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SCÈNES DE LA VIE MUNICIPALE A LESNEVEN.

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I.- LESNEVEN.

La petite ville de Lesneven est située au fond de la Bretagne, dans la partie du Finistère qu'on appelle le Léonnais. Elle est à peu près à six lieues de Brest, à quatre lieues de Landerneau, à sept lieues de Saint-Pol-de-Léon, l'ancienne résidence des évêques du pays, et à deux lieues de la Manche, que l'on aperçoit par la trouée de Kerlouan. Il n'y a aucun monument curieux à Lesneven, mais seulement quelqnes maisons importantes. L'église n'a de remarquable qu'une vieille cloche couverte d'inscriptions bretonnes et venue de l'ancienne église de Notre-Dame ; le collège est un ancien couvent de Récollets, fondé en 1628 par Jacques Barbier de Lescouët, propriétaire du Kerno et capitaine de Lesneven ; c'est vers 1886 un des collèges communaux les plus considérables de France par le nombre de ses élèves ; la Retraite a servi autrefois d'hôpital maritime après avoir été un convent d'Ursulines : les pieux Bretons hommes et femmes, y viennent, chacun leur tour, faire une retraite de huit jours ; les bâtiments peuvent contenir de cinq à six cents pesonnes ; l'hospice, fondé au moyen âge et plusieurs fois changé de place, se trouve en face du cimetière, où l'on peut voir un « Bon Pasteur », en marbre blanc, du sculpteur Buors, le seul artiste, peut-être, qu'ait vu naître Lesneven ; enfin, les vieilles halles ne sont remarquables que par leur aspect antique ; elles furent construites pour la première fois, au commencement du XVIIème siècle (1617) et ont été depuis incendiées plusieurs fois.

Les étrangers qui se montrent à Lesneven sont peu nombreux : ce sont des promeneurs qu'attire la belle église du Folgoët, des baigneurs qui se rendent à la plage charmante de Brignogan, des parents qui viennent voir tours enfants au collège, et des habitants des bourgs voisins, qui sont amenés par leurs affaires chez l'un des quatre notaires ou chez l'un des six marchands de vins de la ville.

Un jour seulement par mois, Lesneven semble retrouver sa vie active d'autrefois et redevenir ce qu'elle était encore au XVIIIème siècle, la ville la plus importante du Léonnais. C'est le jour de la foire, le dernier lundi de chaque mois. Dès le matin, les halles et la place de l'Eglise se couvrent de bancs et de tables sur lesquels les marchands disposent des articles de toutes sortes, des draps, des laines, de la toile, des quincailleries, des graines, voire même du lard, de la viande de boucherie, du pain de toutes les couleurs, de toutes les formes et sans doute de tous les goûts. Peu à peu, marchands et paysans arrivent, les premiers entassés avec leurs marchandises dans de longues voitures couvertes, les seconds sur de grosses charrettes ou dans des voitures mal suspendues, ou encore à pied, les hommes le bâton à la main, et les femmes brochant de toute la rapidité de leurs doigts. A onze heures, la circulation est rendue difficile par le nombre des chevaux, des vaches, des porcs, des moutons, des charrettes et des voitures qui vont chacune dans leur sens. A midi, les jours de grandes foires, il y a des endroits où l'on se porte pour ainsi dire les uns les autres. Sur tous les marchés cette foule nombreuse remue, se bouscule, s'appelle, qui en français, qui en breton, et la voix de tout le monde se mêlant aux disputes des marchands et aux cris des animaux, on finit par ne plus s'entendre. Mais vienne à sonner l'angelus, le bruit cesse dans quelques groupes de vieux Bretons bretonnants : les femmes se recueillent, les hommes quittent leur bonnet bleu, et tous ensemble disent pieusement leur prière, sans plus de respect humain que s'ils étaient seuls an milieu de leurs champs. La foire ne commence pas de bonne heure le matin ; mais, en revanche, elle se termine tard le soir : il fait déjà noir que de nombreux paysans sont encore à Lesneven et remplissent les nombreux cafés de la ville.

Cette ville endormie, qui ne se réveille qae le dernier lundi de chaque mois, où afflue dans ses rues toute la population des alentours, était autrefois plus fréquentée et plus souvent visitée. Sans remonter aux temps légendaires du comte Even, son fondateur, à l'époque où les seigneurs de Léon y tenaient leur cour, comme plus tard quand il fut bailliage royal, Lesneven avait une splendeur qu'il n'a plus, et que ne lui rendra pas sans doute le chemin de fer projeté entre Saint Pol-de-Léon et Brest.

Au moyen âge, les chevaliers bardés de fer (il y en avait deux au château et 21 écuyers) passaient à cheval dans ses rues avec leurs écuyers ; les châtelaines s'y promenaient avec leur suite de femmes et de pages ; quelques-unes même s'y mariaient, comme Mahaut « la comtesse » fille d'Hervé de Léon (1318), Jeanne sa sœur aînée, qui épousait le vicomte de Rohan (1322) et la petite Amice du Refuge de Kernazret, qui avait pour dot vingt livres de pension et cinquante francs d'Argourou ou de présents de noces. Les ducs et duchesses de Bretagne s'y montraient de temps en temps, attirés par le Folgoët, où ils venaient en pèlerinage. Anne de Bretagne devenue reine de France y vint deux fois, en 1505 et en 1506, et à son dernier voyage elle y passa huit jours.

La « bonne duchesse » a dû voir l'apogée de la prospérité de Lesneven. Depuis ce temps, l'importance de la ville ne s'est plus accrue. Les comtes, ducs, les reines surtout ne s'y montrent plus : les officiers royaux ont pris leur place. Mais Lesneven a encore sa noblesse, son couvent des Récollets, son couvent des Ursulines, sa cour qui juge le pays de Lesneven, de Brest et de Saint-Renan, ses magistrats, ses avocats, et parfois une petite garnison. De temps en temps encore, elle reçoit la visite de personnages importants les évêques de Léon et les gouverneurs de Bretagne viennent y montrer leur luxe et y donner le spectacle de leurs suites bruyantes et nombreuses, ou bien les députés qu'elle a envoyés aux États de Chateaubriand, d'Ancenis, de Nantes, de Saint-Brieuc, rentrent dans la ville et leur retour est une fête pour leurs compatriotes. Si les Lesneviens qui dorment dans le vieux cimetière de Notre-Dame, au haut de la rue de la Vierge, ou ceux mêmes qui reposent depuis 1790 dans le cimetière voisin de l'hospice venaient à se réveiller, ils ne reconnaîtraient plus la ville qu’ils ont habitée dans la ville d'aujourd'hui si morne, si triste, si solitaire, si abandonnée de tous ceux qui voyagent, et ils se croiraient heureux d'avoir vécu dans un temps où Lesneven avait des fêtes et des spectacles et où l'ennui devait être moins commun.

Ce sont quelques-unes des scènes qu'ont vu les Lesneviens d'autrefois que nous allons essayer de peindre ici. Nous ne remonterons pas au jour où Lesneven était dans sa splendeur et se vantait d'être « la Reine du Léon » ; nous l'étudierons aux derniers jours de son importance, quand déjà la ville naissante de Brest commence à lui faire tort, au XVIIIème siècle, sous le règne de Louis XV et surtout sous celui de Louis XVI. Les registres de la « communauté » où sont relatés tout au long les faits importants qui s'y passèrent, nous permettront de faire revivre ces vieux temps, qui n'étaient pas toujours de bons vieux temps, mais qui peuvent être intéressants à étudier.

 

II. - La « COMMUNAUTÉ » DE LESNEVEN.

Au IVème siècle, alors que la Gaule était encore soumise aux empereurs romains, chaque cité de l'empire était administrée par la curie. La curie avait d'abord été le nom du lieu où les sénateurs se réunissaient pour délibérer et elle avait fini par désigner la réunion même des sénateurs. Dans les villes de l'empire, elle comprenait aussi des sénateurs appelés encore curiales ou décurions Ils étaient chargés non seulement de l'administration de la cité, mais encore de la répartition et de la collection des impôts, dont ils étaient responsables. Le recrutement de la curie se faisait facilement. On était inscrit de droit sur la liste des sénateurs, quand on arrivait à l'âge de 18 ans, et qu'on était possesseur de 25 arpents de terre (à peu prés neuf hectares). La charge de curiale était alors très redoutée : aussi les habitants riches de chaque cité essayaient-ils d'y échapper, en entrant dans l'armée ou dans le clergé, ou même en se faisant esclaves. Une loi les priva de ce moyen de salut, et à la fin tous les citoyens âgés de 18 ans et possesseurs de 2S arpents de terre furent curiales de gré ou de force.

La communauté de Lesneven était quelque chose d'analogue à cette vieille curie gauloise ou plutôt romaine. Elle était chargée, comme la curie ancienne, de l'administration de la ville, sous la surveillance minutieuse de l'intendant de la province. Elle n'avait la charge ni de répartir les impôts, ni de les percevoir, mais elle nommait des personnes « intelligentes » pour en établir les rôles et pour le percevoir, des personnes « sachant lire et écrire » (ce qui était rare alors à Lesneven) et assez riches pour pouvoir en répondre sur leur fortune personnelle.

Le suffrage universel était alors complètement inconnu. Les membres de la communauté ne songèrent point à l'établir, et pourtant plusieurs étaient ce qu'on appellerait aujourd'hui des hommes de progrés. Le conseil avait un autre moyen de se renouveler. Quand ses membres n'étaient plus assez nombreux, il se réunissait, et de nouveaux collègues étaient élus à la majorité des voix. Le 17 juillet 1731, une élection de ce genre eut lieu à la requête du procureur du roi au tribunal de Lesneven, qui semble avoir eu le droit d'assister à toutes les delibérations de la communauté, d'y prendre la parole et souvent d'y diriger les débats. On élut les membres suivants pour remplacer ceux qui étaient morts : M. de Keréoc-Abrion, procureur du roi. - M. Le Bourdonnec, recteur de Lesneven. - Le sieur Raoul, miseur (percepteur). - Le sieur Duquestel, Marion. - Le sieur de la Grenouillaye, Nouvel. - Le sieur de Rozeliau, Alain. - Le sieur Fauvel. - Le sieur Kerfran-Brichet. - Le sieur de Kergon, Le Brun.- Le sieur de Kermoal. - Le sieur de Kergroaz, Le Roy. - Le sieur de Kerveu, Léon. - Le sieur Legoff. - Le sieur Deslogers. - Le sieur Kermagan, La Fleur. - Le sieur Larsonneur. - Le sieur Bouhier. - Le sieur Yves Le Tullier. - Le sieur Pierre Le Tullier.

Cela faisait 19 conseillers nouveaux du même coup. Il est probable qu'ils n'étaient pas tous morts dans la même année, et que le conseil se renouvelait seulement quand cela devenait urgent.

Les conseillers ainsi nommés montraient peu d'enthousiasme pour assister aux séances. On avait beau faire sonner pendant un quart d'heure la cloche qu'on appelle encore aujourd'hui, à Lesneven, la cloche du conseil, le maire envoyait en vain son héraut prévenir les membres de la communauté, l'heure marquée arrivait et quelques membres seulement entraient dans la salle : Apparent rari nantes ......

On voyait se passer des scènes étonnantes, comme celle qui arriva le 7 Juillet 1731. Le subdélégué de l'intendant de Bretagne, le sieur Kerdeniel-Ropars, voulait lire à la commune une lettre de l'intendant demandant la nomination de deux « députés » pour surveiller la réparation des pavés qui se faisait alors dans la ville (il était temps, il y avait au moins quinze ans qu'ils n'avaient été réparés). Huit conseillers seulement répondirent à l'appel du maire, et, ne se trouvant pas en nombre suffisant pour délibérer, ils se retirèrent aux « périls et fortunes des absents ». Il y avait parmi eux le maire Calvez ; Leroy, son futur successeur ; le sénéchal du Poulpry, et le recteur de la ville, Le Bourdonnec. A cette nouvelle, Monsieur l'intendant de la cour envoya à Lesneven l'ordre suivant, rappelant un arrêt du conseil du 28 octobre 1701 :

« Nous ordonnons que le dit arrêt du conseil sera exécuté selon la forme et teneur et en conséquence que sur la convocation qui sera faite incessamment par le sieur de Kembarts Calvez, syndic de la ville et communauté de Lesneven, pour assembler la communauté, à l'effet de nommer des commissaires au tour pour veiller aux ouvrages qui se font dans la ville, tous les officiers, échevins ou autres qui ont le droit d'y assister par leurs charges ou autrement, seront tenus de s'y trouver, sans qu'ils puissent s'en dispenser, qu'en cas d'absence non affectée, maladie ou autre légitime empêchement, à peine d'étre déchu des rangs, droits et privilèges et exemptions qu'ils ont droit de prétendre en leur qualité, et de 20 livres d'amende contre chacun an profit de l'hôpital de la ville ».

Cet ordre de l'intendant, surtout cette menace de 20 livres d'amendes, empêcha les absences des membres de la communauté. A la séance qui suivit la réception de sa lettre, on ne nota l'absence d'aucun membre, et il fut décidé que tous les membres de la communauté iraient deux par deux, chacun leur semaine, surveiller les travaux publics. Le recteur lui-même eut son tour, et, malgré sa soutane, il fut transformé en agent-voyer pour surveiller la réparation des pavés.

Il sera rarement question désormais de l'absence des membres du conseil. Ils se rassembleront avec plaisir à la voix du héraut et au son de la cloche. Les scènes suivantes nous feront connaître leur esprit et leurs moeurs.

 

III. – RÉJOUISSANCES POUR CÉLÉBRER LA NAISSANCE DU DAUPHIN.

Le 29 septembre 1729, « noble homme René Calvez, sieur de Kerembars et maire de Lesneven, » apprenait par une lettre qu'un dauphin venait de naître. Le soir, il réunissait « la communauté » à l'Hôtel-de-Ville et donnait lecture de la lettre du comte de Toulouse, « admiral de France et gouverneur de Bretagne, qui gouvernait sa province en suivant la cour ou en voyageant d'une ville à l'autre. La lettre est rapportée à la suite de la délibération des nobles habitants et bourgeois de la ville ».

« Messieurs les Maires et Echevins de la ville et communauté de Lesneven.

Le roi m'ayant fait l'honneur de me mander qu'il a ordonné des prières publiques dans toutes les villes de son royaume pour remercier Dieu de l'heureuse naissance de Monseigneur le Dauphin, je vous fais la présente lettre pour vous dire de ne pas manquer d'assister à la procession et aux prières qui seront célébrées à ce sujet et de donner à cette occasion toutes les marques qui peuvent témoigner la joie que je ne doute pas que tous les bons Français comme vous ne ressentent d'un événement si heureux et si ardemment désiré, et pour cela de faire tirer le canon, d'allumer les feux et toutes les autres marques de réjouissances accoutumées.

Je suis, Messieurs les Maire et Echevins de la ville et communauté de Lesneven, Votre très affectionné. L.-A. DE BOURBON ».

La communauté de Lesneven aimait les réjouissances : elle préférait dépenser l'argent de ses octrois à célébrer de bruyantes fêtes qu'à changer ses pavés qui restaient sans réparations depuis dix-sept ans, malgré des plaintes continuelles. D'ailleurs, comme toute la France de ce temps là, elle aimait la famille royale : un heureux événement, dans la maison du roi, était un bonheur ponr elle ; un malheur arrivé au roi la jetait dans la peine et dans l'inquiétude. En 1721, le roi était tombé malade : elle avait prié pour lui, et quand il eut recouvré la santé, elle se réjouit de ne pas l'avoir perdu. L'année suivante, elle célébra son couronnement avec autant d'empressement (11 novembre 1722). Des fêtes eurent lieu aussi le 5 octobre 1725, à l'occasion de son mariage avec Marie Leczinska, le 4 septembre 1727, pour l'heureux accouchement de la reine. Mais la nouvelle de la naissance d'un dauphin devait lui être plus agréable que toute autre et méritait d'être célébrée d'une façon particulière.

Une somme de trente francs était votée à l'avance pour faire « les feux de joie et réjouissances » qui seraient commandés par le gouverneur. Le maire fit comprendre à la communauté que la somme de 30 fr. n'était rien pour célébrer un événement si heureux. Il proposa de faire demander à l'Intendant une somme de quatre cents livres à prendre sur les deniers d'octroi, « afin d'être en état de marquer leur joie ». Ils écrivirent à « Monseigneur de la Tour, » alors intendant de la province. Ils lui représentèrent qu'ils avaient des fonds plus que suffisants (ce qui leur arrivait rarement, comme nous le verrons par la suite), et ils lui firent remarquer qu'il avait accordé cette faveur aux autres communautés de la province et « que le peuple était partout dans une grande réjouissance à l'occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin ».

La lettre du maire partit pour Rennes et, le 8 octobre, il recevait une réponse qui avait dû mettre quatre ou cinq jours à venir :

« Je veux bien, Monsieur, écrivait l'Intendant de la Tour, que la communauté de Lesneven emploie une somme de deux cents livres pour les réjouissances publiques et extérieures qu'il convient de faire à l'occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin tant pour le feu de joie et illumination à l'Hôtel-de-Ville, faire distribuer au peuple une barrique de vin et autres marques de réjouissances extérieures. J’en ordonnerai le remboursement sur l'état qui me sera envoyé, certifié par la communauté.
Je suis, Monsieur, votre très-humble et très-affectionné serviteur. DE LA TOUR »
.

Deux cents livres, ce n'était que la moitié de ce que les Lesneviens avaient rêvé. Combien de lanternes, de coups de fusil et de coups de canon il faudrait supprimer, et que de personnes ont dû murmurer contre l'intendant désagréable qui forçait à la parcimonie quand il y avait de l'argent de trop en caisse et une si bonne occasion de le dépenser ? Toutefois avec deux cents livres et de la bonne volonté on pouvait célébrer dignement la naissance da Dauphin ! La fête fut fixée au dimanche suivant et le maire fut chargé des préparatifs.

Les habitants reçurent l'ordre de nettoyer les rues pour ce jour-là. La « communauté » se rendit en corps aux vêpres et à la procession, accompagnée des milices bourgeoises, capitaine en tête, et probablement des 41 dragons du régiment d'Harcourt qui vinrent cette année hiverner à Lesneven. Après les vêpres les soldats firent parler la poudre, ils en avaient reçu chacun un quarteron ; plusieurs coups de canon furent tirés et une barrique de vin fut mise en perce. Le soir l'hôtel de ville était superbement illuminé ; la population tout entière se réunissait autour d'un immense feu de joie et dans toutes les rues les maisons portaient à leurs fenêtres « des flambeaux et luminaires qui témoignaient de la Joie des habitants ».

La population des campagnes était sans doute, selon son habitude, venue voir la fête de Lesneven qui était alors la grande ville du Léon et le centre de la vie de ce coin de la Bretagne. Elle rentrait ensuite chez elle heureuse d'avoir vu une belle fête dont elle pourrait parler le soir à la veillée, et le lendemain elle reprenait le fardeau du travail. Car elle était alors plus pauvre qu'aujourd'hui et obligée de payer des impôts relativement aussi lourds et perçus parfois brutalement. Il est vrai que de joyeuses et bruyantes fêtes lui faisaient quelquefois oublier les peines et les misères de la vie. Aujourd'hui le paysan n'a plus ces fêtes, mais il a autour du toit de chaume qui a abrité ses ancêtres un champ qu'il cultive et où il vit avec simplicité, ce qui lui permet de faire donner à ses enfants une bonne éducation. On se figure que les habitants du Léonais sont en retard, c'est une erreur : ils étaient autrefois les habitants les plus civilisés du Finistère ; aujourd'hui encore dans aucune partie de ce département, ni peut-être même de la France, on ne voit autant de jeunes gens faire leurs études secondaires. Si on ne vient plus à Lesneven voir de belles fêtes, on y vient en foule faire ses études.

 

IV. BOURGEOIS ET SOLDATS.

Nous sommes ainsi faits, que nous sommes rarement contents du présent. Nous voyons sous des couleurs plus agréables le passé que nous connaissons mal ou l'avenir que nous ne connaissons pas du tout, et parce que nous avons sur l'un et sur l'autre des idées fausses et erronées, nous regrettons de n'avoir pas vécu quelques siècles plus tôt ou de ne pas être nés quelques siècles plus tard. Les bons Lesneviens qui descendent au Château (il est bien entendu qu'il ne reste de ce château que remplacement) voient avec tristesse, au coin de l'hôtel de ville, un vieux canon enfoncé en terre pour servir de borne, et à la vue de ce témoin de la vieille prospérité de leur ville, ils regrettent de ne plus y voir les troupes qu'elle abritait autrefois. Les Lesneviens du XVIIIème siècle faisaient des vœux contraires : ils demandaient à grands cris à être débarrassés de leur garnison, si petite qu'elle fût.

Ils avaient eu, eux aussi, leur temps d'illusion : ils avaient demandé des soldats, et ils en avaient obtenu. La première fois qu'une compagnie des dragons d'Harcourt arriva dans la petite ville pour y passer l'hiver, ce fut une véritabie fête, et un des membres de la communauté parla de l'honneur qu'on lui faisait en lui envoyant les dragons d'Harcourt. Les dragons n'excitèrent aucune plainte : ils étaient peu nombreux (80) et sans doute bien disciplinés. Mais aux soldats d'Harcourt succédèrent deux compagnies de soldats de marine qui soulevèrent bientôt l'indignation générale.

La communauté était fière d'avoir des soldats, mais elle ne savait trop où les mettre. On les avait dispersés, non pas dans les maisons de la ville, mais à la campagne, chez des fermiers pauvres, sans doute dispensés pour ce service de payer les impôts. Mais ces soldats avaient des mœurs légères. Les fermiers vinrent bientôt se plaindre de leurs hôtes : leurs travaux les obligeaient à vivre la plupart du temps en dehors de leur maison, et ils ne voulaient pas laisser leurs femmes et leurs enfants exposés aux exigences brutales de ces soldats trop peu gênés. Les officiers, d'un autre côté, se plaignaient de ne pas avoir leurs hommes sous la main. La communauté se décida à louer deux maisons pour en faire deux casernes. L'une d'elles renfermait quatre-vingts lits, l'autre vingt-sept. Ce qui permet de supposer que la garnison de Lesneven comprenait à peu près cent vingt hommes. C'est alors que les officiers obtinrent une guérite pour la sentinelle. Cette guérite qui devait être peinte de la couleur qui plairait à MM. Les officiers était montée sur quatre roulettes et avait six pieds de hauteur du plancher au sommet intérieur de la voûte.

Mais les soldats ne tenaient aucun compte des sacrifices que s'imposait Lesneven pour leur louer des logements et les meubler avec plus de confortable que ne le faisaient des villes plus grandes et plus riches. Les habitants de la ville eurent à se plaindre d'eux à leur tour comme les habitants de la campagne. Nous en avons une preuve dans la délibération suivante du conseil muuicipal.

« Du 25 avril 1738, la Communauté assemblée, présidée par Monsieur le Syndic (c'était alors Le Brun, homme populaire à Lesneven), assisté de Messieurs les Bourgeois et de M. le procureur du Roi.

Monsieur le syndic remontre que les désordres qui régnent dans les troupes mal disciplinées qui sont en quartier dans cette ville l'ont forcé, conjointement aux réclamations publiques, d'assembler la communauté. Depuis peu, les soldats, même de garde, ont fait plusieurs vols de nuit dans les maisons à caves, et autres appartements des maisons des habitants de la ville avec enfondrement (sic), et leurs officiers presque toujours absents et aimant toujours à se tenir auprès de leur famille, faciles à autoriser le dérèglement, ont fait évader, pour quelque temps, les malfaiteurs qui, cependant, depuis quelques jours, ont eu la hardiesse de reparaître en ville. Il y a plus, c'est que la garde, qui toujours pendant la nuit est mal ordonnée, sans officiers, sans sergents de garde, commet toutes sortes de friponneries et de voies de fait. Les soldats de garde, pendant la nuit, attaquent les passants, maltraitent les uns et forcent les autres à la contribution pour l'argent du tabac, du vin et de l'eau-de-vie. Il est de conséquence de pourvoir à tous ces dérèglements et surtout à ce qui est arrivé hier et aujourd'hui entre quelques bourgeois et un sergent de garde et quelques soldats. Quelque dispute s'étant levée entre eux environ 10 heures du soir, heure à laquelle tous les soldats doivent être rentrés, le sergent qui, à la connaissance publique, avait tort et était connu pour homme violent tant à l'égard des habitants que de ses soldats, alla se plaindre à ses officiers, fit sa cause bonne et obtint du sénéchal que le bourgeois serait mis en prison. Le bourgeois ayant aussitôt obéi, et étant sorti de prison après midi par ordre de M. Le Sénéchal, passant – devant le corps-de garde - pour se rendre chez lui, fut surpris de voir l'officier à la tête d'une garde triplée, armée de baïonnettes au bout du fusil. L'officier lui demanda pourquoi il avait si tost sorti de prison, ce à quoi le bourgeois répondit poliment, le chapeau à la main, qu'il sortait de l'ordre de M. le Sénéchal qui lui avait commandé de s'y rendre. Tout à coup l'officier crie " Aux armes ! " et d'aller reconduire le bourgeois en prison, les soldats prenant le bourgeois pour le reconduire en prison, donnèrent à tort et à travers des coups, des bourrades à tous les bourgeois indifféremment de sorte que, si les sieurs de la Villejouan et Framon Miorcec qui ont été mis en joue, s'en sont retirés avec la vie, ce n'a été que par l'effet du hasard. Tout cela a autorisé et autorise les soldats dans toutes sortes de voies de fait et de friponneries ; il est nécessaire d'y pourvoir afin que les habitants de Lesneven ne soient plus dans le risque de perdre leurs vies et leurs biens. Il n'y a jamais eu de plaintes contre les habitants de la part des officiers et de leurs soldats, et il y en a journellement contre les soldats et leurs officiers, parce que ceux-ci ne maintiennent point du tout le bon ordre ».

Voilà ce que les habitants de Lesneven avaient gagné à gâter les soldats. Ceux-ci se moquaient d'eux, les volaient, les faisaient mettre en prison, et tiraient même sur eux. Pareille chose ne pouvait plus durer. La communauté, composée en grande partie d'officiers de finances et de justice, sentait le besoin de prendre des mesures pour se mettre à l'abri des coups de la soldatesque. Une députation de la communauté alla demander au sénéchal Du Poulpry et au représentant de l'Intendant, le sieur De la Bedoyère, la punition des coupables. On leur répondit que l'on prendrait des mesures convenables pour mettre la ville à l'abri de toutes les insultes.

Cette promesse ne rassura pas complètement la communauté. Elle avait deux compagnies de milice bourgeoise, et une compagnie des « chevaliers du Papegai ». Elle résolut de les réorganiser et de leur donner de nouveaux chefs, afin de pouvoir, au besoin, les opposer à la garnison. La première compagnie reçut pour capitaine le Sr de Roziliau Alain, pour lieutenant le sieur de Kersengar Godefroy, et pour enseigne le sieur de Gillis Brichet ; la seconde eut pour capitaine le sieur de Geffran Brichet, et pour lieutenant le sieur de Kermoal Lucas. Le sieur de Kersengar Godefroy, lieutenant de la première compagnie, commanda les « chevaliers du Papegai » et eut pour enseigne le sieur Dumouster Brichet. Nous verrons bientôt quelques-uns de ces officiers en lutte avec ceux de la garnison.

 

V. RECEPTION DU DUC DE PENTHIÈVRE A LESNEVEN.

Le 8 mars 1747, le syndic Lebrun, impotent et septuagénaire, réunissait la communauté de Lesneven à l'hôtel de ville et lui annonçait qu'une première députation de ses membres avait fait inutilement le voyage de Brest, pour aller rendre ses devoirs « à M. le duc de Penthièvre, prince du sang, duc, pair, amiral de France, gouverneur de cette province et notre chef ». A la demande du syndic il est décidé qu'une nouvelle députation sera envoyée au duc. Elle était composée de Brichet, Kerlan, Raoul, Theven, Legoff et Miorcec frères. La délibération est du mercredi ; les délégués durent se rendre à Brest le lendemain ou le vendredi au plus tard : le voyage se faisait aux frais de la communauté.

Le 18 août de la même année, la communauté apprenait par le subdélégué de la contrée, M. du Colombier du Plessis, que le duc arriverait à Lesneven le 30 de ce mois, et que son séjour y serait probablement de « deux fois vingt-quatre heures. M. l'intendant invitait les habitants à se comporter d'une manière convenable pour le recevoir par des marques de réjouissance et par les préparatifs qui conviennent en ce cas ». Aurait-il craint la froideur de la part des Lesneviens ? Il ordonnait en même temps que le parcours du gouverneur de Penmarc'h à Lesneven et de Lesneven à Plouescat restât libre, pour que les voitures de son Altesse pussent « passer avec facilité ». La ville devait aussi tenir prêts 19 ou 20 chambres et lits pour les seigneurs qui suivaient le duc, et arrêter les écuries et d'autres logements pour les chevaux et les équipages qui les suivaient. On voit, par ces détails, que les princes du sang, même gouverneurs de provinces, voyageaient avec une suite pompeuse, capable d'en imposer aux populations ; ce qui devait être une lourde charge pour les pays qu'ils traversaient. Il est vrai que nous sommes au XVIIIème siècle et que la noblesse n'a rien perdu du goût de la représentation que lui avait inspiré Louis XIV.

La ville de Lesneven s'empressa de faire tous les préparatifs nécessaires « pour une fête si agréable et dont la nouvelle lui coûtait tant de plaisir ». Tous les habitants témoignèrent leur joie. Les officiers mirent sous les armes la milice bourgeoise, les fameux chevaliers de Papegai, et leur distribuèrent de la poudre en abondance. Toutes les maisons de la ville furent illuminées, la porte Segalen, située sur la route de Folgoët, un peu au delà de la gendarmerie actuelle, et par laquelle devait entrer le prince, fut garnie de lauriers. La communauté s'y rendit en habit décent avec les milices bourgeoises et les principaux personnages de la ville. L'arrivée du prince fut saluée par de nombreux coups de fusils, et la communauté, fidèle à une vieille habitude, lui offrit solennellement le « vin de ville ». Le prince trinqua avec les représentants de Lesneven avant de passer la porte, et sans doute il adressa la parole à la foule accourue de la ville et des campagnes voisines. Nous avons remplacé cette cérémonie du vin de ville par les toasts ; mais les toasts ont moins de solennité et de pittoresque, et le peuple n'en est pas témoin comme il pouvait l'être de l'offre du vin de ville. Une fois le vin accepté, les liens de l'hospitalité rattachaient l'un à l'autre le prince et la ville le duc de Penthièvre pouvait dormir tranquille au milieu des bons bourgeois de Lesneven, et ceux-ci pouvaient espérer de trouver, en cas de besoin, dans leur hôte illustre, un ami et un protecteur.

Le rapport ne nous dit pas comment le duc de Penthièvre fut conduit à la maison qui lui était destinée ; mais il est probable qu'on le reçut avec le même cérémonial que quelques jours auparavant le nouvel évêque comte de Léon. Les milices bourgeoises marchaient devant lui, officiers en tête, tambours battants, et précédées par un jeune homme qui jonglait avec une canne, comme aujourd'hui les tambours majors de nos régiments. La foule suivait joyeuse et heureuse sans doute ; car 1747, c'est seulement 4 ans après la mort de Fleury, qui avait diminué les impôts et ramené par une longue paix la prospérité en France. C'est au lendemain de la victoire de Fontenoy, l'année même de la victoire de Raucoux. Le prince passa à Lesneven entre deux Te Deum acompagnés de feux de joie, qui coûtaient chaque fois 30 livres, et qu'on renouvelait non seulement à chaque victoire, mais à chaque prise de ville importante, comme Anvers et Berg-op-Zoom.

Pour honorer davantage le duc, des gardes furent placées aux portes de sa maison et à toutes les portes de la ville. Les habitants des paroisses voisines furent invités à se rendre à Lesneven, et un feu d'artifice fut tiré devant les halles, les vieilles haltes qui existent encore aujourd'hui, et qui n'ont de pittoresque que leur antiquité et leur toiture en ardoise bariolée de chaux et de mousse.

Quand le duc de Penthièvre sortit de la ville, il trouva la route libre jusqu'à Plouescat. Il pouvait voyager sans crainte, d'autres fêtes semblables l'attendaient dans d'autres villes, car s'il restait encore de nombreuses misères en France nons avions au moins le bonheur d'être victorieux, et le pauvre lui-même reçoit connue un soulagement de ses peines la nouvelle d'une victoire.

Quant à la communauté de Lesneven, quelques jours après (20 septembre 1747), elle se déclara sans discussion prête à payer les 576 livres 18 sous dépensés pour la fête. Cette somme avait été avancée par l'un de ses membres, elle lui fut remboursée après l'autorisation de l'intendant. Elle était plus riche alors qu'à la mort de Louis XV, où elle prétextait de son indigence pour ne pas faire dire de service au roi.

 

VI. LA MORT DE LOUIS XV A LESNEVEN.

Louis XV était mort le 10 mai 1774. Le 21 du même mois, la communauté de Lesneven appelée à la maison de ville par billets d'invitation portés par le héraut et par la cloche du conseil, se réunissait sous la présidence de son maire Leroi. Il s'agissait de délibérer s'il n'y avait pas lieu de faire célébrer un service solennel « pour le repos de l'âme du monarque bien-aimé qu'elle pleure avec justice, et dont la perte est d'autant plus sensible, que la bonté de son cœur et sa bienfaisance pour son peuple ont été plus grandes ». Après l'expression de ces sentiments officiels, si contraires à ceux de toute la France, qui se réjouissait d'être débarrassée d'un roi corrompu et insouciant, le maire qui a payé la somme de 21 livres, une messe solennelle, célébrée pendant la maladie du roi, rappelle cette affaire à la communauté. Celle-ci demande par délibération à l'intendant de la province, l'autorisation de rembourser son maire sur les revenus des octrois, seule richesse de leur ville, et la permission de célébrer un service solennel pour le repos de l'âme de Louis le Bien-Aimé.

L'intendant de Rennes ne fit pas attendre longtemps sa réponse : elle est datée du 1er juin. Le 4 juin la communauté se réunit pour entendre lire la lettre de l'intendant.

Le rapport ne nous dit pas si le maire était autorisé à se rembourser des 21 livres qu'il avait dépensées, en faisant célébrer une messe pour la guérison de Sa Majesté. Mais soit que la ville fût réellement trop pauvre, soit que l'intendant fût persuadé qu'il était inutile de célébrer une messe pour l'âme d'un prince qui avait eu si grande peur du diable, mais qui avait agi comme s'il ne le craignait pas, le conseil municipal, après lecture de sa lettre, fit la délibération suivante : « Ayant égard à la modicité des revenus des desniers d'octroi, qui forment le seul bien de la communauté, et au besoin où elle est de faire raccommoder les égouts au sortir de la ville, au rétablissement des pavés au milieu d'icelle, à la surchage qu'elle vient d'avoir des réparations de l'auditoire et de celles de la prison, il se voit qu'elle est hors d'état de subvenir à la moitié des dépenses, qui croissent journellement ; le tout bien réfléchy, elle a délibéré de s'abstenir, quant à présent, de rien donner au soulagement des pauvres, étant elle-même dans l'indigence, malgré tout le zèle qu'elle a de faire prier pour le repos de notre cher roi défunt et a signé ». Suivent les signatures du maire, de trois anciens maires, ce qui prouve que les maires changeaient assez souvent à Lesneven, et de dix autres conseillers municipaux.

Dans cette délibération, Louis XV, que la communauté appelait, le 21 mai, Louis le Bien-Aimé, est simplement « notre roi défunt ». Quel souffle a donc passé sur Lesneven pour refroidir dans les coeurs l'amour de Louis XV ? Quelle nouvelle a fait taire les regrets du conseil qui, tout à l'heure, paraissaient si vifs. Il est impossible de croire que Lesneven ait ignoré jusqu'à ce moment-là la triste conduite du roi, ses passions honteuses, son amour pour la Dubarry, dont le duc d'Aiguillon, ancien intendant de Bretagne, était devenu un des favoris, et sa mort si triste mais si bien méritée. Ces maîtresses, d'abord souhaitées par la France, étaient devenues des objets de haine pour tous les bons Français, et les Lesneviens, à qui les nouvelles de leur ville n'ont jamais suffi, devaient connaître quelques uns des scandales de la cour. Il faut croire plutôt que le conseil craignit d'être seul à ne pas exprimer de regrets sur la mort du roi, ou qu'il fût persuadé qu'aucun roi n'avait moins besoin de prières que Louis XV, parce qu'aucun roi n'avait péché davantage, ni rendu son peuple aussi malheureux. Car, après tout, on est loin d'être méchant à Lesneven, surtout pour les morts, et comme on y était alors peut-être plus religieux qu'aujourd'hui, on peut expliquer par le culte des morts la première délibération du conseil. L'indigence de la communauté, les scandales donnés par Louis XV, nous expliquent la seconde et nous portent à pardonner aux nobles bourgeois un si brusque changement dans leurs idées et dans leurs sentiments. Il faut remarquer, d'ailleurs, que c'est surtout l'intendant de Bretagne qui est responsable de cette conduite, car Lesneven était bailliage royal, et son conseil ne pouvait faire aucune dépense sans l'autorisation de l'intendant.

Cinquante ans plus tôt la communauté se montrait plus généreuse quand il s'agissait de la santé de Louis XV. Le comte de Toulouse, alors gouverneur de Bretagne, ordonnait des prières et des réjouissances publiques pour le rétablissement de la santé de Sa Majesté. Aussitôt le maire et les échevins de Lesneven décrétaient un feu de joie et des illuminations : les milices recevaient l'ordre de se mettre sous les armes, le receveur des octrois devait payer à chacun d'eux un quarteron de poudre, et le dimanche 17 août, après vêpres, on tirait le canon que la petite ville de Lesneven a perdu depuis longtemps l'habitude d'entendre. Le soir, le long de toutes les rues que la communauté avait fait nettoyer pour la circonstance, les maisons portaient à leurs fenêtres des flambeaux et luminaires qui témoignaient de la joie des nobles bourgeois de la ville.

Les Lesneviens, en agissant de la sorte, ne faisaient que suivre, peut-être sans s'en douter, l'exemple des Parisiens. Un chanoine de Notre-Dame fit part au chroniqueur Hardy du résultat suivant : « En 1744 il avait été payé à la sacristie de Notre-Dame, 6000 messes pour la guérison de Louis XV ; après l'attentat de Damiens, le nombre des messes demandées ne s'était élevé qu'à 600 ; dans la maladie actuelle, il est tombé à 3 ». Tomber de 6000 à 3, dit Hardy, quelle chute et quel abaissement ! La popularité de Louis XV s'était dissipée peu à peu sous l'influence funeste de la Pompadour et de la Dubarry. Pourtant les Parisiens qui avaient l'idée du gouvernement constitutionnel, ne rejetaient pas sur le roi la responsabilité des événements ; ils accusaient les ministres de l'avoir perdu.

 

VII. LESNEVEN A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION. PATRIOTISME.

C'était au mois de juillet 1789. Le souffle des révolutions qui troublait la France entière avait aussi passé sur Lesneven. On y avait appris avec enthousiasme la réunion des États généraux. La nomination des députés et la rédaction des cahiers de doléances s'étaient faites sans bataille, mais non sans discussions vives et bruyantes. Les Lesneviens n'étaient pas révolutionnaires, mais ils voulaient des réformes : à eux aussi l'ancien régime pesait comme une entrave, et leurs députés Rouxel de Bellechère; Testard du Cosquer, Miorcec de Kerdanet et Le Persec, n'étaient partis qu'après avoir fait le serment de demander la réforme des abus. La conduite énergique du tiers état, les 17, 20 et 23 juin, avait gagné le cœur des nobles bourgeois de la ville. Ils étaient heureux de voir que le tiers prenait sa part du gouvernement, et la communauté prit la délibération suivante :

« La communauté supplie MM. les représentants de la commune aux États généraux d'agréer l'hommage de sa reconnaissance des efforts, de la fermeté, de la prudence et du zèle patriotique qu'ils ont montré pour l'intérêt et le bonheur de la nation, et déclare adhérer à tous les arrêtés pris par l'Assemblée nationale, et prie les députés de cette sénéchaussée aux états généraux d'être les interprêtes de sa vénération auprès de l'Assemblée Nationale, et de faire le dépôt de la présente délibération, dont copie sera envoyée à toutes les municipalités de province ». Etc.

L'idée de révolution, ou si le mot est trop fort, de réformes dans le gouvernement, était donc dans les têtes même à Lesneven. Aux idées succèdent des faits : et l'ancienne reine du Léon aura des dissensions, des troubles, des milices turbulentes, un comité comme Brest, sa voisine, et comme toutes les grandes villes de France.

Lesneven possédait déja ses fameuses milices du Papegai qui n'avaient jamais eu à lutter qu'entre elles et contre les garnisons de la ville. Cette milice ne comprenait sans doute que des gens assez âgés, car au mois de juillet 1789, les jeunes gens de la ville demandèrent à être organisés en milice sous le nom de « Milice nationale pour la sûreté et le bon ordre » ; leur but était de se préparer à faire de bons soldats français, car en ce moment il ne restait pas ombre de chauvinisme à Lesneven, et on dirait que dans toute la France la génération de 89 est née avec des goûts belliqueux. Le 24 juillet la communauté accepta avec enthousiasme la proposition des jeunes gens : elle était sûre de la pureté de leurs intentions et de leur patriotisme, que garantissaient la modération et la prudence qu'ils avaient mises dans leurs démarches. Elle les invita à se former en trois compagnies, la Colonelle, une compagnie de Grenadiers et une autre de Chasseurs. Un corps de garde fut établi à la Chambre des huissiers attenante à l'hôtel de ville ; la communauté lui fournit le bois et la chandelle : il était composé d'un officier, d'un sergent, d'un caporal et de six fusiliers : la garde était relevée toutes les 24 heures, et l'officier allait rendre compte au maire de ce qui s'était passé. Les jeunes citoyens incorporés reçurent fusils, bayonnettee et munitions de guerre. Les Grenadiers eurent pour capitaine : Prat, pour sergent : Le Moal, pour caporaux : Jean-Marie Lesconnec et le comte d'Erbonne ; le capitaine des Chasseurs s'appelait Le Bourch, le sergent Kersingaz, les caporaux Jean-Marie Lescop et Pèlerin ; et Lacaze, officier de la Colonelle, avait sous ses ordres le sergent Lamarre aîné et les caporaux Yves Pochard et Le Gléan. Tous les soldats de ces 3 compagnies étaient astreints à faire le service chacun à leur tour « à l'imitation des citoyens de la ville de Brest en cet instant de crise ».

La création de cette milice fut pour Lesneven l'occasion de réjouissances organisées par la communauté « pour donner à la nation les témoignages non équivoques de son attachement au bien public ». Les villes voisines reçurent copie de la délibération de la ville, et furent invitées au feu de joie, au Te Deum, et au bal pour le dimanche suivant. Le feu de joie eut lieu à l'issue des vêpres : M. le recteur s'y rendit avec son clergé, et les milices bourgeoises ancienne et nouvelle avec leurs armes et drapeaux déployés. Quand le feu fat allumé, Monsieur le Recteur entonna le Te Deum auquel la foule répondit avec son entrain ordinaire ; quand il fut éteint, une barrique de vin fut distribuée aux fusiliers. Ils étaient à peu près 120 ; cela faisait donc presque deux litres de vin par chaque homme. Il dut y avoir du bruit le soir dans Lesneven ; d'autant plus que « Messieurs du siège de la police » avaient ordonné une illumination générale, et que la communauté avait voté 600 livres pour un bal avec ambigu. L'ambigu était un repas où l'on servait en même temps le dessert et la viande.

Ce jour-là, Lesneven s'était réuni dans la même joie : tous les coeurs battaient à l'unisson. Mais l'entente ne devait pas durer longtemps. Pour imiter ce qui s'était fait à Brest, les trois ordres nommèrent un comité de 18 membres pour assurer l'ordre public. C'était un pouvoir nouveau qui s'élevait à côté de celui de la communauté ; d'un autre côté les dissensions éclataient de plus en plus vives. Il y avait donc en présence deux pouvoirs, la communauté et le comité, deux forces militaires, les chevaliers du Papegai et les 3 compagnies nouvelles. Les combattants étaient prêts : la lutte allait commencer. Inutile de dire que la victoire allait rester au comité et à la jeune milice. Ils représentaient le progrès, et ils ne désiraient que ce que désirait toute la France  !

(RENÉ LEROY).

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