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LANGUIDIC PENDANT LA RÉVOLUTION

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Un siècle s'est écoulé depuis la Révolution française et, bien que son esprit continue d'imprégner nos mœurs, une distance si considérable permet de tenter, au sujet des hommes et des événements d'une commune à cette lugubre époque, une étude impartiale.

Pour obtenir ce résultat, il suffit de laisser de côté les renseignements traditionnels, que les passions locales ont peut-être altérées, et de s'attacher aux seuls documents écrits. Voilà aussi la règle que je me suis imposée, en entreprenant d'écrire l'histoire de mon pays d'origine pendant la période révolutionnaire. Je suis allé de l'avant, uniquement appuyé sur les archives et résolu de dire la vérité telle qu'elle en sortirait, sans réticences et sans exagération.

Ce travail sera donc une œuvre sincère. J'ose en outre me flatter qu'aucun de mes compatriotes n'y verra la moindre intention blessante. Le souci de l'intégrité historique m'a fait un devoir, il est vrai, de tirer de l'oubli certains personnages qui ont joué vis-à-vis de leurs concitoyens un rôle plus ou moins équivoque. Mais une exhumation de ce genre, à cent ans d'intervalle, en quoi peut-elle froisser les hommes de notre temps ? Sommes-nous responsables des faits et gestes de nos ancêtres ? Plusieurs avaient des vertus, d'autres avaient des vices. Etudions simplement les exemples contraires qu'ils nous ont laissés et faisons-en notre profit.

Ville de Languidic (Bretagne).

 

I - DIVISION TERRITORIALE.

L'Assemblée nationale décida, le 22 décembre 1789, la division de la France en départements, et, dans les premiers mois qui suivirent, distribua ces départements en districts, cantons et comunes [Note : La loi du 15 janvier 1790 donna la nomenclature de 83 départements. Mais en réalité, la loi qui dépeça les provinces en départements, avec des débornements, est du 26 février, 4 mars 1790 (Note de M. A. Lallié)].

Le département du Morbihan fut partagé en neuf districts. Voici leurs noms : Auray, le Faouët, Josselin, Ploërmel, Pontivy, la Roche-Bernard, Rochefort, Vannes et Hennebont.

Le district d'Hennebont comprenait 26 communes et 9 cantons. Ces cantons étaient ceux de Bubry, Guidel, Hennebont, Kervignac, Lorient, le Port-Louis, Plouay, Pont-scorff et Languidic. La commune de Branderion et la section de Saint-Gilles furent annexées au canton de Languidic.

Branderion et Saint-Gilles avaient peu d'étendue ; mais il en était autrement de Languidic. Lors du recensement de 1790, prescrit par une délibération départementale du 3 août, Jacques-Balthazar Herviaut de Villeneuve, procureur fiscal de la Vigne et Spinefort, nommé commissaire cantonal à cet effet, releva dans la commune 5,718 habitants [Note : District d'Hennebont. 906, Archives communales de Languidic]. Ce chiffre s'accrut l'année suivante de 318, que valut à la paroisse la nouvelle circonscription : ce qui faisait un total de 6,066 âmes. Aussi avait-on raison d'écrire « le canton de la paroisse de Languidic », car le canton s'identifiait pour ainsi dire avec la paroisse.

Le 15 décembre 1795, le Directoire du district arrêta une nouvelle organisation cantonale : « par raison d'économie dans l'administration ; pour rapprocher des villes lescommunes rurales en partie chouannées ; pour mettre dans la dépendance des administrations minicipales des villes, les campagnes... qui semblent indépendantes » ; enfin pour accélérer la nouvelle marche du gouvernement, il supprimait trois cantons sur neuf : ceux de Bubry, Guidel et Kervignac. Celui de Languidic était maintenu, mais il subissait une importante modification. En place de Branderion qu'on lui enlevait, il gagnait Quistinic et Inzinzac : « Nous en avons distrait Branderion qui ne l'augmente guère, disaient les administrateurs, au lieu que Quistiaic et Inzinzac n'ont que la rivière de Blavet en entr'eux et Languidic, et que l'un et l'autre la traversent par des ponts et des bacs qui leur sont communs. Si l'on conserve dans le bourg de Languidic, vraiment conséquent par son immense population de plus de 6,000 habitants et par ses nombreuses foires, une petite garnison, on doit espérer que la chouannerie en sera écartée » [Note : Archives départementales, district d'Hennebont, 917].

Les trois communes réunies formaient une population de 10,863 habitants, soit 2,466 pour Inzinzac, 2,385 pour Quistinic et 6012 pour Languidic. Une pareille organisation eût fait de Languidic un canton de premier ordre ; mais l'approbation du pouvoir central lui fit défaut, et elle demeura à l'état de projet.

Loin de recevoir une augmentation, il allait bientôt disparaître. Conformément à la loi du 8 pluviôse an IX (28 janvier 1801) qui réduisit le nombre des justices de paix, un arrêté des consuls en date du 3 brumaire an X (95 octobre 1801) fixa à 37 le nombre des cantons du Morbihan. Celui de Languidic fut supprimé et sa justice de paix transférée à Hennebont. Depuis ce temps, la commune y est restée constamment attachée.

 

II - ATTRIBUTIONS CANTONALES.

Le canton, tel que l'avait organisé l'Assemblée nationale, n'était pas une division administrative, mais électorale. Il n'en possédait pas moins une grande activité, en raison des pouvoirs importants que la loi conférait à ses assemblées primaires. Pour faire partie de ces assemblées, il fallait être citoyen actif, c'est-à-dire avoir 25 ans d'âge, être domicilié de fait dans le canton, au moins depuis un an, n'être domestique à gages ni failli, payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail [Note : La journée à Languidic et sans doute dans le Morbihan était de 1 liv. 10 s. (Archives de la fabrique de Languidic)].

L'assemblée cantonale n'exerçait pas toujours par elle-même ses diverses attributions ; mais, lorsqu'il s'agissait des hautes fonctions de l'État, elle déléguait sa souveraineté à des électeurs chargés d'y pourvoir. Ces électeurs, pris parmi les habitants propriétaires d'un bien évalué de 150 à 200 journées de travail, nommaient les administrateurs et les juges du district, les administrateurs du département, les députés aux assemblées législatives... Leur nombre était proportionné à celui des citoyens actifs, votant ou non votant, à savoir : un électeur par 100 à 150 citoyens actifs, deux par 250 ; et ainsi de suite.

D'après le chiffre connu en 1790 de ses citoyens actifs, le canton de Languidic n'avait droit qu'à trois électeurs [Note : La liste des citoyens actifs devait être, en ce moment, incomplète ; car, l'année suivante, on trouve 5 électeurs]. Pour les choisir, une assemblée primaire se tint dans la chapelle des Fleurs [Note : Toutes les assemblées primaires de Languidic se tenaient dans cette chapelle], vers la fin d'avril, ou du moins avant le 7 mai ; et ses voix se portèrent sur François Tuartz, Louis Le Gouallec et Mathurin Le Garrec. Ces trois hommes devaient sentir leur importance, car ils allaient contribuer à la formation de toutes les administrations publiques. On commença par le département, dont la constitution se fit à Vannes ; elle se termina vers le 12 juin. Ce travail achevé, tous les électeurs se rendirent aux chefs-lieux de leurs districts respectifs pour procéder également à leur organisation. Ceux du district d'Hennebont se réunirent, le 18, dans la chapelle de la Congrégation, sous la présidence provisoire de Mathurin Le Garrec, doyen d'âge. Dès que le bureau fut définitivement constitué, on s'occupa de nommer les administrateurs, leurs suppléants et les autres fonctionnaires. Parmi les suppléants, on remarque Louis Le Gouallec [Note : District d'Hennebont, 938. Le président définitif fut M. Herviaut, recteur constitutionnel de Saint-Caradec, nommé par 28 votants sur 52].

Ce double voyage occasionnait à nos électeurs de sérieuses dépenses et, comme « personne, au dire du procureur Boulard, n'est obligé de militer à ses frais », le conseil général de Languidic résolut de s'entendre avec « les députés de Branderion et de Saint-Gilles » pour leur voter une indemnité [Note : Archives communales de Languidic].

Leurs pouvoirs expirèrent en juin 1791.

Le 19 du même mois, la réunion cantonale eut lieu dans le local ordinaire, sous la présidence de Guillaume Menay, recteur constitutionnel de Branderion, nommé par 62 votants. Le procès-verbal de la séance porte qu'il y avait à choisir 5 électeurs, « qu'ils fussent ou non présents à la séance, pourvu qu'ils fussent habitants du canton, qu'ils eussent droit de voter dans l'assemblée et qu'ils fussent éligibles. ». François Le Creff fut désigné par 43 suffrages ; Jean Ehouarn, par 31 votants sur 53 ; Pierre Guégan, Pierre Blayo et Guillaume Perron, par 82.

Ces électeurs avaient à remplir un rôle non moins considérable que leurs devanciers : ils devaient concourir à l'élection des députés au Corps législatif et de leurs suppléants, au remplacement de la moitié des membres des administrations du département et du district, à la nomination de deux hauts-jurés pour servir près la haute cour nationale, « et à faire, conformément aux lois, les élections qui pourront survenir, jusqu'à la formation du corps électoral, au trois de mars 1793 » [Note : District d'Hennebont, 938].

On les avait convoqués à Vannes pour le 27 du même mois « aux huit heures du matin » ; mais ils ne parurent pas très enthousiastes de la marque de faveur que leur avaient témoignée leurs compatriotes, et, au lieu d'obéir à leur mandat, ils restèrent tranquillement chez eux. Cette grève électorale bouleversa les administrateurs du district : « Est-il possible, écrivaient-ils aux municipaux de Languidic, qu'un aussi mauvais exemple soit donné par un canton de notre district ? Jusqu'à ce moment-ci, nos administrés ont été distingués par leur patriotisme ; serions-nous aussi indifférents en une circonstance où la tranquillité et la paix dépendent de notre union ?... ». Ces doléances sont du 24 août ; elles se terminent par l'ordre de faire, dès le dimanche suivant, un second appel aux citoyens actifs. Dans le cas où les nouveaux électeurs refuseraient aussi de remplir leur devoir, ceux qui auraient obtenu le plus de voix après eux prendraient leur place [Note : District d'Hennebont, 914].

Si les hautes fonctions publiques relevaient des électeurs, pour les administrations cantonales il en allait autrement : l'assemblée primaire en désiguait directement les officiers. C'est ainsi qu'elle choisissait les juges de paix, leurs assesseurs et leurs greffiers.

De 1790 à 1798, le canton de Languidic n'a eu que deux juges de paix : Joseph Le Formal et Louis Le Gouallec. Ce dernier fut élu au mois de décembre 1792 ; le 26, il se présentait « en la municipalité pour prêter serment en présence de toute la commune ». Rien ne dit en quel lieu se rendait la justice avant le 19 février 1793. Une décision du conseil communal, datée de ce jour, prescrit que désormais les audiences se tiendront dans un appartement situé au-dessous de l' « hôtel communal » [Note : Archives communales de Languidic]. Le Gouallec n'avait pas besoin d'un pareil voisinage pour influencer ses jugements, car personnellement il avait des idées avancées, et son nom figure au bas de plusieurs actes répréhensibles de l'époque.

En 1796 et 1797, la réaction eut son tour, et Joseph Le Formal recouvra le poste qu'il avait précédemment occupé, mais il ne le garda pas longtemps. Pour ressaisir le pays qui leur échappait, les Jacobins firent le coup d'Etat du 4 septembre 1797 et cassèrent impudemment les élections dans 49 départements. Parmi les départements réfractaires se trouvait, il va sans dire, le Morbihan. Cet acte désespéré eut pour effet de ramener à la surface les anciens révolutionnaires. En ce qui concerne la justice de paix de Languidic, le Directoire exécutif nomma d'office à ces fonctions, le 18 décembre, Louis Le Gouallec [Note : Archives communales de Languidic].

Il resterait à signaler une autre attribution importante dont la Convention, avant de séparer, dota les assemblées cantonales ; mais, comme elle vise l'organisation municipale, il convient de remettre cette question à l'article suivant.

 

III - ORGANISATION COMMUNALE.

Outre les assemblées primaires cantonales, il y avait des assemblées primaires communales, composées des citoyens actifs de chaque localité et jouissant du droit exclusif de choisir le conseil général de leur commune. Pour être éligible il fallait être inscrit au rôle pour une contribution égale à la valeur de dix journées de travail [Note : Archives de la fabrique de Languidic. Les conditions d'éligibilité pour les administrations municipales étaient les mêmes que pour les membres des administrations départementales et du district (Loi municipale)].

Le Conseil se composait d'un maire, de municipaux et d'un nombre de notables double de celui des membres du corps municipal. Il convient d'y ajouter le procureur, bien qu'il fût, aux termes de la loi, sans voix délibérative. Les notables n'étaient convoqués que pour les affaires importantes. Au maire appartenait l'administration de la commune, mais les officiers municipaux partageaient avec lui le droit de requérir la force. Pour le procureur, son rôle était de défendre et de poursuivre les intérêts de la communauté, de provoquer l'exécution des lois et de solliciter le châtiment des criminels : c'était l'homme des initiatives. L'assemblée primaire nommait elle-même à ces différentes fonctions.

Telle est, dans ses grandes lignes, l'économie de la loi du 14 décembre 1789, relative à l'organisation municipale. Pour prévenir tout désordre, un de ses articles ordonnait aux anciennes administrations de continuer leurs fonctions jusqu'à leur prochain remplacement. Le corps politique de la paroisse de Languidic tint sa dernière séance le 15 février 1790, et le nouveau conseil se réunit, pour la première fois, le 16 du mois suivant. En voici la composition : Yves Le Rouzo, maire ; le prêtre Pierre Boulard, procureur ; huit officiers municipaux : Jean Le Gaudion, François Tuartz, Pierre Guégan, Mathurin Le Garrec, Yves Kernen, Pierre Guégano, François Conan et Louis Le Gouallec ; enfin dix-huit notable [Note : Archives communales de Languidic].

Le Conseil s'assemblait, comme par le passé, dans la sacristie de l'église. Le 7 mai, il songea à se procurer « un appartement convenable pour l'usage de la municipalité ». Comme il ne s'en trouvait point d'autre qu'une chambre dépendant de la chapelle des Fleurs, on résolut de s'y installer ; seulement elle ne devait pas être libre avant le 1er septembre [Note : Archives communales de Languidic].

Le décret de l'Assemblée nationale ordonnait de renouveler tous les ans, par moitié, les conseils généraux des communes. Pour se conformer à ce décret, la municipalité de Languidic se réunit le 29 novembre et tira au sort ceux qui devaient sortir de charge. Le sort désigna, parmi les officiers municipaux : Jean Le Gaudion, Pierre Guégan, Mathurin Le Garrec et Pierre Guégano. L'assemblée primaire se tint le même jour et, en leur place, nomma Yves Géhanno, François Le Creff, Mathurin Kervadec et Mathieu Le Serrec. Ces quatre officiers, avec les neuf nouveaux notables, prêtèrent individuellement, le 12 décembre, devant l'ancien conseil, « le serment à main levée de maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roy et de bien remplir leurs fonctions ».

Le prêtre Boulard ne pouvait plus concilier ses fonctions de procureur avec les devoirs de son ministère : « Nos assemblées, disait-il le 12 mai 1791, se tiennent ordinairement les jours de dimanches et fêtes ; les fonctions de mon ministère m'appellent les mêmes jours ailleurs. La concurrence de ces fonctions, déjà incompatibles par décret de l'assemblée nationale, me met dans l'impossibilité de suffire aux deux » [Note : Archives communales de Languidic]. En conséquence il se retira.

Il eut pour successeur, au mois de novembre, Mathieu Le Serrec. En même temps qu'elle nommait le procureur, l'assemblée primaire changea la seconde moitié du conseil, y compris le maire. Louis Le Gal remplaça Yves Le Rouzo, qui se retirait avec la satisfaction d'avoir rendu à la cause révolutionnaire « un bon service pendant deux années de mérage ». Les opérations électorales se firent péniblement, en deux fois, le 13 et le 21. Celles du 21 eurent lieu sous la direction de Julien Le Gallic, curé constitutionnel, que 27 votants sur 31 portèrent à la présidence. Un tel choix indique suffisamment quel genre d'esprit animait l'assemblée [Note : District d'Hennebont, 902].

Si ce choix devint possible, c'est qu'en dépit des coups de cloche répétés qui annonçaient l'ouverture des élections, la plupart des citoyens actifs s'étaient tenus à l'écart, « par malice ou sans cause ». L'année suivante, les hommes modérés se présentent nombreux et le conseil tombe en leur pouvoir. Ce revirement inattendu ne faisait pas l'affaire des chefs du district : ils voulaient bien laisser toute liberté aux assemblées primaires, mais à la condition qu'elles porteraient leurs suffrages sur les patriotes. Agir autrement, c'était s'exposer à toutes les foudres administratives : « Attendu, dit un arrêté du 21 décembre 1792, que la cabale aristocratique a dominé dans les élections au point de composer de ses suppots les plus zélés la municipalité de Languidic, ordonne de procéder à de nouvelles élections ». D'autres municipalités du district se trouvent dans le même cas ; et, de peur que les assemblées primaires ne dévient à nouveau, le Directoire leur envoie des «  commissaires pour les éclairer sur l'importance du choix dont elles doivent s'occuper ». Le citoyen Dessaux reçut une délégation pour Languidic ; ses instructions, semblables à celles des autres commissaires, étaient très précises : « Il est autorisé à requérir la force pour l'exécution de sa mission et à prévenir les assemblées qu'elles ne doivent point porter leurs suffrages sur les sujets dont les élections ont été annulées » [Note : District d'Hennebont, 938].

Cette tyrannique ingérence produisit le résultat qu'on espérait. Dans les élections qui eurent lieu le 26, les hommes avancés entrèrent au conseil. Tous avaient, en différentes circonstances, donné des preuves de dévouement au nouveau régime. Toutefois, le président de l'Assemblée électorale, Julien Le Gallic, fut obligé de se conformer à leur égard à un arrêté du département, et il ne leur permit point d'exercer leurs fonctions avant de lui avoir exhibé un certificat de civisme, « vissé » au Directoire du district. Ce certificat ne fut pas difficile à obtenir : « Nous officiers municipaux, composant le conseil général de la commune, certifions que Mathieu Le Serrec, Pierre-Charles Voirdye, Pierre Keraudran, Thomas Kernen, Joseph Noillen, Louis Guégan, Marc Rio, Julien Guéhennec, Jean Le Dortz, Pierre Grillon, officiers municipaux... ont prêté devant nous le serment prescrit par les lois de maintenir de tous leurs pouvoirs la liberté, l'égalité, et de mourir pour les deffendre ; que, depuis le commencement de la Révolution, ils ont été constamment imbus de ses principes ; qu'ils se sont montrés et ont voté à toutes les élections, et ont accepté de remplir avec zèle toutes les places auxquelles la confiance de leurs concitoyens les ont appelés ; que nous croyons de notre devoir de leur accorder un certificat de civisme ».

Dès que les formalités furent remplies, le président leva son opposition et la commune passa sous le joug. Le maire et le procureur viennent en tête de la liste. Ces deux hommes aussi étaient les plus influents de la nouvelle municipalité [Note : Archives communales de Languidic].

Mathieu Le Serrec, maire de Languidic, exerçait un commerce au bourg. Il n'avait certainement pas reçu une instruction supérieure, mais son zèle pour le nouveau régime en tenait lieu. Il était bien de son temps ; honoré de la pleine confiance du Directoire, il en secondait avec ardeur tous les efforts, et les actes les plus révolutionnaires ne lui arrachèrent jamais la moindre protestation. Il resta maire jusqu'au 5 mars 1795, jour où il fut assassiné dans les circonstances que nous verrons plus tard.

Pierre-Charles Voirdye [Note : Né le 13 octobre 1762. (Archives communales de Languidic)], procureur de la commune, méritait de lui servir d’auxiliaire. Fils de Jean-Guillaume, notaire royal à Languidic et procureur fiscal des seigneuries de la Vigne et Spinefort, il était devenu, grâce à des études sérieuses, avocat au Parlement. Après la mort de son père, survenue en 1787, il se mêla, comme c'était son droit, aux affaires de la paroisse ; mais, depuis le 15 février 1790 jusqu'au 26 décembre 1792, les archives gardent sur son compte un silence absolu. Dans l'intervalle il résidait sans doute à Hennebont, dont il était à demi le citoyen, et qui en avait fait son délégué à l'assemblée de la Fédération à Pontivy. Le pays natal pourtant n'était pas sorti de sa mémoire, et l'on dirait qu'il y revint tout exprès pour imprimer une nouvelle activité à la marche de la politique régnante. C'était effectivement un partisan décidé de la Révolution, et sa fonction de procureur, qui le transformait en une espèce de commissaire de police, convenait bien à son humeur et à ses sentiments emportés. En janvier 1794, il prit le titre d'agent national ; mais, si son nom changea, ses attributions restèrent les mêmes, et il conserva sa place jusqu'à la réforme des lois municipales, prescrite par la Constitution de l'an III.

En vertu de cette constitution, les conseils généraux des communes faisaient place à des administrations cantonales, assistées d'un commissaire du pouvoir exécutif directement nommé par l'administration centrale. Six membres composaient celle de Languidic, un président et cinq administrateurs, auxquels se joignaient, pour former la municipalité du canton, l'adjoint et l'agent de Branderion. L'assemblée primaire en nommait tous les membres. Seulement les citoyens actifs du canton de Languidic ne se pressaient pas de réunir pour l'organisation des nouvelles autorités : « Le difficile, écrivait le Directoire le 12 novembre, sera d'avoir des individus qui acceptent les nouvelles places, qui seront pénibles et très dangereuses » [Note : District d'Hennebont 917]. Les commissaires envoyés par le Directoire ne réussirent pas à former les assemblées primaires : « Deux fois, mais sans succès, écrit-il le 15 décembre, l'assemblée a été convoquée ; le procureur syndic vous a proposé pour commissaire du Directoire exécutif le citoyen Ferrand : il convient là et peut y ramener l'ordre » [Note : District d'Hennebont 917].

L'ordre n'était pas facile à rétablir, comme on le verra dans la suite. Il suffit en ce moment de savoir que pendant longtemps toutes les instances du Directoire pour renouveler les autorités aboutirent à des échecs. Voirdye lui-même refusa les fonctions de commissaire, qui furent confiées au citoyen Poullain. En sorte que Languidic n'eut qu'une organisation provisoire jusqu'au 23 avril 1797, jour où eut lieu l'installation de l'administration cantonale définitive. Elle se composait de Mathurin Le Bobinec, président ; de Christophe Kernen, François Conan, Pierre Blayo, Jean Ollier [Note : 0llier se prétend parent d'émigré et refuse. L'administration municipale, conformément à la loi, le remplace par Yves Terrien] et Pierre Guégan, administrateurs ; de Jacques Le Guen et de Georges Guégano, agent et adjoint de Branderion.

Tous jurent « haine à la Royauté et à l'anarchie, attachement et fidélité à la République et à la Constitution ». Cela ne les empêchait pas d'avoir des sentiments relativement modérés [Note : Ce qui le prouve, c'est qu'ils invitent les aubergistes à fermer à 9 heures du soir (Archives communales de Languidic)]. Le même esprit d'ailleurs régnait dans la plupart des cantons. Une tendance si caractérisque ne pouvait durer. De là l'annulation « de toutes les opérations primaires, communales et électorales du Morbihan » dont nous avons déjà parlé, et l'établissement dans toutes les communes d'administrations provisoires. Un décret du 26 septembre institua celle de Languidic ; et, dès le 28, grâce à l'activité déployée par le citoyen commissaire, elle entra en exercice. Puisque la faction victorieuse les a jugés dignes de sa confiance, il faut bien que ses membres passent à la postérité. Voici leurs noms : Julien Le Gallic, président ; Jean Le Dortz, meunier ; Pierre Keraudran, cultivateur ; Jean-Baptiste Le Serrec, aubergiste [Note : Bientôt remplacé par Jean Blaye (Archives communales de Languidic)] ; Yves Alio, cultivateur, de Kerfalhun, et Jean Le Tallec fils, boulanger au bourg, administrateurs ; Guillaume Menay el René Le Mancq, agent et adjoint de Branderion.

L'assemblée primaire du 24 mars 1798 introduisit dans la composition du conseil l'élément modéré ; mais, si importante que fût cette modification, la présidence n'en resta pas moins au curé constitutionnel. Le 20 avril, les membres de la nouvelle administration prêtent le serment d'usage et « arrêtent qu'ils tiendront séance les jours de décadis et dans le courant des décadis », si les affaires l'exigent [Note : Archives communales de Languidic].

Moyennant toutes ces assurances, la République à Languidic se crut sauvée.

 

IV - CHARGES MUNICIPALES.

L'assemblée primaire ne choisissait pas tous les fonctionnaires de la commune. Quelques-uns relevaient aussi du conseil municipal. Tels étaient le secrétaire, l'officier public et le receveur des Impôts.

Le premier secrétaire communal de Languidic fut Pascal-Jean-Tanguy-Bertrand du Botper, notaire royal dans la commune, né à Bubry le 14 avril 1759. Nommé à cette fonction le 16 mars 1790, avec une rétribution de 25 livres par mois, il la résigna le 14 mars de l'année suivante. C'était un homme modéré ; et, lorsque se fit la réaction de 1792, on lui confia la charge de procureur. Plus tard il alla s'établir à Hennebont ; et il paraît que les municipaux de Languidic ne lui en voulurent ni de son départ, ni de ses sentiments, car, en 1794, ils lui accordèrent volontiers un certificat de civisme, attestant « qu'il avait résidé sans interruption dans la commune, depuis le 2 mai 1790 jusqu'au 20 décembre 1793 » [Note : Archives communales de Languidic].

Son successeur, Louis Guyomar, provoqua l'animadversion générale. Voici en quels termes lui-même raconte une agression dont il fut l'objet « avec fracquement de vitrage » :

« Aujourd'hui, 1er octobre 1791, environ dix heures du matin, ayant sorti de chez moi pour aller à la messe de M. Couëdo, j'ai été au four pour allumer ma pipe à la manière accoutumée, j'ai fait rencontre du neveu de M. Le Bobinnec, fils de Prudence, qui tous les jours sollicité par sa mère et parents de me chanter mille injures par los rues et attrouper tous les enfants du bourg à me venir insulter jusqu'à dans ma chambre et casser les vitres à coups de pierres. Si je veux les réprimer, les grandes personnes, au lieu de leur faire comprendre le mal qu'ils font, les encourage à continuer leur révolte. Le garçon du four de la veuve Le Guennec m'a maltraité. J'en ai des marques, tristes preuves pour moi.

Je voudrais n'avoir affaire ni à l'un ni à l'autre ; mais il m'épie partout ou je passe et ne peut sortir de la chambre qu'en danger de ma vie ; les pères et mères échauffent journellement leurs enfants et domestiques contre moi... Ils m'en veulent encore plus depuis que j'ai publié avec le maire les lettres du département concernant l'exil des prêtres hors de la paroisse.

Veuillez me faire rendre justice sur-le-champ et me donner main forte et sureté publique contre les attentats et guets-apens de ces habitants acharnés, sans ordre ni police contre un pauvre innocent qui ne cherche que la paix. Car ce n'est pas la première fois que leur victime se trouve forcée de réclamer » [Note : Archives communales de Languidic].

Le meilleur moyen d'y mettre fin, c'était de cesser ses fonctions : c'est ce qu'il fit quelques mois plus tard. Il fut remplacé par Dagorne, un incapable ; et, le 5 octobre 1793, Dagorne, par Gilles Leysenne à l'unanimité. Ce dernier resta en place jusqu'à la débâcle de 1795 ; c'était un des meneurs de l'époque, et l'on peut dire qu'avec Mathieu Le Serrec et Voirdye, il a constitué le trio révolutionnaire de Languidic.

Une fonction toute nouvelle était celle d'officier public. On sait que, sous la monarchie, les registres de l'église servaient pour les actes de la vie ordinaire. Un pareil usage choqua profondément les tenants de la Révolution, qui trouvaient au contraire que le citoyen devait absorber le chrétien. De ce préjugé naquit la loi du 20 septembre 1792, qui enlevait aux ministres des cultes, pour les remettre aux municipalités, les registres de l'état civil. Et voilà, si on peut le dire en passant, les premières étapes de cette désastreuse laïcisation que les gouvernants actuels se flattent d'avoir conduite à terme. Ne comprenant pas la portée de cette mesure, le conseil communal laissa l'état civil aux mains du curé constitutionnel. Celui-ci n'y vit aucune difficulté. Comme il célébrait déjà les mariages selon le rite de l'Église, il trouvait sans doute naturel qu'on lui proposât de les célébrer encore suivant le rite de la mairie. Le premier mariage civil est du 30 décembre 1792 : « Les contractants, écrit le curé, ont individuellement et à haute voix déclaré se prendre pour époux ; en conséquence, je leur ai prononcé, au nom de la loi, qu'ils étaient unis en mariage ».

Malgré toute sa souplesse constitutionnelle, il fut cassé le 8 avril 1794, « les cy-devant prêtres ne pouvant exercer les fonctions d'officier public ». Jean-Baptiste Le Serrec prit sa place avec un traitement de 900 livres. Le Gallic cependant n'avait pas dit son dernier mot ; et, en 1797, lors de la reprise du pouvoir par ses amis, on le remit en possession de cette charge qu'il cumula, pendant près d'un an, avec la présidence de l'administration cantonale [Note : Archives communales de Languidic. En vertu de la Constitution de l'an III, à Branderion, dont la population était inférieure à 5,000 âmes, l'agent ou l'adjoint remplissait cette fonction]. Au mois d'août 1798, François Conan réussit à le supplanter.

Un droit, plus onéreux peut-être qu'utile, c'est celui qu'avaient les contribuables de pourvoir à la cueillette des impôts. Le Général de la paroisse l'exerçait avant 1789, et les diverses assemblées législatives qui se succédèrent pendant la Révolution l'avaient maintenu aux conseils des communes. En 1790, aux redevances ordinaires de l'ancien régime : vingtièmes, capitation et le reste, s'ajouta un impôt extraordinaire, désigné sous le nom de contribution patriotique, et que les députés avaient voté, le 6 octobre de l'année précédente, pour parer à la banqueroute. Il s'élevait au quart des revenus de toute nature et devait les atteindre tous, excepté ceux des établissements hospitaliers et ceux inférieurs à quatre cents livres. L'annonce en fut faite à Languidic, le dimanche 21 mars, et le bureau des déclarations à faire par les habitants s'ouvrit le lendemain. Mais, comme les déclarations étaient volontaires, on ne pouvait y avoir grande confiance. Aussi, le 21 septembre, sur la réquisition du procureur Boulard, le conseil décida-t-il d'en faire la vérification, « à l'effet d'approuver celles qui lui paraîtront conformes à la vérité, de rectifier celles qui seront n'autoirement infidelles et de taxer d'office en son âme et conscience tous les contribuables qui, ayant 400 livres de revenus nets, auraient négligé de faire leur déclaration ». Après un examen plus ou moins sérieux, les diverses déclarations furent approuvées, à part celle de Jean Ollier, de Kerfréhour, qui, ayant 600 livres de rente, fut taxé à 50 [Note : Archives communales de Languidic].

En 1791, parurent les impôts nouveaux. Pour les asseoir d'une manière équitable, l'assemblée primaire, tenue le 23 octobre 1791, nomma des répartiteurs dans les 26 frairies de la commune, et leur intima l'ordre de s'entendre, le dimanche suivant, avec M. Bertrand, commissaire-adjoint. L'impôt foncier produisit 35,027 livres et l'impôt mobilier 6,548 [Note : District d'Hennebont, 906]. Ces chiffres subirent, en 1797, une diminution assez sensible. On ne trouve plus d'une part que 32,138 livres, et de l'autre, 5,799 [Note : Archives communales de Languidic].

La réforme des impôts rendait inutile la nomination de plusieurs collecteurs. Un seul suffisait à la besogne ; la charge était annuellement donnée au rabais, et c'est au conseil communal qu'il appartenait de la mettre en adjudication.

Le premier percepteur fut M. Bertrand, déjà nommé. Citons encore Blaye, Corvouaisier, ex-maître juré de la juridiction de la Forêt, et Marquet.

 

V - COMITÉS RÉVOLUTIONNAIRES.

Tant de fonctionnaires, si zélés qu'ils fussent, ne suffisaient pas à la Convention. La crainte de menées réactionnaires hantait son cerveau, et, pour s'assurer la possession du pays, elle institua dans chaque commune une organisation spéciale qui exerçait sur la conduite des affaires une influence décisive : je parle des comités révolutionnaires.

Le 27 octobre 1793, le Conseil municipal de Languidic « arrête qu'il y aura une assemblée de commune pour nommer les membres composant le comité de surveillance vendredi 1er novembre 1793, dans la forme indiquée par la loi du 21 mars dernier » [Note : Archives communales de Languidic, district d'Hennebont, 937]. Les habitants se réunirent au jour marqué et formèrent le comité de 18 membres, dont six en qualité de suppléants [Note : Archives communales de Languidic, district d'Hennebont, 937].

Dans leur inexpérience, ils y avaient appelé des conseillers municipaux. Cette introduction parut illégitime à quelques-uns et ils exposèrent le cas au Directoire du district, tout en se déclarant « entièrement dévoués à la chose publique et prêts à obéir aux ordres » [Note : Archives communales de Languidic, district d'Hennebont, 937]. On leur répondit qu'aucun membre de la municipalité ne pouvait effectivement en faire partie, puisque le comité avait pour but de surveiller les autorités constituées. Ils devaient y nommer les meilleurs citoyens, mais à condition qu'ils ne fussent pas notables. Le conseil était bon : rien n'est terrible comme la surveillance de ceux qui n'ont rien à l'égard de ceux qui possèdent quelque chose. Si « les bons citoyens » avaient de quoi triompher sur ce point, le reste de la réponse était de nature à les froisser profondément : ils devaient remplir leurs places sans recevoir de traitement ; le sacrifice était pénible, mais on le demandait à leur dévouement dans l'intérêt de la patrie. « L'égoïsme, ajoute le Directoire, n'a pas encore été mis de côté dans votre commune, et nous voyons avec peine la réserve de quelques-uns. On ne s'empresse à être bon patriote que parce qu'on est bien payé » [Note : District d'Hennebont, 919].

Les comités de ce genre avaient des pouvoirs redoutables : ils n'étendaient pas seulement leur surveillance sur les autorités constituées, tout ce qui se tramait dans les communes au détriment de la république était de leur compétence, et l'on sait que l'hostilité de nos campagnes avait de quoi exercer leur zèle.

Dix jours après le comité de surveillance, s'établissait une société populaire [Note : District d'Hennebont, 937], chargée de la diffusion des bons principes. Malgré l'importance d'un tel but, elle ne se réunit que trois lois depuis le jour de sa création jusqu'à l'arrivée de l'instituteur, Guillaume Kerhouant.

Ouvrier du port de Lorient, cet individu recevait de Prieur de la Marne, le 17 février 1794, une commission pour remplir les fonctions d'instituteur dans telle commune qui lui serait désignée par l'administration. Deux jours après, le Directoire le désigna pour Languidic.

Son premier soin, en y arrivant, fut d'infuser au club une vie nouvelle. Après en avoir rassemblé les membres, il leur fit un discours qu'il a résumé de la sorte : « Je portai le premier là parole en madressent aux cultivateurs ; je leur parla des grands ventages de la Révolution ; je parla au peuple de ses vrais ennemis, je chercha par toutes sortes de maut énergique à l'enflammer de l'amour de la liberté et de la patrie, à luie faire concevoir une haine implacable pour les rois, les traites de toutes espesces, pour toutes les grands de la terre qu'il faut abattre et en faire des marchepieds » [Note : A. Macé, Un instituteur en l'an II].

L'instituteur, on le voit, n'y allait pas de main morte, et les paysans de Languidic étaient peu avancés pour un tel homme : « Je me suis appliqué, écrit-il deux jours après, depuis mon arrivé issi à étudier l'esprit publique du peuple : il est un peu égoïste et insoucient, facile à tromper, et sait peu distainguer le patriotisme et le civisme du charlatanisme de l'ambition, de l'arrogance de la critique et de la calomnie » [Note : District d'Hennebont, 941]. Pour le mettre à son pas, il proposa la reconstitution de la société populaire, mais tous ne furent pas de cet avis, et sa motion fut repoussée, parce que « les clubs occasionne des disputes ». On lui fit objecter d'autre part qu'il était impossible de trouver dans une campagne assez d'hommes instruits pour former une pareille société et un personnage assez capable d'en remplir les fonctions de président. Kerhouant trouvait ces raisons détestables : « J'appelle dangereuses, disait-il, des opinions semblables puisqu'ils tondents à établir des principes contraires à la sainte égalité et à éloigner de toutes association et fonction publique les sen culotte vray deffenseurs de la liberté et des droits naturels de l'homme » [Note : A. Macé, Un instituteur en l'an II].

Ce zèle intempérant lui suscita des ennemis. L'agent national Voirdye en était particulièrement exaspéré. Voirdye se prêtait naturellement à toutes les mesures radicales, et pourtant l'organisation d'une société populaire lui répugnait. Son opposition inattendue surprend l'instituteur, qui s'en plaint avec amertume dans une lettre du 26 mai, adressée à un « citoyen frère et amie » :

« Je n'aurais jamais crue trouver issie un fonctionnaire publique qui aurait serr bar (?) de tromper les hommes et de tourner en ridicule tout ce que je dit et tout ce que je faits. Je suis selon Voirdi agent nationale de cette commune un calomniateur parce que j'ay dit que le peuple de ces pay issie n'aitais pas à la hauteur de la Révolution. J'ay calomnié la commune de Languidic parce que j'ay dit aux citoyens Cado et Méha lorsqu'ils veinrent en commission pour le curé que je ne connaissaits pas de société populaire dans cette commune ; je vous derais, dit-il, estre tous donneres avis à tout et voulloir que toute voix à ma tette parce que je propose d'établir un club qui est selon luie ou inutile ou impossible : le ridicule ne manque pas comme le mépris d'estres répendue sur mois à plenne main en ma présence même, toujours par des discours ambigus, des gestes, des curements de gorge et des crachement pour servire de signale : je répond à tous avec modestie ou en gardent le silence » [Note : District d'Hennebont, 941].

Quelle patience ! Ce drôle avait donc des vertus ?

Aucune opposition ne le rebute. Au contraire son ardeur s'en exalte, et il s'obstine « à distribuer dans la commune un certain nombre de circulaires pour préparer à un club ». Le succès couronne ses efforts. La société s'organise sur de nouvelles bases, et Voirdye lui-même en accepte la présidence.

Jusques à quand fonctionna cette institution ? Je ne sais. Pour le comité révolutionnaire, une loi du 24 août 1794 en prononça la suppression et ses registres furent déposés au Directoire du district [Note : District d'Hennebont, 942].

 

VI - UNE ASSEMBLÉE SCHISMATIQUE.

On voit que les instruments ne manquaient pas, à Languidic, pour l'application de toutes les mesures révolutionnaires qu'il plairait au pouvoir d'édicter. Une des premières et des plus désastreuses sans contredit fut la constitution civile du clergé, qui remettait aux mains du peuple, malgré les réclamations de l'Eglise, le choix de ses pasteurs.

C'est pour obéir à cette schismatique innovation que, le 3 avril 1791, se tint à Hennebont l'assemblée électorale du district.

Le canton de Languidic y fut représenté par les trois électeurs dont nous avons déjà parlé : François Tuartz, Mathurin Le Garrec et Louis Le Gouallec. « Après avoir assisté à la messe paroissiale et invoqué les lumières du Saint-Esprit », elle procède à la formation d'un bureau provisoire, et c'est un Languidicien, François Tuartz, qui obtient les honneurs de la présidence, à titre de doyen d'âge des électeurs présents. Il cède bientôt la place à un électeur du canton d'Hennebont, Le Tohic de Kfrézour. Dès que le bureau est définitivement composé, ses membres prêtent « le serment de fidélité de maintenir la constitution, d'être fidèles à la nation, à la loy et au roy, de choisir en leur âme et conscience les plus dignes de la confiance publique » ; puis ils mettent successivement les paroisses aux voix.

Quand vient le tour de Languidic, M. Le Calvé, ancien trinitaire de Sarzeau, obtient 50 suffrages : c'est la majorité absolue. Un exprès lui est aussitôt, envoyé pour lui annoncer sa nomination. M. Le Calvé se trouvait à la campagne et n'avait ni plume ni encre à sa disposition, mais il chargea « l'exprès de dire au président que, n'ayant qu'environ trois ans de prêtrise, il ne pouvait se rendre au vœu de l'assemblée électorale ». C'était un refus poli. L'Assemblée désigne alors par 34 suffrages l'abbé Philippe, chapelain de Kergo-la-Forêt. M. Philippe répond au gendarme chargé de lui communiquer la nouvelle qu'il ne peut accepter.

A son défaut, les voix se portent sur M. Quémar, prêtre à Sarzeau [Note : Fils de Claude et d’Anne Le Denmat, de Saint-Pierre de Vannes, il fut ordonnée le 11 mars 1780. Prêtre de Plouharnel en 1780 ; de Sarzeau, de 1782 à 1791, son mobilier fut saisi, le 29 octobre, comme s'il avait été émigré. Il mourut pendant la Révolution, à Keralier, dans une petite chambre au-dessus de la chapelle].

L'assemblée n'attendit pas de savoir la détermination de M. Quémar pour clôturer ses travaux, et elle les termina, comme elle les avait commencés, par une messe solennelle, avec le Te Deum en action de grâces. Le jeudi 7, « tout étant disposé pour le service divin », le président monte en chaire pour faire la proclamation des curés constitutionnels, et, devant le peuple qui remplit l'église, il prononce le discours suivant :

« Vous connaissez, messieurs, au moins de réputation, presque tous les ecclésiastiques que je viens de vous nommer : leurs vertus chrétiennes et morales peuvent défier la critique la plus audacieuse : presque tous se sont soumis au décret du 27 novembre. Mais qu'est-ce encore, ce petit nombre, en comparaison de celui que fournissait la liste de tous les ecclésiastiques qui ont fait ce trop fameux serment ? Et si on la publiait, celle des ecclésiastiques de la seule ville de Paris en présente plus de 600. Et l'on veut nous persuader que tant de respectables ecclésiastiques renoncent au vrai Dieu, abandonnent la religion de leurs pères et s'excluent volontairement du giron de l'Eglise ? Ah ! messieurs, gardez-vous bien de le penser : vous ne pouvez croire sans blesser grièvement la charité qu'ils sont déterminés par un vil intérêt. Si vous étiez injustes à ce point, considérez donc qu'un grand nombre d'ecclésiastiques, après avoir rendu un hommage public à la constitution civile du clergé en faisant le serment de la maintenir, ont cependant refusé les cures et même les épiscopats qui leur ont été offerts. Au moins, messieurs, soyons justes à l'égard de ceux-là et convenons que l'intérêt personnel n'entre pour rien dans leurs motifs.

Sans doute, messieurs, la diversité des opinions chez les ecclésiastiques doit vous jeter dans une grande perplexité, j'en conviens ; mais dans cette circonstance critique, il y a deux partis à prendre et que je conseille à tous ceux qui ne veulent pas avoir de reproches à se faire. Le premier est pour ceux qui sont en état et qui ont le loisir de s'instruire : qu'ils lisent les ouvrages savants et profonds qui ont été faits sur cette matière, et à coup sûr ils seront convaincus que la constitution civile du clergé n'attaque pas la religion, mais au contraire la favorise. Pour ceux qui ne sont pas en état de puiser dans ces ouvrages, je leur dirai : « Soyez aveuglément soumis à la loi : embrassez le parti qui épouse la paix ; gardez-vous bien de rejeter ce don précieux que Jésus-Christ a fait aux fidèles en disant aux apôtres, en montant au ciel : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix, » et fermez l'oreille aux insinuations fanatiques qui ne tendent qu'a armer le citoyen contre le citoyen et à faire du plus beau royaume un monceau de débris et de cendres » [Note : District d'Hennebont, p. 938].

Libre au président d'étaler de pompeuses tirades, et aux membres de l'assemblée d'y applaudir. Cela ne les empêchait pas de faire une œuvre mauvaise, en usurpant sur le pouvoir spirituel le droit qui lui appartenait en propre de nommer les titulaires des paroisses. Tel devait être, au sujet de cette criminelle entreprise, le sentiment de l'abbé Quémars ; car, à l'exemple de MM. Calvé et Philippe, il refusa le poste qu'on lui proposait, et, par suite de la rentrée des électeurs dans leurs foyers, on fut obligé d'attendre quelques mois avant de pourvoir Languidic d'un curé constitutionnel.

 

VII - ETABLISSEMENT CONSTITUTIONNEL.

Le 15 août, une nouvelle assemblée électorale se tint à Hennebont et, par 29 voix sur 32, désigna pour recteur de Languidic Julien Le Gallic.

Julien Le Gallic, dont le nom s'est rencontré si souvent sous notre plume, était né le 2 mars 1749, au village de Kerhel en Baud, de Joseph et de Marie Le Corvec. Sous le nom de frère Joseph Le Gallic, il avait pris, le 8 juillet 1780, l'habit des récollets à Pontivy, et, le 8 juillet 1781, fait profession au Port-Louis. On le trouve, en 1790, secrétaire des récollets de Sainte-Catherine, et, en 1791, supérieur de la maison de Pontivy, conservée par arrêté départemental du 21 mars de la même année.

Cet homme n'eut garde de décliner sa nomination. Le 29 août, il se fit instituer par Le Masle et installer le même jour en présence de J. Le Toux, recteur constitutionnel de Baud, et de Michel-Duroy, recteur constitution de Saint-Gilles-Hennebont. Il ne lui restait plus qu'à prendre possession de sa paroisse.

En date du 7 septembre, le Directoire du district écrivait à la municipalité de Languidic :

« Nous vous prévenons que M. Le Gallic a été élu curé de votre paroisse, qu'il a reçu son institution canonique et doit se rendre dimanche prochain à votre bourg pour être installé : nous ne doutons pas de tout votre patriotisme pour recevoir avec zèle votre nouveau pasteur ; nous vous invitons à aller au-devant de lui dimanche prochain et de mettre tout l'appareil possible à la réception. Il se présentera deux commissaires du district à cette installation.

Vous aurez à vous présenter de suite chez M. Morgant, votre curé, pour lui annoncer qu'il n'a plus désormais à s'immiscer en aucunes fonctions curiales et qu'il ait même, aux termes de l'arrêté du Département en date du 3 de ce mois, à se retirer de suite hors de la paroisse de Languidic ».

Le même jour, le Directoire adressa cette missive à M. Le Gallic, prêtre à Baud :

« Vous pouvez vous tenir prêt à vous rendre dimanche prochain à Languidic pour votre installation : deux commissaires du district s'y rendront, et nous invitons la municipalité à vous recevoir avec des sentiments religieux et patriotiques.

Nous attendons ce moment avec impatience, il nous procurera la satisfaction d'avoir parmi nous un nouveau curé constitutionnel dont les mœurs et la religion serviront de nouvel exemple de la fausseté des ennemis de la Constitution ».

L'installation eut lieu au dimanche indiqué, et, le 14 septembre, le Directoire en rendait compte aux administrateurs du département :

« Nous avons l'honneur de vous prévenir que dimanche dernier nous procédâmes à l'installation de M. Le Gallic à la cure de Languidic. Nous craignions bien que peu de personnes se fussent rendues à cette installation ; mais heureusement nous avons été trompés dans nos espérances, l'église était pleine pendant la messe » [Note : District d'Hennebont, 914].

Aux termes de la Constitution civile du clergé, il appartenait aux curés de choisir leurs vicaires. Le curé de Longuidic ne fut pas embarrassé à chercher le sien. Il se tourna en toute assurance vers les religieux de son ordre et son choix tomba sur Pierre-Vincent Kerviche, qu'il avait autrefois connu au Port-Louis et qui, le 15 juillet 1791, avait embrassé lavie commune dans la maison conservée à Pontivy. Profès à vingt ans sous le nom de Père Victor, ancien lecteur de théologie, ancien custode de la province de Bretagne, cet homme n'était pas dénué de mérite ; seulement il avait eu le malheur de déshonorer ses vieux jours en prêtant, le 13 février 1791, dans l'église de Notre-Dame de Port-Louis, un serment que réprouvaient l'Eglise et la conscieuce. Cette démarche, il est vrai, Le Gallic la voyait avec d'autres yeux ; pour lui elle complétait son confrère, et le rendait digne de partager les combats qu'il se proposait de livrer aux retardataires de sa paroisse. Kerviche lui donna volontiers son concours et, le 1er novembre, prit possession de ses fonctions de vicaire. Le 1er janvier 1792, après la grand'messe, il monte en chaire et prête, en breton et en français, devant le conseil de la commune, le serment suivant : « Je jure d'être fidèle à la nation et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ag diffendi ol me buissance er gonstitution ouvat dré en Assemblée nationale, ag sanclionnet dré er Roué » [Note : Arch. comm. de Languidic].

En jurant en breton, l'intrus a prouvé une chose : c'est qu'il n'en savait pas un mot. Mais peu lui importait, en somme. Il voulait montrer au peuple qu'à ses yeux le pouvoir civil primait le pouvoir de l'Église, et, si barbare qu'il fût, son langage possédait à cet égard toute la clarté désirable. Quelques semaines plus tard, arrivait un second vicaire, Joseph Minguy, lui aussi ancien récollet et transféré de Quistinic à Languidic. Il prêta serment le 29 janvier 1792, à la grand'messe qu'il chanta lui-même.

Le 1er juillet, Kerviche passait en la même qualité à Hennebont [Note : Il y resta jusqu'au 1er janvier 1793, où il devient vicaire épiscopal ; le 23 février, Le Masle le nomme vicaire supérieur du Séminaire. Interné au Petit-Couvent par arrêté du 21 avril 1794, il est remis en liberté après la mort de Robespierre. Il prête tous les serments en usage durant la Révolution, adhère aux décisions du synode de Lorient, et meurt le 21 octobre 1802, rue des Halles, en St-Pierre de Vannes. Il y était né le 25 mai 1726, de Jean-Pierre et de Jeanne Moreaux. (Note de l'abbé Luco)]. On ne le remplaça pas, en sorte que Minguy resta seul vicaire constitutionnel. Le 14 août en même temps que son curé, il prêta un nouveau serment conçu en ces termes : « Je jure d'être fidelle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir en la deffendant » [Note : District, 930, les arch. comm. de Languidic mettent le serment du curé au 20 août. Le peuple appelait les prêtres jureurs des prêtres de paille : person plouz, curé plouz. — Ce Minguy était récollet de Lesneven].

Le culte cher aux novateurs ne faisait donc pas défaut à Languidic. Les municipaux tenaient même à ce qu'il fût célébré avec un certain éclat, témoin une dépense de 136 livres pour fourniture de cierges à l'église paroissiale. Mais si nos municipaux prenaient assez de plaisir à voir brûler les cierges, ils n'en prenaient guère à les payer, et le fournisseur Chenaux ne put en tirer aucun argent qu'avec une décision favorable de la justice de paix, appuyée de l'intervention du Directoire. « Payez donc, leur écrivait ce dernier après avoir vu la sentence, pour nous éviter la peine de prononcer » [Note : District d'Hennebont, 918].

Il était juste que tous les frais du culte fussent à la charge de nos municipaux, puisqu'ils en percevaient les recettes. Ils possédaient l'administration des églises et chapelles, nommaient les trésoriers de Saint-Pierre, de Notre-Dame-des-Fleurs et des offrandes du Calvaire, surveillaient exactement le bedeau pour lui faire rendre compte de ce qu'il recueillait [Note : Arch. de Languidic]. Le Gallic ne faisait aucune réclamation. Content de la faveur dont l'honorait le pouvoir, il se joignait aux municipaux pour accabler le clergé fidèle [Note : District, 944. — Les curés constitutionnels de Quistinic, Kervignac, Plouhinec... se livraient à la même vilaine besogne] et dénoncer avec eux les Languidiciens coupables de regretter le passé. Aucune mesure ne semblait capable de lui inspirer du remords, lorsqu'un arrêté du représentant du peuple Le Carpentier vint troubler sa quiétude. En vertu de cet arrêté, daté du 13 avril 1794, tout prêtre devait remettre à l'administration ses lettres de prêtrise, sous peine de passer pour suspect et d'être mis en état d'arrestation comme perturbateur ou ennemi de l'ordre. Le 24 avril, cette décision est notifiée au curé et au vicaire de Languidic. Pour la première fois, le curé résiste. On le punit de cette résistance invraisemblable en l'enfermant à l'abbaye de la Joie. Le voilà redevenu moine : cela l'ennuie profondément, et, pour recouvrer sa liberté, il livre ses lettres de prêtrise et renonce à son rectorat, le 2 juillet suivant [Note : Papiers de l'abbé Luco].

Cette lâcheté insigne ne mit pas fin immédiatement à sa détention, et c'est seulement le 5 septembre qu'il se présenta devant le conseil de Languidic avec un certificat dont suit la teneur : « Les administrateurs du district d'Hennebont certifient que le citoyen Le Gallic, curé de Languidic, est définitivement libre et peut aller où bon lui semble en se conformant à la loi des passeports ; les scellés seront levés par la municipalité sans procès-verbal ». Les scellés apposés sur le presbytère furent lavés aussitôt et le curé « remis en possession de son local » [Note : Arch. de Languidic].

Pour avoir obtenu le droit de rentrer dans « son local », il n'obtint pas celui de rentrer dans son église. L'interdit dura près de deux ans. La loi du 29 septembre 1795 autorisait, il est vrai, l'exercice public du culte dans les communes ; mais elle mettait à cet exercice l'accomplissement préalable de certaines conditions, et il est permis de croire que les troubles dont Languidic était le théâtre empêchèrent le curé d'y satisfaire dès le premier moment. Enfin, le 10 juillet 1796, il fit devant la municipalité, « en qualité de ministre du culte catholique », la déclaration suivante : « Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission aux lois de la République, déclare de plus exercer mes fonctions à la cy-devant chapelle de N.-D. des Fleurs » [Note : Arch. de Lauguidic].

Cette déclaration ouvrait au curé les portes de son église, elle ne lui ouvrait pas les cœurs : je veux dire que la plupart lui restèrent hostiles. Tout autre en pareil cas eut redouté les ennuis de l'oisiveté. Mais le curé étail un homme de ressources : à défaut d'occupations spirituelles il s'en créa de temporelles, et il se plut à y consacrer avec son temps toute son activité.

Une fois entré dans cette voie, aucun service ne lui semblait médiocre et il se croyait de taille à exercer tous les emplois. Aussi ne lui suffisait-il pas d'être officier de l'état civil en même temps que président de l'administration cantonale, il disputa encore la perception des impositions publiques. S'il ne réussit pas à l'emporter, c'est qu'il se montra trop exigeant. Il voulait huit deniers par livre ; un autre se contenta de six et la recette lui fut adjugée [Note : Arch. de Lauguidic].

Tels étaient les divers travaux du curé constitutionnel de Languidic. Ce beau zèle ne constituait pas un titre auprès de ses paroissiens, et au mois d'août 1798 ils le rendirent au calme de la vie ordinaire. Il n'y puisa ni le regret de ses actes, ni l'esprit de modération ; car, deux ans après, il faisait partie de ce fameux synode de Lorient qui, furieux du retour général des prêtres catholiques, osa réclamer leur expulsion. L'appel des schismatiques à la violence demeura sans écho, et malgré la pression révolutionnaire leur parti succomba. Pendant que Le Gallic en déplorait la chute, Mgr. de Pancement lui proposa la paroisse de Silfiac. Pour en prendre possession, il se voyait contraint de fouler aux pieds les serments multiples qu'il avait faits aux constitutions précédentes. Cette perspective ne pouvait l'arrêter, et, heureux peut-être de rentrer au port après une période si agitée, il jura, le 21 octobre 1802, fidélité au Premier Consul entre les mains du préfet du Morbihan [Note : Luco].

 

VIII - LE CULTE DE LA RAISON.

Deux ans et demi s'étaient écoulés depuis l'installation de Julien Le Gallic jusqu'à son internement dans l'abbaye de la Joie. Ce temps était relativement court ; mais il avait suffi pour pervertir bien des esprits. On s'en aperçut lorsque, après le départ du clergé constitutionnel, les croix des chemins et les tabernacles furent mis en pièces. Cette odieuse profanation révolta même des patriotes et l'instituteur se crut obligé de les consoler : « Lorsqu'on brisa issie les idoles et les tabernacles, écrivait-il en son beau langage, je fit mon possible pour consoller mes concitoyen, issie les meilleurs patriotes répète sencesse qu'il va venir des ordres pour relever les croix et moi je vouderais voire ramasser ces débris et les vendre au profit do la République » [Note : Un instituteur en l’an II].

On devine les consolations qu'un pareil homme devait offrir aux Languidiciens. L'instituteur avait en horreur tout ce qui sentait la religion catholique et l'on ne se trompera pas en disant qu'à son instigation fut dû principalement le sacrilège que nous venons de mentionner. Au reste il avait ses idées, et, pour avoir brisé les croix, il ne se prétendait nullement irrégulieux ; seulement il pensait qu'il fallait conformer la religion à l'ère nouvelle qui venait de luire sur le monde. Les croix et les idoles appartenaient au passé, et c'est sur les ruines de ces vieilles superstitions qu'il songeait à établir un culte nouveau.

Et quel est ce culte dont il se faisait l'apôtre zélé ? Celui de la raison : « L'on a dit que j'enseignais la religion de la nation : je ne connais d'autre véritable religion que celle de la raison, d'autre dieu que celuie qui a créé toutes chauses ».

Ce beau projet pouvait échouer au retour des prêtres constitutionnels. Aussi Kerhouant admettait bien qu'on leur rendit la liberté, il ne concevait pas qu'ils fussent autorisés à reprendre leurs fonctions sacerdotales. A la nouvelle qui en court, son indignation éclate : « Les praîte constitutionnels vont revenir pour continuer leurs fonctions comme par le passé. Si une partie de cela pouvait estre vrai, je le croirez quand il le faudera : mais pour croire le tout, je ne le peu, parce que la raison et la Révolution française ne peuvent réellement rétrograder » [Note : Un instituteur en l'an II].

A tout culte convient un temple. L'église paroissiale paraissait beaucoup trop vaste, et, d'ailleurs, elle servait de temps à autre de magasin à foin. Les patriotes jetèrent leur dévolu sur la gentille chapelle des Fleurs. Sa cloche était restée en place et on décida qu'elle sonnerait « la décade pour ceux qui veulents se rendrents au temple de la Raison » [Note : Un instituteur en l'an II].

Pour un tel culte, il n'est nul besoin d'intermédiaires et il appartient à chacun d'être son propre prêtre. Mais la nouveauté de la chose inquiétait les néophytes et, devant leur scrupule ou leur embarras, Kerhouant s'établit le pontife de la nouvelle religion. C'est à ce titre qu'il composa une prière qu'il récitait dans le Temple, les jours de décade, devant le peuple assemblé [Note : District d'Hennebont, 941].

Dans l'intervalle des décades, le temple servait d'école : « Je me suis installez le premier floréal (20 avril) après avoir fait enregistrer ma commission dans la ci-devant chapelle des fleures. La clocle sonne depuis ce jour à dix heures pour l'école qui dure quatre ». Il avait quatre-vingts élèves et il en aurait eu un plus grand nombre, à l'en croire, sans les faux bruits répandus sur son compte [Note : Un instituteur en l'an II].

Rien n'importe plus pour un instituteur que d'attirer fortement l'attention de ses élèves. Pour atteindre sûrement ce but, le nôtre eut recours au bonnet phrygien, et c'est devant ce bonnet qu'il appelait fièrement « le bonnait de la liberté » qu'il faisait l'école à ses enfants : « Je continuerez jusqu'à nouvel ordre à instruire mes élèves dans le temple de la Raison devant le bonnait de la liberté ».

Les élèves de Kerhouant étaient autant de sectateurs du nouveau culte. Cet auditoire d'esprits neufs lui allait mieux que celui des grandes personnes, car il était capable de toutes les impressions. Aussi l'instituteur n'omit-il rien pour le façonner à son image :

« Je leur direz, s'écrie-t-il, la vérité, pendant que je serez au milieu d'eux. Je travaille et je travaillerez sen cesse jusqu'à la fin de ma vie à la destruction de la tirannie, de l'erreur, du mensonge et des préjugés : je vits toujours dans la plus ferme confience que le bon peuple au milieu duquel je me voit aujourd'hui ne tarderas pas à connaître la vérité tout entierre, parce que la vérité est éternelle et le mensonge passe comme l'orage et la tampette qu'il faut conjurer sans perdre de tems » [Note : Un instituteur en l'an II]. Le règne de la vérité, à la nouvelle mode, voilà sa constante préoccupation.

 

IX - FÊTE DE L'ÊTRE SUPRÊME.

Pour hâter l'avènement de ces beaux jours où la vérité serait triomphante et l'erreur abattue, les patriotes célébrèrent avec une sorte d'ivresse, le 8 juin 1794, « la faite à l'honneur de lettre suprême ». Nous possédons encore le rapport rédigé à cette occasion. Pour le fond et pour la forme, pour l'état d'esprit qu'il révèle, ce document est unique, et ce serait un péché d'en supprimer le moindre trait comme d'y changer le moindre mot. Le voici donc en son entier :

« L'on annoncait, la veille que la faite de lettre suprême allait être célébrer, les enfants s'empresserents à l'envie de fournire des verdures et des fleurs ; d'autres travaillaient aux festons ; des citoyennes de Lorient se trouverrents sur les lieux, vinrents partager les traveaux de leurs frères et sœurs.

Le temple ne fut ornée que de l'ouvrage de la nature mil fois plus pure et plus précieux aux yeux de Dieu que l'or, l'argent et toute les ouvrages de la main des hommes.

Le jour de la faite de lettre suprême, les citoyens s'invites fraternellement à travailler à l'ornement de la faite ; une montagne de verdure est fait au pied de l'arbre de la liberté ; deux arques ornée de verdure s'élèvents au desus de la montagne, l'une à une grande hauteur, l'autre au desous pour annoncer au peuple le triomphe de la liberté et de la vérité ; la société populaire se rend dans le lieu ordinaire de ses séances ; elle s'épure et annonce au peuple qu'elle est une sentinelle vigilente, qu'elle saura faire trembler touts coeux qui pourrait nourir encore dans loeurs coeurs des espérances criminelle ; elle invite le peuple à célébrer la faitte de l'ettre suprême, à honnorer l'otteur de la nature et à lui rendre homage et adoration en ce grand jour qui luie est consacrée ; à renoncer aux préjugés, au fanatisme et à la superstition ; deux jeunes gens chantent le cantique composé à l'honneur de l'éternelle ; des roses sonts distribué ; hommes, femmes, enfants s'empressents et se précipitents les uns sur les autres ; tendent les bras pour avoir ce signe de raliement et piété ; la municipalité en écharpe annonce par l'organe du maire que touts devait se rendre à la sainte montagne ; la garde nationalle armée de pic était à la porte du temple ; la joye était pain sur les visages ; un chacun se sentait émue par les discours frapent qui venaients de retentire aux aureils et dans le fon du cœur, qui remplissaits de douces espérances de joye et de consollation les ames pures et justes.

Les deux chantres marchants en avant ; la municipalité marche à la tête de ses concitoyens, deux à deux, se tenent par le bras, un chacun tenait une rose à la main ; un grand silence régnait dans cette pieuse cérémonie ; touts s'occupait à admirer la grandeur et la toute puissance de l'ordonnateur du monde, rendue à la sainte montagne. Le maire monte au hau ; il s'adres au peuple qui l'entoure : mes fraires, loeur dit-il, nous sommes issi dans le temple de l'ettre suprême ; voyez la voûte de son temple, au-dessus de nos tettes ; c'est aujourd'hui sa fette et le jour qui lui est consacrée dans toutes les villes de la république ; le peuple l'adore dans ce moment ; à l'orient, l'on a préparer une grande faite ; nos fraires sont partie pour aller fraterniser avec le peuple de cette ville à hennebont ; au port de la liberté [Note : Port-Louis], à Vannes, à Paris, dans toute la France, l'on célèbre aujourd'hui la fête de lettre suprême.

Un chacun salut son créateur, élève son âme et ses pencés ver dieu pour l'adorer.

Le magistrat du peuple continue : Nous n'avons pas besoin mes fraires, d'interpraître pour adorer Dieu ; nous pouvons et nous devons nous adresser nous-même à luie, nous adorons dieu, parce qu'il est notre créateur, notre consolateur dans cette vie, notre espérance pour l'autre ; nos enemies ne cescents de nous calomnier et de nous avillir chez les autres peuples ; ils nous traitent de foux, d'insancé, d'enemis de Dieu, d'attée ; et ce sont les attée nos enemies : voilà lattée, voilà l'aristocrat qui a cherché à nous soullever les uns contre les autres, en montrant l'eflgie de l'attéisme qui reposait sur un mulon de boue et d'ordure au bas de la place, qu'il parais ; ce célérat qui a voullue maitre le père à égorger le fils, le fils à égorger le père ; la maire à égorger la fille; la fille à égorger la maire : voilà ce que les assistants ont voulu faire et que les patriotes ont empêché.

Si quelqu'un qui m'entant ne veu pas accepté la constitution, qu'il parle, qu'il se fasse connaître ! Quand à moi, mes frères, je deffenderez la République et ces loix, et je suis résolue de verser toute mon sang, s'il le faut, pour elles : j'ordonne que l'attée soit brullé, affin de montrer un exemple terrible aux aristocrats ; que l'on m'enporte du feux. Un crie générale d'indignation se fait entendre ; le maire dessent de la montagne pour mettre le feux à l'efigie, le peuple continue de crier : à la guillotine, à la guillotine ; un étal de boucher est de suit placé au pied de la montagne, un chacun veu s'emparer de l'outie tranchant et luie servira de bourreau ; un sanculotte à bra vigoureux lui tait sauté la tette ; toutes les chapeaux sonts en l'aire en signe de triomphe.

Toute crie : vive la montagne, vive la République : la tette est montré au peuple au bout d'une pic et le tron aussi levez à bond de bras pour satisfaire touts les spectateurs ; la flame embrase le corps et la tette se montre encore ; bientôt elle est jetée au milieu du feu ; les cries de vive la montagne, vive le République, redoublents et retentisent dans les aires ; la musique champaitre se fait entendre, les magistrats du peuple commencents la dense, la douce égalité y préside ; le buché, est entourer et bientaut apprès la montagne : la place se couvre de citoyens et de citoyennes qui dencents et qui se réjouissants ; les discours qui venaits de frapper les esprits les avait bien persuadé que la discorde parmie les enfants d'une même famille afflige le père commun ; que l'amitié, la sincérité, la joye et la fraternité sonts les vertus nécessaires pour arriver à la vie éternelle pour laquelle l'homme est crée.

La dense finie, la municipalité rentre à la maison commune, l'on publie les loix, le maire donne ensuit lecture de la liste des citoyens de la première réquisition de Languidic conservée en grade et dont on en fait les plus grands éloges, il dit : si quelqu'un peu dire qu'il iat un seul anistocrat de ceucie, qu'il parle ; il lut la liste des laches déserteurs ensuite, et dit d'un ton ferme : si quelqu'un peu dire qu'il ia un seule patriote de ceux-cie, qu'il parle. Voilà l'ouvrage des aristocrats.

Héla,c'est peut aitre la conduite anti civique des parans qui est cause qu'ils se trouvents aujourd'hui sous le coup de la loy ; l'exemple que vous venez de voire devon les yeux, doit faire trembler.

Les aristocrats seront traité comme cette efigie de paille. Si par malheur ceux qui onts déserté ne sonts pas trouvé, vous serez traité comme eux ; informez-vous donc du lieu de loeurs retrettes et donnez-nous avis ; si vous les récellez, vous-mêmes conduisez-les-nous et vous éviterez la peine prononcée par la loy.

Cette journée offre à chaque instant des cennes touchante et nouvelle ; les conducteurs de la réquisition de Languidic, arrivents ; un chacun les écoute et s'informe de son fils, de son frère, de son paran, de son amie : lorsqu'il apprend que celui qu'il aime n'a pas quitté son poste ni trahie sa patrie, il remercie dieu et laisse couller des larmes de joy.

Les crépuscules s'avencents, l'horizon commence à se couvrir des sombres veilles de la nuit, et l'on s'entretienne encore d'avec les conducteurs, la musique champaitre joue : l'es sans culottes chantes, la joy est au comble ; les deux conducteurs sont conduits en triomphe hor du bourg ; les citoyens dencents sur le grand chemin se traites de fraires et d'amis.

Languidie, Languidic, commune montagnarde, souvien toi de cette grande journée ; ne laisse plus le monstre hideux du fanatisme te corrompre le coeur, chasse le loin de ton sin. Souvientois que les praitres onts dits aux rois que vous êtes les images de dieu sur la terre, et c'est de luie seule que vous tenez votre puissance et les rois ont répondu : oui, vous êtes vraiment les envoyés de Dieu ; unissons-nous pour partager les dépouilles et les adorations des mortelles ; le ceptre et lencensoir onts conspirez pour déshonorer le ciel et pour usurper la terre ; le peuple français a connue la vérité ; il a abattue les deux idoles pour n'adorer que dieu seul ».

« Le Noillen, officier municipal ; Voirdye président de la société populaire ; M. Le Serrec, maire ; J.-B. Le Serrec, notable ; G. Leissennes, secrétaire ; Kerhouant, instituteur » [Note : District d'Hennebont 942].

 

X - CANTIQUE DE L'ÊTRE SUPRÊME.

Parmi les signataires de ce mirifique rapport, on en devine aisément l'auteur : c'est Kerhouant. Sa griffe est visible ; on le reconnaît à sa jactance révolutionnaire, à son style ampoulé, et surtout à son incomparable orthographe. Qui nous dira l'auteur de l'hymne hybride chanté au cours de cette burlesque cérémonie ? A en juger par le ton enthousiaste qui y règne d'un bout à l'autre, on serait tenté de l'attribuer au même individu. La question est d'ailleurs secondaire et l'œuvre ne vaut pas la peine qu'on en réclame la paternité. Le titre en est : Cantique spirituel ; l'air : Allons, enfants de la patrie. Les paroles sont en breton.

Languidic : cantique de l'Être Suprême (Partie 1).

Languidic : cantique de l'Être Suprême (Partie 2).

Languidic : cantique de l'Être Suprême (Partie 3).

Languidic : cantique de l'Être Suprême (Partie 4 et Fin).

Encore que l'œuvre soit médiocre, de tels accents « à l'honneur de lettre suprême » sont tristement significatifs. Ils prouvent clairement que les citoyens de Languidic n'avaient plus de culte déterminé et que leurs opinions religieuses variaient au hasard des circonstances. Les malheureux ne se rendaient même pas compte qu'ils commettaient un blasphème en osant prier Dieu de bénir des vœux sanguinaires et d'exterminer leurs ennemis.

Parmi ces ennemis venaient en premier lieu les rois, dont ils aspiraient à délivrer les nations de la terre. Eux du moins avaient réussi à briser les chaînes de l'esclavage et la seule pensée qu'ils pourraient retomber sous le joug leur était insupportable. Pour mettre en plein jour les sentiments qui les animaient à cet égard, nous avons autre chose que ces couplets.

 

XI - CÉLÉBRATION DU RÉGICIDE.

Ces couplets, ainsi qu'on l'a dit, furent chantés à la porte de la maison communale et pendant le trajet de cette maison à la place publique.

Une vaste place décore actuellement le bourg ; mais, il y a seulement trente-six ans, elle n'avait pas cette ampleur. L'ancien cimetière en occupait la majeure partie, et, pour toute place, il y avait cet espace restreint qui s'étend depuis la ligne des puits jusqu'à la rangée de maisons située entre la rue des Fleurs et le chemin de Brandérion. Tel était le théâtre où se déployaient les solennités révolutionnaires, et, en dépit de son exiguité, elles s'y passaient de préférence, parce qu'au même endroit se dressait le palladium de la commune, l'arbre de la liberté.

C'est depuis le mois de mai 1790 qu'on se mit à planter des arbres de la liberté. A quelle époque Languidic eut-il le sien ? Rien ne le dit. Ce qu'on peut admettre, c'est que les patriotes durent s'offrir ce spectacle de bonne heure : ils étaient trop engoués des choses du jour pour se permettre le moindre retard dans la manifestation de leurs sentiments.

Or il arriva un temps où ils prenaient du fétiche un soin extrême ; car, en fait de culte, il ne leur restait que celui-là, les trois autres ayant successivement succombé sous le poids du mépris public. L'arbre vénéré avait par bonheur survécu à toutes les ruines. Planté au milieu de la place, il continuait à symboliser de son mieux avec la chute d'un pouvoir tyrannique l'avènement du régime de la liberté. Hélas ! bien qu'il fût de belle apparence, sa constitution était mauvaise et tous les efforts des patriotes ne purent remédier à ce vice capital. Il traîna son existence jusqu'aux premiers mois de 1795, puis son tour aussi vint de mourir. Le deuil fini, il n'y avait qu'à le remplacer. En raison de circonstances spéciales que la suite expliquera, cela ne devint possible que trois ans plus tard.

Le 12 janvier 1798, le député Villers fit adopter un projet de loi relatif au renouvellement des arbres de la liberté dans toutes les localités où ils avaient péri. La cérémonie devait avoir lieu aux frais des communes et, pour affermir la haine des rois au cœur des républicains, coïncider avec le jour anniversaire de l'exécution de Louis XVI.

Aucun décret ne pouvait causer plus de plaisir aux administrateurs de Languidic. Aussi, même avant de l'avoir reçu, décidèrent-ils qu'il serait appliqué. Ils se réunirent la veille pour arrêter le détail de la cérémonie et, dès que la séance fut ouverte, un membre s'écria :

« Citoyens, nous approchons de l'époque anniversaire qui vit en un instant punir les crimes d'un roi parjure et asseoir la république sur les ruines de la monarchie. En conséquence, je propose, quoique nous n'ayons pas encore reçu la loi sur la plantation des arbres de la liberté, de célébrer cette fête auguste le deux du présent [Note : 2 pluviôse (21 Janvier)], jour mémorable où les Français ont juré de ne point devenir esclaves ».

A ce mot d'esclaves, un frisson d'horreur secoua les municipaux, leur aversion redoubla pour le régime écroulé ; et, pour donner un libre cours à l'indignation qui les débordait, voici quel programme ils imaginèrent :

« L'administration, ouï le commissaire du directoire exécutif près ledit canton, arrête que l'arbre de la liberté sera demain planté, à l'heure du midy, à la place de celui qui a péri naturellement ; qu'il sera fait une invitation au commandant de la force armée de cette commune de se trouver avec sa troupe en armes auprès de la maison commune qui formera sur deux colonnes le cortège. Le départ sera annoncé d'une décharge de coups de fusil, après quoi l'on chantera jusque sur la place l'hymne chéri : Allons, enfants de la patrie ; pendant la plantation, on continuera de chanter des chansons patriotiques accompagnées d'une musique champêtre. Après la plantation, une seconde décharge de coups de fusil, et le commissaire et le président feront des discours analogues à la fête et au jour. Ensuite, le départ sera annoncé par une décharge de coups de fusil, et on reviendra dans le même ordre à l'administration où tous les fonctionnaires publics et employés dans les administrations feront le serment suivant : « Je jure haine à la royauté et à l'anarchie, je jure attachement et fidélité à la République et à la constitution de l'an 3 » [Note : Archives communales de Languidic].

Et c'est ainsi qu'à l'occasion, outre les fêtes ordinaires d'impiété, se pratiquait la glorification du régicide. En vérité, on n'aurait jamais cru des Languidiciens capables de pareils enthousiasmes ; mais, complètement retournés au point religieux et monarchique, les partisans du nouveau régime prenaient leur rôle au sérieux. Tant de spectacles et de discours le disent assez ; ils ne dénotent pas moins en eux, avec un zèle sauvage pour l'application de la politique révolutionnaire, la ferme résolution de briser tous les obstacles qui pourraient lui barrer le chemin.

 

XII - PERSÉCUTION DES PRÊTRES.

Le principal obstacle au développement de cette politique, c'était le clergé catholique. Ce qui précède fait voir aisément que la Révolution était avant tout antireligieuse ; par suite, que dans une société formée suivant cet esprit, il n'y avait pas de place possible pour des prêtres fidèles. Aussi la présence des prêtres de Languidic avait-elle le don d'irriter les jacobins de l'endroit, et ceux-ci se montrèrent à la hauteur de l'époque en s'appliquant de toutes leurs forces à en purger le pays.

Au moment de la Révolution, la paroisse de Languidic renfermait huit prêtres, à savoir : François-Marie Morgan, recteur ; Ambroise Lotram et Pierre Coëdo, curés ; Yves Manour, Pierre Boulard, François Philippe, Henri Jégo et Joseph Ozo, prêtres ou chapelains. Les cinq premiers avaient leur résidence au bourg et les trois autres à la campagne [Note : Archives communales de Languidic]. De ces huit prêtres, le recteur et les curés seuls composaient le clergé officiel ; à ce titre, ils se trouvèrent les premiers en butte aux vexations municipales.

Fils d'Alain et de Marguerite Erujouet, du village de Stanguen en Séglien, François-Marie Morgan avait reçu la prêtrise le 21 septembre 1748. Successivement recteur de Langoëlan et de Malguénac, l'évêque le pourvut, le 10 février 1784, de l'importante paroisse de Languidic. C'était un zélé missionnaire : il présida la mission de Meucon, ouverte le 3 novembre 1789, et la mission de Plescob, qui dura du 12 au 26 octobre 1790 [Note : Archives départementales].

Dès cette époque, l'esprit révolutionnaire avait commencé à se déclarer ; dès cette époque aussi, M. Morgan y opposa une vive résistance. Un arrêté ordonnait aux prêtres de faire au prône « à haute et intelligible voix » la publication des décrets de l'Assemblée nationale. M. Morgan, avec plusieurs autres, s'y refusa. Le Directoire du district leur adressa à ce sujet une sévère admonestation, les menaçant de leur appliquer l'article qui déclarait tout récalcitrant incapable d'exercer aucune fonction publique : « Ne nous obligez pas, disait-il en terminant, de recourir à l'exécution de cette loi » [Note : District d'Hennebont, 912].

Le Directoire ne comprenait pas qu'en se prêtant à la promulgation d'une loi mauvaise, on s'en rend complice. Comment M. Morgan pouvait-il annoncer en chaire, par exemple, la constitution civile du clergé qui détruisait le clergé catholique ? Au vote de cette loi néfaste, l'Assemblée nationale ajouta, par décret du 27 novembre 1790, l'obligation d'y prêter serment par tous les ecclésiastiques en charge, huit jours après la publication du décret dans la commune. « Or il a été publié dans cette paroisse il y a quinze jours passés d'hyer, remarque le prêtre Boulard, procureur de la commune, et M. Morgan non plus que Lotram n'ont fait encore aucune offre de prêter serment... à l'effet de quoi le maire est tenu en vertu de l'article V du présent décret de donner deffaut de prestation de serment au procureur-syndic du district ».

Conformément à cette réquisition, « l'assemblée du conseil de la commune arrête qu'il sera donné au plutôt avis au procureur-syndic ». Ce qui fut fait 6 jours plus tard, c'est-à-dire le 26 avril [Note : Arch. de Languidic]. M. Morgan reçut néanmoins, le 8 juillet, le 2ème terme de son traitement. Peut-être son traitement fut-il rogné de quelque peu ; car il avait joui, comme par le passé, de prés attenant au presbytère, et les administrateurs faisaient observer à la municipalité qu'aux termes de la loi le recteur n'avait droit qu'à un jardin [Note : District d'Hennebont, 913].

On a vu que pour préparer la place au curé constitutionnel, les municipaux avaient ordre de rappeler à M. Morgan le décret du directoire départemental qui obligeait les prêtres réfractaires à se retirer dans leurs familles ou à dix lieues de leurs paroisses. Le recteur de Languidic n'obéit pas tout de suite à cette injonction et il se retira quelque temps dans une maison à la campagne. Puis on perd sa trace, et dans le courant de l'année suivante, il est déclarée « absent ou fugitif ».

Il avait pris la fuite sans demander de passeport, ce qui l'assimilait aux émigrés. Aussi le Directoire ordonna-t-il d'opposer les scellés sur ses meubles et de les vendre aux enchères. Le difficile était de les découvrir. On finit par savoir qu'ils avaient été transportés chez le fermier du Cosquer. Un procès-verbal dressé par le citoyen Château, porteur de contraintes, atteste qu'ils y étaient encore le 28 novembre 1792, à l'exception toutefois du cabriolet qui se trouvait chez le curé constitutionnel. Château fit saisir ce cabriolet et le conduire à Hennebont pour y être vendu. Quant aux autres meubles et effets du fugitif, le citoyen Quéroux, greffier d'Hennebont, se rendit à Languidic, le 19 février 1793, « pour en former inventaire et procès-verbal de saisie ». Il les fit porter au bourg et un arrêté du 10 août prescrivit de les mettre en vente le 18 [Note : District d'Hennebont, 906, 907, 931].

M. Morgan avait passé en Espagne. Il se trouvait à Orense en 1796, et c'est dans cette ville qu'il rendit son âme à Dieu le 10 août 1799 [Note : Le Mené].

Les deux curés de Languidic, MM. Lotram et Coëdo, se montrèrent dignes de leur recteur. Une note accolée à leur nom les qualifie de « réfractaires sans savoir pourquoi ». Cela prouve qu'aux mauvais traitements dont il était prodigue envers les réfractaires, le Directoire ajoutait volontiers la dérision.

Ambroise Lotram [Note : Alias Lautram], fils d'Ambroise et de Perrine Le Bagousse, était de Carnac ; en janvier 1782, il avait reçu un titre clérical pour le sous-diaconat. Ordonné prêtre au Mené, le 5 avril 1783, on le voit curé de Languidic en 1790.

Le 26 avril de l'année suivante, la municipalité le dénonce pour avoir, à l'exemple de son recteur, refusé le serment. Il ne cesse pas pour cela les fonctions de son ministère. Il croit de son devoir de les remplir, même après l'arrivée du vicaire constitutionnel, et comme tout travail mérite un salaire, il réclame auprès du Directoire du district le paiement de son quatrième trimestre. Les administrateurs trouvent cette réclamation insensée, « parce que, dans le fait, il n'a pas rempli depuis le 11 septembre, époque de son remplacement, les fonctions de vicaire, qu'il est même très répréhensible de s'être immiscé depuis l'installation du nouveau curé, et notamment depuis le 1er novembre qu'il a été remplacé par le sieur Kerviche dans les fonctions publiques curiales, sans l'aveu contre la défense même du curé, à qui seul est réservé par la constitution civile le droit de se choisir un vicaire » (28 décembre 1791).; Ils adressent cependant la pétition à Vannes, mais en la faisant suivre des observations que nous venons de transcrire, et le département, conformément à cet avis, « décide qu'il n'y a lieu » [Note : District d'Hennebont, 906].

Traqué de toutes parts, l'abbé Lotram se réfugia en Espagne. Des documents le mentionnent à Médina le 28 septembre 1798. De retour en France, il s'établit de nouveau à Languidic. Lors de la réorganisation du culte par le mandement du 13 septembre 1802, Mgr de Pancemont le nomma recteur de Berné ; le 2 novembre suivant, il prêta comme tel le serment entre les mains du préfet du Morbihan.

Pierre Coëdo ne voulut pas abandonner sa paroisse. Né, le 6 septembre 1723, au village de Kerfloch en Languidic, de Louis et de Vincente Bolo, il avait reçu la prêtrise au Mené le 20 septembre 1760. A la fin de cette même année et en 1761, il était curé de Bizole, trêve de Treffléan ; puis il devint prêtre de Quistinic, et, de 1772 à 1791, prêtre ou curé de Languidic. Son grand âge, en l'exemptant de la formalité du serment, le préserva pour un temps de la persécution ; le clergé jureur ne lui faisait pas trop mauvais visage et il continua à exercer le ministère, comme prêtre habitué, jusqu'en avril 1792. La place n'étant plus tenable, il fut forcé de disparaître. Ses ennemis le croyaient en route pour la frontière ; en réalité il s'était retiré au village de Henlis, où il vécut en cachette pendant près de deux ans. Lorsque son logement fut enfin découvert, il dut chercher un autre abri ; mais il revint à sa première retraite, un samedi 8 mars 1794 ; il y arrivait à huit heures du matin, sous un déguisement de paysan, sans autres objets « qu'un livre et ses hardes d'usage », dans un état de santé déplorable. Germain Le Roux, en lui offrant l'hospitalité, le reconnut bien ; il savait aussi à quels périls l'exposait cet acte de charité. Il ne songea pourtant pas à lui fermer la porte de sa demeure, moins encore à le dénoncer. C'eût été d'ailleurs une trahison inutile ; car le malheureux prêtre était tellement épuisé qu'il mourut le lendemain, à 7 heures du soir. Jean Le Noellec et Joseph Le Roux, frère de Germain, firent le lundi la déclaration du décès, avec l'espoir de le faire inhumer comme « un particulier inconnu ». Mal leur en prit. Les municipaux s'empressèrent de signaler cet attentat au Directoire : « C'est une suite, disaient-ils, de leur conduite inconstitutionnelle et à nous connue, mais pas au point de recéler un prêtre insermenté ni émigré ». Toute la section de Saint-Etienne leur paraissait suspecte parce « qu'il ne se trouvait ni dans la municipalité ni dans le conseil général aucun habitant de cette section ». Au reste, « par les cy-dessus, vous connaîtrez peut-être les lieux de retraite du défunt, par qui il a été entretenu, car il existe un crime et il y a des coupables ». Sur eux du moins aucun soupçon ne doit peser. « Nous pensons que, persuadés de nos principes, vous êtes plus que surs qu'aucun de nous n'a caché cet être et n'avons jamais sçu qu'il existait en cette commune ». Enfin ils dénoncent Antoine Pouédras, de la Montagne, et Pierre Le Seigle, de Traquelo, comme en état de fournir également les renseignements désirés [Note : District d'Hennebont, 944]. Pour les posséder au plus tôt, ils mettent les scellés chez quatorze paysans et les font traduire devant le tribunal criminel. Comme rien ne prouve l'accusation, on est bien obligé de les remettre en liberté. Les municipaux veulent alors se rattraper sur les meubles du défunt et les vendre aux enchères. Sur ce point encore, leur méchanceté est sans succès ; Marie Evan, servante de M. Coëdo, réclame la moitié de ses effets, et le Directoire répond que dans ces conditions, il est nécessaire d'en ajourner la vente. Cependant il les félicite de leur énergie : « Nous ne pouvons qu'applaudir à votre conduite et à celle de vos concitoyens. Tant que les républicains seront debout, leurs ennemis ne pourront que rentrer dans le néant dont ils sont sortis » (16 mars 1794) [Note : District d'Hennebont, 919].

M. Morgan et les deux curés donnèrent ainsi de nobles exemples. Lorsque la loi du 26 août 1792 mit les autres prêtres en demeure de se prononcer, ils les imitèrent courageusement ; pas un ne trahit sa conscience, pas un même ne s'abaissa jusqu'à solliciter des autorités compétentes un permis de passer à l'étranger. Devant les dangers qui les menaçaient, ils disparurent sans faire le moindre acte de soumission. Aussi devenaient-ils passibles de tous les châtiments. En attendant que l'occasion se présentât de mettre la main sur leurs personnes, le conseil communal chargea deux commissaires de « rapporter inventaire des effets restés après leur départ sans déclaration ». Cette démarche d'ailleurs n'amena aucun résultat : au moment de fuir, les prêtres « cy-devant habitués » avaient pris leurs précautions et confié à des personnes sûres le peu qu'ils possédaient [Note : Rapport du 10 février 1793. D'après ce rapport, les commissaires ne trouvant « ni meubles ni effets quelconques » chez les prêtres qui habitaient le bourg, ils jugent inutile de se rendre chez ceux qui demeuraient à la campagne (Arch. comm. de Languidic)].

Le moins malheureux, en un sens, fut M. Ozo. Né à Grand-Champ, le 27 septembre 1758, de Jean et de Madeleine Robino, Joseph Ozo avait été ordonné prêtre le 24 septembre 1785. Le 1er octobre de l'année suivante, sa signature apparaît sur les registres de Languidic. A l'époque de la persécution révolutionnaire, toutes les recherches dont il fut l'objet demeurèrent infructueuses et il eut le bonheur, on ne sait comment, d'atteindre l'Espagne. En janvier 1796, il résidait à Orense, en Galice, à 15 lieues environ de Saint-Jacques de Compostelle [Note : Papiers de l'abbé Luco]. Les privations et les amertumes ne lui manquèrent pas en exil ; sa vie cependant put y résister et, dès le moment favorable, il rentra en France. Il était vicaire à Baud lorsque, le 16 février 1807, l'évêque le nomma recteur de Locmaria-Grand-Champ et de Locqueltas, alors unis.

Pierre Boulard, fils de Jacques et de Marie Ollier, était natif de Kervignac. Ordonné prêtrele 15 mars 1777, il arrive à Languidic au moins dès 1781. Le rôle qu'il a joué en qualité de procureur n'est pas à l'abri de tout reproche. La légalité à ses yeux paraissait sacrée et la faiblesse de son attitude en face de tant de mesures déplorables lui valut sans doute les bonnes grâces de l'assemblée électorale d'Hennebont, qui le nomma, le 3 avril 1791, par 46 voix sur 53, recteur constitutionnel de son pays natal [Note : District d'Hennebont, 938]. Ce dangereux honneur, il est vrai qu'il eut l'esprit de le repousser. La validité de son élection ne devait pas cependant lui paraître douteuse, puisque, le 26 du même mois, il provoquait la dénonciation du clergé paroissial pour refus de serment. L'heure de l'épreuve sonna bientôt pour lui-même, et il comprit alors ce qu'il en coûtait de résister à des exigences tyranniques. Ses complaisances passées ne lui servirent de rien et, en 1792, au moment où se déchaînaient de toutes parts les passions antireligieuses, il subit le sort de ses confrères.

Les persécuteurs semblaient tenir à la confiscation de son mobilier. La commission municipale n'avait rien découvert à la maison qu'il occupait ; mais ses « meubles et effets » n'avaient pas été anéantis ; le fugitif avait dû les cacher dans une autre maison de la commune, à moins qu'il n'eût ordonné de les transporter à Kervignac au domicile de ses frères. Tel était le sentiment du Directoire. Dans l'espoir de les retrouver, il prescrivit une enquête ; et il ne se reposa pas du soin de la faire sur le zèle de nos municipaux, il en chargea expressément le citoyen Quéroux, greffier d'Hennebont, lorsque ce dernier se rendit à Languidic pour saisir le mobilier de M. Morgan [Note : District d'Hennebont, 906]. Pendant ce temps, les ennemis de M. Boulard n'omettaient rien pour s'emparer de sa personne, et ils le poursuivirent si bien qu'il finit par tomber entre leurs mains. Un document assure en effet qu'il a été déporté ; par malheur, il ne dit pas dans quelles conditions ni en quel lieu il l'a été. Quel que fût d'ailleurs le lieu de son exil, un de ses compagnons d'infortune, ainsi qu'on va le voir à l'instant, était probablement M. Philippe.

François Philippe était né, le 7 février 1748, à la métairie du Parc en Languidic, de Louis et de Perrine Alio. Son ordination de prêtrise eut lieu, le 24 septembre 1775 ; et en 1784, après la mort du vieux Mathias Jégo [Note : Connu sous le nom de dom Mathias, il est encore célèbre pour avoir répété quelques prédictions du roi Stevan], il devint chapelain de Kergo-la-Forêt. C'est le même à qui nous avons vu proposer la cure constitutionnelle de Languidic. Comme M. Boulard, il fut condamné à la déportation [Note : Arch. départ, domaines nationaux] ; et, pendant qu'on le jetait hors de France, on faisait main-basse sur son patrimoine. C'est ainsi qu'il perdit deux tenues dont l'une, située à Kérisalan, fut vendue, le 7 novembre 1794, 35 700 francs [Note : Arch. départ, domaines nationaux]. Profita-t-il du calme qui se fit dans les esprits, au commencement de 1795, pour retourner parmi les siens ? On le dirait d'après cette note du 10 novembre 1797: « Présumé à Languidic, il s'est hautement déclaré contre le gouvernement républicain ; cruel et turbulent ». En tout cas, s'il revint au pays, il n'y put tenir, et la frontière seule le protégea contre la haine des sectaires. Les malheurs de ce prêtre et de M. Boulard touchèrent enfin les Languidiciens et, au mois de juillet 1801, ils supplièrent le préfet du Morbihan d'y mettre un terme. Le préfet répondit que, loin de s'opposer à leur rentrée en France, il leur donnerait volontiers un passeport jusqu'à Languidic, s'ils promettaient fidélité à la Constitution [Note : Papiers de l'abbé Luco]. Quelques mois plus tard, M. Philippe reparut dans la paroisse et resta comme prêtre habitué à son service ; il y mourut le 25 mai 1822. Pour M. Boulard, il alla demeurer à Kervignac où il mourut vicaire, le 26 décembre 1812 [Note : Arch. des fabriques de Languidic et de Kervignac].

Au lieu d'être déporté à l'étranger, M. Jégo le fut à l'intérieur; son sort n'en était pas plus enviable.

Henri Jégo naquit à Saint-Patern de Vannes, le 16 septembre 1762, de Laurent et de Rose-Renée Le Crene. Prêtre de Languidic en 1790, il paraît que dans le courant de la même année, il fit un voyage à Jersey ; mais il ne tarda pas à regagner son poste. Vers le milieu de 1793, les persécuteurs eurent la joie de l'arrêter à Saint-Brieuc et de le conduire à la citadelle de Port-Louis. Plusieurs autres ecclésiastiques s'y trouvèrent internés vers le même temps. Lors de leur détention, on leur avait promis un traitement de 20 sols par jour, et ils le touchèrent régulièrement jusqu'à la fin d'octobre ; mais depuis lors, ils ne recevaient plus rien et, pour vivre, durent faire appel à leur bourse. Or étant peu garnie, elle ne fut pas longtemps à se vider : « Nos petits moyens s'épuisent, écrivaient-ils le 14 janvier au Directoire, et toutefois, nous nous étions, dès le mois de novembre, réduis à un seul et unique repas » [Note : District d'Hennebont, 944]. Non content de leur refuser tout traitement, Prieur de la Marne, représentant du peuple, leur fit enlever en sa présence, le 17 février, tous les objets dont ils étaient munis. C'est ainsi qu'on prit à M. Jégo « une bource contenant en espèces monayé cinquante-neuf livres dix-huit sols » [Note : Papiers de l'abbé Luco]. Si triste que semble cette situation, c'était pourtant comme un petit paradis auprès des pontons de Rochefort où ils furent transférés au commencement de juillet, et parqués, avec beaucoup d'autres, sur les Deux-Associés. On sait toutes les souffrances physiques et morales qu'ils eurent à y subir. Faute de place « on obligeait les prêtres à se coucher de manière que les pieds de l'un étaient à la tête de l'autre. Les besoins naturels se trouvaient dans le lieu même où couchaient les détenus et y répandaient une odeur fétide. Il faut encore joindre à ces maux la vermine qui les dévorait et dont ils ne pouvaient se débarrasser, faute de vêtement et de linge de rechange... Leur nourriture était en si petite quantité et d'une qualité si mauvaise qu'elle ne suffisait pas pour les rassasier, mais seulement les empêchait de mourir. C'était souvent du biscuit moisi et plein de vers, un peu de vin, de mauvaise viande salée, de la morue et des légumes secs. Les gens de l'équipage leur volaient fréquemment une partie de leurs aliments... Toute prière, tout signe extérieur de religion était rigoureusement interdit. Leurs bréviaires et leurs autres livres leur avaient été enlevés et déchirés. Un d'eux fut mis aux fers pour avoir caché un chapelet » [Note : Tresvaux, Persécution révolutionnaire].

Ce n'est pas sans peine qu'une vie résiste à tant d'épreuves. Sorti de cet enfer, le 6 février 1795, M. Jégo arrive au bout de quelques jours à Saintes, en compagnie des autres déportés survivants [Note : Plus de 500 prêtres y moururent (Tresvaux)]. Encore que depuis un certain temps prévale à l'égard du clergé une politique d'apaisement, ils n'en demeurent pas moins, jusqu'à nouvel ordre, sous la garde des gendarmes. Pour obtenir leur libération, les ecclésiastiques du Morbihan adressent de concert, le 15 du même mois, la supplique qui suit aux administrateurs de leur département :

27 Pluviôse, an III de la République une et indivisible.

CITOYENS ADMINISTRATEURS,
Les déportés de votre département, détenus présentement à Saintes, exposent que par le décret du 29 nivôse dernier (18 janvier) tous les détenus de la République peuvent être mis en liberté par le comité de législation, pourvu qu'ils ne soient coupables ni de meurtre ni de vol ni de royalisme. En conséquence de ce décret, plusieurs des confrères des exposants viennent d'être rendus à la liberté, entr'autres les déportés des départements de Saône-et-Loire et de la Meuse, réclamés par leurs départements respectifs. Les exposants ne sont coupables d'aucun des trois crimes portés au décret ; ainsi il leur assure la jouissance future de leur liberté ; mais, dans l'état de captivité où ils sont réduits, ils ne peuvent rien pour eux-mêmes : ils ont recours à votre humanité et à votre justice, et ils aiment à se persuader que vous voudrez bien les réclamer près de la Convention aux termes du décret.

Il vous plaise de réclamer les déportés de votre département près la Convention et vous ferez justice aux soussignés :

Jean Tual, de Plescob, Etienne Le Goff, de Kervignac.
Jean Rolland, du canton de Neuillac, district de Pontivy.
Mathurin Le Roy, du canton de Neuillac, district de Pontivy.
Henry Jégo, de Vannes ; Jean-Marie Lorcy, district d'Auray.

[Note : Arch. départ., série V. — Le lecteur me pardonnera une brève notice sur chacun de ces confesseurs de la foi : — Jean Tual, fils de Jean et de Françoise Rouxel, de Rieux, reçut la prêtrise le 12 mars 1785 ; prêtre de Plescob en 1790 ; détenu à la Retraite des femmes le 15 avril 1794, il dut arriver à Rochefort au mois de juillet suivant. — Etienne Le Goff, fils d'Alexis et de Jeanne Holichet, de Baud, avait été ordonné prêtre le 4 avril 1778. Prêtre de Kervignac, il est en prison à Lorient, le 4 mai 1793, et arrive à la citadelle de Port-Louis le 22 janvier 1794. Déporté en juillet à Rochefort, il est libéré après le 7 mai 1795, avec faculté de rentrer à Kervignac s'il n'y trouble pas l'ordre. En 1796 il administre encore cette paroisse ; mais il est obligé de se cacher : « Il a la réputation d'être méchant », dit l'état nominatif envoyé à la police en novembre 1797. — Jean Rolland, fils de Louis et de Julienne Papou, de Neuillac, et récollet ; profès à 20 ans sous le nom de P. Isidore ; provincial de Bretagne en 1790, il fait une verte réprimande à Jean Le Frapaire, ex-récollet (natif de Karmès en Neuillac) qui avait accepté d'être curé constitutionnel de Mur. Détenu à Port-Louis en septembre 1793, déporté à Rochefort en juillet 1794, il revient, après sa libération, dans sa paroisse natale. On le recherche de nouveau à la fin de 1795 ; il est repris et déporté à la Guyane, où il meurt. — Jean-Marie Lorcy, fils de François et de Louise Alain, de Saint-Patern, prêtre le 1er avril 1786, puis curé d'Houat. Il arrive à la citadelle de Port-Louis le 20 décembre 1791, s'évade, dans la nuit du 15 au 16 janvier 1793, par la fenêtre, au moyen des draps et de la couverture de son lit. « Cette évasion, dit le Directoire, est un malheur, car c'est un fanatique qui continuera à faire bien du mal ». Le 3 avril 1793, le Directoire d'Auray écrit qu'il est repris à Houat et reconduit en prison entre deux gendarmes. Le 17 février 1794, on saisit sur lui au Port-Louis « un chapelet, un habit de la Vierge, une montre d'argent, un cœur enflammé, au bas est écrit : « Jésus est avec nous, arrêtés-vous », quatre écus de six livres, un porte feuille contenant 144 livres ». De retour à Houat, il reçoit en juillet 1795 les débris de Quibéron, cède sa maison au comte de Puisaye, se retire sous un hangar, soigne les malades et les blessés et meurt de l'épidémie que tant de morts font naître. — Mathurin Le Roy, originaire de Neuillac, n'était que diacre. Bien qu'il eût quitté la soutane avant l'exécution de la loi du 25 août 1792, il fut néanmoins conduit à la maison d'arrêt de Vannes. Sur sa réclamation, le directoire de Pontivy, par arrêté du 6 septembre 1793, lui accorde sa mise en liberté. Le Directoire de Vannes n'en tient aucun compte et, le 18 du même mois, expédié le prisonnier au Port-Louis. Déporté plus tard à Rochefort, il est libéré à Saintes (Papiers de l'abbé Luco)].

Les administrateurs se montrèrent de bonne composition. Leur intervention assura la délivrance de ces malheureux, qui purent rentrer dans leur pays en avril ou dans le courant de mai. M. Jégo s'établit à Vannes. Après un tel orage, l'avenir lui paraissait sans doute assuré et il espérait couler en paix le reste de ses jours. Hélas ! il n'était pas au bout de ses tribulations. Son titre d'ancien déporté constituait un crime et les jacobins résolurent de l'en punir. Mais il fallait d'abord le prendre : « Présumé à Languidic, dit l'état nominatif du 10 novembre 1797, il s'est hautement déclaré contre le gouvernement républicain ; cruel et turbulent ». Pendant trois ans, il échappe à toutes les recherches. En 1799, les persécuteurs le capturent de nouveau ; et, de nouveau aussi, sans considération pour ses souffrances passées, le déportent à la citadelle de Saint-Martin de Ré. Arrivé, le 28 février, au lieu de sa déportation, il y reste un peu plus d'un an. Sur la réclamation de la municipalité de Vannes, datée du 10 mars 1800, le gouvernement le remet en liberté le 21 du même mois. Suivant sa déclaration, M. Jégo se retire dans sa paroisse natale. Il y meurt simple prêtre le 5 septembre 1819, en son domicile rue de Séné, à cinq heures du soir, âgé de 57 ans [Note : Arch. com. da Vannes].

Plutôt que de subir les horreurs des pontons, mieux valait mourir sur l'échafaud : Yves Le Manour eut cette chance. Né, le 7 mai 1748, au village de Kermérian, en Moustoir-Remungol, de Mathurin et d'Yvonne Le Mer, il reçut la prêtrise le 4 avril 1778. Dès le 15 mai 1776, le vicaire général l'avait pourvu de la chapellenie de Saint-Yvy en Moréac, bénéfice qu'il résigna avant 1790, pour venir s'établir à Languidic. Si dure que fût la tourmente, jamais il n'avait prêté serment, ni cessé l'exercice de son ministère. Il traversa ainsi les premières années de la Révolution, déjouant toutes les recherches. Après un moment de répit en 1795, la tempête reprit toute sa violence et le malheureux prêtre y laissa la vie. Vers la fin de l'année, on l'enferme au Petit-Couvent, et, le 31 décembre, il comparait devant le tribunal révolutionnaire qui porte contre lui la sentence suivante : « Le tribunal condamne Yves Le Manour, prêtre réfractaire auxlois et sujet à la déportation, resté sur le territoire français où il a été saisi et arrêté, à la peine de mort ; ordonne qu'il sera livré à l'exécuteur des jugements criminels et qu'à la diligence du commissaire provisoire du pouvoir exécutif près le tribunal, le présent jugement sera mis en exécution dans les 24 heures, sur la place publique de cette commune, sans aucun sursis, demande ou recours en cassation » [Note : Histoire du diocèse de Vannes]. L'exécution eut lieu sur la place du marché, devant le collège de Vannes. M. Le Manour avait 48 ans.

La violente dispersion du clergé paroissial n'amena pas la cessation complète du culte parmi les Languidiciens. A leur service il restait encore un prêtre qui était de plus un compatriote : Louis Le Calvé.

Né au village de Kerguéro, le 17 juillet 1760, de Louis et de Jeanne Le Louer, Louis Le Calvé était, au moment de la Révolution, trinitaire de Sarzeau. Sa première pensée, après la suppression de son couvent, fut de se retirer à Prières et d'y continuer avec d'autres moines la vie commune ; puis, le 8 février 1791, il déclara devant les autorités de Vannes son intention d'y renoncer et de se fixer dans le district d'Hennebont. A peine arrivait-il à son village natal [Note : Il était encore le 30 mars à Sarzeau, qu'il quitta ce jour ou le lendemain] que l'assemblée électorale d'Hennebont crut l'éblouir en lui offrant la cure de sa paroisse ; elle en fut pour ses frais de proposition. L'année suivante, s'étant convaincu de l'hostilité du trinitaire au nouveau régime, le directoire le comprit au nombre des prêtres qu'il ordonna, le 15 juin, d'arrêter, et, le 18 juillet, de déporter [Note : Papiers de l'abbé Luco]. A partir de ce moment, les alertes ne lui manquent pas. Un jour, le capitaine de gendarmerie Beysser se dirige en toute hâte vers le village de Ponthervend, en Inzinzac, avec l'espoir de l'y surprendre ; plus tard on opère des perquisitions à Sarzeau, où certains rapports font supposer sa présence ; ailleurs on tire à bout portant sur la maison qui lui sert d'asile... Vains efforts ! En toute circonstance, le proscrit s'entoure de telles précautions qu'on ne parvient jamais à le saisir. Le directoire cependant attachait à son arrestation une certaine importance, puisqu'une note le qualifie de « fanatique bon à éloigner ». Or son fanatisme, c'était tout simplement le zèle du salut des âmes. Et il en fallait avoir pour exercer le ministère dans d'aussi déplorables conditions, pour aller de village en village, furtivement et sous les déguisements les plus grossiers, sans que le péril ou la fatigue fût une raison suffisante de se modérer. Cette vive peinture, qu'on ne l'attribue pas à une fantaisie de l'imagination, c'est la réalité dans toute sa tristesse, ainsi qu'en fait foi le témoignage d'un contemporain. Rohu, après avoir cité nommément M. Le Calvé et quelques autres prêtres restés comme lui à la disposition des fidèles, en a écrit ce qui suit :

« Tous ces ministres du Seigneur étaient cachés jusqu'en 1795 sous les haillons des mendiants, vivant de la pension grossière du laboureur chez lequel les fonctions de leur ministère les appelaient ; ils n'avaient aucune résidence fixe et couchaient sur la paille dans le bois de lit qu'on leur offrait ». L'insurrection morbihannaise opéra dans leur situation un notable changement : « Depuis notre prise d'armes, ajoute le général, ils purent s'habiller de la même manière que les laboureurs aisés des paroisses qu'ils déservaient, vaquer à leurs fonctions en plein jour, avoir un lieu fixe où ils prenaient leurs repas et un autre où ils se retiraient la nuit. Leurs demeures de jour étaient connues de leurs paroissiens, et les baptêmes, la première communion des enfants, les mariages et les autres actes de la religion se faisaient sous notre protection en toute sécurité » [Note : Mémoires].

Il se peut que M. Le Calvé [Note : D'après des souvenirs de famille, il remplit pendant quelque temps les fonctions d’aumônier dans l'armée catholique], vers la fin du régime révolutionnaire, ait connu cette sécurité relative. Ce qui est certain, c'est qu'il ne s'est pas contenté de faire des baptêmes et des mariages, il en a aussi dressé acte sur un registre qui va du milieu de 1797 à 1801 [Note : Arch. de la fabrique de Languidic].

Après la conclusion du Concordat, on lui propose le rectorat de Bangor ; il refuse et préfère rester en qualité de vicaire dans son pays, auquel il a rendu tant de services. Il y meurt le 30 août 1806, à l'âge de 46 ans.

Pour ne rien omettre, il faudrait pousser plus loin, et aux persécutions dirigées contre les prêtres de Languidic, ajouter les actives recherches concernant les proscrits [Note : Parmi ces proscrits, citons quatre religieux : — 1° Jean-Mathurin Lorant, né près Saint-Brieuc, grand carme d'Hennebont. Il se rend à Sainte-Anne pour suivre la vie commune. En 1792, Il a son domicile dans un village de Languidic. Il prend la fuite avant la fin de la même année et les commissaires municipaux jugent inutile de se transporter à sa demeure. — 2° Le Père Julien Puren, fils de Joseph et de Julienne Puren, de Pluvigner, récollet de Port-Louis. — 3° Le Frère Guillaume Moëlic, fils de Jean et de Françoise Personnic, de Plouhinec, récollet au Port-Louis. — 4° Le Frère Mathurin Douarin, fils de François et d'Yvonne Hervé, de Ploeren, récollet à Sainte-Catherine. Ces trois récollets se rendent à la maison conservée de Pontivy. Le 1er octobre 1791, Moëlic déclare se retirer chez ses parents à Languidic. Ils avaient une terrible réputation : « Présumés à Languidic, dit l'état nominatif, se sont hautement déclarés contre le gouvernement. Les plus turbulents et les plus cruels d'entre eux (Fr. Philippe, Henri Jégo) sont Jean Le Moélic et Martin Douarin qui, dit-on, ont fait assassiner des patriotes par des chouans ». A ces proscrits il faut joindre Jean-Alain Guégano, fils de Jean et de Prudence Toulzent, de Languidic, Recteur de Remungol le 10 avril 1771, il refuse le serment et émigre en Espagne où il meurt au couvent d'Abila en 1793. Le 24 octobre 1794, on vend son patrimoine de Languidic.] étrangers qui cherchaient un refuge sur son territoire ; mais cet article déjà si long n'en finirait pas. Bornons-nous à dire que l'espionnage était à l'ordre du jour, et qu'au moindre soupçon qu'ils avaient de la présence ou du passage d'un réfractaire, les agents de la République s'empressaient de lui faire la chasse. Pendant les quelques mois qu'il passa dans la commune, l'instituteur Kerhouant se distingua de son mieux à cet exercice ; il avait même soin d'y mener ses élèves, et ce dressage d'un nouveau genre faisait partie essentielle de l'éducation qu'il leur donnait. On lit dans un de ses rapports en date du 24 mai 1794 : « J'esperre qu'ils aubaiirons à ma voix comme ils le firent le deux de ce mois (21 mai), lorsque je lœurs dit mes enfants un praite réfractaire vien de s'évader, allons le chercher dans les bois, les genais, informons-nous dans les villages si on ne l'a pas vue passer. Les enfants se répendents dans les environs, une partie d'eux le trouve dans les bois de Kercadic [Note : Bois à un kilomètre du bourg], ils criers tous le voilà, la garde l'arrette et le livre au gendarme. Ce fut là que je trouva l'occasion de me débender contre les praites leurs boites aux ongants et autres bijouteries du fanatisme. Ce que j'avais dit aitait uno bonne leçon pour les grands et pour les petits. Je dits en finissant au réfractaire : tien voilà mes enfans je ne leur direz jamais de mensonges comtois et toutes tes semblables. Le maire fit donner du citre aux enfants pour les défatiguer et les payer du service qu'ils venaient de rendre à la République » [Note : Un instituteur en l'an II].

Ce rapport horrible ne présente qu'une lacune : le nom du prêtre objet de ce traitement. Quel qu'il fût, le directoire du district dut applaudir à sa prise ; car, dans une lettre au département (1er mars 1793), il comparait les ecclésiastiques à « des animaux dont la langue est pernicieuse », et qu'on devait « poursuivre jusque dans leurs dernières tannières » [Note : District d'Hennebont, 930]. Il en augurait mieux dans le principe : « Les prêtres réfractaires, écrivait-il le 1er juillet 1791, nous donnent actuellement de la besogne ; bientôt nous en aurons satisfaction » [Note : District d'Hennebont, 913]. Cette satisfaction, il l'éprouvait entière lorsqu'il pouvait les livrer au bourreau ou les condamner aux pontons. Ce n'est pas à la vérité celle qu'il en attendait ; il comptait que la plupart seraient assez lâches pour renier leur foi et trahir leur Dieu : cet espoir sacrilège fut heureusement déçu.

 

XIII - SPOLIATION DES ÉGLISES.

A la proscription des prêtres s'ajouta la spoliation des églises.

L'argenterie qu'elles possédaient devait principalement exciter la rapacité révolutionnaire. Une commission, datée du 1er novembre 1792, chargea Dessaux d'en dresser l'inventaire [Note : District d'Hennebont, 906]. Aucun agent ne paraissait plus propre à cette besogne. Ancien archiviste de la Joie, la grossièreté de ses procédés l'en fit expulser le 17 septembre 1790 : « tant par la plainte que par le manque de respect qu'il ne cessait d'avoir pour les dames abbesses et les religieuses », le conseil décida qu'il viderait la maison [Note : District d'Hennebont, 906]. Cet homme était donc mûr pour la Révolution, et de fait il n'est guère de vilaines entreprises de l'époque où son nom ne se trouve fâcheusement mêlé. Au nombre des objets précieux qui composaient le trésor de la fabrique, on doit citer « deux croix dargent et un ascensoir avec navet aussi dargent, le toutes pesants ensemble seize livres trois quarts » ; les municipaux s'empressèrent d'en faire la déclaration et la livraison [Note : Arch. comm. de Languidic].

Outre l'argenterie, on saisissait tous les meubles jugés inutiles, c'est-à-dire les ornements, linges et autres effets d'église. Une lettre de décembre 1794 nous apprend que la municipalité a remis à l'administration du district les meubles des églises et chapelles de la commune [Note : District d'Hennebont, 944]. Avec les objets mobiliers de Languidic, on transporte à Hennebont ceux des chapelles de tout le district, et une circulaire du 11 octobre 1794 annonce aux diverses municipalités la prochaine mise en vente de ces nombreuses dépouilles. On les prie en même temps d'en informer les habitants de leurs communes respectives « afin qu'ils viennent s'y approvisionner et faire valoir la vente » [Note : District d'Hennebont, 920].

Parmi les meubles des églises, à coup sûr, les cloches tenaient un des premiers rangs. Or rien n'était plus facile que de les confisquer, car l'administration s'arrogeait le droit de décider si telle et telle chapelle était ou non nécessaire au culte ; et lorsqu'elle en décrétait la suppression, elle s'emparait de leurs cloches sous prétexte qu'elles devenaient inutiles, puis les expédiait sur des bateaux à la monnaie de Nantes, « destination, dit une lettre du 8 février 1793, où elles seront infiniment plus utiles que celle à laquelle elles servaient » [Note : District d'Hennebont, 930].

La cloche de Lochrist y échappa, provisoirement du moins. Averties de sa suppression, les dames de la Joie la demandèrent en place de celle de l'abbaye qui était cassée. Le directoire consentit à l'échange et pria la municipalité de Saint-Gilles dont relevait cette chapelle de ne pas s'y opposer. La cloche de l'abbaye fut envoyée à Nantes pour « être échangée en monnaie » (30 septembre 1791) [Note : District d'Hennebont, 914].

Le corps municipal de Languidic se montra tout d'abord récalcitrant. A une première demande faite le 13 août 1792 par le directoire, il répondit nettement : « Nous n'avons de cloches dans la paroisse que ceux qui nous sont nécessaires » [Note : Archives communales de Languidic]. Le conseil ayant été quelques mois après violemment renouvelé dans le sens révolutionnaire, le directoire jugea le moment propice pour revenir à la charge. Il réclamait nommément cette fois la cloche de la chapelle « auparavant sous le nom de Saint-Donatien. Comme cette chapelle, disait-il, n'est plus ouverte au culte, puisque l'inutilité en a été reconnue et qu'en conséquence cette cloche ne peut plus vous être utile, nous vous invitons à la faire descendre et transporter au district » (21 décembre) [Note : District d'Hennebont, 930].

L'année suivante les appétits grandirent et la Convention décida, le 23 juillet, de ne laisser qu'une cloche par paroisse « pour servir à l'horloge ou à annoncer les assemblées, mais qui ne doit pas être la plus grosse » [Note : Archives communales de Languidic]. Telle était la loi et l'on exigea de nos municipaux qu'elle fût appliquée. Ils n'étaient pas hommes à désobéir. Seulement les ouvriers experts faisaient défaut : « Ne trouvant d'ouvriers dans cette commune, écrivaient-ils, qui se crussent capables de descendre nos cloches, nous en avons parlé à Cormier et Henri Tréhin, d'Hennebont, qui ont promis de les descendre pour 50 livres ; ils nous manquent de parole, et un charpentier de Languidic nous assure que malgré la bonne volonté les cordages manquent ici » [Note : District 937. Archives communales de Languidic] (22 janvier 1794). Les cloches étaient sauvées [Note : La tour renfermait trois cloches. La plus grande, vulgairement nommée Colas, existe encore].

En même temps que l'aliénation des meubles, se produisait celle des immeubles. Le 5 juin 1790, le procureur « requiert qu'en vertu de la lettre des commissaires de Bretagne, il soit nommé des commissaires par frairies pour faire la liste exacte de toutes les terres, métairies, domaines, maisons, étangs, forêts, ou autres biens qui peuvent appartenir aux cy-devant privilégiés ; que lecture soit faite de la dite lettre au prône de la grande messe avec la liste des commissaires délégués à cet effet » [Note : Archives communales de Languidic].

Dès que le travail fut achevé, le conseil l'adressa au directoire, qui en accusa réception par lettre du 14 octobre 1790 [Note : District d'Hennebont, 912]. Mais le tableau n'était pas complet. Les renseignements détaillés manquaient, particulièrement sur la chapellenie de Kergo la Forêt, et l'abbé Philippe, qui en était chapelain, fut prié de vouloir bien les communiquer. Il déféra à cette invitation et se rendit de sa personne à Hennebont pour fournir les indications nécessaires [Note : District d'Hennebont, 912]. C'était de sa part un acte de condescendance. L'assemblée électorale y pensait peut-être lorsqu'elle lui proposa la cure de Languidic.

Malgré tout le zèle de l'administration, les aliénations des domaines nationaux se faisaient lentement, il en restait même plusieurs qui n'avaient pas été catalogués. M. Bertrand, percepteur ou chargé du rôle, eut l'ordre, le 24 novembre 1791, de se mettre à leur recherche et d'en faire l'estimation par objet distinct : bois et terres, contenance des parcelles, nombre d'arbres ; il devait aussi s'informer si certains de ces biens étaient affermés et, dans ce cas, avertir les fermiers de communiquer leur bail au directoire [Note : District d'Hennebont, 914].

On peut croire que le percepteur s'acquitta de sa tâche avec conscience. L'administration avait besoin d'argent et il fallait bien que les fonctionnaires lui vinssent en aide. Elle savait à l'occasion leur pousser l'épée dans les reins, comme le témoigne une lettre du 21 avril 1793 adressée à Voirdye : « Je ne sais comment prendre, citoyen, votre silence sur les ventes dont l'administration vous a chargé... Il faut en finir, la loi me le commande, ne me faites pas agir de rigueur... Après le 24 ou le 25, je vous ferai rendre compte et ce sera ma dernière lettre » [Note : District d'Hennebont, 931]. Dans une circulaire aux paroisses en date du 5 août 1794, elle menaça les municipaux, trop peu empressés de lui faire connaître l'état des biens de leur fabrique. Si dans les huit jours les pièces n'arrivaient pas, ils recevraient des garnisaires [Note : District d'Hennebont, 919].

Le moyen de résister à de semblables sommations ? On n'y songea guère à Languidic. C'est ainsi qu'à diverses époques furent vendus [Note : Archives départementales, domaines nationaux] :

Les biens de la chapellenie de la Ville-Roux, consistant en maison, écurie, jardin, prés et courtils à Bajouet ;

Les biens de la chapellenie de Saint-Sauveur, dotée d'une maison avec cour, écurie et jardin au bourg, et d'un pré sur le chemin de Kerpage ;

Trois maisons dites des Fleurs et appartenant à la chapelle des Fleurs ;

Plusieurs dépendances de l'ancien domaine presbytéral de Coëtlano, qui relevait de la même chapelle [Note : Pour l'habitation elle-même, il fut sursis à sa vente dans l'espoir que quelques réparations permettraient de l'utiliser] ;

Le verger et le courtil à chanvres, deux prés, une lande et une pâture dépendant de la cure ;

Une tenue de Lambézégan, appartenant à la fabrique ;

La métairie et le taillis du Liven, relevant du Petit-Couvent de Vannes ;

Deux tenues dépendant de la Chartreuse d'Auray ;

Enfin, vingt-deux tenues à domaine congéable, appartenant à l'abbaye de la Joie [Note : Arch. départ., domaines nationaux].

En décembre 1794, les municipaux annonçaient avec un certain air de triomphe que les immeubles des églises étaient vendus [Note : District d'Hennebont, 944. — Quelques-uns cependant leur avaient échappé. Signalons, par exemple, une maison avec cour et jardin appartenant à la chapelle des Fleurs et vendue par arrêté préfectoral du 21 juin 1806 (Arch. départ. ; domaines nationaux)].

 

XIV - PROSCRIPTION DES NOBLES.

Si l'on traitait avec tant de rigueur le premier ordre de l'ancien régime, on n'épargna pas non plus le second et l'on procédait à son égard avec la même violente iniquité. Si en effet les nobles restaient au pays, ils devenaient suspects et on les jetait au fond des cachots ; s'ils passaient à l'étranger, on les accusait de conspiration et on vendait leur patrimoine.

M. du Bouâtiez de Kerorguen, fils du seigneur de Quellenec, a pris la fuite, et, le 6 juillet 1791, son nom est porté sur la liste des émigrés. Dès lors ses biens tombent sous le séquestre et des mesures sont prises pour empêcher ses fermiers de lui envoyer des fonds [Note : District d'Hennebont, 913].

Ce n'est là qu'un demi-châtiment. A quelque temps de là, l'administration ordonne de saisir les meubles de Quellenec et de les mettre en vente. Mlle de Kerorien s'y oppose de toutes ses forces, alléguant que le manoir avec tout ce qu'il renferme, appartient à René-François du Bouëtiez son frère, qui n'est pas émigré. Un arrêté du 1er février 1793 décide de passer outre à cette protestation [Note : District d'Hennebont, 906]. Les biens fonds de la seigneurie subirent dans la suite le même sort. Il est vrai que lors de leur aliénation, M. du Bouëtiez put en retenir une grande partie [Note : Archives départementales, biens des émigrés].

Mlle du Bouëtiez vint aussi au secours de sa tante, Mme. Eudo, réfugiée avec sa fille à Jersey. Une fluxion d'yeux l'affligeait et elle recevait assidûment les soins d'un médecin, comme l'attestaient les pièces soumises à l'examen du directoire. Dans une lettre du 18 avril 1792, les administrateurs promirent d'y avoir égard ; mais d'après une autre lettre du 8 mai, le certificat leur paraissait maigre, et ils trouvaient que si de semblables documents suffisaient, tout émigré se tirerait aisément d'embarras [Note : District, d'Hennebont 912, 915].

La veuve du Bouëtiez-Bahuno avait passé la frontière en même temps que les autres membres de sa famille. C'est du moins le même jour, c'est-à-dire, le 6 juin 1791, qu'elle fut déclarée émigrée. Cette déclaration produisit ses effets ordinaires : ses meubles furent vendus et le manoir du Bouëtiez, dont la famille avait tiré son nom, devint bien national. Sa vente eut lieu, le 30 janvier 1794, au prix de 81.600 francs. Les deux métairies du château furent aliénées le même jour : celle du Pourprix coûta 18.100 francs, et celle de la Porte 16.700 fr. [Note : Archives départementales, domaines nationaux].

Pierre de Douville, seigneur de Bramboët, avait laissé des meubles au bourg de Languidic ; ils furent vendus, le 18 août 1793, avec ceux de M. Morgan [Note : District, 907]. Sa terre de Bramboët ne fut pas non plus épargnée. L'aliénation en fut faite, le 16 février 1794, pour 55.100 fr.

De tous les nobles émigrés qui précèdent, le conseil communal, dans sa déclaration du 18 mars 1792, ne signale que M. du Bouëtiez de Kerorguen fils ; mais en revanche il mentionne MM. de Boutouillic, de Lantivy Bodory et de Lantivy Kervéno fils [Note : Archives communales de Languidic].

M. de Boutouillic demeurait à Guerzelin. A son départ il chargea ses sœurs de recevoir ses rentes [Note : Archives communales de Languidic] et de les lui envoyer. Cette audace était insupportable. Le 16 avril 1794, son domaine de Guerzelin est nationalement vendu au prix de 33.000 fr. ; il perd, rien qu'en Languidic, neuf autres propriétés [Note : Archives départementales, domaines nationaux].

M. de Lantivy Bodory, à en croire les municipaux, était natif de Vannes ; mais il avait son bien et sa résidence à Bodory [Note : Archives communales de Languidic], et c'est ce manoir avec ses dépendances qu'il s'agissait de mettre sous séquestre pour punir le seigneur de son émigration.

Sa fille, Céleste de Bodory, s'était mariée à Paul-Marie de Lantivy Kervéno, celui que le conseil communal déclarait également émigré. En disparaissant il avait laissé son épouse sous la garde de son père, à Kerveno ; et comme « il avait aussi son bien avec son père », il n'était pas facile de l'exproprier. Ce jeune seigneur ne vécut pas longtemps. Avant le 4 juillet 1796, Céleste de Bodory a la qualification de veuve [Note : Archives communales de Languidic].

Jacques-François de Lantivy, seigneur de Kervéno, « chef de nom et d'armes », était né le 25 février 1740. Malgré la rigueur des temps, il s'obstine à demeurer en son château, et jusque dans son procès-verbal du 8 janvier 1792, relatif à un accident de personne, à rappeler son titre nobiliaire. Les municipaux n'y prennent pas garde et envoient la pièce ainsi signée à Lorient. Or une loi récente venait d'interdire ces sortes de qualifications. Aussitôt que la contravention est remarquée, le conseil communal reçoit pour son « inqualifiable indulgence » un rude avertissement [Note : District d'Hennebont, 941]. Les accusés se défendent comme ils le peuvent : « Comme nous ne sommes pas absolument des gens consommés dans la conduite des lois de notre constitution, on ne doit pas avoir de peine à persuader à MM. les administrateurs notre ignorance et notre innocence, car de notre côté, ce n'est pas par malice ni par désobéissance à la loi, si le sieur Lantivy s'est donné une qualification supprimée par la constitution ». Ils expliquent ensuite que la loi ne leur est arrivée que postérieurement au procès-verbal, mais Lantivy connaissait son existence et c'est volontairement qu'il a commis le délit : « En conséquence nous le dénonçons comme l'unique auteur de ce délit et vous en ferez justice » (19 février 1792) [Note : Archives communales de Languidic].

On n'en fit pas justice immédiatement. Se berçait-on de l'espoir de rallier cette famille au nouveau régime ? Peut-être. Toujours est-il qu'un fils de M. de Kervéno, Charles-Augustin-Vincent, donna le 3 juin suivant un gage étonnant d'adhésion aux idées du jour en faisant bénir son mariage avec Marie Moysiard par le curé constitutionnel [Note : Archives communales de Languidic]. Cet acte de faiblesse ne sauva pas son père de la proscription. Le 25 janvier 1793, le citoyen Dessaux eut ordre de se rendre à Languidic pour « l'annotation et la saisie » de ses biens [Note : District d'Hennebont, 906]. Ce séquestre toutefois parut au directoire du district quelque peu intempestif ; car, moins de deux mois après, il demandait au directoire départemental l'autorisation de le lever. Pour des raisons particulières, le département refusa (12 mars) [Note : District d'Hennebont, 931].

Sans souci de la proscription qui le frappe, M. de Lantivy reparaît au bout de quelque temps et s'occupe à tirer parti de sa propriété. Le directoire ne l'entend pas ainsi. Plusieurs nobles, émigrés du district, ont été, il est vrai, autorisés à y rentrer ; mais M. de Lantivy n'est pas de ce nombre et les administrateurs enjoignent de le faire saisir « à son habitation actuelle comme coupable d'exploiter une terre nationale » (17 janvier 1795) [Note : District d'Hennebont, 920]. Obligé de déguerpir, le seigneur de Kervéno se jette dans la chouannerie ; il en devient un des principaux chefs, et ses exploits au cours des événements qui se rattachent à l'expédition de Quiberon lui assurent une belle place dans l'histoire de l'époque [Note : Diverses histoires de la Révolution en Bretagne].

Pour les proscrits, la vie des camps était la meilleure. Dans l'intervalle des luttes, ils erraient à l'aventure, uniquement préoccupés de dérouter les espions qui couraient la campagne à leur recherche. Ce vil métier rapportait souvent du profit à ceux qui s'y livraient ; parfois aussi il leur occasionnait des déboires. Une veuve Moran, d'Hennebont, pouvait, sur ce point, leur servir d'exemple. Le 29 août 1795, un des jeunes seigneurs de Kervéno la surprend rôdant aux environs de la Forêt et, sans pitié, « d'une corde faite de branches d'arbres », lui inflige un châtiment exemplaire [Note : District d'Hennebont, 945].

Ce traitement ne saurait surprendre si l'on met en regard la haine qui animait les patriotes contre les émigrés. Pour en convaincre le lecteur, il suffit de lui mettre sous les yeux ce court passage d'un rapport de notre fameux instituteur :

« Je fis gillotiner en efigie Marbeuf et Kerfily émigrés, il me serait trop lonc d'en faire les détailles et de pindre l'émulation que cela donna. Cet au pieds de l'arbre de la liberté sur une étale de boucher que cette cérémonie at été fait. La tette de Marbeuf a tété déchirer avec fureur et l'autre porté au bout d'un sabre. Les trons ont été porté en triomphe avec les biniou et au cri de : Vive la nation ! Vive la république ! hors du bourg pour estre brûler et l'on a denser la carmainnole autour du feu » [Note : A. Macé, Un Instituteur en l'an II].

Le marquis de Sérent possédait à Languidic trois terres nobles : le Resto, le Plaissix et Villeneuve-Kerfily. La Villeneuve-Kerfily fut vendue nationalement, le 18 mars 1794, au prix de 10.500 fr. Les moulins de cette seigneurie, les bois du grand Resto furent également aliénés. Le marquis de Sérent perdit en tout une vingtaine de pièces [Note : Arch. départ., domaines nationaux] ; mais c'était là le sort commun des émigrés. On se demande seulement la raison de son exécution en effigie, pourquoi cette animation extraordinaire de l'instituteur contre sa personne.

La rage de Kerhouant contre M. de Marbeuf s'explique plus aisément : d'abord, ce seigneur possédait en Languidic le manoir de la Vigne, dont les poteaux patibulaires se dressaient dans un champ du bourg ; puis et surtout, c'était un archevêque. Yves-Alexandre de Marbeuf avait précédé le trop célèbre Talleyrand sur le siège d'Autun, et d'Autun, au moment où s'écroulait l'ancien régime, avait été transféré à Lyon. Il refusa de prêter serment à la constitution civile du clergé, et ce refus l'obligea de s'exiler avant d'avoir pris possession par lui-même de son archevêché. Dès qu'il passa la frontière, on se jeta sur son patrimoine. Deux mois après le spectacle patriotique ci-dessus décrit, c'est-à-dire le 23 juin 1794, le château de la Vigne fut vendu 50.600 fr. M. de Marbeuf ne revit pas son pays. La mort l'enleva, à Lubeck, ville de la Basse-Saxe, vers l'année 1799 [Note : Tableau historique de la persécution à Lyon (note due à l'abbé Pondevie, aumônier du Lycée, à la Roche-sur-Yon)].

Beaucoup d'autres aliénations eurent lieu pendant la Révolution ; mais il serait fastidieux d'entrer à ce sujet dans tous les détails, et il suffit, dans un intérêt historique, de donner les noms des seigneurs dépossédés. Ce sont, outre les seigneurs déjà cités, MM. Cadeville, Gouvello de Keryaval, de Guer-Marnière, Kerhouant, vicomte de Donge, J. A. de Marbeuf, Moëlien, de Gouandour et de Perrien [Note : Archives départementales, domaines nationaux].

Cela ne veut pas dire que l'expropriation ait été générale. Tous les seigneurs que nous venons de nommer ne se virent pas en effet dépouillés de toutes leurs terres ; d'autres ne laissèrent pas de conserver tous leurs biens. Ce n'était pas sans doute faute de bonne volonté de la part des administrateurs, ce devait être seulement faute d'acquéreurs.

 

IV - OPPRESSION DU PEUPLE.

Au cours de cette guerre impitoyable faite au clergé et à la noblesse, le peuple du moins fut-il épargné ? Oui, en ce qui concerne la confiscation. Deux hommes seuls, Keraudran et Ehouarn, virent leurs terres saisies et nationalement vendues. Encore est-il que Keraudran rentra, sans trop de peine, en possession de ses biens. Une note accolée à son nom porte en effet que « ses biens ont été remis en vente, le 9 vendémiaire an IV, à la folle enchère de l'acquéreur et restitués à la famille suivant la loi du 20 fructidor an 3 » [Note : Archives départementales, domaines nationaux].

Pour la famille Ehouarn, ce fut autre chose ; on vendit trois tenues qui lui appartenaient, le 8 août 1794, et on ne dit pas qu'elle les ait jamais recouvrées. Cette différence de traitement avait sa raison d'être : le jeune Ehouarn, forcé de renoncer à ses études ecclésiastiques, se fit chouan, et pour lui, le sabre remplaça la plume jusqu'à l'avènement de Bonaparte [Note : Mémoires de Rohu. Il était prêtre à Languidic en 1802].

Si la spoliation légale fit peu de victimes parmi le peuple, on ne doit pas en conclure qu'il ait été heureux, car il est plus d'une manière de souffrir, et les Languidiciens en firent à leurs dépens l'expérience.

Le curé constitutionnel venait d'être conduit à l'abbaye de la Joie, et cette arrestation inattendue causait un vif plaisir à bon nombre de gens. L'un d'entre eux, Le Bobinec, du village de Kervachib, en témoigna franchement sa satisfaction : « Ce curé et ses pareils, disait-il, sont bien criminels ; c'est à eux qu'on doit la persécution et la mort de plusieurs anciens prêtres ; les prêtres catholiques vont bientôt revenir et il y aura beau jeu ». De tels propos constituaient un crime au premier chef. Un voisin venimeux n'eut rien de plus pressé que de les rapporter, et le conseil aussitôt, sur la réquisition de Voirdye, décida que Le Bobinec serait arrêté « comme homme suspect » (27 mai 1794) [Note : District d'Hennebont, 944. — Plusieurs Languidiciens furent emprisonnée. Voici les noms de ceux qui moururent aux Ursulines d'Hennebont : Jean Corvest, Jean Gaudion, Jean Le Fée, Guillaume Le Vicher, Mathurin Rousseau, Joseph Le Roux, Jean Nouellec, Mathurin Le Goff, Pierre Bourvellec, Jacques Davi, Guillaume Jébanno dit le Breton, et Laurent Le Bacé (Circulaire du 15 décembre 1795). — (District, 946)].

Michel Brient faisait mieux que déplorer la mort des anciens prêtres, dans la mesure de son pouvoir il les remplaçait. Un nommé Corlardeau, officier municipal, apprit ce secret plein d'horreur de la propre bouche du coupable, et en bon patriote se fit un devoir de dénoncer ce clérical renforcé à la vindicte républicaine : « Michelle Brient, pére d'un brigand du village de Kermargent, nous a déclaré que son fils ne rejoindrès jamais la municipalité, nous a déclarés osssi que tous les jours il faisait les fonctions de prêtre » (18 novembre 1794) [Note : District d'Hennebont, 944].

Il n'était pas d'ailleurs nécessaire de professer contre le nouvel ordre de choses une hostilité ouverte pour devenir suspect, l'indifférence suffisait. Requis de prêter main-forte à la loi, Evano refuse son concours, et le voilà du même coup transformé en contre-révolutionnaire. Sur le rapport de la municipalité, le directoire ordonne de conduire le rebelle à Hennebont et de le traduire en jugement. « Il n'y a plus qu'un sentier, écrivait-il ; aux deux côtés sont les fossés profonds, précipices des ennemis de la Révolution » [Note : District d'Hennebont, 921].

Pour démasquer plus sûrement ces ennemis, l'agent national s'avise d'un moyen commode, il viole le secret des lettres. Il croyait assurément remplir un devoir ; seulement il s'y prit fort mal : il prétendait obliger tous les citoyens « à faire lecture de leurs lettres devant lui », y compris le commandant de la force armée. Ce dernier se plaignit vivement de ce procédé arbitraire et le directoire prévint Voirdye de se rendre à sa barre pour se justifier sous peine d'y être conduit par la force. Voirdye répond que le désir de savoir des nouvelles de la frontière est fort naturel et qu'il a chargé le facteur de prier les destinataires de communiquer leur correspondance à la municipalité, « qui en fait part à la commune entière, comme elle a fait jusqu'ici aux jours de décade ». C'est ainsi qu'il se tira d'embarras, mais la leçon lui profita et on ne dit pas qu'il ait recommencé [Note : District d'Hennebont, 920, 944].

Dans leur excès de zèle, les patriotes de Languidic aspiraient à régenter tout le canton. Leurs voisins de Branderion, beaucoup moins fougueux, marchaient d'un pas modéré dans la voie révolutionnaire. Pour les dégourdir, une expédition est décidée. Des citoyens de la commune, appuyés d'une partie de la garnison, en tout une trentaine d'hommes, se rendent chez Jacques Diniel, au village de Hautière, et ravagent son mobilier. Nicol, l'agent national, est un peu moins maltraité : on se contente de lui enlever son fusil et ses munitions. Les pauvres gens se plaignent en désespérés : « Nous n'avons que des menaces de la part de Voirdye et de Leysennes... S'il faut nous défendre de force, nous nous défendrons tems que nous pourrons, car nous ne nous laisserons pas pillé... » (7 novembre 94). Le 19 du même mois, eut lieu une nouvelle expédition, cette fois dirigée contre le maire. Leysennes et ses quatre fusiliers, assure la plainte, avaient l'intention formelle de le passer par les armes. Par bonheur pour lui, il ne se trouvait pas à la maison [Note : District d'Hennebont, 904].

Du moment que les municipaux employaient la troupe à châtier les modérés ou les contre-révolutionnaires, on comprend qu'ils fussent sans force comme sans volonté pour s'opposer aux soldats lorsqu'il leur prenait envie de dévaster la campagne. Un bataillon de passage à Languidic au mois d'avril 1794, commit des « dégâts, vols et dégradations de toutes sortes ». Quelle mesure avaient prise les municipaux pour les prévenir ou pour les venger ? Aucune. A la nouvelle de cette incroyable inertie, le directoire laisse éclater sa colère ; il leur déclare énergiquement qu'ils ont trahi leur mandat, que leur devoir était de s'opposer à ces atrocités et d'en saisir le juge de paix [Note : District d'Hennebont, 919].

Comme la répression faisait absolument défaut, ces graves désordres se renouvelaient chaque jour, et parfois avec une violence incroyable. Entre autres témoignages, en voici un qu'on ne récusera pas : c'est un rapport adressé, le 26 juin 1795, à l'administration départementale par le directoire du district :

« Les campagnes sont soulevées par les paysans et la troupe met le comble en assassinant et volant impunément dans les maisons et sur les grandes routes. Vous allez de nouveau en être convaincus par le procès-verbal de ce qui s'est passé dans la commune de Languidic, hier, par l'escorte du général Josnet. Ils sont bien coupables, les officiers qui commandaient cette escorte d'avoir laissé en arrière plus de 60 hommes qui, après avoir commis des assassinats, des mutilations, des vols, des pillages, ont arrêté sur le grand chemin tous les voyageurs et cultivateurs qui revenaient de la foire de Pontscorff, les ont dépouillés et volés après les avoir frappés de coups de sabre. Chaque jour depuis près d'un mois ce sont de nouveaux crimes et comme nous ne pouvons en entendre les rapports sans en marquer notre indignation, nos jours sont menacés.

Cependant, il faut en convenir, il est humiliant pour des administrateurs d'être obligés d'abandonner leurs administrés à la fureur soldatesque, présage affreux du malheur inévitable qu'éprouvera sous peu notre pauvre pays ; car, après avoir dévasté les campagnes, les petites villes deviendront l'objet de leur scélératesse et le magistrat et l'administration sera leur première victime... Des sommes considérables en espèces, en assignats ou vêtements ont été les dépouilles des malheureux et, tout ce jour-ci, le soldat s'est glorifié de s'en trouver muni.

Sur notre première plainte, le commandant de la place a fait assembler la troupe et les malheureuses victimes ont cherché dans les rangs à reconnaître les assassins et voleurs. Mais, hélas ! sans succès, la grande portion de l'escorte est partie pour Quiberon, et d'ailleurs comment des hommes et des femmes entourés d'assassins peuvent-ils se rappeler la figure des tigres qui veulent les égorger ? C'est donc aux chefs à répondre de ces forfaits. Ils le doivent d'autant plus qu'ils sont coupables d'avoir laissé en arrière plus de 60 hommes, lesquels ne sont rentrés en ville que plus de deux heures après le corps du détachement. Voilà un fait bien prouvé et qui demande justice contre ceux qui ont souffert ce désordre » [Note : District d'Hennebont, 916].

« Voleurs, assassins, tigres », telles sont les qualifications que les administrateurs eux-mêmes infligent aux soldats de la République employés à la pacification de la campagne. Rien n'autorise à suspecter la sincérité du directoire quand il flétrit de pareils attentats. Si donc ces méfaits demeurent impunis, il ne faut pas lui en faire un crime ; car, pour la répression des désordres, son impuissance est visible, et il n'a pas à compter sur l'assistance des autorités militaires ou locales ; mais il reste vrai qu'en contact continuel avec les patriotes, les soldats en prenaient aisément les sentiments et que toute occasion leur paraissait bonne d'accabler les cultivateurs [Note : Les plaintes du directoire à ce sujet sont très fréquentes].

Pour que rien ne manquât à l'oppression, les pillages commis par les particuliers s'aggravaient encore des exactions légales. Le 29 septembre 1793, la Convention fixait un maximum relatif au prix des denrées de première nécessité. Résolus de l'appliquer à la lettre, les administrateurs décident, le 10 décembre, qu'un tarif obligatoire « sera sans délai imprimé pour être publié, affiché et exécuté dans toute l'étendue du district » [Note : District d'Hennebont, 902]. Or, s'il est un règlement de nature à pousser à bout le cultivateur, c'est celui-là ; car rien ne lui plaît tant que la liberté de débattre à son gré le prix d'une marchandise et de la céder au plus offrant. Aussi cette mesure produisit-elle une impression qui désolait Kerhouant. « Je vouderais, écrivait-il avec son orthographe ordinaire, que le distric envoyas quelques un issie pour voir ce qui se passe et fortifier l'esprit publique : depuis le départ du curé et l'application du maximum, il me semble le voir chanceller » [Note : District d'Hennebont].

L' « esprit publique chancella » d'autant plus, pour employer le style de l'instituteur, qu'à l'établissement du maximum se joignait le paiement des denrées en assignats. Le papier-monnaie avait de bonne heure envahi la campagne, et dans le principe nos paysans ne lui faisaient pas trop mauvais accueil ; mais cette confiance relative qu'on lui témoigna lors de son apparition diminuait de jour en jour, et bientôt il tombait dans un complet discrédit. Il fallait pourtant le recevoir, puisqu'il avait cours forcé ; de là une situation intolérable, dont les patriotes d'ailleurs ressentirent les effets.

C'est que le peuple ne se laissa pas dépouiller sans se défendre. Irrité de tant de vexations, il se jeta avec vigueur dans la voie de la résistance, et une des formes de cette résistance qui finit par devenir quasi générale fut de couper les vivres à la République.

 

XVI - RÉQUISITIONS FORCÉES.

De tous les districts du Morbihan, celui d'Hennebont avait le plus de peine à s'approvisionner. C'est que parmi les 26 communes dont il se composait, il y avait trois villes : Port-Louis , Lorient et Hennebont, qui renfermaient 30.000 âmes. En tenant compte des armements, des relâches dans les deux ports et des passages très répétés de troupes, de marins et de prisonniers de guerre, on se trouvait en face de 40.000 bouches à entretenir, ce qui exigeait 70.000 quintaux de blé par an, à une demi-livre de pain par jour et par personne [Note : District d'Hennebont, 916].

Pour les fournir, le directoire tournait les yeux principalement du côté de Languidic. Cette commune était très populeuse et abondait en denrées de toute nature. L'agriculture en particulier s'y pratiquait sur une large échelle. Ainsi, d'après un recensement de l'état de ses grains, on estimait le montant de sa récolte à 18.000 minots dont 8.000 de disponibles [Note : District d'Hennebont, 908].

Mais cet excédant n'était pas facile à obtenir, car les cultivateurs avaient cessé de fréquenter les marchés, et les sollicitations les plus pressantes ne pouvaient vaincre leur obstination. Devant ce mauvais vouloir, il ne restait qu'un seul moyen de se procurer des vivres : le recours aux réquisitions ; or les réquisitions ne s'opéraient qu'à l'aide de la force et des visites domiciliaires, et c'est ce qui acheva d'aigrir les esprits : « Deux mesures, écrivait le directoire, ont mis le comble à nos malheurs : la promptitude des réquisitions et le discrédit des assignats » [Note : District d'Hennebont, 916]. Sur la question capitale des subsistances, il s'engagea donc une lutte terrible entre les paysans et l'administration ; nous allons l'exposer en détail.

Le 20 décembre 1793, le directoire ordonne aux municipalités, sous peine d'être suspectes et mises en état d'arrestation, de lui envoyer les noms des paysans et de leurs villages, l'état de la population, le nombre des chevaux et des bestiaux de chaque cultivateur [Note : District d'Hennebont, 907]. Quelques jours après, les habitants de Languidic sont particulièrement avertis « d'avoir à faire à la commune les déclarations de leurs cidres et denrées ». De telles prescriptions paraissant suspectes, le plus grand nombre refusent de s'y soumettre [Note : Arch. comm. de Languidic]. Au lieu d'en ajourner l'exécution à cause de l'hostilité populaire, Voirdye demande qu'on nomme des commissaires chargés d'opérer une enquête dans chaque section. Si elle eut lieu, le directoire n'y ajouta qu'une foi médiocre ; car, le 24 février, il confiait à deux délégués le soin « de constater l'exactitude des déclarations des grains, de mesurer la quantité existante chez chaque particulier, de prendre l'état de jouissance des terres » [Note : Arch. District, 907]. C'est d'après les renseignements fournis par les commissaires que le directoire déterminait la quantité de denrées que la commune devait livrer. Cette quantité fixée, les municipaux la répartissaient sur les individus les plus capables de la fournir ou encore assignaient son lot à chaque section ; parfois ils se contentaient de donner des noms ou de procurer des guides au directoire, qui prenait dès lors à sa charge le recouvrement.

Les municipaux étant ainsi les agents ordinaires du directoire, on comprend que celui-ci n'oubliât rien pour piquer leur émulation : « Vos frères de Lorient réclament 227 quintaux de grains, leur écrivait-il le 23 août 1794, cela suffit pour que vous les apportiez de suite ; ils sont bien persuadés du zèle que vous avez mis toujours à soutenir vos frères » [Note : District, 919]. Le 25 novembre suivant, on les prie de réquisitionner des charrettes pour transporter plusieurs cordes de bois à l'hospice militaire d'Hennebont : « Nous attendons de votre zèle bien connu de la république le succès de cette opération » [Note : District, 920].

Les compliments ne leur manquaient pas lorsque les réquisitions avaient réussi. Ils en reçurent le 13 juin 1794 [Note : District, 919], ils en reçurent en d'autres circonstances. Mais aussi pour peu que leur zèle vint à se relâcher, les voilà tancés d'importance. Le 4 décembre 1794, ils sont prévenus que 400 minots manquent sur les 800 dus à Port-Louis. Le maire et l'agent national recevront trois garnisaires, si la réquisition n'est pas complète [Note : District d'Hennebont, 920]. Le 2 janvier 1795, on les gronde de n'avoir pas encore donné l'état de recensement des grains [Note : District d'Hennebont, 920]. L'invitation leur est renouvelée le 21 du même mois, avec menace de les punir, s'ils n'obéissent [Note : District d'Hennebont, 920] : « Nous ne pouvons comprendre, leur disait un jour le directoire, que des républicains puissent se permettre de ne pas exécuter les ordres ».

Si ces ordres et d'autres de même nature demeuraient inexécutés, c'est que les municipaux se voyaient réduits à l'impuissance : « Nous sommes au milieu des chouans et des brigands, écrivaient-ils le 29 novembre 1794, et journellement attaqués pour les contraintes de grains et de bois, impossibles sans une force armée » [Note : District d'Hennebont, 944]. Pour ramener le peuple à des sentiments plus aimables, le directoire essaya de le prendre par son côté faible. Il annonça le 18 décembre qu'une forte remise serait accordée sur le fer, l'acier, le tabac et la résine, aux communes qui feraient preuve de bonne volonté [Note : District d'Hennebont, 920]. Le résultat de cette proposition, le voici : « Pour les bois et les fagots, écrivaient le 29 suivant nos municipaux, nous avons beau publier, on se moque de nous... Pour les 400 quintaux d'avoine, nous avons assigné son lot à chaque section, ils disent avoir tout donné et que le reste est nécessaire pour les semailles. Il y a assez longtemps que le registre est ouvert ; à la dernière décade, on a nommé 3 sections par jour pour venir faire leurs déclarations, il en est venu plusieurs, mais le plus grand nombre n'y a pas obéi et personne ne veut aller faire le recensement dans les sections ; il y a de grandes sections et il n'est venu que deux ou trois, et encore, disaient-ils, je vous prie en grâce de ne pas dire que j'ai été faire ma déclaration, car je me verrai incendié et égorgé aussitôt ; car les brigands disent journellement qu'ils fusilleront ceux qui feront leur déclaration, ou qui feront la moindre chose pour la nation ». Voirdye dénonce nommément « la section de Trévérec qui la première s'est refusée de faire sa déclaration, exemple qui a été suivi par les autres » [Note : District d'Hennebont, 944].

Le zèle de nos municipaux était, en ce moment, d'autant plus intéressé que les patriotes de Languidic souffraient eux-mêmes de cette terrible situation : « Aucun du bourg, disent-ils, ne trouve un minot de seigle à moins de 15 livres, car les vrais patriotes ont déjà tout donné, le beurre 4 livres la livre, et encore on ne trouve point ». On leur a assuré « que des femmes déguisée à la mode de la campagne ont depuis une décade accaparé les boeurs, la gresse, les œufs » [Note : District d'Hennebont, 944]. Voilà les banalité qu'ils débitent pour expliquer la disette des denrées alimentaires.

Le directoire était trop avisé pour accorder le moindre crédit à d’aussi absurdes accusations. L'insuccès même de la démarche qu'il fit auprès des communes ne devait pas l'étonner outre mesure ; car il avait déclaré lui-même dans une lettre au département qu'on n'obtiendrait rien de la campagne sans le faire demander par cent ou deux cents baïonnettes [Note : District d'Hennebont, 916]. L'emploi seul d'une force considérable pouvait donc avoir raison d'une si vive opposition. De fait, la garnison de Languidic ne suffisait pas d'ordinaire à la besogne et on se voyait obligé de recourir à un supplément de troupes : « Nous vous envoyons du monde aujourd'hui, écrivait-il le 30 décembre 1794, occupez-vous à nous envoyer du grain pendant que vous aurez le détachement ». Le détachement se composait de cent hommes du Bec-d'Ambès, qui partaient le même jour pour Languidic, avec la mission de protéger le recouvrement de la réquisition accordée à Lorient [Note : District d'Hennebont, 944].

Nos paysans voyaient approcher les baïonnettes sans trop s'en émouvoir. Le citoyen Patin, chargé d'une de ces réquisitions forcées, écrivait au directoire, le 6 janvier 1796, que les dix tonneaux promis se réduiraient peut-être à un seul, furtivement apporté par quelques cultivateurs. Les uns s'y opposaient par crainte d'être égorgés ou incendiés ; d'autres, par mauvaise volonté. Cinquante familles lui avaient déclaré le matin qu'il valait autant les fusiller de suite que de les exposer d'un côté aux attaques des chouans ; de l'autre, à la famine [Note : District d'Hennebont, 945].

Deux jours, après, il écrivait une lettre aussi désespérente : il a parcouru tout le district du Trévérec, visité tous les greniers pour arriver à un tonneau de seigle et à quelques minois d'avoine ; encore a-t-il fallu employer la force pour enlever ce grain ; les femmes éplorées lui criaient qu'on voulait les affamer [Note : District d'Hennebont, 944].

Les soldats employés aux réquisitions se trouvaient parfois dans un dénuement lamentable. Patin ajoute en effet : « Mes soldats manquent de souliers, de linge ; depuis 20 jours, plusieurs n'ont pas changé de chemise ; d'autres ont mis leur mouchoir pour servir de pièces à leur culotte ; ils ne peuvent résister à traverser les landes, comme nous le faisons tous les jours, et quelquefois la nuit » [Note : District d'Hennebont, 944].

Le succès ne répondait pas à tant d'efforts et la famine frappait aux portes des trois villes. Le 9 février, elles déclarent que les citoyens sont réduits à une demi-livre de pain par jour [Note : District d'Hennebont, 902] ; puis elles se décident à fournir la milice nécessaire pour faire rentrer les réquisitions en retard [Note : District d'Hennebont, 902] ; le 13, des délégués de Lorient affirment que la ville n'a de pain que pour dix jours [Note : District d'Hennebont, 902].

La situation était alarmante, et, si on voulait empêcher ces villes de mourir de faim, il n'y avait pas un moment à perdre. Le danger fut pour le moment conjuré ; mais il devait se représenter bientôt avec la même gravité, les cultivateurs ayant négligé à dessein de battre leur récolte. Exaspéré par tant d'obstacles, le directoire envoie, le 14 mars, deux commissaires civils à Languidic, avec les instructions les plus sévères : « Requérons la municipalité, disait-il, de leur donner des commissaires pour les accompagner dans tous les villages à l'effet d'exercer une réquisition de 1200 minots d'avoine ; requérons également le commandant de la force armée de leur fournir un détachement en état de protéger une opération aussi intéressante. Les laboureurs qui ne pourront fournir leur contingent parce qu'ils n'ont pas battu seront invités à froter des gerbes dans leurs greniers : s'ils s'y refusaient, ils seraient arrêtés et conduits en arrestation à Hennebont jusqu'à ce qu'ils aient fourni la réquisition à laquelle ils seront imposés » [Note : Arch. de Languidic].

Il était plus facile de « requérir » sur le papier qu'a travers les villages, et nos municipaux en sentaient vivement la différence. Ils firent remarquer que l'usage de frotter les grains n'était pas praticable et qu'il valait mieux attendre que le grain fût battu. Le directoire se rendit à cette observation et ordonna à des commissaires de parcourir toutes les sections de Languidic pour engager les cultivateurs à profiter du beau temps et à délivrer le plus de grain possible.

Mais ce grain battu, il fallait aller le prendre à domicile et cela ne se pouvait faire qu'avec des citoyens qui voulussent bien servir de guides. Or, à cet égard, l'empressement laissait à désirer : « Nous nous trouvons très embarrassés, ajoutaient les municipaux, pour la nomination des commissaires pris dans la commune ; tous ceux qui ont déjà été sont menacés par les brigands qui journellement commettent des vols et des brigandages. Un membre du conseil fait observer qu'il n'est point possible à aucun d'eux actuellement résidants dans le bourg et qui n'y sont que par la crainte d'être assassinés chez eux, de servir de commissaires » [Note : Arch. de Languidic].

Dans ces douloureuses circonstances, le directoire s'en prit au représentant du peuple Brue qui avait interdit les réquisitions à main armée, avec le secret espoir d'amener les paysans aux marchés : « Or, ils n'y viennent, écrivait-il le 28 mars, que pour insulter à nos calamités » [Note : District, 922].

Le directoire demande alors aux représentants du peuple, en ce moment réunis à Rennes, l'abrogation de cet intempestif arrêté. En attendant, il annonce au général Evrard son intention de reprendre les réquisions forcées : « Nous savons, dit-il, que la commune de Languidic peut facilement nous approvisionner sans affaiblir ses besoins ; nous commencerons par elle ». On invite en même temps cet officier à y envoyer des soldats dont le civisme et le patriotisme soient à l'épreuve. La compagnie du Bec-d'Ambès possède ces qualités ; elle connaît les habitants, c'est elle qu'il faut envoyer [Note : District, 922] (6 avril).

La situation empirait de jour en jour ; Hennebont souffrait beaucoup, et pourtant Brue ne répondait pas : « Quelle est donc la raison de ton silence envers nous ? écrivait le 10 avril le directoire. Le peuple continue d'entourer le lieu de nos séances, en demandant du pain : d'autres ne se cachent pas pour redemander l'ancien régime c'est-à-dire un roi ; on se permet de faire cette demande » [Note : District, 922]. Sans doute on l'osait, le peuple avait faim, et ventre affamé n'a pas d'oreilles.

Enfin les réquisitions forcées reprennent leur cours ; mais tout ne marche pas au gré des administrateurs et une lettre du 28 annonce un insuccès absolu : « Hier matin, nous avions disposé une réquisition sur Languidic et fait partir 30 hommes qui devaient se joindre à une partie de la garnison de ce bourg, avec deux commissaires pris dans Hennebont ; mais quel a été notre étonnement de voir revenir le soir notre détachement et les deux commissaires sans avoir rien fait, Languidic ayant refusé de fournir un commissaire pris dans son sein ou des guides » [Note : District d'Hennebont, 922].

Cet échec ne décourage pas le directoire et, le 27, il charge le procureur syndic de se rendre à Languidic, avec des commissaires et une force armée « pour traiter de gré à gré avec le cultivateur pour l'achat des grains, sinon l'y contraindre par la force ». Cette expédition mit à néant toute résistance, et, le 23 mai, son chef rendait compte, avec une visible satisfaction, du tarif des échanges avec les cultivateurs de Languidic, relativement au seigle, au blé noir etau mil ; il réussit même à en solder une partie en assignats. Un pareil triomphe était sans doute dû à la force ; le procureur n'avait pas moins le droit de s'en féliciter [Note : District d'Hennebont, 908].

Qui donc rendait nos paysans si hardis devant les réquisitions républicaines ? On l'a insinué au cours de cet article : la présence ou le voisinage des insurgés. Plutôt que de se soumettre au service militaire, les jeunes gens s'étaient jetés dans la désertion. A leur exemple, beaucoup de paysans entrèrent en lutte ouverte contre la République, en sorte que, non content de lui refuser toute espèce d'assistance, le peuple tentait encore de l'abattre par la force des armes.

 

XVI - INSURRECTION.

Dès le début de la Révolution, le directoire savait à quoi s'en tenir sur l'enthousiasme de la plupart des Languidiciens ; mais avant 1793, l'insurrection régnait dans les esprits plutôt que dans les actes. Au mois de février de cette année, les municipaux ne pouvaient plus se faire illusion sur les dangers de la situation. Le 19 du mois, Voirdye « remontre que depuis la Révolution des ennemis jurés de la constitution n'ont cessé de contrarier en tout les lois et de travailler à les détruire les uns par leurs actions, les autres par leurs mauvais conseils ; qu'en conséquence, la municipalité encore une fois, par voye de douceur, fasse publier à tous les esprits égarés que les lois sont faites pour les mêmes, riches, pauvres... ; qu'il n'est plus de grandeur, qu'il n'est plus d'excellence, plus de majesté qui puissent leur faire des circuits vicieux..., invite tous les citoyens à se rallier sous le même étendard, à déposer toutes les haines, toutes divisions, à travailler de concert au maintien du bon ordre » [Note : Arch. com. de Languidic].

Ces remontrances ne furent pas entendues ; il y avait trop de griefs contre la République et les mécontents étaient trop nombreux pour céder à de pareilles objurgations. Puisqu'ils ne veulent pas se soumettre, le procureur change de ton. Le 27 du même mois, il fait observer « que le nombre des citoyens de cette commune qui a obéi aux loix est on ne peut plus petit, que des désobéissants, plusieurs, et notamment Antoine Amiot, Corentin Le Carer, Pierre Guimarho, méprisent publiquement toutes celles portées depuis la Révolution... En conséquence il demande qu'ils soient désarmés sur-le-champ et condamnés à l'amende ». Le conseil y consent de tout cœur : que ces traîtres soient punis, « ainsi que tous autres ennemis de la République et notamment François Conan, de Keryvon » [Note : Arch. com. de Languidic].

Ces mesures de rigueur, jointes à l'annonce du prochain tirage des jeunes gens et des veufs sans enfants, mit au comble l'exaspération populaire. Le tirage devait se faire au bourg le 13 mars, mais « l'esprit de soulèvement qui y règne, s'écriait Voirdye au sein du conseil, ne permet pas d'espérer qu'il se fasse avec l'honnêteté et la sagesse qu'exigent les rassemblements de républicains vraiment libres ». Ce qui lui déplaisait particulièretent c'est que la clameur publique poussait les jeunes gens à se faire précéder aux urnes par les officiers municipux.

Le 13 mars arrive et l'agitation est extrême. Pour calmer toutes les susceptibilités, le Conseil décide, sur le proposition du procureur, que le contrôle des opérations sera confié à 12 commissaires, dont huit nommés par le Conseil hors de son sein, et quatre choisis par les jeunes gens et pris parmi eux. Cet expédient n'eut aucun succès, la jeunesse refusa de tirer. Les troubles continuent le lendemain et devant le danger qui les menace, les municipaux invitent l'administrateur du district « à requérir du commandant de la garde nationale 25 hommes qui seront casernés le jour de demain » ; ils s'engagent à fournir suivant les lois un corps de garde, avec le chauffage et le luminaire ; le nombre de lits exigés et « conditionnés » en pareil cas ; la viande nécessaire et la nourriture sur le pied de l'apprécis de la ville... Au reste, ils renoncent à faire le tirage au bourg et le renvoient par devant le directoire du district [Note : Arch. com. de Languidic]. Celui-ci n'était pas à cet égard sans inquiétude. Le 18, il écrivait au Département : « La municipalité de Languidic se rend ici pour faire son tirage : nous ignorons encore les dispositions des jeunes gens ; au moins espérons-nous les maintenir » [Note : District d'Hennebont, 918].

La commune devait fournir 44 soldats. Sur ce nombre, combien y en eut-il à déserter ? On ne le sait pas au juste. Ce qu'on peut assurer, c'est qu'ils étaient nombreux. Le 27 juillet, le recrutement signale Vincent Le Fraper et Joseph Falquéro ; le 15 août, Clère, chef du 3ème bataillon de la Seine-Inférieure, dénonce Pierre Le Guen et Mathurin Le Gras... Languidic n'était pas seul à fournir des déserteurs, les communes voisines étaient à cet égard tout aussi mal notées ; et, malgré la vigilance du commandant, chaque jour il lui échappait quelques recrues : « Il est essentiel, écrivait-il au directoire, que vous exigiez fortement des municipaux la rentrée de ces hommes et il serait conenable que les factionnaires de la commune d'Hennebont arrêtent tous les volontaires qui passent sur les routes » [Note : District d'Hennebont, 942].

Le directoire n'avait pas attendu cet avis pour surveiller le mouvement insurrectionnel qui se préparait. Devant l’opposition générale, il pressentait un éclat. Ce pressentiment se changea en certitude, le jour où il apprit les relations étroites qui unissaient « les malveillants du Finistère et du Morbihan ». Le pont de Lochrist sur le Blavet formait le point de réunion, le centre où aboutissait leur correspondance [Note : District d'Hennebont, 902]. Le 16 mars, on y mit un officier avec 15 grenadiers du détachement de Lorient. Les grenadiers prirent part, les jours suivants, à l'expédition d'Auray ; mais le poste fut rétabli le 21 mars, et un second fut en même temps placé au passage de la Coutume où l'on avait aperçu des insurgés traverser la rivière. Les soldats avaient pour consigne de fouiller tous les suspects. La commission était large, ils s'en acquittèrent en conscience. Le 18 mars, le poste de Lochrist arrête un « messager des cy-devant avec quelques lettres qui ne signifient rien ou pas grand’choses » [Note : District d'Hennebont, 918]. Un autre jour, il voit deux paysans qui fuient, ayant au chapeau une cocarde blanche. Pour les fouiller, il faut les abattre ; les soldats n'y manquent pas. Une des victimes portait sous son vêtement un scapulaire.

Pour intercepter entièrement le Blavet, il importait de s'assurer la soumission de Languidic, dont il forme la limite de Lochrist à Pontaugan, c'est-à-dire sur une longueur d'environ 22 kilomètres. Or le directoire ne douta pas d'en venir à bout, grâce au dévouement absolu des autorités locales : « La barrière que vous formez dans votre commune, leur écrivait-il le 21 décembre 1793, fait déjà trembler les aristocrates, les brigands et les gens suspects ; sacrifiez un peu de vos intérêts pour ceux de la patrie ; que toujours plusieurs de vous soient à leur poste, la loi vous le commande ; vous êtes la seule commune à qui nous confions des armes... ». Les armes annoncées consistaient en un envoi de trente piques [Note : District d'Hennebont, 219], destinées à la garde nationale.

On ne pouvait aller loin avec un pareil secours, et, comme l'insurrection gagnait beaucoup de terrain, il convenait de prendre des précautions plus sérieuses. C'est ainsi qua 75 hommes de la garde nationale de Lorient vinrent, le 17 mars 1794, s'établir jusqu'à nouvel ordre à Languidic. D'autres troupes furent à la même époque postées à Landévant et à Branderion pour empêcher l'ennemi « de faire une trouée. Ce que nous ne craignons pas, écrivaient les administrateurs, ce n'est que précaution seulement et le général Camuel saura bien, s'il ne l'a fait déjà, le faire rentrer dans le devoir ou dans la poussière » [Note : District d'Hennebont, 919].

Cette confiance s'accrut sans doute à la suite d'un merveilleux rapport envoyé vers la même époque par l'instituteur Kerhouant, au sujet des conscrits de la seconde réquisition. Il les conduit lui-même à Hennebont, leur donne un drapeau dans la salle de la mairie et les accompagne sur la route du Baud. « Je les quitta, dit-il, après les avoir encouragé, praiché l'aubéaissance aux chefs, embrassé un grand nombre et répété plusieurs fois : mes enfants ne désertez pas, ou si vous le faites, vous attirerez sur vous et sur vos familles les plus grands des malheurs » [Note : Un instituteur en l'an II].

Cette démonstration de tendresse produisit-elle quelque effet sur leurs esprits ? On ne le dit pas. Toujours est-il qu'elle ne ramena pas la sécurité dans la commune. Aussi lorsqu'au moment de la récolte, 13 juillet, nos municipaux furent autorisés à renvoyer provisoirement la garde soldée du bourg, demandèrent-ils à la remplacer par une autre qui serait nommée « l'espoir de la patrie ». On devait la composer de patriotes éprouvés et en écarter avec soin les hommes employés à l'agriculture [Note : District d'Hennebont, 919].

Ils en étaient arrivés à croire que pour eux il n'y avait d'autre moyen de salut que dans un sévère châtiment des déserteurs et des familles assez osées pour leur donner asile. Parmi plusieurs autres Thomas Kernen, du Deziniau, se trouvait coupable de ce délit. Ils le denoncent à Hennebont et le procureur Cochois enjoint à la municipalité et au comité révolutionnaire de la commune de le faire conduire sous banne escorte au directoire du district, nomme « l'agent national de ladite commune pour commissaire, lequel se fera accompagner de deux membres du comité révolutionnaire pour apposer les scellés sur ses papiers et séquestrer ses meubles et immeubles » 2 août 1794. Ainsi fut fait. L'accusation pourtant ne put se prouver et les scellés furent levés au bout de quelques jours [Note : District d’Hennebont, 944].

Ces violences mêmes ne firent que précipiter l'explosion. Le 20 octobre, les municipaux signalent au Directoire les menaces qu'on leur fait journellement, « les insolences des aristocrates qui se flattent que le règne des patriotes est fini... Les brigands ont tué un postillon de dix coup de fusil…. Ils sont parmi nous, conduits et guidés par les aristocrates, les déserteurs et leurs parents... ». Suivant la mode du jour, ils traitent de brigands tous ceux qui refusent de courber la tête sous le despotisme. Enfin ils proposent une chasse générale sur le Blavet, avec l'assistance des autres communes riveraines [Note : District d’Hennebont, 944].

La battue eut lieu le lendemain sous les ordres d'André, administrateur du district, et de Lacombe, officier de santé. Elle commence à Lochrist. Lacombe fouille toute la rive de Languidic, et André, la rive opposée, sans rien rencontrer de suspect. Les deux chefs se rejoignent à Pontaugan où les attendent les municipaux de Languidic. Toute la troupe se dirige aussitôt par les traverses vers le bourg de cette commune, y prend un peu de nourriture ; et, après un repos de deux heures, repart vers Hennebont où elle arrive entre deux et trois heures du matin [Note : District d’Hennebont, 943].

Ces mouvements insurrectionnels agacent Leyris et Bourret, représentants du peuple, et ils envoient aux 26 communes du district une proclamation dans le but de ramener au sein de la patrie « les enfants égarés et d'attirer une nouvelle surveillance sur les gens suspects qui désolent nos contrées... Dites à ces jeunes gens que la République, toujours grande et généreuse, oublie facilement les maux qu'on a voulu lui faire » [Note : District d'Hennebont, 920].

Les jeunes gens demeurent sourds à tous les appels. Leyris et Bourret espérent réussir auprès des paysans et, le 13 novembre, ils rédigent une circulaire pour prévenir leurs esprits contre les rebelles [Note : District d'Hennebont, 920]. Cette nouvelle invitation ne produit pas un meilleur résultat. Les campagnes persistent dans leur attitude hostile, et, comme l'absence de larges chemins constitue un grand danger pour les troupes, des ordres sont adressés aux 26 communes, le 22 novembre, pour mettre à exécution les prescriptions des représentants du peuple Boursault et Rollet en date du 24 septembre, relativement aux grandes routes, c'est-à-dire « abattre sur le bord des chemins qui conduisent de commune à commune les arbres et les haies, à l'exception des arbres fruitiers ; remplir les fossés, et ce, à la distance de cent toises ries chemins : et, au delà de cette distance, pratiquer des ouvertures de dix pieds aux quatre angles et remplir les fossés » [Note : District d'Hennebont, 920]. Six jours après, une autre circulaire insiste de nouveau sur le percement des chemins, en particulier de ceux qui servent de passage ordinaire à la troupe.

La prudence commandait ces mesures ; mais en même temps elles indiquaient la gravité de la situation. Pour les municipaux de Languidic elle parut redoutable au dernier point, et ce n'est pas en s'emparant de gré ou de force « de 104 des meilleurs fusils de la commune » qu'ils avaient des chances de vaincre l'hostilité publique : « Vous ne devez pas ignorer, écrivaient-ils le 11 novembre, les dangers auxquels nous sommes journellement exposés par les brigands qui nous environnent et qui ne cessent de commettre continuellement des meurtres et des assassinats ». Leur intention toutefois n'est pas de céder le terrain sans combattre et ils demandent des armes et des munitions « afin qu'ils puissent armer les bons patriotes, pour faire fasse aux monstres qui ont juré la perte des bons républicains ; si vous ne nous accordez notre demande, ajoutent-ils, vous deviendrez responsables des événements fâcheux qui pourraient arriver ». Au reste leur cauchemar, ce sont toujours les déserteurs avec leurs familles et ils en dénoncent de nouveau à la vindicte administrative un grand nombre, entre autres Philippe Péron, de Kergallo [Note : District d'Hennebont, 944].

Au lieu de recevoir du secours, les patriotes apprennent qu'ils vont perdre leur garnison. Les malheureux en poussent des cris d'épouvante : « Nous venons d'apprendre, écrivent-ils le 29 novembre, que le détachement en garnison ici doit partir aux premiers jours ; vous déclarons que s'il n'est pas remplacé de suite, même avant qu'il parte, nous serons forcés d'abandonner nos postes, vu que nous sommes au milieu des chouans et brigands et journellement attaqués » [Note : District d'Hennebont, 944].

Cette perspective effraya le directoire et il plaida leur cause avec une certaine véhémence auprès des représentants du peuple Leyris et Bourret. Cet abandon de Languidic, s'écriaient-ils « serait le comble du malheur ; car alors toute cette partie du nord-ouest [Note : Avec Inzinzac qui perdait aussi son détachement] se trouverait exposée à être la proie des brigands... Ne pas les secourir promptement serait un crime de lèse-humanité et reconnaissance... » [Note : District d'Hennebont, 924].

Tout cependant n'était pas désespéré : en même temps que le détachement partait de Languidic, le commandant de la force armée prenait soin d'y envoyer vingt hommes et l'on espérait bien qu'avec l'aide des citoyens de la commune, ils repousseraient aisément les ennemis. Au reste, ajoutait le directoire, « nous ferons nos efforts pour vous mettre à l'abry des scélérats » [Note : District d'Hennebont, 920].

Les patriotes pouvaient aussi compter sur les patrouilles qui de temps à autre battaient la campagne. C'est ce qui arriva par exemple à la nouvelle du meurtre de Cohéléach, curé constitutionnel ce Kervignac, commis dans la nuit du deux au trois décembre : des patrouilles furent aussitôt expédiées dans plusieurs directions. Une de ces troupes se trouvait, entre 7 et 8 heures du soir, à la hauteur du village du Manéguen, en Languidic. Laigneau, agent national d'Hennebont, y entre avec un camarade sous un déguisement pour interroger les habitants. Un moment après un cri d'alarme retentit. Une panique s'empare des soldats ; ils tirent les uns sur les autres et trois tombent frappés à mort : l'agent national, un nommé Salomon, de Lorient et Guillaume le Bolay, cultivateur du Manégnen, qui venait se joindre aux républicains [Note : District d'Hennebont, 944].

La patrouille, composée de citoyens d'Hennebont et de Lorient, retourna bientôt à ses foyers et cette promenade militaire ne diminua d'aucune façon le danger qui menaçait les patriotes. Pour leur venir en aide, les administrateurs du district prirent à l'égard du Blavet une mesure radicale : c'était de rompre toutes les communications qui se trouvaient entre Baud et le pont de Lochrist, « soit passages en fer, retirant à terre de son côté et en retirant les sables, soit les pêcheries et gorrets en les détruisant de manière à ne laisser aux brigands aucun moyen de passer ladite rivière ». L'arrêté relatif à cette détermination fut notifié, le 7 décembre, à la commune de Languidic, et, dès ce jour même, elle devait le mettre à exécution [Note : District d'Hennebont, 902].

Cette mesure ne pouvait rassurer les patriotes. Pour se répandre en effet dans Languidic, les insurgés n'avaient nul besoin de traverser le Blavet ; ils s'y trouvaient déjà et, si l'on en croit un rapport du 27 décembre, ils n'étaient nullement disposés à pactiser avec la République. « Vous nous avez demandé un état des armes, les patriotes les ont rendues, pas les brigands qui ont pris des fusils avec menace d'incendier et de tuer... impossible de tenir sans une garde ; les journaliers du bourg qui travaillent à la campagne sont maltraités ; des tailleurs ont êté obligés de crier vive Louis XVII.

Les brigands n'en veulent qu'aux républicains et à ceux du bourg. Les membres du conseil qui sont de la campagne ne peuvent plus venir à la maison commune ; car on leur garde les chemins et les brigands leur fontdire que s'ils mettent le pied à la maison commune, ils seront incendiés et fusillés de suite, de sorte que le bourg ressemble à un désert, il ne reste plus qu'une douzaine de républicains qui sont obligés de se réfugier la nuit dans la tour... Si on ne prend un parti contre les parents et les recéleurs des déserteurs, nous sommes perdus... les meilleurs patriotes n'osent bouger... l'arbre de la liberté de Branderion a été coupé hier soir… » [Note : District d'Hennebont, 944].

Le lendemain, nouvelle missive : « Vous vous prions d'envoyer un détachement pour prendre les armes et les munitions que nous avons à notre municipalité ; nous ne sommes pas dans le cas d'en répondre, vu les menaces et le grand nombre de brigands qui nous environnent ... [Note : District d'Hennebont, 944].

Les royalistes entouraient effectivement le bourg, avec l'intention d'en déloger les républicains : « Nous nous attendons à être attaqués ce soir, écrivent-ils de nouveau le 30, vu qu'ils viennent jusqu'au bourg et qu'aussitôt que la sentinelle crie, ils décampent ; ils disent qu'ils seraient venus nous souhaiter la bonne année et couper l'arbre de la liberté... Envoyez-nous si peu que vous voudrez du monde et nous mourrons à nos postes plutôt que de céder un pas .... » [Note : District d'Hennebont, 944].

Ils restèrent à leurs postes et ne moururent pas : le directoire entendit leur cri d'angoisse et cent hommes du Bec-d'Ambès vinrent le lendemain soir à leur secours [Note : District d'Hennebont, 920]. Devant ce renfort, les royalistes battirent en retraite et les patriotes purent respirer un peu. Peut-être se crurent ils définitivement vainqueurs lorsque, le 21 février 1795, le Directoire leur fit cette communication émue : « Vive la république, plus de Vendéens, plus de chouans. Désormais tous les Français sont frères. Charrette et Caumartin ont déposé leurs armes et rendu leurs munitions de guerre et de bouche ; ils veulent vivre sous les lois de la République française une et indivisible » [Note : District d'Hennebont, 920].

Hélas ! ce chant de triomphe ne toucha pas les insurgés de Languidic, et comme, d'autre part, le rappel du détachement leur laissait le champ libre, ils reprirent toute leur audace. Depuis lors en effet la commune leur appartenait et ils s'y conduisaient en maîtres. Ils séparaient ceux que le curé constitutionnel avait unis et leur défendaient de se voir avant trois mois ; le drapeau tricolore était arboré au haut de la tour, ils menaçaient de l'enlever ; l'amnistie était promise à ceux qui feraient acte de soumission et les déserteurs s'en moquaient : « Ils n'ont jamais été plus enragés qu'en ce moment, gémissaient les municipaux, ni fait plus de menaces ; nous sommes perdus, si on ne prend un parti, car ils n'en veulent qu'aux autorités constituées ». Les « autorités constituées » auraient voulu arrêter « tous ces brigands ». Elles en avaient dressé la liste et l'avaient confiée au citoyen Guérin, commandant le détachement [Note : District d'Hennebont, 944] (2 mars).

Trois jours après cette dénonciation, c'est-à-dire le 5 mars, à 5 heures, Mathieu le Serrec fut assassiné à Herblayo, avec un individu nommé Thomin. Son cadavre resta nu sur le terrain pendant plus d'un jour et personne n'osait en faire la levée. En annonçant ce malheur au directoire, les municipaux le suppliaient d'envoyer un détachement pour transporter au bourg les deux victimes : « Il n'y a plus, ajoutaient-ils, qu'une douzaine de vrais républicains qui ne peuvent tenir ; si l'on avait pris un parti contre les parents et les recéleurs des infâmes déserteurs, cela ne serait pas arrivé : on est si désolé que partout dans le bourg on n'entend que crier » [Note : District d'Hennebont, 944, 920].

Rien n'était plus légitime que les larmes des patriotes ; ils perdaient un défenseur attitré au moment où ils en avaient le plus besoin. L'orage grondait de plus en plus fort ; le bourg était redevenu le point de mire des royalistes, qui voulaient détruire ce foyer de résistance et aucun espoir ne restait de les attendrir, si l'on en croit une lettre sans date, mais qui doit se rapporter aux événements actuels : « Le moment critique où nous nous trouvons nous force à vous répéter ce que nous avons dit plusieurs fois : Languidic est devenu un repaire de brigands... Ils ont tiré hyer au soir sur la sentinelle près l'église des Fleurs ; ils ont cru que la force armée se serait porté en ce lieu pour avoir entrée de l'autre côté, à en juger par les coups de feu qu'ils tiraient longtemps après pour se rassembler. Le commandant a fait battre la générale ; trois républicains se sont joints aux militaires ; à, force de prévenir, pendant une demi-heure, il s'est rendu environ vingt au corps de garde. Aussi vous pouvez juger facilement quel est l'esprit des habitants au bourg.

Nous vous avons dit de prendre un parti contre les déserteurs... Vous ne faites aucun cas de cet avis, cependant si on y songe, c'en est fait de la commune, car les républicains seront en peu de jours victimes de la rage de ces infâmes scélérats ; nous apprenons journellement que ce sont eux qui en sont la cause que la commune est infectée de brigands.

Nous vous avons dit que 60 hommes à peine suffisent à garder le bourg ; car, s’il sortaient, il est sûr que le bourg serait ravagé ; ils n’attendent que ce moment, vu que jour et nuit ils entourent le bourg, et l'esprit du peuple tel qu'il est, il est sur que 40 hommes joueront leurs rôles au bourg ; il faut croire qu'on nous abandonne à la rage des brigands » [Note : District d'Hennebont, 944].

Nous ne vous abandonnons nullement, répondit en substance le directoire : vous avez 60 hommes, joignez-vous à eux ; si d'ailleurs nos démarches sont suivies de quelque succès, vous reverrez bientôt la compagnie qui vient de vous quitter ; en attendant, mettez tout en œuvre pour tenir tête à ces brigands (7 mars) [Note : District d'Hennebont, 920].

Les patriotes n'y manquaient pas ; mais leurs efforts échouaient devant le nombre de leurs ennemis. Renfermés dans un cercle de fer, ils n'osaient faire un pas hors du bourg de peur d'être écharpés, et ils écrivaient, le 17, avec une poignante douleur : « Ne pouvant plus voyager, ni même sortir de chez nous, nous n'avons plus d'existence civile » [Note : Arch. comm. de Linguidic].

Un supplément de troupes, arrivé le jour même, ranime un moment leur courage ; puis, quelques jours après, les voilà de nouveau abattus. Le cercle se resserre à chaque instant, toutes les issues se ferment, une attaque est imminente. N'y tenant plus, Leysenne, secrétaire de la commune, annonce au directoire qu'il va se retirer à Hennebont, s'il ne reçoit incessamment un renfort sérieux. En réponse à cette « lettre affligeante », on lui fait savoir, le 9 avril, qu'il doit rester à son poste le plus longtemps possible. Que si toutefois la sûreté des patriotes exige leur départ, ils peuvent se refugier en ville, mais sans laisser après eux ni fusils ni cartouches [Note : District, 920].

Hennebont cependant n'offrait pas un asile beaucoup plus assuré. Des nouvelles menaçantes arrivaient de tous côtés aux administrateurs et ils en étaient réduits à trembler pour eux-mêmes : « Les brigands nous entourent, écrivaient-ils le lendemain 10 avril, au représentant Brue, les campagnes sont décidées à fondre sur nous, même avec leurs femmes » [Note : District d'Hennebont, 922].

Les royalistes, il est vrai, entouraient Hennebont, mais au lieu de fondre sur la ville suivant le dessein qu'on leur prêtait, ils s'en éloignèrent dans la nuit du 18 au 19 mai, et le directoire avertit le général Evrard, chef d'état-major à Lorient, qu'ils allaient se rassembler vraisemblablement vers Languidic [Note : District d'Hennebont, 920]. Cette démonstration effraya les patriotes de la commune, et, secouant la poussière de leurs pieds, ils transportèrent leurs pénates dans une autre contrée.

A cette époque, rien n'égalait la hardiesse des ennemis de la République, ils sentaient que le moment décisif approchait ; et, comme les munitions leur faisaient défaut, ils résolurent coûte que coûte de s'en procurer. Vers le milieu du mois de juin, Jacques de Lantivy, seigneur de Kerveno, et de Leissègues, à la tête d'une bande de partisans, traversent rapidement la Basse-Bretagne. L'objectif de l'expédition, c'est la poudrière du Pont-du-Buis, près de Châteaulin ; ils forcent la garde, chargent la poudre sur des charrettes, jettent dans la rivière ce qu'ils ne peuvent emporter et s'emparent d'une somme de 18 000 livres [Note : Histoire de Cadoudal].

Munis de la sorte, ils vont donner la main aux émigrés qui débarquent, le 28 du même mois, à la presqu'île de Quiberon. Il est inutile d'insister sur l'issue de cette expédition, tous la connaissent. Ce qu'on ne connaît pas aussi bien, c'est que le pays s'était porté en masse à l'encontre de l'escadre. On en peut juger par le nombre de ceux qui furent arrêtés : Branderion eut 22 prisonniers ; Merlevenez, 94 ; Plouhinec, 261 ; Languidic, 87 [Note : District d'Hennebont, 946] .... Qu'allait faire le gouvernement de tous ces captifs ? Les passer au fil de l'épée, c'était dépeupler le pays ; les retenir longtemps en prison, c'était épuiser les magasins de l'Etat. Le représentant Mathieu eut à cette occasion une idée de génie, il fit proposer de les rendre pour des rançons en nature. Plouhinec versa pour les siens 747 quintaux de froment ; Riantec, 617 …… « Il nous reste à régler les communes de Sainte-Hélène, de Kervignac et de Languidic, écrivait le directoire le 27 septembre. Comme cette dernière n'a point remis d'armes et que nous estimons qu'elle en recèle une grande quantité, nous tiendrons sur la remise avant de donner notre avis » [Note : District d'Hennebont, 917]. Ce fut le 9 octobre seulement qu'intervint l'arrêté du district relatif à la mise en liberté des paysans de la commune ; leur rançon s'élevait à 462 minots et demi de seigle.

Cinq d'entre eux ne purent profiter de cette faveur : ils étaient morts en prison [Note : District d'Hennebont, 916 — Voici leurs noms : M. Le Corvest, Louis Le Porhic, Michel Le Pape, Joseph Le Queuc et Mathurin Sénéchal] pendant les pourparlers. Dans l'ignorance de ce fâcheux événement, les familles avaient versé pour leur délivrance la rançon exigée, soit 32 minots. La commune réclama la restitution de ce grain au directoire du district qui envoya la pétition au directoire départemental en lui laissant le soin de prononcer. Le département consentit à une réduction de 16 minots, à condition que l'amende de quatre quintaux et demi de seigle imposée à Jacques le Réour fût acquittée Note : District d'Hennebont, 916]. Jacques le Réour était à Languidic l'un des principaux chef de l'insurrection [Note : Mémoires de Rohu].

Tous les insurgés de la commune ne furent pas pris à Quiberon. Beaucoup réussirent à se sauver, et du nombre on peut mettre ceux qui s'embarquèrent avec leur compatriote Jacques de Lantivy et descendirent à Pont-Aven avec l'intention de revenir sur leurs pas pour attaquer le général républicain. Le plan échoua par suite de la reddition de Quiberon, et le corps de Lantivy se dispersa vers le Faouët [Note : Histoire de Cadoudal].

Le désastre de Quiberon avait de quoi réjouir la République. La situation pourtant ne changea pas et les campagnes demeurèrent dans le même état d'hostilité qu'auparavant. Ainsi, suivant une lettre du 3 août, on destinait à Languidic une garnison de 150 hommes. Le district demandait également des soldats pour Bubry, Quistinic et cinq ou six communes « reconnues comme Languidic pour repaires de chouans ». N'ayant pas assez de troupes pour établir dans ces localités des garnisons, Evrard tâchait d'y suppléer par des envois de patrouilles. Or ces patrouilles faisaient le désespoir des administrateurs : « Nous demandons, s'écriaient-ils le 24 septembre, des cantonnements et non des promenades militaires et désolatrices qui font plus de mal que de bien ». Ils en demandaient spécialement pour Languidic, sans quoi, ajoutaient-ils, la levée des contributions est impossible, « toutes nos écritures, nos flatteries et nos menaces n'aboutiront à rien » [Note : District d'Hennebont, 917]. Leurs instances sont enfin écoutées ; le poste de Languidic est rétabli ; et, depuis qu'on a cantonné des troupes dans cette commune, écrivaient-ils le 15 décembre, « les patriotes y ont retourné » [Note : District d'Hennebont, 917].

Les patriotes y vivaient à l'abri de la baïonnette ; mais cette protection armée ne pouvait leur procurer un calme complet. Rien ne montre cependant qu'il ait été sérieusement troublé avant 1799. A cette époque où la guerre reprit de plus belle, Rohu avait ordre de contenir les garnisons de Baud, Locoal, Landévant et Auray. Un jour qu'il débouche au bourg de Languidic, « par auprès du presbytère », il s'y heurte à une colonne de bleus, en train de se former en bataille sur la place de l'Eglise. Ils arrivaient de Baud, mais Rohu ne leur donna pas le temps de respirer et la soudaineté de son attaque dispersa l'ennemi. Dans cette affaire, il avait démonté un hussard, un gendarme et un officier : ce qui lui donnait trois chevaux de plus [Note : Mémoires de Rohu].

La résistance se poursuivit quelque temps encore ; elle ne prit fin à Languidic, ni généralement dans les autres communes, que lorsque Bonaparte se présenta au pays, le sabre d'une main, et de l'autre le Concordat.

 

CONCLUSION.

En résumé, cette étude présente sur le petit théâtre d'une commune rurale tout l'ensemble du drame révolutionnaire tel qu'il se passait dans les grandes villes et avec les conséquences qu'il devait nécessairement amener dans un pays de foi.

Non contents en effet de s'éprendre ardemment des idées nouvelles, les révolutionnaires de Languidic ne reculent devant aucun effort pour en assurer l'application. Dociles à toutes les inspirations du Directoire, on les voit tour à tour et sans scrupule apparent faire un accueil triomphal au clergé constitutionnel, confier l'éducation de leurs enfants au plus étrange instituteur qui fût jamais, bannir Dieu de son temple pour se prosterner devant le bonnet phrygien, remplacer le dimanche par la décade, puis danser sur la place publique en l'honneur du dieu de Robespierre ; et, pendant qu'ils s'abandonnent à ces scènes d'impiété, ils ferment les chapelles, les dépouillent de leurs ornements et vases sacrés, en vendent les biens meubles et immeubles, traquent enfin comme des bêtes fauves ces prêtres infortunés dont quelques-uns sont nés parmi eux et qu'ils entouraient naguère de leur vénération.

Comme si ces horreurs ne suffisaient pas à combler la mesure, tous les intérêts matériels se trouvent dans le même temps ruinés on compromis. Etablissement du maximum, cours forcé des assignats, impitoyable réquisition des denrées, visites domiciliaires, attentats de la soldatesque, menaces continuelles : tels sont les procédés arbitraires où se complaisent les maîtres du jour.

Lassé de tant d'excès, le peuple perd patience, et il entreprend d'abattre un si détestable régime. Plutôt que de le servir, de nombreux conscrits se réfugient dans les bois et la vie sauvage ; l'exemple et les exhortations des insurgés, parfois la peur qu'ils inspirent, ébranlent les indécis ; la nécessité d'une commune défense, ainsi que le soulèvement général du Morbihan, achève de les entraîner. Dès lors c'est la lutte pour la vie et la résolution que le peuple y déploie a pour effet immédiat d'exposer les patriotes au danger de tomber sous le glaive ou de mourir de faim ; en sorte que d'oppresseurs, voilà ces derniers à leur tour devenus victimes.

Les partisans de la Révolution n'avaient pas prévu ce résultat. Ils n'avaient pas prévu non plus qu'en s'engageant dans une voie périlleuse, ils en parcourraient sans broncher toutes les étapes, et que sous l'action des événements, de paisibles cultivateurs ils se transformeraient en jacobins. Leur malheur fut de faire les premiers pas ; une fois pris à l'engrenage, le mouvement les emporta et le recul fut impossible.

Principiis obsta, dit la sagesse antique ; ils devaient combattre le mal dès le commencement, refuser tout appui aux téméraires innovations ; c'était le vrai moyen d'échapper dans le présent aux vengeances des hommes, et dans l'avenir aux justes sévérités de l'histoire

(abbé Guilloux).

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