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Le marquis Claude du Chastel en Italie et à la Bastille

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Depuis que deux princesses de la famille de Médicis étaient montées sur le trône de France, on rencontrait à Paris, dans tous les rangs de la société, de nombreux Italiens venus pour y chercher fortune, et souvent peu scrupuleux sur le choix des moyens à employer.

Un abbé Cermelly, né à Alexandrie, dans le Milanais, vers 1630, vint à Paris en 1664 ou 1665, à un moment où la reine-mère, Anne d'Autriche, était gravement malade, d’un cancer disait-on. Cermelly se présenta comme porteur d’un remède qui devait assurer la guérison de la reine, et parvint à se faire admettre auprès d’elle ; il lui donna ses soins, elle n’en mourût pas moins le 20 janvier 1666, Malgré tout, Cermelly, qui devait avoir de puissants protecteurs, trouva le moyen de se faire nommer secrétaire et gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi. Plus tard, ce qui est encore plus étonnant, il fut pourvu de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille, qui était une des plus considérables de France. 

Sans occupation précise à Paris, Cermelly s’occupait, en 1666-1667, d’intrigues ayant pour but, de procurer de grands avantages à la France en lui assurant la place d'Alexandrie. Les habitants étaient, d’après lui, prêts à se soulever contre la domination du roi d'Espagne, duc de Milan, avec qui Louis XIV était alors en rivalité. Cermelly était en même temps l’agent du marquis de Carretto, qui voulait mettre sous la protection de la France ses domaines qui, situés dans le sud de Montferrat, étaient continuellement menacés par ses voisins, le roi d'Espagne duc de Milan, le duc de Savoie et la République de Gênes.

Ces intrigues n’avaient pu aboutir, quand il rencontra à Paris à l'hostellerie de Béthune, où ils habitaient tous deux, du Chastel qui, « malade de la goutte, faisait toujours bon feu dans sa chambre, ce qui lui attirait la société de toutes sortes de personnes ». Cermelly, qui était un de ses habitués, guérit du Chastel, et c’est ainsi qu’ils se lièrent ensemble.

Après la mort de la reine, ils étaient allés tous deux jeter de l'eau bénite sur le cercueil, quand Cermelly, reconnu par un huissier, fut dénoncé par lui au peuple comme ayant tué la reine et eut été infailliblement jeté par la fenêtre sans l'intervention de du Chastel. Leurs relations devinrent alors plus intimes, et Cermelly, jugeant que le marquis était l'homme dont il avait besoin pour faire réussir ses intrigues, lui fit part de ses projets, protestant « qu’il n’avait d’autre but que d’assurer au roi de grands avantages, entre autres la possession de la ville d'Alexandrie ». En invoquant cette considération, Service du Roy, il obtint cette fois et put toujours obtenir le concours de du Chastel, même pour les démarches les plus inconsidérées.

A une première ouverture, ce dernier avait seulement répondu que « c’était une affaire qu’il ne fallait pas négliger ». Sur de nouvelles instances, il se rend à Turin, pendant que Cermelly, après avoir poussé jusqu’à Alexandrie, vient lui rendre compte de ses démarches et rapporte une députation signée des intéressés [Note : Le mot « députation » est évidemment mis ici dans le sens « déclaration »]. Ils reviennent ensemble à Paris, la députation fut remise au Roi qui répondit « en ajournant à un autre temps et remerciant les intéressés ».

Cermelly ne se tient pas pour battu et, insistant alors surtout sur les avantages pour le Roi de prendre pied dans le marquisat de Carretto, il s’abouche avec un nommé Duprat, valet de chambre du Roy, qui sert d’intermédiaire pour introduire du Chastel en présence de Louis XIV. A une première demande d’audience, on lui répond simplement de faire ses propositions par écrit ; mais du Chastel déclare qu’il ne peut et ne veut parler qu’à Sa Majesté elle-même, et il insiste tellement qu’une audience lui est enfin accordée à Vincennes. « Il est reçu par le Roy dans la chambre du Conseil, où il n’y avait que Monsieur (Le duc d'Orléans), et MM. Letellier, de Lyonne et Colbert. Le Roy lui fait l’honneur de lui dire que c’était une mission bien périlleuse et qu’il prit bien garde à sa personne ; qu’il ne croyait pas nécessaire qu’il y allât, mais que cela pouvait se négocier par lettres ».

Du Chastel répondit que les intéressés ne le désiraient pas, et finit par obtenir une lettre de cachet, en date du 22 janvier 1668 servant à l’accréditer pour cette mission, avec la recommandation « pourvu que cela soit sans éclat » [Note : Malgré les succès que le Roi venait d’obtenir dans la guerre qu’il soutenait contre la Hollande, la Suède et l'Angleterre, il était tenu à beaucoup de réserve vis-à-vis de l'Espagne, qui occupait les Pays-Bas et le Milanais].

Il est nécessaire de connaître les termes exacts de cette lettre de cachet. En voici la teneur : « Le Roy donne pouvoir par la présente signée de sa main au seigneur marquis du Chastel d’écouter toutes les propositions qui lui pourront être faites, soit par les communautés entières ou par les particuliers de la noblesse ou du peuple des villes et places du duché de Milan, dans la vue de se tirer de l’oppression insupportable de la domination espagnole, sous laquelle ils gémissent depuis si longtemps, et, sur le compte que ledit marquis du Chastel rendra à Sa Majesté desdites propositions, elle luy fera savoir ses intentions sur les traités que pourra conclure avec lesdites communautés ou particuliers dudit duché de Milan, en foy de quoy Sa Majesté a signé la présente de sa main et y a fait apposer le scel de son secret. Fait à Paris, le 22 janvier 1668. Signé : LOUIS. Contresigné : DE LYONNE ».

On voit que la mission consistait seulement à prendre des renseignements et à rendre compte au Roi des propositions qui seraient faites. Il n’est question que du duché de Milan et point du marquisat de Caretto, bien que plus tard Cermelly ait cherché à équivoquer sur les termes de la lettre de cachet.

Cermelly part presque immédiatement pour l'Italie, laissant à Paris du Chastel, qu’il presse vainement de venir le rejoindre et qui, pendant trois ou quatre mois, invoque pour ne pas partir son état de santé, suite d’une attaque d’apoplexie et de plus son manque d’argent. Il se décide enfin, raconte Cermelly, à envoyer à Lyon, en avant, avec ses chevaux son écuyer de cuisine Dumas et une demoiselle « qu’il disait être sa fille et qu’il fit habiller en homme ». Mais il n’arrive toujours pas et il écrit même à Cermelly en lui conseillant « de prendre un logis plutôt que de demeurer dans une hôtellerie où la dépense est trop grande ».

Là-dessus Cermelly, craignant de laisser échapper quelque occasion favorable, part pour Venise, proposant à la demoiselle de le suivre. Elle refuse, et on n’entend plus parler d’elle. Au contraire Dumas consent à partir sur la vue d’une fausse lettre que Cermelly disait avoir reçue de du Chastel, pour obliger Dumas à le suivre ; mais bientôt Cermelly s’aperçoit que c’est un témoin gênant qui déjà le soupçonne de s’être emparé des effets de son maître, et dès lors, il cherche à s’en débarrasser par n’importe quel moyen. Ils étaient descendus à l’auberge de Notre-Dame à Saint-Pierre d'Arena, près de Gênes, quand un liégeois, nommé du Buisson, valet au service de Cermelly, vint « soupirant et tremblant » prévenir Dumas qu’une mort inévitable l’attendait, et il raconte la scène suivante. Cermelly se chargeait de tout et dans ce but avait fait prendre les pistolets et le mousqueton qui étaient dans la chambre de Dumas, il avait fait sur ces armes plusieurs signes de croix et continué « par des paroles à charmer ». Il mit alors les armes aux mains de Dujardin et le fit tirer trois fois sans qu’elles prissent feu. Un nouvel essai répété trois fois donna le même résultat «  ce qui se passa très bien suivant l’intention de Cermelly ».

Dumas, lui-même, qui avait retrouvé ses pistolets, les tira trois fois sans leur faire prendre feu. Il fallut qu’il les déchargeât et les rechargeât pour rompre le charme ....  Ils partirent tous ensemble, mais au bout de quelques jours, à la traversée des Apennins, Cermelly fit brusquement attaquer Dumas par ses serviteurs. Ce dernier qui était sur ses gardes commence, par charger les deux valets qui se sauvent, puis, se retourne contre Cermelly, qui avait son pistolet à la main, mais qui, en présence de l’attitude résolue de son adversaire, s’enfuit « à course de chevaux ». Dumas le poursuit, l’atteint et le force à demander grâce, en tournant la tête et en mettant son pistolet dans le fourreau. Cermelly, furieux, s’en prend aux deux laquais, et il veut les tuer ; mais l’instinct de la conservation l’emporte, il se calme et par la crainte des bandits, ces quatre personnes continuent ensemble leur route, prennent à Bologne une trompette (?) et arrivés à Venise s’installent dans un hôtel voisin de la place Saint-Marc.

Dumas, étant entré dans la chambre de Cermelly, avait acquis la certitude du pillage de la cassette de son maître, et apprenant que Cermelly avait un jour de foire à Padoue vendu 18 pistoles le cheval d'Espagne de du Chastel, il se décide, accompagné par plusieurs officiers de l’armée de Candie, à appeler Cermelly devant « le juge des volleries où on conduit les voleurs ». Mais le juge Giustiniani était le frère de l’ambassadeur de la Sérénissime République près le Roy de France, et Cermelly put facilement lui faire croire que lui seul avait les ordres du Roi, et que tout ce qui venait de du Chastel ou des Français était faux. Il n’y eut pas de jugement mais le juge vint retrouver Dumas au palais de Saint-Marc, le réprimanda et, malgré ses protestations, l’invita à cesser ses attaques contre un homme qui était porteur des ordres du Roi. Puis, Giustiniani lui rapporta le propos suivant de Cermelly, « qu’il mangerait son coeur, qu’il ne fit assassiner Dumas », et il crut devoir le conduire dans sa propre gondole jusqu’à son domicile chez la signora Camilla Muscardina. Au lieu d’y rester un mois, comme Guistiniani le lui demandait, Dumas jugea prudent d’accepter les offres de Juste Vaneys, marchand flamand, qui le fit sauver de nuit et le garda dans sa maison de campagne ; au bout de quatre jours Dumas put repartir pour Rome où il comptait retrouver son maître. A Venise, tout le monde le croyait mort.

Pendant ces retards, les événements avaient marché, et les pourparlers engagés entre les puissances belligérantes avaient abouti au traité de paix d'Aix-la-Chapelle (2 mai 1668). Toute entreprise des Français sur Alexandrie devait donc être forcément abandonnée, et Lyonne écrit à un de ses secrétaires, le sr. Berthemet, d’aviser du Chastel que la paix est faite et de cesser les négociations. Du Chastel, encore convalescent, reçoit froidement cet avis, et demande que la lettre de Lyonne lui soit remise, ce que Berthemet refuse. Plus tard il profitera de ce refus pour dire qu’il ne lui était pas défendu expressément d’aller en Italie, et que, du reste, il n’avait pas pris d’engagement à cet effet. Il répond encore à Berthemet « qu’il faut écrire directement à Cermelly parce que lui, on ne le croirait pas ».

Lyonne n’y avait pas manqué, et Cermelly ne put le nier, mais, s’il n’avait plus à intriguer au sujet de la ville d'Alexandrie, il lui restait la question du marquisat de Caretto. Aussi, ayant bien vu le parti qu’il pouvait tirer du marquis du Chastel, il s’était empressé de lui écrire de ne pas renoncer à son voyage en Italie, de venir quand même, qu’il y avait encore beaucoup de négociations à faire dans l’intérêt du Roi. Cette lettre très pressante, confiée aux soins du marquis Giustiniani, ambassadeur de Venise près du Roy, est remise par un valet de l’ambassade à du Chastel dans l’hôtel où il se trouvait, rue de la Verrerie. Du Chastel se décide enfin à partir ; plus tard il donnera pour excuse que, en agissant contrairement aux ordres de M. de Lyonne, il ne croyait pas méconnaître les ordres de la cour « parce qu’il n’y a pas été élevé, n’ayant pas bougé de la province, .. S’il a failli, c’est par excès de zèle pour le service de Sa Majesté ».

Quelques explications au sujet de ce marquisat de Caretto sont maintenant nécessaires.

Les Caretto étaient les représentants d’une très ancienne famille, qui possédaient dans le sud du Montferrat des fiefs considérables, relevant de l'Empire directement et émettant des prétentions sur plusieurs villes du littoral qui leur avaient été enlevées, disaient-ils, par la République de Gènes. Resserrés entre les Etats de cette République, du duché de Milan et des ducs de Savoie, leur indépendance était toujours menacée et, suivant les circonstances, ils s’alliaient successivement, à l’un ou à l’autre de leurs voisins. Quelquefois, ils cherchaient un appui auprès des rois de France ; un Caretto, dit le cardinal de Final, fut archevêque, duc de Reims, sous Louis XII. Alphonse, qui suivait le parti de l'empereur Ferdinand Ier, fut rétabli par lui dans ses Etats et confirmé dans ses anciens titres de marquis de Savone, Clavezana et Final, prince du Saint-Empire et son vicaire perpétuel en Italie. Au commencement du XVIIème siècle, le dernier représentant de cette illustre famille vit ses Etats envahis par les Espagnols et mourut en exil. Cinquante ans plus tard, il y avait encore un marquis de Caretto. C'était un aventurier, François Cevoli, fils naturel d’un carme, qui était parvenu, je ne sais comment, à épouser en 1627 l’héritière de Frédéric de Caretto et, entrer en possession du marquisat.

En 1666 Cermelly était auprès de Louis XIV, l’agent de ce vieux marquis de Caretto qui, tout en recherchant pendant la guerre la protection de la France contre les manoeuvres du duc de Savoie, écrivait en même temps à l'Empereur qu’il n’avait le dessein, ni de vendre ses terres, ni de secouer le joug de l'Empire. Cependant, il laissait faire Cermelly, d’accord avec trois de ses fils [Note : Il avait eu dix-sept enfants] que nous retrouverons plus tard sous les noms de marquis de Gorzegno, marquis de Spini et d’abbé de Gorzegno, agissant de concert sur l’esprit faible du marquis du Chastel.

Après avoir reçu la lettre qui l’appelait avec instance, en Italie, du Chastel se décide à partir accompagné de son aumônier ; il quitte Paris et, en arrivant à Lyon, découvre qu’au moyen d’une fausse déclaration Cermelly s’est fait remettre son coffre par le banquier chez qui il était déposé, l’a fait porter à son domicile, ouvrir de force et qu’il a enlevé beaucoup de documents et de choses précieuses. Du Chastel en donne l’énumération suivante : « Dans ce coffre, il y avait quantité de lettres secrètes et importantes, dont Cermelly se sert comme écrites de sa main. Il a enlevé la toilette, qui était fort riche et de grand prix, comme linge à barbe, toilette de point de Paris du plus beau, cinq collets de point de Venise avec les manchettes, chemises d'ollande, dentelles, mouchoirs, leinceuils, peigtons (?), houssets (?) et toutes sortes d’autres linges nécessaires audit marquis, desquels les valets de chambre ont l’inventaire, une cravate de taffetas noir avec dentelle de Milan à double rang, un manchon de loutre avec son anneau d’argent qui avait coûté trois livres, un baudrier couleur de musc garni de boucles en filigramme de vermeille, deux écharpes de taffetas blanc, avec franges d’or, une autre couleur cerise, 230 pistoles d'Espagne, une boite avec le portrait de la marquise du Chastel, sa femme, avec des médailles antiques et des monnaies d’or et d’argent des anciens souverains rois d'Espagne de l’an de Christ 733, tous de la tige ancienne des anciens seigneurs marquis du Chastel de Termy (?), sortis de la royale maison des anciens roys de Bourgogne environ l’an 14 de Salut (?) avec les monnaies or et argent fabriquées de ce temps-là, de plus une montre d’or de quarante pistoles sonnantes, une quantité de bijoux de grande valeur et entre autres des raretés que le dit seigneur marquis conservait pour faire présent à Sa Majesté ».

Du Chastel ayant reconnu que Cermelly, avait mis consciencieusement sa garde-robe au pillage, voyant dès lors qu’il n’avait plus rien à faire à Lyon, continue son voyage et part avec ses domestiques et ses quatre chevaux, s’embarque à Marseille sur la galère Thérèse, commandée par M. de la Brossardière, relâche à Gènes, où M. de Sévérac, lieutenant de la galère, est insulté par la populace, débarque à Civita-Vecchia et arrive à Rome. Il y trouve Cermelly, déjà installé, et il le presse tellement de questions que Cermelly est forcé d’avouer son vol d’argent et de hardes, en donnant d’ailleurs pour excuses que « s’il l’a fait c’est pour affaires secrètes que le marquis ne doit pas ignorer, et il les a mis en gage ». Du Chastel, bien que soupçonnant la vérité, dissimule pourtant son ressentiment, et c’est seulement beaucoup plus tard que, complètement désabusé, il fait par écrit le récit de ses griefs contre Cermelly.

Pendant son séjour à Rome, du Chastel eut plusieurs fois « l’honneur de saluer le Pape », et lorsqu’il alla prendre congé, il était accompagné de l’abbé, qui portait une décoration de l’ordre de Saint-Lazare. Le Pape, qui ne connaissait pas cette décoration, demanda quel était cet ordre étranger. Ils répondirent que cet ordre [Note : L’ordre hospitalier de Saint-Lazare, fondé  vers 1139 (?) pour recevoir les pèlerins en Terre-Sainte, s’était transporté en France et s’occupa des soins à donner aux malades et aux lépreux. A la fin du XVIème siècle, une scission s’était produite. Le duc de Savoie institua dans ses Etats l'ordre des Saints Maurice et Lazare. En France, l'ordre avait été rétabli par Henri IV et réuni à l'ordre du Mont-Carmel en 1608, en vertu d’une bulle du Pape du 4 avril 1608. Les privilèges de l’ordre français venaient d’être confirmés par Louis XIV en 1664] avait été rétabli par Henri IV dans l’église des Carmes-Billettes de la ville de Paris. Du Chastel s’empressa d’ajouter que l’ordre militaire de Saint-Lazare pourrait certainement suivre l’exemple de l’ordre de Malte pour donner son concours à la religion [Note : Cette transformation de l'ordre de Saint-Lazare avait été déjà mise en avant par quelques personnages. Un religieux des Carmes-Billettes, le Père Toussaint, avait même conseillé à du Chastel de s’emparer de l'île de Ré avec l’aide de cinq vaisseaux de l'Ordre (l'Ordre ne pouvait pas seulement mettre une barque à la mer) et de s’y fortifier en y mettant quelques canons qu’il avait dans son château de Bretagne. Il l’assurait qu’il pourrait être ainsi considéré comme bienfaiteur de l'Ordre, bien qu’il n’en fut pas membre], et qu’il préparait un vaisseau armé de canons pour aller au secours de l'île de Candie. Lui-même proposerait aux Etats de Bretagne d’accorder quelques secours pour la subsistance des forces de cet ordre. Cermelly ajouta beaucoup de développements en italien que du Chastel déclare n’avoir pas pu bien comprendre. En définitive, le Pape remit à Cermelly un bref donnant son approbation au projet qui lui était soumis ; puis il fit adresser au roi de France, par le cardinal Azzolini, une lettre de remerciement pour les assurances qui lui avaient été données par du Chastel.

Le Roi fut fort étonné d’apprendre cette négociation, dont il ne connaissait pas le premier mot. Il faut dire que depuis leur départ de France, du Chastel et Cermelly avaient cessé de donner de leurs nouvelles. Le Roi protesta immédiatement et le Nonce fut forcé de reconnaître que la bonne foi de Sa Sainteté s’est laissé surprendre. Cermelly cherchera plus tard à se justifier en prétendant que deux lettres de lui ont été retenues à Rome, parce que le Pape avait défendu de transmettre toute lettre fermée

Cermelly ayant terminé à Rome ses opérations partit avec du Chastel pour Venise, où ils recommencèrent à exposer leur projet de reconstitution de l'ordre de Saint-Lazare, et ils réussirent si bien que le gouvernement de la République adressa lui aussi ses remerciements au Roi, également fort étonné de cette communication, car il venait seulement d’apprendre par les gazettes que du Chastel était en Italie, tandis qu’on le croyait toujours à Paris et malade.

C’est pendant ce séjour à Venise que les serviteurs de du Chastel acquirent de nouvelles preuves des vols de Cermelly, car ce dernier eut même l’effronterie de paraître en public et de porter devant du Chastel une de ses vestes, sur laquelle il avait fait ajuster une dentelle d’or provenant de son vol. Il ne put nier, et le marquis exigea qu’il lui fasse renvoyer de Lyon à Venise sa cassette. Quand elle arriva on reconnut que la serrure avait été forcée et du Chastel n’y trouva qu’une main de papier « et quelques lettres de peu de considération », mais il eut à payer le port de la cassette, qui lui coûta onze louis d’or [Note : soit 264 livres, le Louis d’or valant 24 livres].

Cermelly, très irrité contre les serviteurs qui l’avaient dénoncé, les menace et cherche à les éloigner de leur maître, mais ils résistèrent et vécurent plus que jamais dans la crainte d’être assassinés ou empoisonnés.

Du Chastel, de son côté, commence à se sentir peu en sûreté dans le commerce de l’abbé, qui lui parle toujours la menace à la bouche. Il trouve un paquet de lettres écrites par Cermelly, à l’ambassadeur d'Espagne et il s’étonne de leurs longs pourparlers, ce qui lui fait craindre quelque trahison contre le service du Roi. Il se décide donc à rentrer en France et part seul pour Gênes, où ses coffres étaient restés sous la garde de son aumônier et du Sr. de la Motte, un de ses gentilshommes. Il descend à l'hôtellerie du Lion-d'Or, où Cermelly ne tarde pas à le rejoindre et où, par un hasard évidemment prémédité, tous les Caretto se trouvent réunis ; tous, dit le valet de chambre de du Chastel, habillés avec les hardes de son maître.

Du Chastel, de plus en plus inquiet, recommande à ses serviteurs de surveiller les personnages qui l’entourent et qu’il sait avoir « une adresse assez ordinaire aux Italiens de couvrir leurs sentiments », Cermelly, que cette surveillance gène, cherche plus que jamais à séparer, par tous les moyens possibles, du Chastel de ses serviteurs. Tantôt il les effraye par des menaces quelquefois suivies de tentatives d’exécution, tantôt il cherche à agir sur du Chastel en jurant qu’il a failli être empoisonné par eux. Du Chastel l’écoute, promet d’examiner la question et conserve ses serviteurs. Il avait pu, du reste, être bien renseigné par Dujardin, l’ancien valet de Cermelly, en ce moment à Rome, engagé au régiment des gardes à pied de Sa Sainteté. De leur côté, les marquis de Gorzegno et de Spini et l’abbé de Gorzegno, ne perdant pas de vue le but qu’ils veulent atteindre, s’empressent à l’envi autour de du Chastel, l’assurant qu’il dépendait de lui de rendre un grand service au roi de France. Il s’agissait toujours de lui faire acquérir les fiefs impériaux des Caretto. Les Génois, disait Cermelly, avaient offert cinq cent mille écus des droits sur Finale, Savone, Vayes, Vintimille et Nolli, et le vieux Caretto était disposé à les vendre au duc de Savoie. Cermelly ajoutait, en jurant comme toujours « qu’il avait l’ordre verbal du roy et que c’étaient des affaires de la plus grande importance et d’une extrême urgence ».

Du Chastel résiste pendant quelque temps, mais les Caretto et Cermelly insistent toujours, il finit par céder, et avec une confiance bien extraordinaire dans leurs paroles, il consent à signer les deux expéditions, en français et en italien, d’un acte préparé par eux à l’avance qui devait consacrer cette acquisition. Cependant, du Chastel refuse d’y insérer le chiffre de 100.000 pistoles qui était stipulé, comme indemnité, afin de laisser le roi libre d’accepter ou de fixer lui-même le chiffre qui lui conviendrait [Note : Le marquis de Caretto demandait primitivement, en plus des 100.000 pistoles que, disait-il, les Génois lui avaient offert, l'ordre du Saint-Esprit pour lui, des charges pour ses enfants et l’achat par le Roi de son palais de Turin]. Dans ces pourparlers, les Caretto avaient fait allusion à la possibilité d’un échange entre les terres du marquis de Caretto et le marquisat de la Garnache. Cermelly raconte que cette combinaison paraissait sourire au marquis du Chastel qui invoquant l’illustre origine de sa famille remontant aux rois de Bourgogne, caressait l’idée de recueillir le duché de Milan, que les grandes puissances se disputaient depuis la mort du dernier des Sforza [Note : Pressé d’indiquer l’origine de ses prétentions, du Chatel invoque sa parenté avec le marquis d'Ivrée, qui fut roi d'Italie et adopté à l'Empire, ainsi qu’avec Condrechaire, premier roi de Bourgogne, dont sa famille descend. Cermelly prétend qu’il a fallu son intervention pour empêcher du Chatel de prendre dans le traité le titre de descendant des rois de Bourgogne. L’illustration de la famille du Chastel, due à son ancienneté et à ses services, n’avait pas besoin d’être rehaussée par une origine aussi problématique].

La décision prise par du Chastel de signer au nom du roi cet acte, véritable traité de puissance à puissance, est véritablement si extraordinaire, qu’il convient de reproduire ce document textuellement.

« A tous, Princes, Potentats, Estats, Ducs, Souverains, Puissances et à toutes autres personnes de quelque état et condition qu’ils puissent être, Salut !. En vertu du pouvoir dont S. M. m’a honoré, signé de sa main en sa ville de Paris, le 22 janvier 1668, et contresigné par le seigneur marquis de Lyonne, l’un de ses secrétaires d'Estat avec le cachet rouge. Nous Claude, marquis du Chastel, de la Garnache et de Goulayne. Come député vers toutes et telles personnes qu’il appartiendra pour le bien de son service, nous avons accordé et accordons conformément au blanc signé par nous apparu par les personnes cy-après nommées. Sçavoir : le seigneur marquis Pol Matthiey, les marquis ses enfants, le seigneur marquis Michel Anthoine, le seigneur marquis Dominique, le seigneur marquis François, le seigneur marquis Michel Anthoine de Clavezana, tous de la noble et illustre maison et famille des anciens seigneurs de Caretti, descendans de l’empereur Othon 3ème, seigneurs et maistres souverains impériaux de Gourzain (Gorzegno) et autres lieux, terres et chasteaux, fait et signe au chasteau de Gourzain le ... du mois de septembre 1668, cacheté en cire rouge du cachet des armes des seigneurs de Caretti et contresigné par Octtaviano Multedo, notaro publico, à nous présenté en nostre main par le seigneur Antonio Amédéo del Caretto, abbé de Gourzain, fils du dit seigneur marquis Pol Matthey, comme député général des dits susnommés seigneurs marquis, ayant receu une copie de l’original signé de leur dit député général, lequel original est réservé pour estre mis ès-mains royales du Roy mon souverain seigneur et pour ce, Nous acceptons et recepvons sous la protection royale de Sa Majesté très chrestienne les sus dicts seigneurs marquis de Gourzain, tous les lieux, terres, forteresses, chasteaux, sujets appartenances et dépendances. Et en vertu de nostre dict pouvoir, comme député général. Prions tous Potentats, Princes, Estats, Puissances, Ducs, Souverains, Alliés, Confédérés et bons amis de S. M. de reconnaître les dicts susnommés marquis, leurs fiefs, terres, chasteaux, forteresses, vassaux et sujets, leur donner toute la faveur et assistance dont ils auront besoing, et principalement Gourzain, Graveuzane, Caretto et Arguillo comme membres, lesquels dès à présent sont à couvert et appuyés de la toute Royalle et Auguste protection de S. M. très chrestienne et de ne permettre pas que, sur quelques prétextes que ce soit, l’on donne aucun trouble facheux ou empeschement en la moindre particularité et permettre sur quelques sujets et causes, soit directs ou indirects, l’on  puisse déroger à leurs anciens et nouveaux privilèges. Mais, au contraire, de les laisser jouir paisiblement en paix avec toute liberté et toute assurance, l’exercice de tous leurs digits privilèges. Déclarons en oultre à tous ceux qui apporteront quelques troubles ou empêchemens aux susdicts seigneurs à leurs sujets, terres, forteresses, chasteaux, lieux, appartenances et dépendances, comme dit est, nous leur protestons d’abondance l’infaillible indignation, disgrace et ressentiment du Roy mon souverain seigneur, les intentions duquel estant que tous ses adhérents, alliés, amis, confédérés et serviteurs et principalement les susdicts seigneurs marquis cy devant nommés soyent considérés, respectés et honorés en tous honneurs, qualités, privilèges, comme nous l’avons cy dessus expliqué. En foy de quoy nous escrit de nostre main la présente et soubscrit de nostre signe et y ai fait apposer le cachet de nos armes. En présence du seigneur Lorenz de Cermelly, abbé de Saint-Victor, secrétaire et gentihomme ordinaire de la chambre du Roy, principalement connu (?) des intentions et commissions de S. M. sur ce sujet, lequel a aussi soubscrit la présente de sa propre main et avons fait contresigner par ....... secrétaire ordinaire. Fait et dressé en la ville de Gênes, ce jour 24 du mois de mars 1669 ».

Il ne suffisait aux Caretto d’avoir obtenu la signature de ce traité ou « sauvegarde ». Il fallait encore le faire consacrer par des actes, car ils n’ignoraient pas que ce traité avait été rédigé par Cermelly, qui connaissait l’étendue réelle de la mission de du Chastel et savait pertinemment que le roi y avait mis fin. La vérité pouvait être connue ; il était donc nécessaire d’agir sans retard, et de faire prendre possession au nom du roi de France du marquisat de Caretto.

Cermelly renouvelle ses instances les plus pressantes auprès de du Chastel, lui faisant valoir l’intérêt du roi et l’urgence des mesures à prendre. Les Espagnols, dit-il, sont prêts à s’emparer de vive force des châteaux du marquis, qui d’ailleurs avait reçu des offres très avantageuses du duc de Savoie. Pour favoriser cette combinaison, l’archevêque de Turin, hostile aux Français, aurait même permis au notaire qui préparait l’acte d’instrumenter le dimanche.

Enfin, sur l’affirmation de Cermelly que c’était une affaire de la plus grande importance, du Chastel se décide, et n’hésite pas à faire occuper les châteaux de Caretto et de Gravesana par des détachements de trente hommes commandés par des Français, Dupont « son home de chambre [Note : Précédemment, nous l’avons vu qualifier écuyer de cuisine] et Nodo », également à son service.

Plus tard, Cermelly essaya de faire remonter au marquis la responsabilité de cette entreprise insensée, prétendant n’avoir pas eu connaissance des instructions données à du Chastel et s’en être rapporté à lui ; mais le magistrat qui l’interrogeait, quand il fut mis à la Bastille, put facilement le convaincre de mensonge, ajoutant que « par cette confiance il se serait montré plus naïf qu’un enfant de dix ans ». Il ne l'était pas, et le magistrat put facilement discerner quel avait été dans toute cette affaire le rôle de Cermelly et celui de du Chastel, qui croyait toujours « avoir rendu un grand service au roy en tirant à son service le marquis de Caretto ».

Dès que le roi eut connaissance de toutes ces intrigues, il intima l’ordre de retirer les deux Français des châteaux dont ils avaient le commandement, et il fallut bien obéir. Du Chastel, qui commençait à sentir peser lourdement sur lui l’influence de Cermelly, désirait quitter Gènes encouragé à le faire par son cousin le marquis Spinola, mais il était retenu par la nécessité de se procurer l’argent dont il avait besoin : le banquier Ferrari s’empressa de lever cette difficulté.

De leur côté, les serviteurs de du Chastel le pressaient de partir, alarmés par les bruits de tentatives d’empoisonnement contre leur maître et contre eux mêmes, « car Cermelly avait toujours dans son coffre quantité de méchantes drogues mortelles ».  Ce dernier, tantôt cherchait à du Chastel des querelles d’allemand, avec force menaces proférées en présence d’étrangers, tantôt se radoucissant, il lui proposait de faire avec lui une promenade en carrosse aux environs de Gênes. Du Chastel, devenu méfiant, refusa. Les Caretto cherchaient également par tous les moyens à le retenir ou à le séparer de ses serviteurs. Ils font jeter dans les prisons de l'Inquisition comme « homme de mauvaises vie et moeurs, Gariel, aumônier de du Chastel ». L’inquisiteur, que Cermelly avait été voir à l’avance, réputé « le plus méchant homme de toute l'Italie et naturellement haïssant tous les Français », refuse au marquis de lui rendre Gariel. Après bien des démarches, du Chastel revient accompagné de son parent, le marquis de Spinola, de M. de Compans, consul de France, et du banquier Ferrari. Cette fois on lui déclare que l’aumônier ne lui sera rendu que s’il consent à pardonner et à oublier le passé, ce qu’il fait généreusement. La vie n’était plus possible à Gênes pour du Chastel. Son écuyer Dumas, poursuivi par des hommes armés, fut un jour forcé de se réfugier dans l'hôtel du marquis de Chauvelin. Lui-même quand irrévocablement décidé à partir il va prendre congé des Ferrari, est suivi par des hommes armés et, la nuit étant venue, on ne le laisse partir qu’accompagné de deux gentilshommes qui l'escortent jusqu’à son hôtellerie.

Du Chastel s’était procuré un bateau de Cannes, dont le patron s’était engagé à le conduire à Cannes et à Saint-Tropez. Avant de partir, il paya toute la dépense faite à l'hôtellerie, non seulement par lui, mais encore par les abbés Gorzegno et Cermelly pendant tout le temps qu’ils avaient passé dans la ville de Gênes. Puis de nuit, presqu'en cachette, il se rend au bateau, escorté jusqu’au môle par son cousin Ferrari et leurs amis.

Cermelly arrive, accompagné lui aussi ; il l’appelle et lui demande de venir causer avec lui d’une affaire très importante. Les amis de du Chastel le retiennent, mais ce n’est pas fini. Il était déjà dans le bateau que l’abbé de Gorzegno arrive à son tour et cherche à prendre du Chastel par les sentiments « le priant au nom de Dieu de vouloir bien rester en Italie, qu’il était l’âme de toute cette affaire, et s’il s’en allait elle se dissiperait entièrement ». Du Chastel se serait peut-être encore laissé aller à descendre à terre, si le patron et les matelots ne s’y étaient opposés, lui disant qu’il allait se faire assassiner.

Le bateau mit enfin à la voile le 9 avril, par un beau temps ; mais le voyage fut très accidenté : une forte tempête ne tarda pas à s’élever qui les força à se réfugier dans le port de Savone. La, le commandant du château manda à terre du Chastel et le retint pendant une journée toute entière. Le lendemain la chaloupe pût mettre à la voile, mais le temps fut si mauvais, qu’après avoir parcouru un mille, elle fut forcée de rentrer au port. Cette fois le commandant refusa l’entrée de la ville à du Chastel, qui dût passer la nuit dans une cabane de jardinier ouverte à tous les vents. Il y attrapa un gros rhume qu’il ne put soigner avant d’arriver à Saint-Tropez. Aussitôt débarqué, il se rendit chez son cousin, le marquis de Saint-Jeurs, au château de Grimaud [Note : Le château de Grimaud (ou Grimaldi) est situé à 6 kilomètres au nord de Saint-Tropez], où une maladie dont il pensa mourir le força de garder le lit pendant tout le mois d’avril.

C’est pendant ce séjour à Grimaud que du Chastel, enfin bien éclairé sur la moralité de Cermelly, se décida à faire par devant notaire le récit de ses griefs contre son compagnon de voyage et ami de plusieurs années. Il rappelle notamment l'effraction de sa cassette à Lyon, où Cermelly aurait pris et se serait approprié, indépendamment des effets et bijoux, des documents que du Chastel analyse et dont quelques-uns nous le montrent sous un nouvel aspect. « Cermelly, dit-il, aurait pris quantité de lettres secrètes et importantes pour le service de Sa Majesté, dont il se serait servi comme écrites de sa main. Il s’était saisi d’un moyen et invention d’un projet de banque viagère et de survivance lequel ledit seigneur et marquis avait conservé fort secrètement pour en faire présent au Roy, son maître et son patron, par lequel le Roy, par rétablissement qu’il en pourrait faire dans son royaume, en pouvait remplir les coffres de plusieurs millions et accorder au dit seigneur marquis du Chastel la grâce et privilège qu’il y fust, que le dit seigneur marquis du Chastel avait retiré d’une tierce personne qui voulait faire établir dans le royaume d'Angleterre, ce qu’il offre vérifier lorsqu’il sera besoin ».

Cermelly, d’après du Chastel, porta ce projet à la « République de Venise, où il en fit l’établissement. On lui accorda trois pour cent des profits qui reviendraient à la République. Il devait laisser la moitié pour la part du marquis du Chastel qui n’a jamais rien touché ».

Plus tard, Cermelly et l'abbé Gorzegno avaient fait une association pour la fabrication des louis de cinq sols et autres monnaies, dans laquelle ils avaient mis du Chastel, qui croyait n’avoir rien signé de semblable et prétendait que le notaire avait mal compris sa pensée. C’était, d’après Cermelly « un simple projet d’association par tiers entre le marquis du Chastel, qui n’avait rien, parce qu’il avait fait cession de tous ses biens à sa femme, Cermelly qui n’avait rien pareillement, non plus que l’abbé de Gorzegno ». Il était dit aussi dans l’acte « qu’on accepterait un quatrième associé, pourvu qu’il ait de l’argent comptant » [Note : Les spéculateurs qui, de nos jours, pratiquent pareille combinaison n’ont donc pas le mérite de l’invention].

Une autre partie des papiers contenus dans la cassette de du Chastel se rapportaient à des questions de magie et auraient pu, en ce temps-là, lui faire courir de véritables dangers.

Dans ses interrogatoires à la Bastille, il dut s’expliquer et reconnaître avoir copié un écrit en latin qui lui avait été présenté par son aumônier. C’était, dit il, « un serment fait pour être associé dans la compagnie de ceux qui cherchent un dissolvant, et pour la médecine. En bas de l’écrit se trouvent les noms de ceux qui dans les Gaulles (sic) ont le secret. Il déclare n’avoir jamais travaillé à la recherche de la pierre philosophale de quelque manière que ce soit, mais il a eu curiosité toute sa vie d’entendre parler de belles choses. Quand son aumônier fut emprisonné à Gênes, il sauva les papiers dans lesquels étaient des secrets de la pierre philosophale, dont il avait l’intention de faire présent au Roy. Il n’avait aucune connaissance des secrets de magie, ni des moyens qui se trouvaient dans ses papiers d’invoquer les génies. Ces invocations sont des essais de paracelses dont ils sont tirés et d’autres livres qui y sont encore. Quant à lui, il n’a aucune connaissance de ces choses ».

Le magistrat qui l’interrogeait se trouva suffisamment édifié et n’insista pas.

Pendant que du Chastel achevait de se rétablir à Grimaud, Cermelly avait pris les devants, précédé d’une lettre écrite le 27 mai, dans laquelle il exposait au Roi tous les avantages du traité Caretto. Arrivé à Paris, il se présente à la cour en triomphateur, se faisant honneur de tout ce qui avait été fait. Malgré son insistance et ses efforts, il ne reçoit que blâme et reproche. L’abbé de Caretto, que Cermelly avait appelé de confiance, s’aperçoit qu’il a été trompé et que le Roi, refusant d’approuver la négociation, a donné l’ordre de faire immédiatement sortir les deux Français des châteaux qu’ils occupaient comme commandants. Alors, pour masquer sa déconvenue, il écrit au Roi, donnant un désaveu complet à ce qui a été fait au nom de son père, et mettant tous les torts sur le compte de Cermelly. Ce dernier, voyant tous ses projets avortés, change de ton et adresse au Roy, le 29 août 1669, une supplique très humble, s’excusant et naturellement chargeant du Chastel le plus qu’il peut. Il termina en annonçant piteusement qu’il n’a pas de quoi vivre et sollicite un secours en raison de sa triste position.

Cependant le marquis arrivait à petites journées, et de Lyon écrivait au Roi, le 1er juillet, une longue lettre, où il a encore, la faiblesse de laisser à Cermelly une part de mérite dans la négociation qu’il estime toujours merveilleuse, il annonce au Roi « que les affaires qu’il a plu à Sa Majesté de lui confier sont heureusement achevées par les grands soins et vigilance que M. l’abbé de Cermelly s’est donné.... ». Il parle des persécutions et des menaces qui lui ont été faites, ajoutant qu’il était forcé de se cacher de ses domestiques. Il termine enfin en assurant « Sa Majesté qu’il n’y a point de gentilhomme dans son royaume qui soit attaché à Votre Majesté avec des chaînes plus glorieuses (sic), plus volontaires et avec plus de soubmission et de respect que moi qui suis, Sire, de Votre Majesté le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet. Le marquis du Chastel ».

Il arrive à Paris. Ne recevant aucune réponse, il se présente à la cour, se rend à Saint-Germain le jour de Saint-Roch (16 août) et, à quatre heures de l’après-midi, il est arrêté dans la cour du Vieux-Château. Le même jour, il est mis à la Bastille, dont les registres portent la mention : « Ordre de Lyonne, intrigues diplomatiques » [Note : La page du registre où se trouve consignée l'entrée de du Chastel à la Bastille a été lacérée le 14 juillet 1789, mais son contenu n’est pas douteux].

Moins de huit jours après son incarcération un rapport, non signé, très détaillé et fort exact était, le 24 août, adressé à M. de Grémonville pour être présenté au Roi. Le rédacteur a bien su discerner les rôles respectifs de du Chastel et de Cermelly. Il s’étonne de l'incroyable inconséquence de toutes les personnes qui ont signé le traité. La terre de Caretto, dit-il, ne vaut pas le quart de 100.000 pistoles. Dans ce rapport du Chastel est qualifié d'homme de peu de prudence et moins encore de fidélité.

L’arrestation de Cermelly fut décidée. On le chercha, mais il avait disparu et se cachait, ayant appris l’arrestation de du Chastel. C’est seulement le 15 septembre qu’il fut mis à la Bastille à son tour, Ordre Letellier.

Ces incidents sont l'objet d’une correspondance d’un agent secret du gouvernement anglais, saisie par la police française et conservée par le plus grand des hasards. « M. Petit à M. Williamson [Note : Petit, petit gazetier de l'ambassade d'Angleterre. Williamson, ambassadeur d'Angleterre, à Bruxelles] à Paris, 7 septembre-28 août 1669 : La friponnerie de l’intrigue de l’achat du marquisat del Caretto a avorté. L’abbé Cermelly, qui est ce fameux furfanti entre les mains duquel mourut la reine-mère, n’avait ordre du marquis de Caretto, duquel il était en effet envoyé, que de négocier, de mettre le marquis sous la protection de la France. Comme l’affaire était avancée et même conclue pour l’achat, l’abbé Caretto est arrivé en France et a renversé la négociation par un désaveu formel de tout ce qu’a fait Cermelly contre les ordres de son frère. Cermelly, se voyant en état d’être maltraité, s’est retiré sans dire gare. M. de Lionne s’était toujours opposé à cet achat. — J'ai oublié de dire sur le sujet de l’abbé Cermelly, qu’un certain marquis du Chastel de Bretagne, son complice, ou son coadjuteur dans sa fausse intrigue, a été mis à la Bastille. Le marquis s’est encore mêlé de quelques négociations plus considérables qu’il disait avoir dans le duché de Milan, où en effet on l’avait envoyé pour agir en secret ; mais on a remarqué qu’au lieu de faire les affaires du Roy, il faisait les siennes. Avec le temps nous en saurons le détail ».

Les 3, 4 et 5 septembre, du Chastel fut interrogé par Henry Pussort, conseiller ordinaire du Roy en ses conseils, en présence, le premier jour, d'Hersent, son secrétaire, et ensuite de M. de Besmaud, gouverneur de la Bastille. Dans ces interrogatoires, où du Chastel serré de très près expose les faits tels qu’ils viennent d’être racontés. Dans ses réponses aux objections du magistrat, on voit à chaque instant reparaître la même préoccupation : « Je l’ai fait, parce que Cermelly m’avait dit que c’était une affaire de la plus grande importance et qu’il avait l'ordre verbal du Roy. S’il a failli, c’est par excès de zèle pour le service de Sa Majesté ».

Quand du Chastel fut interrogé sur les profits qu’il avait pu trouver de toutes ces négociations, il montre pour la première fois quelque énergie pour répondre qu’ayant depuis quatre ans compromis sa fortune, il n’a jamais voulu compromettre son honneur, qu’il a toujours payé toutes les dépenses, les siennes et celles des autres, à Paris, à Saint-Germain, à la suite du Roi, et en Italie. Il n’en a tiré aucun avantage et a les mains nettes, « Du moment qu’il s’agit de son honneur, il met de côté toute autre considération ».

A son tour, Cermelly subit, le 21 septembre et jours suivants, trois interrogatoires qui portent sur les mêmes points que les interrogatoires de du Chastel. Il commence par prétendre qu’il ne comprenait pas bien le français [Note : Personne ne s’en était aperçu jusqu’alors] et demande à répondre en italien. Ses réponses peuvent se résumer en ceci : Je n’ai rien fait que d’après les instructions de du Chastel, qui avait un pouvoir signé du Roi. Il affirma d’abord n’avoir jamais vu ce pouvoir, ensuite n’en avoir vu que la signature ; puis, quand Pussort lui prouva que, dans une lettre précédente, il avait reconnu savoir tout ce que cette pièce contenait, il ne sût que répondre. Il ajoutait alors qu’il s’agissait d’une affaire très urgente, car on lui avait même dit que le vieux marquis de Caretto avait passé « un acte de vente de ses biens au duc de Savoie, acte expédié un jour de fête, par permission de l’archevêque de Turin, et que le président Chaise, ministre du duc de Savoie, avait donné pour cela de l’argent ». Il n’en était rien.

Cermelly maintient son droit de s’appeler abbé de Saint-Victor, sans dire pourtant par quel moyen il a obtenu cette faveur, et son interrogatoire se termine par cette assertion malveillante, comme toute sa déposition, que du Chastel ambitionnait le duché de Milan pour son propre compte et qu’il lui aurait promis de le prendre, lui Cermelly, pour premier ministre.

Le marquis du Chastel ne resta pas longtemps à la Bastille il en sortit sur un ordre signé par Lyonne, le 22 mai 1670. Dès le 24, du Chastel ayant su par M. Berthemet que le Roi lui avait donné la grâce de la liberté, écrivait à un grand personnage, qui n’est pas désigné, en le priant « d’obtenir de Sa Majesté qu’avant de se retirer dans ses terres, il lui soit permis de faire sa révérence ».

Je ne sais si cette faveur lui fut accordée ; mais j’ai dit plus haut quelle fâcheuse réception il eut au château de Goulaine et la nécessité où il se trouva de plaider contre sa femme ; enfin, comment son existence s’était terminée misérablement à Port-Louis.

Cermelly fut gardé à la Bastille plus longtemps que du Chastel. Le 20 juillet 1671, il obtint la liberté de la cour, et il ne fût mis en liberté définitive qu’au mois de janvier 1672, à la condition de prendre l’engagement de sortir du royaume dans un délai d’un mois, menacé s’il rentrait en France d’être mis au cachot. L’engagement demandé fut signé par Cermelly le 28 janvier 1672.

Il continua sa vie d'intrigue, et on retrouve son nom dans une lettre adressée par Letellier à M. le Prince de Condé, le 10 mars 1678 : « l’abbé Cermelly, de la part duquel on a mis un papier à V. A., a été vu à la cour et a été entendu plusieurs fois sur des propositions de grandes conquêtes à faire en Italie, et, comme on a reconnu qu’il était un affronteur, a été mis à la Bastille, y a demeuré longtemps et n’en a été élargi qu’à la condition de sortir du royaume. Il est si artificieux que, s’étant rendu à Rome auprès de M. le duc d'Estrées et du cardinal son frère, ils le gardèrent longtemps au palais Farnèse et dépêchèrent un courrier au Roy pour lui faire part de ces mêmes propositions [Note : Du Chastel ne fut donc pas la seule dupe de Cermelly] ; n’ayant pas de réponse, il s’est avisé de s’adresser à V. A. On leur répondit que cet abbé ne peut rien mander qui mérite considération ».

Il me reste à dire quelques mots des autres personnages qui ont joué un rôle dans cet épisode de la vie de du Chastel.

Quelques années plus tard, on retrouve plusieurs individus portant le nom de Caretto et même le titre de marquis de Caretto. Tous se prétendaient issus de cette illustre famille, très probablement parents et peut-être même frères, comme fils du vieux marquis del Caretto, autrement dit François Cevoli, qui avait eu dix-neuf enfants.

Un de ces Caretto, qui avait été déjà mêlé à des intrigues diplomatiques dans plusieurs cours, fut forcé de quitter les Pays-Bas à l’instigation d’un tout-puissant Caretto, marquis de Grana, son homonyme, sinon frère. Arrêté à Strasbourg, il fut mis à la Bastille le 27 août [Note : Caretto avait obtenu d’être accompagné de son page à la Bastille, ce qui vient à l’appui de l’opinion de M. Franck Brentano que le régime n’était pas bien sévère ; mais il y eut scandale, et en «  raison de ses mœurs abominables », il fut transféré au Fort-l'Evêque, prison dépendant du lieutenant criminel de police] et renvoyé au Fort-l'Evêque le 5 septembre ; mais il fut reconnu qu’il n’avait rien entrepris contre les intérêts du Roi de France et de ses sujets. Il fut donc mis en liberté et accompagné par un exempt jusqu’à la frontière.

A la même époque, un autre Caretto, né en 1649, certainement fils de François Cevoli, tout en prétendant aussi avoir des droits sur l'héritage des Caretto, chercha d’abord à se faire reconnaître comme l’héritier des Cevoli. Puis ayant fait, Dieu sait où, les études nécessaires, ou plutôt sans les avoir faites, se mit à exercer la médecine à Bruxelles vers 1682. Au bout de peu de temps, il vint s’installer à Paris, où on le trouve appelé indifféremment Carret, Caretti, Caretto. Possesseur de remèdes secrets, qui avaient, quelquefois réussi, il se fait connaître si bien qu'il est appelé auprès du maréchal de Luxembourg, qui avait été condamné par Fagon (médecin de Louis XIV), et qui mourut néanmoins entre ses mains le 4 janvier 1695, C’était un charlatan empirique ; mais il était devenu médecin à la mode. Sa vogue extraordinaire tenait autant à la bizarrerie de ses remèdes formulés en gouttes, qu’au prix élevé auquel il estimait ses services et leur rémunération fixait lui-même. Il soignait les plus grands personnages de la cour, entre autres Mme de Coulanges ; aussi son nom est-il souvent cité par Mme de Sévigné dans sa correspondance. « C’est une cruelle chose, dit-elle, de mettre sa vie entre les mains d’un médecin qui croit fermement qu’il va prendre possession d’une souveraineté en Italie » [Note : On croit que Caretto gagna un grand procès et mourut à Rome, riche de la fortune des Cevoli] (Villiers du Terrage).

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