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LES FILLES DE SAINT-THOMAS DE VILLENEUVE

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Jadis, l'on voyait à la porte des prieurés ou chapelles de Lamballe un hôpital pour les pèlerins ou étrangers à Saint-Jacques de Mouëxigné, un autre pour les lépreux à Saint-Barthélémy de Saint-Lazare. Le plus vieux de nos hôpitaux, Notre-Dame de l'Hôtellerie, remontait à une époque très reculée : sa reconstruction vers la moitié du dix-septième siècle lui a fait perdre son caractère et son style ogival. Cet Hôtel où Maison-Dieu figurait dès 1387, dans les comptes de Colin et de Lescouet, receveur du comté de Penthièvre. Pendant les guerres civiles du XIVème et du XVème siècle, les établissements charitables de Lamballe, comme partout en France, furent pillés, saccagés et complètement ruinés ; aussi, pendant les deux siècles suivants, la charité fut totalement désorganisée. La vérité sur ces faits était déjà connue par le Béarnais, presque à la veille d'être roi de France, quand il traversa la Champagne dont les petits hôpitaux mis à sac étaient abandonnés et dont les terrains étaient cultivés par les habitants.

On raconte à ce sujet l'anecdote suivante qui lui arriva en 1592. Le Béarnais entre un jour dans un de ces petits hôpitaux ou maladreries dans lequel un vieil abbé, resté seul, mourant de faim, n'avait à lui offrir que de l'eau et un dernier morceau de pain de sarrasin et de seigle ergoté. Aussitôt l'offre faite, le Béarnais, en retour de générosité, « fait apporter un bon dîner avec vin de Champagne et vin de Jurançon, en invitant le pauvre religieux à le partager avec lui. Le bon abbé accepte l'offre du roi huguenot, à cause de sa charité ; et, pendant le repas, il se plaint à lui de l'injustice du Parlement de Paris à leur égard, puisqu'ils n'ont rien à se reprocher et qu'ils sont, au contraire, les véritables victimes des dévastations et des ravages occasionnés par la guerre. Cela dit, soit par distraction ou pour se remettre de son émotion, il veut mettre de l'eau dans le vin du roi : Halte-là, répond le Béarnais, quand le vin est bon, je n'ai pas l'habitude de le dénaturaliser ; merci. Mais, quant à tes plaintes légitimes, je te jure, ventre saint Gris, mon Révérend Père, qu'elles ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd ! Et, si jamais j'entre en roi dans ma bonne ville de Paris, après avoir abjuré le protestantisme, je te promets que moi ou mes successeurs nous saurons mettre en temps opportun, pour vous protéger contre l'injustice, un peu d'eau dans le vin du Parlement ».

Et l'histoire nous apprend que le bon roi Henri IV tint parole au Béarnais ! ! ! Car, douze ans plus tard, le triste spectacle des dévastations des petits hôpitaux et maladreries de France lui donna la première idée de rendre ses édits de 1604 et 1606 sur les mendiants, les vagabonds et les faux estropiés qui les pillaient. Mais, ce que les édits royaux furent impuissants à réaliser, la charité catholique le fit.

La communauté de la ville de Lamballe choisissait dans son sein des administrateurs pour les recettes et dépenses de nos hôpitaux ; et, pendant plus de trois cents ans, elle laissa à des mercenaires le soin de distribuer aux pauvres vieillards et aux malades quelques soins inintelligents et avares. Il était réservé au dix-septième siècle d'organiser, si je puis m'exprimer ainsi, et de révéler au monde les merveilleuses industries de la charité chrétienne. Ce fut l'oeuvre immense à laquelle se voua l'une des plus pures gloires du catholicisme, notre illustre et incomparable saint Vincent de Paul. La parole et surtout l'exemple de ce grand homme reçurent de Dieu une fécondité inouïe.

Le nombre des malades grandissait en proportion des calamités publiques. Lamballe fut souvent visité par la peste et les maladies contagieuses. Une succursale avait été ajoutée, depuis des siècles, sous le nom d'hospice Saint-Yves, qui recueillait les enfants indigents ou abandonnés et les vieillards infirmes.

Les pillages de 1589, 1590 et 1591 achevèrent de porter le désordre et la ruine dans l'administration des hôpitaux pour lesquels cependant beaucoup d'âmes généreuses faisaient de nombreux et généreux sacrifices.

Dieu qui prévoyait que des jours mauvais allaient venir, où l'on s'armerait contre l'Eglise et ses enseignements les plus purs et contre lui-même de ses plus grands bienfaits ; où l'on chercherait à éteindre dans les âmes le feu sacré de la charité, sous la main glacée d'une impiété prétendue philanthropique, suscita un homme selon son coeur, personnifiant en lui la charité et la miséricorde évangéliques, un saint et vénérable religieux, le Révérend Père Ange Le Proust, Prieur des Petits Augustins de Lamballe, qui fut, on peut le dire en toute justice, le Vincent de Paul de notre Bretagne.

C'est en voyant l'immense détresse de nos hôpitaux que ce charitable religieux sentit son coeur s'émouvoir de pitié pour une si grande infortune et pour les pauvres, ses frères bien-aimés, dont le dénuement et la misère lui arrachaient des larmes. A peine arrivé dans notre ville, il dut inaugurer son entrée en charge par une solennité touchante : Saint Thomas de Villeneuve, après avoir illustré le cloître et la dignité épiscopale par son héroïque et merveilleuse charité, venait d'être canonisé. Cet événement couvrait de gloire l'ordre des Augustins, auquel ce grand saint appartenait ; aussi, les religieux de Lamballe se disposèrent-ils à le célébrer avec toute la pompe du culte divin. Le Père Ange avait un motif d'être plus heureux encore que ses confrères. Saint Thomas était le modèle qu'il s'était le plus particulièrement proposé, le jour même de sa consécration religieuse. La solennité, à l'occasion de la canonisation, dura huit jours entiers. Pendant toute l'octave, la belle église ogivale des petits Augustins où elle eut lieu, ne cessa de se remplir de pieux fidèles, avides d'entendre le récit des grandes choses opérées par le serviteur de Dieu. Le prieur du couvent passa lui-même presque tout son temps au pied des autels, consacrant à de ferventes oraisons les loisirs que lui laissait le saint ministère. Or, un jour qu'il était, devant le Saint-Sacrement exposé, profondément absorbé dans une méditation sur la tendre charité du saint archevêque, il se sentit fortement inspiré de fonder sous son patronage une société de vierges qui se dévoueraient au service des pauvres. C'est de cette pensée féconde que devait sortir l'Institut des Filles de Saint-Thomas de Villeneuve.

Trois âmes d'élite, qu'il cultivait depuis longtemps, le secondèrent admirablement pour la fondation de l'oeuvre qu'il avait tant à coeur. Plus heureux que le Père Vezelai qui tenta de fonder une oeuvre semblable à Guingamp, il eut la joie de voir ses efforts couronnés d'un plein succès. Il réunit donc auprès de lui deux lamballaises, Mesdemoiselles Anne Le Maignan du Canton et Lorans du Breuil, avec Mademoiselle Le Bohu de la Pommerays de Saint-Aaron, pour fonder une société de filles chrétiennes qui se consacreraient à Dieu par les trois voeux de religion et se dévoueraient au service des pauvres dans les hôpitaux.

La ville de Lamballe, comme nous l'avons vu, possédait alors deux hospices, l'un appelé Notre-Dame de l'Hôtellerie, plus tard Hôtel-Dieu ou Petit Hôpital, l'autre connu sous le nom de l'Hospice Saint-Yves ou Grand Hôpital. Or, rien de plus affligeant que l'état où se trouvaient réduits ces deux établissements.

Le service était laissé aux mains de quelques personnes à gages, n'ayant de dévouement que pour leur salaire, avares de leur temps et de leurs soins, sans intelligence des besoins matériels des malades ni de leurs besoins spirituels et moraux.

Voilà comment l'Eglise catholique seule a le culte de la pauvreté qu'elle souffle au coeur de ses vierges, que les religions dissidentes lui envient, mais qu'elles n'ont jamais pu imiter.

C'est ce que comprenaient admirablement M. Jean Lorans du Breuil, procureur-syndic de Lamballe, chrétien sage et éclairé, ainsi que les Administrateurs qui l'assistaient. Aussi, acceptèrent-ils avec empressement la demande du Père Ange et de ses Filles qui avaient choisi l'Hôtel-Dieu pour en faire le théâtre de leurs premiers travaux.

Leur installation se fit le 2 mars 1661 ; Mesdemoiselles de la Pommerays, du Breuil et du Canton y furent conduites en grande pompe par le clergé et les magistrats, au chant du Veni Creator et au milieu d'une foule immense accourue de toutes les paroisses voisines.

Ce fut un émouvant spectacle de voir ainsi trois demoiselles dans la fleur de la jeunesse et de leur beauté, riches d'un noble nom et appartenant aux premières familles du pays, dire adieu au monde qui les enviait, à leurs familles qui les pleuraient, à l'avenir brillant qui leur était promis, pour devenir les humbles servantes des pauvres et des malades.

A peine arrivées à l'Hôtel-Dieu, les Hospitalières de Saint-Thomas transformèrent cet établissement et firent succéder l'ordre au désordre, une sage économie à des dilapidations journalières, la paix aux troubles, avec toutes les bénignes influences de notre sainte religion. Une nouvelle ère commençait pour cette maison et l'histoire de ses premières religieuses en devint la page la plus glorieuse. La Mère du Canton remplaça à l'Hôtel-Dieu, comme supérieure, la Mère de la Pommerays qui emporta avec elle, dans la tombe, les regrets unanimes de tous ceux qui l'avaient connue et la regardaient comme le type parfait de la véritable soeur hospitalière. Ce fut alors que le Père Ange Le Proust rédigea les Constitutions et les remit à ses filles spirituelles.

Ces statuts sont empreints d'une grande sagesse. Le fond en a été emprunté à la règle du Tiers-Ordre de Saint-Augustin. On y reconnaît le véritable esprit de l'Evangile, cet esprit de force et de douceur qui rend léger le joug de l'obéissance, sans compromettre l'autorité. Les Constitutions une fois en vigueur, tous les membres de l'Institut prirent l'habit religieux et furent admis à prononcer les voeux perpétuels.

A partir de ce moment, l'on put dire, en toute vérité, que l'oeuvre du Père Ange était assurée pour l'avenir et que la congrégation dont il avait eu l'heureuse et féconde idée était solidement fondée. Et voilà que ce grain de sénevé béni de Dieu se développe et produit un grand arbre dont les rameaux s'étendent dans la Bretagne tout entière et jusque dans la capitale de la France où l'Institut posséda jusqu'à quatre maisons. Le Père Le Proust eut bientôt des établissements à Saint-Brieuc, Moncontour, Dol, Saint-Malo, Rennes, Quimper, Concarneau, Landerneau, Brest, Morlaix, Malestroit et Châteaubriant.

Toutes ces fondations ne se firent pas sans que le fondateur eût à surmonter bien des difficultés de tous genres. Dieu ne ménage pas les épreuves à ceux dont il veut faire ses instruments.

Tantôt il avait affaire avec des administrateurs d'hospices bizarres et stupides ; tantôt il avait à soutenir des procès pour recouvrer ou conserver le bien des pauvres. Ses confrères en religion eux-mêmes blâmèrent hautement un zèle qu'ils regardaient comme exagéré et contraire à l'esprit de leur ordre ! ! ! Mais le Père Ange, fort de la protection d'en haut, marcha toujours vers son but, sans jamais se laisser décourager un seul instant.

Ce que l'on raconte de sa charité est vraiment admirable : après avoir récité l'office des religieux, à minuit, il prenait à peine une heure de repos et se rendait à l'Hôtel-Dieu où il prodiguait aux malades les soins les plus pénibles et les plus rebutants. Son immense amour pour les pauvres qui inspirait et dirigeait toutes ses démarches, prenait sa source dans son grand amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans l'esprit de pauvreté et de mortification dont il était pénétré.

En 1684, la ville de Lamballe, voyant les heureux changements que les religieuses avaient apportés dans l'administration de l'Hôtel-Dieu, proposa à ces filles charitables de se charger du second hôpital de la ville, connu sous le nom de Grand Hôpital ou Hospice Saint-Yves. Le 5 novembre de la même année, la Mère Jeanne Le Blanc de Boisanne prenait possession de cet établissement. Elle nous a laissé écrit de sa main, le touchant récit de son entrée dans cet hospice qu'elle venait régénérer. Ce manuscrit nous montre toute l'étendue du mal auquel l'institution du R. P. Le Proust était appelée à remédier.

« Lorsque j'entrai dans l'hospice, écrit-elle, je fus fort étonnée de ne voir personne. J'appelai à plusieurs reprises, nul ne me répondit : enfin, avec un long effort, une tête se souleva à demi du milieu d'un tas de fumier et dit d'une voix mourante : " Au nom de Dieu, assistez-nous ". Je découvris alors ce quelque chose qui gémissait et rampait dans une paille humide et infecte. C'étaient les enfants de l'hospice ! ! ! Ils n'avaient vu personne depuis la veille et mouraient littéralement de faim : les moins affaiblis étaient allés mendier en ville ; les autres restaient abandonnés, attendant la mort. Je cours à la cuisine, à l'office, tout était vide : je dépêchai la soeur converse qui était venue avec moi vers la Supérieure de l'Hôtel-Dieu qui se hâta d'envoyer du vin, du bouillon, des biscuits et des oeufs. Les pauvres enfants commencèrent à revivre. Après avoir pourvu à leurs plus pressants besoins, je voulus mettre ces petits malheureux plus à l'aise dans leurs lits, mais, quand j'eus soulevé les misérables haillons qui les couvraient, je reconnus qu'ils n'avaient, les infortunés, ni draps, ni chemises, ni couvertures ; leur couche n'était qu'un monceau de guenilles toutes pourries et pleines de vers. A ce spectacle, je ne fus plus maîtresse de moi-même, je me mis à pleurer à chaudes larmes et je m'abandonnai au découragement, quand survint M. Jacques Lesné, recteur de Saint-Martin : " Consolez-vous, Madame, me dit-il, il faut avoir confiance en Dieu : soyez leur mère, moi je leur tiendrai lieu de père ". Il sortit, me laissant consolée, et bien que la terre fût couverte de neige et qu'il fût bientôt impossible de se procurer de fourrages, il revint avant la nuit avec deux charretées de paille et deux douzaines de couvertures. Le bon recteur ne s'en tint pas là ; il visita les plus riches maisons de la ville et sa quête fut assez heureuse pour que tous les enfants eussent des draps et des chemises et pussent être convenablement couchés dès le premier soir ».

Peu de temps après, les religieuses de Saint-Thomas avaient complètement renouvelé notre pauvre hospice au point de vue matériel et moral. Avec les ressources dont elles disposaient et les aumônes qu'elles recueillirent, elles achetèrent des métiers de tisserands et firent initier les enfants de l'établissement au tissage des étoffes du pays. Du même coup, elles procuraient une nouvelle source de revenus pour l'hospice, tout en y introduisant un puissant moyen moralisateur, le travail. Comment énumérer toutes les fondations et les abondantes aumônes qu'elles valurent à la maison et qui permirent de subvenir aux besoins du grand nombre de pauvres qui incombaient alors à la ville ?

Quant à leur dévouement, il faut l'avoir vu à l'oeuvre pour l'apprécier à sa juste valeur. Dégagées de toutes les préoccupations de la vie, les Hospitalières de Saint-Thomas de Villeneuve n'ont qu'un but, qu'une pensée, c'est d'atteindre l'idéal qui remplit leur âme : le dévouement et le sacrifice. Rien ne les arrête, rien ne leur répugne. Elles entourent les malades, les vieillards et les orphelins de leur pieuse et maternelle sollicitude. Etrangères à tous les événements, elles n'ont qu'un mobile, la charité ; qu'un but, le soulagement et la consolation de toutes les souffrances qui peuvent assaillir l'homme du berceau jusqu'à la tombe. Il faut avoir le courage que donnent une foi vive et, une charité ardente pour faire ce qu'elles font dans tous nos hôpitaux, car, je le demande, y a-t-il quelque chose de plus répugnant, de plus dégoûtant que de soigner des poitrinaires aux crachats purulents ? que de panser des plaies gangrenées où fourmillent les vers à l'odeur nauséabonde et repoussante ? Eh bien ! elles font tout cela simplement, sans pose, le sourire aux lèvres. Nous avons vu dans notre hôpital une de nos excellentes religieuses tenir, de sept heures du soir à quatre heures du matin, un pauvre enfant agonisant dont le front, ouvert par une chute, laissait échapper des flots de sang qui maculait sa guimpe blanche. Que de pères de famille, que de malheureux doivent la vie à leurs soins aussi intelligents que dévoués ! Que de fois ne les avons-nous pas vues s'imposer des veilles, pendant huit et dix jours, pour surveiller des artères coupées dont l'hémorragie devait fatalement amener la mort des blessés !

Ecoutons un homme qui a longtemps vécu avec les soeurs des hôpitaux : « Honneur donc et gloire, dit-il, à ce saint et vénérable religieux, le R. P. Le Proust, dont la statue devrait s'élever depuis longtemps sur l'une de nos places publiques pour perpétuer à jamais la reconnaissance de Lamballe, pour avoir arraché à la ruine notre hospice où ces religieuses se dévouent depuis plus de 230 ans, avec un zèle admirable et un désintéressement qui n'a pas son pareil dans aucun autre ordre hospitalier »

« Je les ai vues nombre de fois, ces excellentes sœurs hospitalières, dans ces tristes salles d'hôpital où elles savent faire luire un rayon de gaîté. Rien de triste et lugubre comme ces salles aux blanches murailles, avec ces files de lits aux blancs rideaux ; on se sent le coeur pris comme dans un étau ; mais, quand la soeur entre avec un doux sourire sur les lèvres, le coeur s'épanouit et la tristesse s'envole. Je les ai vues causer tendrement avec les malades, avoir un bon mot pour tous, des prévenances incroyables. Et jamais un mot d'impatience, jamais un signe d'irritation. S'il est des femmes, des religieuses aimées du peuple, ce sont bien celles-là. Je les ai vues à l'Enfant-Jésus avec de pauvres bébés souffreteux que les médecins cherchent à sauver du mal affreux qui les ronge si jeunes ; je les ai vues les comblant de soins, attentives à leurs moindres gestes, les gâtant comme de jeunes mères. Caché au coin d'une porte, j'admirai l'une d'elles qui avait pris par les mains un tout petit bébé de trois ans et le faisait danser en lui chantant doucement une ronde, souvenir d'enfance bretonne » (Cosnier. Les Sœurs hospitalières). Je n'en finirais pas, s'il fallait citer tous les témoignages rendus au dévouement des Hospitalières de Saint-Thomas de Villeneuve et à l'héroïsme de celles qui sont mortes victimes de leur charité.

Le décret du 15 avril obligeant les aumôniers et les soeurs hospitalières à prêter le serment schismatique à Constitution civile du clergé, la persécution révolutionnaire pénétra jusque dans les asiles de la souffrance, ne tenant aucun compte des services rendus. Heureusement, il y avait comme aumôniers aux hôpitaux de notre ville, deux prêtres qui proclamèrent, avec la sainte audace et le courage des vrais soldats du Christ, la doctrine de Jésus-Christ, en face des tyrans de l'époque. Ces deux admirables modèles de l'apôtre et du confesseur de la foi, c'étaient MM. Henri Briosne, aumônier de l'Hôtel-Dieu, et Duchemin, aumônier de l'Hospice Saint-Yves.

Avant leur départ pour l'exil, ils avaient tous deux encouru la colère et la haine des administrateurs républicains, parce que leur attachement inébranlable à l'Église catholique faisait contraste avec la lâcheté des prêtres assermentés. Avant de quitter leurs pauvres et leurs malades, ils avaient eu soin de les prémunir contre tout entraînement dans l'erreur schismatique. Le sans-gène de M. Duchemin les humiliait et finit par échauffer tellement leur bile qu'ils appelèrent le Procureur de la Commune à leur secours. Celui-ci s'empressa de lancer un réquisitoire furibond, dans lequel il affirmait : « que le public murmurait contre la présence du sieur Duchemin à Lamballe et contre sa conduite inconvenante envers le curé constitutionnel, Clérivet, dont il ne craint pas de se moquer même en public ! ! ».

Il le faisait suivre de plusieurs considérants assez curieux, dont voici quelques-uns : « Vu que les religieuses de l'hospice, n'étant pas cloîtrées, doivent se présenter à la paroisse et n'ont pas besoin de chapelain ; vu que le sieur Duchemin n'est pas seulement le chapelain des religieuses, mais encore des malades de la ville qui se trouvent à l'hôpital, et qu'à ce titre il importe que l'hôpital soit immédiatement desservi par un prêtre-citoyen ; considérant enfin que la présence du sieur Duchemin met le trouble dans cette maison, et que le salut du peuple est la suprême loi (mensonge éhonté), et que la municipalité doit prendre tous les moyens utiles pour arriver à cette fin, le Conseil arrête unanimement que Duchemin sera conduit, dans le plus bref délai, au département par la gendarmerie nationale, pour être statué par les administrateurs, ainsi qu'il appartiendra » (Archives municipales. Séance donnée le 28 juillet 1791).

Averti à temps, par des amis fidèles, M. Duchemin n'attendit pas les gendarmes et se mit en sûreté, ainsi que son collègue, M. Henri Briosne. Après s'être cachés, pendant plus d'une année, dans les environs d'où ils revenaient très souvent à Lamballe, pour y administrer les sacrements, ils s'embarquèrent avec plusieurs autres confrères, le 28 octobre 1792, à Erquy, d'où ils se rendirent à Jersey. De là ils allèrent à Londres avec MM. Metris de la Salette et Jean-Baptiste Briosne. Doué d'une intelligence remarquable et des plus heureuses qualités, M. Henri Briosne alla étudier à Rome et en revint vers 1804, docteur en théologie et en droit canonique. Quelque temps après, atteint de fièvres contractées en Italie, il mourut à Lamballe dont il était originaire, ainsi que son frère Jean-Baptiste.

Les Hospitalières de Saint-Thomas de Villeneuve se montrèrent les dignes émules des Ursulines et eurent même une gloire de plus que ces dernières, car plusieurs d'entre elles furent emprisonnées pour leur foi. Malgré les vexations et les avanies qu'on leur faisait subir presque chaque jour, elles continuèrent, aussi longtemps que leur conscience le leur permit, de donner leurs charitables soins aux pauvres et aux malades de nos deux hôpitaux. On ne tenait aucun compte de leur généreux dévouement, aussi, étaient-elles soumises à une surveillance aussi outrageante qu'injuste. Mais rien ne les empêcha de se conserver dans l'esprit de leur saint état et dans l'attachement à la foi catholique avec une unanimité et une énergie qui leur font le plus grand honneur.

Dès le commencement du mois de juillet 1791, l'on se plaignit amèrement « de ce que les religieuses de l'hospice Saint-Yves, poussées par l'esprit de fanatisme le plus inconcevable, ne se contentaient pas de blâmer la conduite des prêtres jureurs et de s'absenter des offices de la paroisse, mais empêchaient les pauvres d'y assister ! ». La délibération qui décida leur renvoi mérite d'être reproduite tout entière, car elle est pour nos excellentes religieuses un vrai titre de gloire.

« Le Conseil Général, considérant que la liberté des opinions religieuses ne peut être permise qu'autant qu'elles n'apportent pas de troubles dans la société, que si l'on peut avoir telle ou telle opinion, on ne doit point chercher à la faire adopter aux autres, surtout lorsqu'elle n'est pas conforme aux lois de l'Etat ; considérant que les religieuses de l'Hôpital sont chargées de l'éducation des enfants pauvres qui y sont élevés ; que tout instituteur ou institutrice est obligé de prêter serment à la Constitution ; que ces religieuses s'y sont toutes opiniâtrement refusées et que leur entêtement met la division dans l'hôpital ; considérant encore que tous les établissements publics sont sous la surveillance immédiate du corps municipal, qu'il a conséquemment le droit de réprimer, de la manière qui lui paraît la plus avantageuse, les abus qui peuvent s'y commettre. Le dit Conseil, ouï le Procureur de la Commune en ses conclusions, a arrêté que les religieuses du dit hôpital Saint–Yves seront tenues d'en déguerpir (sic) sous les vingt-quatre heures, sauf à pourvoir à leur remplacement. Fait et arrêté en la maison commune, le vingt-six septembre mil sept cent quatre-vingt-onze. Pierre-Marie Loncle, Lebot, Bichemin, Levavasseur, maire, Duval, Le Dosseur, Nérose, Paulmier, procureur » (Archives municipales. Séance du 26 septembre 1791).

Voilà des noms qui méritaient trop d'être attachés au pilori de l'histoire pour que nous les eussions laissés dans l'ombre.

L'on ferma la chapelle dont les portes furent pattefichées et scellées. Les ordres de la société républicaine, organe direct des loges maçonniques, ayant prévalu, ils furent écoutés et suivis à la lettre. Ils expulsèrent donc, après plus de cent ans de services rendus, sachant bien qu'il leur serait impossible de les remplacer près des pauvres et des malades, ces charitables Filles de Saint-Thomas qui n'avaient jamais demandé qu'à se dévouer et à consoler les malheureux.

Malgré toutes les précautions que prirent les religieuses pour tenir secret le jour de leur départ, il fut connu dans toute la maison. Ce jour fut un jour de larmes et de désolation où notre pauvre hospice fut témoin de scènes déchirantes, impossibles à décrire.

Un matin donc, toutes nos bonnes religieuses se réunirent, les larmes aux yeux, larmes furtives bien vite essuyées, car elles ne voulaient faire de chagrin à personne. Elles font une dernière ronde comme à l'ordinaire, donnant à tous, comme si rien d'extraordinaire n'allait se passer, une parole de consolation, d'espoir, un sourire d'amie ; elles ont dit ensemble une dernière prière, y mêlant ceux qu'elles laissaient et ceux qui les chassaient, montrant le ciel à ceux qui avaient des paroles de révolte ; et jetant en arrière sur les salles aux blanches murailles et les lits aux blancs rideaux un dernier et timide regard, elles ont disparu silencieusement.

Les pauvres malades, dressés sur leur séant, les regardaient, le coeur rempli d'angoisse, écoutant pour la dernière fois leurs douces paroles ; ces paroles semblables à des caresses qui les berçaient dans leurs prières et les endormaient avec des rêves d'espoir; ces paroles qu'ils étaient toujours si heureux d'entendre et auxquelles elles joignaient un doux sourire, semblable à un soleil dans la nuit de l'hôpital, entendant encore une fois le bruit des grains du chapelet qui leur annonçait l'arrivée de la soeur, venant tendrement se pencher sur leur chevet et leur demander s'ils n'avaient besoin de rien. Et ce matin-là, quand la dernière religieuse eut disparu derrière la dernière porte, les pauvres vieillards et infirmes se penchant sur leur oreiller le mouillèrent de larmes bien amères.

Quand, avant de partir, les religieuses voulurent embrasser une dernière fois leurs chers orphelins, ces pauvres petits se cramponnèrent à leurs robes, en poussant des cris lamentables. A ce moment, les Filles de Saint-Thomas n'y tinrent plus, les sanglots étouffèrent leurs voix, et elles mêlèrent leurs larmes à celles des malheureux enfants auxquels on les enlevait de vive force et aux étreintes desquels elles eurent mille peines à s'arracher. Les véritables et fidèles amies des pauvres étaient parties et l'on pleurait à l'hospice Saint-Yves, comme on pleure de bonnes et tendres mères.

Entre tant d'autres, l'hospice de Lamballe en fut une preuve frappante. Les sectaires lamballais, qui exécutaient d'une manière consciente ou inconsciente les ordres de la franc-maçonnerie, s'abusaient étrangement lorsqu'ils se figuraient pouvoir improviser des hospitalières du soir au lendemain.

Ils trouvèrent sans doute des infirmières laïques, mais ces infirmières ne furent que des mercenaires, des employées d'administration n'ayant aucune des vertus nécessaires pour faire des infirmières modèles. Pour être employé quelconque, il n'est pas besoin de dépenser beaucoup de vertu et de grandeur d'âme ; mais, pour faire les oeuvres de la charité qui vient du coeur, c'est une tout autre affaire, parce que la charité exige la vocation, et chez elle on n'entre pas en condition.

Pour se condamner à vivre dans l'air méphitique des salles d'un hôpital, pour aimer les pauvres, panser leurs plaies et verser la consolation dans leurs coeurs ulcérés et souvent pervertis, il faut se renoncer soi-même, chaque jour ; or, la religion catholique seule en fournit les moyens, l'inspiration et la force. Le gaspillage, l'inconduite et les désordres de toutes sortes que les citoyennes-infirmières introduisirent au Grand Hôpital le prouvèrent amplement aux administrateurs philosophes de Lamballe.

Tout d'abord quelques femmes, d'ailleurs connues pour leur bienfaisance, par un sentiment d'humanité qui les honore, crurent pouvoir accepter la lourde tâche de remplacer les religieuses.

Mesdames Hervé, Mérite, Le Sage, Anne Le Prieur, Sébastienne Lorre, Mahé voulurent bien se charger du soin des malades et des pauvres. Mais, en face des difficultés toujours croissantes de leur délicate mission, leur bonne volonté fut bien vite à bout, leur zèle de la première heure s'épuisa rapidement. Bref, après quinze jours à peine de service à l'hospice, découragées et impuissantes, elles abandonnèrent la place en déclarant hautement que « des religieuses seules, ayant cette vocation, pouvaient s'acquitter convenablement d'un pareil service » (Archives municipales). Elles furent remplacées par les citoyennes Touchant, Chapelain, et Le Sage qui reçurent ce nom de citoyennes parce qu'elles avaient prêté serment à la Constitution civile. Inutile de dire qu'elles ne réussirent pas mieux que leurs devancières.

A l'Hôtel-Dieu, les choses se passèrent autrement. Si, au Grand Hôpital, régnait un esprit de respect et de profond attachement pour les religieuses, esprit qui s'affirma, pendant tout le temps de leur absence, il n'en fut pas ainsi au Petit Hôpital. Là, les malades, hommes étrangers au pays et imbus des plus mauvaises doctrines, faisaient entendre très souvent les plaintes les plus amères contre l'incivisme de leurs gardiennes (textuel).

Sur la dénonciation de Jean-François Laisné, marin de profession, Jeanne Briosne, religieuse hospitalière, « fut condamnée à huit jours de prison pour ses propos incendiaires, disait l'accusation. C'était une correction municipale qu'on lui infligeait, portait la sentence ; de plus, elle devait être expulsée de la ville, la Supérieure admonestée et la condamnation affichée à cinquante exemplaires ». Voilà le jugement, aussi inique que ridicule, que ne craignirent pas de prononcer nos exaltés contre une pauvre religieuse qui n'avait commis d'autre crime que de remplir son devoir ; et cela, sur la simple dénonciation d'un vaurien ! ! !

Quelque temps plus tard, sur la dénonciation des citoyens Henry, Onfroy et Baudry, ils poursuivirent de nouveau la Supérieure du Petit Hôpital. Sur le rapport des fameux commissaires délégués, Bichemin, Copin, Le Dosseur, Padel, Prével, Verdier et R… , Jérôme, la Mère de Mauny, qui avait déjà subi un jugement correctionnel pour cause d'incivisme, fut condamnée à plusieurs mois de prison qu'elle subit dans la maison d'arrêt des Ursulines. La mère Boixière, avec quelques autres soeurs, demeura à l'Hôtel-Dieu où elle eut le bonheur d'être oubliée près de ses malades.

Quant au Grand Hôpital, dès le 10 mars 1703 la laïcisation y avait produit ses fruits. Le désordre y régnait tellement que les administrateurs en avaient assez de pourvoir au remplacement successif des citoyennes-infirmières qu'ils étaient obligés de renvoyer, à chaque instant, pour leur flagrante immoralité.

Un simple coup d'oeil sur les délibérations de la Commission de l'hospice, dans ces tristes temps, convaincra nos lecteurs que nous n'avons rien exagéré …

« Dans la séance du 3 ventôse, an VII de la République, Jeanne Morvan, femme de mauvaise vie, que l'on avait établie chef de l'atelier du travail des enfants ! !, fut renvoyée à cause de sa mauvaise conduite...

Dans la séance du 16 floréal, an VII, l'on se plaint des abus qui règnent à l'hospice et du manque total de soins pour les pauvres, ainsi que de la zizanie qui existait entre les citoyennes-infirmières et de l'inconduite des domestiques ...

Dans la séance du 27 thermidor, an VIII, plaintes contre les citoyennes Chapelain et Faucillon pour leurs mauvaises moeurs et leur manque de soins ».

Tout le temps qu'il y eut à l'hospice des infirmières laïques il en fut ainsi. Les nombreuses et continuelles expulsions dont parlent toutes les délibérations de ce malheureux temps en font foi : mais nous ne saurons jamais tous les crimes qui furent commis alors, car, quand il s'agit de parler des fautes des infirmiers et des infirmières laïques, ces braves républicains francs-maçons n'en disent que le moins qu'ils peuvent. Il dut s'y passer sans aucun doute ce que nous voyons à la fin du XIXème siècle dans les hôpitaux laïcisés de Paris.

« Ils se garderont bien de nous dire, écrit le Cri du peuple du 3 septembre 1886, qu'ici c'est un malade qui meurt d'un lavement dans lequel une infirmière à mis 40 grammes d'acide phénique, au lieu de 40 centigrammes ; que là, c'est une pauvre femme que l'on oublie dans un bain chaud où elle meurt asphyxiée et brûlée toute vive ; ailleurs, c'est un enfant qui vient de naître, qu'une jeune infirmière dépose sur un poêle brûlant et qui meurt des suites de ses blessures ».

Le Radical publiait, le 21 août 1888, la note suivante, disant : « Un accident fatal s'est produit à l'asile d'aliénés de Marseille, laïcisé. Un malade de la section des gâteux, appartenant à la haute société de Marseille où il a occupé une grande situation, s'étant sali plus que de coutume, son gardien particulier, pour le laver, trempa une éponge dans un liquide phénique à forte dose et nettoya le malade des pieds à la tête. Le corps du malheureux devint comme une plaie, et le malade expira peu de temps après. Quand les docteurs déshabillèrent le cadavre, des lambeaux de chair tombèrent avec les vêtements ».

Tout cela est raconté comme un simple fait divers, sans un mot de blâme pour le bourreau de ce malheureux. Voilà comme sont traités les malades quand la religion n'est pas là pour les protéger.

Les Soeurs de Saint-Thomas de Villeneuve, nous l'avons vu, avaient quitté le Grand Hôpital, au milieu des larmes et des sanglots des enfants et des malades qui leur demeurèrent attachés avec une rare fidélité. La séance de la Commission administrative du 27 pluviôse, an VII, en fait foi. Nous ne pouvons résister au plaisir de la résumer. « L'administration, y est-il dit, s'est occupée des moyens à prendre pour rétablir le bon ordre troublé et la subordination méconnue par les pauvres ».

Ces derniers, faisant la comparaison entre les citoyennes et les soeurs, disaient hautement leurs regrets : voilà les crimes impardonnables qu'on leur reprochait et que l'on fit expier à plusieurs par l'expulsion.

« Considérant, continue la dite délibération, que les exhortations que l'administration avait cy-devant faites aux délinquantes (car toutes sont des filles,) de se comporter avec sagesse n'ont produit, pas plus que les menaces, aucun effet, et qu'elles continuent à tenir les propos les plus anti-civiques, tels que ceux-ci : Vive le roi ! Au diable la nation ! que l'on nous donne nos anciennes religieuses, notre ancienne administration ! ! ! Et considérant que ces actes de rébellion continuent à se réitérer, l'administration a cru n'avoir d'autre parti à prendre que celui de purger l'hospice de ces sujets corrompus, de crainte qu'ils ne gâtent l'esprit des autres enfants moins âgés qu'eux ; et, en conséquence, s'est décidée à remettre à leurs parents les trois filles les plus coupables, Thérèse Lingénieux, Julie Desieu, et Marie-Josèphe Thomas ».

Voilà une preuve officielle que, malgré tous les moyens employés, les pauvres de notre hospice, après sept ans de séparation, conservaient, pour leurs anciennes religieuses, la reconnaissance et l'affection la plus vive et la plus profonde.

Ce fait, nous semble-t-il, leur fait autant d'honneur que le décret de la Convention qui avait mis les Religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve au rang des bienfaiteurs de l'humanité.

Le départ des soeurs ne fut pas seulement un sujet de désolation pour les pauvres, Une source de grands désordres que l'administration fut impuissante à empêcher, mais encore une cause de ruines. D'après une enquête du 8 brumaire, an V de la République, il fut reconnu qu'en l'espace de quatre ans, le revenu de l'hospice qui était de 5.079 livres 18 sols avant la Révolution était réduit à 1.127 livres, sans parler de la perte des aumônes et des nombreux secours particuliers annuels qui avaient complètement cessé. De plus, les bâtiments étaient dans un tel état qu'ils exigeaient une très coûteuse et urgente réparation.

La literie était toute à renouveler, ainsi que le linge et les vêtements des pauvres qui étaient en lambeaux.

En conséquence, le tout ayant été vérifié avec le plus scrupuleux examen, il fut arrêté « de présenter une pétition aux administrateurs du département pour demander le remplacement des rentes perdues en biens nationaux du même produit, et un secours de dix mille francs, pour subvenir aux réparations des bâtiments, remonte en linges, hardes et autres objets disparus ».

La laïcisation avait donc produit tous ses fruits, et les correspondances échangées avec Carpentier n'avaient pu suppléer à l'absence des religieuses. Le gaspillage des revenus, du linge et des remèdes avait fait retomber le Grand Hôpital dans les lamentables conditions où Mère Le Blanc de Boissanne l'avait trouvé plus d'un siècle auparavant.

Aussi, les édiles lamballais, attristés des suites désastreuses de ces quelques années de laïcisation, s'empressèrent-ils, dès qu'ils virent l'horizon s'éclaircir, de demander, avec de grandes instances, à la Révérende Mère Walhs de Valois, supérieure générale d'alors, le retour de ses religieuses dans notre hôpital.

Ces filles admirables, oubliant les injustes persécutions et la noire ingratitude dont elles avaient été l'objet, revinrent avec joie reprendre leur poste de dévouement ; et, en 1801, sauvèrent une seconde fois notre hospice du désordre et de la ruine. Honneur donc aux vaillantes et charitables religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve pour lesquelles la ville de Lamballe n'aura jamais assez de reconnaissance, puisque depuis plus de deux cents ans, elles soignent ses pauvres et ses malades avec un dévouement et un désintéressement que Dieu seul peut récompenser.

Nous venons de le voir, la divine Providence se réservait une de ces vengeances dont elle est coutumière : c'était d'amener les plus acharnés contre la charité chrétienne à redemander avec instances, pour leurs hospices ruinés, ces hospitalières dévouées qu'ils avaient insultées, chassées de leurs maisons, condamnées à l'exil et à la prison quand ils ne les envoyaient pas à la mort. La conscience, révoltée par les attentats horribles de la Révolution, aime à se reposer dans la contemplation d'une si douce victoire remportée sur le crime par la charité chrétienne.

(le diocèse de Saint-Brieuc durant la période révolutionnaire).

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