de Kermavan, les serviteurs s'empressaient de déménager les meubles et les effets de leurs maîtres, mais celui-ci courut d'abord à la chapelle, enleva le ciboire du tabernacle et le porta avec respect jusqu'à l'église de Kernilis où il le remit au clergé paroissial, en disant à ceux qui s'étonnaient de lui voir faire si bon marché de ses biens : Dieu avant ! Courcy, dans son Nobiliaire et Armorial de Bretagne, indique la devise des Kermavan sous sa forme bretone : Doué araog, mais le recueil de Bouricquen prouve qu'elle était en français. Selon Ogée, les derniers seigneurs de Maillé-Carman avaient transformé la pieuse exclamation de leur ancêtre, en une devise ridicule d'orgueil qui se lisait sur une cheminée du château de Maillé : Carman, Dieu seul avant. (Fréminville, Antiq. du Finistère, I, 100 et Ogée, éd. Marteville, II, 7)]. Les volets et lambrequins découpés du casque sont décorés de dix-huit écussons aux armes des principales alliances de la famille : Sourdis, Luxembourg, Maillé, Goulaine, Ploesquellec, La Feillée, Rohan, La Forest, du Chastel, Rosmadec-Gouarlot, Quélen du Vieux-Chstel, Pennanéach, Léon, du Perrier, Rostrenen, Dinan, Coetmen et encore Léon.

Jean Bouricquen, l'auteur de cette composition, était peintre et verrier à Saint-Pol-de-Léon au début du XVIIème siècle [Note : Il y avait deux peintres de ce nom, le père et le fils. Le premier, dit Maistre Jean Bouricquen le vieil, est cité en 1610 dans les comptes de la cathédrale ; son fils, Jean Bouricquen le jeune, répare en 1612 la vitre de la chapelle Saint-André, appartenant aux Kerman. C'est lui sans doute qui composa le recueil de leurs prééminences. (Abbé Peyron, La Cathédrale de Saint-Pol, Quimper, 1901, pp. 136-137)]. Il appartenait à une lignée d'artistes d'assez médiocre talent, aptes surtout à badigeonner des statues, des boiseries sculptées et des lambris d'églises, à fabriquer des armoiries sur verre et à en peindre sur les litres funèbres des seigneurs prééminenciers, famille dont on rencontre à la même époque et jusqu'au milieu du XVIIIème siècle divers représentants à Morlaix, Landerneau, Quimper, Douarnenez, Edern, etc. Charles de Maillé le favorisait de sa clientèle et eut l'heureuse inspiration de lui commander le recueil où devait figurer la reproduction de toutes les prééminences et droits honorifiques dépendant des fiefs de Kerman, Seizploué, Lesquélen, La Marche et autres terres dans le ressort de la sénéchaussée de Lesneven. Les dessins enluminés de Jean Bouricquen sont peu artistiques, mais d'un faire consciencieux et appliqué. Il est regrettable qu'il ait employé, au lieu d'un solide parchemin, du papier assez mince, et surtout qu'il en ait utilisé le recto et le verso. Mais son travail n'en demeure pas moins des plus précieux au point de vue documentaire, car il ne s'est point borné à dessiner seulement les blasons. Il indique aussi le tracé des tympans des fenêtres, il reproduit avec leurs inscriptions et leurs dates les panneaux et les scènes des vitraux peints, sans omettre les armoiries d'autres seigneurs prééminenciers, quand il en existe. Il nous conserve encore divers détails de sculptures sur bois et sur pierre, baldaquins, stalles, tombes à effigies, des plus intéressants. Quand on songe que des trente-six édifices dont il a dessiné des éléments, vingt-et-un ont disparu ou ont été refaits sous une forme moderne, que des vingt-huit verrières à sujets figurés dans son recueil, pas le moindre éclat n'a survécu, même de cette merveilleuse « rose de Kerman » qui était jadis l'orgueil de la collégiale de Notre-Dame du Folgoat, on peut alors évaluer à sa juste valeur l'excellente besogne accomplie par le bon artisan saint-politain, et lui en vouer une véritable gratitude.

Avant d'entamer la description de l'œuvre de Bouricquen, ce m'est un agréable devoir que d'exprimer aussi ma vive reconnaissance personnelle à M. le comte du Plessis de Grénédan, qui a bien voulu, avec une amabilité extrême, prendre la peine d'exécuter à mon intention un calque complet, planche à planche, du recueil qu'il considère à bon droit comme l'un de ses plus précieux titres de famille. M. du Plessis de Grénédan descend, en effet, par l'alliance d'un de ses ancêtres directs avec une demoiselle de Maillé, des anciens seigneurs de Kerman et de Seizploué, et il est en possession d'une partie de leurs archives. Toutes les personnes qui ont pu, comme moi, feuilleter l'original, rendront hommage à la fidélité, à l'habileté et au soin patient avec lesquels a été exécutée cette belle copie.

Suivons Jean Bouricquen dans sa randonnée artistique à travers le pays de Léon, cette «  Parthénope de la Bretagne » comme l'appelait au temps de Louis XIII le Père Cyrille Le Pennec. Il visite en premier lieu, cela va de soi, la cathédrale où repose l'apôtre et le patron du diocèse, le grand saint Pol-Aurélien. Les Maillé-Kerman y ont de flatteuses prééminences [Note : Le seigneur de Kermavan avait charge, avec trois autres grands feudataires de l'évêque de Léon (les seigneurs de Coetivy, de Penmarch et de Coetmenech) de porter la chaise du prélat lorsque celui-ci faisait sa joyeuse entrée dans sa ville épiscopale (Dom Morice, Preuves, II, 1132, et III, 950). Il avait le droit, en récompense de cet office, de s'approprier la mule, les souliers, les bottes, le manteau et le chapeau du nouvel évêque]. Le tympan de la fenêtre en lancette du chevet, au fond du chœur, ne contient que leurs armes, en bannière, entourées du collier de l'Ordre ou de la Cordelière, pleines et alliées à celles d’or La Forest, d'or au chef de sable, et des Goulaine, mi-parti de France et d'Angleterre. Celles de Maillé : d'or à 3 fasces ondées de gueules, sont mi-parti de Kerman au centre du vitrail, et la devise Dieux avant remplit deux écoinçons. En divers endroits, notamment sur le lutrin en bois du chœur et au porche latéral, se remarquent les blasons de l'évêque Jean de Kerman, timbrés d'une mître et d'une crosse, soutenus de deux anges agenouillés et accompagnés de la grave devise qu'affectionnait le prélat : Memento finis. On les distingue aux voûtes et sur le bénitier de la cathédrale de Saint-André, qui abrite son lambeau consistant en une dalle de granit chargée de son effigie en demi-relief. La tête mitrée de Jean de Kerman, revêtu de ses ornements épiscopaux, repose sur un coussin. Il a les mains jointes ; la crosse est posée obliquement sur son épaule droite. Au haut, sont deux écussons de Lesquélen-Kerman timbrés d'une crosse. Cette pierre tombale n'existe plus et les armoiries de Jean de Kerman ne se remarquent désormais dans la cathédrale de Léon que sur les stalles gothiques du chœur. Bouricquen signale, dans sa légende, que d'autres armoiries du même prélat se voyaient au pignon de la chapelle de l'hôpital de la ville, dédiée à saint Yves, aujourd'hui démolie, et au couvent de Saint-François-des-Anges, à l'Aber-Vrac'h en Landéda, « en un beau image de Nostre-Dame » [Note : Ce monastère des Cordeliers fut fondé le 1er dimanche de mai 1507 par Tanguy du Chastel et Marie du Juch, seigneur et dame du Chastel-Trémaran. L'évêque Jean de Kermavan dédia l'église et donna, dit le P. Cyrille Le Pennec (Hist. des églises et chap. de Notre-Dame bâties en l'évêché de Léon, dans Albert Le Grand„ éd. Kerdanet, p. 516) « la très belle imaige de Notre-Dame des Anges. C'est une ravissante pièce et qui inspire je ne scay quelle tendreur de dévotion à tous ceux qui la contemplent. L'on voit, au pied de l’imaige les armes de ce seigneur Evesque »].

Jean de Kermavan avait offert la verrière peinte qui décorait la fenêtre de cette chapelle de Saint-André. Le panneau central montre le Christ crucifié, entouré d'anges eucharistiques. Au pied de la croix se tient prosternée la Madeleine ; à son sommet est posé le pélican symbolique. Dans le panneau de gauche, les Saintes-Femmes et un ange ; dans celui de droite, l'évêque donateur agenouillé, la crosse en main, devant un autel timbré de ses armes et présenté par saint Jean. Le tympan renferme les blasons de Kerman mi-parti de la Forest, du Chastel, fascé d'or et de gueules de 6 pièces, de Quélen, burellé d'argent et de gueules, et d'un vairé d'argent et de sable, qui doit être Pestivien, mais que Bouricquen n'a pas identifié. Rien ne subsiste de ce vitrail [Note : Sur la cathédrale de Léon et son église du Creisker, V. la bibliographie donnée par M. Lécureux dans le volume du Congrés Archéologique de France de 1914-1919, p. 97-98].

A l'église de Saint-Pierre (chapelle actuelle du cimetière) les armes de l'évêque et sa devise : Momento finis, garnissaient la fenêtre du chevet [Note : Cette chapelle existe encore. Elle est entièrement gothique, sauf sa lourde facade du XVIIIème siècle. On y voit les armoires des Pontantoul, sieurs de Kerivoal]. Aux deux bouts de la halle qui occupait alors le beau milieu de la Grand'Rue, et qui dépendait de la seigneurie de Kerisnel, au Minihy de Léon, possédée par les Kerman, se voyaient leurs armes, pleines et parti de Goulaine, soutenues de deux lions, entourées d'une part de la cordelière d'Anne de Bretagne et d'autre part du collier de l'Ordre de Saint-Michel.

Dans la magnifique chapelle de Notre-Dame du Creisqueur, ainsi qu'écrit Bouricquen, les lobes les plus éminents de la maîtresse-vitre contenaient les lys de la France et les hermines de Bretagne, mais l'oculus central était occupé par un bel écu en bannière de Maillé et de Kerman, et tout le reste de la rosace montrait les mêmes armes avec diverses alliances. Plus bas, quelques petits écussons d'autres familles sont indiqués. J'y reconnais les armes des Kersausom, des Le Moyne de Trévigny et des Hamon de Penanrue. Dans la belle rose du pignon occidental, dite « la Couronne d'Epines », les vitraux étaient fort en désordre. On y distingue pourtant sept écus de Carman mi-parti de Rohan, de gueules à 9 mâcles d'or, Léon, d'or au lion de sable, Goulaine, Maillé et Luxembourg, d'or au lion de gueules. La vitre de la chapelle de Saint-Louis, en la même église, avait également souffert des injures du temps. Trois de ses quatrefeuilles conservaient une image de la Trinité, un écu de Kerman ancien : d'or au lion d'azur et un autre écu timbré, mais vide, reconnaissable pourtant à la devise Dieux avant trois fois répétée, avec un lambrequin au burellé des Quélen. Le surplus était de verre blanc ou de méchants disques rouges et bleus. A la clef de l'arcade et enfeu pratiqués au-dessous se voyait le lion de Kerman. La chapelle du Creisker et son incomparable clocher font encore aujourd'hui l'ornement de la vieille cité épiscopale, mais le marteau révolutionnaire n'y a épargné qu'un seul écusson, celui de l'évêque Jean Prégent, d'azur à la fasce d'or accompagnée de 3 merlettes de même, à la clef de voûte de la tour. Il occupa le siège de Léon de 1436 à 1443 [Note : Sur les prééminences du Cresiker, voyez abbé Peyron. La Cathédrale de Saint-Pol et le Minihy-Léon, Quimper, 1901 p, 138-160, et abbé G. Pondaven, Saint-Pol-de-Léon, 1917, p. 191-198. Tous deux citent des enquêtes de 1578 et de 1720, aux Arch. Dép. du Finistère 8 G. 15. La premiers relate les prééminences des Kerman dans diverses église et chapelles du Minihy. Jean Bouricquen père figura comme expert dans cette enquête].

La planche 5 bis est l'une des plus curieuses du recueil, car elle nous fait connaître une œuvre d'art totalement anéantie, la grande rosace de l'église du monastère des Carmes de Saint-Pol, fondé en 1353 [Note : Le pape Innocent VI accorde, le 23 mars 1353, permission aux P.P. Carmes de s’établir dans la ville ou diocése de Léon (G. Pondaven, Saint-Pol-de-Léon, p. 105). Le couvent fut commencé vers 1355]. La maison de Kerman prétendait y jouir des droits de fondateur, et elle avait multiplié partout ses signes d'armoiries, dans l'église, sur les fenêtres de la sacristie et du dortoir, les poutres de la salle capitulaire, les lizières intérieures et extérieures. jusque sur la porte du colombier. De ce vaste couvent, il ne subsiste plus actuellement pierre sur pierre [Note : En 1832, on voyait encore quelques arcades en ogive de l’église conventuelle (Fréminville, Antiquités du Finist., I, 155)]. La rosace du chevet, qui reposait sur huit panneaux surmontés de trilobes, offrait un tracé insolite, avec son carré central ajouré de quatre quatrefeuilles, d'où rayonnaient huit autres panneaux rectangulaires. Le surplus du cercle était découpé en une quantité de baies trilobées et quadrilobées, On y comptait vingt-cinq écus de Bretagne plein. Les Kermavan n'avaient pu loger leurs blasons que dans les huit rosaces inférieures — Lesquélen-Kerman plein et mi-parti de Léon, Rohan, Quélen, Rosmadec-Gouarlot (d'or à 3 jumelles de gueules), du Chastel, La Forest, Goulaine et Maillé — mais ils avaient donné des vitraux représentant la Salutation Augélique et quelques personnages dont l'un, accompagné d'un enfant, a bien l'air d'être saint Hervé. Deux priants agenouillés doivent être Tanguy de Kerman et Marguerite du Chastel, sa femme, vivants vers 1480, car on remarque sur le cotillon de celle-ci le fascé d'or et de gueules de cette maison. Parmi les huit blasons variés qui surmontent les panneaux, je n'identifie que ceux des du Louël de Kerrom, fascé de gueules et de vair, des Kersauson de Guénan, de gueules au fermail d'argent surmonté d'un lambel d'or, et des Barbier de Kerchoent, d'argent à 2 fasces de sable écartelé de Gouzillon.

Au « mittant » du chœur, une grande tombe armoriée couvrait le caveau voûté où les seigneurs de Kerman et de Seizploué avaient leur sépulture de prédilection. En 1728 encore, on y inhumail Donatien de Maillé, avant-dernier marquis de Carman. L’antique devise : Dieux avant se lisait autour de l’écu en bannière sculpté sur la dalle et les écusson du pourtour soutenus par des lions et des anges, offraient le mi-parti Lesquélen-Kerman avec diverses alliances : Quélen, du Chastel, Pennaneach, Rosmadec et La Forest. Les armes anciennes de Kermavan : d’or au lion morné d’azur, brisé en l'épaule d’une tour tournante d’argent, timbraient la basse porte du chœur aux deux côtes de laquelle des anges tenaient l’écartelé classique de la tour et du lion. La fenêtre de la sacristie offrait un écu de Ploesquellec, d’argent à 3 chevrons de gueules.

La planche 7, fort intéressante, reproduit le tabernacle du sanctuaire. Le ciboire contenant la sainte réserve n’était pas logé dans une armoire, mais, selon un usage qui semble avoir été en honneur à St-Pol et qui s’observe toujours à la cathédrale, il se trouvait suspendu au-dessus de l’autel, sous un pavillon ou tente de satin rouge à franges d’or, qu’abritait un baldaquin de bois sculpté et peint. La face intérieure montrait, sur un fonds d’azur semé d’étoiles, les images du soleil, de la lune et deux écusson de Kerman encadrés du collier de l’Ordre. Sur le coffre de l’autel était la scène de la Nativité, ou plus exactement de la « Sainte Vierge en gésine », telle qu’elle apparaît encore au porche occidental du Folgoat. La lizière du chœur et de la nef était chargé de grands écusson peints dont Bouricquen a reproduit deux spécimens. L’un soutenu par un ange ayant à ses pieds une tête de mort, est parti de Maillé et de Kerman avec la cordelière ; l’autre de Kerman plein est timbré d’un heaume dont les volets portent les blasons de du Chastel. La Forest, Ploesquellec et Goulaine.

Jean Bouricquen a cru devoir reproduire une peinture murale qui historiait le « haut pignon » de la salle capitulaire du couvent. Elle représente le Christ en croix, entouré de la Sainte Vierge et de saint Jean. Des plaies du Sauveur s’échappent quatre jets de sang qui vont remplir une sorte de piscine d’où émergent à mi-corp de pétites figures humaines qui ne peuvent être que des âmes du purgatoire. Nous retrouverons le même sujet sur un vitrail de l’église de Plouédern. Aujourd’huit, je n’en connais plus d’exemples dans le Finistère. L’une des chambres du monastère, dite, « de la seigneurye » était ornée, dans sa fenêtre et sur ses murs, d’écusson de maillé et de Kerman, répétés aussi, avec l’alliance du Chastel, dans la grande vitre à triple lancette ouverte au pignon du dortoir des moines. Le colombier du monastère devait être d’une construction archaïque, car sa porte se trouvait surmontée d’un mi-parti de Kermavan et de La Feillée (d’azur à la croix engreslée d’argent d’argent), et cette alliance, non indique dans les généalogie du reste incomplètes que l’on possède de la maison de Kerman, doit remonter au XIVème siècle [Note : Sur le couvent des Carmes de Léon, v. Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 498, et G. Pondaven, Saint-Pol-de-Léon, p. 105 et suiv. ].

Notre blasonneur nous conduit à présent au « boug relevé » de Roscoff, qui n’était, malgré l’activité de son commerce maritime et la richesse de ses marchands, qu’une simple trève de la paroisse de Toussaints, l’une des sept du Minihy de Léon. Les Roscovites s’y étaient construit une église gothique d’amples dimensions et l’avaient surmontée, vers 1550, d’un des plus beaux clochers Renaissance de Basse-Bretagne [Note : Sur cette église, v. Albert Le Grand, éd, Kerdanet, p. 499 ; La Bretagne contemporaine, Finistère, p. 74 ; abbé abgrall, Livre d’or des églises de Bretagne, Rennes, 1908, fasc 4, p. 8 et G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I. 469]. Les seigneurs de Kerman en possédaient les premières prééminences, à cause de leur terre de Kerisnel. Dans la grande vitre, dépourvue de vitraux peints, les armes de France antourés du collier de l’Ordre étaient en supériorité. Au-dessous, il y avait quatre écusson de Kerman allié à Maillé, Goulaine, Léon et La Forest, sans aucun autre blason.

***

En route maintenant pour la tournée des églises et des chapelles rurales, où Bouricquen pourra faire une ample moisson. Il se dirige, par Plouescat, vers Lochrist et le pays de Lesneven. En passan à Sibiril, il remarque au porche un blason chargé d’un écu accompagné de 6 annelets en orle, croit y voir les armes de Pennaneach, et les annexe aussitôt aux droits honorifique de son maître, sans songer que les Lanuzouarn et les Le Ny avaient un blason identique. A Cléder et à Plouescat, rien à noter, mais à la chapelle de Notre-Dame de Pont-Christ en Plounévez, à l'extrémité de cette chaussée dont le passage fut si longtemps périlleux [Note : Sur N. D. de Pont-Christ, v. Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 519], il entre dans le fief de Seizploué. Le pignon du clocher arbore les armes en bannière de Kerman, et dans la petite maîtresse vitre gothique, les mêmes armes sont entourées de la devise : Expecta loca, tandis qu'un écusson mi-parti de Kerouzéré et de Le Blonsart, dépendant de la terre de Kersabiec, est logé dans le lobe du premier panneau. Réparé au XVIIème siècle, l'oratoire de Pont-Christ est aujourd'hui démoli. Dans ses dernières ruines, près d'un calvaire de 1676, j'ai remarqué, vers 1900, un écusson aux armes écartelées de François Le Bihan, seigneur de Kerellon, et de sa femme Isabelle de Canaber, mariés en 1657.

Nous sommes au bourg de Lochrist en Plounévez, devant la fameuse chapelle jadis dédiée à la Sainte-Croix par le chef Fracan ou Fregan, père de saint Guénolé, en commémoration de la victoire qu'il avait remportée en cet endroit sur les pirates normands et saxons [Note : Sur le prieuré de Lochrist, v. Albert Le Grand, Vie des Saints de Bretagne, éd. Kerdanet, 51, et L. Ogès, Le Prieuré de Lochrist an lzelvet, dans Bullet. de la Soc. Arch, du Finistère, 1916, p. 135-172. V. aussi G. Toscer, Le Finistère pittoresque, t. Ier, p. 508-509, et abbé Abgrall, Livre d'or des églises de Bretagne, fasc. 5, p. 5 et 6]. Les seigneurs de Seizploué portaient une grande vénération au sanctuaire de Lochrist, et nous avons vu que leur ancêtre le plus anciennement connu, Alain de Villemavan ou Kermavan, s'y était fait inhumer vers le milieu du XIIIème siècle. Visité au moyen-âge et jusqu'au XVIIIème siècle par des foules de pèlerins qu'attiraient tout ensemble la dévotion au Christ, le bruit des faveurs miraculeuses obtenues en priant devant son image et en buvant l'eau de sa fontaine, et l'importance des foires qui s'y tenaient, le prieuré de Lochrist a été rebâti en 1784, après son annexion au Séminaire de Léon, sous la forme la plus mesquine.

On n'a conservé de l'ancien édifice, bien plus vaste, qu'un massif et curieux clocher du XIIIème siècle. Aussi les cinq dessins que Jean Bouricquen a consacrés à l'ancienne chapelle sont-ils fort intéressants. Derrière la tour, qu'il montre garnie d'une balustrade en quatrefeuilles et semée d'une quantité de lions héraldiques en ronde-bosse [Note : Cette tour, telle que l'a représentée Bouricquen, diffère étrongement du clocher de Lochrist tel qu'il existe encore. Elle est beaucoup plus basse, plus étroite, de forme cylindrique et semble accolée à la longère Sud. Son beffroi, surmonté d'une flèche courtaude, abrite deux cloches d'assez grandes dimensions], apparaît une partie de la nef, éclairée d'en haut par des fenêtres romanes, tandis qu'une de celles du bas-côté est gothique. La petite baie en plein cintre du chevet ne contenait que deux écussons, aux armes du Roi et des Kerman, fondateurs de la chapelle. Mais ils possédaient, dans la longère sud, à droite du chœur, une chapelle prohibitive dédiée à sainte Anne. Les piédestaux des statues de sainte Anne et de la Sainte Vierge portaient, l'un de Kerman ancien, l'autre l'écartelé ordinaire de Lesquélen et de Kerman.

La fenêtre, à remplage du XVème siècle, était ornée d'un vitrail de la même époque. On y voit le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean. Dans le dernier panneau, saint Jean semble consoler la Mère du Sauveur en lui commentant les prophéties de la Bible. Plus bas sont rangés quatre couples de priants, avec leurs noms écrits au-dessous. D'abord, à gauche, « Messire Alein de Kerman et dame Janne de Rosmadec » présentés par sainte Catherine qui tient une épée et un fragment de sa roue brisée. Ensuite, « Messire Tangui de Kerman et daine Marguerite de Penaneach ». Celle-ci est coiffée d'un hennin d'où retombe un voile, et tous deux ont pour présentateur un saint muni d'un calice ou coupe. Au troisième panneau, saint Jean-Baptiste, qui porte l'Agneau sur un livre, présente « Messire Tangui de Kerman et dame Elliete du Vieux-Chastel » [Note : Sic pour Eliette ou Aliette de Quélen, de la maison du Vieux-Chastel en Plonévez-Porzay. Elle était fille aînée de Conan de Quelen, sire de Quélen, baron du Vieux-Chastel, et de Tiphaine du Quellennec, et épousa en septembre 1409 Tanguy de Kermavan, seigneur de Seizploué. Il est à remarquer que Bouricquen, se conformant à l'inscription de cette vitre, remplace toujours le nom de Quélen par celui du Vieux-Chastel]. Enfin un autre saint escorté d'une sorte de monstre vert présente « Messire Tangui de Kerman et dame Marguerite du Chastel ». La date du vitrail : en l'an M IIIIC IIIIXX IIIJ (1484) suit cette dernière légende. Chacune des quatre châtelaines a sur son cotillon les armes de son époux mi-parti des siennes. Celles de Pennaneach sont d'argent à l'écu d'azur accompagné de 6 annelets de gueules en orle [Note : Cette famille de Pennaneach, seigneurs dudit lieu en Plouénan, n'est pas mentionnée dans le Nobiliaire de Bretagne de Courcy. Il la confond avec celle de Lanuzouarn, qui n'en était qu'une branche cadette et qui brisait les armes indiquées ci-dessus d'une fasce de gueueles. Les Penaneach se sont aussi alliés aux Kerouzéré]. Dans les découpures du remplage, les armes des mêmes personnages sont en alliance ainsi que Léon et La Forest.

La pierre tombale d'Alain de Kermavan, aujourd'hui encastrée dans le dallage, en avant du chœur, couvrait un enfeu élevé, sous une arcade gothique, à gauche de la chapelle de sainte Anne. Bouricquen a non seulement dessiné « le grand figure et portraict du seigneur de Seizploué avecq ses armes », mais il s'est attaché à transcrire l'épitaphe devant laquelle devaient pâlir Fréminville et Pol de Courcy et qui était alors bien plus lisible qu'à présent. Voici sa lecture : HIC : JACET : ALANUS : DE : VILLA : MAVAN : M : (ici, cinq lettres informes) REQUIESCAT : IN : PACE + DEC : DIE : MERC : P : FESTI : BE : AGATHA : VIRG : ANNO : DNI : M : CC : LX : III (1263). Le fond de l'enfeu était garni d'un grand écu timbré et soutenu de deux lions avec des volets armoriés de Rosmadec-Gouarlot, Pennaneach, Quélen et du Chastel, le tout en « platte paincture ».

Au milieu du chœur, les seigneurs de Seisploué possédaient encore un caveau, surmonté d'une grande « tumbe de pierre enlevée ». Leur devise et leurs armes pleines ou alliées à celles de Rosmadec, Pennaneach, Quélen et du Chastel, en chargeaient le dessus et le pourtour, soutenues alternativement par des anges, des « hommes sauvages » et des lions. Enfin, la lizière ou litre funéraire, grande bande noire horizontale coupée d'écussons timbrés dont les lambrequins offraient les alliances précédentes et celles de Léon, Dinan, Ploesquellec, Rohan, du Perrier et Rostrenen, formait une double frise au-dessus des arcades du chœur et de la nef. Au-dessus de la fenêtre gothique du pignon ouest, il y avait à l'extérieur deux écus de Kerman ancien parti de Quélen et de du Chastel, et un autre écu en bannière de Lesquélen-Kerman supporté par deux hommes nus avec le heaume chaperonné d'hermines, le lion formant cimier et la devise Dieux avant, De toute cette débauche héraldique, rien n'a survécu, à part la fruste dalle du XIIIème siècle, tandis qu'on distingue encore sur quelques pierres du pavé l'échiqueté des Kergournadeac'h.

Ensuite, Jean Bouricquen nous mène au Folgoat, pour nous faire admirer, dans la magistrale fenêtre qu'on appelle encore « la rose de Kerman », un splendide spécimen de l'art des peintres-verriers bretons du XVIème siècle. Vingt ans après, le bon P. Cyrille Le Pennec rendait hommage dans son Dévôt Pèlerinage du Folgoet, imprimé à Morlaix chez Mathurin Despancier, en 1634, mais rédigé dès 1628, à la pieuse munificence dont les seigneurs de Kerman avaient fait montre à l'égard de ce célèbre sanctuaire. « Ayant des premiers, écrit-il gracieusement, fleuré l'odeur très suave de ce beau lys fleurissant, issant du tombeau du pauvre villageois Salaun... [ils] n'ont voulu laisser escouler l'occasion de témoigner au public quel estoit leur inthime et particulier sentiment envers la très immaculée Vierge. C'est pourquoy Messire Tanguy de Kerman, grand capitaine qui vivoit en grande réputation du règne du duc Jean V... donna des premiers des évidentes preuves de sa libéralité ; en oultre les seigneurs de ladite maison ont fait bastir artistement une belle vitre en forme d'une rose dans la croisée devers le midy, jouissant des droits honorifiques d'icelle : c'est où le lecteur curieux pourra aysément remarquer leurs grandes et belles alliances... La vitrerie est l'un des chefs-d'œuvre de ce renommé peintre breton Cap. Aux panneaux soubs la rose il y a une très belle Nativité de Nostre-Seigneur, avec la représentation, estant à genoux, de haut et puissant Messire Maurice de Kermaon, d'un costé, et de l'autre celle de puissante dame Jeanne de Goulaine, sa compagne : ceste piece fait voir le mérite, le rang et l'insigne piété de ceux de ceste seigneurie » [Note : Le Dévôt Pèlerinage du Folgoet, dans Albert Le Grand, Vie… des Saints de Bretagne ; éd. de Kerdanet, Brest et Paris, 1837, in-4°, p. 102 et 103. Dans le même ouvrage, Notice sur N. D. du Folgoet, p, 126, Kerdanet dit que cette rosace fut vitrée vers 1623 par Alain Cap, mais le recueil de Bouricquen nous fournit la preuve que la verrière existait déjà dès 1614. Elle a pu être peinte par Jean Cap, époux de Catherine Connestable, et père en 1578, à Lesneven, dudit Alain Cap, auquel Kerdanet (Ibid., p. 103, note 9) attribue « tous les vitraux des principales églises de Léon et de Cornouaille exécutés de son temps ». Il y a là une très grande exagération. L'art des verriers tombait en décadence au début du XVIIème siècle, et Alain Cap, mentionné par d'anciens comptes comme peintre, vitrier, ciergier, semble avoir surtout fabriqué des écussons de prééminences. Il est mort à Lesnevent en 1644. On ne cannait aucun vitrail qui puisse lui être authentiquement attribué].

Détériorée par l'incendie de 1708, ravagée et maçonnée sous la Révolution, l'élégante rose de Kerman n'a été restituée que vers 1895. Il est très fâcheux que l'architecte des Beaux-Arts qui a dirigé cette restauration n'ait pas eu connaissance alors du document conservé au château de la Ryais, car son œuvre est bien loin de valoir celle qu'elle a la prétention de remplacer. Alors qu'il a pris pour base de son tracé le chiffre 8, on constate que le vieil appareilleur du XVème siècle avait choisi le chiffre 12, qui produit une combinaison beaucoup plus heureuse de panneaux rayonnants, d'ajours carrés ou triangulaires, tréflés ou lancéolés, et de petites rosaces quadrilobées. La partie inférieure de la fenêtre était divisée en six panneaux, réduits actuellement à cinq. Les deux du centre montraient l'Enfant-Jésus couché nu sur la crèche, et l'âne allongeant le cou pour le réchauffer de son haleine. A gauche, la Sainte Vierge agenouillée, puis saint Joseph debout. Derrière lui, une femme survient, un panier sur la tête, un autre à son bras. A droite, une autre femme s'incline, prête à offrir le mouton qu'elle porte sur ses épaules, un berger s'agenouille, avec dans les bras un agneau ou un porcelet, tandis qu'un second pasteur, debout, la houlette à la main, ôte son bonnet d'un geste plein de naturel. Le premier et le sixième panneau offraient les portraits des donateurs, Maurice de Ploesquellec ou de Kerman, agenouillé et présenté par son saint patron en armure de guerrier romain, tenant un étendard, et Jeanne de Goulaine présentée par saint Jean-Baptiste. Détail pittoresque, la pieuse châtelaine a tenu à faire peindre près d'elle son petit chien favori.

Les armes de ces deux époux occupaient l'oculus central de la rose, et toute sa circonférence était constellée de blasons formant l'histoire héraldique de la famille, à l'exception d'un mi-parti de France et de Bretagne posé en supériorité Nous y retrouvons toutes les alliances déjà citées, compris le vairé d'argent et de sable, et aussi un lion d'azur sur fond d'argent. Notons également, au premier lobe de gauche, un mi-parti de Léon et de Carman. En comparant ces armes à celles qu'énumère le P. Cyrille Le Pennec, on constate qu'avant sa mort Charles de Maillé avait substitué à trois ou quatre d'entre elles les alliances qu'il jugeait plus flatteuses de Rohan, de Luxembourg et de Sourdis. Tous ces écus étaient fleuris de grandes pâquerettes blanches à cœur jaune, les douze panneaux rayonnants contenaient autant de cornes d'abondance dorées débordant de feuilles et de fleurs, et une décoration végétale de même type emplissait les autres ajours. On donnerait beaucoup pour connaître l'auteur de cette superbe verrière. Quoi qu'en dise le P. Cyrille, ce ne peut être Alain Cap, car elle existait probablement avant sa naissance (1578).

Les pignons extérieurs de l'église du Folgoat étaient ornés d'armoiries abritées sous des arcades. La Révolution les en a arrachés, et leurs emplacements restent vides. Les Kerman disposaient, des deux côtés de leur rose, de cinq écussons dont l'un incliné « à l'antique », timbré d'un heaume à lambrequins ayant pour cimier une tête de lion, et surmonté de la devise : Dieux avant, Dieux avant. Les armes sont celles des premiers Lesquélen-Kerman, le lion brisé d'une tour à l'épaule. Deux angelots soutiennent, l'un la tour seule, l'autre le blason plein de Pennaneach. Au second panneau, le lion est mi-parti de Rosmadec-Gouarlot. Ces deux alliances ayant eu lieu à la fin du XIVème siècle, leurs données héraldiques sont d'un certain intérêt pour l'histoire de la construction de ce magnifique monument [Note : Sur l'admirable église du Folgoat, v., outre l'édition Kerdanet d'Albert Le Grand, p. 115 à 184, Fréminville, Antiquités du Finistère, I, p. 124.126, le marquis de Coetlogon. Dessins, Histoire et description de N.-0. du Folgoet, Brest, 1851 ; Bretagne contemporaine. Finistère, p. 111-112 ; Congrès Archéologique de France, 1896, p. 218 et suiv.; abbé Abgrall Livre d'or des Eglises de Bretagne, fac. I, p. 1 à 8 ; G. Tasser, Le Finistère pittoresque, I, p. 277-284 ; Congrès Archéologique de Fronce, 1914, p. 99-108, et la bibliog, donnée à la suite, à laquelle il faut ajouter; abbé Guillermit, Le Folgoat, Morlaix, 1927].

Du Folgoat, Jean Bouricquen prend la route de Kernilis, petite paroisse où les Kerman avaient leur château héréditaire et le berceau de leur race. Aussi leur blason brillait-il partout dans l'église, sur les vitraux, les lizières, la tour et la croix du cimetière. La maîtresse-vitre, bien modeste, montrait pourtant quatre panneaux de couleur offerts vers 1530 par Tanguy de Kermaon et Louise de la Forest, qu'on y voyait peints en posture de donateurs, présentés par leurs patrons saint Tanguy, abbé, et saint Louis, roi de France, à deux groupes de la Trinité et de N.-D. de la Pitié. Le tympan d'une fenêtre latérale dessinait une fleur de lys. Dans celui d'une autre baie, découpée en mouchette, le blason de Kerman surmontait deux écussons, l'un d'argent à 3 tours d'azur, au lambel de gueules [Note : Baptiste (originaire de Navarre), sieur de Kermabian en Cléder, maintenu en Bretagne par lettres de 1612, portait : d'or à trois tours crénelées et couvertes d'azur], le second mi-parti de même et d'un vairé d'argent et de gueules, qui est Keranrais. L'église de Kernilis-Kermavan, comme la réformation de 1443 nomme cette paroisse, a été reconstruite au XVIIIème siècle, et de toutes ces prééminences, il n'existe plus rien.

Le fief de Kerman s'étendait jusqu'à Landéda, où la maîtresse-vitre, dans le style du XVème siècle, avait un remplage de forme ovoïde assez élégant. Quatre écus, Kerman plein : Maillé plein : mi-parti Maillé et Kerman ; mi-parti Kerman et Goulaine en occupaient la partie supérieure. Tout le surplus était de verre blanc. L'église actuelle de Landéda est moderne. L'écu en bannière des Kerman se retrouvait peint dans la grande vitre rayonnante et sur les murs de la chapelle de Saint-Antoine, même paroisse, au-dessus du blason des Simon de Tromenec, de sable au lion d'argent, plein et parti d'argent au lion de... Cette chapelle a été détruite [Note : Il est surprenant que Jean Bouricquen n'ait pas songé à donner une place dans son recueil au tombeau de François de Kermavan, qui se trouve dans la chapelle de Saint-Laurent, en Landéda, tout près du manoir de Tromenec. Fréminville a raconté (Antiq. du Finist.. I, p. 228-231) en quelles circonstances succomba ce jeune gentilhomme, tué en duel par Guillaume Simon, seigneur de Tromenec, vieux routier des guerres de la Ligue, en 1600. Cette tragique histoire n'est narrée que par lui, sans doute d'après les dires de son ami, M. Le Bihannic de Tromenec, et je n'ai rencontré sa confirmation dans aucun document de l'époque. Mais le tombeau et l'épitaphe qu'il porte témoignent de la véracité du récit. On y lit : Tombe enlevée... (plusieurs mots à demi-effacés) François, juveigneur de Kermavan 1600. Nobles hommes Guillaume, sr. de Traumenec fit fere ce tombe. Dieu lui face pardon, 1602. L'effigie de la victime, en demi-relief, est d'une exécution malhabile. Il s'agirait d'un frère cadet de Charles de Maillé. Les armoiries des deux écussons placés l'un à la tête, l'autre au pied de la dalle funéraire sont celles des Simon et de leurs alliances. (V. Revue de Bretagne et de Vendée, 1859, 2ème sem., p. 129-130)].

En regagnant l'intérieur du pays par Plouvien, notre artiste héraldique rencontre, sur l'ancienne voie de Lesneven à Brest, le sanctuaire de Saint-Jean-Balanant, bâti au XVème siècle par les chevaliers Hospitaliers, et que posséda jusqu'à la Révolution l'Ordre de Malte. Les Kerman avaient été les bienfaiteurs de la chapelle, et les deux fenêtres jumelles du chevet leur devaient de jolis vitraux coloriés. Le tympan de celle du côté de l'Evangile montrait les hermines bretonnes et le lion de Léon. Dans les panneaux, Tanguy de Kerman et sa compagne Eliette de Quélen du Vieux-Chastel, — celle-ci coiffée d'une cornette double de forme compliquée — présentés par sainte Catherine et saint Sébastien brandissant un faisceau de flèches, adoraient à genoux le Sauveur du Monde. Les redans de ses panneaux contenaient : Kerman ancien plein, mi-parti de Léon et de Pennaneach. A l'autre fenêtre, Tanguy de Kerman et Marguerite du Chastel, présentés par le Précurseur vêtu de la robe en poil de chameau et une sainte non caractérisée, recevaient la bénédiction de Jésus portant sa croix. Aux redans, Kerman mi-parti de Rosmadec-Gouarlot et de Quélen. Au tympan, Bretagne et Kerman ancien. Trois ou quatre de ces blasons sont venus jusqu'à nous, mais l'insipide verre blanc remplace tristement, à Saint-Jean-Balanant comme ailleurs, les fragiles chefs-d'œuvre des peintres-verriers d'autrefois [Note : Sur Saint-Jean Balanant, v. G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, p. 246, et Bullet. de la Soc. Arch. du Finistère, 1912, p. 60. V. aussi abbé Guillotin de Corson, Les Templiers et les Hospitaliers en Bretagne Nantes, 1902, p. 10-11].

Non loin, Plabennec se targuait de sa belle chapelle de Locmaria-Lan, dont le clocher Renaissance, selon une tradition constatée par Brizeux [Note : A. Brizeux, Les Bretons, éd. 1845, p. 157], est toujours foudroyé en même temps que celui de Lochrist. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Kerman, fondateurs de Lochrist à cause de leur fief de Seizploué, possédaient à Locmaria les mêmes droits honorifiques en raison de leur fief de Lesquélen, et que la verrière du chevet avait été posée à leurs dépens. On y voyait un groupe de Notre-Dame de Pitié entouré des effigies de Tanguy de Kerman et de Louise de la Forest. Celle-ci est présentée par l'apôtre saint Jean qui tient une coupe ; son mari par saint Goulven en évêque. Au-dessous, on lit : Sancte Golvine, ora pro nobis, en caractères romains. Dans le quatrième panneau se voient saint Pierre avec sa clef, saint Paul avec son épée, et le roi saint Louis rendant la justice assis, en grand manteau d'hermines semé de fleurs de lys d'or et en chaperon rouge. Au-dessous : 1508 — S'-LOVYS. Les armes des Rohan, avec le collier de l'Ordre et la devise : A plus, brillent au sommet de la fenêtre, et onze écus de Kerman et alliances — entre autres Pestivien (?) Coetmen et du Perrier — occupent les jours du remplage. Dans le quadrilobe d'une petite fenêtre latérale se voit le lion de Léon. Abandonné sous la Révolution, le sanctuaire de Locmaria-Lan n'était plus en 1837 qu'une poétique ruine. On l'a restaurée depuis le plus économiquement possible. La curieuse croix à personnages du cimetière est toujours timbrée du blason de Kerman [Note : Sur la chapelle de Locmaria-Lan, v. Fréminville, Antiquités du Finistère, I, 1832, p. 130, et A. Le Grand, Vie des Saints de Bretagne, éd. Kerdanet, 1837, p. 509].

L'église paroissiale de Plabennec conservait encore en 1614, semble-t-il, des parties romanes, entre autres son pignon occidental, ajouré d'une étroite baie en plein cintre. Par contre, le remplage de sa grande vitre était d'un gothique abâtardi, bien que l'écusson le plus élevé fut de Bretagne plein. Le lion de Léon, entouré du collier de l'Ordre, remplissait le soufflet central, et quatre blasons de Kerman, dont l'un orné de la cordelière passée en lacs d'amour, s'étalaient dans les autres. Deux familles de la paroisse avaient seules leurs armes en deux lobes latéraux. J'y reconnais Lescoët : de sable à la fasce d'argent chargée de 3 molettes du champ [Note : Le même écu de Lescoët existe encore sur une clef de voûte de la chapelle de Locmaria-Lan]. La seconde portait un écartelé d'or à 3 oiseaux d'azur, et d'or fascé d'azur. A la même hauteur étaient les images assises des deux patrons de Plabennec, saint Pierre et saint Ténénan. On attribuait à ce dernier la construction du château de Lesquélen pour protéger les habitants contre les pirates. Les panneaux inférieurs représentaient des scènes de la Passion : le baiser de Judas, la montée au Calvaire, le Crucifiement et la Résurrection. Du côté de l'Evangile, une petite fenêtre du XIVème ou du XVème siècle, formée de deux panneaux et d'un quatre-feuille, contenait deux écus de Carman ancien, et l'oculus à cinq lobes d'une fenêtre du côté de l'épître encadrait l'écu de Léon. L'église actuelle ne date que des XVIIème et XVIIIème siècles.

Au pied de la motte féodale de Lesquélen et du donjon qu'un de leurs ancêtres avait jadis si vaillamment défendu, derrière l'abri improvisé d'une roue de charrette, qu'il crut devoir meubler son écu d'une tour montée sur une roue, les Kerman possédaient prohibitivement la charmante chapelle gothique de Notre-Dame de Lesquélen. Leurs armes ornaient les tympans des cinq fenêtres et timbraient les pignons, pleines et en alliance de Quélen, Rosmadec-Gouarlot et La Forest. Trois de ces fenêtres avaient des vitres peintes. Celle du chevet montrait Jésus crucifié entre la Sainte Vierge et saint Jean, avec la Madeleine embrassant le pied de la croix. Au-dessus, des anges tenaient les instruments de la Passion. Une seconde vitre figurait la Salutation angélique, et la dernière, le Trépassement de la Sainte Vierge dans un riche lit à baldaquin de pourpre et colonnes dorées, en présence des onze apôtres. De ce pieux sanctuaire, on ne trouve plus que quelques ruines informes couvertes de broussailles. Au devant, le fùt d'un calvaire brisé soutient encore l'écusson écartelé des sires de Lesquélen et de Kerman [Note : Sur la chapelle de N.-D. de Lesquélen, v. Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 509, et G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, p. 230].

Jean Bouricquen visita ensuite l'église tréviale de Kersaint-Plabennec. Il y remarqua une jolie maîtresse vitre du Crucifiement, avec cette particularité que la Sainte Vierge et saint Jean étaient juchés, de chaque côté du Christ, sur de hauts piédestaux. Le quatrième panneau montrait la lapidation de saint Etienne, patron de la trève, dont l'âme s'envole au ciel sous la forme d'un petit personnage nu. Au tympan, la devise : Dieux avant,  répétée à profusion, encadrait sept écus de Kerman allié à Léon, Dinan, du Perrier, Coetmen, Goulaine coupé d'un fretté d'or et de gueules, et à un lion d'azur sur fond d'or qui ne peut être que Kerman ancien. L'église de Kersaint a été refaite au XVIIIème siècle. Sur une croix voisine apparaît encore le lion de Kerman [Note : G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, 235].

A Plouédern, nouvelle station de notre peintre-blasonneur. La maîtresse-vitre y est gothique, d'un tracé assez rudimentaire. Le Christ crucifié occupe le panneau central. Sa croix émerge singulièrement d'une piscine hexagonale, pleine du sang de la Rédemption qui coule à gros filets des cinq plaies du Sauveur, et dans lequel semblent flotter et nager plusieurs âmes du Purgatoire. Nous avons déjà remarqué une scène analogue aux Carmes de Saint-Pol. Les figures de « Seint Germain » en évêque, bénissant un homme agenouillé, et de « Seint Anton (Antoine) » en robe monastique, suivi de son pourceau, se voyaient sous celles de la Sainte Vierge et de saint Jean. Il y avait au tympan trois écus de Kerman, plein et mi-parti de du Chastel et La Forest. A un rang inférieur, on reconnaît Parcevaux de Mézarnou, d'argent à 3 chevrons d'azur, et Le Jar de Penancoet, d'argent à la poule de sable. Une autre petite fenêtre peinte, du côté de l'épître, était timbrée de Kerman et de La Forest en alliance. L'église de Plouédern n'a plus guère de parties antérieures au XVIIème siècle.

Parvenu aux portes de Landerneau, notre artiste ne s'y attarde pas, car là il n'y a rien à glaner pour lui. Il reprend la direction de Saint-Pol et, chemin faisant, visite l'église de Saint-Vougay, paroisse où la famille Barbier possède l'imposant château-forteresse de Kerjean, qui, quatre ans plus tard, sera érigé en marquisat. Malgré leur opulence, les Barbier n'ont pas l'antique noblesse de chevalerie des Maillé et des Kerman. Ils sont leurs vassaux, d'ailleurs récalcitrants et comme tels, soumis à un singulier droit seigneurial, celui de leur présenter chaque année, au bourg de Lanhouarneau, un œuf amené dans une charrette que doit conduire le seigneur de Kerjean en personne [Note : Miorcec de Kerdanet, Notice sur le château, de Kerjean, Brest, 1834, p. 34-35]. Le fief de Seizploué s'étendant en Saint-Vougay, ses possesseurs jouissent de deux écussons dans l'église, l'un en la vitre ronde du pignon occidental, au-dessous des armes du Roi, l'autre en bosse de pierre audit pignon. Ce dernier existe encore, encastré dans le mur du cimetière [Note : Sur l'église de Saint-Vougay, voir La Bretagne contemporaine, Finistère, Nantes, 1864, p, 80, et G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I. p. 490].

A Plouzévédé, les Kerman-Maillé ont le privilège de fondateurs. Pourtant, Bouricquen ne trouve à reproduire que la lizière armoriée, peut-être parce que l'église devait être en voie de reconstruction. A un quart de lieue du bourg, il atteint la très belle chapelle de Notre-Dame de Berven, à peine âgée d'une trentaine d'années, puisque commencée en 1573. Son admirable clocher Renaissance porte la date 1576, mais sa construction fut lente, car il était blasonné, « soubz les garittes », des armoiries en alliance et cernées de la cordelière de François de Maillé et de sa femme Claude de Kerman, dont le mariage n'eut lieu qu'en 1577, et qui n'hérita du fief de Seizploué qu'après la fin tragique de ses deux frères, en 1584. L'écusson ovale de Kerman plein qui surmontait la porte de la tour n'a pas entièrement disparu sous le marteau révolutiomaire [Note : Sur N.-D. de Berven, v. Albert Le Grand, édit. Kerdannet, p. 519-520 ; La Bretagne contemporaine, Finistère, p. 81 ; abbé Abgrall, Livre d'Or, fasc. 5, p. 3-5, et G. Toscer, Le Finistère Pittoresque, I. p. 483-488].

Dans l'église de Trézilidé, petite trêve de Tréflaouénan, les Kerman sont encore fondateurs, à cause de leur fief de la Marche, dont le chef-lieu est une énorme motte féodale dominant la rivière du Guilliec, et qu'on nomme en breton Castel-Huel (le château élevé). La maîtresse-vitre montre Jésus crucifié entre deux larrons. Un ange vient chercher l'âme de Dymas, tandis qu'un démon aux ailes de chauve-souris s'abat sur son camarade. Longin perce de sa lance le flanc du Christ, dont le sang ruisselle sur la Madeleine prosternée au pied de la croix. A gauche est le groupe des Saintes Femmes, à droite des pharisiens et soldats à cheval. Du même côté, dans le quatrième panneau, Jésus sort du sépulcre scellé, bénissant et tenant à la main la croix triomphale. Plus haut, des anges portent le roseau, la colonne, la croix et la Sainte Face. Aux trois soufflets supérieurs Kerman plein et mi-parti de Léon et de La Forest. La lizière offrait les mêmes armes, et l'écu de Kerman ancien remplissait le lobe unique des étroites fenêtres qui éclairaient les chapelles de Madame Sainte Anne et de Monsieur Saint Antoine. L'une de ces fenêtres subsiste, encastrée dans la longère sud de l'église actuelle, qui ne date que de 1767. Sur le pignon du clocher fait saillie un écusson renversé aux armes des Kerman [Note : Sur l'église de Trézélidé et la motte de la Marche, v. G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, 489. V, aussi, sur cette motte, Bulletin de la Soc. Arch. du Finist., 1915, p. 102-103].

Dans l'église de Plounévez, le peintre et vitrier de Charles de Maillé va trouver de quoi exercer ses crayons et ses pinceaux, car c'est la paroisse du château du Bois, plus connu sous le nom de Seizploué, « l'une des maisons de campagne des seigneurs de Kermavan », dit le P. Cyrille, et où ils résident le plus volontiers. Aussi possèdent-ils tous les droits de fondateurs et de premiers prééminenciers. L'église pourtant n'a rien de monumental. Sa grande vitre, formée de quatre panneaux et de six quatrefeuilles, semble indiquer le XVIème siècle. Elle est fort délabrée, et ne conserve plus, en fait de vitraux coloriés, que trois petites figures de la Trinité, de l'ange de saint Mathieu et du lion de saint Marc, avec les noms de ces deux évangélistes écrits en gothique. Les blasons sont Kerman ancien (deux fois), Lesquélen-Kerman (deux fois), et Kerman parti de Rohan. La chapelle de Saint-Sébastien, du côté de l'épître, est prohibitive à cette maison. Sa fenêtre gothique a un tracé élégant. Elle enchâsse une étincelante verrière rouge et or offerte par l'évêque Jean de Kermavan, alors qu'il n'était encore que chanoine de Léon. En robe noire couverte d'un surplis blanc, tête nue, l'étole passée sur les bras, il est agenouillé devant un prie-Dieu à ses armes. Saint Jean-Baptiste portant le livre et l'Agneau le présente à une Notre-Dame de Piété et à un saint Sébastien criblé de flèches. Au-dessus, plusieurs écus de Kerman alliés à Léon, Coetmen, Dinan, du Perrier et du Chastel. Une seconde vitre flamboyante éclairait la même chapelle. A part un seul écusson de Kerman à son sommet, elle était vide et surmontait une voûte en pierres de taille dans l'enfoncement de laquelle existait une tombe élevée chargée sur le devant de trois écus soutenus par des anges : Kerman plein, Léon parti de Kerman, Kerman parti de Coetmen.

L'évêque Jean de Kermavan avait eu sans doute le dessein de se faire enterrer à Plounévez, car il s'était préparé, à l'entrée de la chapelle de sa famille, une belle tombe haute, décorée au pourtour de ses armoiries timbrées de la mître et de la crosse épiscopale, pleines et mi-parti de Rosmadec, Pennaneach, Quélen et du Chastel. Mais nous avons vu qu'il reposait dans la cathédrale de Léon, sous une dalle à son effigie. Bien que l'église de Plounévez ait été agrandie au XVIIIème siècle (1744-1767), puis complètement reconstruite, sauf la tour et le porche, à partir de 1870, elle conserve encore l'ancien enfeu des seigneurs de Seizploué, ainsi que des débris de la tombe ci-dessus, c'est-à-dire des écussons aux armes de Kerman plein et mi-parti de Pennaneach, accompagnés de la devise gothique : Memento finis, que Bouricquen a omise [Note : Fréminville, Antiquités du Finistère, I, p. 98 ; V. La Bretagne contemporaine, Finistère, p. 79, et G, Toscer, Le Finistère pittoresque, I, p. 508, avec une lecture fautive de la devise]. La fenêtre polylobée du bas de la nef contenait un grand pennon héraldique ceint du collier de saint Michel et timbré d'une couronne de marquis. Les armoiries écartelées de François de Maillé et de Claude de Kerman s'y voyaient en abyme sur un triple coupé de Montmorency-Laval, Rohan, Léon, Orléans, Dauphiné, Luxembourg, Ploesquellec et Goulaine. Au-dessus, dans le pignon, un écu de Kerman ancien était accompagné de la devise gothique : Dieux avant, Dieux avant.

Sous les futaies profondes qui enveloppaient le château du Bois-Seizploué se cachait la chapelle de Notre-Dame de Kermeur. Bien qu'elle fût paroissiale, les Kerman la considéraient comme leur appartenant, et ils s'étaient réservé le soin de la décorer et de la doter richement. Sa maîtresse-vitre, dont le tympan indique la fin du XVème siècle, arborait à son sommet l'écusson plein de Bretagne ceint de la cordelière. Le vitrail avait été offert vers 1530 par Tanguy de Kerman et sa femme Louise de La Forest, peints tous deux dans les baies latérales, présentés par saint Tanguy en costume d'abbé et par sainte Madeleine munie de son vase de parfums, au groupe de Notre-Dame de Pitié qui remplissait le panneau du milieu. Plus haut, des anges tenaient des écus mi-parti de Kerman et de Pennaneach, Rosmadec, du Chastel et La Forest.

La statue vénérée de Notre-Dame de Kermeur reposait sur un socle aux armoiries de l'évêque Jean de Kermavan, soutenues par deux anges, et les murs du chœur étaient couverts de grands écussons couronnés, qu'entouraient la cordelière ou le collier de l'Ordre. On y voyait les belles alliances directes et indirectes de la maison, Maillé, Sourdis, Luxembourg, Goulaine, Bourbon, Amboise, Dauphiné, Orléans, Vendôme, Thouars et Montmorency. Sur les murailles de la nef, il y avait deux grands sujets peints à fresque avec personnages de taille naturelle. A droite, Jean de Kerman, seigneur de Lesquélen, fils aîné de Maurice de Ploesquellec et de Françoise de Kerman, ce fameux bretteur dont j'ai parlé, apparaissait pieusement agenouillé, en armure toute blanche, sauf les jambières noires, l'épée au côté, la tête nue, le visage encadré d'une chevelure bouclée, le collier de l'Ordre au cou. Son patron saint Jean-Baptiste, vêtu de la robe en poil de chameau, portant sur un livre l'Agneau pascal muni de la croix triomphale, le présentait à une très dolente Notre-Dame de Pitié. Sur la gauche, ses deux neveux, Louis, marquis de Kerman et Christophe de Kerman, seigneur de la Marche, étaient représentés en priants devant une image de la Trinité, couverts d'une armure formée de nombreuses lames articulées. Barbu et moustachu, la tête émergeant d'une fraise, Louis de Kerman avait près de lui le saint roi de France son patron, couronné, le sceptre à la main, en grand manteau d'azur constellé de lys d'or, avec sa robe cousue d'un quartier d'hermines, tandis que, Christophe, au rond visage juvénile sous une chevelure frisée, était escorté de son robuste patron, à mi-jambes dans la rivière dont il assurait le passage, portant sur ses épaules athlétiques l'Enfant Jésus bénissant. Il y avait une touchante pensée dans la figuration de ces trois jeunes gentishommes morts tragiquement, l'un noyé, les autres en duel, privés sans doute de sacrements, et dont le salut éternel demeurait dès lors incertain. La dame de Maillé associait de cette façon le souvenir de son oncle et de ses frères à celui de tous leurs ancêtres, que le P. Cyrille Le Pennec loue d'avoir ressenti, « de temps immémorial, une très particulière dévotion » envers la bonne Madone du Kermeur, et elle recommandait ainsi leurs âmes aux prières de « ce grand peuple qu'on y voit aborder, de divers coins du Léon, aux festes de la Saincte Vierge ». La chapelle n'existe plus depuis 1805. L'oratoire du château de Maillé a recueilli ses statues [Note : Sur N.-D. de Kermeur. v. Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 518-519. De l'ancien château de Maillé, déjà en ruines à la fin du XVIIIème siècle, avant d'être acquis en 1789 et restauré par M. Ameline de Cadeville, il ne subsiste aujourd'hui de remarquable que l'aile gauche, flanquée d'un beau pavillon double jadis couvert « à l'impériale » et décoré d'une triple colonnade des ordres dorique ionique et corinthien. On y voit les armes de Maurice de Kerman et de sa femme Jeanne de Goulaine, qui reconstruisirent leur demeure vers 1570].

Après son abondante récolte de Plounévez, Jean Bouricquen se dirige sur Plouénan, où les Kerman possédaient « la très noble maison de Pennaneach » [Note : Cette terre fut vendue en 1617 par Charles de Maillé, marquis de Kerman, à Jean Rivoalen, seigneur de Mezléan (Arch. de la Loire-Inf., B, 1766)]. Ils n'étaient point cependant fondateurs de l'église, cette prérogative appartenant aux Rohan, à cause de leur fief de Pennaneach-Rohan, et ne disposaient privativement que de la petite vitre polylobée du pignon occidental, où ils avaient logé leur écartelé de Lesquélen-Kerman. Par ailleurs, le peintre releva dans une fenêtre à deux panneaux du XVème siècle, sur la gauche du maître-autel, un écu de Pennaneach (d'argent à l'écu d'azur entouré de 6 annelets de gueules en orle) dominant quelques autres blasons aux armes des Auffroy de Kerbic et des Lanuzouarn, ceux-ci juveigneurs de Pennaneach dont ils portaient les armoiries brisées d'une fasce de gueules. Une tombe haute du chœur était timbrée de Pennaneach, et sur une clef de voûte se voyait un écusson d'or au chevron de gueules accompagné de 3 molettes de même que Bouricquen considère comme étant les armes primitives de cette seigneurie. Tout dans l'église de Plouénan a été entièrement renouvelé.

Près du bourg, la chapelle de Notre-Dame de Kerellon montrait au quatrefeuille le plus éminent de sa grande vitre l'écartelé des Kerman. Dans la seconde rosace étaient groupés quatre écussons, l'un de Keranguen (d'argent à 3 tourteaux de gueules), les autres de Keranguen brisé d'un chevron d'azur pour marque de branche cadette, plein et mi-parti d'Auffroy de Kerbic et de Kersauson. La troisième rosace enchâssait un écu d'or au lion (d'azur ?) accompagné de 3 étoiles de gueules. Notre-Dame de Kerellon existe encore, sans avoir rien gardé de son vitrail blasonné [Note : On en a diminué la longueur vers 1900, mais en conservant sur le nouveau pignon un écusson écartelé de Rivoalen, Lanuzouarn, Plœuc et Kergorlay, armes de Jacques Rivoalen, seigneur de Mesléan, Lanuzouarn, Pennaneach, et de sa femme Gabrielle de Plœuc, mariés en 1645. V. Albert Le Grand, éd. Kerdanet, p. 502]. Par contre les deux chapelles de saint Grégoire du Mouster et de saint Jean de Pontéon ont totalement disparu. La première avait dans son étroite fenêtre du chevet un écu de Kerman ancien et un autre d'hermines au sautoir de gueules, blason des Pontantoul de Lesplouénan. La seconde, située sur la vieille voie de Saint-Pol-de-Léon à Morlaix, avait dù appartenir aux Chevaliers Hospitaliers. Des vitraux coloriés décoraient sa principale fenêtre, à deux panneaux trilobés et un quatre-feuille. On y voyait le supplice de saint Jean à la Porte Latine, l'un des bourreaux attisant le feu, et l'autre déversant sur la tête de l'apôtre une potée d'huile bouillante, ainsi que les effigies des donateurs, Tanguy de Kerman et Marguerite, dame de Pennaneach, vivant en 1400. Des figures de donateurs antérieurs au milieu du XVème siècle sont assez rarement signalées. Dans le tympan, il y avait un écu de Pennaneach et quatre de Kerman ancien, entourés de la devise : Dieux avant, avec Rosmadec, Pennaneach et Quélen en alliance. Le plus haut était sommé d'un heaume de profil chaperonné de gueules et d'hermines. Un lion d'azur lampassé de gueules en formait le cimier, et les jumelles de Rosmadec-Gouarlot chargeaient son lambrequin. Il est étonnant que Bouricquen ait omis la chapelle de saint Brandan ou du prieuré de Locpréden, dépendance de l'abbaye de Saint-Mathieu, qui se trouvait dans le très proche voisinage du manoir de Pennaneach.

Par le bourg de Penzé, l'artiste saint-politain s'achemine vers le monastère des Cordeliers de Saint-François de Cuburien, fondé en 1458 par le vicomte Alain de Rohan à la lisière d'une forêt qui s'étendait jusqu'au faubourg de la Villeneuve, à Morlaix. Dans l'église conventuelle, édifiée à partir de 1527, les Kerman ne jouissaient d'aucune prééminence, mais l'une des salles des bâtiments claustraux, dite « la Chambre de Kerman » avait ses trois fenêtres blasonnées à leurs armes. L'évêque Jean de Kermavan avait placé les siennes ainsi que la devise qu'il affectionnait : Memento finis, dans la première. La seconde offrait l'écartelé de Lesquélen-Kerman soutenu de deux lions, avec la devise : Dieux avant, et deux cartouches ronds où une décoration végétale liée de rubans au même cri entourait deux écus de Kerman mi-parti de Sourdis et de la Forest. Une autre fenêtre portait Kerman allié à du Chastel. Sur la muraille étaient figurées « en plate pincture » les armes de Kerman mi-parti d'un écartelé de la Forest et d'argent à 2 fasces de gueules accompagnées de 9 (?) molettes de même sur le tout d'argent à 5 fusées de gueules posées en fasce. Au milieu des vitres de la « librarye » ou bibliothèque du couvent se voyaient aussi deux cartouches Renaissance, l'un daté 1562 et contenant les armes de Ploesquellec, d'argent à 3 chevrons de gueules, l'autre parti de Kerman et de Goulaine, avec la devise Dieux avant [Note : Sur ce couvent, v. Allier et Daumesnil, Histoire de Morlaix, Morlaix, Lédan, 1879, p. 404-410, P. de Courcy, De Rennes à Brest et à Saint-Malo, Paris, 1863, p. 247-248, et Toscer, Le Finistère pittoresque, I, 412].

A Morlaix, Bouricquen quitte l'évêché de Léon pour besogner au relevé des prééminences que Charles de Maillé possédait en l'église du couvent des Dominicains, qui fait partie de la paroisse de Saint-Melaine et de l'évêché de Tréguier. Ces droits honorifiques provenaient en majeure partie des anciens seigneurs de Bruillac en Plounérin [Note : Cette Châtellenie avec haute justice fut vendue par contrat du 19 avril 1618 par Charles de Maillé, marquis de Carman, à Jean du Chastel, seigneur de Coëtangars, qui prit possession le 17 mai suivant des prééminences de Bruillac aux Dominicains de Morlaix (Arch. des Côtes-du-Nord, E. 1566). Le procès-verbal contient divers détails intéressants qui complètent sur certains points les renseignements fournis par le travail de Bouricquen]. La splendide rosace du XVème siècle qui s'épanouit encore au chevet de cette église, transformée aujourd'hui en musée, ne montrait que les hermines de l'écu de Bretagne dix-sept fois répété, et une image de la Trinité dans la baie centrale. Les seigneurs de Boiséon avaient cependant obtenu de loger leurs armes au rang le plus inférieur. La vitrerie des huit panneaux verticaux était en fort mauvais état. Des trente-deux sujets primitifs, il ne restait que douze. Aux autres, on avait substitué du verre blanc. Quelques scènes de la Passion sont reconnaissables : le Baiser de Judas, Jésus devant Pilate, la montée au Calvaire, le Christ en croix entre la Sainte Vierge et Saint Jean, la Mise au Tombeau, les Disciples d'Emmaüs. On voit aussi un saint ayant un glaive enfoncé dans la poitrine, un guerrier à pied portant un étendard et une rondache, un Saint Georges équestre combattant le dragon. Son bouclier et le harnais de son cheval sont blasonnés, par une flatterie héraldique dont les exemples ne manquent pas, des trois chevrons des Ploesquellec de Bruillac. Derrière lui se tient un second cavalier auréolé, une bannière au poing. Une vingtaine d'écussons aux mêmes armes de Ploesquellec, soit pleines, soit alliées à celles de du Chastel et de Penmarch, sont dispersés comme au hasard dans la vitre. Au-dessus, une frise de huit ajours tréflés contient autant d'écussons timbrés aux armes des Goezbriand, des Launay, des Ploesquellec de Bruillac, des Rohan (?), des Kerman ancien, des Penhoet et des Charnel de Guerrand.

La quatrième fenêtre du chœur du côté de l'épitre, actuellement maçonnée, enchâssait dans sa rose polylobée un grand écu en bannière de Lesquélen-Kerman, timbré d'un heaume et soutenu de deux lions armés de lances où flottent des guidons pareillement blasonnés. Autour se multiplie la devise : Dieux avant. Les deux panneaux sont divisés en six sujets : une Crucifixion, une Vierge-Mère assise, puis les effigies d'un seigneur de Seisploué et d'une fille de Léon, sa femme, parée d'un riche escoffion ouvré d'or, et plus bas, celles de Tanguy de Kerman et de Marguerite du Chastel sa femme, celle-ci coiffée d'une cornette blanche enrubannée de noir.

Du côté de l'évangile, il y avait à l'entrée du chœur de l'église conventuelle un autel dédié à saint Dominique, surmonté d'un dais de bois sculpté, où des figurines d'anges disposées en pendentif soutenaient des écus au chevronné des Ploesquellec. Quatre figures de saints, parmi lesquels saint Paul appuyé sur son épée, étaient peintes sur le retable, tandis qu'au-dessus de la porte se voyaient un saint Jérôme assis, vèlu en cardinal, un livre ouvert sur ses genoux, un chien près de lui, un saint Michel protégeant de son bouclier chargé du crucifix une petite âme et plongeant sa lance dans la gueule enflammée d'un monstre vert, enfin la scène de la Circoncision. Entre la porte et l'autel était un écusson mi-parti de Ploesquellec et de Rohan brisé d'une cotice, et au-devant s'élevait une grande tombe armoriée de Ploesquellec sur laquelle gisait l'effigie en relief d'un seigneur de Bruilliac avec son épée posée entre ses jambes, et deux angelots soutenant sa tête sur un coussin.

Trois fenêtres gothiques éclairaient la salle capitulaire. La première portait Lesquélen-Kerman au plus éminent lieu. Au-dessous, il y avait Penhoet, d'or à la fasce de gueules, un mi-parti de Penchoadic et d'or à la fasce d'hermines, au chef de sable (?) et deux écus de Le Borgne de Lesquiffiou allié à Lanuzouarn et à d'argent à la bande fuselée de gueules. La vitre qui surmontait l'autel était décorée d'une scène du Crucifiement et de deux écus de Ploesquellec, l'un plein, l'autre parti de Penmarch. Un troisième portait d'or à 3 tourteaux de gueules parti d'un fascé d'argent et d'azur. La dernière fenêtre n'avait que les armes de Charuel, de gueules à la fasce d'argent.

Sur la muraille paraissait un écu peint et incliné à l'antique de Léon, avec un timbre ayant pour cimier une tête de loup, et sur les deux côtés deux écussons en losange, l'un parti de Léon et de Penhoet, l'autre parti de Léon et de Penchoadic.

Enfin, le vitrail d'une des salles du monastère appelée « la chambre de Monsieur de Kerman » était orné d'un cartouche Renaissance blasonné d'un écartelé de Ploesquellec et de Lesquélen-Kerman, sur le tout en abyme de Rohan brisé d'une cotice d'azur. Les bâtiments du monastère ont été refaits au XVIIIème siècle, et l'église seule, mutilée et dévastée, est venue jusqu'à nous [Note : Sur le monastère des Dominicains de Morlaix, v. Allier et Daumesnil, Histoire de Morlaix, p. 392-402 ; v. aussi Abgrall, Livre d'or des Églises de Bretagne, fasc. 6, p. 9-10, et Congrès Archéologique de France, 1914-1919, p. 35-41. Sur les préminences de l'église conventuelle et du chapitre en 1679, v. Arch. du Finist., A. 19].

Avant de quitter Morlaix, Jean-Bouricquen trouva encore à s'occuper en dessinant la maîtresse-vitre de l'église paroissiale de Saint-Martin, sise en la partie léonaise de la ville. Il n'en reproduisit que le tympan, assez sobre et dans la note du XVIème siècle. Sous l'écu de Bretagne timbré d'une couronne ducale était celui des Kerman avec la devise Dieux avant, parce qu'ils avaient été quelque temps seigneurs du fief de Penzé, et à ce titre suzerains et fondateurs de la paroisse. Plus bas s'alignaient quatre écussons des seigneurs de Kerret et du Val, d'or au lion de sable coticé de gueules, comme ramage de Léon et d'argent à 2 colombes affrontées d'azur, becquées et membrées de gueules, avec la devise : Faire et taire, et le timbre ayant pour cimier une tête de lévrier. Plus bas encore se voyait Kerret mi-parti de Le Rouge de Bourouguel et de..., et les quatre lobes supérieurs des panneaux logeaient des écus aux armes des Noblet, d'or à la fasce endanchée de sable, des Kerret, des Le Borgne, d'or à 3 huchets d'azur mi-parti de Goezbriand et de Marzin de Porsmoguer. Cette église, foudroyée en 1771, a été remplacée à la fin du XVIIIème siècle par un édifice ample et régulier dont la tour ne fut édifiée qu'en 1852 [Note : D'après une note du registre A-18 des Arch. départ. du Finistère, le clocher de Saint-Martin avait été terminé le 13 novembre 1527. Sur cette église, v. Allier et Daumesnil, Histoire de Morlaix, p. 382-387, et Toscer, Le Finistère pittoresque, Brest, 1901, p. 456].

A peine de retour dans son vieux Castel-Paol, notre peintre dut s'aviser qu'il n'avait pas entièrement rempli le programme tracé par son noble client, et qu'un second voyage était indispensable pour réparer les lacunes et les oublis du premier. C'est ainsi qu'il avait omis de visiter l'église de Lanhouarneau, bourg où s'exerçait la juridiction de Seizploué et où les Kerman possédaient tous les fermes droits de hauts et bas justiciers, y compris le patronage de la paroisse [Note : V. Arch. de la Loire-Inférieure, B. 1721. V. aussi Ogée (éd. Marteville), Dictionnaire de Bretagne, t. Ier , 1843, p. 445, au sujet du singulier devoir féodal que rendait le seigneur de Kerjean à son suzerain au bourg de Lanhouarneau]. Sous peine de laisser son œuvre incomplète, il fallait se remettre en campagne. Bouricquen s'y décida. La grande route de Lesneven par Kerguiduff et Berven le mena directement à Lanhouarneau, dans « l'église parocchialle de Monsieur Sainct Houarneo ». La maîtresse-vitre flamboyante, d'une irrégularité peu gracieuse, ressemblait à celle, encore existante de l'église de Lanneufret, près de Landerneau. Elle présentait diverses scènes de la Passion : Jésus devant Hérode, La Flagellation, le Couronnement d'épines, Jésus revêtu de la pourpre, Ponce-Pilate se lavant les mains, Jésus tombant sous le poids de sa croix, enfin le Crucifiement entre les deux larrons. Dans les soufflets, il y avait sept écussons de Kerman plein, de Maillé plein, de Maillé parti de Kerman, et de Kerman parti de Goulaine, La Forest, du Chastel et Léon.

Du côté de l'épître, les seigneurs de Seizploué disposaient de la chapelle de Saint Laurent, dont la fenêtre gothique était plus élégamment découpée que la précédente. Son panneau central contenait une N.-D.-de-Pitié, à gauche de laquelle se tenait agenouillé un seigneur de Kerman présenté par un saint évêque. Le blason de l'évêque Jean de Kermavan, timbré d'une mitre et d'une crosse, soutenu par deux anges, était peint au-dessus. Mais le panneau de droite, qui avait sans doute renfermé l'effigie d'une châtelaine faisant vis-à-vis de son époux, n'existait plus, ayant été victime de quelque assaut des éléments. Les six blasons encastrés dans les soufflets étaient Kerman plein et allié à Pennaneach, du Chastel, La Forest et Rosmadec. Des anges les tenaient, sauf un derrière lequel se voyait un loup passant, allusion singulière à l'animal carnassier dont saint Hervé, patron de la paroisse, s'était fait un serviteur fidèle. Le premier écu avait pour timbre une mitre, et un petit Agneau pascal occupait le milieu du tympan.

La même chapelle de Saint-Laurent possédait une autre et grande fenêtre également décorée de vitraux de couleur. Ses quatre panneaux étaient remplis par une très belle scène du Crucifiement, avec la Sainte Vierge en pâmoison, la Madeleine embrassant le pied de la croix, le centurion Longin perçant de sa lance le flanc du Sauveur en mettant sa main gauche au-dessus de ses yeux pour indiquer la faiblesse de sa vue. Un ange emporte l'âme en prières du bon larron, tandis que celle de son acolyte convulsé et grimaçant, est entraînée la tête en bas par un diablotin tout noir. Plusieurs cavaliers entourent les croix, et le crâne d'Adam gît sous celle du Christ. A droite, deux soldats qui ont joué aux dés la robe sans couture se la disputent à coups de dague. Plus haut sont une image de saint et son nom que Bouricquen a lu : SAINT HERBAULT, mais à tort, car ce personnage n'est autre que saint Hervé, en breton Sant Hoarneo, ce qui explique la mauvaise lecture. Il est vêtu en moine, tient un bâton et le livre des exorcismes, et est accompagné du guide que sa cécité lui rendait nécessaire, le petit Guiharan. Les deux soufflets supérieurs contiennent l'un la lettre M, l'autre la lettre I ou J, entrelacées d'un rameau feuillu. Il faut y voir les initiales de Maurice de Kerman et de sa femme Jeanne de Goulaine. Les armoiries, ornées aussi de feuillages, à part un écu plein de Kerman que deux anges supportent, sont mi-parti de Goulaine, Goulaine coupé de Montejean, du Chastel, de Dinan, de Léon et de Rostrenen.

A la clef de voûte du porche pratiqué sous le clocher était un écusson de Kerman ancien, le lion brisé d'une roue en l'épaule. Le pignon occidental de l'église s'ajourait d'une jolie fenêtre rayonnante plus ancienne que les autres, mais ses découpures polylobées n'avaient que deux écus, l'un en supériorité de Kerman plein avec le collier de l'Ordre, l'autre parti de Kerman et « de Landal », au dire de Bouricquen. J'y vois un coupé de Rohan brisé d'un lambel d'azur, et d'un écartelé d'or à... et d'azur à la bande d'or. Ce sont sans doute les armes de Tanguy de Kerman et de sa femme Catherine de Rohan, frère mort sans postérité, et belle-sœur de Françoise, héritière de Kerman, mariée en 1541 à Jean de Ploesquellec, seigneur de Bruilliac.

Pour couronner ses travaux de l'église où reposait le grand saint Hervé, patron des bardes aveugles et mendiants, Bouricquen s'est diverti à dessiner, fort mal du reste, le beau porche Renaissance qui subsiste encore, accolé à la façade Sud. En comparant son croquis à l'état actuel, on constate que le tourillon amorti en dôme qui surmontait le gâble a été remplacé depuis 1614 par un lanternon carré creusé de niches sur ses quatre faces. Naturellement l'écu en bannière de Maillé-Kerman, entouré d'une cordelière à nœuds compliqués, qui remplissait le fronton, a péri sous le marteau révolutionnaire Au fond du porche trônait l'image du Sauveur, et des anges musiciens ornaient les compartiments à nervures de la voûte. Les statues des Douze Apôtres étaient peintes, ainsi que les sculptures de leurs soubassements. On a pris la pierre tombale d'un chevalier, découverte il y a un demi-siècle dans le chœur, pour celle d'un membre de la famille de Kerman, parce que son armure était blasonnée d'un lion, mais Jean Bouricquen ne signalant à Lanhouarneau aucune sépulture des seigneurs de Seizploué, il est très vraisemblable que cette effigie affreusement mutilée est celle d'un seigneur de Coatmerret de la maison de Launay, qui s'armait : d'argent au lion d'azur, armé et lampassé de gueules [Note : Sur l'église de Lanhouarneau, v. Toscer, Le Finistère pittoresque, t. Ier , 1901, p. 510. V. aussi Bulletin de la Soc. Arch. du Finistère, 1917, p. 65. et Bulletin diocésain de l'évêché de Quimper, 1918].

Notre artiste se rend ensuite à Notre-Dame de Kerézéan, « belle petite chapelle, écrit le P. Cyrille, qui est en un lieu solitaire, près d'un agréable vallon, en la paroisse de Plouescat ». L'endroit demeure en effet très plaisant. Il y a de la verdure, des arbres, un ruisseau qui fait tourner le charmant moulin seigneurial de Kerezéan, daté de 1592, un vieux calvaire bosselé de la plus originale structure et, tout près, le manoir gothique de Kergoual. C'est sans contredit, en y annexant Gorreploué. son calvaire à autel et son balnéum gallo-romain, le plus intéressant coin de la sévère commune de Plouescat. La chapelle subsiste, quoique amputée de ses deux croisillons. La grande vitre du XVIème siècle a perdu le vitrail colorié qu'y vit Bouricquen et qui figurait, avec dix-huit personnages, le Crucifiement entre les deux Larrons. L'âme du mauvais, qui expire dans de terribles contorsions, s'enfuit pourchassée par un monstre à la gueule emplie de flammes. Les soldats sont armés à la romaine. Au-dessus du Christ semble planer le Sacré-Cœur. L'écu plein de Bretagne, cerné de la cordelière, occupe le haut du tympan où paraissent, supportés par des anges et l'un d'eux timbré d'une mitre, les blasons de Kerman pleins et alliés à Pennaneach, Rosmadec, du Chastel et La Forest. Deux petits blasons des du Bois-Dourduff, seigneurs de Kergoual, sont relégués à la dernière place.

La chapelle de Saint-Laurent, du côté de l'Evangile, avait sa fenêtre blasonnée de Kerman, et de du Bois-Dourduff mi-parti de Kergournadeach. Au pied de cette vitre était une arcade gothique abritant un tombeau, et armoriée à sa clef du mi-parti ci-dessus, timbré d'un heaume ayant pour cimier une tête de licorne, que surmontaient les armes de Kerman peintes sur le mur. Elles existaient aussi dans le vitrail de la chapelle de droite, et, timbrée d'une mitre, dans les deux fenêtres de la nef, avec des écartelés de du Bois-Dourduff dépendant de la terre de Kergoual. Enfin, elles meublaient, mi-parti de la Forest, la rosace du pignon occidental. Deux écus en bosse sur le même pignon, où Bouricquen a cru reconnaître Kerman ancien, écartelé d'une fasce d'hermines et mi-parti du losangé des Kerchoent, me paraissent plutôt appartenir à la maison de du Bois-Dourduiff.

Le fief de Seisploué s'étendait dans la paroisse côtière de Plounéour-Trez, et en conséquence ses possesseurs y jouissaient des premières prééminences de l'église [Note : En 1601, François de Maillé et Claude de Kerman, sa femme, possédaient dans cette paroisse les manoirs de Meanmeur, Tréguilier et Le Verger (Arch. de la Loire-Inf., B. 1721)]. Leurs armes, dominées par celles de Bretagne, se voyaient pleines et parti du Chastel et de La Forest, aux trois quatrefeuilles supérieurs de la maîtresse-vitre, avec la devise : Dieux avant. Plus bas, il y avait plusieurs écussons des Le Moyne de Trévigné, dont l'un timbré d'un heaume ayant pour cimier une tête de moine, et les autres mi-parti de du Chastel, Kermellec et Marc'hec de Guicquelleau. La sixième rosace contenait quatre écussons d'azur à 9 billettes d'argent rangées 4, 3, 2, à la bordure de gueules, mi-parti d'or à 6 merlettes d'azur, qui est Le Moyne de Ramlouc'h, de gueules à 6 billettes d'or, qui est..., d'or au lion de sable, qui est Léon, et écartelé de Le Moyne de Trévigné. L'illustre maison de Beaumanoir, qui a possédé après 1538 la vicomté de Coetmenec'h, en Plouider, blasonnait d'argent à 11 billettes d'azur, mais il ne semble pas que ces alliances, sauf celle de Léon, aient été dignes d'elle. Au sommet des deux panneaux centraux étaient les armes des Calloët, sieurs du Hellès en Guissény, et des Kergournadeach ; et cinq personnages, le Christ en croix, la Sainte Vierge, saint Jean, une sainte Femme et saint Pierre, patron de la paroisse, occupaient autant de jours de la vitre, dont trois demeuraient vides. L'église actuelle de Plounéour-Trez ne date que de 1889-90, à l'exception du clocher, rebâti vers 1740. Elle est ornée d'une riche collection de vitraux modernes figurant de nombreux saints bretons, mais on doit regretter qu'aucune place n'y ait été faite aux armoiries des anciennes familles originaires et bienfaitrices de la paroisse [Note : Sur cette église, v. abbé Stéphan, L'Eglise de Plounéour Trez et ses vitraux, Landerneau, Desmoulins, 1903, in-8° V. aussi G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, p. 287].

Bouricquen acheva sa mission par l'église de Trémaouézan, alors trève de la paroisse de Ploudaniel. Les Kerman avaient sur le territoire limitrophe de Plouédern, le fief des Granges où subsistent trois mottes féodales disposées en triangle, mais le droit de patronage appartenait à la famille de Rohan, dont les neuf mâcles d'or accompagnés du lion de Léon, brillaient en supériorité dans la grande vitre du chevet, et les Kerman devaient se contenter d'un seul écu mi-parti de La Forest, placé en seconde ligne, au même rang que les Brézal. Ensuite venaient deux écussons d'or à 3 oiseaux d'azur, et d'azur à 3 gerbes d'or, une tête de loup ? d'or en chef, et plus bas cinq blasons des Parcevaux, seigneurs de Mézarnou en la paroisse limitrophe de Plounéventer, avec diverses alliances, dont Barbier et Kerven. Au dernier rang des soufflets s'alignaient quatre écus de gueules au chef endanché d'or, de Kerven et de Le Jar du Cosquer, d'argent à la poule de sable. Dans les cinq panneaux revivait en quinze scènes tout le drame de la Passion : l'Entrée à Jérusalem, la Cène, le Lavement des Pieds, le Jardin des Oliviers, le baiser de Judas, Jésus devant Caïphe, Jésus souffleté, la Flagellation, le Couronnement d'épines, Jésus revêtu de la pourpre, Pilate se lavant ses mains, la montée au Calvaire, le Crucifiement entre les deux Larrons, la Mise au tombeau et la Résurrection. En 1628, le P. Cyrille Le Pennec parlait élogieusement de « cette belle chapelle de Notre-Dame de Tremavouëzan, artistement bastye », dont la sacristie était « bien meublée de riches ornements et argenterie ». Son clocher, empreint des armes du cardinal Alain de Coëtivy et de la seigneurie de Penmarch, fut foudroyé en 1702 par un terrible éclat de tonnerre qui ruina tous les vitraux. Il a été rebâti en 1714, et l'église subsiste par ailleurs en son entier, mais privée de la remarquable verrière que je viens de décrire [Note : Sur cette église, v. abbé J. Mével, Notice sur la paroisse de Trémaouézan, Brest, 1904, in-16, et G. Toscer, Le Finistère pittoresque, I, p. 307].

Après cette ultime station, Jean Bouricquen dut regagner son clocher du Creisker avec la certitude de n'avoir rien négligé pour remplir les intentions du seigneur de Maillé, lequel, je l'espère, le rétribua généreusement. Pourtant, je puis signaler une église où l'excellent peintre-vitrier aurait pu augmenter encore d'un épi sa glane déjà si fructueuse. Il s'agit de Locquénolé, minuscule prieuré-paroisse dépendant de l'évêché de Dol, mais enclavé dans la vaste paroisse léonaise de Taulé, entre Saint-Pol-de-Léon et Morlaix. Les Kerman y ont possédé, au début du XVIème siècle, le fief de Penzé et la seigneurie de Coatilès, et c'est sans doute à ce titre qu'ils ont placé sur la croix du cimetière de Locquénolé leur écu classique, l'écartelé de Lesquélen et de Carman. Pol de Courcy y a vu à tort, dans la Bretagne Contemporaine, les armes d'un seigneur et d'une dame de Kergadoret en roulé. L'attribution aux Kerman est certaine, et cette épave de tant d'orgueilleuses prééminences aujourd'hui anéanties survit presque seule comme une lecon de la fragilité des gloires humaines.

(L. Le Guennec).

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