Bienvenue ! 

LES NOTABILITES DE LOCRONAN

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Locronan   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Louis Le Noy (1546-1624).

Né à Locronan, en 1546, Louis Le Noy y tenait école en 1580. Recteur de Plogonnec de 1601 à 1624, année de sa mort, il fut enterré dans l’église de Locronan.

Le Noy était, au dire du Père Maunoir, le plus savant prêtre de Cornouaille. Latiniste distingué, il devait être quelque peu expert dans la langue d'Homère et de Démosthène. De 1602 à 1608, il rédige en latin les comptes de la chapelle de Saint-Denys, dite aussi de Seznec. « Ces comptes sont d’autant plus curieux qu’ils sont peut-être uniques en leur genre, car si l'on continue d’écrire en latin les actes de baptêmes, mariages, enterrements, pendent les premières années du XVIIème siècle, il est rare de trouver des registres de comptes tenus en cette langue après le XVème siècle » (Peyron, Deux recteurs méconnus, Saint-Brieuc, Prud’homme, p. 6).

Le Noy connaissait aussi le grec. S’inspirant de la prononciation bretonne du mot Plogonnec, Pluguon, il traduisit en latin, en tête de ses registres de comptes, Plogonnec par Plebs Cynica, ajoutant parfois Cynica seu Canica.

 

Le Père Charles de Locronan et ses compagnons victimes de Carrier.

Au cours de la période historique qui commence avec octobre 1793 et est connue sous le nom de Terreur, la cité de Nantes fut le théâtre de toutes sortes d’horreurs. Des milliers de Français y périrent victimes des supplices les plus divers : fusillades, guillotine, noyades. La Loire charriait fréquemment des cadavres, et il fallut bientôt défendre à la population de boire l'eau empestée du fleuve.

Un homme porte, dans l’histoire, la responsabilité de la plupart de ces crimes : le sinistre Carrier.

« C’est un procureur auvergnat, âgé de trente-sept ans, ardent au mal, mais jusqu’ici obscur. Il a naguère traversé Rennes où il s’est exercé à proscrire ; puis on l’a vu à Cholet, mais pas longtemps, car il s’est enfui au bruit de la bataille vendéenne. Le voici au terme de son voyage. C’est le 19 octobre 1793. Les Nantais contemplent avec curiosité, avec crainte aussi, leurs nouveau maître, de haute taille, maigre, le teint olivâtre, avec une barbe rare, des cheveux noirs tout plats, de grands bras agités de gestes faux. Son visage, juvénile encore, est déjà tout ravagé de débauches. Son regard, encadré dans des paupières toutes rouges, est fuyant et comme timide ; puis tout à coup il se fixe avec des impudences de charlatan ou se promène de tous côtés avec des lueurs féroces ; dans sa physionomie une expression rouée et irritable tout ensemble, et, par intervalles, quelque chose de convulsif et d’égaré. Tel il se montre, avec un aspect de corps malsain, enveloppant un esprit malsain aussi. Avant même d’attein­dre la ville qui sera sa proie, il a, dans des haltes de la route, tracé ces lignes : " Je ne quitterai pas la Bretagne que je n’aie livré tous les conspirateurs à la vengeance nationale " » (Pierre de La Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, t. III, 5ème édition, Paris 1919, p. 382-388).

Envoyé à Nantes pour y appliquer les décrets de la Convention, Carrier se montra digne de sa mission. Déjà, le Comité révolutionnaire de cette ville s’était arrogé le droit de vie et de mort sur les départements de l'Ouest ; mais il fallait au nouveau proconsul des agents plus expéditifs et plus dociles. Carrier organise un comité spécial comprenant un ouvrier carrossier, Lamberty, un ouvrier tonnelier, Fouquet, puis quelques-uns des membres du Comité révolutionnaire. Il crée deux compagnies chargées de faire des perquisitions et d’arrêter les suspects : l’une dite compagnie Marat, doit opérer dans Nantes, l'autre fouillera la campagne. Sans perdre de temps, ces deux équipes jettent dans les cachots des royalistes, des catholiques et de riches marchands. Les prisons regorgent de suspects. Cependant, au gré de Carrier, la fusillade et la guillotine sont trop lentes, et comme le Tribunal révolutionnaire ne peut suffire à la besogne, le tyran imagine une justice plus prompte ; les noyades.

Quatre-vingt-quatre prêtres sont détenus sur la galiote « la Gloire », ancrée dans la Loire. C’est sur eux que l’infâme proconsul va étrenner le nouveau supplice.

A son instigation, Lamberty achète un vieux chaland et, discrètement, le fait aménager par l’ouverture de sabords creusés un peu au-dessous de la ligne de flottaison. Ces sabords devaient être fermés, mais de telle façon que l’on pût aisément, en plein fleuve, les déboucher et noyer les victimes.

Le soir du 26 brumaire (16 novembre) 1793, Lamberty et Fouquet s’acheminent vers la Loire, ils s'assurent que leur chaland est prêt pour la sinistre besogne, puis se rendent à bord de « la Gloire ». Ils annoncent alors aux détenus qu’ils vont être transférés au château de La Motte, en Chantenay. Ceux-ci se voient enlever leur argent, leurs montres, tout ce qu’ils ont de précieux, et reçoivent en retour des paroles rassurantes. Avant de quitter la galiote, ils sont liés deux à deux avec des cordes, puis on les conduit au chaland qui les attend. Les vieillards pourtant ont pressenti l’effroyable supplice, et mutuellement ils se donnent une dernière absolution. Le chaland quitte la rive, accompagné d’un canot destiné à ramener les bourreaux. An moment où il passe devant le ponton de la Samaritaine, le factionnaire de ce poste intime à ceux qui conduisent le bateau l’ordre de s’arrêter. Lamberty et Fouquet produisent alors un ordre de Carrier, qui fait céder la sentinelle. « Un quart d'heure après, a déclaré plus tard le factionnaire, j’entendis de grands cris, et à la faveur du silence et de la nuit, je compris parfaitement que ces cris étaient ceux des individus renfermés dans le gabareau et que l’on faisait périr de la façon la plus atroce. Je réveillais mes camarades du poste, lesquels, étant sur le pont, ont entendu les mêmes cris jusqu’à ce que tout fût englouti » (Pierre de La Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, t. III, 5ème édition, Paris 1919, p. 388). Quatre-vingt prêtres venaient de succomber. Quatre seulement avaient pu gagner la rive à la nage : trois d’entre eux, trouvés à demi-morts sur le rivage, furent incarcérés et noyés le lendemain ; le quatrième, l’abbé Landeau, curé de Saint-Lyphard, fut recueilli par de charitables pêcheurs, réussit à se cacher et survécut encore six ans à l'horrible drame.

Sept fils de Saint François avaient péri dans la catastrophe : les PP. Nicolas Bernard et Pierre Remeur, Mineurs Conventuels, les PP. François Forget et Armel Pouessel, Récollets, le Père Charles de Locronan et les Frères Didace de Vannes, et Hyacinthe-Marie de Redon, Capucins.

Le 17 novembre, jour qui suivit le drame. Carrier adressait à la Convention une communication relative à la fête célébrée par le club Vincent de la Montagne, et il ajoutait en manière de post-scriptum : « Un événement d'un autre genre semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres : quatre-vingt-dix [Note : Réellement quatre-vingt-quatre] de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires étaient enfermés dans un bateau de la Loire. J’apprends à l'instant et la source en est très sûre, qu’ils ont tous péri dans la rivière. Quelle triste catastrophe ! ». Ce rapport fut le 8 frimaire (28 novembre) à la Convention, qui ordonna de l’insérer au Bulletin.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre, toutes les horreurs de la première noyade sont renouvelées, et cinquante-huit prêtres, âgés ou infirmes pour la plupart, venus d'Angers trois jours auparavant, périrent dans les flots. Le lendemain, Carrier rendait compte à la Convention de l’événement, et il terminait son rapport sur cette gouaillerie cynique : « Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! ».

Quelques mois plus tard, aux premiers jours de la réaction du 9 thermidor, Carrier montait sur l’échafaud. On a tenté de le réhabiliter, mais il restera coupable devant le tribunal de l’histoire. Ne disait-il pas lui-même en face des Conventionnels qui l’accusaient : « Nul ici n’est innocent, pas même la sonnette du Président ». Laissons le monstre et tournons nos regards vers quelques-unes de ses innocentes victimes.

Le Père Charles de Locronan, dans le monde René-Claude Gueguen de Kermorvant, naquit à Locronan le 24 avril 1712. Il était fils de Guillaume Guéguen, sieur de Kermorvant, procureur fiscal des juridictions du marquisat de Névet, de Locronan, Guengat et Kerven [Note : Ce Kermorvant Guéguen signe comme procureur fiscal au Cahier des délibérations de Locronan, de 1712 à 1725. En 1722, il apparaît comme "fabricqueur" de la grande église], et de Julienne-Marie Rio. Il fut tenu sur les fonts du baptême par René Halléno, chevalier, sieur de Saint-Alouarn, et Yvonne Le Becq, femme du sieur Bily, avocat au Parlement et juge de police à Quimper.

Docile au divin murmure qui l’appelait à l’état religieux, le jeune Charles consacra ses vingt ans au Seigneur, et le 4 novembre 1732 il faisait profession au convent des Capucins d'Hennebont.

Il avait déjà 78 ans d'âge et 58 de profession quand parut, en 1790, le décret de l'Assemblée nationale supprimant les voeux monastiques.

« 1°. L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de l’un ni de l’autre sexe ; déclare en conséquence, que les ordres dans lesquels on fait de pareils voeux sont et demeureront supprimés en France, sans qu’il puisse en être établi de semblables à l'avenir.

2°. Tous les individus de l’un et de l’autre sexe existant dans les maisons religieuses pourront en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu, et il sera pourvu incessamment à leur sort, par une pension convenable... Il sera pareillement indiqué des maisons où pourront se retirer ceux qui ne voudront pas profiter de la disposition du présent décret ».

Interrogé par les magistrats d'Hennebont sur le point de savoir s’il optait pour la vie commune ou pour la vie privée, le P. Charles, déjà infirme et presque aveugle, se décida pour la vie privée. S'il se rangeait à ce parti, c’est qu’il pouvait compter sur les services que le P. Félix de Vitré devait lui continuer, mais c’est surtout par respect pour le caractère sacré de sa profession religieuse.

On a souvent critiqué les religieux qui en 1791 sortirent du cloître et renoncèrent à la vie commune. Mais qu’était donc cette vie commune qu’on prétendait leur imposer ?

Notons d’abord le caractère schismatique d’une loi qui passait sous  silence ou plutôt supprimait les liens de subordination des religieux à l’égard de leurs supérieurs. Et puis quel fantôme de vie commune que celle à laquelle on voulait contraindre des religieux groupés au petit bonheur des quatre coins de l'horizon ! A vrai dire, en vertu même de sa profession le religieux fait vœu d’embrasser la vie commune, mais dans telle ou telle maison, dans telle ou telle province. Les Bénédictins par exemple font voeu de stabilité dans telle ou telle abbaye, les Dominicains ou les Franciscains optent pour la vie commune dans telle ou telle province. Les motifs de leur choix, au lieu d’être inspirés par quelque préoccupation futile, sont inhérents à leur profession même. Comment dès lors les blâmer si, voyant leurs droits manifestement violés par la loi républicaine, et répugnant à une vie commune toute factice, ils sortent du cloître et font choix de la vie privée !

Au début de l'année 1791, les Capucins du couvent d'Hennebont furent expulsés. Le vénérable Père Charles, au prix de mille fatigues, dut alors s’acheminer tout lentement vers la cité de Vannes. Un décret du 21 mars 1791 assignait le couvent de cette ville comme maison de vie commune pour les Capucins, les Conventuels et les Augustins.

Aux termes de la loi française, pour être admis à mener la vie commune dans un établissement, les religieux devaient y être au nombre de vingt au minimum. Aussi le Père Hyacinthe de Quimper, gardien (c'est-à-dire Supérieur) du couvent de Vannes, s’employait-il de tout son pouvoir à grouper dans sa maison vingt capucins. En dépit de ses démarches multipliées, au début d'avril, quatorze Capucins des diocèses de Quimper, de Nantes et de Vannes, avaient seuls répondu à son appel. Six autres ne purent, malgré leur promesse rallier à temps le centre de réunion, et, sur la fin de juin, les pauvres Capucins de Vannes durent dire adieu à leur couvent.

Où donc allaient se retirer ces malheureux ? Deux maisons, désignées officiellement pour les partisans de la vie commune, s’offraient à eux dans la région nantaise : un couvent de Conventuels situé en pleine campagne, affecté aux Religieux mendiants, et l’abbaye des Cisterciens indiquée pour les autres. Ils préférèrent le couvent des Capucins du Croisic, et munis d’une autorisation légale, ils purent bientôt s’y rendre par voie de mer. D’autres Capucins des couvents nantais et des autres maisons de la province de Bretagne vinrent sous peu les y rejoindre, et la petite maison du Croisic faite pour douze religieux, en logea dès lors vingt-sept. En voici la liste complète :

Pères :

Joseph de Saint-Brieuc, du couvent du Croisic.

Charles de Locronan, du couvent d'Hennebont.

Anastase de Landerneau, ex-Provincial, gardien de Quimper.

Hyacinthe de Quimper, gardien de Vannes.

Ignace de Quimperlé, gardien de Roscoff.

Dosithée de Guemené, du grand convent de Nantes.

Ferdinand de Rennes, gardien du Croisic.

Julien de Quintin, du couvent de Machecoul.

Alexis de Mamers, du couvent de Machecoul.

Siméon d'Auray, du couvent de Château-Gontier.

Clément, de Saint-Brieuc, du couvent de Vannes.

François de Bécherel, du couvent d’Auray.

Ambroise du Croisic, du couvent de Rennes.

Marc de Vannes, du couvent de Machecoul.

Chrysostome de Corlay, du couvent de Saint-Malo.

Fortuné d'Ancenis, du couvent de Saint-Malo.

Patern de Pontivy, du couvent de Brest.

Frères : 

Norbert de Saint-Méen, clerc, du couvent de Rennes.

Raphaël de Plaintel, clerc, du couvent de Rennes.

Hyacinthe-Marie de Redon, laïque, du grand couvent de Nantes.

Didace de Vannes, laïque, du grand couvent de Nantes.

Placide de Lesneven, laïque, du couvent de Vannes.

Augustin de Quintin, laïque, du couvent de Château-Gontier.

François de Nantes, laïque, du grand couvent de Nantes.

Gabriel-Ange de Vannes, laïque, du couvent de Vannes.

Séraphin de Brest, laïque, du couvent de Roscoff.

Martinien de Le Lude, laïque, du couvent dit Croisic.

Telle est la glorieuse nomenclature de ces héros qui fidèles jusqu’au bout à la vie commune de leur Ordre, devaient bientôt s’inscrire au tableau d’honneur des martyrs ou des confesseurs de la foi.

Heureux encore s'ils avaient pu en toute liberté, comme avant la Révolution, se sanctifier en vaquant aux exercices de leur Règle ! mais les beaux jours étaient passés. Les Capucins du Croisic choisissent pour Supérieur le Père Joseph de Saint-Brieuc et pour Econome le Père Ferdinand de Redon, mais ils doivent exprimer leurs suffrages sous les yeux d’un magistrat civil, qui semble présider la séance. L’église conventuelle, au surplus, devient un lieu de réunion profane pour les habitants de la bourgade ; et sous le moindre prétexte, nuit et jour, ce sont les visites inopinées des magistrats, qui font irruption dans le couvent, pour contrôler les travaux, établir des règlements, proclamer des décrets, découvrir de prétendues armes cachées ! …

Le couvent du Croisic était devenu une geôle, et encore ne marquait-il qu’une des étapes douloureuses du Calvaire que gravissaient les héros de la Foi !

Au début de 1792, tous les prêtres et religieux insermentés furent appelés d’office à Nantes, pour y être incarcérés. Trois Capucins du Croisic réussirent à s’enfuir. Cinq autres, pour raison de vieillesse et de graves infirmités, sollicitèrent la faveur de rester au couvent. L’autorisation accordée ne tarda pas à être retirée et force fut à tous les membres de la communauté du Croisic de se rendre à Nantes.

Logés dans des maisons particulières, ils devaient chaque jour répondre à l’appel que faisaient les officiers publics. Pendant 3 Mois ils furent l’objet de menaces, de promesses, de sollicitations de toutes sortes ; mais avec une constance admirable ils résistèrent aux divers moyens d’intimidation dont on usait à leur égard.

Tous les insermentés furent bientôt réunis dans une prison commune, d’abord au Séminaire de Nantes, puis à Saint-Clément, enfin au Château.

Ce qu’ils eurent à souffrir dans ces cachots successifs, de l'exiguité des locaux, de l’incurie des gardiens et de la privation du nécessaire, une lettre du médecin des prisons le révèle : « Tout leur manque, disait le docteur ; il y a là un tel entassement de malades et de vieillards que tous fatalement y succomberont ».

Un autre témoin se prononce dans le même sens : c’est le Père François Majeune, de l'Ordre des Conventuels, docteur en théologie et gardien du couvent de Nantes. Déporté en Espagne, il écrivait du couvent de Saint-François de Laredo au R. Père Ministre général des Conventuels, le 6 juillet 1794 : « Nul ne saurait dire combien nous avons souffert, pendant trois mois et plus, dans la prison de Nantes, moi et mes compagnons confesseurs de la Foi. Ce sont des horreurs, et je n’entreprendrai pas de vous les décrire. Mais que sont ces souffrances en regard de la palme céleste ! ».

Rien donc d’étonnant si parmi les prisonniers, un bon nombre passèrent de vie à trépas. Les autres se virent bientôt atteints par une nouvelle loi, celle du 26 août 1792 :

« Tous les ecclésiastiques qui, étant assujettis au serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790 et celle du 17 avril 1791, ne l’ont pas prêté... seront tenus de sortir, sous huit jours des limites du district et du département de leur résidence, et dans quinzaine hors du royaume.

En conséquence, chacun d’eux se présentera devant le directoire du district ou la municipalité de sa résidence, pour y déclarer le pays étranger dans lequel il entend se retirer...

Passé le délai de quinze jours, les ecclésiastiques non assermentés qui n’auraient pas obéi aux dispositions précédentes, seront déportés à la Guyane française...

Sont exceptés des dispositions précédentes les infirmes dont les infirmités seront constatées par un officier de santé qui sera nommé par le Conseil général de la commune ; sont pareillement exceptés les sexagénaires, dont l'âge sera aussi dûment constaté.

Tous les ecclésiastiques qui se trouveront dans le cas des exceptions portées plus haut, seront réunis au chef-lieu du département dans une maison commune, dont la municipalité aura l’inspection et la police ».

D’entre les religieux qui avaient mené au Croisic la vie commune, trois s’étaient enfuis, deux autres, les Frères Placide et Séraphin, avaient gagné l'Italie. Quant à, ceux qui étaient incarcérés à Nantes, ils s’embarquèrent à destination de l'Espagne, sauf le Père Charles de Locronan et deux Frères qui, sous le bénéfice de la loi, demeurèrent en France.

Bien que les couvents de Nantes fussent transformés en prisons, les geôles ne suffirent plus bientôt à recevoir les captifs, qui affluaient de toutes parts. On fit donc, dans la nuit du 5 au 6 juillet, transférer les prêtres reclus sur la galiote « Thérèse », ancrée dans la Loire. Empilés dans les flancs du navire, ces pauvres vieillards, privés de linge et de vêtements, eurent terriblement à souffrir de la chaleur étouffante et des miasmes fétides qui s’élevaient de la rivière. La municipalité se laissa émouvoir par ces misères, et elle décida que les reclus de la galiote seraient transférés dans un couvent nantais, les Petits Capucins de l'Hermitage.

Quelle consolation pour les Capucins de pouvoir encore résider dans une maison de leur Ordre ! La chapelle, le cloître, le réfectoire, tout avivait dans leur âme le souvenir des années écoulées depuis leur profession, tout leur mettait au coeur la virile résolution de rester fidèles jusqu’au dernier soupir à leurs voeux de religion. Le couvent nantais des Capucins était fait pour une dizaine de religieux ; or les captifs y étaient au nombre de quatre-vingt-six, tous heureux d’être jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus !

Le 28 octobre, les héros de la foi furent internés dans la galiote « la Gloire », puis noyés dans la Loire le 16 novembre 1793.

Trois jours plus tard le cadavre du Père Charles de Locronan fut rejeté par la Loire sur la rive de Chantenay. Voici ce que nous lisons, en effet, au Registre des décès de cette ville :

« Le 19 novembre a été inhumé au cimetière de cette paroisse le corps d’un inconnu, âgé d’environ 80 ans, revêtu de l’habit des Capucins et celui du cordon de saint François ».

Deux Frères Capucins périrent avec le Père Charles dans les eaux de la Loire : le Frère Hyacinthe-Marie de Redon, dans le monde René-Joseph Le Grand, né le 25 août 1725 et profès du 7 octobre 1748 ; puis le Frère Didace de Vannes, dans le monde Pierre Steven, né le 18 septembre 1725 et profès à la date du 12 novembre 1750. Tous deux, compagnons du Père Charles à Vannes et au Croisic, lui furent associés dans la gloire du martyre...

A cette pléïade de confesseurs on peut ajouter un autre Capucin, le Père Dosithée de Guémené, dans le monde Michel-François Herpe.

Né le 24 août 1733, il fit profession de 4 avril 1762, au grand couvent des Capucins de Nantes. Ayant opté pour la vie commune, il séjourna à Vannes et au Croisic. Arrivé à Nantes avec ses compagnons, parmi lesquels était le Père Charles, il fut interné au Château, puis au Carmel. C’est dans cette dernière maison qu’il mourut.

Nous lisons an Registre des décès de Nantes :

« Le 5 mai, Michel-François Herpe, revêtu de l’habit des Capucins, a été trouvé noyé dans le puits des Carmélites ».

S'agit-il d’un accident, ou bien le vénérable religieux fut-il précipité dans le puits par un des gardiens de la prison ? On ne saurait le dire. Mais la deuxième hypothèse n’est point dépourvue de vraisemblance. Le Martyrologe des Frères mineurs au temps de la Révolution fait mémoire, le 5 mai, du Père Dosithée.

Telle est la gerbe glorieuse de Confesseurs que la Province de Bretagne des Frères Mineurs Capucins offrit à Dieu, au cours de la tourmente révolutionnaire. Parmi ces victimes, immolées par les persécuteurs en haine de la foi chrétienne, le Père Charles de Locronan a la première place. Vénérable vieillard, qui comptait, au moment de son trépas, 81 ans d'âge et plus de 60 ans de profession ! Nouvel Eléazar, il préféra la mort à la souillure, et quittant la vie, laissa par son trépas glorieux, non seulement à la jeunesse, mais à tous, un exemple de courage et un mémorial de vertu.

 

Jean-Marie de Leissègues de Rozaven (1732-1801).

Né à Locronan le 1er juillet 1732, J. M. de Leissègues de Rozaven entra jeune encore dans la Compagnie de Jésus. Il professait la philosophie au collège de Caen, lorsque, en 1763, cet Ordre religieux fut supprimé. Revenu dans son pays natal, nous le voyons successivement vicaire perpétuel de Locronan (1765-1768), chapelain de cette paroisse (1768-1772), vicaire perpétuel de Châteaulin (1773-1778), recteur de Plouhinec (1779-1786) et de Plogonnec (1786-1791).

Le 2 avril 1789 il fut élu à Quimper député du clergé aux Etats-Généraux. Un conflit surgit bientôt entre les Ordres du clergé et de la noblesse d’une part, et d’autre part le Tiers-Etat. Celui-ci voulait que la vérification des Pouvoirs se fit en commun et nom plus dans le lieu primitivement réservé à chaque Ordre. Influencé par des députés laïques, M. de Rozaven se rendit à cette funeste exigence du Tiers-Etat. Il eut le malheur, le 3 janvier 1791, de prêter serment, dans l'Assemblée nationale, à la constitution civile du clergé ; mais trois jours plus tard, à la séance du 6 janvier, il réparait son erreur en rétractant publiquement son serment.

Le 30 septembre 1791 l'Assemblée nationale fut close et M. de Rozaven rentra dans sa paroisse. Exposé aux colères d'Expilly, évêque intrus de Quimper, il fut obligé de s’expatrier ; son neveu, le jeune J.-L. de Rozaven, alors âgé de 20 ans, le suivit dans son exil. Tous deux ils quittent secrètement Quimper dans la nuit du 20 juin 1792, et, le 24 du même mois, arrivent à Jersey. Au début de 1793, après quelques mois de séjour à Londres, ils se rendirent dans le duché de Clèves (Prusse rhénane). Devant l’invasion française, M. de Rozaven et son neveu durent s’éloigner de Clèves. Ils se retirèrent à Paderborn, où ils furent accueillis avec bonté par le prince-évêque de cette ville. Ce prélat les logea à Buzen, ancienne maison des Jésuites, à cinq lieues de la ville épiscopale. En 1797 le jeune de Rozaven quitta son oncle, et celui-ci mourut, loin de son pays, vers la fin de 1801, à l’âge de 69 ans.

 

Jean-Louis de Leissègues de Rozaven (1772-1851).

« Le dix mars mil sept cent soixante-douze, lisons-nous au Registre de Locronan, a été solennellement baptisé par le soussignant Recteur, Jean-Louis, né d’hier [Note : L’enfant naquit dans la belle maison située au nord de la place de Locronan et connue sous le nom de « Vieille gendarmerie »], fils légitime de Guillaume-Louis de Leissègues de Rozaven, procureur fiscal du prieuré de Locronan, Saint- Ronan des bois et autres juridictions, et de dame Marie-Corentine Guesdon, son épouse, parrain et marraine ont été messire Jean-Marie de Leissègues de Rozaven, prêtre et chapelain de cette paroisse, représenté par Jacques-Jean de Leissègues de Kergadio, et demoiselle Louise-Jacquette-Corentine de Leissègues de Rozaven, qui signe avec les autres soussignants ». LOUISE LEISSÈGUES. JACQUES LEISSÈGUES DE KERGADIO. JEANNE DE LEISSÈGUES. LEISSÈGUES DE ROZAVEN, prêtre. G. LE GARREC, prêtre, chapelain de Locronan. L.-C. DEPERRIEN, recteur de Locronan.

Les père et mère de l’enfant avaient été mariés le 18 février 1760, à Quimper, dans la chapelle de Saint-Nicolas, annexe de Saint-Sauveur. L’acte de mariage nous apprend que Guillaume de Leissègues était « fils majeur de feux Monsieur Guillaume-Nicolas de Leissègues, sieur de Kergadio et de Dame Gilette-Marie Moreau de Rozaven, de la paroisse de Locronan », que « Demoiselle Marie-Corentine Guesdon de Pennesquin était fille de Monsieur maître Germain-Gabriel Guesdon, juge et magistrat criminel au siège présidial de Quimper, et de Dame Marie-Josèphe Bousset, Sieur et Dame de Kermoysan (en Penhars) ».

Jean-Louis fit ses études au Collège de Quimper. En 1792 la Révolution le contraint de s’expatrier. Nous l’avons vu avec son oncle à Londres, à Clèves et à Paderborn.

Etant à Clèves, il apprend qu’un Séminaire se forme à Bruxelles, destiné aux jeunes ecclésiastiques français. Il quitte alors son oncle pour entrer dans cette maison, où il est ordonné sous-diacre par Mgr. Asseline, évêque de Boulogne. Six mois plus tard, il quitte la Belgique envahie par les Français, rejoint son oncle à Clèves et, devant l’invasion menaçante, se réfugie avec lui à Paderborn (1794). C’est là qu’il reçoit le diaconat et la prêtrise.

En 1797 le jeune prêtre apprend qu’en Italie, sous la direction de l’italien Paccarini, vient de se former la « Société des Pères de la Foi », essai de reconstitution de la Compagnie de Jésus (Cf. Burnichon, La Compagnie de Jésus en France, t. I, p. 8-29). Sans balancer un instant, il quitte son oncle, et, se joignant au père Charles de Broglie qui passait par Paderborn, il sollicite et obtient son admission du Père Varin, supérieur de cette Société.

A la fin de 1799 nous le trouvons en Angleterre, où il a été envoyé avec l’abbé de Broglie pour établir à Kensington un pensionnat catholique en faveur des jeunes catholiques anglais. Désirant recruter des sujets pour la « Société des Pères de la Foi », il se met en relation avec Mgr. de La Marche, évêque de Léon, émigré à Londres. Le 5 juin 1800 ce prélat le présente à Mgr. Douglas, vicaire apostolique de Londres. Six ou sept mois plus tard, l'Evêque de Léon écrivait à Mgr. Douglas que le Pape refusait d’approuver la « Société des Pères de la Foi » (Abbé Kerbiriou, J.-P. De La Marche, Quimper, Le Goaziou, 1924, p. 456).

Au début de 1804, l'abbé de Rozaven passe en Russie pour y entrer, le 28 mars, dans la Compagnie de Jésus, qui s’était conservée en ce pays avec l’agrément du Saint-Siège et sous la haute protection de l’impératrice Catherine II.

EN RUSSIE.

En Russie, le P. de Rozaven se livra avec le dévouement le plus soutenu aux travaux du saint ministère, et des conversions célèbres furent le fruit de son zèle : telles par exemple la conversion de la princesse Elisabeth Galitzin, plus tard religieuse du Sacré-Coeur, celle de Mme Swetchine, la confidente de Lacordaire et Montalembert. De 1804 à 1815 il fut préfet des classes et professeur de philosophie au collège des nobles à Saint-Pétersbourg. A partir de 1815 nous le trouvons à Polotsk (gouvernement de Vitebsk), où il professe le dogme et devient doyen de la Faculté de Théologie. Dans une lettre du 28 juillet 1818, en réponse à sa soeur, on lit le passage suivant : « Vous me demandez quelles sont mes occupations ; depuis quatorze ans que je suis dans ce pays on m’a fait enseigner successivement la Rhétorique, la Philosophie, les hautes Mathématiques, le Droit civil, le Droit canon, la Théologie, l'Ecriture Sainte, et j’enseigne encore la Théologie ; je suis en outre chargé d’une correspondance très étendue ».

Les Jésuites, rétablis canoniquement en Russie de­puis 1801, y jouissaient de la paix, lorsque tout à coup un violent orage vint détruire en un moment les établissements qu’ils avaient formés dans cet empire. Parmi leurs élèves se trouvait un prince, Alexandre Galitzin, appartenant à l’une des plus illustres familles de Russie, et dont l’oncle était ministre des affaires étrangères. Ce jeune homme ayant embrassé la religion catholique, son oncle en conçut un si vif ressentiment, qu’il se mit à la tête de toutes les intrigues tramées contre la Compagnie de Jésus, et finit par obtenir de l’empereur Alexandre Ier l’expulsion des Jésuites. L’ukase qui les bannissait, daté du 15 décembre 1815, ne leur donnait que vingt-quatre heures pour quitter leurs maisons ; et cela au milieu du plus rigoureux hiver.

Les religieux furent dirigés sur Palotsk. Mais ce n’était pas assez pour assouvir la haine de leurs ennemis. Un journal russe, l' « Invalide », les attaqua avec violence, et publia contre eux toutes sortes de calomnies. Le Père de Rozaven reçut de son général la mission de venger ses frères des outrages dont on n’avait pas honte de les abreuver dans leur exil. Il le fit d’une manière triomphante. Sa réponse est un chef-d'oeuvre de logique et de clarté. Le ministre Galitzin ne permit pas qu’elle fût insérée dans l' « Invalide ».

Dans le courant de l’année 1817, et toujours dans le but de disculper son Ordre des odieuses et grossières imputations dont on ne se lassait pas de le charger, il publia une apologie courte et substantielle, sous ce titre : La vérité défendue et prouvée par les faits contre les calomnies anciennes et nouvelles. Cet écrit répond d'avance à toutes les diatribes qui ont été répétées depuis. Nous trouvons, dans une lettre du 24 juillet 1825, la pensée du P. de Rozaven, sur le but qu’il s’était proposé en publiant cet ouvrage : « Ce que vous me dites de ma petite apologie m’a fait plaisir. Je crois que ceux de nos ennemis qui voudront la lire deviendront moins ennemis ; mais ce sera le petit nombre ».

Une dame de beaucoup d’esprit m’écrivait dans le temps, de Saint-Pétersbourg : « Votre petit ouvrage est lu avec beaucoup d’empressement et de plaisir de tous ceux qui n’en ont pas besoin ; mais ceux à qui cette lecture serait vraiment utile n’en veulent pas ». Je suis charmé que vous ayez été plus heureuse, et que vous l’ayez fait lire même aux ennemis. Ceux qui trouvent mauvais que j’aie allégué le témoignage des papes n’y entendent rien et n'ont pas même compris le but de l’ouvrage, qui est pourtant assez clairement énoncé, savoir de prouver que le rétablissement de la Compagnie est utile à l'Église catholique. A qui donc appartiendra-t-il de prononcer sur ce qui est utile ou nuisible à l'Eglise, sinon au pape et aux évêques ? Je sais fort bien que le très grand nombre de nos ennemis en veulent tout autant à l'Eglise catholique qu’à nous, ou plutôt ne nous en veulent que parce qu’ils en veulent à l'Eglise ; et pour ceux-là le témoignage des papes sera sans doute de peu de poids ; mais aussi n’est-ce pas pour eux que j’écris. Je n’ai point l’intention de les convertir ; il faudrait les rendre chrétiens avant de les rendre amis de la Compagnie, et c’est d’une autre manière qu’il faut s’y prendre. Je n’ai voulu que dissiper les préventions de ceux qui, ayant de la religion, croient par légèreté ou par préjugé que les Jésuites avaient mérité leur suppression, et pour ceux-là l’autorité des papes est sans doute recevable. J’ai aussi voulu démasquer nos véritables et irréconciliables ennemis, qui, pour donner du crédit à leurs accusations contre nous, ont grand soin de séparer notre cause de celle de la religion, et ne cessent de répéter que ce n’est nullement à la religion, mais uniquement aux Jésuites qu’ils en veulent. En faisant voir l'accord parfait qui existe entre la Compagnie et les papes unis au corps des évêques, je les oblige bon gré mal gré à jeter le masque et à condamner avec nous les papes et toute l'Eglise. Dire du pape faisant l’éloge des Jésuites : « C’est un colonel qui défend son régiment », c’est jus­tifier la Compagnie, à moins qu’on ne regarde le pape comme un ennemi. Il n’y a sans doute pas de suffrage dont la garde royale soit plus jalouse que celui de son souverain, Est-ce donc l'autorité de Voltaire, de d'Alembert, que nous devons apporter pour nous défendre ? Ces messieurs servent aussi à notre défense, mais par le mal qu’ils disent de nous : car, comme le dit saint Jérome : « La haine des méchants n’est pas moins dési­rable que l’amour des bons ; elle est un témoignage éga­lement décisif ».

Il ajoute ensuite avec ce tact exquis et cette justesse d’appréciation qui ne lui faisaient jamais défaut :

« Que j’aime à voir votre enthousiasme pour M. de Maistre ! Je le partage entièrement, et je ne puis lire ses ouvrages sans rendre chaque jour un nouvel hommage à sa mémoire. Qu’il me paraît supérieur à M. de la Mennais ! Ce dernier me semble toujours dépasser la vérité. J’ai lu ses opinions sur la loi du sacrilège, sur celle des communautés religieuses et son dernier ouvrage. Je rends justice au talent de l’auteur ; il est entraînant, mais ma raison n’est jamais entièrement satisfaite. Ce ton tranchant, ces déclamations perpétuelles, ces prédictions sinistres, au lieu de conviction ne me laissent que du noir dans l’âme. Hélas ! je le sais bien, la législation est athée en France ; l’auteur n’a que faire de le prouver, mais est-ce au gouvernement qu’il faut s’en prendre ? si la masse du peuple est irréligieuse, peut-on lui donner des lois religieuses ? Le gouvernement peut répondre : Donnez-moi un peuple chrétien, je lui donnerai des lois conformes à la perfection de l'Evangile. Les Apôtres, au lieu de crier contre les gouvernements, ont travaillé à convertir les peuples ; et c’est là aussi, je crois, la marche qu’il convient de prendre en France, d’autant plus que le gouvernement paraît favoriser sincèrement les missions et toutes les oeuvres qui tendent au bien. Au lieu de crier si fort contre le gouvernement, ce qui ne fait qu’ajouter de nouveaux obstacles au bien qu’il voudrait faire, ne serait-il pas raisonnable que tout ce qu’il y a de gens sensés et bien pensants se réunissent pour le soutenir, l’encourager, louer le peu de bien qu’il peut faire et excuser même ses fautes ? Le zèle amer et indiscret ne fera jamais qu’empirer le mal et rendre le remède plus difficile. Voici en deux mots toute ma politique : c’est une absurdité de prétendre donner des lois religieuses à un peuple impie ; mais rendez le peuple chrétien, et le gouvernement, fût-il athée, sera forcé de lui donner des lois religieuses. Or, ce n’est point le gouvernement qui peut rendre le peuple chrétien ; c’est l’affaire des ouvriers évangéliques, et tout ce qu’on peut attendre du gouvernement est qu’il favorise cette sainte entreprise »

Jusqu’en 1820, les Jésuites purent rester dans la Russie blanche, où le R. P. général Brzozowski était retenu comme prisonnier par l’empereur. A la mort de ce Père, arrivée le 5 février 1820, les religieux sollicitèrent du czar la permission d'envoyer des députés à la congrégation générale, qui allait se réunir à Rome pour élire son successeur. Galitzin fit répondre à leur supplique par un décret d'expulsion.

A ROME.

Le P. Brzozozwski, en mourant, avait nommé vicaire général le P. Petrucci pour gouverner la Compagnie jusqu’à l’élection d’un nouveau général. La congrégation fut convoquée : c’était la vingtième, et la première depuis le rétablissement. Indiquée pour le 14 septembre 1820, elle ne s’ouvrit que le 9 octobre suivant. Le P. de Rozaven, qui y assistait en qualité de vice-provincial de France, rendit dans cette circonstance les plus importants services à son Ordre. Une intrigue s’était formée dans le but de modifier les constitutions dans plusieurs points essentiels. Sans comprendre peut-être toute la portée de cette intrigue, le P. Petrucci s’en était fait l’agent. Le P. de Rozaven contribua puissamment à déjouer une partie des trames, en hâtant par une initiative hardie l’arrivée des députés de la Pologne. Expulsé ensuite de la congrégation générale par Petrucci, sous prétexte que les députés de France et d'Angleterre n’étaient pas investis de pouvoirs réguliers, il y entra aussitôt, rappelé à la pluralité des voix, et déploya dans toute cette affaire délicate un tact et une fermeté dignes de sa haute réputation. Le P. Louis Fortis ayant été élu général le 18 octobre, le P. de Rozaven fut nommé assistant de France dès le premier scrutin du 23 du même mois. Une seule voix lui avait manqué pour être nommé général de l'Ordre.

Malgré ses immenses occupations, le P. de Rozaven trouvait le temps de suivre toutes les questions de doctrine qui s’agitaient dans l'Eglise. Son esprit sûr et pénétrant n’a jamais manqué de signaler l’erreur, quelque déguisée qu’elle fût.

Dans le courant de 1821, l'abbé Baston, docteur de Sorbonne, et ancien vicaire général de Rouen, avait cru devoir réclamer contre certains passages de l’ouvrage de M. de Maistre, qui a pour titre : Du Pape. Le P. de Rozaven, sans prétendre décider les grandes questions qui étaient la matière du livre, prit la défense de l’ouvrage incriminé. Il prouva que l’auteur n’avait pas toujours aussi mal raisonné que M. Baston le supposait, et il le fit d’une manière péremptoire. « Sa brochure, dit un critique, respire la modération, la politesse et le sang-froid qui devraient toujours présider à ces sortes de discussions ». Dans le même temps, il écrivait contre les Considérations sur la doctrine et l'esprit de l'Eglise orthodoxe, publiées en 1816 par un jeune Russe nommé Alexandre de Stourdza. L’ouvrage de l’écrivain schismatique était dirigé contre l'Eglise catholique et parut à l’époque de l’expulsion des Jésuites de la Russie. L’ignorance étrange de l’auteur sur plusieurs points de l’histoire ecclésiastique prêtait le flanc à la critique. Le P. de Rozaven donna de ce livre une réfutation victorieuse. Le célèbre comte Joseph de Maistre, dans une lettre très affectueuse écrite au P. de Rozaven le 16 mai 1817, exprime le regret de n’avoir pu encore lui envoyer l’ouvrage de Stourdza, dont il qui signale les défauts et qu’il apprécie à sa juste valeur.

Quelques années plus tard, l’apparition du Système philosophique du trop célèbre abbé de La Mennais vint lui offrir une nouvelle occasion de signaler la justesse de son esprit, et son zèle dans toute cette controverse. Il écrivit même alors divers articles pleins de sagesse et de logique, qui parurent dans l'« Ami de la Religion » et qu’il signait R., de la lettre initiale de son nom, ou J.-L., Jean-Louis. Mais il s’attacha surtout à réfuter un écrit publié à cette époque, et qui avait pour titre : Des doctrines philosophiques sur la certitude, dans leurs rapports avec les fondements de la théologie. Il en fit un Examen sérieux et approfondi imprimé pour la première fois vers la fin de 1831. La science théologique, la solidité des raisonnements, le nerf et la vigueur y sont réunis à un égal degré. Un ecclésiastique, très bon juge dans ces sortes de matières, M. Deplace, curé de Saint-Louis de Lyon, disait que cet Examen n’était pas seulement un livre de circonstance, mais un ouvrage classique qu’on devrait mettre entre les mains de tous les jeunes gens qui étudient la théologie. — L’ «Ami de la Religion » a consacré deux articles au compte-rendu de la première édition de cet ouvrage (t. LXX, p. 481 et 593). Le second article est terminé par ces paroles remarquables : « Tout se réunit pour donner plus de poids aux observations du P. de Rozaven, les connaissances théologiques de l'auteur, son talent pour la discussion, la clarté de son style. Il n’y a rien d’ambitieux, rien d’outré dans son langage, comme il n’y a rien d’amer, ni de violent dans sa critique ; et puis, ce qui est désespérant pour ses adversaires, c’est qu’il n’y a pas moyen de s’en tirer avec lui, comme on l’a fait avec tant d’autres auxquels, pour dernier argument, on a donné l’épithète de Gallicans. Il serait aussi par trop ridicule d’appliquer cette qualification à un théologien qui a écrit à Rome avec l'approbation du Maître du sacré palais ». On retrouve dans son ouvrage ce ton de modération et d’urbanité qu’il savait conserver au milieu même des ardeurs de la polémique ; et c’est l’esprit qu’il désirait inspirer aux membres de sa compagnie dans ces sortes de débats : « Les disputes, écrivait-il le 12 octobre 1821 au P. Richardot, provincial de France, les disputes ne font que piquer et aigrir les esprits. Des discussions pacifiques, où l’on ménage l’amour-propre et la délicatesse, sont des moyens plus sûrs. Il faut réserver toute sa chaleur pour combattre les ennemis de la religion et de l'Église ». Quant à l'Examen des doctrines philosophiques, etc., il obtint un tel succès que, dès l’année 1833, l’auteur se trouvait dans la nécessité d’en donner une seconde édition.

Le savant religieux menait à Rome une vie très occupée. Outre sa charge d’assistant de France, il remplit encore pendant plusieurs années celle de professeur de théologie ; les étudiants qui ont entendu ses leçons parlent avec admiration de cette justesse d’esprit, de cette fermeté de jugement qui allait droit au but, et qui, sur chaque question, envisageait et résolvait avec lucidité le noeud de la difficulté. Il était aussi consulteur de diverses congrégations, et il passait un temps considérable au saint tribunal. On évalue de onze à douze mille le nombre des confessions qu’il entendait chaque année ; quelquefois même ce chiffre a été dépassé. On voyait son confessionnal, placé près de la balustrade du maître-autel dans l’église du Gesû, presque toujours entouré de nombreux fidèles dont dirigeait la conscience. Ceux qui recouraient à ses lumières le trouvaient toujours disposé à les écouter avec bienveillance, à les aider de ses conseils ; et jusque dans l'âge le plus avancé, il le fit avec une netteté de vues qui attestait toute la vigueur et l’énergie de ses facultés intellectuelles.

Le Père de Rozaven fut tour à tour en relations avec Dom Guéranger, Louis Veuillot, Madame Barat et Montalembert.

Arrivé à Rome le 25 mars 1837 pour y faire approuver par le Pape les Constitutions des Bénédictins français dont il projetait la fondation, Dom Guéranger fut bientôt présenté à Mgr. Sala, préfet de la Congrégation des évêques et réguliers. Il lui exposa sa requête, et le prélat désigna comme consulteur dans cette affaire le Père de Razaven. Malgré le bon accueil dont il avait été l’objet de la part de Mgr. Sala, le Prieur de Solesmes ne se faisait point illusion sur les difficultés de l'entreprise. Il passait pour gallican et janséniste auprès des Romains et le Père de Rozaven le croyait imbu des idées de Lamennais.

Le 11 avril Dom Guéranger fut reçu par le pape Grégoire XVI. Le P. de Rozaven l’avait précédé à l’audience pontificale, lui assurant auprès du pape un accueil favorable. Celui-ci, très gracieux, donna cependant une indication au Prieur de Solesmes : ne vaudrait-il pas mieux, dans l’affaire en cause, faire abstraction de l’ancienne Congrégation de Saint-Maur, infectée de jansénisme et de gallicanisme ? Sur l’avis de personnes très sûres, D. Guéranger renonça au titre de Congrégation de Saint Maur et décida que la nouvelle institution serait connue sous le nom de Congregatio gallica.

L’affaire fut bientôt confiée à une Commission de six cardinaux. Trois d’entre eux, notamment le cardinal Sala, étaient déjà acquis à la cause de Solesmes. Très affectueusement dévoué à la même cause, le P. de Rozaven donna un avis favorable au corps des Constitutions qui avaient déjà été présentées à la Congrégation des évêques et réguliers. Le savant religieux répondait par avance à toutes les objections. Assurément le monastère de Solesmes était de fondation récente, mais ne devait-il pas être la mère des autres maisons de la Congrégation, n’était-il pas dès lors légitime de lui reconnaître l’autorité maternelle, en l'honorant immédiatement du titre d'abbaye ? Pourquoi d’ailleurs vouloir refuser à l’abbé de Solesmes le droit d’être nommé à vie ? La perpétuité des abbés n’était-elle pas précisément la pensée de saint Benoît et un élément de sa règle ?

Grâce à l’habileté et à la prévoyance du P. de Rozavon, l’affaire entra dans unie voie heureuse, et le 9 juillet 1837, D. Guéranger annonça à ses moines la bonne nouvelle : il était abbé de Solesmes et ses constitutions avaient l'approbation de Rome (Dom Guéranger, abbé de Solesmes, par un moine bénédictin de la Congrégation de France, Paris, Plon-Nourrit, T 1, p. 177 ssq.).

Quelques mois plus tard le Père de Rozaven rencontrait à Rome Louis Veuillot. Celui-ci venu en incroyant visiter la capitale du monde catholique, écrivait à son frère Eugène, le 19 mars 1838 : « Je te dirai qu’il se passe en moi, depuis mon arrivée à Rome, quelque chose d’assez grave et d’assez sérieux. J’ai vu un homme d’une très haute supériorité dont les paroles m’ont grandement ému : c’est un jésuite français et l’un des hauts personnages de son Ordre, qu’on appelle le Père Rozaven. Nous avons eu de longues conférences, nous en aurons encore ; je ne sais quel en sera le résultat. Dans tous les cas, j’espère sortir d’incertitude... ». Treize jours plus tard, Veuillot revoyait le Père Rozaven dans sa cellule du Gesû : « Ah ! mon Père, lui dit-il, je suis bien malheureux ! »« Parlez mon enfant, ré­pliqua le saint religieux ». — « Si je lui fis des objections, dit Louis Veuillot, elles furent courtes, et je ne me les rappelle pas ; je n’en avais plus à faire. Tout ce que je me rappelle de cet instant, c’est le sourire du saint religieux, mes larmes et mon bonheur. Je ne me confessai point pourtant ce jour-là. Le Père, voulant que je puisse me préparer à un acte si sérieux, remit à m’entendre au surlendemain, et je le quittai, ayant promis de revenir, mais moins engagé par ma parole encore que par mon coeur ».

Deux jours plus tard, le Vendredi-Saint, Veuillot se confessait.

Quand il quitta l'Italie pour revenir en France, le Père Rozaven le bénit, en lui disant : « Il faut vous distraire ; il faut jouir de l'Italie. Que le chrétien ne gène pas l’artiste ; ne vous préoccupez pas trop de l’avenir, et, surtout, ne prenez envers vous aucun engagement précis. Quand vous aurez bien prié à Lorette, quand votre âme possédera la paix, il sera temps de voir par quels travaux, dans quelles conditions vous devez servir l'Eglise » [Note : Louis Veuillot, par Eugène Veuillot, 10ème  édition, Paris, Victor Retaux, T. 1, p. 123, ssq. — Voir aussi Louis Veuillot, Rome et Lorette, Tours, Mame, 1869, p, 81-175].

Louis Veuillot s’était converti en 1838. Quelques années plus tôt, Mme Barat, fondatrice des Dames du Sacré-Coeur, venait à Rome pour y créer un noviciat. Ses vues cadraient à cet égard avec celles du Père de Rozaven, qui devint bientôt le directeur de la sainte religieuse. Au moment où Lamennais quittait Rome, le Père de Rozaven demanda à sa pénitente de mettre ses filles en garde contre le prosélytisme des derniers sectateurs de cet esprit plein d’orgueil.

En 1840 se tint à Rome le Conseil général de la Société du Sacré-Coeur. Sous l’influence du Père de Rozaven et de quelques-uns de ses confrères, plusieurs décrets furent ajoutés aux Constitutions de la Société. Ils avaient pour objet d’assimiler le Sacré-Coeur à la Compagnie de Jésus et exigeaient, en conséquence, la translation à Rome de la maison-mère qui se trouvait à Paris. Ces innovations suscitèrent en France un vif émoi, et on en rendait responsable le Père de Rozaven. A quoi Mme Barat répondait : « C’est une calomnie. Cet homme si respectable par son âge et ses immenses travaux qu’il a consacrés au bien de la religion ne méritait pas de si injustes reproches. Il ne fut que le rédacteur des articles incriminés ». Mgr. Affre, archevêque de Paris, se prononça aussi contre les nouveaux décrets, mais il fut désavoué par Rome. Puis ce fut au tour du gouvernement français de se mettre dans l'opposition. Consulté à ce moment par Mme Barat, le Père de Rozaven gardait un silence prudent. Grâce à l'intervention du cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, une décision de Grégoire XVI du 9 mars 1843 abrogea les changements introduits dans les Constitutions du Sacré-Coeur par le Conseil romain de 1840 [Note : Mgr. Baunard, Histoire de la Vénérable mère Madeleine Sophie Barat, Paris, T. II, p. 61 ssq., 113 ssq.].

Le 2 mai 1845 la Chambre française des Députés votait l'expulsion des Jésuites. Comme ceux-ci se préparaient à la résistance, M. Guizot, peu soucieux d’user de violence à leur endroit, imagina d’obtenir de Grégoire XVI leur dissolution ou leur dispersion. Il députa à Rome, à cet effet, l'Italien Rossi. Le Père de Rozaven, dans une lettre du 28 juillet 1845 à Montalembert, parle de la mission de cet agent : « Membre de cette compagnie que vous avez, monsieur le comte, si souvent et si éloquemment défendue, je me sens pressé de vous écrire, non pour vous exprimer la reconnaissance qui est si vive dans mon coeur et dans celui de mes confrères, mais pour vous mettre, autant qu’il me sera possible, bien au fait de l’événement qui occupe en ce moment tous les esprits ». Le P. Rozaven narre ensuite longuement d’arrivée à Rome de M. Rossi, l’accueil plein de réserve qu’il reçoit d’abord, ses démarches, ses intrigues, ses promesses et ses menaces. Il nous montre ce personnage cherchant tour à tour à persuader et à émouvoir (Lacanuet, Montalembert, Paris, De Gigord, 1919, T. II, p. 260 ssq.).

Rossi mena sa mission à bon terme et les Jésuites reçurent bientôt de leur général, le P. Roothan, l'ordre de se disperser et de laisser passer la tourmente.

On voit, par ce qui précède, de quelle influence considérable jouissait à Rome le P. de Rozaven, assistant de France. Cette influence, Mgr. de Poulpiquet, évêque de Quimper, se plaisait à la reconnaître dans une lettre qu’il écrivait, en 1839, à l’éminent religieux, pour lui demander d’appuyer la demande qu’il faisait d’un établissement de Jésuites à Quimper : « Je vous assure, dit le prélat, que j’ai une pleine confiance que cette affaire entreprise pour la gloire de Dieu aura un heureux succès. Je pense que vous ne pouvez manquer d’intercéder fortement pour un diocèse auquel vous appartenez par votre naissance et que vous emploierez tout votre crédit pour répondre au voeu le plus empressé d’un évêque ».

Le P. de Rozaven avait vécu au milieu de révolutions ; Dieu permit que sa vieillesse fût encore troublée par les agitations de la politique. On sait que les révolutionnaires romains préludèrent en 1846, par des attaques contre les Jésuites, aux outrages dont ils devaient un peu plus tard abreuver le Souverain Pontife [Note : A la suite du meurtre de Rossi (15 septembre 1848), l'émeute se déchaîne à Rome. Pie IX se réfugie à Gaète le 24 novembre. Rome est prise par les Français le 3 Juillet 1849, et Pie IX y rentre le 12 avril 1850]. Ces attaques furent si violentes que le R. P. général et ses assistants se virent contraints de quitter la maison du Gesû. Le P. de Rozaven se retira d’abord au sein d’une respectable famille française qui habitait Rome. Il y fut inquiété et alla se réfugier à Naples. De là il vint en France retrouver le P. général qui s’était rendu à Marseille ; et tandis que le chef de la Compagnie profitait du temps de son exil pour visiter les maisons de son Ordre en France, en Belgique, en Angleterre et en Irlande, le P. de Rozaven s’acheminait vers la Bretagne, son pays natal.

De Paris il écrit, le 4 octobre 1848, à sa nièce, Mme de Vincelles, une lettre qu’il termine ainsi : « Je vous embrasse tous de bien bon coeur, soeur, neveux, nièces, petits-neveux, petites-nièces, jusqu’à Achille et vous renouvelle ma bénédiction en implorant celles du ciel, afin qu’aucun de vous n’oublie jamais la fin heureuse à laquelle nous sommes destinés ; souvenez-vous bien aussi de moi qui ai grand besoin de prières et qui ne fais plus que végéter sur cette terre. Voilà que notre bonne France va donner asile à Notre Saint Père, tous les bons catholiques doivent regarder cet événement comme un gage des miséricordes divines ».

Les lettres adressées par le P. de Rozaven à sa famille sont en très petit nombre et à de longs intervalles, mais toujours empreintes d’une grande affection pour les siens, auxquels il s’intéresse beaucoup. Chaque fois, il demande des nouvelles de tous sans exception, ne voulant nommer personne dans la crainte d’oublier quelqu’un, soit un neveu ou un petit-neveu. Constamment il remercie la divine Providence de l'avoir protégé dans les circonstances difficiles où il s’est trouvé, et il se réjouit des bonnes nouvelles qu’il reçoit des siens, leur recommandant de se préparer par une existence pieuse à la vie future à laquelle nous sommes tous appelés [Note : Je dois ces renseignements à l’obligeance de M. de Leissègues Rozaven, ancien magistrat, qui a bien voulu me donner communication des lettres de son grand-oncle. (H. P.)].

Il y avait beau temps déjà que le P. de Rozaven comptait revoir son pays. Quand en 1821 il fut nommé assistant de France à Rome, ce fut un peu malgré lui, car il écrivait le 7 janvier que ce témoignage de confiance et d’estime, auquel il était sensible, exigerait sa présence habituelle auprès du général, tandis qu’il avait espéré rentrer en France après l’élection. Quand à Rome il enseignait la théologie aux scolastiques de toutes les Provinces de la Compagnie, il avait de temps à autre la nostalgie du pays natal et au Père Gury il disait en confidence : « Je me croirais en paradis si l’obéissance m’envoyait faire une classe de logique à Sainte-Anne d'Auray ».

L’arrivée du P. de Rozaven à Quimper fut pour sa soeur et pour ses neveux un jour de fête. Ils l’invitèrent à prendre son logement chez eux. « J’accepterais bien volontiers votre offre, leur répondit le pieux vieillard si nous n’avions pas de maison ici ; mais nous en avons une, c’est là que je dois demeurer : la règle avant tout ». Pendant les treize jours qu’il passa dans cette ville, ses nombreux parents le pressèrent de s’y fixer pour terminer au moins ses jours en paix. « Non, non, répondait-il invariablement, je dois d’abord rester auprès du R. P. général, c’est le devoir de ma charge ; puis je retournerai à Rome ; car c’est dans cette ville que je dois terminer ma carrière, ainsi que me l’a prédit maintes fois ma pieuse mère de sainte mémoire ».

Il partit pour Bordeaux, visita à peu près toutes les maisons de la Compagnie en France et rejoignit à Marseille le R. P. général.

Rentré à Rome en mars 1850, après avoir passé en Sicile et à Naples, il n’y jouit pas longtemps de la consolation qu’il ressentit en reprenant dans la ville éternelle le cours de ses occupations ordinaires.

Vers le 10 mars 1851, le P. de Rosaven avait été forcé, pour la première fois de sa vie, de garder le lit pendant plusieurs jours de suite. Une tumeur considérable, qui commençait à suppurer, s’était manifestée à l’un de ses genoux. Il parut entrer en convalescence au bout de quelques jours, et il eut la consolation de célébrer les saints mystères, l’avant-veille, le jour et le lendemain de la fête de l'Annonciation de la sainte Vierge. Déjà même on se livrait à l’espoir d’une entière guérison, lorsque le 26, une heure environ après qu’il eut dit la Messe, la fièvre reparut. Depuis ce moment, chaque jour signala un affaissement progressif. Il reçut le Viatique dans la nuit du 30 au 31, l'Extrême-Onction le soir de ce dernier jour ; et le 2 avril, vers quatre heures et demie après-midi, il s'endormait paisiblement dans le Seigneur. Dès la première atteinte du mal, il avait eu le pressentiment de sa mort prochaine ; il disait à son confesseur qu’il fit appeler aussitôt : « Il ne faut pas me donner d’illusion ; je sens au fond de l’âme une réponse de mort », et avec la simplicité d’un enfant, il avait fait la confession générale de toute sa vie. Il nous a constamment édifiés, écrit un témoin oculaire de cet heureux trépas, il nous a constamment édifiés par sa patience, sa conformité à la volonté de Dieu, et l'esprit de foi qu’on avait remarqué dans toute sa conduite. Il a vu approcher sa fin sans aucun regret de la vie et plein de confiance dans l’infinie miséricorde du Sauveur. Il fondait aussi son espoir sur la puissante protection de la très sainte Vierge. Les services nombreux qu’il avait rendus à la cause de l'Eglise durant sa longue carrière ne semblaient alors d’aucun prix, d’aucun mérite à ses yeux.

Ses obsèques eurent lieu le 3 avril. Le R. P. général dit la Messe et fit l'absoute. Des larmes coulaient des yeux d’un grand nombre d’assistants. Après la cérémonie, le corps du vénérable défunt, le visage découvert, selon l'usage, fut exposé vis-à-vis de la Chapelle de saint François-Xavier, en face de ce confessionnal, où de si nombreux pénitents étaient accoutumés à trouver auprès de lui la paix avec le pardon de leurs fautes. On eût dit que la mort avait répandu sur ses traits une nouvelle jeunesse. Rien de touchant comme de voir beaucoup de gens du peuple, de pauvres femmes, des princes et des princesses romaines venir baiser la main de ce simple religieux, en témoignage de vénération et de filiale reconnaissance.

NN. SS. les évêques de Dijon et de Beauvais qui se trouvaient à Rome, et plusieurs ecclésiastiques distingués vinrent prier devant le corps. D’autres célébrèrent la Messe, dans l'église du Gesû pour le repos de son âme. Un prélat français, attaché à la cour romaine, lui appliquait ce vers si connu : Mon Dieu j’ai combattu soixante ans pour ta gloire.

Le P. de Rozaven fut en effet forcé de quitter la France par la première Révolution en 1792, et il est mort en 1851.

On ne lira pas sans intérêt les lignes que l' « Univers » a consacrées à la mémoire de cet homme vénérable dans son numéro du 12 avril 1851 : « La Société de Jésus et l'Eglise viennent de faire une grande perte. Le R. P. de Rozaven, assistant de la Compagnie pour les Provinces de France, est mort au Gesû le 2 avril. Nous ne voulons pas nous étendre sur la vie de ce vaillant défenseur de la vérité catholique, de ce saint prêtre, qui pendant plus d’un demi-siècle a honoré la Société qui l’avait admis dans son sein et l'avait même élevé aux charges les plus importantes. Nous ne voulons rappeler ni cette sainte sévérité contre les doctrines suspectes, ni cette tendre charité pour les personnes, ni ce zèle pour le salut des âmes, ni ces années passées au fond de la Russie, ni la confiance dont les grands de la terre et les Souverains Pontifes eux-mêmes entouraient sa docte vieillesse, ni ces journées passées au confessionnal à entendre les pauvres et les petits, ni les travaux de cette intelligence droite et que l’erreur ne pouvait entamer. Nous savons qu’une plume plus habile s’apprête à révéler au monde les secrets de cette existence de plus de quatre-vingts années toutes consacrées à Dieu et à ses frères. Lorsqu’il partit pour son dernier exil, il y a trois ans, son seul regret était de ne pas mourir dans sa cellule du Gesû, où il demeurait depuis trente-huit ans et qu’on venait de blanchir à neuf. Dieu ne lui a pas refusé cette consolation. Après avoir revu une patrie et une famille qui n’avait jamais cessé de lui être chères, il lui a été donné de revenir en cette cellule, à cette église, à ce confessionnal avec lesquels il semblait s’être identifié. Il avait retrempé dans les souvenirs, dans les charmes du sol natal sa verte vieillesse, et l’on pouvait croire que Dieu lui réservait encore de longs jours et de longs travaux. Mais sa vie était pleine d’œuvres ; il avait combattu le bon combat ; la couronne l’attendait ».

« C’était, dit à son tour Mgr. Dupanloup, un homme excellent, la bonté même ; c’était aussi un puissant esprit, et, pour ma part, j’oserais dire que depuis Bossuet, l'Eglise de France n’a pas possédé un théologien plus consommé. Sa gloire, qui aurait pu être éclatante devant les hommes, s’est perdue, ou plutôt elle a recueilli ses rayons dans la sainte humilité d’une vie toute cachée en Dieu. Le bien qu’il a fait ne peut se mesurer » [Note : Correspondance du R. P. Lacordaire et de Madame Swetchine, par le comte de Falloux. Paris, Didier et Compagnie 1884, p. 64].

Travaux du P. de Rozaven [Note : D’après Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Paris, Picard, 1896, T. VII, col. 264-267. Le P. Rozaven, ne sachant pas le polonais, faisait traduire ses articles par un de ses confrères].

Travaux du P. de Rozaven, natif de Locronan

 

 

 

 

Travaux du P. de Rozaven, natif de Locronan

   

Monseigneur Sauveur (1786-1863).

Né à Locronan le 13 mai 1786, François Sauveur reçut la prêtrise de 9 juillet 1810 et fut aussitôt nommé vicaire à Morlaix. Curé du Faou dès le 25 septembre 1817, il devint curé de la cathédrale le 16 février 1824, chanoine titulaire et vicaire général de Mgr. de Poulpiquet le 1er mars 1829. A la mort de l’évêque (avril 1840), il fut choisi par le Chapitre avec trois de ses confrères, pour administrer le diocèse. Sous Mgr. Graveran (1840-1855) il fut encore vicaire général, et assista, en qualité d'Archidiacre au synode ouvert à Quimper le 22 septembre 1851. A la mort de Mgr. Graveran, il devint Vicaire capitulaire (1er février 1855). Un an plus tard (12 février 1856) il était nommé Protonotaire apostolique « ad instar participantium ». Il mourut le 1er septembre 1863.

 

Monseigneur Coadou (1819-1890). [Notes bio-bibliographiques dans les Missions catholiques XII. 1880, p. 350, 414, 560 ; XIV, 1882, p. 373 ; XVIII, 1886, p. 579 ; XIX, 1887, p. 136 ; XX. 1888, pp. 121, 337, 613 ; XXII, 1890, pp. 268, 484. — Voir aussi la Semaine religieuse de Quimper, 1890, pp. 749-754].

Jean-Yves-Marie Coadou, premier évêque de Mysore, naquit à Locronan le 18 janvier 1819. Garçon boulanger dans sa paroisse natale, il lisait assidûment, à la lueur de son four, les « Annales de la Propagation de la Foi ». C’est alors qu’il se sentit appelé par Dieu à procurer sa gloire dans l'oeuvre des missions.

Ayant fait ses études au Petit Séminaire de Pont-Croix et au Grand Séminaire de Quimper, il entra sous-diacre au Séminaire des Missions Etrangères de 10 mai 1844, fut ordonné prêtre le 17 mai 1845, et partit le 29 mai suivant pour la Mission Malabare divisée cette même année ; il fut alors affecté au Maïssour, érigé le 3 avril 1850 en Vicariat Apostolique.

Il administra successivement les chrétientés de Settihalli, Shimoga, Virajendrapet, et dirigea quelque temps le Séminaire. On lui confia ensuite la paroisse Saint-François-Xavier, à Bangalore. Nommé aumônier du Bon-Pasteur dans cette même ville, il en remplit les fonctions pendant plus de vingt ans, et s’occupa avec sollicitude des différentes oeuvres de cette maison. — Provicaire en 1874, il fut, après la mort de Mgr. Cheva­lier, élu le 20 août 1880 évêque de Chrysopolis, vicaire apostolique du Maïssour, et sacré par Mgr. Laouénan le 10 octobre de la même année, à Bangalore.

Sous son administration et avec son concours, s’établirent des œuvres importantes ; — à Bangalore : arrivée des religieuses de Saint-Joseph de Tarbes et leur installation à l'hôpital Bowring (1882) ; fondation de leur couvent et de leur école (1886) ; fondation en 1884 de l’hôpital Sainte-Marthe par les religieuses du Bon-Pasteur ; reconstruction sur un plan plus vaste du Collège Saint-Joseph ; — à Mysore : développement du couvent du Bon-Pasteur ; entrée en 1885 des religieuses de Saint-Joseph à l'hôpital de la ville ; — à Somanhally : installation d’un orphelinat agricole.

Vers 1885, il s’entendit avec le Vicaire Apostolique du Coimbatour, Mgr. Bardou, sur une nouvelle délimitation de leurs missions. Cette délimitation, qui reçut l’approbation de Rome, donna au Coimbatour la partie du district civil des Nilgiris qu’il n’avait pas encore, et au Maïssour, la région du Collégal, où l'on parle le Canara.

Lorsque Léon XIII, par la Bulle « Humanae salutis » du 1er septembre 1886, établit la hiérarchie ecclésiastique dans l'Inde, le Maïssour fut érigé en diocèse suffragant de Pondichéry. Par le Bref « Apostotatus Officium », du 25 novembre suivant, Mgr. Coadou fut nommé évêque de Mysore, avec résidence à Bangalore.

Le concile des évêques du sud de l'Inde se tint à Bangalore le 25 janvier 1887, sous la présidence du délégat apostolique, Mgr. Agliardi, qui proclama solennellement l’établissement de cette hiérarchie.

Mgr. Coadou mourut à Bangalore, le 14 septembre 1890, et fut enterré dans l’église cathédrale, dédiée à saint Patrick.

ARMES : D’or à l'Immaculée Conception au naturel. (Type de la Vierge de la médaille miraculeuse). DEVISE : Monstra te esse matrem.

 

M. le chanoine Coadou (1821-1896).

Né à Locronan en 1821, Jean-Guillaume Coadou, frère de Jean-Yves-Marie Coadou, fut ordonné prêtre en 1845. D’abord professeur au Petit Séminaire de Pont-Croix il dut, à cause de sa mauvaise santé, quitter cet établissement et fut précepteur pendant quelques années ; puis il devint, en 1855, Recteur de sa paroisse natale. En 1863, Mgr. Sergent le nomma aumônier de la communauté de l'Adoration. En 1871, il devint chanoine titulaire, chargé de la rédaction de l'Ordo diocésain. Breton entêté, il quitta, dit-on, un jour le chœur en même temps que le doyen M. de Calan, pour ne pas s’associer à ce qu’il croyait une faute de rubrique. Il mourut le 11 juillet 1896, six ans après l’évêque, son frère (Voir Semaine Religieuse, 1896, pp. 451-452).

(Archives du diocèse de Quimper et de Léon).

© Copyright - Tous droits réservés.