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L’ILE DE SEIN AU XVIIIème SIÈCLE
** Messire Joachim-René Le Gallo, Recteur de l'Isle-Saint (1723-1734) **

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I.

En avril 1723, Messire Joachim-René Le Gallo, aumônier des vaisseaux du Roy, devenait recteur de l'Isle-Saint.

Il succédait à Henri Gonidec, Michel Le Gall, dernier curé délégué, n'y étant resté que quelques mois.

En ce temps là, l'esprit religieux de l'Ile était tel que l'avaient fait le vénérable Michel Le Nobletz, le Père Maunoir et François Sû. Messire Le Gallo retrouvait les fils de ceux qui, au mois d'août 1641, lors de la première mission du Père Maunoir, — « petits enfants, suspendus en grappes aux bras des pères et des mères, semblaient ne pouvoir détacher leurs regards du prédicateur » (Vie du Père Maunoir, par le P. Séjourné, 1er vol. p. 156).

Il n'eut qu'à continuer l'œvre de conversion si bien assise au siècle précédent ; et il le fit dignement, grâce aux missions qui se continuèrent dans l’Ile parfois avec l'aide des capucins d'Audierne.

Mais un autre rôle lui était dévolu. Les mœurs étaient restées barbares ; il s'attacha à les réformer, même au péril de sa vie.

A son arrivée à l'Isle-Saint, la misère était grande. Le pain et le poisson de l'hiver étaient consommés. La pêche à pied, qui se faisait, autour des roches, au déchal des marées, ne donnait plus : tous les coquillages avaient été cueillis et les monceaux de valves, jetées aux pignons des masures, dénonçaient que, durant de longues semaines, ç'avait été la seule nourriture des habitants. La pêche d'été ne pouvait encore se faire : le poisson ne ralliait pas la côte, car la température était trop rude. Le 4 avril, un pêcheur, dans toute sa force, Corentin Couillandre, âgé de 45 ans, était trouvé mort de froid et de faim dans son bateau. Ce décès est le premier acte rapporté par Messire Joachim-René Le Gallo.

Pas de vivres, ni de vêtements telle était la situation ! Dans ces cas, nécessité a toujours fait loi.

Qu'un naufrage était alors ardemment désiré, souvent même astucieusement provoqué !

Les naufragés n'étaient plus, ou que rarement, assommés, mais les navires constamment livrés au pillage. Il fallait se nourrir, se vêtir, se procurer tout, car tout manquait : étais pour consolider les maisons, bois, fers, cordages, voiles, pour réparer et ragréer les barques désemparées par les tempêtes de l'hiver.

La mer apportait tout cela or, tout ce qui vient de la mer appartient aux hommes de mer, c'est leur seule récolte.

L'étranger, séjournant dans l'Ile, était contraint de suivre cette loi du pillage ; ou, s'il voulait se soustraire aux usages qu'avait fait naître le besoin, il était mal venu, et bientôt, par les avanies ou les violences auxquelles il était journellement en but, obligé de partir.

Joachim-René Le Gallo subit la loi commune. Ne pouvant proposer aux Iliens de renoncer à leurs pratiques barbares, car c'eut été aller à l'encontre de tous les usages admis et se mettre en guerre avec toute la population, il assista à leurs scènes de pillage.

Lorsqu'un navire en détresse était signalé, il accourait, devançant les Isliens, pour assister les naufragés, s'il ne pouvait empêcher le pillage, et diriger le sauvetage, toutes fois que cela lui était possible.

Mais combien souvent sa voix n'était pas écoutée ? Que de fois n’a-t-il pas été contraint de se retirer, non sans la consolation d'avoir pu, de la tête d'un naufragé, écarter le croc d'un pillard !

Si ce n'était pas abaisser la grandeur de son rôle, nous dirions qu'il se trouvait, au milieu des Isliens naufrageurs, comme une poule qui a élevé une portée de canards ; les petits barbottent joyeusement au milieu de la mare, sourds aux appels désespérés de la mère qui va, vient, battant des ailes, le long de la berge, ne pouvant les suivre.

II.

Le naufrage du navire la Sara, de Bantry, en Irlande, survenu dans la nuit du 17 au 18 janvier 1724, peu après l'arrivée de Joachim-René Le Gallo, est célèbre dans les fastes de pillage de l'Isle-Saint.

Le navire avait fait côte, vers une heure du matin, du côté Sud-Est de l’Ile, sur l'Ilôt de Kilaourou. Il était chargé de laine et de beurre. De la laine ! c'était un objet de première nécessité. Du beurre ! certes, à cette époque, beaucoup d'Isliens ne le connaissaient que par ouï-dire, car ils étaient trop pauvres pour acheter une vache. Aussi quelle aubaine ! Aussitôt le naufrage connu, — « presque tous les habitants, environ 350 personnes, tant hommes que femmes et enfants, d'aller à la côte » — le recteur en tête.

Pendant que Joachim-René Le Gallo s'occupait à secourir les quatre survivants du naufrage et à recueillir les corps du capitaine Jacques Galhois et d'un prêtre irlandais, François Morpho, qui se trouvait à bord, le navire fut pillé. Jean Couillandre, fils de Corentin dont nous avons mentionné le décès, fut l'un des plus ardents — « à en hacher la coque ».

Joachim-René Le Gallo essaya bien d'intervenir. Il se posta à Beg-ar-C’halé, langue étroite de terre, qui relie l'îlot de Kilaourou, au bourg, pour arrêter les pillards et les empêcher de recéler, dans leurs masures, les objets dérobés. Les plus timorés rebroussèrent chemin, mais en jetant l'alarme. — « Prené garde de passer par un tel endroit, par ce que le bonet rouge y est, »« et ce d'autant que le sr Gallo, prestre, porte un bonet rouge ». C'est ainsi que s'exprime le procès-verbal d'enquête [Note : Archives départementales. — A noter les noms donnés aux habitants de l'Ile-de-Sein à cette époque : ils sont appelés tantôt Isliens, tantôt Islois].

Mais bientôt les plus hardis accourent et forcent le digne recteur de leur céder la place, par ce que, s'écriait-il en chaire, quelques jours après, le 27 janvier, — « il n'était pas en sûreté de sa vie ».

Le pillage se fit alors sans contrainte — « présidé par Pol Monier le plus considérable et le plus respecté parmy eux, se disant capitaine de l'Isle » — et se continua les jours suivants, avec une telle sauvagerie, que l'Amirauté, informée par un rapport de Pierre de l'Abbaye de Kerhuel, son agent à l'Isle-Saint, dépêcha un commandant pour enquêter.

Si pareil fait se présentait aujourd'hui, les Isliens trouveraient bien certainement sur l'île force médailles de sauvetage et d'honneur, voire même de dévotion, pour parer largement leurs poitrines ; et, comparaissant, ainsi ornés, devant leurs juges, ils diraient, pour leur défense, en faisant tinter leurs décorations :

« Nous des pillards ? ... des sauveteurs plutôt !... voyez ! ».

En 1724, ils n'avaient pas cette ressource. Mais le recteur, oublieux des violences qui lui avaient été, faites, comparut avec les pillards devant l'enquête et présenta leur défense, ou du moins atténua leurs méfaits ; si bien que le commandant de l'Amirauté ne fit qu'un rapide séjour à l'île, et encore sans grand résultat. Notre aimable confrère, M. Bourde de la Rogerie, voudra bien, avec tous documents à l'appui, conter, à la Société archéologique, les phases si curieuses de l'enquête.

III.

L'alerte causée par la venue du commandant de l'Amirauté avait été bien vive. Devant les poursuites imminentes, on avait restitué des baraux de beurre. C'étaient choses trop lourdes à transporter, trop volumineuses à cacher. Et puis les premiers avaient été défoncés et les provisions faites dans chaque ménage. David Porsmoguer et ses deux sœurs — « personnes de force et violentes » — avaient même emporté la marmite du bord, dans laquelle se fondait autrement bien que dans les pots de terre, seuls en usage dans l’île, le beurre du naufrage, a duide spount a vrao. Aussi ne voulurent-ils jamais la rendre.

Mais la laine empaquetée « en poupées d'une livre » — était plus facile à cacher que les barils.

Le recteur tonnait en chaire, prêchant restitution et réparation : — « Ce n'était pas assez d'avoir évité la justice humaine ; il fallait obéir aux lois de Dieu et de l'Église ». — Mais on faisait la sourde oreille. — « Cette laine, si soyeuse, aurait fait des gilets si chauds ; » — et on la gardait.

Mais comment l'utiliser ? ç'eut été se dénoncer soi-même, et mettre l'amirauté — « en état de perquérir ».

Enfin, soit remords, ou crainte de perquisitions, on restitua, peu ou beaucoup. Joachim-René Le Gallo a eu bien soin de le contaster sur le registre paroissial. On y trouve ces deux mentions, à près de quatre années d'intervalle. La première a eu lieu dix-huit mois après le pillage.

« Le dimanche 15 juillet 1725 m'ont estés remises entre mains pour estre rendues à qui il appartiendra des laines de la « Sara » que jay serrés dans l’ormoire de la vieille maison et dans une espèce de buffet entendant reponse. ».

Cette réponse qu'attendait Joachim-René Le Gallo est-elle venue ? L'amirauté s'était-elle dessaisie de l'affaire ? Nous n'avons pu le constater. Nous croyons plutôt que les mœurs commençaient à s'adoucir sous l'action du digne Recteur.

En 1729, autre mention au registre :

« Je certifie, ce dict jour, sieziesme janvier, il m'a été remis dans une poche environ douze ou quinze poupées de laine mal conditionnées sans scavoir par qui ny dou les ayant trouvé dans mon jardin dont jay choisis les meilleurs qui sont dans l’ormoire de la vieille cuisine, le reste sur des cordages dans le grenier neuf pour être remis au réclamateur et ay inséré acte pour au cas de ma mort et que je nay pas le temps de la rendre le propriétaire n'en soit pas frustré. A l'Isle Sains le seiziesme janvier 1729 ». — Signé : Joachim-René Le Gallo, prêtre.

Cette laine n'aurait-elle pas été, plus tard, vendue au profit de la fabrique de Saint-Guénolé ? Nous avons constaté, dans des comptes postérieurs à Messire Le Gallo, des ventes d'objets mobiliers provenant de viols et de bris. Mais les comptes de Joachim-René Le Gallo n'existent pas dans les archives de la fabrique.

Quoiqu'il en soit, c'est de cette époque que date un usage, encore tout récemment mis en pratique, à l'île de Sein, après un naufrage.

Les objets pillés, volés ou trouvés sont déposés, de nuit, sur les marches de la croix du cimetière, ou jetés, pardessus murs, dans la cour et le jardin du presbytère.

Mais tous les objets, provenant de naufrages, ne suivent pas cette voie. De loin en loin on voit paraître des habits neufs faits d'une étoffe dont la chaîne, la trame et la couleur sont inconnues aux manufactures actuelles.

IV.

Messire François Morphy et le capitaine Jacques Galhois, les victimes du naufrage de la « Sara » ont été enterrés dans l'église de Saint-Guénolé.

Voici leur acte d'inhumation :
« Le 18 janvier 1734 ont été enterrés dans l'église principale de Sains, deux cadavres trouvés du costé sud-est de la ditte Isle du navire la Sara de Bantry, en Irlande qui a donné le dt jour à la coste environ une heure après minuit, les dits cadavres ont estés reconnus par l'espâge, (l'équipage) pour estre les corps de Me François Morphy prestre irlandais et de Jacques Galhois capitaine du dt navire qu'on nous a affirmé estre véritablement catholiques apostoliques romains, a l'Isle Saint le dt jour et an — ledit navire chargé à l'adresse des sieurs Le Blanc et Maguemou mards à Nantes par Henry Galhois de Bantry ».

Le registre porte les signatures de James Coppeny — Pattrick Coppengir — Philippe Joseling — Cornelius Leary et Joachim-René Le Gallo.

Le naufrage et le pillage qui auraient pu être suivis d'une sévère répression ont longtemps défrayé les veillées à l'Isle Saint.

On en parla surtout lors d'une mission qui s'est donnée, à l’Ile, en 1727. Le bruit avait couru que François Morphy avait sur lui un trésor, et on exhuma son cadavre.

Voici l'acte qui a été dressé à cet effet :
« Le 12e novembre 1727, sur l'avis à nous donné que deft Me François Morphy prêtre irlandais enterré dans notre église auprès du balustre du costé de l'évangile le 18e janvier 1724 avait sur luy des espèces, nous avons fait faire ouverture de son tombeau publiquement en notre présence, celle du père Bernardin de Pont + vicaire d'Audierne de présent à l'Isle et y donnant la mission par ordre de Mgr l'evesque de Quimper, celles de Noël Guilcher dict seré, d'Yves Coulendre le Jeune, de Noël Coulendre et Hervé Guilcher et aultres, ou on a trouvez cincq piesses d'or parmi les ossements scavoir deux monois d'or de Portugal de 4000 rael une piesse angloise de 1716 une piesse d'or de France de 1664 — et autre piesse d'or de France au scepte royal et a la main de justice en croix que nous retenons par devers nous jusque à pouvoir consulter l'odinaire et que nous représenterons où il nous sera ordonné.
A l'Isle Sains ledit jour ; signé : Joachim-René Le Gallo prêtre »
.

Cet acte est suivi de la mention :

« Led. jour ayant faict combler la terre de la sépulture dud. prêtre on a trouvé une piesse d'or de France a quatre L. en crois. — Même signature ».

Que sont devenues ces pièces d'or ?

Le plus ancien compte de la fabrique que nous ayons eu entre les mains est le compte de 1759, où nous trouvons cette mention : — « Se charge, le contable,... de cinq louis d'or dont on ne connaît, point la valeur ».

Ces pièces d'or, que le trésorier en fonctions recevait des mains de son prédécesseur, n'étaient pas déposées dans le coffre de la fabrique. En effet ce coffre fut forcé et volé le 21 février 1760, et les pièces apparaissent au compte suivant. Il est probable que le recteur de cette époque, J. Arhan devait, comme Messire Le Gallo, les retenir par devers lui pour, aussi les représenter.

Le compte soumis en 1762, constate :
« Six louis d'or dont deux sont de 24 livres et les quatre autres d'un prix inconnu ».

Or, la balustrade près de laquelle était enterré François Morphy et le chœur furent refaits en 1760 et 1761. Il est donc probable que cette sixième pièce provenait de sa tombe, ouverte à nouveau pour cette réfection, et, fut jointe aux autres pièces du prêtre Irlandais.

Ces pièces, sans cours, ainsi que le constate le compte de 1770, furent échangées à Quimper, pour la somme de 146 livres, 12 sols, suivant quittance de Mr Roullin, en date du 22 novembre 1769, et le produit servit, la même année, à réparer la toiture de l'église et accommoder le presbytère.

V.

Quand l’Ile-de-Sein élèvera des statues à ses grands hommes, la première nous a-t-on assuré, sera pour Molla Coustance.

Molla Coustance, de son vrai nom Constance Le Spinec, était la sage-femme de l'île dans la première moitié du XVIIIème siècle. Les années ont passé, mais sa mémoire est encore vivante, grâce à une autre Molla, Molla Chouardic, qui a continué sa tradition. On se rappelle ses recettes, ses procédés, ses aphorismes ; et, quand au chevet d'un malade on a dit : — « Molla Constance aurait agi de telle façon ; » — il n'y a pas ordonnance de la Faculté à valoir devant cette évocation.

Cependant, en fouillant bien les vieux registres paroissiaux, on trouverait la preuve que la vénérable matrone avait, parfois, la main gourde, les doigts..... peu aseptiques. Les enfants baptisés à la maison à cause de leur infirmité, les femmes inhumées avec leurs enfants nouveau-nés, le mot obiit en marge de mutiples actes de naissance viendraient témoigner coutre elle. Mais qu'est-ce cela auprès de la reconnaissance et de la vénération des nombreuses générations qui ont suivi ?

Un acte a attiré notre attention :

« Le 29e juillet 1723 a esté enterré le corps de Marie-Claudine Guilcher morte hier après avoir reçu l'extrême-onction âgée d'environ vingt et six ans et un enfant quon luy a este prendre après sa mort et a este baptisé dans la maison. Ont assisté au convoi Pierre Le Guilcher son frère, Michel Porsmoguer, Jacques Coulendre de Plogoff et plusieurs autres qui ne signent ».

C'était, très probablement, l'opération césarienne post mortem, qui venait de se pratiquer, à l'Isle-Saint, en 1727, et cela avec le succès que la science médicale constatait généralement à cette époque ; l'enfant vivant, sinon viable.

L'acte n'indique pas si l'opération a été faite par Molla Coustance. Mais si cela était, il n'y aurait qu'à l'en féliciter.

Quoiqu'il en soit, la digne matrone devait, à messire Joachim-René Le Gallo, tailler une rude besogne.

Les malades à assister, les femmes à administrer, c'était là le moindre de sa tâche.

Mais chaque mère qui décédait laissait des enfants mineurs dont il fallait sauvegarder les intérêts.

Là, où le plus fort, l'aîné, faisait la loi, voulant accaparer l'héritage, l'orphelin et le faible trouvaient, en Joachim-René Le Gallo, un protecteur érudit, zélé et juste, toujours prêt à défendre leurs droits.

VI.

Messire Le Gallo intervenait activement dans les affaires de famille, se prononçant en juge, s'érigeant en notaire. Mais son conseil avait peine, souvent, à se faire suivre.

Les successions les plus importantes consistaient en une masure indivise, quelques parcelles de terre, parfois un douaire à Plogoff, sur la grande terre, du chef d'anciennes alliances.

Les meubles de bois étaient objets de luxe que les plus fortunés seuls étaient à même de posséder.

Comment faire un partage équitable de si peu quand il y avait en présence trois successions en ligne directe et des collatérales presque à l'infini.

Lorsque le conjoint survivant était de la grande terre, la liquidation était des plus simples : il quittait l’île, abandonnant tout.

C'est ainsi que Marie Hurvoaz, veuve de défunt Jean Canté, comparaissant devant messire Joachim-René Le Gallo faisant les fonctions curiales, déclarait devant témoins, dont l'un, Barthélemy Canté, issu d'un premier mariage de Jean Canté avec Marie Monier, — « renoncer à son maris et se retirer sans rien garder ny prétendre sur les biens meubles et immeubles de la succession se retirant à la grande terre chez son père les mains vuide ».

Joachim-René Le Gallo ne fait aucune mention des deux enfants de Marie Urvois, âgés l'un de cinq ans, l'autre de trois. C'est que les biens devaient provenir de Marie Monier la première femme de Jean Canté.

Cet acte est inscrit, par messire Le Gallo, sur les registres des décès, à la date du 24 may 1729. Le 2 juillet suivant, Barthélemy Canté, en possession incontestée de la succession, épousait Marie Gouzac’h, de Plogoff.

Mais, lorsque tous les héritiers étaient Isliens, c'était bien autre chose.

Il fallait mettre d'accord tous les intérêts opposés qui faisaient valoir leurs droits, souvent le couteau à la main.

Messire Le Gallo convoquait, au presbytère tous les intéressés. Mais, pour cela, que de démarches et de difficultés ! Il fallait mettre en présence les uns qui devaient restituer, les autres qui, à leur tour, réclamaient la grosse part, tous s'étant voué une haine éternelle qui se traduisait par des insultes et des coups à chaque rencontre.

Lorsqu'il avait, enfin, pu les réunir et les calmer, il arrêtait, les droits de chacun et, l'argent mis sur la table, faisait les parts : de tout quoi, il dressait acte, — « pour entretenir et nourrir paix entre les familles ».

La sollicitude de Joachim-René Le Gallo se porta surtout sur les héros de la Sara qui apportaient à l'arrangement de leurs affaires de famille la même âpreté qu'au pillage du navire.

Nous allons les retrouver en scène.

VII.

Le vieux Pol Monier, père d'autre Pol Monier, dit Le Coq, celui-ci, le principal promoteur du pillage de la Sara, était mort au mois d'octobre 1718, laissant des enfants d'un premier lit.

Sa seconde femme, Jane Timeur, avait aussi des enfants d'un premier mariage avec Noël Guilcher.

Il y avait donc à régler la succession de Pol Monier, celle de Noël Guilcher et la communauté entre Pol Monier et Jane Timeur.

L'avoir de Pol Monier était important mais indivisible. Jane Timeur avait aussi un propre, en Plogoff, lequel avait été vendu par Pol Monier, son second mari.

Aucun accord n'était intervenu, malgré le décès de plusieurs des enfants qui laissaient aussi de nombreux mineurs.

Le décès de Pol Monier Le Coq, survenu en 1730, nécessitait une liquidation générale.

Les héritiers de Pol Monier, le vieux avaient promis à leur belle-mère, Jane Timeur de la défrayer du propre vendu à Plogoff et de régler son douaire. Mais rien n'avait été fait ; les revendications des uns, la tenacité des autres rendaient même impossible toute entente.

Le 20 décembre 1732, messire Le Gallo réunit au presbytère, les principaux intéressés, parmi lesquels, Pierre Guilcher, fils de ladite Jane Timeur, l'un des plus ardents au pillage de la Sara, et Henry Timeur, « père et tuteur naturel » de son fils Henry issu de son mariage avec Marie-Claudine Guilcher dont nous avons reproduit l'acte de décès. Les parties en présence, le partage est arrêté :

« Pierre Couillandre, époux de Marie Monier, gardera la maison principale, moyennant 105 livres. Aussitôt il dépose sur la table la somme de nonante et neuf livres, faisant la part de ses co-héritiers.

Le douaire est estimé 30 livres, dont un acompte de 6 livres est versé à Jane Timeur, le reste, 24 livres, devant être payé dans la quinzaine ».

Messire Le Gallo rédigeait l'acte lorsque Pierre Guilcher enlève de force la somme de 105 livres « de quoy, — écrit mélancoliquement le recteur, — il rendra compte ». Les enfants de Pol Monier, le vieux, et de sa première femme se montrèrent plus conciliants que les fils de Jane Timeur.

Trois jours après ce premier règlement, le 23 décembre 1732, Joachim-René Le Gallo les réunissait, à leur tour, au presbytère.

Là, il faisait rendre à la succession la somme de 12 livres, due à Pol Manier en vertu d'un contrat d'échange du 6 décembre 1690, et procédait incidemment au partage des immeubles cédés par cet échange :

« La maison délabrée dont le pignon regarde de l'ouest sur le pignon du presbytère demeurera à perpétuité à Catherine Le Guilcher (la veuve de Noël Spinec) et à ses hoirs ;

L'air regardant sur le port du côté midi demeurera indivis entre Henry le Timeur et Maurice Le Guilcher ».

Nous croyons que cette maison existe encore. Mais elle est appelée à disparaître si M. le Maire donne suite à son projet de l'abattre pour y faire passer, nous a-t-il confié, — « un vaste boulevard, assez large pour qu'on y puisse traîner une charrette à bras ».

Les immeubles laissés par Pol Monier, l'ancien consistaient en une maison d'habitation, portant gravé sur la pierre le nom du propriétaire : Honorable Pol Monier, et un vaste bâtiment appelé : ar vagasin. Ils donnaient sur un quai désigné aussi sous le même nom : od ar vagasin.

C'est là que se passait toute la vie commerciale de l’île. Les Isliens apportaient au magasin le produit de leur pêche qu'ils échangeaient contre les objets nécessaires à leur industrie et à leurs besoins. Là aussi se recelaient les épaves. Mont d'an traou, c'était l'expression consacrée pour dire : Aller aux achats. C'est la même qui sert encore aujourd'hui pour dire : Aller au cabaret ; et chaque Islien la répète fort souvent dans une journée.

A côté se trouvait une roche plate, sorte d'îlot sur lequel se réunissaient les oisifs ; cet endroit était désigné sous le nom de : poul laou, la mare aux poux. Aujourd'hui, transformé en un large quai, il n'a rien perdu de sa destination première. On peut y voir de nombreux Isliens se chauffer au soleil, trois jours de rang, en été, pour fêter le dimanche, quand la pêche donne, et sept jours en hiver, quand tout chôme, trouvant encore la semaine trop courte quand ils n'ont pu épuiser les crédits qu'ils ont dans les cabarets.

Dans le partage fait par messire Le Gallo, le 23 décembre 1732, le quart du magasin fut estimé 52 livres 10 sols, et l'immeuble resta indivis entre le gendre de Pol Monier, Hervé Menou, et ses petits-fils, les mineurs de Jean Monier : les droits de ces derniers parfaitement définis et sauvegardés par le recteur. La somme de 52 livres 10 sols fut remise à François Monier, et à sa belle-sœur, la veuve de Pol Monier Le Coq.

Le règlement de la succession de Pol Monier le vieux fut enfin terminée le 7 janvier 1733. A cette date, une quittance de 24 livres porte payement de la terre de Plogoff et du douaire de Jane Timeur, ainsi qu'il était convenu dans l'acte du 20 décembre précédent. Mais messire Le Gallo, pour éviter de nouvelles violences de Pierre Le Guilcher, a eu bien soin de faire assister au payement tous les enfants, gendres et petits-enfants de Jane Timeur.

Cependant Joachim-René Le Gallo ne perdait pas de vue les 105 livres enlevés par Pierre Le Guilcher.

Jane Timeur, la veuve de Pol Monier, ancien ayant été inhumée le 6 novembre 1733, messire Le Gallo appelait au presbytère ses héritiers et, le 22 janvier suivant, consignait cet acte sur le registre des décès :

« Le 22 janvier 1734, ont estez présents Pierre Guilcher, Henry Timeur père et garde naturel de Henry Timeur de son mariage avec Marie Claudine Le Guilcher, Michel Porsmoguer époux de Catherine Le Guilcher, Marguerite Menou tutrice de ses enfants de son mariage avec deff. Noël Le Guilcher lesquels pour entretenir entre eux la paix et l'union ont amiablement partagez la succession mobilière de défunte Jane Timeur leur mère et sont convenus que ce four dit fourn an téoule restera indivis entre led. Pierre Guilcher et les enfants mineurs de Noël Le Guileher qui ont fait raison en notre présence aux autres cohéritiers en argent scavoir la some de 60 livres qui a esté partagée entre tous esgalement et en mesme temps Henry Timeur a convenu avoir reçu pour son mineur la some de 45 livres pour la part de meuble et de la maison à four susdite au moyen de quoy ils se trouvent quitte les uns envers les autres pour avoir précompté ensemble et avoir fait rendre raison à Pierre Le Guilcher de l'administration des somes par luy touchées pour sa mère dont entièrement ses cohéritiers le quittent sans aucune réservation de part ny dautre au presbytère de l’isle sains ledit jour ».

(La maison de la veuve de l’Ile-de-Sein, Anna Thymeur, célèbre par le tableau du peintre Renouf, est bâtie sur remplacement de fourn an téoule).

VIII.

Tel est le dernier acte que nous ayons trouvé portant la signature de messire Joachim-René Le Gallo.

A cette époque, 1734, il devint recteur de Primelin où nous le voyons donner, au nom du vénéré saint qui préserve de la rage, la nouvelle orthographe : Tugen, qui depuis est la plus usitée.

Mais il ne perdait pas de vue son isle sains où il avait si bien introduit l'esprit de concorde, de justice et de protection du faible.

Sept ans après, le 16 avril 1741, il retournait à l’île pour célébrer le mariage de David Porsmoguer avec Bergitte Foucot. Il se retrouvait là parmi ses anciennes connaissances de la Sara, les derniers pillards cités dans le rapport de Pierre de l'Abbaye, représentant de l'Amirauté. Nous ne pouvons affirmer si le fricot de noce a été fait dans la marmite de fer dérobée par le nouveau marié à bord de la Sara ; mais nous sommes certain que ses deux sœurs, Anne et Marguerite, y assistaient et que, si autrefois elles étaient — personnes de force et violentes, — elles étaient à cette époque d'excellentes mères de famille.

Depuis longtemps Joachim-René Le Gallo avait fait la paix entre tous ces personnages. Le 27 mars 1733, Pierre Porsmoguer mourait. Au mois d'août suivant son fils David tenait sur les fonts baptismaux, avec Anne-Louise de l'Abbaye, une fille, Anastasie Chouard. Sa venue dans l'île, pour ce mariage, indiquait que le drame de la Sara était entièrement oublié.

L'acte de mariage porte que noble et discret messire Joachim-René Le Gallo était recteur de Plovan (?) et de Primelin et doyen du Cap-Sizun.

Son écriture toute tremblée montre que ses épaules commençaient à sentir le poids des années.

Mais il retrouva toute gaillarde Molla Coustance, qui continuait dignement son office de matrone. En effet, un mois auparavant, elle avait été obligée de baptiser à la maison le nouveau-né Guénolé Chouart par ce qu'il était en danger de mort.

Messire Le Gallo mourut recteur de Primelin, âgé de 73 ans. Il fut inhumé dans le cimetière de cette paroisse le 23 février 1753, et le seigneur du Ménez-Lézurec assista à son convoi.

IX.

Le souvenir de Michel-René Le Gallo a disparu de l'Ile-de-Sein. Cependant l'on entend parfois les enfants chanter cette mélopée :

« Joachin a so bed conjured, Laked en eur votez, Ac kased d'an Ifliskou, Da ober he binijen ».

« Joachim a été conjuré, mis dans un sabot, et transporté sur la roche Ifliscou, pour y faire sa pénitence ».

Une superstition du Cap-Sizun et de l'Ile-de-Sein veut que toute personne qui a joué, sur terre, un rôle éminent, doive être, après sa mort, l'objet d'une conjuration.

Joachim-René Le Gallo, dont l'influence sur les mœurs des Isliens a été si marquée, a subi, dans la croyance locale, cette loi commune de la superstition.

Aussi, lorsqu'on voit, sur une pointe de rocher, un cormoran noir étendre ses ailes au vent, on dit : — « C'est Joachim qui apparaît ! Un malheur est proche ! ».

Les Isliens, autrefois, à la vue de Joachim-René Le Gallo accourant avec son bonnet rouge sur le lieu d'un naufrage, devaient s'écrier de même : — « Voilà Joachim ! Malheur à nous ! Il va faire cesser le pillage ! ».

X.

Mais si le nom a déserté les mémoires, l'œuvre de Michel-René Le Gallo a survécu. Ses successeurs ont continué ses traditions.

En tous temps, en toutes circonstances, les Isliens trouvèrent près d'eux protection, conseil, assistance. L'union étroite entre les familles et la solidarité entre tous les habitants en furent le résultat.

Mais un reste de sauvagerie ne pût être réformé, c'est la haine, ou la crainte de l'étranger [Note : Cet état avait sa raison d'être, lorsque l'Ile de Sein, isolée, n'avait d'autre loi, d'autre commandement que ceux des Capitaines de l’Ile. Mais il a continué, même au XIXème siècle. Les magistrats municipaux ont perpétué leurs traditions, bien que les conditions d'existence, de sécurité, d'organisation fussent tout autres].

Aux siècles précédents, l'isolement de l'île amenait dans ses eaux les navires de toutes les puissances, amis et ennemis. Comment n'être pas continuellement en éveil, toujours sur ses gardes, quand on ne savait qui allait aborder !

Les tempêtes jetaient aussi sur ces côtes de nombreux naufragés. On ne les tuait plus. On les traîtait même bien durant leur séjour. Mais qu'on avait hâte de les renvoyer, car c'était un surcroit de bouches à nourrir, là où les vivres étaient rares et manquaient même souvent !

De la cette méfiance continuelle envers les étrangers ; elle était poussée à l'excès, si bien que les Isliens se tenaient à l'écart de la main qui se levait pour les frapper, comme de celle qui se tendait pour les secourir. Le duc d'Aiguillon en eut la preuve lorsque, s'apitoyant sur leur sort, il voulut les transporter sur la grande terre, où il leur aurait donné à souhait, argent, vêtements et nourriture.

Un dicton a conservé le souvenir de son offre généreuse :

Les hommes devaient recevoir :

« Tri skoed en argant ac eur bragou trellez ; Diou vech potaj ac bar a banez ; »
« Trois écus en argent et une culotte de toile, Deux fois de la soupe (à chaque repas) l'écuelle comble de panais ».

Les femmes n'étaient pas oubliées ; en plus de cette savoureuse soupe aux panais, elles avaient :

« Eur strink-lerou Ac trafic e cailhenou »
« Une paire de bas et un trafic de vieilles hardes ».

Quelques-uns exagérèrent même les délices qui les attendaient :

« Va foëta-d'eon, Ma ne ked mad panez frited evid-eon ! »
« Qu'on me fouette, si je n'accepte pas des panais frits ! ».

Ces panais, frits au beurre nouvellement baratté et servis avec une épaisse couche de crème, qui faisaient les délices de tout le Cap avant la découverte de la pomme de terre !

Quelques Isliens tentés par de si bonnes choses quittèrent leur île.

Mais leur méfiance innée envers tout ce qui est étranger les suivit. Bientôt la nostalgie de leurs rochers s'empara d'eux et ils retournèrent parmi leurs anciens compagnons.

Aujourd'hui les conditions de l'existence ont changé à l’Ile-de-Sein. L'épave n'est plus nécessaire. Le commerce y fait abonder l'argent. Les relations avec le continent sont journalières et relativement faciles.

L'Ilien entreprend de longs et fréquents voyages sur la grande terre, même avec luxe ; il n'est pas rare de voir les Iliennes, quand elles prennent le chemin de fer pour aller à Pont-Croix, à la foire aux provisions d'hiver, enserrer leurs tickets de six sous dans d'élégants porte-cartes en cuir de Russie. Mais cette méfiance instinctive envers l'étranger, que Joachim-René Le Gallo et ses successeurs n'ont pu vaincre, a persisté et dans maintes circonstances, comme au temps du duc d'Aiguillon, le Timeo Danaos a été la seule raison et donne l'explication des relations actuelles de l'Ile-de-Sein avec le continent.

H. Le Carguet (1901).

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