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NOTICE SUR LANDEVENNEC ET SON ABBAYE

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Une excursion à Landévennec est plus qu'une promenade ordinaire ; c'est une sorte de pèlerinage qui évoque de pieux souvenirs quand on songe qu'il fut le berceau du Christianisme dans l'ouest de la Péninsule armoricaine, où le culte druidique subsistait encore dans toute sa force lorsque de pieux anachorètes y prêchèrent, du Vème au VIème siècle, la foi chrétienne.

Ville de Landévennec (Bretagne).

De ce nombre fut saint Gwennolé (vulgairement Guennolé, Guignolé, etc.) ; en latin, Guengualœus, Wingalœus ; en breton, sous sa forme primitive, Gwengaloë, etc. Il était fils de Fracan, guerrier puissant et renommé de la Bretagne insulaire, qui, chassé de ce pays par l'invasion saxonne, débarqua, de 465 à 475, au havre de Bréhec, près de Lanloup, dans le baie de Saint-Brieuc, et s'établit ensuite à quelques lieues au S.-E., avec sa femme, nommée Gwen (Blanche), les deux fils qu'il en avait déjà eus et ses compagnons d'émigration, dans un lieu désert, environné de bois, où est aujourd'hui la commune de Ploufragan (peuplade de Fracan), ainsi appelée du nom du chef de la tribu immigrante.

Deux ans après son arrivée, Gwen donna le jour à un troisième fils : c'était Gwennolé. Son père et sa mère avaient fait vœu de le consacrer au Seigneur ; mais le voyant beau et doué d'un naturel qui lui présageait un brillant avenir, ils différaient d'accomplir leur promesse, lorsque Fracan, se trouvant un jour aux champs, où il surveillait ses bergers et ses troupeaux, fut renversé par la foudre. Échappé à ce danger, il le considéra comme un avertissement de tenir sa parole, et envoya Gwennolé au monastère que dirigeait alors saint Budoc, dans l'île des Lauriers, aujourd'hui l'île Verte, à l'embouchure du Trieu. Gwennolé, après avoir été préparé à la vie religieuse, prit l'habit monastique. Vers 490, il quitta son maître Budoc, et, accompagné de onze autres moines, il vint fonder une communauté dans la petite île de Thopopegia (aujourd'hui Ty-Bidy, maison de prières), vis-à-vis l'embouchure de la rivière du Faou, sur sa rive droite, en face de Landevennec. On y remarque l'emplacement d'une chapelle qu'il dut y bâtir, et une grande table de pierre sculptée destinée probablement à servir de devant d'autel. « Il existe à l'égard de cette pierre, dit M. A. Vincent (Notice historique sur Landevennec, dans la Revue bretonne et maritime, t. II, pp. 114-115), une légende fort accréditée parmi les populations environnantes. On raconte qu'un jour on voulut emporter cette pierre : à cet effet, on la chargea sur une voiture ; mais à peine celle-ci eut-elle été mise en mouvement, et bien qu'on y attelât 48 bœufs, il fut impossible de la mouvoir. Qn en conclut naturelement qu'il existait un obstacle occulte à l'enlèvement de cette pierre, et l'on se décida à la reconduire à sa place ; ce qui se fit avec la plus grande facilité, au moyen de deux bœufs seulement. Depuis, on n'a fait aucune tentative pour la retirer de cette île déserte. Cette pierre, ou plutôt ce bas-relief peu connu, est en kersanton; elle a environ 2m, 30c de longueur, sur 1 mètre de largeur et 25 centimètres d'épaisseur. Sa face est divisée en trois compartiments par quatre colonnes cannelées, d'ordre ionique. La travée du milieu représente deux hommes ailés portant un tableau sur lequel est figurée une église. Entre ces deux hommes s'élève une sorte de hampe ayant deux petites crosses d'un côté et une grande de l'autre. Il semblerait que ce fût une présentation à Gralon, par deux saints, du plan de l'église et du monastère de Landevennec, présentation aussi figurée sur la façade de la maison abbatiale. Chacune des autres travées représente une niche. Celle de gauche contient un ange à genoux portant un sceptre. Le Saint-Esprit plane au-dessus de sa tête. Celle de droite représente un dais ou une couche, et probablement la sainte Vierge agenouillée devant un autel, ce qui semblerait représenter l'annonciation. Du reste, l'exécution soignée de ce bas-relief et le bon état où il se trouve démontrent qu'il a été fait peu de temps avant la Révolution, et déposé là pour être transporté à Landevennec par le bac qu'y entretenaient les moines ».

Trois ans plus tard, la stérilité de l'île et l'âpreté du climat ayant contraint Gwennolé et ses compagnons à passer sur le continent, ils s'établirent sur le bord de la mer, à l'extrémité est d'une petite langue de terre située au sud de son île, dont elle n'est séparée que par l'embouchure de l'Aulne. Comme ils l'avaient fait à Ty-Bidy, ils s'y abritèrent sous des huttes. A en croire la légende, ce lieu était un véritable paradis terrestre. La mer baignait les pieds de jardins délicieux où les roses et les fleurs les plus odorantes exhalaient un parfum qui aurait ressuscité les morts. On y était menacé d'une longévité, à bien dire indéfinie ; or, les austérités que s'imposaient le maître et ses disciples. auraient fait de cette quasi-immortalité un présent funeste pour eux. Gwennolé, sur un avertissement céleste, se détermina à transporter son habitation au Teven. Alors la mort reprit ses droits.

Les craintes de Gwennolé et de ses compagnons étaient prématurées, car ils restèrent à peine, trois ans sur le bord de la mer, qu'ils quittèrent vers 495 Depuis l'arrivée de Gwennolé dans le pays, des rapports d'amitié s'étaient établis entre lui et Gradlon, roi ou comte de Cornouaille, qui faisait alors sa résidence dans la ville d’Is, capitale de ses états, distante d'environ deux lieues de Landevennec. Attiré par la réputation de sainteté de Gwennolé, le prince armoricain était venu plusieurs fois le voir, et, se montrant docile à ses conseils, il avait renoncé à la vie déréglée qu'il menait. La parole du saint homme n'avait pas exercé la même influence sur la princesse Dahut, fille de Gradlon, véritable Messaline, qui avait fait de la cour de son père le théâtre de tous les débordements. Son exemple n'avait trouvé que trop d'imitateurs parmi les habitants. Vainement Gwennolé l'avait, à maintes reprises, exhortée à rentrer dans une voie meilleure. Il n'était pas écouté. Une vision céleste lui ayant révélé que la ville d'Is allait être engloutie en expiation de ses crimes, Gwennolé accourut près de Gradlon et lui conseilla de fuir sur-le-champ. Aussitôt le prince de monter à cheval, et de prendre sa fille en croupe. Mais il a beau s'éloigner de toute la vitesse de son coursier, le châtiment marche encore plus rapidement. Bientôt, une tempête furieuse, secondée par une marée extraordinaire, fait sortir la mer de ses limites. Déjà la ville a disparu, et le flot va atteindre les deux fugitifs, quand Gradlon entend une voix qui lui crie : « Si tu ne veux périr, rejette le démon que tu portes en croupe ». Il obéit. Dahut est noyée à l'endroit qu'on appelle Toul Dahut (trou ou pertuis de Dahut). Gradlon poursuit paisiblement sa route, et parvient au rocher nominé Garrec ; ceux qui ont une foi sans réserve dans la légende, y voient encore l'empreinte d'un des pieds de son cheval.

Cette légende, qui pourrait bien avoir inspiré la fable, un peu postérieure, de la submersion de la ville d'Herbauges, dont le lac de Grand-Lieu occuperait la place ; cette légende, disons-nous, n'avait pas cours en Armorique seulement. Dans le pays de Galles et en Irlande, elle était aussi accréditée ; et chacune de ces contrées se l'était appropriée, en plaçant le lieu du désastre, la première, à Gwaeleod ; la seconde, à Neaz, noms qui, comme celui d'Is, signifient bas ou creux, ce qui atteste une parfaite identité de lieu (M. de la Villemarqué, Barzaz-Breiz, t. I, p. 70). Seulement, les Armoricains attribuaient l'inondation au débordement d'un puits, et les Gallois, comme les Irlandais, à celui d'une fontaine. Le fait capital, chez les uns et les autres, c'est la submersion, châtiment de la fille du roi, changée en Sirène là où elle n'est pas noyée. Sauf ces variantes, la légende est donc la même dans ce qu'elle a d'essentiel ; et, malgré ses détails secondaires, elle est si conforme au récit qui nous est parvenu de la destruction de Sodome, qu'elle semble tout d'abord n'en être qu'une seconde édition, ce qui a suffi à quelques sceptiques pour la rejeter sans examen. Ainsi procédait assez volontiers l'école historique du siècle dernier. Une dénégation pure et simple lui semblait un moyen commode et expéditif de trancher les difficultés qu'elle rencontrait. Au lieu de s'attacher à déterminer ce qu'il y a d'acceptable dans les traditions populaires, et de rechercher si, comme il arrive le plus souvent, elles ne sont que le développement de faits défigurés par la transmission orale, elle les frappait d'une proscription absolue. Si, en pareille matière, une foi aveugle est condamnée par la saine raison, on peut en dire autant du scepticisme qui se refuse à séparer le vrai du faux, et les enveloppe dans un anathème commun. Il est rare que la tradition n'ait pas une base ; et si elle s'altère ou se transforme en vieillissant, c'est un motif, non pas de l'exclure, mais de la scruter. Dépouillée des ornements dont l'imagination et la crédulité l’ont souvent entourée, elle devient alors plausible. Ainsi peut-il être de la submersion de la ville d'Is. Certes, nous n'acceptons pas de toutes pièces la légende qui en a perpétué le souvenir ; mais le fait lui-même pourrait trouver son explication, sans qu'il fût besoin de recourir au merveilleux, dans la seule situation des lieux qui auraient été le théâtre de l'événement. En effet, il ne répugne nullement d'admettre que la ville d'Is, bâtie dans une plaine au niveau de la mer, peut-être même en dessous, fût, à l'origine, protégée contre les fureurs de l'Océan, soit par des digues artificielles, soit par des dunes semblables à celles que forment les sables amoncelés sur divers points de nos côtes, et que la mer, une tempête aidant, ait bien pu renverser ces barrières, engloutir la ville, et convertir la plaine qu'elle occupait en un lac, devenu ensuite une baie par l'action continue de la mer.

D'autres considérations militent en faveur de l'existence de la ville d'Is, que l'Anonyme de Ravenne semble avoir lui-même désignée sous le nom de Chris (Ker-is, ou Kris avec le K barré des Bretons) et que Sprüner, qui l'appelle Ys, place à Douarnenez même, dans sa carte de la France mérovingienne. Ces considérations sont tirées de l'existence à la pointe du Raz, en face de la baie des Trépassés, d'antiques mitrailles dont le chanoine Moreau dit qu'il existait encore en 1586 des débris aujourd'hui disparus, et que M. de Fréminville considère, d'après sa description, comme ayant pu être une dépendance de la ville d'Is. Cette opinion de M. de Fréminville est d'autant plus admissible, que la pointe du Raz et Carhaix étaient reliés par une voie romaine qui permet de supposer, sans trop de témérité, qu'elle pouvait- conduire de cette dernière ville, à une cité importante.

Mais revenons à Gwennolé. Déjà bien disposé pour lui avant la destruction de sa capitale, Gradlon le fut bien plus encore après. Pénétré de reconnaissance envers celui à qui il devait d'y avoir échappé, il lui fit de grandes largesses. Ses donations, énumérées dans le Cartulaire de Landevennec, dont nous parlerons plus loin, comprenaient le territoire des paroisses d'Argol, Telgruc, Crozon, Treflez, Trégarvan et Landevennec, trois îles et 106 métairies, dont, 22, situées dans la paroisse de Briec, avaient primitivement coûté 300 sous d'argent et furent particulièrement appliquées au paiement de la sépulture du donateur. La principale de ces libéralités semble avoir été la maison du Teven, entourée de forêts considérables. Gwennolé y construisit son monastère, qui prit de sa situation le nom de Land-Tevenec (lieu abrité) [Note : Bullet, Mémoires sur la langue celtique, t. III, p. 415, dit que Teven ou Tewen signifie abri, lieu exposé au soleil et à couvert du vent, ce qui convient parfaitement à la situation de Landevennec. D. Le Pelletier, qui fut religieux à cette abbaye, donne, de son côté, la même définition, p. 875 de son Dictionnaire de la Langue bretonne, et il ajoute : « Le lieu où je travaille à ce dictionnaire a de temps immémorial le nom de Landevennec, qui s'écrit Lantewenec et signifie territoire abrité. Aussi y est-il de tous les mauvais vents, et situé an pied d'une hauteur et exposé au soleil d'orient et du midi. Landevenecense (monasterium) quod apiicum et à ventis tectum significat, est-il dit dans les Annales Bened., par D. J. Mabillon, t. I, p. 15. Il est écrit dans l'ancien Cartulaire de l'abbaye Lantewenuc, Lantewenoc, et Lantgwennoc dans la charte de Louis le Débonnaire ».]. Les seigneurs du voisinage suivirent l'exemple de Gradlon, et bientôt la nouvelle abbaye se trouva richement dotée. Gwennolé, soit qu'il en eût été élu le chef par ses compagnons, soit, comme le dit Albert Le Grand, qu'il eût reçu l'institution de saint Corentin , Gwennolé y introduisit la règle observée par saint Budoc, qui la tenait lui-même de saint Patrice, dont il avait été le disciple. Une abstinence sévère, un silence rigoureux, la solitude, l'interdiction absolue d'un rapport quelconque avec les femmes, le chant des psaumes, le travail manuel et l'usage de vêtements grossiers, ordinairement faits de peaux de chèvre, formaient les principaux caractères de cette règle, plutôt traditionnelle qu'écrite, à laquelle, nous le verrons, fut substituée, dans le IXème siècle, celle de saint Benoît. Ces rudes pratiques étaient strictement observées avant le relâchement de la discipline, et s'il arrivait qu'un moine les enfreignit, un châtiment sévère lui était infligé. Témoin celui que rappellerait, d'après la tradition répandue dans le pays, une très-haute pierre plantée verticalement à mi-côte du versant abrupt opposé au monastère, sur le bord de la rivière de Châteaulin. Vue de profil, elle présente la silhouette d'un moine à longue barbe, dont la tête est recouverte de son capuchon. Tous les marins qui fréquentent la rivière l'appellent le Moine. Un religieux, très-dissolu, fut, dit-on, relégué, en expiation de ses désordres, dans une des grottes voisines, et pétrifié jusqu'au jugement dernier, à cause de son impénitence finale ; la pierre n'est autre chose que ce moine lui-même.

Saint Gwennolé, d'après la supputation la plus admissible, mourut le. 3 mars 532, jour où se célèbre sa fête, à trois nocturnes dans l'ancien Propre de Quimper, à trois leçons dans le Bréviaire de Saint-Brieuc, et à douze dans l'ancien Bréviaire de Saint-Meen. Son corps, inhumé d'abord dans la petite chapelle du Penity, ou maison abbatiale, fut ensuite transféré dans l'église même de l'abbaye, où avait déjà été déposé le corps de Gradlon, qui, lui, dut mourir de 510 à 520. Ses reliques, profanées et enlevées par les Normands au IXème ou au Xème siècle, ont été dispersées. Toutefois, les religieux de Landevennec ayant appris, en 1640, que l'abbaye de SS. Serge et Bach d'Angers Possédait un fragment de l'os d'une cuisse de saint Gwennolé, ils demandèrent instamment qu'il leur fût restitué, ce qui eut lieu : On a déposé, en 1790, dans l'église paroissiale de N.-D., à Landevennec, deux cloches et quatre reliquaires provenant de l'abbaye. Deux de ces reliquaires dont le style et la décoration semblent annoncer qu'ils ont été exécutés dans le XVIIème siècle, renferment, disent les habitants, des reliques de saint Gwennolé, de saint Corentin, de saint Marcel, de saint Malo, etc. Gwennolé était en grande vénération, non-seulement en France, mais encore en Angleterre, où il était mentionné dans des litanies du VIIème siècle. A Château-du-Loir, il y avait un prieuré dépendant de Marmoutier, et placé sous son invocation. Il en était de même de l'église de Batz (Loire-Inférieure) et de la petite église de Loc-Guenolé (aujourd'hui Locquenolé), ancien prieuré de l'abbaye de N.-D. de Lanmeur, près de Morlaix, église ruinée par les Normands. Enfin, sur la rive gauche de la Penfeld, on voit sur un coteau, en face de l'usine de la Villeneuve, les derniers vestiges d'un oratoire dédié à saint Gwennolé, que les femmes allaient prier de faire cesser leur stérilité. De là maintes traditions graveleuses que nous nous dispenserons de rapporter.

La Vie de saint Gwennolé avait été écrite peu de temps après sa mort par un religieux de son abbaye, dont le nom ne nous est pas parvenu. Ce biographe, qui l'appelle souvent son pieux et vénérable père, en parle de manière à faire croire qu'il fut son disciple, et qu'il fut même témoin de sa mort, à l'occasion de laquelle il raconte les sentiments de saint Gwennolé au sujet de la présence réelle de J.-C. dans l'Eucharistie. Le style de cette légende révèle un écrivain familiarisé avec la littérature classique, mais dominé par le mauvais goût de son temps. L'abus du bel-esprit et du merveilleux fait de son récit une amplification, où les miracles qu'il attribue à saint Gwennolé sont racontés avec un luxe de détails qui attestent une crédulité tout à la fois naïve et empressée de se montrer avec plus de pompe que de jugement. Surius est le premier qui ait publié cette légende (3 mars, pp. 52-58), après en avoir toutefois corrigé le style et retranché la préface, ainsi que divers détails, peu importants du reste. Les Bollandistes l'ont ensuite reproduite dans sa pureté originale (Ibid., pp. 254-255), en l'accompagnant d'observations judicieuses, et en la faisant suivre d'une autre Vie de saint Gwennolé, sagement abrégée de la précédente, pour qu'elle fût, croit-on, lue le jour de sa fête. Après cet abrégé, vient la biographie de Gwennolé par un de ses successeurs; l'abbé Gurdestin. Cette dernière est extraite du Cartulaire de Landevennec, rédigé par cet abbé en 884. Ce monument historique, conservé à la bibliothèque publique de Quimper, est, de l'aveu de son auteur, une compilation ou un résumé des chartes et documents que possédait de son temps l'abbaye de Landevennec.

C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans sa préface, où  il dit expressément qu'il n'a fait que mettre en meilleur ordre les écrits de ses prédécesseurs (veterum chartes) conservés dans le chartrier de l'abbaye, où il invitait à venir les consulter quiconque aurait voulu les comparer à son propre travail. Parmi ces prédécesseurs était compris de toute nécessité le moine contemporain de saint Gwennolé. Si le nouvel hagiographe n'a pas élagué des récits antérieurs toutes les exagérations qu'on est fondé à leur reprocher, sa bonne foi évidente démontre du moins qu'à l'exception de deux ou trois circonstances, il s'est tenu en garde contre la crédulité à laquelle s'étaient laissés aller ses devanciers, et que, fidèle observateur de la loi qu'il s'était imposée, il a dû n'extraire des anciennes chartes que ce qui avait un caractère de véracité irréprochable.

Le Cartulaire de Landevennec nous semble donc avoir une authenticité qu'on ne saurait raisonnablement lui contester. Cette authenticité, toutefois, n'est pas unanimement acceptée. Quelques personnes n'y trouvent pas des raisons suffisantes d'admettre l'existence de Gradlon et de saint Gwennolé. Voici leurs objections :

1° L'inscription du tombeau de Gradlon est apocryphe, puisqu'elle lui donne le titre de roi, tandis qu'il n'a jamais porté que celui de comte, sous lequel il est désigné non-seulement dans la liste des comtes de Cornouaille que contient le Cartulaire de Landevennec lui-même, mais encore dans le Cartulaire de Sainte-Croix de Quimperlé.

2° Quand Matmunoc ou Matmonoc, l'un des successeurs de saint Gwennolé, vint, en 818, faire hommage à Louis le Débonnaire, ce prince, surpris de le voir revêtu de peaux de chèvre, lui demanda quelle règle il suivait, et sur sa réponse que c'était celle de saint Colomban, il lui conseilla d'adopter celle de saint Benoît, ce qui eut lieu. On s'est alors demandé comment saint Colomban ayant vécu postérieurement à saint Gwennolé, l'abbaye fondée par ce dernier pouvait être soumise à la règle d'Écosse ou de saint Colomban.

Examinons ces objections :

L'inscription dont, on se prévaut pour rejeter l'existence de Gradlon et, par voie de conséquence, celle de saint Gwennolé, nous a été transmise par d'Argentré et Albert Le Grand, en ces termes :

Hoc in sarcophago jacet inclyta magna propago, Grallonus magnus, Britonum rex, mitis ut agnus, noster fundator, vitœ cœlestis amator. Illi propitia sit semper Virgo Maria. Obiit anno CCCCV [Note : Un mauvais plaisant — il n'était certainement pas breton — lisant un jour l'épitaphe gravée sur le tombeau de Gradlon, en fit une traduction plus que libre, que nous ne rapportons ici qu'après avoir protesté contre son irrévérencieuse crudité : Ici gît le roi Grallon, - Reposant tout de son long, - Étendu comme un cochon. - Excusez la comparaison, - Ce monarque était bas-breton].

Nous ne faisons nulle difficulté de reconnaître que cette inscription a, de prime abord, des caractères d'étrangeté propres à inspirer des doutes. Le titre de roi donné à Gradlon et la date de sa mort sont deux choses qui semblent prêter à la critique. Toutefois, le titre de roi à bien pu être porté réellement par Gradlon. La liste des comtes de Cornouaille n'est qu'un accessoire dans le Cartulaire de Landevennec, et si le prince armoricain y figure après trois chefs du pays décorés du même titre, probablement ses contemporains, peut-être même ses tributaires, c'est parce que l'auteur de cette liste a voulu donner la nomenclature des chefs connus de la Cornouaille, en leur attribuant à tous indistinctement le titre qu'avaient les premiers d'entre eux, c'est-à-dire les trois dont nous venons de parler. Ce catalogue, du reste, est bien postérieur à l'époque où vivait Gradlon, et ce n'est pas là qu'on doit, ce nous semble, aller rechercher le véritable titre de ce prince, mais bien dans le corps du récit de Gurdestin. Après avoir fait Gradlon chef d'un État qu'il avait augmenté par la conquête, et l'avoir associé à saint Corentin et à saint Gwennolé, en les appelant les trois pères et patrons de la Cornouaille, Gurdestin donne expressément à Gradlon le titre de roi, qu'avaient bien pu d'ailleurs lui faire conférer ses exploits sur ses voisins, voire même la participation qu'il avait pu prendre à la bataille que les Armoricains livrèrent, sous le règne de Clovis, aux pirates du Nord qui assiégeaient Nantes. Qu'importerait d'ailleurs que les moines, dans l'effusion de leur reconnaissance pour leur bienfaiteur, lui eussent donné un titre autre que celui qu'il avait porté. Depuis quand une qualification erronée suffirait-elle pour dénier l'existence d'un personnage, quand les faits s'accordent, par ailleurs, à la démontrer. Reste la date. Elle présente, il est vrai, un anachronisme sérieux, puisqu'elle ferait vivre Gradlon cent ans plus tôt qu'il n'a vécu en réalité.

Mais, pour quiconque a pénétré dans le dédale des annales bretonnes antérieures au VIIIème siècle, ce n'est pas, à beaucoup près, le seul exemple qu'on puisse citer d'anachronismes semblables. Ce qui a lieu pour Gradlon se reproduit pour un grand nombre de ses contemporains, qu'on a fait vivre un siècle trop tôt ou trop tard. La critique moderne a fait justice d'assez d'erreurs de ce genre, pour que nous puissions, en toute confiance, considérer comme inexacte la date de 405 assignée à la mort de Gradlon, et lui restituer celle qui résulte plus vraisemblablement du Cartulaire de Landevennec. D'ailleurs, en admettant, et nous n'hésitons pas à le faire, que l'inscription ait été fidèlement transmise par d'Argentré et Albert Le Grand, ne resterait-il pas à déterminer si elle était contemporaine de Gradlon, ou si, plus ou moins postérieure à ce prince, elle n'aurait pas été elle-même le produit d'une tradition altérée ? La perte de la pierre qui la contenait laisse le champ libre aux conjectures, et, pour notre compte, nous serions assez disposé à croire que l'épitaphe était postérieure, et de beaucoup peut-être, à l'époque de la mort de Gradlon. C'est, du reste, l'opinion qu'émet D. Noël Mars, dans son Histoire manuscrite de l'abbaye de Landevennec. Il dit en termes exprès que l'épitaphe était de date récente, et que la mort de Gradlon y était faussement indiquée. Un indice nous ferait croire à lui seul que l'épitaphe était moderne, c'est l'orthographe (Grallonus) substituée à celle des documents contemporains de ce prince (Gradlonus). Cette altération ne consacrerait-elle pas une prononciation viciée, comme il arrive parfois à mesure qu'on s'éloigne du temps où vivaient les personnages dont on rapporte les noms [Note : M. A. Vincent dit que le tombeau de Gradlon a été envoyé, vers la fin de la Révolution, à Paris, où il a d'abord été déposé au Musée des Petits-Augustins, et que, depuis la destruction du musée, il gît dans les cours qui en dépendent. Si M. Vincent a été bien renseigné (nous en doutons), il serait facile, en vérifiant l'inscription, de s'assurer si elle n'a pas été tronquée et à quelle époque il faudrait en reporter l'exécution] ?

Venons à l'objection tirée de ce que Matmonoc aurait répondu à Louis le Débonnaire qu'on suivait à Landevennec la règle de saint Colomban, fait qui a paru inconciliable avec l'observation de celle que saint Gwennolé avait instituée antérieurement. Quelle impossibilité y aurait-il donc à ce que la règle établie par saint Gwennolé eût été remplacée, en tout ou en partie, par celle de saint Colomban ? La substitution entière ou partielle d'une règle à une autre était une chose assez fréquente dans les maisons religieuses. D'ailleurs, les auteurs de l'objection n'ont pas réfléchi que les deux règles avaient, à certains égards, une origine commune. Saint Gwennolé avait emprunté la sienne à son maître Budoc , qui lui-même l'avait apportée, soit d'Ecosse, soit d'Irlande, où il l'avait reçue de saint Patrice. Cette règle avait bien pu se modifier sous l'influence de celle que saint Colomban apporta, à son tour, d'Irlande. Cette dernière, en le sait, était presque toute spirituelle ; son auteur voulut faire prédominer la prière et la pénitence sur le travail manuel. Les successeurs de saint Gwennolé purent donc faire des emprunts à cette règle, tout en continuant de suivre quelques-unes des prescriptions de la première, celle, par exemple, de se vêtir de peaux de chèvre. Cette dualité d'observances rendrait très-plausible le langage de Matmonoc, et ferait disparaître la contradiction qu'on a cru trouver entre ses paroles et son habit. Au surplus, la charte de Louis le Débonnaire qui ordonna à Matmonoc d'adopter la règle de saint Benoît, nous fait clairement connaître que le monarque s'enquit seulement si les moines de Landevennec suivaient les mêmes usages que ceux d'Ecosse, quant à l'observation du silence et à la tonsure ; et que, sur la réponse affirmative de Matmonoc, il lui prescrivit de se conformer désormais à la règle de saint Benoît, et d'adopter le mode de tonsure pratiqué dans toute l'Eglise romaine. Le vêtement de Matmonoc ne semble par conséquent avoir influé en rien sur les recommandations du roi.

Les objections que; nous venons d'examiner ne nous semblent donc pas assez puissantes pour ébranler notre confiance dans le Cartulaire de Landevennec, ni pour rejeter l'existence de saint Gwennolé et de Gradlon, existence simultanée d'après ce document, qui les associe aux mêmes événements d'une façon tellement inséparable, que si l'on rejetait l'un, on ne pourrait guère admettre l'autre, à moins d'adopter systématiquement une partie du Cartulaire et de récuser le reste. Ce procédé peut faciliter la démonstration d'une thèse ; mais il est vicieux quand les faits, loin de s'exclure, se fortifient au contraire les uns par les autres, comme ceux qui concernent saint Gwennolé et Gradlon.

Neuf prieurés éloignés dépendaient de l'abbaye de Landevennec. C'étaient : 1° Celui de Topopegia, ou Ty-Bidy, en Rosnoën, relevant de la juridiction royale de Châteaulin. L'abbaye y possédait une ferme qui payait, entre autres redevances, 200 livres de beurre net et salé, et dont les métayers étaient tenus à loger les religieux lorsqu'ils ne pouvaient passer la mer. 2° Le prieuré de Saint-Idumet ou Idunet, à Châteaulin, où l'abbaye céda, en 1765, une portion de terrain pour agrandir le cimetière de la ville, sur la prière que le corps politique lui avait faite de consentir à cette cession par charité. Le prieuré avait un auditoire et une geôle. La cour et la juridiction de ce prieuré faisaient ombrage aux juges royaux. En 1783, il était d'un revenu brut de 1400#, ou de 458#, toutes charges déduites. 3° Le prieuré de Conq ou Concarneau, cédé et uni, en 1727, à l'hôpital de cette ville, moyennant 20 sous de redevance et chefrente perpétuelle, avec participation de l'Abbé et des religieux aux prières et aux offices qui s'y célébreraient. Cette cession avait été approuvée, le 22 novembre 1727, par le R. P. général de l'ordre. 4° Le prieuré de N.-D. de l'Hôpital-Canfrout, en Hanvec, dont les fermiers étaient exempts des fouages. Le prieur y percevait les dîmes à la 18ème et à la 36ème gerbe, et les prémices à la 36ème gerbe, ou cinq brassées du meilleur blé de chaque ménage. 5° Le prieuré de l'Ile Sainte ou de Sein. Gradlon avait donné cette île à saint Gwennolé. 6° Le prieuré de. Lanvern, ex-trêve de Lanvern, commune de Plounéour. Les fermiers y étaient également exempts des fouages. 7° Le prieuré du Parc ou de Saint-Pierre du Parc, en Rosnoën, relevant de la juridiction royale de Châteaulin. Le manoir de Prioldy (maison du prieur) était sous l'arrière-fief de Landevennec, et le proche fief du prieuré du Parc. Le prieur y avait le droit de monte, de champart et de corvées. La chapelle de Saint-Pierre relevait de ce prieuré. Ce prieuré avait été donné à saint Gwennolé par Maëlec-Dantliuc (probablement Daniel-Drem-Rud, qui figure après Gradlon dans le Catalogue des comtes de Cornouaille), pour avoir été guéri par lui de maux de dents. 8° Le prieuré de Saint-Valez ou Saint-Valais, en Landevennec. 9° Le prieuré de Batz (Loire-Inférieure), fondé en 945 par Alain Barbe-Torte, qui le donna à l'abbé Jean. Les décimns s'y payaient en sel, et, en 1764, la journée des corvéables était de 8 s pour un homme, de 4 s pour une femme. Il était chargé d'une rente de 12# pour émoluments du prédicateur chargé des stations de l'Avent et du Carême.

Les abbés avaient droit de haute, moyenne et basse justice sur une très-grande partie des fiefs relevant de la seigneurie de Landevennec, où il existait une cour dont les jugements ressortissaient en appel au présidial de Quimper. Comme seigneurs temporels, ils nommaient aux offices de bailli, de procureur fiscal et de greffier de la juridiction. Ils nommaient aussi aux offices de greffier et de notaire en la cour du prieuré de Châteaulin, et avaient six prévôts chargés de la cueillette des deniers, dunes et redevances de leurs domaines, où des receveurs particuliers étaient en outre préposés à la perception des droits de rachats, taux et amendes, lods et ventes, épaves et galloys (choses délaissées, perdues, terres vagues), et successions de bâtards. L'abbé avait ses armoiries appendues dans l'église de son abbaye, dans celle d'Ergué-Gabéric, dans la chapelle de Saint-Gwennolé, même commune, ainsi que dans l'auditoire et les autres bâtiments de la maison abbatiale. Il officiait dans son abbaye, les dimanches et les fêtes. Le prieur ayant contesté ce droit à l'abbé Jacques Tanguy, qui s'était présenté tout habillé, à l'autel, le dimanche de Pâques de 1683, un arrêt du Parlement maintint ce dernier dans son droit. L'abbé était en outre curé primitif des églises paroissiales de Landevennec, de Crozon, de Châteaulin, et il revendiquait, les droits, qui lui furent parfois contestés, de patronage, présentation et nomination des paroisses et trêves d'Argol, Dineault, Edern, Landrevarzec, Lothey, de Batz, Châteaulin, Lanvern , Saint-Pierre et Sainte-Marie de Telgruc, etc. , etc.

Les offices intérieurs de l'abbaye étaient ceux de prieur claustral, de sous-prieur, de procureur, de champlier, ou de chambrier, de sénieur, de cellérier, de prévôt, d'infirmier et de dépositaire. Le prieur claustral, révocable à volonté, n'avait aucun bénéfice, et n'était que le premier des religieux. Les prieurs éloignés résidaient le plus souvent dans le monastère. Chacun d'eux avait des revenus en biens-fonds, et deux prieurés pouvaient être possédés par le même. Le sénieur était spécialement chargé de recevoir les comptes du procureur, d'affermer les biens, et de veiller au redressement des abus qui se glissaient dans l'observance de la règle. Les offices de chambrier et de cellérier, ou receveur de l'abbaye, avaient été institués dans les premières années du XVème siècle ; celui de chambrier avait été uni en 1638 à la mense conventuelle.

Le chambrier (camerarius) avait l'emploi des revenus de la communauté, en ce qui concernait les travaux aratoires, les dépenses de la bouche, du vestiaire, etc. L'office du cellérier était ad onus et non ad titulum ; sept moulins à eau y étaient affectés entre autres biens. La perception des revenus qui leur étaient assignés donna lieu souvent à de longues procédures entre les titulaires et les abbés, qui, feignant de méconnaître ces charges monacales, s'appropriaient, contrairement aux règles canoniques, aux concordats et aux arrêts de parlement, ce qui revenait à ces religieux pour leur subsistance. Un abbé, nous le verrons alla jusqu'à falsifier les titres, pour se dispenser de payer.

Les droits et prérogatives dont jouissaient l'abbé et les religieux étaient très-nombreux et très-variés. Ils s'exerçaient, à bien dire, sur la Cornouaille entière. Les principaux étaient ceux des pêcheries, appartenant pour un tiers à l'abbé, et pour les deux autres tiers aux religieux. Quatre d'entre elles étaient importantes. Elles consistaient autrefois en saumons, thons et sardines, suffisant, et au delà, aux besoins des religieux, qui abandonnaient le surplus à tout venant. Mais l'abbé Brient les avait laissées dépérir, faute d'entretien. L'abbaye possédait un grand nombre de moulins, dont sept étaient plus particulièrement affectés au vestiaire et chambrerie des moines, qui se plaignaient, en 1676, de ne recevoir que 1930# par an pour se nourrir, se vêtir, entretenir l'église, faire les aumônes et recevoir les hôtes. Un de ces moulins était celui qu'on appelait Moulin à mer (milin ou meil or mor) ; les vassaux de l'abbaye étaient tenus de réparer les écluses, de charroyer les matériaux et de curer l'étang. Ce moulin, croit-on, est le même que celui qui est encore désigné, de nos jours, sous le nom de Moulin à mer, dans la commune de Logonna.

Deux droits productifs pour l'abbaye étaient ceux qu'elle retirait des foires et marchés, ainsi que des bacs qu'elle entretenait. L'abbé percevait, de temps immémorial, un devoir de coutume ou impôt sur les denrées qui se vendaient à Landevennec, le 3 mars, jour de la Saint-Gwennolé : cet impôt fut bien revendiqué en 1496 par un nommé Ely Thépaut ; mais il renonça à ses prétentions, bien ou mal fondées, à condition que les religieux feraient, quand il le demanderait, un service avec prières pro defunctis. En 1685, Louis XIII, à la prière de l'abbé Jacques Tanguy et des habitants de la ville de Landevennec, y institua trois foires par an et un marché le mercredi de chaque semaine ; mais ses lettres patentes défendirent à l'abbé de percevoir aucun droit d'étalage. Les trois bacs que l'abbé entretenait aux passages de Landevennec, Ploubihan et Cosquer, servaient à communiquer avec le Faou. Les droits de péage étaient : pour le passage de Landevennec, de 1s 6d par homme, bœuf, vache, cheval ; de 6d par chèvre, mouton ou brebis ; d'un sol par quintal pour les ballots et marchandises ; et pour ceux de Ploubihan et du Cosquer, de 6d par homme, bœuf, cheval, quintal de marchandises et ballots.

Nous avons dit que les redevances perçues par l'abbaye étaient aussi nombreuses que variées ; si nous ne pouvons les mentionner toutes, du moins en indiquerons-nous trois fort originales. La première consistait dans le paiement d'une chefrente évaluée 10#, et consistant en un coq, un gâteau et 50 sous monnoie. Elle était due par la dame de Tréanna et le sieur de Keruon, sur la terre du Moal, au village de Goré-Louré, dans la commune de Saint-Nic ou Saint-Nicaise. Une autre consistait dans la charge d'un cheval d'huîtres pendant le carême, et dans une charge de casse-pierre, le tout à l'usage des religieux de l'abbaye. Une troisième, due par le vicomte du Faou, se composait de « six douzaines de vesselle de boys, savoir : deux douzaines d'assiettes, deux douzaines de salliaires, et deux douzaines d'escuelles ». Pour la pesée des redevances acquittées en denrées, les abbés faisaient usage d'une mesure qui leur était particulière, et qu'on appelait Rez, Raze, Rennée comble, ou boisseau ternisier, tervisier (ce dernier nom est perdu). Ils se servaient aussi d'autres mesures nommées bassinée ou pinte bassinée et brique, dont nous ignorons la destination.

Les documents [Note : Les principaux sont : 1° Des notes recueillies et extraites des titres les plus importants de l'abbaye, vers 1790, par un annotateur soigneux et intelligent dont le nom ne nous est pas connu. 2° Une histoire manuscrite de l'abbaye, composée en latin par D. Noel Mars, histoire conservée à la Bibliothèque impériale, dans le fonds des Blancs-Manteaux, 86e. M. de la Borderie en a pris une copie que M. de Blois a transcrite à son tour, et qu'il a bien voulu mettre à notre disposition. 3° Un travail solide et savant, composé par M. Perrott, anglais d'origine, mais résidant à Nantes depuis longtemps. Ce travail a été inséré dans le Cambrien archéologie, sous le titre de Notes towards a sketch of the history of the abbey of Landevennec, Britanny] que nous avons recueillis sur l'histoire de l'abbaye de Landevennec nous ayant procuré des renseignements inconnus de D. Morice, ou volontairement omis par lui dans son Catalogue des abbés de Landevennec, nous croyons devoir faire connaître ici quelques-uns d'entre ceux qui nous ont paru susceptibles d'éclaircir et de compléter certaines parties de ce Catalogue.

La première église qu'avait élevée saint Gwennolé subsista jusque vers 844, époque où les pirates normands s'abattirent sur les côtes de Bretagne ; ils chassèrent les moines et détruisirent l'église. Nominoë commença à la rebâtir ; mais quand il mourut, en 852, elle n'était pas terminée : elle le fut par Salomon. Dans le siècle suivant, elle fut encore en butte aux attaques des Normands, qui en abattirent la façade, reconstruite par Jean, qui s'était bravement battu contre les Normands, et qu'Alain Barbe-Torte récompensa de sen courage en fondant pour lui, vers 940, le prieuré de Batz (Loire-Inférieure), et en le faisant ordonner abbé de Landevennec, où il ramena des moines.

Jean, dit D. Mars, eut pour successeur Benoît, mentionné dans une charte de 954. - Après Benoît, il place un abbé du nom de Gulcheturus, qui obtint du duc Alain Fergent, au commencement du XIème siècle, l'église d'Edern. Il était le premier dont le nécrologe de l'abbaye fit Mention (XIX kal. septemb.). Nous négligeons les autres abbés, pour arriver à Jean de Langoueznou ou de Saint-Gouesnou, issu, croit-on, de la famille de Thépault du Breignou, à laquelle appartenait le château du Breignou, dans la commune du Bourg-Blanc, près de Brest, appelé Castel Gleb ou Château Mouillé, parce qu'il était entouré d'un étang, desséché il y a une vingtaine d'années. Cet abbé, que D. Morice a omis dans son Catalogue, doit figurer entre Yves Gormon, mort le 7 juin 1344, et Armel de Languern, décédé le 22 juillet 1362 ; c'est la place que lui assigne avec raison Missirien , qui dit que ce religieux mourut en odeur de sainteté, et qu'il s'opéra plusieurs miracles sur son tombeau. Il fut témoin de toutes les excentricités du fou Salaün, dont il a succinctement raconté, dans son Histoire manuscrite, la vie et la mort, arrivée en 1360. Cette légende fut communiquée en 1562 par Mgr de Neuville, évêque de Léon, à René Benoist et Pascal Robin, qui en firent une traduction, ou plutôt une paraphrase, insérée d'abord dans la légende de René Gautier, du 8 mars, et ensuite par le P. Albert Le Grand , dans ses Vies des Saints de Bretagne. Elle a été reproduite dans la nouvelle édition d'Albert Le Grand (Brest, 1837, in-4°), sous le titre de : Histoire miraculeuse contenant le mystère de Notre-Dame du Folgoet ou Foulgoat, au fond de la Basse-Bretagne, advenu environ l'an 1350, et solennisé au premier jour de novembre, feste de Toussaints, ou à la My-oust, en mémoire de saint Salaün, extraite du trésor de l'église du pais mesme où il est révéré. La légende est suivie de la prose Languentibus in purgatorio, etc., conservée dans la liturgie romaine, dont, elle forme l'un des chants les plus pieux, et composée par Jean Langoueznou, « afin, dit-il, qu'il puisse mériter d'avoir place des repos éternel avec le simple et pauvre innocent ».

On ne saurait trop regretter que le texte original de Langoueznou soit perdu, et qu'on n'ait à sa place qu'une paraphrase, probablement tronquée, peut-être même falsifiée, comme l'aurait été le Dévot Pèlerinage du P. Cyrille Le Pennec, publié en 1684. En effet, D. Mars, qui 'écrivait après le P. Le Pennec, dit de la manière la plus positive que Salaün vécut et mourut dans les bois de Landevennec, et que D. Langoueznou lui érigea en 1360, sur le bord de la mer, une chapelle qui fut détruite pendant les guerres religieuses, et que l'abbé Pierre Tanguy fit rebâtir en 1645. Voici, du reste, les deux passages de D. Mars où il est parlé de ces faits ; nous les reproduisons textuellement :

« Salaun vel Salomon, etsi monasticus minimè proffessus, Landevenecensibus tamen alumnis accensiri debet. Is, in Leonensi tractu natus, in Lampigovensi [Note : Le bois de Lampigou est mentionné dans un acte d'une procédure de 1477 entre l'abbé et les religieux d'une part, et Robin Robin, d'autre part. Ce dernier réclamait le droit de prendre dans le bois sa provision de bois de chauffage, et d'y tenir, durant le glan et pesson, 12 porcs, une truie et ses pourceaux, et, en temps de bécasses, un pareter (espace ou parterre) à son choix. Le bois de Lampigou est celui auquel la tradition a conservé le nom de Follcoat. Situé en Landevennec et en Argol, il est séparé en deux parties par un ruisseau près duquel se trouve, en Landevennec, la petite chapelle du Follcoat, dont la fête patronale a encore lieu] sylvâ Landeveneco proximâ asperam et propè modo amenti similis vitam egit. Cùm urgeret fames panem a vicinioribus rustici crude postulabat, acceptumque aquâ limpidâ integebat. Quam vivendi consuetudinem nunquàm intermisit, orationi semper vacabat, frigoris et imbrium æquè patiens. Sic pro fato functus in eâdem sylvâ propè fontem et inflexum arborum cui assidebat mortuus circiter anno 1360, miraculisque res erigendo in honorem Deiparæ Sacello occasionem præbuit ».

« Sacellum B. Mariae de Follcoato in sylvâ monasterio vicinâ construxit Johannes III de Lantgouesnou, ibique Salaunis corpus deposuit sub annum (sic) 1360 ».

Il nous semble impossible, nous l'avouerons, de concilier ces textes avec la légende qui a eu cours jusqu'à présent. Obligé d'opter entre les deux versions, nous n'hésitons pas, attendu l'absence du texte primitif de Langouesnou, à préférer, à la paraphrase qui en a été faite, les assertions si nettes, si précises de D. Mars, homme sérieux (son Histoire l'atteste) et qui avait travaillé sur les documents mêmes de l'abbaye. Quant au Dévot Pèlerinage du P. Le Pennec, il n'y aurait rien de surprenant que, composé près de trois siècles plus tard, il eût été le reflet involontaire de traditions altérées et perpétuées dans le but de rattacher à la basilique voisine de Lesneven une origine miraculeuse.

En 1388, pendant qu'Alain de Daoulas était abbé, les Anglais, forcés de lever le siége de Brest, ravagèrent le littoral et particulièrement Landevennec dont ils brûlèrent ou enlevèrent les titres.

Jacques de Villeblanche, à qui une bulle du pape Eugène IV conféra, le 4 avril 1443, le temporel et le spirituel de l'abbaye, était, d'après cette bulle, de noble extractipn, âgé de 21 ans et pourvu des ordres mineurs, bien que chanoine de l'ordre de Saint-Benoît. Il fit faire la crosse abbatiale qui existait encore à Landevennec du temps de D. Mars (1647), et sur laquelle se voyaient ses armes. Il mourut en 1490. Dix ans auparavant, les gens du pays avaient attaqué l'abbaye, d'où ils avaient enlevé les meubles et les vases sacrés.

L'abbaye fut administrée de 1490 à 1496 par Mathieu Hémery L'excommunication qu'Alexandre VI avait lancée contre les spoliateurs de 1480, ne les empêcha pas de revenir dévaster l'abbaye en 1492, conjointement avec les Anglais. Ces derniers reparurent en 1520.

L'abbé était alors Jean de Vieux-Chastel, de la maison de Brunault, près de Carhaix, qui fit de grands dons à son église et à celles des prieurés. Lorsqu'il mourut, en 1522, il fut inhumé devant l'autel de Sainte-Barbe, plus tard de la B. V. Marie, qu'il avait érigé. Il fut le dernier abbé régulier.

Au XVIème siècle, la mise en commende des abbayes (celle de Landevennec cessa d'être régulière en 1522 ou 1524) eut pour premier effet d'en remettre le temporel aux mains de séculiers plus empressés d'y trouver un lucre que d'y faire fleurir la religion. Des enfants ou des hommes puissants, fort souvent indignes de posséder ces bénéfices, en furent pourvus. Et comme si ce n'eût pas été assez de cette cause de ruine pour les établissements religieux, il fallut bientôt y ajouter celles qui découlèrent des guerres religieuses de cette époque. L'abbaye de Landevennec, plus que d'autres, subit les tristes conséquences de cet état de choses.

Thomas Le Roy était abbé en 1522. Honoré de la confiance de la reine Anne, qui l'avait chargé de diverses négociations en cour de Rome, il s'y était concilié la bienveillance des papes Jules II et Léon X, qui l'avaient successivement nommé clerc de la Chambre apostolique, secrétaire des brefs apostoliques et président des lettres apostoliques. Il fut leur procureur au concile de Latran (1512-1517). En reconnaissance de ses services, il obtint plusieurs cures et canonicats en Bretagne, puis ensuite l'évêché de Dol, auquel il fut promu un 1522. Avait-il été élu abbé par les moines de Landevennec? François Ier lui appliqua-t-il le fameux concordat de 1517, en refusant de ratifier son élection d'abbé comme il le fit, pour sa nomination d'évêque ? On l'ignore. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il eut pour successeur, en 1524, année de sa mort, Alain de Trégain, dont l'administration n'a pas laissé plus de traces que celles de Louis de Kerguern et de Maurice Brient.

La bulle de Paul III, du mois de septembre 1588, qui institua Arnoul Brient abbé commendataire, lui enjoignit de donner tous ses soins à la prospérité tant spirituelle que temporelle de l'abbaye. Mais le nouvel abbé ne put pas répondre pendant plus de deux ans à la sollicitude du souverain Pontife. Les infirmités plutôt que l'âge (il n'avait que 54 ans en 1540, et mourut le 15 septembre 1555) ne lui permettant pas de supporter plus longtemps le fardeau de son emploi, le pape Paul III, à sa prière, lui donna pour coadjuteur perpétuel et irrévocable, au mois de janvier 1540, Maurice de Comacre, « âgé de 17 ans, de famille noble, de bonnes vie et mœurs, clerc du diocèse de Tours ». La bulle fulminée à cette occasion semble indiquer que le Pape pressentait qu'elle aurait été mal accueillie, car elle menace du courroux céleste et de l'indignation des saints apôtres Pierre et Paul ceux qui oseraient y contrevenir.

Maurice de Comacre ayant résigné son office, une bulle de Grégoire XIII, du mois de janvier 1577, conféra la commende de Landevennec, tant au spirituel qu'au temporel, à Pierre Largan ou Loargan, prêtre du diocèse de Quimper. L'administration de ce dernier, homme faible et ignorant, dit D. Morice, fut très-difficile et très-désastreuse. Le savant bénédictin le représente comme dominé par Troïlus de Mesgouez, marquis de la Roche, ce page et amant de Catherine de Médicis, dont M. Pol de Courcy a si bien raconté (Biographie bretonne, t. II) la vie plus qu'aventureuse, qui l'obligea à obtenir de la clémence d'Henri IV des lettres d'abolition. D. Morice ajoute que le marquis de la Roche avait l'administration du temporel de l'abbaye, dont il percevait les fruits ; et que, pour empêcher le prieur Louis Lansulien [Note : Un acte de 1592 le qualifie de champlier et gouverneur de l'abbaye] de le gêner dans son administration, il le berçait de l'espoir d'une résignation de l'abbé Largan. Ce passage du Catalogue est très-confus, et à dessein peut-être, D. Morice ayant bien pu se montrer complaisant pour la famille de la Roche, en cherchant à pallier les méfaits de deux de ses membres. Il paraît en effet que, pendant toute la commende de Largan, l'abbaye ne fut entre ses mains qu'un simple fidéicommis, et qu'en échange de ce qu'on voulut bien lui donner, il la laissa exploiter par René de Mesgouez, sieur de Kermoalec, frère du marquis de la Roche, et aussi quelque peu par ce dernier. C'est ce qui résulte de divers documents entièrement inédits, savoir :

1° De l'acquisition que le sieur de Kermoalec avait faite d'une partie du temporel de l'abbaye, par suite de l'aliénation qui eut lieu, dans toute la France, au préjudice du clergé, en exécution de la bulle du pape Grégoire XIII, donnée à Rome le 18 juillet 1576, bulle qui ressuscitait, contre ceux qui ne l'exécuteraient pas, les formules de malédiction, pour ainsi dire abandonnées depuis le XIIIème siècle. En vertu de cette bulle, approuvée par les lettres patentes et l'édit d'Henri III du 20 août suivant, la portion afférente à l'abbaye dans la subvention générale fut fixée à 13 écus en revenu, et en principal, au denier 24, à 1014# tournois (ou 312 écus, valant 65 sous tournois l'un). Les biens aliénés consistaient en huit domaines congéables situés dans la trêve de Guillevain, commune d'Edern. C'étaient les domaines de Kerdu-Kersurgar, Kermenz ou Kernenez, Kernabadec, Lanharnec, Mesangasec, Niver, Lestang et Lestang-Bihan. Mis à l'enchère, à éteinte de feux, ils ne trouvèrent qu'un enchérisseur, noble homme René de Mesgouez, sieur de Kermoalec, à qui ils furent adjugés par l'official de Quimper, le samedi 30 mars 1577, pour un capital de ..962# 13s, plus les 2s 6d pour livre.

2° D'un brevet d'Henri IV expédié en 1600, malheureusement trop détérioré pour qu'il puisse être lu dans son entier, mais pas assez cependant pour empêcher d'y lire que : « Vu le différend mû entre le président du Blancmesnil et de Riz, et le sieur marquis de la Roche, frère du sieur de Kermouallec, ex-abbé de Landevennec, au sujet des revenus de l'abbaye, S. M. a eu pour agréable que M..... jouisse d'icelle ; consent aussi qu'elle soit et demeure en la possession et disposition des premiers, pour en faire pourvoir telles personnes qu'ils nommeront, en conséquence du don qui leur en a été fait, sans qu'elle puisse, par la mort de l'abbé Largan, vaquer ne (ni) en estre disposé à leur préjudice, à la charge toutefois de la jouissance des fruits de ladite abbaye audit sieur marquis de la Roche ».

3° D'une volumineuse procédure qui fut pendante devent la cour de Châteaulin de 1588 à 1606, où, parmi les griefs articulés contre le sieur de Kermoalec, ex-abbé, le marquis de la Roche, Laz, etc., et la dame de Carné, leur nièce et héritière universelle, il est allégué : que l'abbé de Kermoalec avait transporté dans sa maison les joyaux, trésors, vaisselle d'argent et vases sacrés de l'abbaye ; qu'il avait emporté par force et par dol une somme de 14,000 écus d'argent ; qu'il avait abattu les plus beaux arbres et employé les matériaux à l'acquisition ou aux réparations du manoir, de la terre et seigneurie de Trévallon, en Scaër ; qu'il n'avait fait aucune réparation à l'église de l'abbaye, qui tombait en ruine ; qu'il avait privé l'abbaye de plusieurs droits, privilèges et prééminences, notamment en Telgruc ; qu'enfin, il n'était ni abbé, ni prêtre, ni religieux.

4° D'un procès-verbal dressé, le 16 juillet 1603, par Vincent Le Briand, sénéchal de Carhaix, à la requête de Jean Mathezou, vicaire de l'abbaye, et constatant que, pendant les guerres de la Ligue, René de Mesgouez (l'abbé de Kermoalec) et son frère Troilus, marquis de Mesgouez, avaient chassé les religieux, et s'étaient emparés de leurs biens, qu'ils faisaient encore administrer en 1603 par un petit prêtre nommé Braspart. René de Mesgouez, qui avait le premier mis la main sur l'abbaye, avait commencé par faire abattre 10,000 pieds d'arbres dans le seul bois de Penforn s'étendant jusqu'à la grève. Lui et son frère avaient ensuite enlevé toute l'argenterie, même celle de l'église, emporté les cloches pour en faire des canons, et laissé tomber en ruine les maisons, l'église, le vieil abbatial contre le couvent et la chapelle de Saint-Gwennolé, au Penity. Troïlus avait même construit un mur pour empêcher le peuple de fréquenter l'église de l'abbaye et le vieux cimetière. Le procès-verbal de 1603 ajoute que Mathezou, prieur claustral de Landevennec, lors de l'usurpation des seigneurs de la Roche, se retira au prieuré de Châteaulin, dont il était titulaire, et y obtint contre eux, au siége de cette ville, une sentence qui leur enjoignit de le rétablir dans la possession de l'abbaye, avec quatre de ses confrères, et de leur adjoindre quatre novices et quatre prêtres séculiers, en attendant qu'on pût en faire ordonner de réguliers. Mais le crédit des spoliateurs empêcha l'exécution de cette sentence.

D'autres pillards s'abattirent ensuite sur l'abbaye. Royaux et Ligueurs, et après eux les Anglais, ne la respectèrent pas plus que les seigneurs de la Roche. En 1593, les gens de guerre de Sourdéac, gouverneur de Brest, enlevèrent ou détruisirent quantité d'objets en or massif servant au service divin, notamment le porte-sacre de l'abbaye, les plus beaux ornements, les meubles des chambres des religieux et la plus grande partie des garants (titres) de l'abbaye. L'année suivante, ce fut le tour de l'émule de La Fontenelle, le comte de La Magnanne, alors ligueur, mais travaillant en réalité pour son compte plutôt que pour celui du duc de Mercœur. Ce partisan, bien qu'il fût lui-même abbé commendataire de Lantenac, pénétra dans la Basse-Cornouaille à la tête d'un régiment de ligne, prit le Faou, le pilla ainsi que les environs, quatre jours durant ; puis, gagnant Quimperlé, il s'avança quelques lieues en bon ordre et sans commettre aucune dévastation, afin d'inspirer de la confiance aux populations environnantes, exaspérées par les massacres et les déprédations qu'il leur avait fait subir à deux reprises. Revenant brusquement sur ses pas, il pilla et saccagea pendant quinze jours consécutifs les paroisses de Dinéault, Châteaulin, Ploumodiern, Plounevez, et Quemeneven jusqu'à Locronan. L'abbaye de Landevennec fut son quartier général pendant trois jours que ses soldats employèrent à brûler les boiseries, les portes et les fenêtres. Ils se servaient pour allumer le feu de ceux des titres de l'abbaye qui avaient échappé au premier pillage, et qui étaient conservés dans la chambre basse, dite chambre de M. saint Benoît. Les titres qui ne furent pas brûlés, furent foulés aux pieds des chevaux, et se trouvèrent ainsi ou perdus ou gâtés. Au mois d'octobre de la même année, une troupe d'Anglais qui se rendaient au siége du fort de Crozon, emportèrent de l'église et de l'abbaye ce qu'il y restait de chapes, chasubles, nappes, linge, habits des religieux, plats d'étain, etc. ; de telle sorte que, suivant ce qui résulte d'un prôcès-verbal du 20 novembre 1597, l'abbaye ne possédait alors qu'un « failli » ornement et qu'on ne pouvait y dire qu'une messe ou deux au plus, en même temps. Les religieux étaient à cette époque dans des transes continuelles, car les gens de guerre cantonnés à Crozon, Roscanvel, Douarnenez, le Faou, etc., ravageaient tout le pays, enlevaient les bestiaux et empêchaient de se livrer à aucune culture.

Des déprédations doivent certainement avoir eu lieu en 1593 et 1594. Les deux partis, également peu scrupuleux dans le choix des moyens alors employés à la guerre, étaient bien capables de commettre les désordres qui leur sont imputés dans les documents que nous analysons. Toutefois, nous l'avouerons, l'examen attentif de ces documents nous inspire des doutes sur leur entière sincérité. Si nous les rapprochons de certains actes des abbés Jean Brient, Pierre et Jacques Tanguy, successeurs de l'abbé Largan, nous inclinons à croire qu'ils ont exagéré l'importance des dommages causés à l'abbaye en 1593 et 1594, et ce en vue de masquer certaines peccadilles , telles que détournements de fonds et de titres dont nous parlerons plus loin. Ce qui fortifie nos doutes, c'est que ces trois abbés ne parlent pas plus que l'abbé Largan de ces dommages ; et certes ils n'auraient pas omis de le faire, pour se disculper des accusations auxquelles ils furent en butte.

Malgré tout, l'abbaye dut beaucoup souffrir. Largan, aux gages des seigneurs de la Roche, ne pouvait ou ne voulait opposer aucune résistance aux scandales qui s'y commettaient. En 1597, il est vrai, il se résigna à abdiquer son vain titre d'abbé en faveur de Louis Lansulien ; mais après la mort de ce dernier, qui eut lieu le 20 mars 1601, il le reprit, et passa aussitôt, avec le prieur claustral et les religieux, un traité rédigé, chapitre tenant, par deux notaires de la cour de Landevennec, et portant que « les religieux s'obligent à entretenir pendant un an en nourriture seulement, quatre prêtres religieux, deux novices, ou un novice et un prêtre, tel qu'il plaira au seigneur abbé, de plus un serviteur du même abbé pour négocier ses affaires à ladite abbaye et ailleurs, moyennant une pipe de vin et quatorze vingts (280) écus sol, payables par quartier, en présence du prieur de l'île Sainte, cellérier ».

Cette obligation contractée par les religieux de supporter les charges incombant à l'abbé commendataire, prouve que Largan n'avait pas encore recouvré son temporel. Ce qui achève de le démontrer, c'est que, quatre ans plus tard, nous voyons Jean Brient, chanoine et archidiacre de Quimper, traiter avec Braspart et se pourvoir en cour de Rome afin d'obtenir les bulles d'abbé commendataire. Celles de commission que lui expédia Paul V, en 1608, ne disent pas à quel titre l'abbaye était vacante. Elles étaient accompagnées d'une bulle d'absolution en faveur du nouvel abbé, et de deux lettres adressées, par le Pape, l'une à Henri IV, l'autre aux moines de Landevennec. Par la première, le souverain Pontife priait le roi d'accorder sa faveur bienveillante au nouvel abbé, et de l'entourer de sa haute protection ; dans la seconde, Paul V. invitait les religieux au respect et à l'obéissance envers leur supérieur, dont il leur recommandait de suivre avec humilité les ordres et les conseils : faute de quoi il approuvait d'avance le châtiment ou la sentence qu'il prononcerait contre eux. A ces témoignages de sollicitude pour l'abbé Brient était jointe la formule du serment qu'il prononça devant l'official de Quimper, et par lequel il s'obligea à n'avoir aucune communication avec ceux qui en voudraient à la vie ou à l'honneur du Pape et de ses successeurs ; à prêter assistance au légat de France., pour la défense et la conservation de la papauté et des droits régaliens de St-Pierre ; à conserver, respecter et étendre les droits, priviléges, honneurs et autorité de l'Eglise romaine et du Pape, auquel il donnerait connaissance de tout ce qui pourrait y porter atteinte ; à poursuivre les hérétiques et autres ; enfin, à ne vendre, hypothéquer ni donner aucun bien de l'abbaye, même avec le consentement des religieux, sans l'autorisation de Sa Sainteté ; etc. Ainsi, d'après ce serment, l'abbé Brient était un véritable auxiliaire du légat ; s'il était supérieur de l'abbaye de Landevennec, ce n'était qu'accessoirement.

Il prit possession de son bénéfice le 9 juin 1609, et s'appliqua de suite à faire des économies. Le meilleur moyen d'en obtenir lui sembla une réduction dans le nombre des religieux. Mais, au commencement de 1613, prévoyant que les cardinaux délégués par le Saint-Siége, et particulièrement Dom Isaïe Jaunay, grand-prieur de Marmoutier, leur député spécial pour le rétablissement de l’ordre de Saint-Benoît en Bretagne, l'obligeraient à en recevoir un plus grand nombre, il s'empressa de traiter avec ceux de qui il obtint les meilleures conditions. Au lieu de s'adresser aux monastères de Bretagne, il recourut à l'abbaye de Chezal-Benoît, en Normandi. Les premiers religieux qui vinrent n'avaient, il paraît, contracté qu'un engagement de deux ans ; car, arrivés le 24 juillet 1613, ils s'en allèrent le 24 juillet 1615. Ils eurent pour successeurs d'autres religieux de la même maison, qui partirent eux-mêmes à la fin du mois d'août 1615, après avoir été remplacés, le 20 de ce mois, par six religieux de chœur, venus des abbayes de Lehon, du Tronchet et de Lantenac, « pour résider, vivre et servir à Landevennec, selon la règle de saint Benoît , au pied de la lettre ». Ces religieux, éclairés par ce qui était arrivé à leurs prédécesseurs, exigèrent des revenus. Par le concordat passé entre eux et l'abbé Brient, en 1617, ce dernier leur assigna un revenu de 1698#, composé : 1° de 580# de dîmes en Argol, Trefcaryan et Plonevez-Porzay ; 2° de maisons à Quimper et à Landevennec, produisant 39# de rente ; 3° de six moulins d'un rapport de 477# ; 4° de sept prieurés évalués 480# ; 5° de 30 boisseaux de froment, 14 d'avoine et 4 d'orge, sur le domaine de Caméros, appréciés 110# ; 6° de jardins affermés 12#. En retour, les religieux s'obligèrent à chanter à haute voix, chaque semaine, une messe pour le salut de l'abbé ; à lui payer, en signe de reconnaissance de sa supériorité, 10# de rentes sur le prieuré de Batz s'ils le recouvraient ; à faire le service divin accoutumé, de nuit et de jour, et à vivre selon la règle réformée ; à bailler 60# tournois à un régent séculier, en cas qu'il y en eût, qui lirait et enseignerait dans l'abbaye ; à ne vendre ni engager aucun bien ou revenu. Ce concordat obligeait l'abbé, dans le cas où un religieux malade aurait besoin de viande, à lui fournir les pigeons qui se trouveraient au colombier.

Soit que l'abbé Brient n'exécutât de ce traité que les articles qui lui convenatient, soit que les revenus qui leur étaient assignés fussent de difficile rentrée, les religieux le poursuivirent, afin d'en obtenir les moyens de pourvoir à leur subsistance. Un premier arrêt du Parlement cassa, en 1619, les comptes fournis par l'abbé. Un autre arrêt du 13 juin 1622 l'ayant condamné à fournir aux religieux sur les revenus et ancien fonds de la maison ce qu'il fallait pour leur pension et le service divin, et ayant ordonné la distraction des prieurés et des offices, dont les revenus seraient mis en commun et employés aux réparations et augmentations tant de l'abbaye que du prieuré de Châteaulin, Brient se refusa à payer les quarante écus d'épices ou frais du procès. Un exécutoire fut décerné contre lui, et l'on pratiqua dans sa maison, où l'on entra par la fenêtre (il était absent) la saisie d'un tas d'orge seulement. Toutefois, l'année suivante, il souscrivit un nouveau concordat par lequel il s'obligea à fournir à dix religieux (six prêtres et quatre novices) et à deux frères lais, pour leur entretien : 1200# payables en argent et en blé ; dix charretées de foin ; du bois de chauffage charroyé par les sujets de l'abbaye. Brient s'engagea en outre à abandonner aux religieux le revenu des biens dépendants de sept prieurés et de l'office de champlier, la propriété de la maison de Belair, à Quimper, et le tiers, à son décès, des rentes et biens qu'il aurait rachetés. Il devait en outre supporter seul les frais des réparations urgentes de certains bâtiments de l'abbaye, et ne pouvait conférer qu'à des religieux de la maison les prieurés qui viendraient à vaquer par le décès des titulaires. De leur côté, des religieux ajoutèrent à leurs obligations précédentes celles de dire, chaque vendredi, une messe de cinq plaies, avec notes, diacre et sous-diacre, non plus pour le salut de l'abbé, mais en compensation de la jouissance future du tiers des biens racquittés ; d'employer aux réparations et besoins de l'abbaye, à leur vestiaire et à leur ameublement, les revenus de la champlerie, consistant en sept moulins à eau désignés dans le concordat. Ils se. soumirent, de plus, à porter honneur, dignité, respect et révérence à l'abbé, et consentirent à pouvoir être renvoyés en cas d'infraction au traité.

L'abbé Brient, en ce qui le concernait, n'observant pas ce traité, un arrêt de 1626 lui enjoignit de l'exécuter. Il n'en fit rien, et les religieux furent obligés, en 1629, d'en obtenir un nouveau qui maintint le prieur de Châteaulin dans la possession de son bénéfice, affecta le tiers du revenu du prieuré à la réparation de son église et du pont de Châteaulin ; à la nourriture, l'entretien du prieur et la célébration du service divin. Pour mettre un terme aux empiétements de l'abbé, qui s'appropriait tous les biens, même ceux des offices et bénéfices, quoique sa part des revenus fût alors, toutes charges déduites, de 11520# par an, ce même arrêt le condamna à laisser pour la nourriture et le vestiaire des religieux le tiers des revenus, et lui enjoignit de prélever sur les deux autres tiers le prix des réparations des ornements et des choses sacrées. Un tiers du revenu des prieurs et autres officiers fut affecté à la réparation et au service du culte des églises et des édifices des prieurés.

Si l'abbé se montrait avide, les religieux, de leur côté, n'étaient pas sans reproches. Comme ils n'observaient que fort mal la règle, le Parlement leur prescrivit, par un arrêt de la même année, de se faire agréger, dans le délai de six mois, à une congrégation approuvée de la réforme de Saint-Renoît. Il ordonna en outre à l'abbé de se purger par serment de ne retenir aucun titre par dol ni par fraude ; — les religieux l'accusaient de les falsifier et détruire, et de n'en plus avoir. Enfin les parties adverses durent partager tout le temporel, comprenant, les fiefs, colombiers, ports et pêcheries, etc.

En présence des prescriptions de cet arrêt, la position de l'abbé Brient n'était plus tenable. Aussi, de gré ou de force, résigna-t-il sa commende à Pierre Tanguy, vicaire perpétuel de l'abbaye, dont les religieux eux-mêmes semblent avoir sollicité la nomination, et auquel le pape Urbain VIII expédia, au mois de mars 1630, la commende du spirituel et du temporel de l'abbaye. Brient survécut peu à sa résignation. Il mourut le 21 mai 1630, et fut inhumé dans son église, où il s'était fait ériger, de son vivant, avec l'agrément des religieux, un magnifique tombeau ; son épitaphe le qualifiait ainsi : Bonorum venditorum redhibitor, œdium œdificiorumque restaurator, novorumque pervigil exstitit exstructor, par allusion, sans, doute, aux rachats qu'il avait opérés, aux réparations faites en 1629 à l'église, à la maison abbatiale. et au moulin de Caméros, que la foudre avait frappés, enfin à la construction, de 1617 à 1618, du manoir du Penity qu'il bâtit pour en faire son habitation, « proche la chapelle du même nom, lez le bourg de Landevennec, dans un endroit lors désert et inhabité ».

Voulant qu'après sa mort on célébrât tous les vendredis, dans son église, une grand'messe pour le repos de son âme, l'abbé Brient avait légué aux religieux, d'une part, 36# de rentes à prendre, sa vie durant, sur la maison de Belair, à Quimper, et de l'autre, à son décès, le tiers des biens qu'il aurait racquittés. Ses héritiers se refusant à servir ce legs et restant en outre détenteurs de divers titres de l'abbaye, un procès s'engagea entre eux et les religieux. Commencé en 1632, il eut un grand retentissement à Châteaulin ainsi qu'à Landevennec, et se termina en 1634 par une transaction.

L'abbé Pierre Tanguy eut plus de procès que son prédécesseur, soit avec les religieux, soit avec des tiers, et tous eurent un caractère peut-être plus fâcheux encore que ceux qu'avait soutenus l'abbé Brient : celui-ci, du moins, pouvait jusqu'à un certain point alléguer les excuses déduites dans le préambule du concordat de 1617, où il disait : « qu'à son entrée en fonctions, il n'avait trouvé aucun religieux vivant sous la réforme de Saint-Benoît ; que les plus beaux biens de l'abbaye de Landevennec (dont il avait déjà racheté pour plus de 1000# de rentes en 1617), avaient été vendus à des laïcs ; que tous les garants avaient été distraits, soustraits et perdus, l'abbaye ayant été gouvernée depuis soixante-dix ans par des gentilshommes, courtisans et autres de différentes qualités ; qu'il avait trouvé l'église, les chapelles et les édifices en ruine ou tombant à terre, etc. ». Il y avait beaucoup de vrai dans ces allégations, et si l'administration de l'abbé Brient n'avait pas été exempte de reproches dans ses rapports avec les religieux ; du moins avait-il, par compensation, rendu à l'abbaye son antique splendeur. — On n'en saurait dire autant de l'abbé Pierre Tanguy, pendant le gouvernement duquel les tribunaux ne cessèrent de retentir des débats que suscitait le partage du temporel entre lui et les religieux. C'était un homme si violent, que, pour se.soustraire à sa rapacité, le P. Silguy, religieux non réformé, qui avait présenté une, requête, afin d'être admis, vêtu et nourri par l'abbaye, avec dispense, vu ses infirmités, d'embrasser la réforme, fut contraint de fuir à Châteaulin, où il obtint des lettres de sauvegarde qui mirent à l'abri ses jours, menacés par l'abbé et ses gens ; et que cet abbé lui-même fut décrété de prise de corps, à la requête du prieur claustral. Il construisit en 1645, sur le fonds et des deniers de l'abbaye, une belle chapelle dédiée à N.-D. du Folgoët, et communément appelée le Petit Folgoët, chapelle qui, à peine bâtie ; devint l'objet d'une grande vénération et reçut beaucoup d'offrandes, dont nous voyons, en 1652, l'abbé Tanguy et les religieux se disputer la possession avec une ardeur peu édifiante. Cinquante ans plus tard, époque où elle ne rapportait plus aux religieux que 15# de rentes, et où elle avait besoin de réparations, l'abandon gratuit en fut fait à la paroisse de Landevénnec, « pour le soulagement, la commodité et la dévotion du peuple ». L'abbé Pierre Tanguy fit en outre rebâtir, en 1652, la maison des moines, qui, depuis plus de trente ans, était devenue inhabitable. En 1665, il résigna sa commende à son neveu Pierre Tanguy, et mourut en 1669. Bien que, lors de sa nomination, il n'eût pas grand moyen de faire du bien, mais grand besoin, au contraire, d'en recevoir, dit un acte de 1676, il laissa à son neveu, outre une fortune relativement considérable, les titres de l'abbaye, dont il avait disposé comme des siens propres.

L'abbé Jacques Tanguy, se montra encore plus cupide que ses deux prédécesseurs. Comme eux, il eut des débats avec les religieux, qui, en 1676, se plaignaient de n'être que neuf pensionnaires tandis qu'ils auraient dû être treize, et de ne recevoir pour leur pension commune que 1200# et la rente de quelques moulins dépendant des offices claustraux. Il y avait, à cette époque, entre l'abbé et les moines, des contestations au sujet de coupes de bois indûment opérées par Pierre et Jacques Tanguy, qui, pour ce seul objet, avaient perçu 80,0000# de 1636 à 1675. Les plaintes élevées contre le dernier furent si graves, qu'en 1695, à la suite de maintes accusations de falsifications et de détournements de titres ou autres objets, un conseiller-commissaire du Parlement, assisté du procureur général, du notaire et du greffier de la Cour, dressa en son absence, et sur son refus de comparaître, un procès-verbal des altérations qu'on lui imputait d'avoir fait subir à des actes qui furent envoyés à Rennes. L'un d'eux était un traité passé l'année, précédente, devant deux notaires, entre l'abbé et les religieux, au sujet des propriétés et du revenu assignés à ce dernier. « Ce traité, dit un annaliste de l'abbaye, est frauduleux, contre les lois, nul par lui-même, mais encore par deux registres recouvrés depuis par une disposition de la justice de Dieu ». La crainte que lui inspirait l'issue des poursuites exercées contre lui par le procureur général, hâta la fin de Jacques Tanguy ; et lorsqu'il mourut dans le cours de la même année ses derniers moments furent pénibles pour ceux qui en furent témoins.

Avec Jacques Tanguy finirent les divisions intestines de l'abbaye. Il eut pour successeur Mgr de la Brousse, évêque de Saint-Pol-de-Léon, sous l'administration duquel il ne semble s'être rien passé qui mérite d'être mentionné. Sous celle de l'abbé de Chateaurenault, qui le remplaça le 4 janvier 1701, Mgr de la Bourdonnaye, évêque de Saint-Pol-de-Léon, permit aux religieux, en 1709, de démolir, pour cause de vétusté, la chapelle de Sainte-Blanche (mère de saint Gwennolé), située sur le bord de la mer, et de la transférer dans l'église de Landevennec. Cette chapelle, qui ne possédait ni fonds ni rentes, et n'était assujettie à aucune obligation de messes ni de prières, se trouvait à l'entrée du cimetière de l'ancien couvent ; elle sert aujourd'hui d'habitation particulière. Elle aurait, suivant la tradition, été fondée par Clervie, sœur de saint Gwennolé. Les femmes qui avaient mal aux seins les passaient par un trou pratiqué à cet effet dans la porte de la chapelle, et s'en retournaient guéries, après avoir adressé quelques prières à la patronne du lieu. Rien d'important n'eut encore lieu sous le gouvernement de l'abbé du Plessix d'Argentré, nommé en 1712; mais, sous celui de l'abbé de Varennes, qui fut pourvu de la commende le 24 décembre 1713, les religieux prirent part aux querelles qui divisaient alors l'église de France. Par un acte capitulaire, qui fut déposé le 6 décembre 1718 à l'officialité de Paris, ils appelèrent au futur concile de la bulle Unigenitus. Ils renouvelèrent leur appel en 1729, et adhérèrent provisoirement à celui qu'avaient interjeté plusienrs prélats français. L'année suivante, on remplaça par un autel de marbre qu'un marbrier de Sablé exécuta pour 1450#, le grand-autel de l'église de l'abbaye, précédemment en bois, qui avait été brûlé par le tonnerre, le 28 octobre 1729.

Le dernier abbé commendataire de Landevennec fut Mgr Champion de Cicé, qui fut successivement évêque de Troyes et d'Auxerre, et mourut en Prusse vers 1805. Pendant sa longue administration, il donna maintes preuves de sa sollicitude pour son abbaye. A sa lettre du 12 septembre 1768, terminée par le vœu de voir se continuer la concorde qui régnait entre lui et les religieux, il joignit des instructions relatives à la construction d'une nouvelle maison abbatiale dans un endroit plus sain et plus commode que celui qu'occupait l'ancienne. Il fit dresser dans ce but divers devis ; dont l'un, exécuté en 1769, produisit la maison qu'habite aujourd'hui M. Bavay, son propriétaire. En 1783, on fit un autre devis qui porta à 45,0000# le chiffre des réparations dont les deux menses avaient besoin. Dans ces différents devis, on mentionne, entre autres bâtiments, une forge, un four, une hôtellerie, une chambre à pâtisserie, une serre, une prison, un caveau du roi Gradlon, une chapelle de Sainte-Gwen (Blanche), etc.

Mgr Champion de Cicé fut étranger au devis de 1783. En effet, une bulle du pape Pie VI, rendue en 1781, avec l'agrément du roi, prononça la suppression du titre collatif de la commende et de la mense abbatiale de Landevennec, ainsi que son union perpétuelle avec celle de tous ses biens à la mense épiscopale de Quimper, eu égard aux grandes dépenses que causait à l'évêque l'entretien de ses moulins et de ses fourneaux ou fours banaux ; aux secours qu'il distribuait à plusieurs saints lieux et aux hospices du diocèse ; aux frais dont le grevait l'hospitalité qu'il accordait aux gens nobles venant de Lorient, passant à Quimper, et se rendant à Brest. La mense abbatiale étant tout à fait distincte de la mense conventuelle, le prélat fut tenu de supporter toutes les charges de l'abbaye, et le Pape réserva au roi le droit de nomination à tous les bénéfices simples, ainsi qu'à ceux communément appelés places.

Les revenus de la mense abbatiale et de la mense conventuelle ne peuvent être actuellement précisés. La dernière seule peut s'évaluer approximativement, d'après des documents antérieurs de peu d'années à la Révolution. Le premier est un état des biens, affaires et dettes, tant actives que passives, de la communauté, arrêté le 1er avril 1776, et présenté par le procureur au R. P. prieur. Il se distribue en neuf chapitres. Un autre état, dressé la même année, fournit, en onze articles ou chapitres, le détail des dépenses de la communauté, s'élevant à 160890# 3s 5d. La bouche y figure pour 3010# 17s 3d ; le vestiaire, pour 1431# 9s 6d ; les malades, pour 1006# 17s ; l'église, pour 90# 10s 9d ; les aumônes volontaires, pour 186# 4s ; les procès, voyages et ports de lettres, pour 2554# 6s 5d. Le compte rendu en 1781, par M. Nouvel, du Faou, chargé de la régie des biens de l'abbaye pendant sa vacance, porte la recette à 13380# 1s 6d, et la dépense, à 10865# 9s 6d. Parmi les dépenses, nous citerons : 1560# aux religieux (on n'en dit pas le nombre) ; 220# aux peuvres ; 1989# pour décimes, etc.

L'abbaye de Landevennec déclarée bien national, lors de la Révolution, fut achetée en assignats pour le prix d'une paire de bœufs, puis démolie par MM. Pouliquen et de Roujoux. La maison abbatiale, construite en 1769, fut seule conservée, et vendue avec la ferme attenante. Il avait été proposé aux habitants de Landevennec de choisir entre l'église de l'abbaye et celle de la paroisse. Sur l'avis de l'un d'eux qui vivait encore, il y a quelques années, ils optèrent pour, celle de la paroisse, dont la couverture exigeait moins de frais d'entretien. Ce choix si regrettable entraîna la perte d'un monument auquel se rattachaient tant de souvenirs intéressants. Quelques pans de murs et des décombres amoncelés sur le sol, voilà tout ce qui reste aujourd'hui d'un lien témoin, pendant treize siècles, de l'ardente piété de nos pères.

Diverses descriptions de cette antique abbaye en ont fait connaître l'importance. Celle qu'en a donnée le savant directeur de l'Association bretonne, lors de l'excursion que le Congrès de Brest fit à Landevennec, en 1855, est la plus exacte et la plus complète. Aussi croyons-nous ne pouvoir mieux faire que de la reproduire ici, après avoir préalablement obtenu l'agrément de son auteur, M. A. de Blois.

« Le premier bâtiment qui arrêta notre attention, dit-il (Bulletin de l'Association bretonne, t, V. pp. 247-252), fut l'ancien logis abbatial, nommé antrefois le manoir du Penity. Cette habitation des abbés commendataires, située en dehors des bâtiments claustraux, se compose d'un corps de logis en pierres blanches, de bonne construction, mais sans caractère monumental, et d'une aile en saillie.

Le corps de logis ne remonte qu'au XVIIIème siècle ; on lit la date de 1769 près d'un cartouche au-dessus de la porte. Ce sont les armoiries de l'abbé qui le fit bâtir. Elles portent les insignes de sa dignité, la crosse et la mitre ; mais le blason en est effacé. L'aile en retour est plus ancienne ; d'après la date marquée sur une de ses lucarnes, elle appartient à la moitié du XVIème siècle. La cour du jardin de ce manoir abbatial, actuellement habité par M. Bavay (qui se « trouvait absent lors de la visite du Congrès), contenait quelques débris qu'il y a fait déposer pour les soustraire aux mutilations. Nous y avons remarqué :

1° Un fragment de meneaux de l'église du monastère, qui présente un écusson portant trois faces, accompagnées de dix mouchetures d'hermines avec un lambel : ce sont les armes de Jean du Vieux-Châtel, de la maison de Brunault, près de Carhaix, le dernier des abbés réguliers de Landevennec, qu'il gouverna de 1496 environ à 1522.

2° Une statue tumulaire en pierre de kersanton, exécutée avec beaucoup d'art et paraissant appartenir au XVème ou XVIème siècle. Le personnage, qui paraît être un abbé, y est représenté dans ses habits pontificaux. De la droite il tient une crosse, reposant, à son extrémité inférieure, sur la gueule d'un chien couché à ses pieds. Nous avons appris que cette belle figure avait été exhumée par suite de feuilles pratiquées dans la chapelle Notre-Dame. Elle fut déposée aussitôt près du même lieu, dans l'emplacement de la basilique ; mais des étrangers, pénétrant dans son enceinte, ne craignirent pas de mutiler ce précieux morceau de sculpture, en brisant la crosse et une partie de la mitre [Note : Sur les piliers en pierres soutenant la grille de l'abbatiale, on voit : 1° l'écusson d'un abbé dont les armes sont une colombe portant en son bec une branche ; 2° l'écusson d'un abbé ayant pour armes une croix pattée. Ce sont les armes de Guillaume de Partenay, abbé de 1371 à 1399].

Du logis abbatial on descend par un terrain en pente, aujourd'hui planté, à l'une des portes d'entrée de l'ancien monastère.

Dans la partie basse de ce terrain on aperçoit une excavation. C'est une fontaine très-simple ; dans le fond du revêtement en maçonnerie on a incrusté une face humaine du travail le plus grossier. On prétend (à tort) que cette rustique image est celle de saint Gwennolé, dont le vocable a été donné à cette fontaine.

On rencontre, après l'avoir dépassée, l'un des portails donnant entrée aux bâtiments divers contenus dans l'enclos réservé aux moines.

Un peu plus loin, en suivant toujours la pente du sol qui s'abaisse vers le rivage, apparaît l'église, aujourd'hui entièrement en ruine, de l'antique monastère de Saint-Gwennolé.

A la façade orientale, on aperçoit une porte formant la principale entrée. Elle est en plein cintre, sans décoration extérieure. Aux côtés de cette porte, deux arcades bouchées correspondent à la largeur des bas côtés. Elles sont chacune pénétrées par une baie en plein cintre, longue et étroite, dit la fente donnait du jour à cette partie de l'édifice. Du côté du sud, sur le développement de la même façade, se voit une autre arcade bouchée, sans aucune baie.

L'aire actuelle de l'église, où l'on parvient par une des brèches de ses murs ruinés, s'élève au-dessus du sol environnant, élévation due au terre-plein formé des débris des murs et des voûtes.

On ne peut guère juger à l'œil de son ancienne élévation qu'en se rappelant que son aire, présentement si élevée, était naguère si basse qu'il fallait, pour y descendre à l'occident, descendre environ douze degrés.

C'est toutefois ce que l'on peut reconnaître encore en visitant les excavations qui ont été faites, il y a quelques années, dans une sorte de transept régnant du côté méridional.

Cet édifice, dans son plan général, formait un long parallélogramme divisé en trois nefs par un double rang de bas côtés, lequel, se terminait à l'orient par trois absides semi-circulaires, ornées chacune de trois fenêtres en plein cintre. L'une de ces trois absides correspondait à la grande nef, les deux autres se développaient en saillie sur les murs extérieurs des bas côtés.

C'est dans cette partie orientale que les murs de la basilique out conservé le plus d'élévation : on y peut reconnaître la forme de ses neuf fenêtres absidales. Leur archivolte en plein cintre n'a pour décoration qu'un gros tore retombant sur un tailloir.

Nous remarquons, vers le milieu de la longueur de cet édifice, à son côté nord, une construction de forme quadrangulaire dont les amas de décombres, enlevés il y a quelques années, ont fait place à des ronces. Cette espèce de transept était la chapelle de Notre-Dame, d'après ce qui nous a été appris par l'un des parents des propriétaires, qui nous a permis de visiter ces ruines. Elle contenait le tombeau de l'abbé, que nous avons décrit en parlant du logis abbatial. On y retrouva aussi sous les décombres une belle statue en pierre de kersanton, qui est déposée aujourd'hui au fond de l'abside principale, dans an triste état de mutilation, la tête brisée. Elle semble être du XVIème siècle. Le saint qu'elle représente devait être un abbé. D'une main, il tient sa crosse, de l'autre son livre ouvert. Trois anneaux se remarquent à ses doigts. Il est revêtu de ses habits pontificaux. Sa chape est ornée de riches pierreries. Aux pieds se voient les armes de l'abbé qui donna cette statue au monastère. Ce sont les mêmes que celles que nous avons notées sur un fragment de meneau gardé dans la cour du logis abbatial.

A l'abside voisine, côté du midi, nous avons rencontré sur le sol une sorte de petit fronton dont les pieds-droits s'élèvent en pyramide et dont la face présente l'écu de Rohan en bannière, surmonté d'un lambel, armes de Pierre de Rohan, sire de Quintin, juveigneur de Jean II, vicomte de Rohan, qui vivait à la fin du XVème siècle [Note : Dans une chapelle qui fut démolie en 1768, se trouvait un tombeau de Pierre de Rohan que Mgr de Cicé fit transférer, à ses frais, dans le bras de la croix de l'église, du côté de l'évangile devant la chapelle de Notre-Dame].

Au-dessous de l'abside s'avançant vers le midi, existait une sorte de transept moins saillant que celui de Notre-Dame, que les fouilles laissent voir, malgré les décombres qui l'embarrassent encore. Dans la même direction que le chevet de l'église, c’est-à-dire vers l'orient, s'ouvre un caveau voûté en arête, dont les parois, sous le badigeon qui les recouvre, sont peintes et parsemées de larmes, de fleurs ciels et d'hermines. On y entre par une porte en plein cintre orné d'un tore retombant sur deux petites colonnettes à chapiteaux.

En regard de l'entrée du caveau se voit un autel massif en pierre, derrière lequel s'ouvre une baie trilobée ; à sa gauche, en pénétrant dans ce caveau, on voit, une excavation qui paraît être l'emplacement d'un tombeau brisé, et, faisant face à cette excavation, apparaît une voûte pratiquée dans le mur extérieur de l'église. C'est dans cette chapelle que la tradition place la tombe du roi Grallon, et cette tradition s'accorde avec la description qu'en fait Albert Le Grand dans la Vie de Saint-Guennolé.

Je n'en citerai que quelques lignes ; car le livre du P. Albert, n'ayant pas moins de quatre éditions, peut se passer d'en recevoir ici une cinquième, et se trouve d'ailleurs dans presque toutes les mains : —

XIII. Le bon roy Grallon, déjà cassé de vieillesse..... passa paisiblement de cette vie à une meilleure l'an 405. — Saint Guenolé l'assista.... Le corps fut enseveli dans une petite chapelle voûtée à l'antique, pratiquée au mur de l'aisle droite de l'église. Cette chapelle est fort basse, petite et estroite ; le sepulchre est à main droite en guise de charnier, de grain marbré, fort petit et court, avec une croix tout du long gravée sur la pierre mesme ; sur le paroy en dehors, droit sur la porte, est son épitaphe en vers latins « Hoc in sarcophago, etc. ».

De l'ancien jardin des moines on aperçoit l'élévation extérieure de l'église sur le côté nord et à l'orient. Les murs sont construits en partie en blocage, partie en appareil moyen, ornés de distance en distance par des contre-forts peu saillants.

Perpendiculairement au côté méridional de l'église s'étendaient les bâtiments monastiques, qui devaient se développer autour du cloître, dont on n'aperçoit non plus que l'emplacement. Le puits qui en occupait le centre subsiste encore. On doit rapporter la construction de l'église au XIIème siècle, d'après les ruines subsistantes, et comme le disait aussi il y a deux cents ans un moine de l'abbaye de Landevennec.

Le mur auquel s'appuyait vers l'orient la cour du cloître, a échappé également aux ravages. On y voit une porte à ogive qui doit être attribuée au XIIIème siècle.

C'est tout ce qui reste de l'ancienne abbaye de Landevennec.

L'église paroissiale ne présente pas de caractères anciens.

On y conserve des reliquaires qui ont appartenu à l'abbaye.

Deux présentent la forme d'un retable ou façade. Ils sont de petite dimension, en bois, garnis de lames d'argent d'un excellent, travail, aux armes de l'abbé Brient ; ils portent écartelé aux 1er et 4ème, la colombe tenant un rameau, et aux 2ème et 3ème un aigle accompagné en chef de deux étoiles.

Le troisième reliquaire, pareillement lamé de feuilles d'or et d'argent, peut se diviser en deux pièces ; elles imitent dans leur ensemble la forme d'un édicule ».

A cette description si exacte nous ajouterons quelques détails puisés dans l'Histoire manuscrite de D. Mars.

« L'église reconstruite au IXème siècle n'était pas, dit-il, celle qui existait de son temps (1647). Cette dernière, c'est-à-dire celle dont la description précède, était construite dans un style gothique qui n'était pas parfaitement pur. Son principal ornement était une tour élevée qu'on appelait la lanterne ; elle était ornée de vitraux coloriés ».

Les détails qui précèdent sont confirmés par ceux que contient la notice de M. Perrott, d'où nous nous bornerons à extraire le résumé suivant :

Ce qui reste de l'édifice sacré suffit pour en faire connaître le plan général, qui était celui d'une croix latine dont le transept est plus avancé vers l'est. Près de ce transept se trouve une abside à cinq pans, dont chacune des trois faces N.-E., E., et S.-E. forme la façade d'une petite chapelle hémisphérique très-peu profonde et pourvue de trois fenêtres dont celle du milieu est flanquée à l'extérieur d'arcs-boutants pleins, d'où il suit que ces chapelles ont l'apparence de tours semi-circulaires adossées aux murs. Les ailes ont-elles été construites autour de l'abside, comme à Loctudy, où l'on voit de plus une galerie au-dessus de l'allée circulaire ? c'est ce qu'on ne pourra affirmer que quand on aura déblayé le sol. M. Perrott croit qu'il en doit être ainsi, parce que l'abside est de la même largeur que le corps de l'édifice.

Un aveu de l'abbaye, fourni le 7 juin 1679 par Jacques Tanguy, donne sur l'église, le monastère, leur situation respective et leurs dépendances, des détails que nous reproduisons ici, parce que, joints aux descriptions qui précèdent, ils donneraient les moyens de figurer un plan exact des lieux tels qu'ils devaient être avant la destruction de l'abbaye.

Le manoir noble du Penity, habitation de l'abbé, avait de longueur à l’O. du principal corps de logis trois cordes [Note : Mesure de 24 pieds de longueur] 7 pieds. Au nord du manoir, une chapelle avec une grande salle y attenant (2 c. 8 p. de longueur). Au midi du manoir, un pavillon carré, avec deux chambres, écurie au-dessous, grenier au-dessus (3 c. 14 p.). A l'E., une maison à four avec la moitié de la grande écurie, un portail et une petite porte au milieu du mur d'enceinte de la maison (4 c. 15 p.). Ce manoir était entouré, à l'E. d'un mur de 12 p. de haut, à l'O. et au S. de chapelles, salles et du corps de logis principal ayant 17 p. de hauteur. A gauche était une petite cour carrée avec une crèche au bout du couchant de l'écurie joignant la chapelle au N.-E., écurie qui avait 2 c. 6 p. Une grange couverte en rosseau (sic) et ayant 2 c. 8 p. de longueur, sur 18 p. de diamètre et 8 p. de hauteur, était séparée du manoir. Les édifices ci-dessus étaient entourés d'un bois de haute futaie avec un jardin au sud, et deux pièces de terre au nord.

Devant l'entrée de l'abbaye se trouvait une place plantée, nommée la place du Marché, et présentant une surface carrée de 39 cordes.

A gauche du grand portail de la basse-cour et y attenant, une petite chapelle de 24 p. de longueur sur 18 de largeur et 8 de hauteur.

Un champ d'une contenance de 4 journaux 28 c., nommé le Clos du Manoir, était borné à l'E. par l'enclos des religieux, au S. et à l’O, par le bois de Penforn, au N. par des bois de haute futaie et la levée du manoir.

A l'O. de l'enclos des religieux se trouvait un verger donnant à l'E. sur la grève, au S. sur le bois de Penforn. Ce verger et la levée qui le joignait au jardin avaient une concenance de 2 journaux 71 c. On y voyait à l'O. une maisonnette servant de pressoir, ayant 18 p. de longueur, sur 12 de largeur et 8 de hauteur, et au N. un petit pavillon de 16 p. et demi de largeur.

Venait ensuite la garenne du Stiffel, Stiphel ou Stivel, où se dressaient les patibulaires de l'abbaye, et dont dépendait une aire ou rue à battre (sic). Elle était bornée à l'E. et au N. par des terres de la commune du Gorréquer, au midi par la mer, et à l'O. par Ros an Stiffel. Sa contenance était de 10 journaux 3 cordes.

Le grand Corps de l'église avait de longueur, prise en dehors, 6 c. 10 p., de largeur, prise par les ailes, 2 c. 5 p., et le tour de chapelles de l'église était de 3 c. 19 p.

Le dortoir avait 6 c. 3 p. de longueur sur 1 c. 2 p. de largeur ; le cloître, avec les bâtiments environnants, 3 c. 11 p. 1/2 de longueur, sur 2 c. 17 p. 1/4 de largeur.

Dans la basse-cour il y avait une forge, une écurie, une grange et la cuisine de l'abbaye. La cuisine avait 28 p. de longueur sur 22 de largeur, et les autres édifices, 4 c. 3 p. de longueur sur 17 p. 3/4 de largeur.

L'enclos de l'abbaye, renfermant les jardins, vergers, cour, basse-cour, les bois de haute futaie et les édifices, avait une superficie totale de 5 journaux (deux hectares et demi).

Le clos de Penforn, qui appartenait aux religieux, donnait à l'E. sur le verger de l'abbé ; au midi, dans toute son étendue, sur l'anse de Penforn ; à l'ouest, sur l'enclos du manoir du Penity ; et au nord, sur la levée. Sa contenance était de 2 journaux 25 cordes. Les religieux possédaient aussi la montagne de Penforn, ayant une superficie de 30 journaux 38 cordes. Elle avait pour limites, à l'E., au S., et sur une partie de l'O., la mer et la rivière de Châteaulin.

L'aveu du 7 juin 1679 nous fournit, indépendamment de ces détails, quelques renseignements sur la topographie de la ville (sic) de Landevennec. On y trouve l'indication de trois rues : 1° La rue conduisant à la rive de la mer, où étaient la maison presbytérale et la chapelle de Sainte-Gwen ou Blanche, située sur le bord de la mer et ayant 43 p. de longueur sur 19 p. 1/2 de largeur, et 10 de hauteur ; 2° la Grande Rue, où se trouvait l'église paroissiale, dont l'abbé était seul prééminencier, fondateur et présentateur, église qui avait 84 p. de longueur, 15 p. de largeur, 14 de hauteur compensée, et de circuit, le cimetière compris, 10 cordes et demie ; 3° la rue Pérennès, au bas de laquelle existait un courtil. L'aveu parle d'un autre courtil situé près de Notre-Dame (l'église paroissiale) et du four banal de l'abbé.

L'abbé Tanguy se déclarait, dans l'aveu, seigneur justicier de Landevennec, d'Argol et de Telgruc. Il y énumérait cinq prévôtés, dont les titulaires étaient tenus, sous peine d'amende, d'assister aux généraux plaids. Il y déclarait, en outre, avoir le droit de pêche dans la rivière de Châteaulin, le long des terres de l'abbaye.

L'existence de trois rues, peut-être même de quatre [Note : « L'une des rues de Landevennec portait, dit M. A. Vincent, le nom de rue des Orfèvres, ce qui indiquerait une certaine prospérité chez les anciens habitants ». Cette appellation était et paraît assez fréquente dans ces cantons, car nous la retrouvons donnée, à Daoulas, à un sentier où il ne semble pas qu'il ait jamais existé de maisons], à Landevennec, atteste, à elle seule, son importante relative avant la Révolution. Le nombre des communiants, d'après Ogée, était de 600, chiffre qui nous semblerait affaibli, s'il était vrai, comme le dit M. Vincent, qu'on y comptât alors 460 maisons. Quel que fût, du reste, à cette époque, le nombre de maisons et d'habitants, il est certain que, sous ce double rapport, il y a eu décroissance. Le nombre des maisons ne s'élèverait pas maintenant, selon M. A. Vincent, à plus de 60 et celui des habitants à 400 environ. Il y a vraisemblablement erreur dans ces chiffres. Nous ne saurions croire, en effet, que celui des maisons ait pu être réduit de 400, de 1790 à 1846, époque où écrivait M. Vincent. Il est avéré toutefois que la destruction de l'abbaye a très-défavorablement réagi sur la prospérité de Landevennec, centre, avant 1789, d'un mouvement commercial assez actif, imprimé par les moines eux-mêmes. Aujourd'hui, l'abattage des bois du couvent, devenus propriétés de l'Etat [Note : Le principal d'entre eux est le taillis appelé le Folcoat, séparé par un ruisseau en deux parties, l'une en Landevennec, l'autre en Argol. La partie située en Landevennec a une seperfieie de 288 hectares. Ce bois est le Lampigovensis sylva, où Salaün passa sa vie], est, à bien dire, la seule industrie des habitants, dont une quarantaine, propriétaires ou fermiers d'environ douze gabares de 20 tonneaux, s'emploient exclusivement à transporter ces bois à Brest. Cette ressource, autrefois si fructueuse pour le pays, s'affaiblit de jour en jour ; et si, plus actifs, moins esclaves surtout de la routine, les habitants du pays entendaient mieux leurs véritables intérêts, ils se livreraient de préférence, à la culture de la terre, à laquelle ils ne demandent guère que ce qui peut les nourrir pendant quatre ou cinq mois de l'année. Et pourtant une culture intelligente, favorisée par l'emploi du varech et du marl, qu'ils pourraient recueillir avec plus d'abondance qu'ils ne le font, fournirait amplement à tous leurs besoins, leur permettrait même d'exporter une partie de leurs produits, les fruits surtout, renommés à juste titre. Le prix de la terre augmenterait sensiblement. A cette première cause de prospérité se joindrait facilement l'exploitation du sol sous d'autres rapports. En effet, un gisement calcaire existe à l'entrée de la rivière de Châteaulin ; d'un autre côté, le sol renferme du minerai de fer, dont 900 tonneaux extraits et employés par les forges de Lanvaux (Morhiban) ont démontré la bonne qualité. On doit regretter que l'élévation des frais de transport ait paralysé cette branche d'industrie, comme elle paralysera toute tentative analogue tant que Landevennec ne sera pas mis en communication plus facile et moins dispendieuse avec les marchés qui pourraient s'y approvisionner.

La situation de Landevennec, au point de vue maritime, a maintes fois appelé l'attention des ingénieurs et des marins, qui ont recherché quel parti on en pourrait tirer. Le premier qui s'en soit occupé 'est Vauban, qui eut un moment l'idée d'y établir un port de refuge. Mais il l'abandonna, et se borna à conseiller d'en fortifier les abords. Après avoir énuméré les avantages que présente la rivière de Landerneau ; sous le rapport de la facilité et de la sûreté de l'échouage, à des vaisseaux qui, obligés de prendre chasse devant le temps, ou un ennemi trop supérieur, ne pourraient rallier le port de Brest [Note : Le peu de largeur du chenal, à l'entrée du port de Brest, inspirait à Vauban des appréhensions d'autant plus fondées, le cas échéant d'une retraite qui aurait contraint plusieurs vaisseaux à y entrer simultanément, que ce chenal était, est même resté jusqu'à ces derniers temps, occupé en très-grande partie par un écueil nommé la Rose que les navires de guerre devaient éviter avec beaucoup de précautions. Ce danger est à la veille de disparaître, grâce aux habiles travaux de M. Verrier, ingénieur des travaux hydrauliques an port de Brest. La Rose, avant qu'on en eût commencé l'extraction, avait son point culminant à 0m,75c en contre-bas des marées basses d'équinoxes. Sa base, prise à la rencontre de la roche avec le sable, c'est-à-dire, à une profondeur variable de 5m à 5m,75, en contre-bas des mêmes marées, avait sensiblement la forme d'une ellipse ayant pour axes 30m de l’est à l'auest et 20m du nord au sud. Jusqu'à ce jour, il en a été enlevé environ 550 mètres cubes de moellons au moyen de caisses métalliques et de bouteilles de grès chargées chacune de 50 à 60 kilogr. de poudre de mine et déposées sur le rocher à la marée haute par des plongeurs revêtus du scaphandre. Deux fusées Bickford recouvertes de gutta-percha et maintenues verticalement au moyen d'un flotteur pénètrent dans chaque caisse ou bouteille, à travers une tubulure fermée d'un bouchon de liége. On peut évaluer à 3m,00 l'abaissement moyen de la roche en contre-bas des marées basses d'équinoxes, et, dans plusieurs endroits, elle est abaissée jusqu'au sable], il s'exprimait ainsi au sujet de Landevennec, dans le mémoire sur les moyens de défense de Brest qu'il rédigea en 1683, lors de son premier voyage en cette ville : « Landevennec, dit-il, est un excellent port, qui ne le cède pas à celui de Brest, et qui même le surpasse, puisque de Landevennec en amont les plus grands vaisseaux pourroient y être à flot à basse mer, deux lieues durant, y ayant ordinairement huit à dix brasses d'eau ; mais ce port ne peut pas faire l'effet de la rivière de Landerneau, attendu : 1° que l'entrée en est extrêmement large, ce qui rendrait les batteries inutiles ; et 2° que le même vent qui porte à son embouchure devient directement contraire à l'entrée du port, où on ne saurait entrer qu'en se touant (c'est-à-dire à l'aide d'amarres frappées sur des ancres, sur des quais, et sur lesquelles on fait force à la main ou avec des cabestans), ce qui ne peut convenir à la retraite d'une armée battue et poussée, parce que les vaisseaux, étant arrêtés par la difficulté de l'entrée, s'amoncelleraient les uns sur les autres et seraient facilement brûlés. Il serait toutefois à propos d'y faire quelques batteries fermées par derrière, et soutenues de quelques tours, pour empêcher l'ennemi de s'en emparer dans une affaire ! ».

Un officier d'un grand mérite, dont l'aptitude n'est appréciée que des ingénieurs, M. le marquis de Pezay, connu par sa traduction de Catulle et de Tibulle, plutôt que par ses travaux sur l'art de fortifier et de défendre les places, a, de son côté, exprimé une opinion défavorable à l'établissement d'un port à Landevennec. Cette opinion est consignée dans son Mémoire local et militaire relatif à Brest, qu'il rédigea dans le cours d'une mission secrète accomplie, en 1775, par ordre de Louis XVI, mémoire considéré par les hommes spéciaux comme exprimant les opinions les plus saines sur la matière. On y lit : « La rivière de Landevennec a la direction de son cours du S.-E. au N.-0. Elle est navigable jusqu'à cinq ou six lieues en remontant dans les terres, vers l'abbaye considérable dont elle porte le nom. Près de cette abbaye, ladite rivière forme un golfe assez profond et assez spacieux pour avoir rendu possible le projet déraisonnable d'établir là un nouveau port de Roi. On taxe ce projet de déraisonnable à plusieurs titres : 1° Ce nouveau port se trouverait trop rapproché de Brest pour remplir aucun des objets que Brest lui-même ne pourrait pas remplir. 2° Ce port n'ayant d'autre issue possible, vers la grande mer, que par la rade de Brest, il s'ensuivrait que l'ennemi, croisant en force sur Ouessant et fermant par conséquent le goulet, masquerait d'un temps les forces réunies de ces deux ports. 3° Le port de Landevennec se trouverait à la fois dans l'impossibilité d'être secouru, et dans le cas d'être attaqué avec avantage du côté de la baie de Douarnenez ».

Ces conclusions si nettes, si précises, semblaient devoir faire écarter tout projet de créer à Landevennec une annexe du port de Brest, dotée comme lui de chantiers, magasins, cales de construction, etc. Il n'en fut rien pourtant. La question fut de nouveau agitée pendant la guerre de 1778, et jusqu'en 1785 divers projets furent soumis au ministère. L'un d'eux reçut même un commencement d'exécution, mais il fut bientôt abandonné. Il avait été combattu par M. le vice-amiral Thévenard., dont les principales objections ont été reproduites, pp. 232-239 de ses Mémoires relatifs à la marine, publiés en l'an VIII. Après avoir détaillé, en homme essentiellement pratique, les avantages de la rade de Brest, plus favorable que la rivière de Châteaulin à la sortie des vaisseaux, il pensait que les positions respectives de Brest et de Landevennec mettraient les deux ports en opposition directe pour manœuvrer les vaisseaux d'un même vent, surtout de celui du nord, dont les premiers souffles sont si propices à ceux qui ne veulent que franchir promptement le goulet. Un port à Landevennec lui semblait donc ne pouvoir être établi qu'à deux conditions : 1° L'élévation sur les deux rives d'une enceinte fortifiée qui aurait occupé les hauteurs à l'ouest, précaution d'autant plus nécessaire que le fond de la baie de Douarnenez, vers le N.-E., offre des plages de débarquement d'où, avec trois ou quatre mille hommes, on peut arriver à Landevennec, en deux heures de marche, par un terrain uni et découvert. 2° Le placement, sur une distance de 8000 toises, depuis la sortie du port de Landevennec jusque par le travers de l'île Ronde, de seize corps-morts espacés à 500 toises ou cinq encâblures les uns des autres, pour que les vaisseaux contrariés dans leur marche pussent s'y touer en attendant le moment d'appareiller. Toutefois, il ne pensait pas que la dépense qu'auraient entraînée les fortifications, les édifices, l'entretien d'un personnel militaire et administratif, et les autres charges accessoires, fût compensée par l'utilité qu'on aurait retirée du nouveau port.

Un nouvel examen de la question avait eu lieu en 1842. Après l'avoir envisagée sous toutes ses faces, et s'être livré à une étude approfondie des lieux, M. Trotté dé la Roche, directeur des travaux maritimes du port de Brest, et les commissions qui lui furent adjointes en 1845 et 1846, avaient proposé d'établir un parc à charbons d'une superficie de huit hectares sur la pointe de Penforn, en face de l'anse du même nom. Cette position offrait tous les avantages désirables, la nature y ayant creusé un bassin profond où quarante vaisseaux trouveraient un mouillage sûr. Un des motifs déterminants avait été la facilité d'embarquer, au moyen d'appareils peu compliqués et de postes faciles à desservir, les charbons de la Haute-Loire que l'auteur du projet se proposait de faire parvenir à Landevennec. Ce projet a été abandonné, parce qu'il présentait quelques inconvénients résultant notamment de la distance de Landevennec à Brest, et de la présence, à l'embouchure de la rivière de l'Hôpital, dans la rade de Châteaulin, d'une barre qui avait été méconnue du vice-amiral Thévenard. On s'est alors déterminé à excaver le Parc au Duc, à l'entrée du port de Brest, pour y établir un dépôt de charbons qui pourra contenir environ 16,000 tonnes de ce combustible. Toutefois, cet approvisionnement étant loin de suffire aux besoins de la marine militaire, un autre dépôt beaucoup plus vaste est projeté le long de la jetée extérieure du port de commerce qui doit être fait à Porstrein. Enfin, dans certains cas exceptionnels tels que celui de l'imminence d'une guerre maritime avant l'achèvement de ce port de commerce, les avantages spéciaux de Landevennec y permettraient l'établissement d'un parc supplémentaire, provisoire ou définitif.

En l'état, les ressources que Landevennec offre à la marine militaire sont : 1° d'obvier à l'encombrement du port de Brest, en faisant de l'anse de Penforn le mouillage d'un certain nombre de bâtiments désarmés, à l'exemple de ce qui eut lieu dès 1697, époque où le ministre Pontchartrain prescrivit à l'intendant Desclouzeaux d'y faire conduire douze vaisseaux. — Ce fait s'est reproduit depuis deux ans, mais. sur une plus grande échelle. Trente vaisseaux ou frégates stationnent dans l'anse de Penforn, sur un fond d'excellente tenue. Le nombre de ces vaisseaux pourrait être doublé si l'on prolongeait le mouillage jusqu'à la roche du Moine ; — 2° de permettre, à proximité, la construction des chantiers et magasins nécessaires au service de ces vaisseaux ; — 3° d'établir un dépôt supplémentaire de charbons.

Si la situation de Landevennec a fait concevoir d'autres projets, ils reposent sur des bases trop incertaines et leur réalisation est d'ailleurs subordonnée à trop d'éventualités pour qu'il soit opportun de s'en occuper ici.

(P. Levot).

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