Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

Révolution à Lannion : émeute du 17 octobre 1789.

  Retour page d'accueil       Retour " Ville de Lannion "   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

L'histoire de nos petites villes bretonnes pendant la Révolution est surtout marquée, la flamme d'enthousiasme allumée par la convocation des Etats généraux éteinte, par les rivalités personnelles de quelques ambitieux colorées par des prétextes politiques. Envoyé à Lannion après la Terreur pour renouveller les autorités locales, le girondin Olivier Rupérou, rétabli dans ses fonctions de Procureur général syndic, concluait son rapport aux Représentant du peuple par cette observation : « Le calme renaîtra à Lannion lorsqu'il n'y aura plus de places à convoiter » (Arch. dép. des C.-du-N. Corresp. du Procureur général syndic L. 36 f . 129, 3 fructidor III).

Ville de Lannion (Bretagne).

Sans insister sur ces luttes et l'agitation qu'elles ont entretenue, nous croyons plus intéressant de rappeler deux des journées les plus mouvementées de l'histoire lanionnaise : L'émeute du 17 octobre 1789, dont les suites, dépassant les cadres étroits d'une province, sont à l'origine de la Fête nationale du 14 juillet, et l'insurrection des campagnes, le 10 septembre 1792, qui, bien avant la chouannerie, faillit mettre à feu et à sang Lannion et toutes les petites villes et gros bourgs du Trégor.

En 1789, Lannion malgré sa faible population, qui ne dépasse pas trois mille cinq cents âmes, est le siège d'une justice royale ou sénéchaussée et la petite capitale de la région, située entre le Léguer et le Trieux. Après les dévastations des guerres de religion, Tréguier, la ville épiscopale, a perdu son tribunal de l'Amirauté, transféré à Morlaix et son tribunal royal, transféré à Lannion ; officiellement c'est toujours la sénéchaussée de Tréguier, mais avec ce correctif : au siège de Lannion.

Il n'est peut être pas inutile de signaler l'importance de ces arrondissements judiciaires, ou sénéchaussées, comparables, bien qu'il n'y ait pas de similitude, aux ressorts de nos tribunaux de première instance, qui ont servi de circonscriptions électorales pour la réunion des Etats généraux. Leurs limites étaient bizarrement découpées et souvent assez imprécises. La sénéchaussée de Rennes, qui couvrait le tiers environ des futures Côtes-du-Nord, en profita en 1789 pour revendiquer de nombreuses paroisses des sénéchaussées de Dinan, de Saint-Brieuc et même de Tréguier qu'elle atteignait par Guingamp, elle en fut généralement pour ses frais (A. N. B. III 37. Lettre de Couppé du 15 avril 1789). On a médit et souvent très justement des départements, un coup d'oeil sur une carte administrative de la Bretagne à la veille de la Révolution suffit à réhabiliter l'oeuvre des Constituants.

Lannion était aussi grâce à son port un centre commercial important, car en ces temps où les chemins étaient rares et ceux de Bretagne réputés, témoin le bon La Fontaine, pour leur état déplorable, le cabotage très actif transportait sur nos côtes à peu près tout ce que l'on confie aujourd'hui aux chemins de fer et aux camions automobiles : Vins de Bordeaux, dont nos pères faisaient une abondante consommation, graines de lin de Hollande ou des pays Baltes, sel et anchois de la Méditerranée, morues et harengs des mers du Nord, huile et savon de Marseille, denrées coloniales, arrivaient par le Léguer que bricks, goélettes, sloops, remontaient aisément avec le flot vu leur faible tonnage, et redescendaient avec le jusant, rapportant du blé, du lin en fibres, du chanvre, des cordages, des toiles à voile et autres produits de la culture et de l'industrie locale. A noter que la pomme de terre y était encore inconnue. Si dans l'évêché de Léon Mgr de la Marche en préconisait déjà la culture, d'où le surnom qui lui est resté : escop ar patates (L. Kerbiriou, Jean-François de la Marche, évêque-comte de Léon, in-8°, 1924, p. 195, Paris), l'évêque des pommes de terre, son introduction dans l'évêché de Tréguier, comme dans ceux de Saint-Brieuc et de Quimper, est due à la Convention.

Enfin marché agricole important, Lannion attirait les jours de foire et le jeudi de chaque semaine de nombreux cultivateurs qui, après avoir échangé ou vendu leurs denrées, se ravitaillaient dans les boutiques sombres de ses maisons en encorbellement, dont les façades, revêtue d'ardoise, semblaient vouloir se rejoindre vers le ciel au-dessus des rues étroites, et dont quelques spécimens isolés décorent encore sa principale place.

Les jours de marché et de foire étaient aussi des jours d'audience pour MM. les juges. Ceux du Tribunal royal tenaient naturellement le haut du pavé et constituaient l'élite de la bourgeoisie. Le premier juge, ou le Sénéchal, Gabriel Couppé de Kervenou, était lanionnais d'origine ; le second, ou l'alloué François-Louis-Barthélémy Cadiou de Kerdanet, était né Tréguier, et enfin le Procureur du roi, Pierre-Marie Daniel de Kerinou. était originaire de Perros, mais comme Cadiou depuis longtemps fixé à Lannion dont il était maire depuis 1784.

Autour du tribunal gravitait tout un personnel subalterne d'huissiers et de sergents, nombre d'avoués et de notaires, et un barreau plus nombreux que celui d'une grande ville actuelle.

Parmi ses membres on doit au moins mentionner Jean-Marie Baudouin de Maison Blanche, érudit celtisant, de science un peu superficielle comme ses amis Le Brigand et la Tour d'Auvergne, et par surcroît docte juriste, auteur d'un traité remarqué sur les Institutions convenancières, usages locaux de Basse-Bretagne aujourd'hui en voie de disparition. Né à Châlelaudren, avocat au Parlement, il s'était établi à Lannion où ses connaissances juridiques et ses talents lui avaient valu une abondante clientèle. Dénué d'ambition, il traversera la révolution sans chercher à y faire carrière et sous le Consulat il donnera sa démission de conseiller de préfecture pour se livrer entièrement à ses études celtiques [Note : Sur ces personnages c. f. H. Pommeret : L'esprit public dans le département des Côtes-du-Nord pendant la Révolution, 1921, Paris, Saint-Brieuc in-8°, pp. 40, 41 en note. A. N., F. 1, b. II, C.-du-N., 1, 2, 3. Sur Baudouin. Cf. L. Dubreuil : J.-M. Baudouin de Maison-Blanche, juriste et député, dans les Annales de Bretaqne, 1919, T. XXIII].

Beaucoup de ces hommes de loi cumulaient avec leur office d'avocat celui de juge ou de procureur d'une ou de plusieurs seigneuries. Sous l'Ancien Régime les seigneurs étaient de droit juges des paysans qui habitaient leurs terres, leurs vassaux, pour les menues affaires, qui relèvent aujourd'hui du commissaire de police ou du juge de paix. Ces fonctions, ils ne les exerçaient pas eux-mêmes, mais les louaient à des hommes de loi et, comme les seigneureries étaient en général peu étendues, les justices et les juges seigneuriaux, sans parler de leurs acolythes, procureurs fiscaux, notaires, sergents, etc..., étaient fort nombreux. Quelques-uns habitaient la campagne, mais la plupart résidaient à la ville.

Le local du Tribunal royal, l'Auditoire, comme les Halles voisines occupaient l'emplacement de la place actuelle, encadré par les deux rues parallèles, dites Souzaines des Halles. Ils formaient un élégant bâtiment comportant un rez-de-chaussée surélevé, surmonté d'un étage de combles. Faisant face aux halles, un escalier à double rampe en fer à cheval donnait accès au perron, deux piliers supportant un balcon flanquaient l'entrée, de chaque côté de laquelle s'ouvrait une fenêtre. Le large pignon cintré qui, dissimulant la toiture, surmontait la façade, portait un lanterneau garni d'une horloge (d'après un dessin conservé à la Chambre littéraire de Lannion). C'est là également que les juges, seigneuriaux tenaient leur audience et comme au moins une trentaine de juridictions seigneuriales s'exerçaient à Lannion, la justice autant que le commerce contribuait à l'animation de la ville à certains jours, et lui était également une source de profits.

Gens de justice, marchands, bourgeois nobles qui vivaient l'été dans leur châteaux, mais l'hiver venaient résider dans leur hôtel en ville, communautés religieuses : Capucins, Augustins, Ursulines, Augustines, etc., ne constituaient pas uniquement la population lanionnaise, elle comptait encore dans ses faubourgs de nombreux artisans et journaliers. Sur la rive droite du Léguer ils peuplaient presqu'entièrement le quartier de Kerampont, dont les maisons s'étageaient en cascade au delà du pont Sainte-Anne, le long du chemin escarpé et rectiligne qui conduisait à Morlaix.

La convocation des Etats généraux et les élections avaient vivement excité ces petites gens par les espoirs qu'elles suscitaient. Bien qu'ils ne fussent pas électeurs (il fallait payer pour voter aux Assemblées primaires un impôt direct de la valeur de trois journées de travail, qui étaient alors en Basse-Bretagne de douze à quinze sols), ces « citoyens passifs » prenaient un ardent intérêt aux événements dont ils attendaient l'amélioration de leur sort.

La récolte de 1788 avait été partout mauvaise et bien que la partie septentrionale de l'évêché de Tréguier fût un des plus gros producteurs de blé de la Basse-Bretagne, les artisans et journaliers s'en procuraient difficilement et le payaient fort cher.

Le 10 avril, les électeurs du deuxième degré, nommés par les assemblées primaires des quarante-deux paroisses de la sénéchaussée, se réunissaient dans l'église des Dames Ursulines pour rédiger leur cahier de doléances, c'est-à-dire leurs plaintes et leurs voeux et élire vingt-six délégués, qui avec les huit de la sénéchaussée de Morlaix (on avait uni ces deux sénéchaussées pour en faire une circonscription électorale) éliraient les députés aux Etats généraux. L'assemblée, assez tumultueuse, ne se termina que le lendemain à six heures du matin et fut entièrement dirigée par les robins lanionnais, malgré la violente opposition d'un notable de Brélévenez, Gabriel Le Guével. Se posant en défenseur des paysans, il demanda entre autres choses la prohibition absolue de l'exportation des grains, tant que chaque paroisse s'en serait pas approvisionnée pour deux ans et il accusa les gros propriétaires, sous prétexte d'envoyer du blé à Bordeaux, de l'exporter à l'étranger. Il dénonça aussi les avocats, juges et procureurs fiscaux comme les agents de la noblesse, qui usaient de leur influence pour faire élire des gens dévoués aux ordres privilégiés (A. N., B. III, 37, p. 303. - H. 419, Mémoires de Le Guével).

Les accusations de Le Guével, que dans deux mémoires adressés l'un au roi, l'autre à Necker, quelques jours après, prendra nommément à partie les deux députés de la sénéchaussée : le sénéchal Couppé et l'avocat Baudouin, se réfutent d'elles-mêmes par leur outrance, mais elles sont symptomatiques, car elles ne manifestent pas uniquement la vieille rivalité de clocher entre Brélévenez, qui fière d'une population de 2.000 âmes, ne veut pas se laisser aveuglément conduire par la petite ville qu'elle domine du haut, de son pittoresque escalier, mais révèlent un ferment de division entre les paysans et les gens de justice, leurs éducateurs politiques et leurs guides, dans la lutte commune contre la Noblesse et le Clergé. En combattant la libre circulation des grains, en dénonçant les accapareurs, Le Guével ne pouvait manquer de se faire applaudir et de recueillir par surcroît, au dehors, les approbations des citoyens passifs des faubourgs. L'assemblée générale de Morlaix le 15, dans laquelle les marchands, les armateurs, les hommes de loi, tous partisans de la liberté du commerce, dominaient, fut obligée d'en tenir compte.

Tout en se déclarant, en principe, pour la libre circulation des grains, elle demanda son interdiction lorsque le blé atteindrait huit livres le quintal, ce qui était le cas, et l'obligation pour les détenteurs de fournir à la police un état de leurs réserves.

L'assemblée électorale avait aussi décidé, pour maintenir le contact entre les députés et leurs électeurs, la création de bureaux de correspondance. Celui de Lannion recevait régulièrement les lettres des deux députés de la Sénéchaussée, accompagnées de nombreux journaux, car sans attendre un décret les autorisant, les patriotes - le mot tout récent encore signifiait alors partisans des réformes - avaient, profitant de la carence du gouvernement, conquis la liberté de la presse.

Après avoir été lus au peuples les jours de courrier, ces papiers étaient transmis aux autres villes et gros bourgs de la sénéchaussée, notamment à Lézardrieux, La Roche-Derrien, Plestin, Tréguier ; en retour, le bureau adressait aux députés les réclamations, les voeux, les mémoires et les approbations des électeurs (Archives de M. du Cleuziou. Lettre du bureau et des patriotes lanninnais à Couppé). En juin, le bureau se donne un conseil directeur de quarante deux membres, choisis pour la plupart parmi les gens de robe, prend le nom à la mode de Bureau patriotique, et ne tarde pas à éclipser en influence la municipalité, institution d'ancien régime, élue uniquement par les corporations privilégiées, composées de bourgeois. Parmi ses auditeurs, les gens des faubourgs ne sont pas les derniers et ils ne se passionnent pas moins que les citoyens actifs ou électeurs pour les travaux de l'Assemblée constituante, mais ce qui les préoccupe par-dessus tout c'est la chèreté du pain.

Sous leur pression, le 13 juillet, le Bureau adresse par l'intermédiaire de Couppé une supplique au Comité de Subsistance de l'Assemblée nationale « en faveur des pauvres nécessiteux de Lannion », et en même temps écrit au député : « Nous ne vous avons envoyé ostensiblement la supplique que pour satisfaire le peuple qui proteste et à qui le clergé a fait distribuer des secours, dans un motif qui n'est pas des plus purs... Nous vous écrivons ensuite pour vous dire ce qu'il en est. Répondez-nous un mot pour le peuple et une autre lettre pour nous » (Archives de M. du Cleuziou. Lettre du bureau et des patriotes lanninnais à Couppé).

Ce double jeu, expédient dangereux, était difficilement renouvelable. En lutte ouverte avec la noblesse, en rivalité secrète avec le bas-clergé, l'allié officiel, mais dont ils redoutent l'influence, les bourgeois du Bureau sont contraints à céder peu à peu aux revendications du peuple, qui devient d'autant plus exigeant qu'il prend mieux conscience de sa force.

Comme les habitants des faubourgs, les communes, comme on les appelle, ne sont pas représentés dans la municipalité, ils organisent, à l'exemple d'ailleurs des autres villes, un comité élu, et ils imposent à la municipalité et au Bureau une délégation de quatorze des leurs, et après la formation de la milice bourgeoise ou garde nationale, dont ils ont été exclus, la création en leur faveur d'une nouvelle compagnie, la cinquième (Archives com. Lannion, B B, 17, f. 54 et suivants).

La récolte de 1789, gâtée par des pluies continuelles, a été pire que la précédente. Le blé dont la pluie a empêché le battage se révèle d'un faible rendement et atteint le prix de dix à douze livres le boisseau, au lieu de six à sept au maximum en temps ordinaire (Pommeret, op. cit., p. 80). Pour calmer l'agitation populaire, le Bureau, le 4 septembre, propose la création d'un grenier public. Ce projet indispose encore davantage les gens de la cinquième compagnie, qui y voient une tentative d'accaparement et s'élèvent en menaces contre le Bureau qui charge l'un de ses membres, le deuxième juge Cadiou, de réunir le peuple et de lui donner tous les apaisements.

Au cours d'une réunion tumultueuse, l'Assemblée des communes repousse le projet, proteste contre les accapareurs de grains, attaque la municipalité, demande à être représentée dans le bureau par les juges, c'est-à-dire par Cadiou, qui a gagné sa confiance, et enfin arrête d'interdire provisoirement l'embarquement des grains au port de Lannion. Hantés par la crainte de la disette, les faubourgs, quelques semaines après, passent à l'action directe et mettent l'embargo sur le blé et le beurre vendus au marché, que l'alloué a le plus grand mal à les faire restituer. Pour leur complaire, la municipalité, malgré son respect religieux des moindres décisions de l'Assemblée constituante, élève une protestation contre la libre circulation des grains décrétée le 20 août. Dans celle atmosphère chargée d'électricité, l'apparition, le 17 octobre, d'étrangers accompagnant un imposant convoi de treize charrettes de blé ne pourra manquer de faire éclater l'orage [Note : Sur cette affaire Cf. A. C. Lannion, B B, 17 ff. 68 et suiv. A. C. Guingamp, B B 15 f. 125. Arch. de M. du Cleuziou. Lettres adressées à Couppé. A. N. DIII, 56. Procédure contre Cadiou, B. N. L. b. 39/2.500. Adresse des pauvres ouvriers et artisans de Lannion, Tréguier, etc... Saint-Brieuc, 1789. Archives du Cleuziou. Cadiou. Le juge jugé sans être entendu, s. d., Saint-Brieuc in-8° de 18 p. Voir aussi Duchâtellier. Histoire de la Révolution dans les départements de l'Ancienne Bretagne, Paris, 1836, 6 v., T. I, p. 184 et suivantes].

La ville de Brest, dépourvue d'approvisionnements, avait envoyé des commissaires dans l'évêché de Tréguier, et même au delà, pour acheter du blé, notamment à Morlaix, Tréguier, Lannion, La Roche-Derrien, Guingamp, Pontrieux, etc... Prévenus, le Bureau patriotique et la municipalité, réunis le 16, accordent aux Brestois l'autorisation d'achat et de passage qu'ils demandent. Un convoi venant de Pontrieux passera le lendemain sous l'escorte d'un détachement de la milice de cette ville, commandé par son chef le major Chrétien.

Le convoi annoncé arriva à Lannion le 17, entre neuf et dix heures du soir, et grâce à l'heure tardive les treize charrettes traversèrent la ville sans encombre. Elles avaient déjà franchi le pont Sainte-Anne et les chevaux prenaient haleine au pied de la terrible côte qui en ligne droite conduit au sommet du plateau dominant la rive gauche du Léguer, quand les habitants de Kérampont, sans doute aux aguets, lui barrent la route et interdisent aux conducteurs de pousser plus avant. Devant leur nombre et leur attitude résolue, les gardes nationaux de Pontrieux n'osent pas recourir à la force.

Pendant qu'on parlemente et qu'on discute à la lueur discrète des lanternes, les avocats Le Bricquir du Meshir, premier lieutenant du maire, remplaçant le premier magistrat absent, et l'avocat Rivoallan, tous deux membres du Bureau, accourus en toute hâte, invoquent la loi et essaient de raisonner leurs compatriotes. Peine perdue : l'heure tardive, la présence parmi les commissaires brestois d'un marchand de grains connu dans le pays ont éveillé la méfiance du peuple qui se montre irréductible et tout prêt à la révolte. « Le convoi ne partira pas, nous ne laisserons pas les accapareurs nous réduire a la famine ». Rivoallan est insulté le major Chrétien qui s'est interposé est bouscule, frappé et menacé de la pendaison par quelques-uns des plus excités. En désespoir de cause. Le Bricquir ordonne à la milice lannionaise alertée et conduite sur les lieux de garder le blé et d'empêcher son pillage. Le deuxième juge Cadiou, président du peuple, tente aussi de calmer les esprits, il n'est pas plus heureux malgré sa popularité.

Les gars de Kérampont, que des malveillants, paraît-il, auraient fait boire, ne veulent rien démordre, ils tiennent le convoi et s'opposent de toutes leurs forces à son départ.

Tout ce que ses efforts, joints à ceux des membres présents de la municipalité et du Bureau, obtiennent est la remise de l'examen de l'affaire au jugement des Communes le lendemain.

L'Assemblée qui se tint le dimanche 18 à l'auditoire, plein au craquer, fut des plus agitées. Cadiou, du perron des Ursulines et ensuite dans le cloître des Capucins, avait auparavant exhorté le peuple à obéir aux lois, il n'eut pas plus de succès que la veille. A l'auditoire, il plaça sur le bureau la loi du 20 août sur la libre circulation des grains et s'apprêtait à en donner la lecture quand l'arrivée imprévue des commissaires brestois déchaîna un tumulte tel qu'il ne put se faire entendre.

Pour apaiser l'assistance, les Brestois déclarent abandonner gratuitement leur blé au peuple et renoncer à tout achat à Lannion, et demandent à passer dans la chambre du conseil pour rédiger l'acte de cession. L'alloué les suit et tentant de concilier la légalité avec l'opportunité y fait inscrire la cession du convoi à la municipalité, à charge pour elle de tenir compte du prix à la ville de Brest. La lecture de cette clause soulève une tempête de protestations, les communes exigent l'abandon gratuit et tournent leur fureur contre les commissaires. Traités de gueux, de coquins, de fraudeurs, menacés de la corde, ils durent signer tout ce qu'on leur demandait et n'eurent la vie sauve que grâce à l'intervention courageuse du lieutenant du maire Le Bricquir et de l'avocat Deminiac qui protégèrent leur fuite.

A la nouvelle du traitement subi par les envoyés brestois, l'indignation fut grande dans toutes les villes patriotes de Bretagne. Brest, menacée de la famine, lésée dans ses intérêts, insultée dans la personne de ses représentants, ressentit vivement l'injure et décida de reprendre de force son blé et de châtier l'insolence des Lannionais. Sans perdre un instant, elle mobisait un petite armée de quinze cents volontaires nationaux ; avec plusieurs pièces d'artillerie, et la faisait marcher sur Lannion. Un certain nombre de villes se solidarisaient avec elle ; Rennes, Morlaix, Pontivy, Paimpol, Moncontour, Guingamp, Landerneau, Landivisiau, Quimperlé, Quimper, Carhaix, Lorient, etc... leur proposaient des renforts ou même lui en envoyaient, sans attendre son assentiment. Grossie par ces détachements, l'armée brestoise, à son passage à Morlaix, comptait déjà plus de deux mille hommes, et son chef le major général Daniel de Colloé, pour arrêter cet afflux de renforts dont il n'avait que faire, envoyait des courriers dans toutes les directions pour inviter les gardes-nationaux déjà en marche pour le rejoindre à faire demi-tour [Note : Le 24 octobre, le Comité permanent de Guingamp arrête que le détachement de cent hommes annoncé ne partira pas, invite Pontrieux à imiter son exemple et envoie des commissaires sur la route de Lorient, jusqu'à Corlay, pour arrêter les troupes venant du sud de la Bretagne. A. C. Guingamp, B B 15, f. 125].

Entrés le 25 à Lannion, au milieu d'un déploiment imposant de forces, les commissaires de Brest ne parlaient rien moins que de tirer une vengeance éclatante de la ville rebelle et ils commencèrent par obliger la municipalité à inscrire sur son registre de délibération un récit des événements rédigé par eux, qui accusait formellement la garde nationale et la municipalité, à l'exception de Le Bricquir et de Deminiac qui leur avaient sauvé la vie, de connivence avec les émeutiers. Ils parlèrent et agirent en maîtres, ils avaient le nombre et la force, car le lieutenant gouverneur de la province, ne disposant d'aucune troupe dans les environs se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'intervenir.

Les représentants des villes de Morlaix, Guingamp, Lorient, Pontrieux, Paimpol, Quimper, Moncontour, Tréguier, Pontivy qui les accompagnaient, ou les avaient rejoints le lendemain, s'interposèrent en conciliateurs. Se faisant les avocats des autorités lannionaises ils parvinrent à apaiser les Brestois et à les ramener à une appréciation plus exacte des événements. Grâce à leur médiation la paix fut signée et la municipalité ainsi que la milice déchargées de toute accusation. La réconciliation fut scellée par un pacte d'union entre les représentants des villes présentes. Comprenant tous combien le succès des idées patriotes, dont ils étaient les propagateurs et les défenseurs, dépendait étroitement de leur entente, ils prirent l'engagement « de travailler à resserrer les liens qui les unissaient et se promirent en même temps un attachement et une fidélité toujours inviolable ».

A la demande des Brestois, le deuxième juge Cadiou, inculpé de complicité, était décrété le prix de corps, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévoté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils étaient conduits par étapes. Le 29 les troupes quittaient enfin Lannion, mais elles y laissaient une garnison de cent cinquante hommes. Il restait à payer les frais de leur entretien pendant cinq jours et qui se montait à la somme assez coquette pour l'époque de 12.195 livres 3 sols 11 deniers. Il ne semble pas que le gouvernement, à qui la municipalité en demanda le remboursement, pétition que Brest appuya, y ait jamais répondu (A. N. H. 573, Reg. des pièces concernant l'administration de la Bretagne. Lettres patentes du 6 juin 1790). Quant aux émeutiers, après quelques mois de séjour dans les geôles briochines, ils furent relâchés en avril 1790. Cadiou, contre qui on ne put relever aucun fait précis, fut acquitté. Il semble avoir été dans la circonstance victime de l'hostilité de la bourgeoisie lannionaise qui lui reprochait de l'avoir trahie pour se mettre à la tête du peuple. Son emprisonnement ne nuira pas à sa popularité et il gardera la confiance de ses concitoyens. Malchanceux, il sera pendant la Terreur destitué, sous de futiles prétextes, de la présidence du district et condamné par le tribunal révolutionnaire de Brest à dix ans de fer ; le conventionnel Palasne de Champeaux, après le 9 thermidor, le fera sortir du bagne, mais il survivra peu à cette dernière épreuve. Le major Chrétien ne sera pas découragé par les mauvais traitements subis à Lannion, il fera une honnête carrière dans la gendarmerie où il verra bien d'autres bagarres, dont il se tirera avec autant de bonheur. Lieutenant au moment de la prise de Saint-Brieuc par les chouans, le 27 octobre 1799, il n'y perdra que sa tabatière et sauvera sa vie.

Quant aux robins lannionais, ils gardèrent un amer souvenir de la journée du 17 octobre et de ses suites : le retour menaçant des Brestois, la note à payer, l'humiliation de leur tribunal déshonoré par l'arrestation de l'alloué et par-dessus tout la crainte que les villes voisines ne profitent de la circonstance pour obtenir une justice royale à leur détriment. S'ils avaient pu prévoir l'avenir, un certain orgueil les aurait consolés, au moins partiellement, de ces pénibles moments, car le grand mouvement qui devait aboutir, le 14 juillet 1790, à la célébration dans un enthousiasme délirant de la Fédération nationale du Champ-de-Mars, fête éphémère de la réconciliation des Français, tel un mince filet d'eau source d'un grand fleuve, venait de surgir dans leur ville natale.

Le pacte d'union contracté le 26 octobre entre Lannion et les villes bretonnes représentées par leurs délégués, sera imité dans toutes les provinces du royaume. En Bretagne où l'idée était, dans l'air depuis longtemps, il fut le point de départ de congrès patriotiques entre les cités que le voisinage ou la communauté d'intérêt rapprochaient particulièrement. Cherchant toutes les occasions de resserrer leur entente contre les adversaires du nouveau régime qui s'élabore, les patriotes bretons prennent l'habitude de compléter leur échange assidu de correspondance par des réunions de commissaires ou députés. C'est ainsi que le Comité permanent de Guingamp propose à celui de Lannion, le 30 novembre, d'inviter les principales villes des évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier et Saint-Pol-de-Léon à une assemblée pour étudier les moyens de développer la culture du lin et de la filature, questions intéressant à titre divers une bonne partie de leurs populations : importateurs de graine de lin, cultivateurs du littoral, marchands et exportateurs de toile, tisserands et filandières du pays de la manufacture (sud de l'évêché de St-Brieuc), qui demandent au filage ou au tissage un salaire d'appoint compensant la pauvreté du sol dans leurs cantons [Note : Déjà, le 10 août, 6 paroisses du Cap Sizun s'étaient fédérées afin « de prévenir et d'arrêter toute personne suspecte, de prendre des résolutions uniformes... ». Dans le courant de novembre, la milice de Quimper demande aux volontaires nationaux de la Bretagne et de l'Anjou de se réunir pour renouveler le pacte d'union et d'alliance, rédigé à Rennes au début de l'année par les étudiants en droit et les députés, que plusieurs villes de la Province y avaient envoyés, à l'occasion des rixes entre nobles et étudiants qui avaient marqué la dernière réunion des Etats de Bretagne. E. Corgne. Pontivy et son district pendant la Révolution, de 1789 à germinal V. 1938, Rennes, in-8°. Thèse de doctorat, p. 55].

La réunion proposée se tint à Lannion, le 17 décembre. Guingamp, Morlaix, Saint-Pol, Tréguier, Paimpol, Pontrieux, Châtelaudren y députèrent. Au point de vue économique on n'y traita guère que des moyens d'améliorer la production linière par une surveillance sérieuse des graines, importées de Pologne et de Russie, et par l'octroi de primes aux cultivateurs qui présenteraient des semences bretonnes sélectionnées ; par contre on aborda une foule de questions politiques et avant de se séparer l'Assemblée posa le principe de réunions périodiques pour resserrer l'entente et l'uniformité de vues dans l'application et la défense des décrets de la Constituante.

La réunion suivante, fixée au 18 janvier, eut lieu à Morlaix quatre jours après, le 22, et groupa les députés de douze villes, plusieurs autres manifestèrent leurs regrets de n'avoir pas été invitées ou prévenues à temps de la date précise (A. C. Lannion, B B, 17, ff. 99, 100 et suiv. Saint-Brieuc. B B, 30, f. 34, j. 54), aussi toutes les villes acceptèrent-elles avec joie l'invitation de Nantes de s'unir pour constituer une fédération générale de la Province de Bretagne.

Les jeunes gens avaient déjà précédé les villes dans cette voie, le 15 janvier ils avaient tenu à Pontivy, « centre géométrique de la Province », un congrès patriotique et signé un pacte d'union. Les municipalités les imitaient un mois plus tard, le 15 février. Il n'est pas de notre sujet de raconter ces manifestations, sur lesquelles un geste aussi bruyant que maladroit dans la circonstance avait, à la veille de cette guerre, attiré l'attention [Note : La destruction par des autonomistes bretons du monument commémoratif des Fédérations de Pontivy. Sur les Fédérations de Pontivy, Cf. Pommeret, op. cit., p. p. 86, 86 en notes, et E. Corgne, op. cit.]. La fédération bretonne du 15 février, dont le compte rendu fut envoyé à la Constituante et imprimé par son ordre, contenait une invitation aux Français à s'unir en une fédération nationale de toutes les provinces. Sur l'initiative du maire de Paris, Bailly, ce voeux était réalisé le 14 juillet suivant.

L'éclat et le retentissement de celle première fête de la Fédération lui ont valu de devenir notre fête nationale, car c'est elle, beaucoup plus que la prise de la Bastille, qu'elle a commémoré à l'origine, et il n'est pas inutile de rappeler, contrairement aux affirmations de beaucoup d'historiens, reprises dans les manuels scolaires, que le mouvement fédératif n'est pas sorti de la manifestation dauphinoise de Vizille, mais du pacte signé à Lannion, par les villes bretonnes, le 26 octobre, c'est-à-dire un mois auparavant (Hervé POMMERET).

 © Copyright - Tous droits réservés.