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L’ILE DE SEIN AU XVIIIème SIÈCLE
** Etat de la Population **

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Les plus anciens registres de l’Etat-Civil de l'Ile-de-Sein, aujourd hui déposés aux archives départementales, commencent à l'année 1718, pour se terminer à l'année 1750.

Les actes portent la signature des prêtres qui ont desservi la paroisse pendant ces années. Ce sont :
1718. — H. Gonidec ;
1723. — Michel Le Gall ;
  —     — Joachim - René Le Gallo ;
1734. — F. Le Normant ;
1737. — P. Rogel ;
  —     — J. Perhérin ;
1739. — André Le Normant ;
1740. — P. Kersaudy ;
1741. — Joachim-Marie Le Gall ;
1750. — J. Arhan.

De 1719 à 1741, les actes sont tenus assez régulièrement. Ils nous ont fourni les chiffres d'une statistique qui donne un aperçu approximatif de la population, à la fin de cette période.

L'île de Sein (Bretagne).

I. — POPULATION.

A cette époque, 1741, l’Ile-de-Sein devait posséder 472 habitants : 253 hommes et 219 femmes.

Nous avons obtenu ces chiffres, en relevant tous les noms relatés dans les actes et en retranchant du total le nombre des décédés.

La population se divisait en 3 groupes :

1° Les isliens pur sang, c'est-à-dire issus de pères et de mères nés dans l'Ile ;

2° Les métis, dont l'un des auteurs était né sur le continent, la grande terre ;

3° Les étrangers, séjournant dans I’lle par suite de leurs fonctions : représentants de l'Amirauté, employés au tabac, etc.

Elle comprenait un total de 148 familles, savoir :

Du 1er groupe : 77
Du 2ème groupe : 56
Du 3ème groupe : 15

Parmi ces 148 familles, 112 avaient leurs chefs existants :

Familles isliennes : 62
Familles métisses : 43
Familles étrangères : 7

Les familles dont l'un des chefs était mort comprenaient :
15 familles isliennes ;
13 familles métisses ;
8 familles étrangères.

Toutes ces familles ne formaient pas autant de ménages distincts. Souvent 3 générations vivaient au même foyer. C'était même la règle générale de voir les enfants mariés continuer, du moins durant un certain temps, à vivre avec leurs parents, jusqu'à ce qu'ils aient pu, par leur travail, par l'assistance de leurs proches ou par les successions survenant à l'un des conjoints, se procurer les moyens de se construire une habitation séparée.

Le nombre des feux était donc assez restreint. On peut l'évaluer approximativement à 75, soit égal à la moitié du nombre des familles.

Le dictionnaire d'Ogée évalue à 64 le nombre des mènages. Mais il faut entendre que beaucoup de ces ménages comprenaient, à la fois, la famille de l'aïeul, celle du fils et celle du petit-fils. Du reste, les noms de famille l'indiquent. Ainsi nous trouvons :

Du nom de Guilcher : 22 familles.
Du nom de Milliner, ou Monier : 17 familles.
Du nom de Chouart : 12 familles.
Du nom de Porsmoguer : 10 familles.
Du nom de Couillandre : 9 familles.
Du nom de Timeur : 8 familles.
Du nom de Piton : 7 familles.
Du nom de Canté : 6 familles.
Du nom de Menou : 6 familles.
Du nom de Coquet : 5 familles.
Du nom de Fouquet : 5 familles.
Du nom de Spinec : 4 familles.

Le chiffre de la population était sujet à des variations assez fréquentes, par suite d’épidémies, Klenvedou pegus, maladies qui crochent, sévissant surtout sur les enfants. Mais bientôt il se relevait. La grande terre fournissait un courant continuel d'immigration ; et ces étrangers, quand ils avaient fait souche, ne tardaient pas à adopter les usages, les mœurs et le caractère des Isliens, et, au même degré qu'eux, l'amour de leur Ile.

Le chiffre de 472 habitants est sensiblement le même que M. A. du Chatellier, le père de notre Président, a donné, dans ses « Recherches statistiques sur le Finistère », [Note : 3 vol. parus de 1835 à 1837. — Ouvrage honoré d'une subvention du Ministre du Commerce et d'une souscription du Conseil général du Finistère, à 300 exemplaires qui ont été distribués entre les mairies du département], au siècle suivant. En effet, d'après les documents qu'il a recueillis, la population, en 1831, était de 468 habitants. De la comparaison de ces chiffres, on peut déduire que les conditions de l'existence, à l'Ile-de-Sein, étaient stationnaires depuis un siècle.

Ile de Sein : famille de marin pêcheur.

II. — NATALITÉ.

De 1719 à 1741, nous avons relevé 351 naissances, dont 8 naissances doubles : 2 ayant produit des garçons, 2 des filles, et 4, garçon et fille.

La moyenne annuelle des naissances a été de 14,64 soit 3,09 par 100 habitants. La table de Deparcieux, donne la proportion de 2,49 0/0 seulement.

La natalité était donc très élevée à cette époque. Mais, au commencement du XIXème siècle, elle subit une dépression; en effet, d'après les données de M. A. du Chatellier, elle n'est plus que de 2,48 0/0.

102 familles seulement, sur 148, ont eu des enfants, de 1719 à 1741, soit une moyenne de 3,44 par famille.

Les familles étrangères étaient les mieux dotées. On trouve, parmi elles, des familles de 9 enfants, tandis que les familles Isliennes en ont, au plus, 5 ou 6 ; mais ce nombre est commun.

La différence des sexes a donné :
Garçons : 189
Filles : 162
Soit : naissances de garçons : 53,85 0/0
Soit : naissances de filles : 46,15 0/0

En 1831, l'arrondissement de Quimper, d'après M. A. du Chatellier, a la proportion suivante :
Naissances de garçons : 51,78 0/0
Naissances de filles : 48 22 0/0

D'après une statistique générale, la moyenne serait :
Pour les garçons : 51,52 0/0
Pour les les filles : 48,48 0/0

L'excédent des naissances masculines est d'une loi constante. Mais la proportion qui existe à l'Ile-de-Sein paraît anormale.

Un savant russe, le Docteur Alexandre Danilewsky, professeur de chimie biologique à l'Académie Impériale de Saint-Pétersbourg, à la vue du grand nombre de garçons qui sortaient de l'école d'Audierne, nous soumit, en juillet 1896. cette proposition :

« Etant admis que la nourriture phosphorée a une action directe sur les organes de la génération, il serait aussi possible qu’elle exerça son influence sur la procréation des sexes.

Si cela était, les pêcheurs qui se nourrissent, chaque jour, de poissons, aliment phosphoré par excellence, devraient engendrer des garçons dans une proportion plus forte que des filles.

Des recherches statistiques feraient peut-être ressortir une relation entre ces deux éléments : le genre de nourriture des parents et le sexe des enfants ».

L'Ile-de-Sein, au XVIIIème siècle, se trouvait dans les conditions voulues pour l'étude de ce problème biologique. La population était presque exclusivement ichthyophage. La viande lui était inconnue ; les veaux nés dans l’Ile étaient aussitôt sacrifiés et leur chair enfouie, considérée comme malsaine. L'orge et les racines suffisaient à l'alimentation durant 2 ou 3 mois. La seule nourriture était, pour ainsi dire, le produit de la mer : poissons et coquillages.

La natalité de l'Ile-de-Sein semble donner raison à la proposition de l'illustre savant russe. Les chiffres que nous avons donnés se rapportent à l'ensemble de la population. Mais en groupant les habitants d'après leur origine, nous obtenons d'autres proportions :

Chez les Isliens et les métis :
Naissances de garçons : 53,34 0/0
Naissances de filles : 46,66 0/0

Chez les étrangers, la proportion est encore plus élevée :
Naissances de garçons : 57,7 0/0
Naissances de filles : 44,23 —

Il semble résulter, de ces chiffres, que les étrangers, séjournant dans l’Ile et soumis au régime alimentaire des Isliens, en recevaient une incitation susceptible de modifier prorondément leur constitution.

Mais un seul fait ne peut être probant. D'après les indications du Dr Danilewsky, nous avons porté nos recherches sur quarante communes du littoral, comme de l'intérieur, là où le poisson est inconnu. Mais les graphiques que nous avons établis, quoique basés sur une période de dix années, ne nous ont pas donné des résultats aussi conduants que ceux de l'Ile-de-Sein. Les causes, qui président à la natalité, sont d'ordre trop élevé pour que nos colonnes de chiffres aient pu y atteindre.

Ile de Sein : cimetière des naufragés.

III. — MORTALITÉ.

Les décès rapportés, de 1719 à 1741, au registre paroissial, sont au nombre de 195, soit une moyenne annuelle de 8,47.

La proportion, pour 100 habitants, est de 1,79. Au siècle suivant d'après les données de M. A. du Châtellier, cette proportion est de 1,69.

La balance des naissances sur les décès se solde, annuellement, de 1719 à 1741, par un excédent moyen de naissances de 7,09, ou 1,50 0/0 du chiffre de la population. De 1813 à 1831, la proportion est sensiblement la même, 1,51 0/0.

Le total des années vécues est de 4111 ; ce qui donne, pour la vie moyenne, 21,09 années. A la fin du XVIIIème siècle, la table de Duvillard accuse le chiffre de 28,75 années. La vie moyenne était donc peu élevée à l'Ile-de-Sein. Cela tient à la mortalité excessive qui sévissait sur les enfants, dont 58,46 0/0 mouraient avant 10 ans révolus.

Nous résumons, en un tableau, le pourcentage des décès à tous les âges :

Ile de Sein (Bretagne) : Pourcentage de décès à tous les âges.

A cette époque, diverses causes prédisposantes, générales ou individuelles, résultant de la situation de l'Ile, des habitudes et des ressources, influaient sur la mortalité, en déterminant ou en aggravant les maladies. Les causes qui exerçaient leurs effets sur tous les âges, sont :

L'habitation. — Construites dans le sous-sol et faites de pierres mal agencées et de débris de navires ; les maisons étaient constamment humides, mal éclairées, par suite malsaines. L'air y était vicié par l'encombrement des habitants et la fumée de goëmon, seul combustible connu, avec les débris d'épaves.

Les vêtements. — La laine était presque inconnue, si ce n'est après le naufrage de la Sara, dont nous avons conté les fastes. Encore servait-elle, presque exclusivement, à faire des bretelles pour soutenir les cotillons, sortes de larges braies que portaient les hommes pour travailler.

Les habits étaient faits de toile de chanvre que l'on achetait à la Saint-Michel en même temps que les provisions d’hiver, à la foire de Pont-Croix ; d'où le nom de Lien-Pont, donnée à cette toile, A cette foire, les Isliens, hommes et femmes, se tenant tous par la main ou les pans de leurs vêtements, de peur de se perdre, parcouraient les rues de Pont-Croix, s'arrêtant, extasiés devant chaque maison, indécis des achats à faire et où les trouver. Lorsque le boniment d'un marchand avait attiré l'attention du chef de file, tous se précipiteient dans la boutique et bientôt l'étalage était dévalisé ; ce que prenait l'un, l'autre le prenait aussi, sans se rendre compte du prix réel de la chose et de l'utilité qu'on en pouvait tirer. On payait sans marchander ; il y avait de l'argent, car le poisson sec de l'année avait été livré aux marchands d'Espagne. Bonne aubaine pour Pont-Croix, que cette foire aux Isliens !

Ces vêtements de toile étaient insuffisants pour protéger les Corps contre les intempéries de l'hiver. En été, les Isliens circulaient même à moitié nus. Lorsqu'un habit neuf était endossé, souvent il restait sur le corps, jusqu'à usure complète, sans subir d'autres lavages que ceux de la pluie et des paquets de mer.

La nourriture. — La base de la nourriture était le poisson et les coquillages. La privation d'aliments végétaux la faisait insalubre. Poisson avec poisson, frais ou séché, c'était le régime ordinaire. Souvent les vivres étaient insuffisants et, en hiver, ils faisaient fréquemment défaut. En été, au contraire, les poissons de toutes sortes abondaient ; on en faisait un usage immodéré et cet abus était encore plus nuisible que la pénurie.

L'eau potable se prenait au puits dans lequel il fallait descendre par vingt-cinq marches. Deux sources, venant du nord et de l'est, après avoir traversé un sable silico-argileux, légèrement ferrugineux, et mêlé de cailloux roulés, y amènent les eaux pluviales imprégnées des embruns de la mer, de la fumée et des eaux des goëmons brûlés ou pourris. Un autre filet d'eau, venant du sud, de la partie basse de l'Ile, y accède aussi. C'est dans cette partie de l'Ile que l'on séchait les poissons, dont les débris, tombés à terre, pourrissaient sur place. Aux grandes marées, la mer afflue dans cet endroit, le len, l'étang, et, ne trouvant pas d'écoulement, stagne sur ces détritus et pénètre dans le puits, à travers un tuffeau sablonneux et verdâtre. Toutes ces causes rendent, encore aujourd'hui, l'eau du puits saumâtre et souvent corrompue.

Les eaux pluviales étaient aussi recueillies dans les creux des rochers et dans des cuvettes creusées de main d'homme, au Nith-Vran, au Gador et aux Kestel.

Les travaux. — Ils étaient, par moments, des plus rudes, Les hommes vivaient dans leurs bateaux, loin de l'Ile ne venant à terre qu'une fois par semaine. En hiver, chômage complet. Après la vie active de l'été, c'était, sans transition aucune, l'inaction absolue. Les hommes passaient de longs mois, sans exercice physique et comme engourdis, à Poul-al-Laou, devisant du temps, appelant, de tous leurs vœux, la prochaine tempête qui leur aurait jeté un navire à dépecer et du vin à boire.

La terre était abandonnée aux femmes. Elles seules labouraient, ensemençaient, récoltaient. Elles avaient, en outre, chaque jour, à moudre l'orge au moyen des braou [Note : C. f. Bulletin de la Société archéologique, 1893], les moulins à bras en usage ; à recueillir le goëmon, bîn-tân, seul combustible du ménage ; puis le Calcouign, autre varech qu'elles réduisaient en cendres pour les verreries du continent. Elles avaient aussi à amulonner du goëmon qu'elles laissaient pourrir en tas ; ensuite à le transporter dans des paniers, sur leurs têtes, aux bateaux de Saint-Nicolas, en Guipavas, qui venaient le quérir, à l'Ile-de-Sein, pour servir d'engrais. C'était là le grand commerce de l'Ile, à peu près le seul qui se faisait argent comptant ; la Fabrique elle-même en tirait un fort revenu : le compte de 1769 accuse, de ce chef, une recette de 145 livres.

Tous les gros ouvrages étaient dévolus aux femmes, même le transport des pierres pour la construction des maisons et des digues, etc. Pour elles, point de trève ! Bien portantes, malades, enceintes ou nourrices, il leur fallait toujours travailler.

Les remèdes. — Les seuls connus étaient le bouillon de poulet et le vin d'épave Tant qu'un malade prenait du vin, on avait espoir de le sauver. Son heure n'avait pas sonné. Dans nos recherches, nous n'avons rencontré aucun remède populaire, même pris parmi les plantes. Toutes les plantes de l'Ile se divisent en deux catégories : les bonnes et les mauvaises. Les premières sont celles que broutent les vaches ; les autres celles qu'elles délaissent. La verveine, seule, était quelquefois employée pour guérir les contusions et les entorses et surtout contre le mauvais œil et la malchance [Note : Voir la Revue des Traditions populaires, années 1889 à 1894, Le Mauvais œil (superstitions et croyances du Cap-Sizun)]. Toute maladie dans laquelle le malade languit, — et c'est la règle générale, qu'elle passe, par défaut de soins éclairés et d'hygiène, à l'état chronique, — est le résultat d'un mauvais sort qu'il faut conjurer. L'amulette de verveine était souveraine pour cela. On allait autrefois la cueillir, sur le continent, à la pointe de Lervily, en Esquibien.

Ainsi, à tout instant de son existence, par suite de son habitat défectueux, de ses ressources précaires, de ses occupations, de ses habitudes, l'Islien était soumis à des causes multiples, susceptibles de déterminer ou d'aggraver les maladies.

Le tableau de la mortalité que nous avons dressé, pour tous les âges, donne, par déduction, le résultat de ces causes.

A la naissance, la mortalité est due surtout au manque d'hygiène de la mère pendant la grossesse, à ses déformations corporelles, suites de travaux excessifs, et aux manœuvres obstétricales des matrones.

Beaucoup d'enfants mouraient en naissant. Un grand nombre naissaient débiles, (les actes des baptêmes le constatent), et un allaitement, insuffisant par suite de l'état de la mère, ne pouvait les fortifier. Les parents habitués à la débilité de leurs enfants, disaient : — « C'est le bon Dieu qui veut d'eux » — ; et souvent on ne cherchait pas à leur donner les soins voulus par leur constitution. Aussi la mortalité est énorme, 28,72 %. La table de Duvillard, publiée en 1806, qui donne la mortalité la plus rapide, n'accuse que 23,21 %.

De 1 à 10 ans, le manque d'une nourriture appropriée et de vêtements chauds était la cause déterminante principale des décès. Il faut encore citer les épidémies, surtout celle de 1719, qui, du mois d'août au mois de décembre, enleva 23 enfants.

L'Ile-de-Sein a gardé le souvenir d'une épidémie infantile, dans laquelle périrent tous les enfants à la mamelle, excepté un. Lorsque sa mère lui donnait le sein, toutes les autres mères accouraient, cherchant un soulagement à leur douleur dans la contemplation de ce spectacle.

La proportion des décès à cet âge est de 29,74 % ; la table de Duvillard donne 22,06 %.

Jusqu'à 10 ans, la mort faisait une sélection : il n'y avait que les enfants bien constitués â résister. Ceux-ci, dès qu'ils pouvaient s'échapper des bras de leurs mères, couraient à la grève, grimpaient dans les bateaux et s'escrimaient à manœuvrer les avirons comme ils le voyaient faire aux pêcheurs. Cette vie au grand air et dans un exercice soutenu continuait à les fortifier ; aussi la croissance se faisait, chez eux, sans encombre.

De 11 à 40 ans, chez les hommes, la mortalité est très faible ; la forte constitution qu'ils ont acquise résiste à leurs travaux. Mais de 41 à 50 ans, elle reprend son cours, atteignant même le chiffre élevé de 6,16% Il faut attribuer cela aux maladies professionnelles. Les pêcheurs, à bord de leurs bateaux, par tous les temps, de jour comme de nuit, par la pluie et le soleil, la témpête et le froid, insuffisamment nourris et vêtus, étaient exposés à des maladies accidentelles, qui, faute d'être soignées à la période aigüe, portaient atteinte à leur constitution, Beaucoup mouraient ainsi de consomption, lorsque l'âge commençait à diminuer leur force de résistance. Une autre cause de mortalité, vers l'âge mûr, devait être ce passage brusque de la vie active de l'été à l'inaction complète de l'hiver.

De 51 à 60 ans, pas de décès parmi les hommes. C'est que la carrière du pêcheur se terminait à cet âge. Il restait à terre, occupé à confectionner ou à réparer les engins de pêche. C'était, pour lui une occupation agréable plutôt qu'une fatigue, et son existence se prolongeait ainsi jusqu'à l'extrême vieillesse, pour les uns même, jusqu'à 90 et 96 ans.

Chez les femmes, les causes de mortalité sont diffèrentes ; aussi les proportions aux divers âges sont tout autres que parmi les hommes.

De 11 à 20 ans, elles paient un tribu élevé à la menstruation ; la proportion des décès est de 3,59 %, tandis que, chez les garçons, elle n'est que de 1,54 %.

De 20 à 30 ans, les femmes en couches fournissent un contingent presque aussi fort, 3,08 % el cela malgré le savoir faire de Molla Coustance, d'illustre mémoire. Mais, à leur lit de mort, les mères savaient que leurs enfants ne resteraient pas sans protection. L’assistance aux orphelins était touchante. Tout enfant qui perdait sa mère retrouvait, parmi les femmes de l’Ile, autant de mères qu'il y avait de nourrices. Chacune d'elles avait son jour pour l'allaiter, le soigner et le choyer.

De 31 à 40 ans, la mortalité s'élève à 6,13 0/0 : cause de grossesses répétées, peut-être aussi d'une ménopause hâtive déterminée par des travaux excessifs et insalubres ; la proportion des décès à 40 ans, 3,08 0/0, en est l'indice.

Après l'âge critique, beaucoup de femmes atteignent un âge très avancé, de 70 à 80 ans, En général, les femmes ont une longévité moyenne supérieure à celle des hommes ; ainsi, chez elles, la proportion des décès, de 51 à 80 ans, est de 10,25 0/0, tandis que chez les hommes, elle n'est que de 4,62 0/0.

Cette longévité des Isliens a été aussi constatée, au siècle précédent, par le P. Maunoir : — « Malgré toutes ces privations, — dit le P. Séjourné, — et peut-être à cause d'elles, les Isliens sont d'une santé vigoureuse et vivent de longues années » [Note : Vie du P. Maunoir, 1er vol., p. 150]. — Si le régime qu'ils suivaient était susceptible d'amener ce résultat, il avait son contrepoids dans le manque d'hygiène. Il suffit encore vers 1900 de voir les femmes de l'Ile-de-Sein, dans la manipulation des goëmons, soit qu'elles le brûlent, exposées aux fumées âcres qui s'en dégagent, gerçant leurs lèvres et asséchant leurs gorges et leurs poumons, soit qu'elles le transportent, sur leurs têtes, les eaux provenant de la décomposition de la plant, leur coulant, à travers les paniers, sur leurs vêtements et sur leurs corps, pour comprendre que ces travaux peuvent être la cause déterminante d'une foule d'accidents constitutionnels faisant, parmi elles et parmi les enfants qu'elles soignent, de nombreuses victimes.

Famille de l'île de Sein (Bretagne).

IV. — MARIAGES.

Le nombre des mariages, de 1719 à 1741, est de 68 ; soit une moyenne annuelle de 2,83, ou 1 mariage par 167 habitants. M. A. du Chatellier, au siècle suivant, donne le chiffre de 1 mariage par 104 habitants de l'arrondissement de Quimper.

La différence entre ces données est trop forte. Nous en trouvons l'explication dans ce fait que les registres de l’Ile-de-Sein ont seulement consigné les mariages célébrés dans l'Ile, sans mentionner ceux qui ont été contractés sur le continent ; pur les années 1732, 1736 et 1737, il n'y a même aucun rapport de mariage. Il en résulte que la moyenne de 2,83 est atténuée, tandis que le rapport avec le chiffre de la population est majoré ; n'ayant pas eu en main les documents nécessaires pour rectifier ces erreurs, nous nous contentons de les signaler.

Le nombre des mariages est réparti très inégalement pendant les années de 1719 à 1741. Ils étaient plus nombreux à la suite des années de pêche, les gains et les provisions amassées pour l’hiver, dannant, aux nouveaux époux, des ressources pour suffire à leur ménages.

Les mois, où les mariages étaient les plus nombreux, sont janvier, avec 20 mariages, pour cette période, et avril, avec 11.

L'âge moyen des époux était de 26 ans. Assez fréquemment, la femme avait 1 an ou 2 de plus que le mari. C'est encore aujourd'hui la règle générale dans tout le Cap-Sizun.

Les veufs se remariaient habituellement. Mais les veuves renonçaient à de nouvelles unions, par cette croyance que la femme, qui a perdu son époux, ne doit plus avoir que ces deux pensées : celle de la tombe où elle a conduit son mari, celle du ciel où elle le retrouvera. Les soins de la vie matérielle n'ont plus à la préoccuper. A la mort du mari, l'île entière a adopté la Veuve ; tous compatissent à sa douleur, pourvoient à ses besoins. Son champ sera labouré, sa récolte faite, son grain moulu, son goémon amulonné ; pas d'évènement heureux dans les autres familles, sans qu'on lui en fasse part ; pas de repas de fête, sans qu'on lui en apporte son morceau ! Malheur à qui lui manquera de respect, ou lui refusera quelque chose ! La veuve n'appartient plus à la terre que par la tombe de son époux, et chaque jour qui l'éloigne du jour de la séparation, la rapproche de Dieu, et Dieu saura venger le mal qu'on lui aura fait. Mais, aussi, sa bénédiction se répandra sur celui qui aura respecté ou secouru la Veuve, la vénérable par dessus toutes les femmes, la Tinnti [Note : L'expression Tinnti est usitée dans le Cap-Sizun et le Léon ; elle s'adresse, dans le Cap, surtout aux femmes, en dehors de la parenté].

Cette croyance, ce respect, et cette assistance, pour la Veuve, existent toujours à l'Ile de Sein.

H. Le Carguet (1902).

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