Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

L'ILE DE GROIX AUTREFOIS

  Retour page d'accueil        Retour page "Ville de Groix"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Les dénominations de l’île ont beaucoup varié. Dans les vies de St-Gildas (T. 2 p. 215 à 217) et de St-Guenael (T. 3 p. 373), on trouve tantôt Ronech croy (ronech, rocher élevé, et croy marais, arosé par une rivière), tantôt croylan, (lan, terre habitée). Ronech croy avait une signification appropriée. Ronech représente bien l'état géographique de l'île dont la physionomie est celle d'un gigantesque rocher, décapité à sa partie supérieure, Croy correspond à maintes parties de l'île, véritables marais se déversant dans la mer par de petits ruisseaux : vallonsde Portmelin, de St-Nicolas, de Kerlard, de Kerzos, de Locmaria, de St-Albin.

Croylan vint, sans doute, après Ronech Croy, pour indiquer que les marais arrosés par des rivières étaient habités [Note : Pour ne pas creuser de puits, les premiers habitants durent construire leurs cabanes, près des ruisseaux]. Le C dut se changer en G, par altération phonétique, et on eut Groy.

Vers le VIème siècle, par conséquent, à une époque postérieure à la présence de St-Guenael, dans l'île, Groy devient Enez er Groach, île des sorciers, île des druidesses, appellation que, justifient de nombreux mégalithes subitement dressés, grâce à des coups de baguettes de fées.

En 1037, Groach se transforme en Groë. En 1448, on-orthographie Groay ; au XVIème siècle, Groye ; au XVIIème siècle Grouais, Groy, Groye, Groix. Parfois, le même document a plusieurs orthographes différentes. C'est ainsi, qu'à la fin du XVIIème siècle, dans ses lettres à l'Ordonnateur de Lorient, le comte de Pontchartrain., ministre de la marine, écrit Groe, Grouais, Groix, à quelques lignes d'intervalle. Au XVIIIème siècle, les actes notariés, les dépêches ministérielles mentionnent l’île de Groix, avec les formes nouvelles Groy et Groix.

Tant de vicissitudes orthographiques, finissent, enfin, au début du XIXème siècle, par l'adoption définitive de Groix, mot dérivé, sans, signification propre, n'ayant qu'une relation euphonique avec l'obscure histoire ancienne de l’île.

Il y a en effet, comme un voile jeté sur le passé de ce petit coin de terre ; on ne sait même pas quand il se détacha du continent.

Groix n’a pas toujours été une île A une époque qu'il n'est point possible de déterminer, l'île actuelle représenta l'extrémité S. O. d'un isthme étroit, aboutissant à la partie S. E. de Gâvres. Cet isthme avait une crête assez élevée, figurée, aujourd'hui, par les Errants, pâté de récifs qui émergent à une faible distance de Gâvres.

Diverses considérations confirment l'hypothèse de l'isthme. Tout d'abord, il existe une chaîne sous marine allant du rivage, proche du Mené, village de Groix, à la pointe de Gâvres, en passant par les Errants. D'autres part, la constitution des roches de la pointe de Gâvres, des Errants et de Groix est la même.

Selon E. Desjardins (E. Des jardins : La Gaule romaine. T. 1. P. 304), des oscillations, compliquées de phénomènes d'érosion ont isolé Groix. Il est possible. Mais, les phenomènes d'érosion ont pu suffire pour séparer le massif grésillon (Note : L'expression « grésillon » est récente ; autrefois, on écrivait « groisillon ») de la terre ferme. Los formations insulaires de Jersey et bien d'autres, montrent avec quelle facilité et avec quelle rapidité une langue de terre se sépare d'un continent. L'île de Groix fournit elle-même des arguments à ceux qui en expliquent la formation, au moyen de l'isthme érodé. Vers 1740, les récifs des Chats, situés à la pointe S. E. étaient en relation apparente avec l’île. En 1819, des fonds assez considérables séparaient les Chats de la côte. Cette perte géologique de l'île avait été observée par les habitants. Vers 1815, l'un d'eux, affirmait à l’abbé Lelivec, recteur de la paroisse, que pendant sa jeunesse, il portait à manger, à marée basse, à ses parents occupés à pêcher sur les récifs en question.

D'ailleurs, en parcourant les falaises, on voit, en des points multiples, d'énormes blocs de rochers, détachés de la côtés, selon un vaste plan de clivage. Il y a quelques années, des fragments de schistes tombèrent dans la mer (vers Kervedan), avec un tel fracas que l'attention des riverains fut attirée.

Ces ruptures très importantes et les petites fragmentations journalières sont dues au vagues, aux vents ; aux pluies, aux marées. Les vagues, si souvent furieuses du côté de la « mer sauvage » (côte sud), battent, incessamment tout le périmètre de l’île ; par les gros temps, elles atteignent la surface du sol qu'elles désagrègent, et se brisent avec violence contre les schistes qu'elles divisent, mécaniquement. Quant aux pluies, très fréquentes, elles exercent surtout leur action en dénudant les roches, en s'infiltrant dans leurs interstices, en préparant ainsi, l'action des vents.

Sous l'influence destructrice d'agents dynamiques si puissants par leur continuité, l'isthme s'est amoindri, peu à peu, et a été recouvert, enfin, par l'Océan. A ce moment là, l’île de Groix a été constituée.

Il est évident que depuis sa formation géographique, l'île a eu ses contours légèrement modifiés par les causes qui détruisirent l'isthme. Son aspect général n'a pas dû changer, essentiellement : renflée en son milieu, dans le sens longitudinal, faiblement effilée à ses cieux extrémités, elle ressemble à une vaste oreille. Elle mesure, environ, 8 kilomètres de longueur, 3 kilomètres de largeur, 25 kilomètres de développement. Ses côtes s'élèvent partout à pic, mais avec des hauteurs très variables ; du côté Ouest, elles ont, parfois, une vingtaine de mètres ; du côté Est, entre le fort Lacroix et Locmaria, elle ne s'élèvent qu'à quelques mètres ; très découpées, barbelées de touffes de longs lichens en hiver, couvertes de primevères printemps, elles offrent, toujours, un magnifique spectacle. En déferlant à leur surface, l'Océan y creuse de profondes cavités, appelées grottes ou trous. Les touristes visitent la grotte des Moutons, le Trou de l'Enfer, les gorges de St-Nicolas, le Trou du Tonnerre, la grotte de Mme Barisy.

La, grotte des Moutons est située au S. de Kervedan, à quelque centaines de mètres a l'Est de l'ancien phare. On la nomme ainsi, parce qu'autrefeis, les moutons, parqués dans les landes de Hervedan, s'y abritaient. Ces intelligents et habiles animaux devaient se livrer à une série de bien périlleux exercices, avant de parvenir à destination...

Le Trou de l'Enfer se trouve à l'Ouest et auprès de la grotte des Moutons. C'est une large déchirure rocheuse, en forme de tunnel, s'ouvrant du côté de l'île et du côté de la mer « sauvage » qui s'y engouffre en mugissant.

Des deux gorges de St-Nicolas, l'une, parallèle à la côte Sud n'a rien de remarquable, si ce n'est le filet d'eau, — la grande rivière de l’île — courant en son milieu. La gorge perpendiculaire au rivage représente un pittoresque fiord profondément creusé entre deux masses de rochers imposantes.

Toujours sur la côté Sud, on rencontre un autre fiord plus petit, moins bien caractérisé : le Trou du Tonnerre ; à la base d'une de ses deux faces, on aperçoit l'ouverture d'une profonde grotte inexplorée.

Les particularités qui précèdent s'observent dans la partie Ouest de l'île. C'est la côte Ouest et la côte Sud-Ouest que l'Océan bat avec le plus de fureur. C'est de ce côté qu'ont lieu les pertes géologiques. L'île acquiert, à l'extrémité Est, vers le Fort Lacroix. Mais, les pertes l'emportent de beaucoup sur les recettes qui se résument, en somme, aux sables de la pointe du Fort Lacroix.

La plage sablonneuse du Fort Lacroix, piquetée d'euphorbes, a une surface d'environ tin hectare ; on y observe de minuscules tempêtes de sable On trouve bien, dans la partie Est, d'autres endroits sablonneux ; mais tous sont d'une très faible étendue, parsémés de gros galets, n'arrêtant pas le regard. Si on examine avec attention leurs sables, on est tout surpris de ramasser des poignées de grenats — petits, sans doute !

C'est que l’île de Groix est un merveilleux écrin.

Les richesses minéralogiques, totalement ignorées jusqu'en 1848, furent, alors, signalées par de Fourcy et Lorieux (Description géographique du Morbihan. Paris 1848). En 1966, D'Ault Dumesnil publie des notes sur la minéralogie de Groix (Histoire naturelle du Morbihan. Vannes 1866). En 1879, M. de Limur donne une notice « sur quelques substances minérales de l'île de Groix ». En 1880, M. R. Bréon s'occupe des minéraux de Groix dans le Bulletin de la Société minéralogique de France (T. 3 p. 55). Ces diverses recherches sont peu approfondies. L'honneur des premières études scientifiques sur les roches de l'île revient à M. Barrois (Annales de la société géologique du Nord T. XI, page. 18 ann. 1883).

Barrois divise les roches de Groix en 3 groupes essentiels. Le plus important de ces groupes est un choroshiste ou schiste chloritoïde, constitué par du chloritoïde et en grande partie par de gros grains irréguliers de quartz qu'unit du mica blanc. Le groupe des schistes à chloritoïde comprend plusieurs variétés se distinguant les unes des autres par la présence ou l'absence du grenat.

Le deuxième groupe domine dans la moitié N.-E. ; il comporte les amphiholites à glaucophane que Von Lasaulx nomme roche à glaucophane (glaucophangestine). Les amphibolites à glaucophane affleurent en couches régulièrement interstratifiées — dans les schistes à chloritoïde — au niveau des falaises de Loqueltas, Locmaria, Crehal, à la pointe des Chats, au fort Lacroix, à la pointe du Spernec, au Grip, à Port-Lay, au haut Grognon. Les faisceaux des couches ont de 30 à 50 mètres.

En s'altérant, les amphibolites produisent un troisième groupe : les schistes feldspathiques. Les schistes feldspathiques contiennent moins de mica et sont plus compacts ; ils se dirigent, en général, vers le N.-0. Leurs couches ont été rapportées par M. Barrois, à la partie supérieure des terrains primitifs, aux schistes chloriteux et talcshistes des Alpes, de Lory.

Les roches du premier groupe (schistes à chloritoïde) sont les plus abondantes et les plus utilisées — aujourd'hui et autrefois. Actuellernent, on s'en sert pour les murs des maisons, les enceintes des champs ; aux temps préhistoriques, on les taillait en ces énormes blocs que nous appelons cromlechs (pierres disposées en cercle), menhirs (pierres debout), dolmens (tables de pierres).

Ces mystérieux vestiges d'une phase mal connue de l'humanité subsistent en grand nombre, à Groix, quelques uns assez bien conservés, la plupart à peu près détruits. Beaucoup ont servi à construire des portes, des barrières, sans que personne ait jamais songé à les préserver d'une mutilation si facile à éviter.

Voici la liste dés mégalithes qui restent :

Dolmens.
Un dolmen détruit, entre le haut Grognon et le sémaphore. Au début du XIXème siècle, il était recouvert de terre et affectait la forme d'un tumulus que les habitants désignaient sous le nom de montagne de la mort. Les sémaphoristes de Pen-Men l'isolèrent et utilisèrent un de ses blocs de schiste pour fixer leurs lorgnettes [Note : Des fouilles pratiquées, sous ce dolmen, y ont fait découvrir, paraît-il, des hâches de pierre].

Un dolmen, de faibles dimensions, assez bien conservé, entre Kervedan et la côte Sud, en un point élevé et sauvage.

Un vestige de dolmen à l’Est, et à une centaine de mètres de Kerloret.

Un vestige de dolmen entre le village de Clavezic et la croix de St-Sauveur, sur le bord du chemin qui va de la croix au village.

Une magnifique table de dolmen, avec supports brisés, à St-Albin, au fond d'un vallon.

Deux dolmens assez bien conservés, entre Port Mélite et Krohet, en des points élevés dominant les Courreaux [Note : Les Courreaux représentent le petit d'étroit compris entre le continent et l’île de Groix] et la « mer sauvage ». Une des deux tables offre, en sa partie centrale, une cavité profonde, forée avec soin.

Un dolmen, en ruine, près de la mer, au sud de Locmaria.

Menhirs.
Un menhir, à St-Sauveur, debout, intact, haut de 5 mètres, environ.

Un menhir, étendu sur le sol, près du chemin allant de Kergatouarn au moulin de Kergatouarn, long de 4 métres, large de 1 mètre 50.

Un petit menhir dans le fort du haut Grognon, relevé par le Génie Militaire.

Cromlechs.
Des traces d'humbles cromlechs se voient : 1° au Sud du village de Crehal, 2° au Sud du village de Kerrigan, 3° entre le village de Kerrigan et la mer, 4° à l'est du Fort Grognon, sur la côte. Plus faciles à briser que les menhirs et les dolmens, les cromlechs ont plus vite disparu.

Les dolmens s'élèvent tous sur des hauteurs ou près des côtes, orientés dans le même sens ; les trois menhirs se dressent sur une ligne longitudinale divisant l'île en deux parties égales. Les cromlechs étaient groupés vers le milieu de la côte Sud.

Dans quel but érigea-t-on ces mégalithes de formes, de dimensions si diverses ? On n'en sait exactement rien. On a cru, longtemps, à des autels druidiques. Sur les tables des dolmens, les prêtres des Gaulois, d'ordre inférieur, les Eubates, sacrifiaient les victimes et tiraient leurs augures de la direction du sang qui coulait. Dans les cercles des cromlechs, au pied des menhirs, des cérémonies religieuses avaient lieu. Cette interprétation paraissait d'autant plus vraisemblable que les mégalithes ont été trouvés fort nombreux dans l'Armorique, région où se réfugièrent les druides chassés par l'occupation romaine, persécutés par Tibère, Claude et Néron.

Des anthropologistes ont prétendu, au contraire, que les mégalites étaient des tombeaux parce qu'on a découvert des squelettes sous certains dolmens, Il s'agirait de savoir si on découvre des déblais de squelettes sous tous les cromlechs, dolmens et menhirs, si les ossements des dolmens fouillés ne proviennent point de sépultures postérieures à l'érection de ces monumenis. Admettons, un instant, que les mégalithes soient de petites nécropoles. Pourquoi, alors, un cromlech plutôt qu'un dolmen ; dans quels cas élevait-on celui-ci ou celui-là ? Pourquoi l'immense cimetière de Carnac ; pourquoi n'y a-t-il pas d'ossuaires aussi vastes, là où les Gaulois étaient plus nombreux, là où les druides avaient leur centre, leur capitale, en quelque sorte, à Chartres ? Pourquoi, enfin, tant de tombeaux, dans l'îlot de Groix ? Groix aurait donc été un cimetière ?

Quel qu'ait été l'usage de ces énormes pierres que les ressources mécaniques de l’époque rendaient si difficiles à manier, il est certain qu'on ne les dressait que dans d'importantes circonstances.

Les mégalithes sont, à Groix, les seuls témoins des siècles écoulés avant l'ère chrétienne. Pourtant, des auteurs Bretons veulent que les Romains y aient laissé des travaux de défense. Il se peut qu'après avoir vaincu la flotte des Venètes, les soldats de César se soient établis, temporairement, à Groix. Mais aucune preuve matérielle ne confirme de nos jours, cette hypothèse, pas même le retranchement appelé camp des Romains [Note : Il est inutile d'insister sur l'abus que font les historiens bretons des camps -Romains et des camps de César]. Le camp des Romains s'étend, au Sud de Kervedan, sur la côte Sud. C'est un espace de 137 mètres de longueur et de 110 mètres de largeur, admirablement choisi pour la défense. Il est protégé, à l'Est, par une vallée d'une quinzaine de mètres de profondeur, au Sud et à l'Ouest par une falaise se dressant à pic, au Nord, par deux retranchements parallèles, en arc de cercle. Un amoncellement de pierres et de terre sépare le camp proprement dit des retranchements, sauf dans la partie médiane où existe une tranchée de 3 mètres de largeur. Si c'était là un camp` de Romains, il en contenait bien peu !

La disposition de l'ouvrage militaire indique, nettement, qu'il a été élevé pour se défendre contre un ennemi venant de l'intérieur de l'île. On ne devine pas trop la raison pour laquelle les Romains, maîtres de toute la Gaule, auraient eu à craindre dans l'île. Le recteur Lelivec (Notes manuscrites 1819) pense que l'on est en présence d'un poste de ces pirates du Nord dont les brigandages jetaient l'effroi sur les côtes bretonnes, avant le Xème siècle. Le Poste de pirates vaut bien le camp des Romains. Serait-ce simplement, un ouvrage militaire français ? Oui, peut-être. Dans ce cas, ce serait un travail antérieur au XVIIème siècle. Dès 1703, le recteur Uzel déclare dans ses lettres à Louis XIV que l’île n'a pas de fortification. Un siècle, plus tard, en 1819, M. Lelivec constate que le Camp n'était pas du XVIIIème siècle, puisqu'il cherche à en expliquer l'origine.

En définitive, le camp dit des Romains ne constitue point un sérieux indice de l'occupation romains. D'après les habitants, il y aurait des arguments plus probants que ces fossés de Kervedan, si discutés : on aurait trouvé, près de ce village, des pièces à l'effigie d'empereurs romains. Je n'ai pu me procurer les pièces et leur origine m’inspire des doutes. N'a-t-on pas dit que les pièces espagnoles ramassées dans les décombres de Kergatouarn étaient des pièces romaines ? Ne montre-t-on pas aux étranger des morceaux de briques romaines provenant de l'ancien phare de Pen-Men !

En réalité, les derniers siècles de l'ère païenne et les premiers siècles de l'ère chrétienne ne se révèlent, à Groix, par aucun souvenir positif. Pas une ruine, pas une légende ne nous parle de Groix, jusqu'à la fin du Vème siècle. Il est à présumer, cependant, que les Saxons qui descendent la Loire, dans la dernière moitié du Vème siècle, accostent à Groix ; ils doivent vite dédaigner l’île, à cause de sa pauvreté ; s’ils s’y arrètent, ce n'est que peu de temps, pour se reposer de leurs incursions ; Groix, inhabitée, ne peut leur fournir que de l'eau.

Malgré son indigence, son état sauvage, l'île de Groix donne asile, à cette époque, à des fugitifs chrétiens. C'est alors, en effet, qu'à lieu le fameux exode des Bretons de la Grande Bretagne vers l'Armorique, qui va devenir la Bretagne. Expulsés de leur pays par des envahisseurs de race germanique, Angles et Saxons, les Bretons se retirent dans leurs montagnes ou émigrent sous la direction de leurs nombreux moines. Ils débarquent presque tous sur les côtes de l'Armorique et se fixent où ils peuvent vivre. Plusieurs moines choisissent des îles pour habitat - dans le but de rester plus en sûreté, peut-être. Un d'eux, Tudy, canonisé, plus tard, vient d'Écosse, sa patrie, d'où il a été chassé par la lutte des Scotts et des Pictes. Il séjourne dans une île à laquelle il donne son nom et y fonde un monastère que détruiront les Normands, à la fin du IXème siècle [Note : Il ne faut pas s'étonner de voir un moine fonder, au Vème siècle, un monastère dans une île déserte. L'ambition de tout moine est alors de créer une retraite religieuse]. Tudy n'y reste probablement pas de façon permanente : il doit voyager, parcourir les îles du littoral. Une légende grésillonne veut qu'il soit venu, à Groix, sur une barque singulière ; le menhir de Kergatouarn. Qu'il ait ou non visité l'île il en est le patron. [Note : M. Lelivec a composé, en son honneur, un cantique breton qui n'apprend rien de sa vie. Le manuscrit fut imprimé, à Lorient, en 1819].

St-Tudy n'a laissé à Groix que sa barque fantastique : il n'en va pas de même de St-Gunthiern. [Note : On prononce St-Goudiern, de nos jours].

Après avoir abandonné le royaume qu'il gouvernait en Cambrie, St-Gunthiern se fixe à Groix, dans les dernières années du Vème siècle. Il y établit sa mesquine demeure, sur une plateforme de la partie Est dominant la majeure partie de l’île, mais où souffle, souvent, un vent violent. Il ne vit point en cénobite, dans l'acception rigoureuse du mont. A l'exemple de la plupart des solitaires d'alors, il soigne des malades. Les patients lui apportent des offrandes ; il leur donne en retour, la guérison de leurs maux, il opère des miracles. Les propriétaires de l’île, les seigneurs de Kemene-Hebœ (plus tard, Guéméné) entendent parler de son prestige et lui témoignent leur vénération : « hic (Groix) nobilissimi Hebœn dederunt sibi (St-Gunthiern) honorem » dit un passage de la vie de St-Gunthiern qui se trouve dans le portefeuille des Blancs-Manteaux. Il n'y a aucun doute, « dederunt honorem » signifie, aux V et VIème siècles, en bonne traduction temporelle, « donnèrent des terres ». Ce qui justifie amplement cette traduction, c'est qu'il y a eu, à Groix, un beau prieuré de St.- Gunthiern, jusqu'en 1790.

St-Ginthiern ne reste pas à Groix dont le séjour manque, certainement, d'attraits ; vers l'an 500, il se rend à Anaurot, aujourd'hui Quimperlé. Pendant son séjour, à Groix, St-Gunthiern est en contact avec beaucoup d'autres anachorètes. Lorsqu'en 550, St-Guenael, ancien abbé de Landevenec, s'établit à Groix, il y rencontre, lui aussi, nombre de solitaires au milieu desquels il vit jusqu'il sa mort. (3 Novembre 560 ?).

Selon toute apparence, St-Guenael obtient, comme St-Gunthiern, quelques terres de la munificence de Kemene-Hebœ.

Donner des terres incultes, désertes, coûte si peu et rachète, spirituellement, tant de fautes ! Il y a même peut-être, un prieuré de St-Guenael, vers Kermarec et Locmellaire. C'est à cause de ces terres ou de ce prieuré que les Grésillons paieront plus tard des dîmes au prieur de St-Guenael. D'ailleurs, la partie Est sera la partie religieuse, pendant plusieurs siècles ; elle appartiendra à des moines et aura un grand nombre de chapelles.

A la mort de St-Guenael, Groix ne compte que des hommes, voués à la solitude, mais elle est habitée ! L'abbé K... après avoir consulté les archives de Vannes et de Lorient, émet l'étrange idée que les premiers habitants furent 4 Arabes poussés par une tempête sur les côtes de l’île déserte ; une autre tempête y aurait jeté des femmes armoricaines.... quelle tempête heureuse pour les 4 Arabes ! Ces naufrages auraient eu lieu, vers la moitié du VIIIème siècle, pendant qu'Abderrhaman (Abdur Rahaman) dit le Sage, devenait maître du Nord de l'Espagne et envahissait la France jusqu'il la Loire.

D'après l'abbé K... les solitaires auraient donc quitté Groix, au VIème siècle. Ce n'est guère admissible. Lés terres de St-Guenael et de St-Gunthiern doivent, au contraire, être occupées par un nombre de moines plus grand qu'au temps de leurs premiers concessionnaires. Au lieu d'être déserte, au VIIème siècle et au VIIIème siècle, l’île commence à s'animer ; pour subvenir à leurs besoins, les religieux sont obligés de la cultiver, si peu que ce soit.

Au IXème siècle, l’île de Groix devient, une deuxième fois, un lieu de refuge — pour la même cause qu'au Vème siècle — ; elle est bien trop désolée, trop stérile pour attirer les Normands qui ravagent les côtes bretonnes. Plusieurs contrées de la Bretagne y envoient des reliques que les ermites cachent, probablement, dans les grottes naturelles des falaises, agrandies parfois, comme semblerait le prouver la grotte des Moutons. On met, ainsi, à l'abri des profanations, les reliques de Saint- Gunthiern, St-Guenael, St-Guengalœ, St-Symphorien. St-Teneman, St-Idunet, St-Pauleman, St-Teneman, St-Guedian. (Semaine Religieuse du Diouése de Vannes).

Les ermites habitent, des chaumières, couvertes de chaume, longues de 3 à 4 mètres, hautes de 2 à 3 mètres, n'ayant qu'un rez-de-chaussée. L'exiguité extrême de leurs demeures dépend des difficultés inhérentes aux plus modestes constructions. L'île ne donne que des schistes — faciles à façonner, il est vrai. Ils sont leurs propres maçons, leurs charpentiers, leurs couvreurs, à moins que leurs visiteurs ne leur prêtent un concours professionnel. Peu riches, ils remplacent le fer par le bois et même le bois par les schistes.

Ils relèvent, féodalement, de la maison Kemene-Hebœ, l’île de Groix appartenant au doyenné du même nom, situé entre les doyennés de Kemene-Guniguam au Nord, de Quimperlé et de Gourin à l'Ouest, de Pon Belz, à l'Est.

Il ne m'a pas été possible de connaître la généalogie des Kemene-Hebœ ; il serait important de savoir quelle était la nature des liens qui les unissaient à un certain Huelin, (Beau-frère du Comte de Cornouailles) seigneur d'Hennebont : en 1030, car ce Huelin céda, en 1037, à l'abbaye de St-Croix de Quimperlé, l’île de Tanguethen et les deux églises (Petites Chapelles) de St-Melair et de St-Gunthiern « in insula Grœ » rapporte une chartre de la même année. Huelin possédait-il la totalité ou une partie de l'île ? Était-il parent ou simplement vassal des Kemene-Hebœ ?

Les deux églises données par lui, on 1037, auront des destinées différentes. L'église de St-Melair s'entourera de maisonnettes dont l'ensembre formera le village de Locmelair (chapelle Melair), puis Locmeller, Locmenaire et enfin Lomener.

L'église de St-Gunthiern restera un peu isolée et deviendra le centre du prieuré de St-Gunthiern, très bien cultivé, très fertile, dès le XVIème siècle.

Jusqu'en 1037, aucune personnalité, aucune collectivité puissante ne paraît avoir possédé quoi que ce soit, dans l’île. La riche et très influente abbaye de Ste-Croix de Quimperlé est la première propriétaire marquante. Les deux petits coins de terre qu'elle y reçoit n'ont pas grande valeur pécuniaire, mais elle se servira de son titre de propriétaire pour acquérir une importance morale fort utile à ses intérêts. Sous l'impulsion de ses abbés, les moines de Groix prendront un caractère ecclésiastique, s'organiseront, joueront un rôle actif, et non plus purement contemplatif ; leur situation s'améliorera à mesure que disparaîtra la crainte des pillages des Normands.

L'Abbé Benoît a assez de confiance dans la sécurité de la Bretagne et de Groix pour ordonner, pendant son gouvernement (1066 à 1114), de rechercher les reliques cachées, aù IXème siècle: on retrouve celles de St-Guenuel et d'autres saints bretons.

Quelques années après la mort de l'abbé Benoît, en 1120, Guillaume, seigneur d'Hennebont, sanctionne plusieurs modifications, désirées par les moines de Groix. Ces derniers devenus de véritables ecclésiastiques sont désormais chargés du service spirituel de toute l’île, et reçoivent, en retour, la dîme rectorale, ce qui implique la présence d'un certain nombre d'habitants. Désireux d'agrandir leurs biens, ils acquièrent Hœbrech ou Stanverec, Herbrauken ou Cavranguy, Locmaria. Ils achètent, vraisemblablement, au seigneur d'Hennebont, vassal des Kemene. Leurs acquisitions ont lieu dans ta moitié religieuse de l’île, dans l'Est où Locmaria a été évidemment fondée, sous leurs auspices. Locmaria doit être assez insalubre avec ses marais, imparfaitement desséchés en 1895 ! Ses habitants sont, sans doute, peu nombreux et peu fortunés.

Moines et serfs pâtissent du célèbre hiver de 1126, beaucoup plus qu'on en souffre, au continent. Ils n'ont pas de bois pour se chauffer, bien que la tradition grésillonne prétende que l’île a été couverte « autrefois » par une forêt. On a besoin de ne pas accorder trop de créance aux traditions orales. Un gresillon de 88 ans, de Locmaria, m'a assuré, de bonne foi, que son père avait vu cette légendaire forêt. Or les centaines de documents de 1515 à 1830 que j'ai consultés ne mentionnont que quelques ormeaux, sous la rublique « tas d'ormeaux », « bois d'ormeaux ». La forêt à laquelle croient les vieux grésillons n'est peut-être que l'amplification malheureuse de l'expression « bois ».

Moins affirmatives que le vieillard de Locmaria, des personnes m'ont dit : « Vous voyez ces hectares de sillons incultes, le long des côtes ; on les a abandonnés, quand il n'y a plus en de forêt, à l'intérieur ». Voilà une belle erreur. Ces sillon bien formés, bien distincts n'ont cessé d'être cultivés depuis 100 à 150 ans. Et, certainement, il n'y a pas de forêt depuis 1515. Existait-il une forêt, avant le XVIème siècle ? Pour répondre, négativement, il serait nécessaire de prouver que les conditions géologiques et climatériques s'opposent au développement de gros arbres dans les diverses partis de l'île. Malgré le sous-sol schisteux, les marais, la violence des vents, je ne pense pas que l'on puisse contester la possibilité qu'ont les arbres de nos forêts de vivre en plusieurs endroits, à Groix. Mais, l'existence d'une opulente forêt me semble fort douteuse. Que l'on se rappelle les dénominations imagées, données à l'île Ronech croy, Croylan. Il n'est question que de rochers, marais. S'il y a eu jamais des massifs d'arbres, les premiers habitants n'ont pas tardé à s'en servir pour leurs demeures et comme combustible.

Aussi, les malheureux insulaires de 1126 ne possèdent-ils que des ajoncs, des broussaille ; à moins, toutefois, que les moines ne se procurent du bois à Hennebont, (Hen-Pont, le vieux pont) la cité la plus prospère de la région, celle à laquelle Groix s'approvisionne jusqu'au XIXème siècle.

Il doit y avoir, en ce XIIème siècle, quelques autres relations d'affaires entre l’île et Hennebont ; les moines sont bien obligés de se pourvoir et de pourvoir leurs serviteurs de vêtements, d'objets indispensables à la vie. Il faut bien payer des redevances au seigneur de la ville !

C'est à la fin du XIIème siècle, si paisible pour Groix, ou, tout à fait au début du XIIIème siècle qu'un grave évènement survient dans l'île. Le fief du Kemene Heboë est démembré ; Groix divisée en 2 parties égales. L'une s'ajoute à la seigneurie La Rochemoisan, l'autre aux fiefs de Léon. Le menhir St-Sauveur, placé au milieu de l’île, peut servir de délimitation. A la rigueur, il n'est pas besoin de bornage. Depuis longtemps la partie Ouest ou Primiture se distingue de la partie Est. Piwisy par une plus grande animation, une plus grande aisance. Le prieuré de Saint-Gunthiern et Locmaria représentent, à Primiture, de petits foyers de civilisation. La scission qui a lieu ne fait qu'accentuer des dissemblances déjà profondes, devant évoluer à ce point qu'au XIXème siècle, le dialecte de Primiture différera du dialecte de Piwisy.

Groix cesse d'être partagée entre deux maîtres, en 1384, grace à la maison des Rohan. La maison de Rohan est bretonne ; elle remonte à Alain, quatrième fils d'Eudon, vicomte de Porrhoet et de Rennes, et premier prince de Léon ; ses branches sont au nombre de cinq : Guemenée, Gié, Chabot, Soubise, Montbazon [Note : D'abord vicomtes, les Rohan devinrent ducs en 1603 ; ils portaient le titre de princes à cause de leurs alliances : 1° avec les maisons royales d'Ecosse, de Navare ; 2° avec les ducs de Bretagne]. C'est un Rohan Guemené qui reconstitue l'unité territoriale de Groix en achetant la part de la seigneurie de la Rochemoissan, et en mettant le tout dans le lot de son fils Charles de Rohan, seigneur de Guemené.

Propriété féodale d'un seigneur unique, vivant d'ailleurs éloigné loin d'elle, Groix souffre moins que si elle avait à subir les querelles de plusieurs maîtres. Son unité territorial son isolement, son aridité lui assurent un calme complet pendant les troubles ensanglantés des guerres de Bretagne. Les belligérants ne songent guère au miserable îlot. L'évolution sociale de Groix s'effectue donc, au XIXème siècle, sans secousse, avec lenteur. Les changements s'opèrent insensiblement, car les Grésillons ne connaissent que les moines, ne savent de la vie que peu de chose, ce que leur en disent leurs maîtres. Des Galiciens s'arrêent bien sur les côtes de l’île, dans le cours de leurs voyages maritimes de Galicie en Bretagne, mais les langues ne sont pas les mêmes, et les Galiciens, tous trafiquants, ne songent point à se fixer à Groix. A quels travaux s'y livreraient-ils, eux marchands, les grésillons s'occupant d'agriculture ?

On défriche les terres, on sème du froment ; les laïques construisent des maisons. Des villages prennent naissance. Au commencement du XVIème siècle, il y a nombre de petites localités. C'est à partir de cette époque qu'il m'a été permis de suivre l'histoire économique de l’île, à peu près d'année en année grâce à 500 ou 600 documents inédits, fort divers, mis à ma disposition par les plus vieilles familles du pays.

Le plus ancien de ces parchemins est un acte notarié, libellé en 1518, illisible, maculé, rongé par les rats ; je n'ai pu y déchiffrer que les noms de certains villages : Kerportudy, Loctudy, Kervedan. Et, d'après la tradition orale, Groix n'aurait été habitée qu'après la conjuration d'Amboise, en 1560 ! Un autre acte notarié, daté de 1555, bien conservé, fournit de nombreux renseignements ; le voici : « Par devant nous, notaire royal de la cour de la Rochemoissan, furent présents Yvon... demeurant au village de Kerportudy, en la paroisse de Groy, d'une part, et Allain Guillaume, fils de feu Guillaume Salaun, demeurant au village de Lomelair, en la dite paroisse de Groy, d'autre part. . . . . . . Le dit Yvon... a baillé, par ces présentes audit Salaun, prenant, à titre de ferme à neuf ans entiers, une maison (à Kervedan) pour payer au dit Yvon la somme de dix sols, monnaie de France, par un chaque an. Ce fut écrit en la maison de Jacques de Krinault, au bourg de Loctudy, en la dite paroisse de Groix, le premier jour de juin, l’an mil cinq cent cinquante-cinq ».

On remarque d'abord, dans cet acte, que le notaire est un notaire royal, un personnage exempt de taille, de redevances personnelles et de corvées, appartenant à la chancellerie, en qualité d'officier inférieur.

Si un notaire royal traverse les Courreaux pour rédiger l'acte de ferme d'une maison, c'est qu'il y a pour lui une obligation impérieuse ; il doit, en effet, constater de visu, l'existence des biens pour lesquels il instrumente. Infortuné notaire royal ! à quelles privations il s'expose. Mauvais gite : souvent maigre chère. Par bonheur, pour le notaire ayant passé l'acte de juin 1555, il existe, Groix, une maison digne de le recevoir, celle qu'habite de Krinault de Portcaro, propriétaire de la seigneurie de Kervedan, à l'ouest de Piwisy ?.

De Krinault, Yvon et les ecclésiastiques sont les seuls à avoir une importance. Les autres habitants cultivent le froment, l'avoine et les pois. Cet état social change brusquement.

Cinq années après l'acte de 1555, la conjuration d'Amboise est découverte. Les seigneurs protestants compromis cherchent un asile. Plusieurs d'entre eux se réfugient à Groix. L'’île leur convient merveilleusement ; elle appartient à un Rohan, on la considère comme étant un îlot sauvage, inhabitable pour des gens de qualité : le roi n'aurait pu exiler les coupables, en un meilleur lieu. Les conjurés ne trouvant pas de logis, sont forcés de bâtir des maisons, à la hâte. Comme ils espèrent obtenir leur grâce, après l'avènement probable du Béarnais, comme les matériaux, les ouvriers manquent à Groix, ils se contentent de modestes logis que plus tard, on appellera manoirs ou châteaux ! Il est vrai que toutes nos idées résultent de comparaisons. Les Grésillons n'ont que des habitations à un rez-de-chaussée, couvertes de chaume. Il jugent très beaux, ces manoirs composés d'un rez-de-chaussée communiquant à une sorte de premier étage, au moyen d'un escalier de pierre, extérieur à la maison. Au-dessus du premier étage s'étend un grenier, éclairé par une lucarne. Un petit jardin, des communs constituent les dépendances. Le seul ornement que l'on y voit, est une porte ogivale, parfois agrémentée d'un écusson grossièrement taillé. Quelques fleurs égaient un peu l'ensemble.

Autour des abris momentanés des conjurateurs, des mâsures s'élèvent ; de même qu'en France, les maisons se groupent à côté des châteaux. Des villages naissent ainsi et prennent les noms des principaux occupants (Kergatouarn, Kerlivio, Kerloret...).

Tous les transfuges établis à Groix rentrent en France, aussitôt après l'avènement d'Henri IV. Ils laissent, probablement à leurs domestiques, leurs manoirs et leurs quelques arpents de terre, moyennant des dîmes seigneuriales et ecclésiastiques. Cest une bonne aubaine pour de simples serviteurs que d'avoir en propre une maison, que de pouvoir cultiver des terres et d'en garder une partie des revenus. Aussi, s'établissent-ils dans l'île. Ils se mêlent à la population indigène, lui infusent un sang nouveau et lui donnent sans doute, l'exemple d'une activité ignorée dans l’île. Leur influence est heureuse. Les noms de ces hôtes ne peuvent être que des prénoms, puisque les serviteurs ne sont alors connus que par leurs prénoms. Il y a de probabilités pour qu'ils s'appellent Guillaume, Simon, Stéphan, etc..., pour qu'ils soient les aïeux des familles portant aujourd'hui ces noms. Guillaume, Simon, etc., ne représentent pas des noms bretons ; s'ils appartiennent, actuellement, à de vieilles familles grésillonnes, c'est que leurs ancêtres transformèrent leurs prénoms en noms patronymiques.

En restant à Groix, les domestiques des seigneurs protestants ne font pas qu'augmenter le nombre des habitants et les imprégner d'idées nouvelles, ils rendent plus fréquentes les relations entre l’île et le continent. Grâce à eux, il y a, aussi, plus de transactions de terrains. Malheureusement, les actes de cette phase de transition sont rares. On ne sait donc pas grand chose de la physionomie générale du pays. C'est à peine si un acte de vente du 1er février 1581, fournit quelques détails sur le bourg de Loctudy. Cet acte apprend que Tudy le Tallec et Louise le Doniou (des autochtones, ceux-là) se partagent une maison à deux étages, située au bourg, près de laquelle il y a « grand nombre d'arbres d'ormeaux ». Maison à deux étages signifie maison ayant un rez-de-chaussée et un étage. Un des deux héritiers a « la moitié du clos et prairie situés près de la chapelle de Saint-Albin ».

L'acte du 1er janvier 1581, et les actes du XVIème siècle, que m'ont servi, sont passés par devant les notaires de la cour de la Rochemoissan, et libellés sur de larges et beaux parchemins, de façon fantaisiste. C'est la folie du griffonnage. Pour parer à un tel inconvénient, le notaire joint à chaque acte une copie sur papier gris bleuté, écrite avec soin par un clerc. Le malheureux copiste ne peut pas toujours déchiffrer le grimoire qu'il traduit ! Des mots, des phrases entières sont omis. Il arrive au maître de corriger l'orthographe des noms propres : mais jamais le texte n'est rétabli dans son intégrité. D'ailleurs. seul l'original fait foi, seul il est signé : 1° du notaire qui entoure son nom d'une forêt de traits ; 2° des témoins, ou plutôt des personnes signant pour les témoins, parce que le plus souvent, ceux-ci sont illettrés.

Si, malgré les ventes qui ont souvent lieu à Groix, il existe si peu d'actes, à la fin du XVIème siècle, c'est que les intéressés s'arrangent à l'amiable. Ils craignent d'aller chercher un notaire, au continent, où l'on se bat. Tout près de Groix, les Ligueurs guerroient. Le duc de Mercœur les conduit, secondé par des Espagnols, prêtés par Philippe II qui a l'étrange ambitién de faire valoir les droits (?) de sa fille Claire-Eugénie sur le duché, de Bretagne. Dans ce but, il a envoyé au chef des Ligueurs, des auxiliaires commandés par Don Juan d'Aquila.

En 1590, le duc de Mercœur et ses alliés assiègent Port-Louis et s'en rendent maîtres. Les Espagnols occupent la place jusqu'au moment où, en 1598, le duc de Mercœur se soumet, le traité de Vervins mettant fin à la guerre ; ils abandonnent Port-Louis à Henri IV, contre 200.000 fr., prix des fortifications élevées par eux. Soit pendant leur long séjour à Port-Louis, soit après leur départ de la ville, ils fréquentent Groix. Un certain nombre d'eux, hommes d'aventures autant que de guerre, s'y fixent et y fondent ces familles à noms espagnols : Mollo, Frollo, Davigo (dom Vigo ?), Magado, Jégo....

La présence de ces étrangers jointe à l'arrivée récente des conjurateurs modifie profondément la population grésillonne. A côté des propriétés ecclésiastiques se forment nombre de petites propriétés roturières, prospères. Des hommes de la glèbe amassent des économies par leur travail, par les gestions de biens dont ils sont chargés et achètent ou afferment les terres seigneuriales. De religieuse qu'elle était, l'île devient roturière. De Krinault habite te bourg ; il possède la seigneurie de Kervedan, mais il va vendre ses biens et disparaître. Il n'y a en somme, vers 1600, que des religieux, quelques roturiers, relativement riches et des travailleurs de condition fort médiocre.

Cette poignée de gens mène une vie toute spéciale, en des temps de féodalité si lourde pour les humbles. Les Grésillons offrent le curieux exemple de vassaux ne subissant pais les caprices, le bon plaisir de leur suzerain. Le prince de Rohan est bien le propriétaire, le seigneur de l’île ; mais il n'y possède pas d'habitation, il n'y paraît pas, il n'y cultive pas directement ses domaines. Il afferme ou vend les terres qui n'ont pas été données, jadis, aux moines, ou qui n'ont pas été cédées déjà. La propriété foncière se compose donc, à cette époque : 1° des dons faits à des religieux ; 2° des terres affermées directement par le prince ; 3° des terres vendues par la maison de Rohan, à des gentilhommes de peu ou à des roturiers. Sur ces terres, le prince a des droits de redevances. Toutes, sans exception lui paient des rentes chaque année, soit en nature, soit en argent. Toutes sont frappées de rentes feagères et perpétuelles. Le prince de Rohan, vend, par exemple, des terres à une personne quelconque Il est stipulé dans l'acte de vente que quels que soient les propriétaires ultérieurs ils devront payer au prince des redevances déterminées et invariables. Aussi, qu'un de ces propriétaires grésillons, plutôt concessionnaire que propriétaire, en réalité, veuille liquider son bien, rien de plus facile pour lui, il vend à qui il veut, ce qu'il veut, au taux qu'il veut. Mais dans l'acte de vente, il fera observer que les terres qu'il cède paient, chaque année, telles et telles redevances au prince. Ces propriétaires avec restriction, sont dits propriétaires roturiers. Leurs enfants reçoivent leurs héritages à titre d'héritages roturiers.

En somme, le prince de Rohan ne demande à ses vassaux de Groix que des revenus. Il ne les tourmente pas pour les autres droits féodaux qu'il a, mais qu'il n'exerce pas. Son prévôt — dont je parlerai, plus tard — recueille des minots de froment et d'avoine [Note : Minot, vieille mesure de France représentant 39 litres métriques de froment, 78 litres d'avoine], quelques livres tournois et pas plus. Mais s'il n'impose pas de vexations à ses sujets, il applique « les coutumes de Bretagne » en tout ce qui concerne les affaires d'argent. Outre son prévôt de Groix, il a un receveur qui perçoit des droits, en argent, sur toutes les ventes de terres. Ces droits sont élevés. Fait curieux, on le verra, les droits versés au receveur du prince ressemblent beaucoup aux droits d'enregistrement.

Les ecclésiastiques, les propriétaires roturiers sont dans l’impossibilité de cultiver eux-mêmes leurs terres ; ils les font travailler de plusieurs façons : 1° en les affermant ; 2° en les donnant à domaine congéable ; 3° en les cédant à la tierce gerbe, au tiers grain.

Le fermage ne comprend pas, forcément, une habitation et des terres. Le plus souvent, il ne s'agit que de sillons disséminés un peu partout, dont la totalité prend le nom du tenue. Les fermiers sont appelés tenanciers de tenue ; ils tiennent ces tenues « sous » [Note : Dans certaines régions de la France, on dit encore que les métayers sont « sous les mains » de leurs propriétaires] le propriétaire. Ils afferment pour une période de 9 ans, en général, et s'engagent à payer leurs redevances fixes, à leurs propriétaires, chaque année, à la Saint-Gilles, c'est-à--dire, après la récolte des céréales. Les redevances se composent toujours de froment, d'avoine, quelquefois d'argent, rarement de poulets, de moutons. Les céréales sont mesurées par minots combles ou racles c'est-à-dire simplement remplis. Le minet n'est pas une mesure constamment semblable à elle-même ; aussi ajoute-t-on souvent : minot, mesure d'Hennebont. Quant à l'argent, sa rareté est telle qu'il est bien peu souvent question de livres tournois, monnaie de France ; on parle presque toujours de sols.

Les terres données à domaine congéables sont cultivées par des domaniers. Les conventions entre propriétaires et domaniers n'ont qu'une durée légale d'une année A la fin de l'année, si le propriétaire n'est pas content de son domanier, il ne l'invite pas a battre son blé sur son aire. Le domanier comprend qu'il est congédié. D'autre part, si le domanier ne répond pas à l'invitation de battre sur l'aire qui lui est faite par son propriétaire, celui-ci sait qu'il doit chercher un autre domanier. Excellente manière, vraiment, d'éviter les querelles.

Les terres affermées à la tierce gerbe sont les terres dont le propriétaire du cultivateur reçoit une gerbe sur trois. Les terres cédées au tiers grain doivent être meilleures ou mieux situées que les terres à la tierce gerbe, puisque le cultivateur est obligé de battre lui-même sa récolte et de donner ensuite à son propriétaire un minot sur trois minots récoltés.

Tenanciers de tenues, domaniers, cultivateurs la tierce gerbe et au tiers grain fournissent des corvées leurs propriétaires respectifs. Un roturier en corvée, chez un autre roturier, étrange coutume ! Il est vrai que ces corvées sont fixées quant à leur nombre et quant à leur nature. Les personnes qui les donnent ne sont pas corvéables à merci. D'habitude, les corvées se font lorsqu'on bat les céréales, lorsqu'on les vanne ; il y a alors groupement de Grésillons et de Grésillonnes ; on travaille avec entrain ; les corvée sont un caractère plutôt gai. Il faut croire qu'on les jugeait peu blessantes, puisqu'elles existaient après 1830. Ces corvées ne rappellent donc les corvées féodales que par leur nom ; elles n'ont rien de vexatoire ; il n'en est pas ainsi des dîmes.

L'expression « dîme » ne manque point d'ironie au temps où nous sommes. Ce n'est point la dixième partie de ses revenus que l'on donne, plutôt que l'on est contraint de donner à Groix, c'est bien davantage, peut-être pour mieux suivre les prescriptions de l'Eglise catholique. « Donnez votre bien aux pauvres, disait Saint-Augustin, et offrez-en une partie aux ministres de la nouvelle loi ; quoique vous ne soyez pas obligés, comme les Juifs, à payer la dîme, vous devez imiter Abraham qui la payait avant la loi ». Le grand Saint-Augustin s'adressait aux riches ; la royauté et les ecclésiastiques s'adressent maintenant aux pauvres, et exemptent de dîme les riches.

Les habitants de Groix paient des dîmes seigneuriales et des dîmes ecclésiastiques. Les premières sont dues au prince de Rohan Guémené et perçues par son prévôt qui habite l'île.

Les dîmes ecclésiastiques sont dues ou prieur de Saint- Gunthiern, au prieur de Saint-Guénael de Caudan, au prieur de Saint-Michel des Montaignes, en Plœmeur, et à l'abbé de Saint-Maurice de Carnoët.

Le prieur de Saint-Gunthiern reçoit des dîmes, parce que ses fonctions spirituelles équivalent aux fonctions de recteur ; outre ces espèces de dîmes rectorales, il a les offrandes faites dans les nombreuses chapelles de l'île. Le prieur de Saint-Michel des Montaignes, représentant des Pères de l'Oratoire, a des droits sur le choeur de l'Eglise de Loctudy ; soit à cause de ces droits, soit pour d'autres raisons que j'ignore, il perçoit à Groix, les grosses dîmes, c'est-à-dire les dîmes sur les céréales. Les habitants appellent sa dîme, la « dîme de la charrette » parce que son collecteur la perçoit avec une charrette . Quand le paiement de la dîme des Pères de l'oratoire approche, le collecteur annonce, à la sortie d'une grand'messe, le jour ou la charrette passera dans les villages. Au jour fixé, la charrette s'arrête aux endroits indiqués, et les pauvres diables donnent un quart de minot, autant d'avoine à la riche association dont Yvon gère les affaires, à Groix.

La famille Yvon, si puissante au XVIIème siècle, voit sa fortune grandir de jour en jour, ses membres sont déjà qualifiés d'honorables, titre enviable et fort recherché. On aime tant à avoir un titre quelconque pour ne pas être confondu avec les manants — d'où l'on sort ! Les notaires, psychologues sans le savoir, n'oublient point, dans leurs grimoires, d'accorder à chacun tout ce qui lui est dû — d'honneurs, au moins. Le seigneur gentilhomme est haut seigneur ; le seigneur obscur est noble homme ; le roturier en mal de noblesse, figure comme sieur de ; les roturiers aisés sont, ainsi que les Yvon, gratifiés d'honorables ; les ecclésiastiques s'intitulent eux-mêmes messires. L'acte qui suit, daté de 1600, fournit un exemple de ces termes honorifiques.

« Par la cour de la Rochemoissan, devant nous, soussignés, notaires royaux… ont comparu, en leurs personnes, noble homme François de Krinault, demeurant au village de… paroisse de Caudan, d'une part, et honorable homme Lorand Yvon, demeurant au bourg de Loctudy, en lisle de Groix, d'autre part ».

De Krinault, le grand propriétaire foncier de l'île, l'a donc quittée. L'acte précédent prouve en outre, qu'il vend ses terres. Evidemment, Yvon achète. De Krinault vend à L. Yvon, des terres situées au village de Kerlard, « tenues à domaine congéable sous de Krinault, par Jacob ....., demeurant au village de Kerlard, pour lui en payer de convenant, par chaque an, au terme de la Saint-Gilles, par argent, le nombre de 16 sols tournois, par froment, 1 minot de froment rouge, mesure comble, autant d'avoine et corvées.... ».

Le chargé d'affaires des Pères de l'oratoire est sans doute un frère du précédent ; il signe Jac. J'ai retrouvé un de ses rôles de la charrette. Ce rôle commence ainsi : « 5 septembre 1603. C'est le rôle de la dixme de Groy appelé la dixme de la Charette située en la dite isle dépendant du prieuré de Saint Michel des Montaignes ».

Après le titre, viennent les noms des villages, sous le nom de chacun d'eux se trouvent les noms des habitants avec la quantité de céréales dues. Presque tous figurent pour un quart de minot de froment, autant d'avoine. La liste des villages comprend des noms qui ne représenteront plus que des ruines au XIXème siècle : Kerlaret, Kerpunce, Kerbus, Crehal Bras, Gras, Kergadouret, Crehal Bihan. A la dernière page du rôle, le chargé d'affaires dit : « J'ai reçu pour Monsieur le prieur des Montaignes, le nombre de bled porté ci-dessus de dixme de la charrette... (due ?) par les villages de l'isle de Groy au moys de septembre 1603, sous mon signe….. ».

Au XVIIème siècle, on paie régulièrement les dîmes. Les collecteurs ont, sans doute, des moyens de coercition que taisent les documents. S'il y a des contestations, tant de cet ordre que pour toute autre affaire, le différend n'est porté devant les tribunaux qu'en des occasions exceptionnelles. La justice est si coûteuse, si lente et si injuste !

Le tribunal de première instance d'alors est la sénéchaussée d'Hennebont ; les plaids de Quimperlé représentent à la fois la cour d'appel et la cour de cassation. Les plaids rendent des jugements définitifs. La chicane étant de tous les âges, les plaids de Quimperlé ont l'occasion, au XVIIème siècle, de s'occuper de procès palpitants d'intérêt, comme peuvenu l'être des procès entre individus ne s'entendant pas pour le partage d'un sillon de quelques livres ! Le septième jour d'avril 1615, deux habitants de Groix comparaissent à ces plaids à propos d'une maison, d'un courtil et d'un sillon « aux appartenances du bourg de Locmaria, Pont-cadou ». Le jugement débute ainsi : « Aux plaits généraux de la cour de la Rochemoissan de la principauté de Guémené, tenu au bout du pont... faubourg de Quimperlé ; sans bannies ni assignation, le lendemain de la foire des veilles, audit Quimperlé, par devant Messieurs le Sénéchal et alloué, présent Monsieur le procureur d'icelle.... ».

La sénéchaussée d'Hennebont et les plaids de Quimperlé mettent fin aux affaires litigieuses. Comment s'apaisent les querelles de diffamation, justiciables au XIXème siècle de la simple police ou de la police correctionnelle ? Selon les vieillards, le « trou de l'enfer » aurait beaucoup à répondre. Il paraîtrait que les affaires d'honneur, de haine, d'autres encore se vidaient au clair de lune, sur les bords du précipice, un couteau à la main : il s'agissait de ne pas dégringoler de 20 mètres de hauteur. Le vainqueur, s'il en restait un, rentrait chez lui ; le lendemain, personne ne l'inquiétait ! Qui l'aurait surpris ? Que l'aurait arrêté ? Un sergent ? Je ne suis pas sûr qu'il y ait un sergent à Groix, au commencement du XVIIème siècle, Les services publics n'existent pas encore. Groix n'a même pas d'actes de baptêmes, de mariages, de décès. Les gens ne savent pas trop quel est leur âge. On a environ tel âge. Heureux temps où l'on peut se croire et se dire encore jeune. Il n'en va pas longtemps ainsi. En 1616, au mois de mai, le prieur de Saint-Gunthiern abandonne le service spirituel de l'île à un ecclésiastique « vénérable messire Jullien Le Milloch » qui prend le titre de vicaire perpétuel de l’île.

Jullien Le Milloch réside à Locmaria qui est bourg, à cette époque, en Primiture, tandis que Loctudy est bourg, en Piwisy ; il établit le premier registre d'état-civil de l’île. J'ai découvert le document dans les peu riches archives de la mairie. C'est une série de magnifiques parchemins, admirablement conservés. Le premier feuillet, visé par Cougoulat, agent du fisc, est commencé le 28 mai 1616.

Jullien Le Milloch n'enregistre que les baptêmes — qui remplacent assez mal les actes de naissances, puisque parfois l'enfant n'est baptisé qu'après un laps de temps de plusieurs mois. Le plus souvent, pourtant, le baptême a lieu le jour même de la naissance, même en hiver. En général, les actes sont libellés de la façon suivante : « Le..... ième.... jour de l'an..., a été baptisé en l'Église de Monsieur Saint-Tudy, en lylle de Groye... Le compère est..... la commère.... ». Un exemple : « Ce trezieaime jour de novembre mil six cents saise a esté batisé par messire et discret Puchon, en leglisse de Monsieur Saint-Tudy en lylle de Groye Jacquette Tristant ; fut compère honorable homme Monsieur Jan Adam et commère Guillaume... ». Adam, le vicaire perpétuel et une autre personne apposent leurs brillants paraphes, ce qui prouve que le baptême a de l'éclat. Les actes de baptême des habitants pauvres n'ont que la signature du vicaire perpétuel. Si peu de personnes savent signer ! On en compte, au plus, une dizaine parmi lesquelles figure, fréquemment, Perrine Frollo, — dame du Gras, ainsi que l'indique un acte de 1617 : « .... sur le chemin qui mène du Gras au moulin [Note : Moulin à eau ; c'est le seul de ce genre qui ait existé, à Groix] dudit Gras, cotoyant terre à dile Perrine Frollo, dame du Gras .... ». Le vicaire perpétuel est, sans conteste, l'esprit le plus cultivé de l'île, le personnage le plus qualifié par ses fonctions et son prestige. En contact immédiat avec la population, il doit avoir une plus grande influence que le prieur de St-Gunthiern et le desservant de Loctudy. C'est en outre, un habile calligraphe. Quand il commence un acte de baptême par : « Ce jour..., » il trace un C majestueux énorme.. Son irréprochable écriture permettra, trois siècles plus tard, de parcourir, sans difficulté, des actes instructifs. Il ne semble pas sans besogne ; le service spirituel de l'île n'est point une sinécure. La rénumération pécuniaire de ses peines comporte son logement, la dîme rectorale ou prémisses, évaluée par lui-même à 40 minots de froment, en 1617, et enfin son casuel ? car il se fait payer les cérémonies religieuses, telles que mariages, sépultures, messes, etc. Dîme et casuel, c'est du cumul !.

Le vicaire perpétuel reçoit des dîmes comme recteur actuel ; le prieur de St-Gunthiern en perçoit comme recteur primitif, et aussi, probablement, parce que le prieuré de St-Gunthiern a aidé, jadis, à la construction des églises de Loctudy et de Locmaria. Ces dîmes de recteur primitif s'élèvent à 100 minots de froment et à 100 minots d'orge !. Il faut y joindre la propriété des offrandes trouvées dans les chapelles. L'abbé Jullien Le Milloch supporte les fatigues du sacerdoce, le prieur de St-Gunthiern en recuille les revenus. Je ne sais ce qu'il advient du vicaire, à partir du 15 septembre 1622 ; ses prouesses calligraphiques ne réjouissent plus la vue, hélas ! que de temps à autre ; elles font place à des libellés illisibles.

Les paraphes des baptêmes sont toujours fort complexes, ils ne changent guère. De 1622 à 1626, je, relève à peu près constamment les mêmes noms : Perrine Frollo, Jeanne Yvon, Adam, Noël. Ces humbles et monotones libellés qui pourraient paraître sans grand intérêt, amènent, au centraire, à des considérations. inattendues. En les parcourant avec attention, on observe d'abord, que leur longueur est en relation avec la situation des parents. Pour un malheureux, deux lignes suffisent : « J'ai batisé tel jour ». S'agit-il de personnages influents, aussitôt la phraséologie paraît : « Ce samady environ midy de ce jour sixyème de janvier mil six cents dix huit a esté batisé par messire Jac Nozeau (?) en léglise parochialle de Monsieur Saint-Tudy, en lylle de Groye, Mathurin Le Boubinec, filz légitime de Yvon Le Boubinec et de Julienne Le Boniou, sa femme. A été compère, Monsieur Mathurin Lanco, originaire de la ville Jocellin, très haut sieur du... et commère, Louisse.. ». L'égalité chrétienne n'a que faire ici. Le V. P. est laconique ou prolixe selon que l'on est pauvre ou riche, suivant que l'on offre son obole ou qu'on ne donne rien.

Tout ce que reçoit le V. P. tant de ce chef qu'autrement, ne lui suffirait pas s'il devait ou s'il voulait réparer les nombreuses chapelles de l’île ; il en existe au moins 17.
Chapelle de St-Léonard, à Quilhuit.
Chapelle de Ste-Brigitte, à Moustéro, entourée d'un cimetière.
Chapelle de St Nicolas, à l'entrée de la grande gorge de St-Nicolas ; elle est connue sous le nom de Chapellenie.
Chapelle de St-Sauveur, entre Loctudy et Kerclavezic.
Chapelle de St-Albin, entre Loctudy et la côte nord.
Chapelle de Ste-Magdeleine, entre Loctudy et la Trinité.
Chapelle de St-Méloir et de St-Vincent, à Lomelair.
Chapelle de St-Gildas, à Kermarec.
Chapelle de La Vraie-Croix, à Kerampoulo.
Chapelle de St-Armand, près de Kermassouet.
Chapelle de St-Tudy, à Loctudy.
Chapelle de la Trinité, sur le chemin de Loctudy à Lomelair.
Chapelle de St-Jean, près de Kerdurand.
Chapelle de Notre-Dame de Placemanec, à Locmaria.
Chapelle de St-Gunthiern, au prieuré.
Chapelle de St-Laurent.
Chapelle de Notre-Dame des Carmes, au Mené.
St-Tudy et Nôtre-rame de Placemanec, chapelles de deux bourgs distincts doivent servir d'églises à deux paroisses dont la direction spirituelle dépend du vicaire perpétuel. Je n'ai cependant jamais vu mentionner la paroisse de Locmaria. Quant aux chapelles de St-Tudy, de Notre-Dame de Placemanec, de Notre-Dame des Carmes, de St-Léonard, elles resteront debout après avoir eu à souffrir des Anglais et de la Révolution ; les autres disparaîtront avant le XVIIIème siècle ou seront détruites vers 1793.

Les chapelles tombent plus tôt en ruines, en Piwisy qu'en Primiture. Primiture ressemble à un petit fiel ecclésiastique ; Piwisy plus laïque s'adonne à l'agriculture ; il s'y trouve nombre de terres appelées à devenir prospères quand elles appartiendront aux Yvon, la grande famille grésillonne, aux XVIème siècle, XVIIème siècles et au commencement du XVIIIème siècle.

Les Yvon, on l'a vu, ont beaucoup acheté, ils ne cessent, d'ajouter à leurs domaines la plupart des terres à vendre. Le 20 septembre 1631, ils acquièrent la presque totalité du reliquat de la seigneurie de Krinault, (dont le K se transforme en C). L'acte du 20 septembre établit que « Jan Thomas et Louise de Crinault dame de Glucan, autorisée par son mari, demeurant au bourg de Plouay, vendent à honorable femme Le Callonnec et à honorable homme Lorant Yvon, demeurant au bourg de Loctudy » plusieurs maisons et terres, pour 735 livres, somme énorme en 1631 ! Ces propriétés situées au Moustoir, à Quilhuit, Kervedan, Lomeller comportent des redevances en froment, avoines et corvées. Pour une d'elles, les tenanciers donnent à la Saint-Gilles, « 4 minots 1/2 de froment, rouge, comble, autant d'avoine, un mouton gras, deux poulets et corvées ».

Yvon paie les 735 livres, aussitôt après la signature de l'acte — tout achat de terrains s'effectuant au comptant ; il paie en outre, l'acte proprement dit, ainsi que le voyage du notaire ; il lui reste encore à solder bien des comptes avant d'être reconnu propriétaire par chacun. Tout d'abord, après la petite cérémonie de l'acte d'achat, il est indispensable de réunir les tenanciers des terres achetées, sous la présidence de l'homme de loi. Les tenanciers déclarent à ce dernier : 1° que les terres qu'ils cultivent étaient bien, avant l'acte, la propriété de la personne que les a vendues ; 2° que les redevances stipulées sont exactes. Huit jours plus tard, notaire, acquéreurs et témoins visitent ensemble, les biens achetés. Ils entrent dans les maisons « font feu et fumée » et y goûtent ; ils contournent les terres, simulent d'y travailler. C'est la prise de possession. Le rôle du notaire s'arrête là : l'officier ministériel cède la place au sergent. Il faut bien que tout le monde vive. Le sergent vient à Groix, par trois fois et annonce à la population l'achat opéré. Ce n'est point tout. L'acquéreur doit s'acquitter envers le prince de Rohan, d'un tant pour cent sur le prix d'achat. Lorsque le vendeur, le notaire, les témoins, le sergent, le prince, n'ont rien réclamer, l'acquéreur jouit de son titre de propriétaire, sous réserve, évidemment, de payer les rentes perpétuelles et les dîmes ecciéclésiastiques.

Tant de formalités ne facilitent guère les transferts de propriétés ; comment les supprimer ? Il n'y a ni cadastre, ni bornage. Que vaudrait un titre de propriété, si les témoignages, la scène de la prise de possession, l'avertissement public ou bannie ne conféraient une valeur que nul n'a le droit de critiquer, que nul ne songe à suspecter. Ce sont, en vérité, les beaux jours du témoignage. Les témoignages remplacent les documents administratifs dont on disposera, dans la suite. On achète une terre, on annonce à tout le monde, par des moyens variés que l'on a acheté cette terre. Qu'une contestation de possession ou de limite éclate, on fait appel au témoignage. La déclaration d'un homme a une remarquable sanction morale. Le gros inconvénient de ces mesures si primitives et si complexes réside dans la série de dépenses qu'elles occasionnent. Aussi, un achat de terre revêt-il une importance qui empêche les humbles de devenir propriétaires ; seuls, les plus riches habitants, les Yvon, par exemple, s'aventurent, à subir la procédure coûteuse, les ennuis qui précèdent la posession réelle.

Les Yvon ne peuvent pas cultiver eux-mêmes ou surveiller leurs nombreuses acquisitions ; ils en afferment : « Ce 27ème jour de juillet, avant midy, 1636, ont comparu en leurs personnes, devant nous notaires de la court de Rochemoissan avec que submission et prorogation de court et juridiction y jurée, honorable femme Janne Yvon, demeurant au bourd de Lotudy et Jan Querran demeurant au village de Lomeller, én lisle de Groe… laquelle Janne Yvon a par la présente et de ce jour et pour le temps et cours de 9 ans parfaits loue et (donné ?) jouissance de ce jour commençant et finissant à pareil jour, baillé et délaissé à titre de convenant et domaine congéable sous lusement de Brannec audit Jean Querran... seillons terres chaudes contenant en fonds 17 cordes 2/3, sellions de terre sous pature.... Ainsi fait et accordé entre par les dits Querran tenir et profiter et sous la dite Janne Yvon les dites terres sus décrites audit titre de convenant et domaine congéable..... comme bon lui semblera pour y celluy Querran paier et faire avoir par chacun an et terme de St-Gille à ladite Yvon acceptant dans son grenier audit Groye durant les 9 ans entiers de rente et convenant congeable, le nombre 2 minots et demi froment rouge bon bleds sec et marchand et commencera paiement a paier y celle rante par le dit Querran a ladite Yvon au 1er jour de septembre de l'année prochaine venant que l'on comptera 1637 et ainsi continuez dan en an durant le cour de 9 ans ce que ledit Querran a promis et juré faire et continue par son serment gage et hypotèque et obligation de ses biens meubles et immeubles en général présent et advenir, exécution et prompte vant estre fait diceux crié bannis estre fait de ces ymeuble mesme arrest et hostage de sa personne a tenir prison fermé, le tout comme pour deniers royaux et gaige.... Fait et gré au bourg de Loctudy audit Groye soubs le signe de ladite Yvon et celuy de messir bonaventure Nouël ».

Voilà un bail sévère. Si vous ne donnez pas les minots de froment promis, vous donnerez votre personne, comme pour les deniers royaux. Ce qui démontre que la contrainte par corps pour dettes envers l'État peut s'exercer pour dettes privées.

Le souvenir de Jeanne et de Marie Yvon subsistera jusqu'à la fin du XIXème siècle. On racontera, alors, que les deux sœurs habitaient l'une Moustero, l'autre Crehal et qu'elles communiquaient au moyen de pavillons hissés au sommet d'une perche. Les deux sœurs, petites souveraines de Groix, résident dans l’île, à un moment où l'aisance règne. Un notaire peut vivre à Loctudy mais ce n'est pas un notaire royal ! C'est un simple tabellion, faisant les reçus, arrangeant les petites affaires. J'ai de lui un reçu, daté de 1646, qu'il griffonne pour un grésillon qui a acheté « un grand coffre de bois de chaisne » d'une valeur de 4 livres. A la mort de leur mère, en 1656, Jeanne Yvon,devenue femme de noble homme Jacques Le Pontho sénéchal de Pontscorff et Marie Yvon, femme de Gilles Le Gal, sieur de St-Trichau se divisent des domaines étendus, bien cultivés et productifs. L'acte de partage est daté du 1er avril 1656 et passé devant un notaire de la cour de juridiction du fief de Léon et de la Rochemoissan ; il mentionne une maison couverte d'ardoise, à 2 étages [Note : Maison à 2 étages signifie maison ayant un rez-de-chaussée et un premier étage], située entre la chapelle de la Trinité et « la chapelle de la Magdeleine ». Cette habitation représente un des palais de l’île, car les toitures de chaume recouvrent les demeures des riches et des pauvres. Il faut des livres tournois pour acheter quelques milliers d'ardoise ! La toiture de chaume, au contraire, n'exige que de la paille de froment et un couvreur se contentant de peu, allant vite, dans son travail, avec ses petites poignées de paille qu'il fixe au moyen d'un instrument de bois, en forme de poignard. [Note : En 1895, on ne compte plus qu'un couvreur de chaume, vieillard mélancolique, dernière épave d'une profession aujourd'hui disparue].

Je relève aussi, dans l'acte, le « moulin de Puihuidy », des terres « venant de l'héritage de Hervé de Chesfduboya », le « manoir de Kergatouarn », « la chapelle de Ste-Anne ». La description des lots ou « lotties », très longue, comprend des terres dont la surface est plus ou moins bien évaluée, en cordes et dont la délimitation ne manque ni d'erreurs, ni de fantaisie. On dit : « seillon, » touchant au nord à seillon de X..., au sud, à l'est et à l'ouest à tels autres sellions. Que les propriétaires de ces sillons limitrophes changent, et alors il sera à peu près impossible de découvrir des limites non pas rigoureuses, mais simplement raisonnables. La confusion est parfois si grande, que des propriétaires ne savent plus du tout où se trouvent leur bien.

J'ai jusqu'ici, volontairement employé, les expressions, terres, terrains, comme synonyme de propriété. En réalité, j'aurais dû me servir du mot « seillon, » parce que dans tous les actes, il n'est question que de seillons, parce que tout le monde ne parle que de seillons. J'ai trouvé des explications bien savantes concernant ces petits champs. Des auteurs veulent y voir des traces des divisions du sol, usitées jadis par des peuplades. Il est certain que ces énormes bandes de terres, tortueuses ou droites, larges de 3 à 4 mètres, représentent un mode de culture fort ancien — puisque les actes grésillons du XVIème siècle indiquent les « sellions ». Un étranger qui parcourt l’île pense immédiatement que les habitants ont ainsi disposé leurs terres pour laisser écouler l'eau ; l'argile qu'il constate presque partout semble justifier son opinion. Pourtant, en examinant tous les sillons, en les examirant surtout l'hiver, on en voit qui, en certains points, s'opposent à l'écoulement des eaux ; des centaines s'allongent dans le sens transversal, au lieu de se diriger dans le sens de la déclivité du sol.

Il se peut que l'habitude des cultures en sillons remonte aux temps où il n'y avait que des solitaires, à Groix. Chaque moine pouvait posséder son sillon, son lopin de terre Les laïques imitant les solitaires transformèrent peut-être leurs défrichements en sillons, au lieu d'adopter la culture plate, habituelle au continent. Quoi qu'il en soit, ces sillons bombés, biscornus, que l'on voit de toutes parts, impriment au pays une physionomie singulière, arrêtant les regards du plus indifférent. Leurs directions étant des plus capricieuses, on a, en quelques parties de l’île, l'illusion de grossiers damiers. D'ordinaire, on observe des groupements de sillons, dirigés dans le même sens. Si dans un groupement, il se trouve, par extraordinaire, un sillon perpendiculaire aux autres, il prend le nom de coursin. Un petit sillon, isolé, sans orientation, est un tallard.

Les sillons où l'on sème le froment, l'avoine, les pois, le lin, sont des terres chaudes. Les terres froides sont les landes, les courtils, les parcs. Que l'on ne s'étonne pas ! L'île est petite, les parcs ne sont pas grands. Un parc a d'ordinaire une vingtaine de mètres de côté ; des murs de terre ou quelques ormeaux en constituent la clôture. Le courtil, contigu le plus souvent à l'habitation, est une espèce de jardinet, bordé de figuiers, de pommiers, de sureaux, orné de quelques fleurs, et dépourvu de légumes. [Note : Il n'y a, actuellement, qu'une quinzaine de jardins dans l’ île] Les landes sont couvertes d'ajoncs, que l'on coupe, l'hiver venu pour la cuisson des aliments et surtout pour chauffer les fours des villages, le samedi.

Vers 1660, terres chaudes et terres froides, montrent par leur excellent entretien, une direction agricole soutenue, des efforts sensibles. Hommes et femmes travaillent. Les hommes tiennent la charrue et ne sont pas encore tous pris par la pêche ou les vaisseaux du Roy. La première moitié du XVIIème siècle représente dans l'histoire de l'île la phase la plus laborieuse, la plus tranquille et peut-être la plus heureuse. Hélas, les malheurs approchent et un siècle durant, une série de calamités frappera cruellement les grésillons.

En 1663, les Anglais opèrent une descente sur les côtes et commettent des ravages, puisqu'il n'y a que 27 naissances, d'après le registre des baptêmes. L'incursion d'Albion n'est pas signalée dans les archives ; Messire Félix-François de la Sauvagerie la mentionne sans fournir de renseignements. Il aurait cependant pu donner des détails précis, en sa qualité d'ingénieur en chef, pour le Roi, des villes et citadelles du Port-Louis et de l'Orient. Quant au recteur, l'abbé Loget, il reste muet ; il semble manquer totalement de zèle en ce qui concerne ses registres. Il écrit ses actes, en barbouillant les pages. Le reçu qu'il délivre en 1668, à Allain Lanco « pour dix sols de rantes annuelles qu'il doit à l'Église sur tenue de petit maison couverte de bled » se réduit à un amas de mots désordonnés. Son rectorat n'est d'ailleurs pas heureux ; pendant toute sa durée, on ne cesse de craindre les attaques de l'ennemi.

En 1674, les craintes s'accusent lorsqu'on apprend que l'Angleterre a signé la paix avec la Hollande. Le comte d'Estrées, vice-amiral du Ponant, ministre de la marine s'alarme d'une paix qui équivaut à une alliance contre nous. Il s'occupe, aussitôt, de la défense des côtes de Bretagne, du Poitou, de Belle Isle, de Noirmoutiers, d'Yeu, de Ré, d'Oleron, de l'embouchure de la Charente et du port de Rochefort. Groix, située à 8 kilomètres de Port-Louis, à l'entrée de la rade de l'Orient, ne compte pas ! Au milieu du mois de mai, on annonce des mouvements de la flatte des Hollandais. Le roi suppose que les ennemis se dirigent vers les côtes de la Biscaye, il écrit à M. de... de remettre toutes choses en état. Le roi s'abuse. Les Hollandais commandés par l'amiral Tromp, débarquent à Belle Isle, au commencement de juillet. Peut-être font-il, une descente, à Groix. De La Sauvagère n'en dit rien. M. Jegou [Note : Lorient, Arsenal Royal, par Jégou. Cet excellent travail m'a fourni de précieux renseignements ; je lui ai emprunté, notamment, la lettre de Madame de Kermartin à Jacques le Pontho], auteur d’une curieuse et importante étude sur Lorient, a trouvé dans les archives de la sénéchaussée d'Hennebont (archives transférées à Vannes, en 1865) un dossier de procédure, tendant à justifier la présence des Hollandais, à Groix, à cette époque.

Le 5 Décembre 1675, une sentence de la juridiction d'Hennebont déboute Jean Labat, marchand, demeurant à Port-Louis, d'une demande tendant à ce que « en conséquence de l'abandon fait par les habitants de l'île de Groix et brulement d'icelle par les ennemis, en 1674, l'acte de ferme du 22 février 1674, passé entre lui et Morice Sauvant, receveur général de l'évêché de Vannes fut résilié ». Labat maintient qu'à partir du mois de juin 1674 « ladite isle estoit toute déserte et conquise par les Hollandais ». Il produit deux lettres commandant aux grésillons d'évacuer leur île, l'une de Mazarin, gouverneur du Port-Louis, l'autre de Beauregard Chabris, commandant de la citadelle du Port-Louis (27 juin et 21 juillet 1674). Les affirmations de Labat dépassent de beaucoup la vérité. L'île ne peut être déserte à partir du mois de juin. Il y a des baptêmes en juin et en juillet !

Bien que totalement abandonnée du grand roi, Groix contribue aux dépenses et aux besoins du royaume : elle paie des impôts et fournit des hommes aux vaisseaux de guerre, sans cesser de solder ses dîmes. Elle s'appauvrit de toutes façons, sans que les Rohan Guémené aient l'idée de la secounir ; les Rohan ne songent à elle que pour lui rappeler l'échéance de ses redevances.

En 1680, la princesse de Guémené réclame ses principaux vassaux de Groix des « aveux » c'est-à-dire des déclarations de biens pour les fournir au roi. Embarras des Yvon qui ignorent où se trouvent tous leurs sillons ; ils s'adressent, à leur tour, à leurs tenanciers de tenues. C'est ainsi que le 15 octobre 1680, les héritiers de feu François Le Hicour sont amenés à remettre « à dame de Kermartin », la description de tenues qu'ils ont, à Kervedan, sous « dame Catherine Legal, dame Douarière de Kermartin faisant la plus continuelle résidence dans son manoir noble de la paroisse de Guidol ». Les tenanciers résident à Moustéro, ils ont, leurs « portions et franchises dudit village ». Parmi ces franchises et communes, il y a le puits ou fontaine, le douet ou lavoir, des droits de passage.

Moustéro et Kervedan doivent être deux grosses agglomérations venant, aussitôt après Loctudy et Locmaria, les deux bourgs. Loctudy l'emporte sur Locmaria par l'importance des fonctions des personnes qui l'habitent. A Loctudy, résident le recteur, des notables, le sergent de la cour de fiefs de Léon servant, au besoin, de notaire.

Homme tout dévoué aux Rohan, le sergent veille au maintien des prérogatives de ses maîtres. Quand il rédige un acte, il se garde d'oublier les vieilles formules d'autrefois. Un acte du 13 septembre 1680 contient de curieux détails sur la façon dont on passait un contrat entre un seigneur et un roturier ; en voici un fragment : « le 13e jour de septembre avant mydi 1680, devant nous, notaire juré des terres de la cour et juridiction des fiefs de Léon et vicomté de Plouhinec avec suhmission y jurée, a comparu honorable homme Guillaume Le Blinau, marchand, demeurant en la ville du Port-Louis... lequel Blinau est, par ces présentes, cognoissant et consentant (être) entre vassaux et hommes domaniers sous haute et puissante princesse du Guémené, Madame Anne de Rohan, princesse du Guémenée, duchesse Douarière de Montbazon, propriétaire de l'isle de Groye, fief de Léon et vicompté de Plouhinec, Rochemoissan, Triffauen, dépendant de ladite principauté ; pour raison desquels (Le Blinau) tient tant à domaine congéable que à titre de terres d'héritages subjetes à la contribution du marc d'argent [Note : Unité de poids pour l'argent, en usage en France, depuis le milieu du XIème siècle], (les terres) situées au village inhabité de Crehal Bihan ». Le grimoire signifie que Blinau — qui agit pour un tiers — reconnaît être — pour le tiers vassal de la princesse de Rohan Guémenée et qu'à ce titre, il s'engage à payer des redevances pour les terres qu'il loue et que le notaire énumère. Dans la liste des biens loués, il y a des maisons en ruine, beaucoup de sillons. Je remarque « un seillon de terre chaude proche de la chapelle de St-Nicolas, donnant du midi, sur le chemin qui mène de Kerpunse à la chapelle de St-Nicolas, consenant en fond, trois cordes ». Plus loin, figure le « village inhabité de Keranguon ». Pour les terres situées près de Crehal Bihan et de Kerpunse, Le Blinau reconnaît devoir à la princesse, au terme de la St-Gilles, de rentes et chefs rentes convenancières, un demi minot de froment, autant d'avoine et six sols, huit deniers, « aussi pour ce qu'il tient et possède à titre de domaine congéable au village de Crehal Bihan et ses appartenances, et pour cause de terres d'héritages qu'il tient et possède dans ladite isle de Groye subject à la contribution du marc d'argent dû par terres particulières de ladite isle de Groye, il déclare devoir aussi par chaque an, un sol ». « Et pour cause des terres qu'il possède au village inhabité de Keranguon, à titre de chef rentes, il déclare aussi devoir par chaque an, le jour de la St-Gilles, un sol, laquelle rente de domaine congéable et chef rentes est prise par les mains du prévost de la prousté du fief de Léon ». A ces conditions, le Blinau est « quitte d'autres charges de rentes » envers la maison de Rohan, à laquelle il doit « corvées, habitudes et obéissance comme hommes domaniables sont obligés et accoutumés faire à leurs seigneurs et dames ». Le Blinau paie, enfin, la « dixme due au prieur de St-Michel des Montaignes sur les terres dudit village de Crehal Bihan que ledit Blinau acquitte ». Signé Leberlic.

Véritable maître Jacques, Leberlic exerce l'une après l'autre ses professions. L'acte notarié signé, il instrumente, comme sergent : « Leberlic, sergent à la cour des fiefs de Léon, demeurant au bourg de Lottudy, isle de Groye, à la requeste de Jullien le Bihan, cordonnier, demeurant à Loctudi, donne assignation de comparoitre à………..à l'audience de ladite cour, Pontscorff ». 1er juin 1680.

Eh oui, un cordonnier, à Lottudi, en 1680 ! Ne faut-il pas des souliers pour se rendre à la messe, les dimanches et jours de fêtes, pour assister aux baptêmes et aux mariages, pour aller plaider à Pontscorff et commercer à Hennebont ? D'ailleurs, n'est-il donc pas de familles distinguées dans l’île ? Et le prieur de St-Gunthiern, le recteur, le notaire Leberlic, les Calué de Kerampoulo, les Davigo de Locmaria, les Frollo de Kerlivio. Voilà, certes, de bons clients pour le cordonnier, sans compter le pontife laïque de l’île, le prévôt de la prousté des fiefs de Léon, séant au manoir de Kergatouarn.

Ce prévôt n'est qu'un prévôt féodé, un intendant dont les attributions sont définies par les aveux que la princesse de Rohan Guemenée fournit au roi, le 22 Décembre 1683. Le prévôt de Groix y est-il dit, recueille les rentes de la princesse de Rohan Guemenée qu'il doit faire valoir, et dont il est responsable ; il reçoit le septième des rentes comme indemnité. La prévôté de Groix est une charge se transmettant par hérédité. Le prévôt titulaire, de Cosnoal, a la faculté de ne pas gérer lui-même la prévôté ; il peut l'affermer.

Agréable et fructueuse avant 1650, la prévôté rencontre des obstacles multibles, dans la dernière moitié du XVIIème siècle. Les récoltes et par suite les dîmes diminuent sous l'influence de l'état incertain des habitants. L'île redoute, sans cesse, une agression. D'un autre côté, la marine royale prend de vive force les adultes. Les hommes qui peuvent se soustraire à la presse s'embarquent sur les vaisseaux de la compagnie des Indes pour éviter les vaisseaux du roi.

La compagnie des Indes est très contente du service des grésillons, elle en tire plusieurs de l'obscurité et en nomme quelques uns capitaines. Certaine de trouver dans l’île aide et secours, elle utilise, parfois, les rades de la côte de Groix. Le 18 Août 1691, Duquesne Guitton, chef d'une escadre de la Compagnie, composée de six vaisseaux armés, mouille sur rade de Port-Tudy, à son retour de l'Inde. L'un des directeurs de la Compagnie, Simon Bazin, ancien échevin de Paris, se rend de l'Orient à Port-Tudy, examine la situation avec le commissaire général du roi, Céberet [Note : C'est le Céberet qui reçut, Mme de Sévigné], opère le désarmement des vaisseaux et envoie les marchandises à Nantes où elles sont plus en sûreté qu'à l'Orient.

Tandis que les grésillons, sans fortune, abandonnent leurs charrues pour servir comme matelots contraints ou volontaires, les grésillons riches émigrent sur la grande terre où ils courent moins de risques. Catherine Le Gal, dame de Kermartin vit à Guidol ; Françoise Le Pontho, habite Hennebont où son mari François Audouyn, sieur du Moustoir, exerce les fonctions de notaire et de procureur. L'absence de tant d'habitants porte une sensible atteinte aux ressources de l’île qui n'est plus capable de payer ses impôts, et dont les familles peuvent être chassées par la misère. Dans le but de maintenir les insulaires dans leurs foyers, Louis XIV rend une ordonnance, le 6 avril 1691 ; il y est dit : « voulant que la dite île soit habitée par ses sujets pour y demeurer, labourer, la défendre contre tout ennemi, le roi leur donne décharge de la somme de 388 livres, 2 sols, 4 deniers, due pour impôts, maintenant toutes exceptions accordées par ses prédécesseurs ».

En ces temps d'extrême détresse, les grésillons n'ont pour les conseiller, les réconforter que l'abbé Loget. L'abbé est usé par l'âge, il barbouille de plus en plus ses registres ; il abrège tout, comme fatigué de tout effort. Il se contente d'enregistrer les décès… très sommairement « Le 18e jour d'Octobre 1691, a été enterré un enfant à Jacob Lanco ». Par bonheur pour Groix, paraît un recteur d'une énergie incontestable, d'un esprit prompt à concevoir et à exécuter : c'est l'abbé Uzel, non Juzel, ainsi que le voudrait M. Jegou. Né à Groix, connaissant donc bien le caractère de ses fidèles, il sait les manier et obtenir d'eux l'obéissance qu'un soldat a pour son général. Il appose pour la première fois sa signature sur les registres d'état civil de la paroisse, le 1er mai 1695. Son prédécesseur faisait suivre son paraphe des timides lettres v. p. (vicaire perpétuel), il prend nettement le titre de recteur. Son écriture fine et sobre ne manque pas d'une certaine harmonie. Il libelle à peu près tous les actes ; la signature de l'abbé Loget ne se rencontre que fort rarement. Ses registres sont bien tenus, très propres ; en les parcourant, on croirait lire des pages écrites, il y a quelques années, seulement. Peu après son arrivée, à Groix, il se sert de registres d'un modèle nouveau, plus commodes que les anciens feuillets. A la première page des registres de 1696, on trouve le petit exposé suivant : « Le présent registre contenant douze rolles de papier timbré pour servir à enregistrer tous les Mariages, Baptêmes et Sépultures qui se feront en la paroisse de St-Tudy, de Grouais, pendant l'année 1696, a été chiffré et milésimé par nous Mathurin du Vergier Seigr du Menéguen, conseiller du roy, séneschal et prince Magistrat de la Tour et sénéchaussée royalle d'Hennehond, fait audit Hennebond ce cinquesme décembre 1695 ».

Du 1er janvier au 14 juillet, l'abbé Uzel inscrit ses actes, sans annotations. Plus explicite que son prédécesseur, il indique l'âge des décédés : « Le premier janvier, l'an de grâce 1696, a esté inhumé dans l'églisse, paroisse de St-Tudy, isle de Groix, le corps de Bonaventure Novo, matelot, du village de Locmaria, âgé d'environ soixante et dix ans, après avoir été communié et Reçu l'Extrême onction par le ministère de Messire Yves Uzel, ont assisté au convoy, Bonaventure Nouël, Allain Tristan, et Jan Gildas, Joseph Le Gourronc qui ne se savent signer ». L'expression « âgé d'environ » sera employée jusqu'au recteur révolutionnaire Fardel. On ne sait pas l'âge exact parce que le jour du baptême ne coïncide pas toujours, avec le jour de la naissance, comme je l'ai dit ; parce que, aussi, le recteur ne recherche pas la date du baptême de la personne décédée. A en croire l'acte du 1er janvier 1695, on enterre dans l'église On enterre en réalité, à côté, dans une enceinte d'une faible surface appelée porchet. Le cimetière s'étend, par conséquent, au milieu du bourg. Mais au XVIIème siècle, l'hygiène n'a aucun droit. Le convoi funèbre est suivi par des témoins qui signent l'acte ou qui invitent les érudits de l'endroit à signer pour eux. S'il survient des difficultés concernant l'inhumation, les témoins certifieront dans quelles conditions elle a eu lieu.

Au mois de juillet 1696, après un acte de sépulture, quelques lignes du recteur Uzel, terriblement concises, annoncent une descente d'anglais.

Destruction de Groix : « L'an de grâce mil six cent quatre-vingt-seize, le quatorzième jour de juillet, vers le Groix soir, les Anglais et hollandais mirent pied à terre dans l'isle de Groix où ils Ravagèrent, Brûlèrent, pillèrent tant maisons que bestiaux et les églises furent brûlées, les cloches enlevées ».

Si les ennemis font main basse sur le bétail, les grains et les cloches (!), s'ils brûlent les habitations, ils épargnent ou ne peuvent atteindre les personnes. Le registre des sépultures ne signale pas d'inhumation, avant le 5 août ; le 11, il y a un mariage.

Les ravages de Groix n'attirent pas l'attention du ministère de la marine ; sept jours après la descente, c'est-à-dire le 12 juillet, de Pontchartrain écrit à Antoine de Mauclerc, ordonnateur de l'Orient : « Je suis fort en peine des mouvements que les ennemis qui sont mouillés devant Belle isle ont faits, jusqu'aprésent..... j'approuve le party que vous avez pris d'armer la frégate « La Fabière » pour empêcher l’entrée des chaloupes ennemies, à l'Orient ». L'Orient et Port-Louis sont épargnés. L'île de Groix, délaissée, n'obtient aucun secours ; ses désastres n'émeuvent personne, ne sont signalés à aucun personnage. Pas un document contemporain ne les relate, si bien que l'historiographe de Lorient, M. Jegou, a des doutes sur la réalité de cette incursion de juillet 1696. Pourtant, outre l'attestation du recteur Uzel, il existe une inscription commomérative de Ia descente des ennemis. A Locmaria, sur la façade Est de la chapelle de N. D. de Placemanec, on remarque, gravées dans des pierres taillées, de grandes lettres romaines formant des mots incomplets : « Les Angl…… juillet 1696 ». Les lettres qui manquent étaient gravées dans des pierres enlevées, à la fin du XVIIIème siècle, lorsqu'on répara l'église.

Voyant que l'État délaisse Groix, le recteur Uzel plaide la cause de sa paroisse. Il fait tant et si bien qu'en 1697, le marquis de Lavardin, placé sous les ordres du maréchal d'Estrées, donne à l’île, pour commandant, un sieur de la Morière, gens d'arme du régiment de Soubise. Le sieur de la Morière déplaît tellement aux grésillons que ces derniers réclament bientôt et obtiennent son départ. De la Morière parti, le Recteur Uzel reste seul chargé, moralement, de la défense de l’île ; il n'a pas à intervenir comme.... militaire jusqu'à la fin du XVIIème siècle ; il ne s'occupe que de l'exercice de son ministère. Le 1er janvier 1699, conformément à l'ordonnance de 1667, titre 20, et à l'Edit du mois d'Octobre 1691, on lui delivre un registre à en tête imprimé, destiné aux baptêmes, mariages et sépultures d'une année qui se feront en la paroisse de Saint-Tudy de Groix, dépendant de l'évêché de Vannes.

A des dates assez régulières, le registre est porté par le recteur, au continent, et paraphé par l'Évêque de Vannes, en tournée épiscopale, ou par son vicaire général ex : « Veu, dans le cours de la visite épiscopale tenue à Guidol, le 24e jour de Septembre 1699. Pierre de Chalons, vic.-général ».

L'Évêque de Vannes considère la traversée des courreaux trop pénible ; il serait cependant de son devoir de visiter Groix, de se rendre compte du désarroi, du dénuement qui y règnent. Les ravages des Hollandais et des Anglais ont éteint le courage des grésillons ou plutôt des grésillonnes, car il n'y a guère que des vieillards, des femmes et des enfants. Chaque village a des ruines attestant son infortune ; bien plus, des villages ont entièrement disparu ; les chapelles sont abandonnées, délabrées ; frappées dans leurs affections et leur existence matérielle, les familles vivent effrayées, auxieuses de l'avenir.

C'est dans cet état de détresse et de dépression que s'ouvre, pour Groix, le XVIIIème siècle. En 1701 et en 1702, l’île ne subit pas d'attaques ; néanmoins, la peur de l'étranger y persiste si fort que l'on y travaille sans obstination, sans réparer beaucoup les désastres de 1696. On a quelque raison pour agir ainsi. Dans les premiers jours du mois de juin, une flotte anglaise, commandée par l'amiral Roock, se met à évoluer devant Belle-Isle. Quatre vaisseaux de Roock se détachent de l'escadre et se présentent devant Groix ; si leur marins débarquent, les grésillons sont perdus. Dès que le recteur Uzel voit arriver les bateaux ennemis, il recommande aux femmes, aux vieillards de prendre chevaux, bœufs et vaches et de se rendre sur la côte la plus élevée de l'île, près de Kergadouret, je crois. Là, les femmes se confectionnent des perruques noires, frisées, au moyen de longues algues marines. Pendant ces préparatifs, on dispose sur la côte, des ribots vides [Note : Vases de grés avec lesquels on prépare le beurre], l'ouverture dirigée du côté de la mer, pour simuler des bouches à feu. Puis, tout le monde met un bâton sur son épaule, en guise de lansquenet et monte, cavalièrement, sur des vaches, sur des chevaux. Les femmes portent un corsage rouge et un bonnet d'homme, de même couleur. L'amiral croit à un escadron de dragon royaux, appuyés par de l'artillerie ; il vire de bord. L'île est sauvée !

C'est encore de la Sauvagère qui raconte le stratagème ; il en attribue tout le mérite au recteur Uzel et ne cite que celui-ci.

Le recteur Uzel adresse, immédiatement, un rapport au ministre de la marine, relatant l'heureux résultat du simulacre de défense. Dés le 13 juin, de Pontchartrain écrit à Mauclerc : « Faites moy scavoir si ce que m'a escrit le Curé de l'Isle de Groa sur l'ataque que les chaloupes des ennemis ont fait à cette île est bien véritable et ce que c'est que ce Curé, s'il est scavant, s'il est homme de bonnes mœurs (sic !), ce qu'il a de revenu et ce que vous seriez d'avis qu'on luy donnat pour le récompenser de ce qu'il a fait en cette occasion…. ».

Il serait curieux de connaître le texte de la lettre que le recteur Uzel a envoyée à de Ponchartrain, en juillet 1703, de savoir s'il n'y est point question de la bravoure des grésilionnes, en face du danger. A en croire Jacques le Pontho, une jeune fille de Groix aurait, par son courage, mérité une récompense royale, elle aussi. Jacques Le Pontho doit être bien renseigné ; il a des sillons au Méné. Sa signature se rencontre maintes fois, dans les registres du XVIIème siècle et du XVIIIème siècles. Il paraphe Jac Le Pontho. Il vient quelquefois à Groix, et reçoit, chez lui, à Hennebont ou à Pont-Scorff, de nombreux grésillons, pour affaires. Commerçant notable, en mal de noblesse et de magistrature, il est en correspondance avec sa cousine, Catherine Le Gall, née à Locmaria, en 1647, propriétaire ai Groix, Hennebont, Pont-Scorff, Port-Louis, Guidol et devenue comtesse de Kermartin, je ne sais comment. Catherine Le Gall fait à son cousin la chronique de Paris (1703), l'aide un peu sans doute en lui ménageant des protecteurs. De son côté Jacques Le Pontho lui parle du pays natal et de ses terres. Il lui raconte les péripéties de la défense de Groix. Catherine Le Gall lui répond : « A Paris, le onsiéme jour de juillet 1703 — Monsieur, le croyais trouver de vos laitres en arivant icy dans une nouvelle maison cul de sac de la petite rue Saint Vinsant, proche St-Roc et les Thuilerys, ou vous adresserez mos laitres s'il vous plait ; la dernière que iay resu ou est despainte la bravoure des femmes de Groye a guarder leur île, coure encore les rue de Paris après avoir estez à la Cour, le roy a même ry et estimez la résolution de cette ieune fille qui commandait toutes les autres, avais sy iai su le nom, peust estre luy oroit on obtenu quelque choses, on dit que le vicquaire qui seu est atribuez toutes l'imagination, a eu une pension de 1.000 fr. à condition qu'il resterait dans lile, tousiour ; cé ne say s'il est vray, car on mant à Paris comme ailleurs...... Catherine Le Gall ». Mme la Comtesse a de l'esprit, mais elle n'a peut-être pas l'importance qu'elle semble s'attribuer. Si en réalité, elle jouit de quelque influence, pourquoi ne pas s'enquérir du nom de la jeune héroine, sa compatriote et chercher à le faire connaître du roi. Ni Catherine Le Gall, ni personne ne s'occupe de l'obscure plébéienne. Le recteur Uzel, évidemment très méritant, aurait bien pu laisser tomber sur sa paroissienne, quelques rayons de gloire, sans crainte de se voir amoindri. D'ailleurs, son rôle est plus beau après la menace de descente qu'au moment où les chaloupes ennemies menaçaient l’île. Il est toujours seul à lutter pour la défense des côtes ; il s'ingenie à attirer l'attention du département de la marine particulièrement celle de Carré de Lusancay, commissaire de la marine à Lorient. Ce dernier transmet les doléances du recteur à son chef qui lui dit, le 4 juillet 1703 : « J'ai rendu compte à sa Majesté de ce que vous m'avez escrit au sujet de la demande que vous a fait le recteur de l'isle de Groa de quelques canons, boulets, armes, balles de plomb et poudre..... Faites moi scavoir si on n'a point pris quelques mesures pour faire passer les bestiaux et habitants de cette isle à la grande terre, pour éviter le malheur que nous avons craint qu'ils ne servissent de raffraichissenaent à l'armée ennemie ». Pas un mot pour les habitants. Pourtant, si on leur enlève leurs bestiaux, il faudrait leur donner des compensations, songer à leur alimentation menacée, à leurs travaux agricoles suspendus.

Pendant que les événements accablent Groix, les Rohan n'oublient pas le paiement des dîmes inféodées qu'on leur doit. Leur agent, Le Berlic, délivre des reçus comme « faisant la récepte de la Rante deub à la prousté du fieff de Léon en lisle de Groye pour l'aune 1703, de la part du Seigneur de Kerloret » (M. de Barisy). Les Rohan s'inquiétent bien, vraiment, de l’île de Groix, un arpent de terre, pour eux ! Le ministre de la marine lui-même ne songe plus au fameux stratagème. Le recteur Uzel le lui rappelle, fort à propos, il faut croire, car de Pontchartrain lui écrit sans tarder. « A Versailles, le 30 janvier 1704 — j'ai receu, Monsieur, la lettre que vous m'avez écrite le 12 de ce mois, vous trouverez ci-joint le brevet de pension de 500 livres que le Roi vous a accordé sur l'évêché d'Agen. J'ai été bien aise de vous attirer cette marque de la satisfaction que sa Majesté a eu du zèle que vous avez fait paraître pour son service, la dernière fois que les Anglais sont venus à l’île de Groix — Pontchartrain ». Le recteur Uzel est en outre chargé de la défense militaire, en l'absence de militaire. On lui accorde là non pas un privilège mais une espèce de charge que recevront ses successeurs en même temps que la pension de 500 livres.

Voilà une aubaine pour le recteur dont les revenus comprennent, maintenant, la pension, le casuel et les dîmes. Mais, les habitants ? Qu'a-t-on fait pour eux ? Rien. Désespérés, ils s'adressent, directement à Louis XIV, probablement sur l'initiative du recteur Uzel. Le 1er Octobre 1704, de Pontchartrain agrée certaines de leurs sollicitations, sans enthousiasme ; il écrit à des Graviers, major de la citadelle, de Port-Louis : « J'ay rendu compte au Roy de la réponse que vous m'avez envoyée avec le mémoire des habitants de l'isle de Groa, Sa Majesté trouve bon que vous leur fassiez donner les quatre canons dont vous m'escrivez avec les minutions et ustensiles nécessaires pour le service, mais il suffit de le faire au printemps prochain.... Sa Majesté n'a pas jugé à propos de leur accorder les canonniers qu'ils demandent, parce qu'il doit y en avoir suffisamment dans l'isle ».

Au printemps de l'année suivante, le 8 avril 1705, le ministre de la marine, écrit à l'ordonnateur de Lorient, Charles de Clairambault : « Sa Majesté trouve bon que vous fassiez délivrer aux habitants de l'isle de Groa quatre canons et des ustensiles pour servir à la défense de leur isle, mais il faut que vous les preniez parmy ceux qui ne sont pas propres pour le service de Sa Majesté ». C'est joli ! Comme si les côtes de Groa n'étaient pas françaises. La lettre suivante, adressée par le ministre de la marine, le 7 octobre 1705, à l'ordonnateur de Lorient, prouve combien l'administration royale s'intéressait à l'île : « J'ay rendu compte au Roy de la conduite d'eau que vous proposez de faire en l’isle de Groa pour l'ayguade des vaisseaux du Roy (elle aurait été fort utile aux habitants). Sa Majesté veut bien faire la dépense à laquelle cela montrera, sur le prix le plus commode, c'est-à-dire 1800 livres [Note : Le plan et le devis avaient été dressés, sur place, par Gobert, ingénieur, constructeur de la marine] ; j'écris à M. Le Peletier de charger l'ingénieur du Port-Louis d'en faire le devis et l'estimation en détail et d'en conduire les travaux sous vos ordres... Mais avant de faire cet ouvrage, prenez la peine d'examiner si cela n'est pas dangereux et s'il n'est pas à craindre que vous n'attiriez sur cette coste les vaisseaux ennemis, à cause de la facilité qu'ils auront d'y faire de l'eau, parce que si cela devait engager dans la suite sa Majesté à y faire un port pour garder cette fontaine, il vaudrait beaucoup mieux ne pas la faire ». Pas d'aiguade.

En vérité, les grésillons ne doivent pas leur salut au grand de Pontchartrain ; s'ils ne succombent pas à leurs infortunes c'est qu'ils sont d'obstinés travailleurs, amoureux de leur minuscule pays. A peu près ruinés par la guerre et la presse, ils acquièrent de nouveau une modeste aisance, grâce à l'agriculture, la plus noble et la plus bienfaisante des professions. Le nombre des hommes augmente. Quelques personnalités s'établissent dans l’île. Les transactions de terrains recommencent, indice certain de l'amélioration de l'état social. Les actes donnent des noms ayant une importance relative dans l'histoire de l'île. Dans un acte du 23 novembre 1709, on lit : « Ont comparu noble, homme René Le Bretton, sirurgien de sa profession et damoiselle Jeane Eygantic son épouse.... demeurant au bourg paroissial de Saint Tudy, isle de Groye, d'une part et messire de Cosnoal sieur du Cartier Saint Georges, de Toullelan et ailleurs.... résidant en son manoir noble du dit Toullelan en la paroisse de Riantec .... ».

René Le Breton est un chirurgien de la marine, retraité sans doute, qui a épousé une grésillonne et qui s'établit à Groix. Il y achète des terres à messire de Cosnoal, prévôt titulaire de la prévôté de Groix. Le 5 Décembre suivant, « Botterf, notaire pour la juridiction de la Rochemoissan, Troiffauen, Lorian e Ailleurs.... faisant demeure au bourg paroissial de Saint-Tudy » procède à la prise de posession de ces biens achetés. Les premiers mois de séjour ne s'écoulent pas sans encombre, pour le nouveau propriétaire. Il est l'objet de plusieurs querelles. En voici une qui dépeint bien l'animosité des grésillons contre l'élément étranger. Un dimanche, René Le Breton entrant à l'Église, se rend au banc des notables et s'y assied. Quelques instants après, survient Lemeur, propriétaire ou locataire du manoir de Kergatouarn restauré, homme assez instruit, gros potentat en sa qualité de prévôt effectif de l’île. Courroucé de voir que Le Breton a pris une place d'honneur, Lemeur insiste pour qu'en ne viole pas de telle façon des droits de présance aussi imprescriptiles que ceux de prévôt ! L'autre reste où il est. D'où scandale. Ce n'est pas fini. Après la messe, il y a une procession René Le Breton veut passer avant Lemeur. Nouvelles contestations. Un procès s'en suit. René Le Breton n'étant pas prévôt perd devant la Sénéchaussée d'Hennebont et en appel, à Quimperlé.

René Le Breton est noble homme, mais point riche. Il achète à crédit ; son procès absorbe une partie de ses revenus. Il se libère enfin envers son créancier, messire de Cosnoal. En cela il fait mieux que son très auguste souverain Louis XIV qui reçoit sans toujours rendre, qui, pressé par le besoin, « se prostitue » selon l'énergique expression de St-Simon, pour gagner certains usuriers de l'époque. Louis XIV a un très pressant besoin d'argent ; supposant que le faible rendement des impôts est dû à ce que les propriétaires ne fournissent pas au fisc, une exacte énumération de leurs biens, il publie, en 1710, une ordonnance prescrivant à tout possesseur de domaines de faire la déclaration de ce qu'il détient. On devine ce que peuvent être de semblables déclarations, sens contrôle sérieux. On ne vise pas à l'opulence. Catherine Le Gall a soin de mettre en relief ses maisons ruinées et brûlées par les Hollandais : « Je soussignée dame Catherine Le Gal, dame de Quermartin (en réalité Kermartin) pour obéir à la déclaration du Roy, du 14e Obtobre dernier, vérifiée au parlement de Bretagne, le 17e Novembre, et suivant l'ordonnance de Monsieur l'intendant de la province du jour 17e Novembre dernier, le tout leu et publié au prosne de la grande messe de l'Église, paroisse de St-Tudy, évêché de Vannes, le 14e Décembre 1710. Je déclare posséder ce qu'en suit en ladite paroisse de St-Tudy.
Savoir :
Une maison ruinée brûlée par les holandais et inhabitée qui a son jardin et vergier, court close, écurye et son colombier et courtil à fillasse
[Note : On filait le lin pendant les veillées] qui est affermée à Paul Jacob, pour cy … 12 livres. Une autre maison, aussi bruslée par les holandais avec la cour close, vergier, jardin, courtil, un petit parc de lande joignant une petite prés affermée aud Jacob pour .... 12 livres. Dessus lesquels je paie à Monseigneur le prince de Guémenée, 2 minots froment et 2 minots avoine Une autre maison couverte d'ardoise affermée à Mlle Mello, pour en payer par an .... 5 livres Une tenue à la tierce gerbe, sur laquelle on paye à M. le Prince 1 minot froment et 1 minot avoine. Une autre tenue, à Quilhuit, abandonné par les rentes qu'elle paye à mondit Seigr. le Prince. Une autre tenue, au bourg, possédée par… pour en payer 1/2 minot de froment autant d'avoines et 4 livres en argent et qui double tous les 3 ans.
Au village de Stancporlaye.
Une chef de rente deub par Julien Stéphan et consorts pour en payer par an 30 livres, etc. ...
…… Faite pour estre fourni au syndic et aux Marguillers de la paroisse de St-Tudy pour la remettre en mains de Monsieur Belle Fontaine, Jean, Receveur des octroi en l'évêché de Vannes »
.

Le syndic et les marguillers représentent les futurs Conseillers municipaux ; ils sont chargés d'administrer les revenus de la paroisse. Le prévôt de Groix, n'est, en somme, qu'un simple officier de police rurale, chargé de veiller au maintien des droits du prince de Rohan, de recueillir ses rentes, de rappeler aux vassaux leurs obligations. Au commencement du XVIIème siècle, Lemeur a affermé la charge de prévôt de Groix à la famille des Cosnoal, possesseurs héréditaires de la prévôté.

Voici un type des reçus délivrés par le prévôt aux habitants : « Comme prévôt de la prousté de lille de Groy, je reconnais avoir reçu de richart Leslé..., le nombre de trois minots froment et trois minots d'avoine et les cinq minots de froment et autant d'avoine, qu'il me restait de l'année précédente avec les droits dont je le quitte sauf la courante et tous les autres droits. Fait à Groye, 4me septembre 1727, Lemeur ».

Le prévôt perçoit toutes les redevances dues en nature au prince de Rohan, mais il ne s'occupe pas des droits du suzerain sur les actes de ventes. Toutes les fois que l'on mentionne certaines terres, on a soin de stipuler qu'elles doivent des rentes de « vente » payables au receveur de la principauté. Dans un acte passé à Hennebont, en juillet 1712, on lit : « ....terres situées au dit isle de Groix, et ailleurs, et subjet à devoir de lotz et ventes au prince de Guémené relevant du fief et principauté de Pont-scorff ». Ces droits assez élévés, étaient perçus par le titulaire de la recette de la principauté ou par son remplaçant comme l'indique un acte de 1712 : « …. faisant pour Monsieur de Roscouet, fermier général de la principauté de Guémené ».

Donc, le prévôt collecte les dîmes pour le prince, le recteur les collecte pour lui-même, tandis que le syndic reçoit les impôts d'Etat. Les malheureux grésillons s'épuisent, à acquitter des dettes. Si encore, leur curé, pensionnaire de 500 livres, titulaire d'importants droits de dîmes, ne leur faisait pas payer ses interventions sacerdotales. Mais sacrifier le casuel, ce serait renoncer à des rétributions légitimes, en somme, et considérables. Il y a de riches baptèmes, de pompeux mariages, par exemple le mariage de « Jean-Jacques Barisy, sieur de Kerloret, majeur de 25 ans, avocat au parlement, » célébré à Groix, le lundi 16 février 1722.

Les fonctions rectorales doivent subir vers cette époque, certaines modifications. Il m'a été impossible de m'en assurer. J'ignore aussi pourquoi, le 16 avril 1726, l’ancienne expression St-Tudy est brusquement remplacée par Lotudy et bientôt Loctudy. Sur les registres, dans les actes il n’est plus question, désormais, que du recteur, de la paroisse, ou du bourg de Loctudy. Quelques mois après cette transformation de nom, le recteur fait les inhumations dans le cimetière de Loctudy et non plus dans le porchet de l'église. Il n'y a là qu'un changement de mot, parce qu'en réalité on enterrera dans l'enceinte de l'église, qualifié du titre de cimetière, jusqu'à l'épouvantable épidémie de 1777.

Les actes de sépulture continuent à mentionner les principales personnes qui ont suivi le convoi funèbre. La qualité des témoins figure rarement ; on doit le regretter. La diversité des conditions ne nous est révélée, exactement, que par les rôles de rentes où l'on rencontre, en outre, de nombreux détails sur les recettes des propriétaires et leurs redevances tant féodales qu'ecclésiastiques — et il y en a !

Le recteur, le prieur de St-Gunthiern, les Pères de l'Oratoire, ne sont pas, en effet, les seuls ecclésiastiques recevant des dîmes. Le prieur de St-Guenael, en perçoit aussi, sur des terres probablement situées du côté de Kermarec ; il les collecte en 1732, par un intermédiaire dont la signature est illisible : « Je certifie que les héritiers de Richard L..., de Kermarec, m'ont paié pour l'année 1730, pour le prieur de St-Guenel (abréviation locale de St-Guenael), le nombre d'un minot froment autant d'avoine comme étant porté sur le rentier a moy fournie par le dit prieur de St-Guenel. En foie de quoy jay sine le présent pour servir et valloir ce qu'il apartiendra. Fait à Grois le 20e octobre 1732 ».

C'est dans cette partie sud, peut-être au milieu des terres tributaires de St-Guenael que s'élève le fameux moulin à vent que l'on connaîtra encore, à la fin du XIXème siècle, sous le nom de « moulin du prince ». C'est un moulin féodal, appartenant en propre au prince qui n'a pas voulu le céder, car il lui rapporte de gros revenus : les habitants sont obligés d'y moudre tous leurs grains ! Aussi, le prince le loue-t-il fort cher. En 1740, le fermier est Robert Cr...., qui verse chaque an, entre les mains du receveur de la principauté de Guémené, le montant de sa location. En retour, il jouit de tous les droits et privilèges inhérents à un moulin féodal. Non seulement, les grésillons doivent, sous peine d'amendes, lui apporter leurs céréales, mais ils sont tenus à l'aider pour toutes les réparations qu'il aura à effectuer. En septembre 1740, ces clients contraints montrent un très faible empressement à prêter leur concours à Robert Cr... Aussitôt, ce dernier s'adresse au sergent de Groix et le requiert de faire respecter ses privilèges. Le sergent fournit à Robert Cr... la liste de tous les vassaux grésillons qui lui doivent assistance ; elle commence ainsi :

« Registre de tous les vassaux de l'île de Groix, sujet à corvée au moulin de Monseigneur le prince de Guémenée et de moudre leurs grains autant qu'il pourra faire (comme le meunier pourra, au point de vue de la célérité). En foi de quoi aura permission fermier de les arrêter et de les prendre en confiscation comme fraudeurs, et arrêté au bourg de Loctudy, de ce jour 24e de septembre 1740, à la requête de Robert Cr... et de Jacquette sa femme, demeurant au village de Kermarec, en lisle de Groix, paroisse de St-Tudy, lesquels sont fermiers dudit moulin de monsieur le prince de Guémenée ».

Il n'y a point cas à plaisanterie, quand il s'agit d'observer la « coutume de Bretagne. ».

La liste des vassaux, fort longue, est établie par villages. Chaque habitant figure avec une charrette et deux chevaux... qu'il n'a certainement pas. Si tout vassal possédait deux chevaux, l’île serait insuffisante à produire assez de pâture pour tant de bêtes. On remplace, sans doute, un des deux animaux par une quantité déterminée de grains. Le meunier s'accommode, aisément, d'une pareille compensation. Pour peu qu'il reçoive les grains, dus par ses clients ; pour peu que les vents ne soient pas trop forts, en hiver, ou trop faibles, en été, cet industriel réalise de jolis bénéfices. Les écus de six livres ne manquent pas dans son coffre de chêne, qui lui sert, selon l’habitude d'alors, de garde manger et de vaisselier.

Vers la moitié du XVIIIème siècle, nombre de grésillons s'acheminent, comme le meunier, plus que lui, vers la fortune. Le 18 mes 1744, à Locmaria, un inventaire général « de tous les meubles et effets » arrêté après le décès de Joseph Le D…. donne un total dépassant mille libres ! Je trouve, dans le grimoire, des objets dont il est intéressant de connaître le prix :

L'inventaire est signé par « Longuer, commis juré au greffe de la juridiction de la Rochemoissan et annexe à Pontscorff, y demeurant ».

Longuer opère la vente en plusieurs « lotties » ou lots, secondé par le crieur Vincent Le Bo.... qu'a choisi Marc Gu..., tuteur de.s.enfants de feu D.... Après chaque vente, à la nuit, Longuer retourne « au bourg de Groix pour prendre un logement, du consentement dudit Marc Gu…, tuteur ». Il poursuit l'opération le lendemain. La vente achevée, le 18 mai 1744, produit 1226 livres 5 sols. Quelle richesse ! Peu de familles possèdent, alors, 360 francs en argent, 26 minots d'orge, 16 minots de froment. Le meunier, certes, a moins d'aisance.

J’ai dit que ce dernier paie une grosse ferme au prince ; il donne, exactement, 100 livres en juillet et 100 livres en janvier. « Comme receveur de la principauté du Guémenée, j'ai reçu de Robert Cr..., fermier du moulin de Groix, la somme de cent livres pour le terme de juillet 1745 d'avance de sa ferme. A Lorient, le 30 juillet 1745. Hervé. ».

1745 . Nous voilà à une époque où de nouveaux éléments ethniques, transforment encore Groix. De nombreux étrangers venus de Plœmeur, en général, se fixent dans l’île, en qualité d'ouvriers ou de petits propriétaires. Cette infusion de pur sang breton exercera une influence salutaire en croisant des races très distinctes. C'est également vers 1745, que les terres des descendants de la famille Y..., passent petit à petit à la famille D..., si puissante pendant la dernière moitié du XVIIIème siècle.

Est-ce à cause de la valeur toujours croissante de la propriété, est-ce parce que les grésillons n'accordent plus guère d'autorité au notaire d'ordre inférieur et au sergent domiciliés à Groix, je ne sais, mais il n'est plus parlé des deux fonctionnaires. Quand on a besoin d'un notaire ou d'un sergent, on les appellee de Lorient, à grands frais, en temps ordinaire. Si une tempête survient et oblige l'homme de loi ou de justice à rester dans l’île, jusqu'à ce que les courreaux soient propices, la note à payer atteint des proportions malheureuses. Un exemple : au mois de décembre 1751, Jacques T... ayant un différend avec Joseph T..., de Lomener, requiert Le Bronnec, sergent à Lorient, d'assigner Joseph T.... Le Bronnec vient à Groix, le 7 décembre et exerce ses fonctions. Une tempête s'élève et le met dans l'impossibilité de gagner la mer ; il ne repart que le 17 décembre, après avoir réclamé 2 livres 4 sols par jour à Jacques T... Celui-ci, très sensé, lui donne 9 livres, somme bien suffisante. Le Bronnec, mécontent, s'adresse au tribunal de Pontscorff pour obtenir le reliquat de ses honoraires. « Messieurs les juges de la juridiction de la Rochemoisan, fief de Léon à Pontscorff, supplie humblement maître. Le Bronnec, sergent demandeur, contre Jacques T..., de l’île de Groix, défendeur.. ». Les juges condamnent Jacques T... Heureusement pour les grésillons, les sergents viennent moins fréquemment à Groix, que les notaires.

Oh les notaires ! Que de voyages de notaires à Groix, de 1750 1789 ! On en voit toutes les semaines pour les achats de D... ; tantôt c'est pour l'acte de vente proprement dit, tantôt, pour la prise de possession. Cette petite cérémonie ne manqué pas d'attraits pour les gamins de l'endroit : le notaire, l’acquéreur, les témoins, se rendent, en effet, processionnellement, aux terres, aux maisons achetées. C'est ainsi que le 3 novembre 1751, une caravane de ce genre va prendre possession, au Mené, d'une « ... ruine de maison, dans laquelle nous avons fait feu et fumez et y avons beu et manger et ensuite somme allez et venu par les sellions de terre mentionnée audit contract de vante dans lesquels nous avons besché terre, circuité (circulé) et généralement faites et observées les formules requises et nécessaires suivant la coutume pour bonne et valable possession, prendre sans trouble, ny opposition de personne quelconque ». La prise de possession ne suffit pas, il est indispensable d'annoncer à toute la population qu'elle a eu lieu. « L'an 1752, le jour de dimanche 28e de juin….X..., sergent de juridiction de Pontscorff, la Rochemoissan Treiffaen et autres annexes et celle de Lorient, paroisse de Saint-Louis, évêché de Vannes, certifié que L. D..., et sa femme demeurant au bourg de St-Tudy, en lisle de Groix, demandeur en appropriement, nomment pour leur procureur en juridiction de la Rochemoissan, fief de Léon, à Pontscorff, Lequevel ».

Le sergent se transporte, dit-il, à Groix « à l'exprès avec ses témoins, par le moyen d'une chaloupe que j'ay frêtée ». Il accoste et va à Loctudy « ou estant rendu environ les onze heures et midy et mestant placé vis-à-vis la porte principale de l'église paroissiale dudit St-Tudy audit isle à l'issue de la grande messe y dite et célébrée ce jour, et comme le peuple sortait et s'était assemblé autour de moy pour savoir le sujet de la commission j'ay à haute et intelligible voiye en langue vulgaire française et bretonne, leu, bannoyé et donné à entendre à tous la teneur et substance du contrat de vente passé devant Kersale, notaire royal au Port-Louis... ». Le dimanche suivant, deuxième bannie ou avertissement public. Enfin, le troisième dimanche, dernière bannie, à la suite de laquelle le sergent fait signer par ses témoins les trois déclarations de bannie et affiche le tout à la porte principale de l'église – où l’on « attache » les avis intéressant la paroisse et en face de laquelle ont lieu les communications diverses des autorités civiles. Le libellé des trois bannies contrôlé à l'Orient, le 20 juin 1752, coûte 9 sols 6 deniers.

Aucun bateau ne faisant le service entre le continent et l’île, sergents et notaires louent des chaloupes, à leurs frais. Les habitants de Groix traversent les courreaux avec leurs embarcations. Ils vont à Hennebont pour affaires commerciales et à l'Orient pour affaires de justice. Quand ils sont appelés en cette dernière ville, en qualité de témoins, ils reçoivent, chaque fois 2 livres 10 sols d'indemnité. Certains voudraient bien majorer le tarif ! En 1759, J..., « patron de la patache des employés de ferme du roy » se rend maintes fois de Groix à Lorient pour régler un compte de tutelle dont il est chargé. « Son mémoire et bref de dépenses » ressemble à un vrai conte bleu ; le juge chargé de le vérifier annule les deux tiers des dépenses.

Lorient semble remplacér peu à peu Pont-Scorff et Hennebont tant pour les affaires civiles que pour les affaires d'ordre criminel ; la ville est en vérité, plus proche, que Port-Louis pour les habitants de Groix. Le receveur de la principauté de Guémenée y réside. La besogne de ce personnage est bien moins embrouillée qu'autrefois, puisque la presque totalité des biens du prince a été affermée ou vendue. Pourtant, quelques parcelles appartiennent encore en propre aux Rohan, comme l'apprend un acte de 1760  « ... la moitié d'un seillon à Portudi donnant du couchant à terre aux héritiers de Vincent Baron, et du levant à terre au seigneur prince de Guémenée ».

A l'exception de cette parcelle, du moulin et d'autres terres mal délimitées dont je m'occuperai plus tard, l'île de Groix a pour propriétaires, D... le prieur de St-Gunthiern et les héritiers de la comtesse de Kermartin qui vendront de plus en plus à D... Les héritiers de Kermartin ont un homme d'affaires auquel ils confient un rolle de leurs rentes, de leurs chefs rentes, de leurs fermes de pâturages et des dîmes dues par eux ; leur rentier commence en 1763 et se termine en 1807 ; on y lit, aux dernières pages : rentes dues au seigneur prince de Guémenée sur les biens dénomés cy devant au présent rolle (ou rentier) :
1° A la prévôté du fief de Léon, 4 minots. 1/4 de froment, autant d'avoine et 4 livres 2 sols en argent.
2° A la prévôté de M Ducartier (de Cosnoal du cartier Saint Georges, prévôt héréditaire, à Groix) 1 minot de froment 1/4 ; et 1/10 de froment sur le Mené qui double tous les 3 ans.
3° ……………………… Blaise 1/4 de froment et 1/2 minots d’avoine, de plus. Vers minission à la dite Charette, sur la tenue Marie U... 1/2 quart de froment et double d'avoine.
4° Au sieur recteur, pour prémisses, sur la maison de Blaise 1/4 froment comble.
Audit une partie d'un 1/2 minot, en consortisé sur la tenue de Marie U………….

Le receveur de la principauté charge parfois une personne résidant à Groix, de recueillir directement les dîmes ou rentes du Prince. Voici un recu imprimé qui le prouve :

« J'ai reçu de Bertrand Mare.... la somme de ... 4 livres, 4 sous, 7 deniers, montant de rentes expliquées ci-dessus ; pour la redevance de ladite année, sur la tenue qu'il possède audit lieu dont quittance sauf et sans préjudice de plus grandes rentes, des levées échues et à échouer, et de tous droits seigneuriaux et féodaux qui sont expressément réservés. A Groix, le 27 septembre 1762, de Céron ». Nous retrouverons, bientôt, de Céron.

Les héritiers de Mme la comtesse de Kermartin ne vendront pas exclusivement à D... le principal acheteur, ils en céderont à un habitant de Port-Louis, qui paiera « 2000 livres pour achat et 150 livres pour épingle et pots-de-vin ».

En 1767, le prince imite les héritiers de Mme de Kermartin ; il aliène tout ce qu'il peut posséder à Groix, tout, ce qui n'a pas été délimité, sauf le moulin. Le 10 octobre 1767, par devant notaire de Lorient, François Morin (receveur de la principauté) conclut la vente, au nom de « Hercules de Rohan de Guémenée, très haut, très illustre, très puissant seigneur ». L'acheteur est « noble homme Jean de Céron, aide major de la milice garde côte de de Groix, y demeurant ». Par ce contrat, Hercules de Rohan laisse, à titre de feuage roturier sous juridiction des fiefs de Léon, à de Céron, toutes les terres non délimitées, abandonnées, édifices ruinés, en l’île de Groix, à charge par lui, de Céron, de les délimiter. De Céron, paiera, « chaque an, à la St-Gilles, de rente féagère, féodale et perpétuelle, 6 minots 1/4 de froment et 6 minots 1/4 comble d'avoine mesure d'Hennebont, et la somme de 6 livres un sol en argent tournois ».

Quatre années plus tard, en 1771, le prince de Rohan cède son moulin au même de Céron, toujours à titre de rente féodale et perpétuelle. L'acte est daté du 1er novembre 1771 : « Par devant les notaires royaux de Lorient soussignés, furent présents Nicolas-Yves-Julien Marchand, avocat en parlement, intendant-trésorier de son Altesse monseigneur le prince de Guémené, demeurant ordinairement à Paris, vieille rue du Temple, paroisse de Saint-Jean, en grève…… ». Au nom de Rohan, Marchand cède, transporte, abandonne à titre de pur et simple féage roturier à de Céron, un moulin à vent, en Lisle de Groix, appartenant à son Altesse, avec son emplacement tournant et moulant. En retour, de Céron doit : 1° payer, chaque an, de rente féagère, féodale et perpétuelle 50 livres ; 2° entretenir et exécuter le bail courant dudit moulin et celui qui commence. Le premier à Julien Caudan et femme, le second à Joseph Le Floch et femme.

Le prince n'a donc plus rien à Groix, il n'y est plus propriétaire, il n'y a que des droits de suzerain.

De 1771 à 1776, rien de saillant. La première moitié de 1776 s'écoule tranquille ; la santé publique ne laisse rien à désirer. On compte, en janvier, 2 décès ; en février, 8 ; en mars, 3 ; en avril, 3 ; en mai, 10. Le 19 mai, le vaisseau de guerre, le Triton, venant de je ne sais où, mouille en rade de Port-Tudy, parce qu'un de ses canonniers, Truffau est mort. On enterre Truffau dans le cimetière de l'église.

En juin 3 décès ; en juillet 7 et en août 6.

Au commencement de la deuxième semaine de septembre, les décès se succèdent rapidement. Il s'agit, nettement, d'une épidémie, que l'on attribue à l'inhumation de Truffan. Le 23, le recteur Jannot succombe ; l'abbé Davigo le remplace, et se trouve, soudain, au milieu d'une population affolée par l'extrème violence de l'épidémie.

En Septembre, 16 décès : Enfants 7 ; Adultes 3 ; Vieillards 6.
En Octobre, 64 décès : Enfants 50 ; Adultes 6 ; Vieillards 8.
En Novembre, 94 décès : Enfants 65 ; Adultes 12 ; Vieillards 14.
En Décembre, 57 décès : Enfants 28 ; Adultes 16 ; Vieillards 18.
88 naissances et 12 mariages dans l'année.

Quel effrayant hiver ! 5, 6, quelquefois 7 inhumations en un jour. Le recteur écrit bâtivement, l'acte de sépulture, tant il a de devoirs à remplir. Les libellés de son registre inspirent de l'effroi. On croit voir ces lugubres cortèges partir des divers villages de l’île, pour se diriger vers Loctudy, fouettés par le vent, par la pluie, en proie à l'épouvante.

L'année 1777 s'ouvre donc sous de terribles auspices. Tous les enfants vont-ils mourir ? Où enterrera-t-on tant de victimes ? Le porchet n'a plus de places disponibles. On établit un autre cimetière, malheureusement, placé tout près du bourg, tant est grande l'habitude de laisser les morts au milieu des vivants.

En janvier, 52 décès ; en février, 31 ; en mars, 24 ; en avril, 19 ; en mai, 11 ; en juin, 8. L'épidémie est terminée ; elle a duré 10 mois et a fait périr 558 personnes environ. La population étant environ de 2.900 personnes, la proportion des décès s'élève 19%.

En juillet, 4 décès ; en août, 1 ; en septembre, 2 ; en octobre, 1 ; en novembre, 1 ; en décembre, 2.

Est-ce de la variole, du choléra, de la diphtérie ? Le très grand nombre d'enfants morts peut éveiller l'idée de diphtérie-endémique dans l'île, plus tard. L'hypothèse de diphtérie conviendrait mieux que celle de choléra et serait la plus aceptable si les habitants ne devaient dire, vers 1860, que tous leurs grands parents étaient « grêlés » atteints, au visage, de cicatrices varioliques. Ces grands parents ne peuvent être que les témoins de l'épidémie qui les a épargnés, dans leur enfance, en 1776-1777. Mais alors, pourquoi une hécatombe d'enfants, tandis que les adultes et les vieillards n'offrent qu'un contingent relativement faible ? Il est possible que durant les 9 mois de peur intense, les enfants aient été mal nourris, mal soignés par leurs mères débilitées, souvent frappées elles mêmes. Que peuvent devenir 5 ou 6 enfants dont le père et la mère succombent au fléau ?

La diminution des décès, à partir du mois d'août, est remarquable ; un maximum de deux décès par mois, voilà qui contraste avec les 94 décès de novembre. L'épidémie paraît avoir été un formidable agent d'élimination de faibles ; les forts seuls ont résisté.

Les affaires ne reprennent quelqu'essor qu'après de longs mois de stupeur. C'est encore D... , syndic des classes, qui accroit son bien. Le 8 juillet 1783, D... achète pour 2400 livres de tenues à Piedevache sieur de la Bourdelaye, un des héritiers de Mme de Kermartin. L'acte de vente est passé par devant un notaire royal, résidant à Lorient, sénéchaussée d'Hennebont. « Fut présent noble homme Mathurin François Piedevache sieur de la Bourdelaye, employé aux devoirs, demeurant à Lorient, rue Fulvie, lequel par ces présentes a déclaré vendre, céder, quitter, délaisser et transporter pour toujours sans espoir de racquet, tant pour lui que pour ses successeurs et cause ayant, à jamais au sieur Joseph D..., syndic des classes... Savoir, fonds et propriété de quatre tenues à domaine (à domaine congéable) sises et situées au village de Kervedan, profittées par Jean Joseph et Mathurin Penhouet, François Br..., Sébastien Allain, Laurent G.... Tudy V..., et Jean B... ; un autre fond de tenue... des parcelles de terre de pareille nature, profittées par ledit D... sur lesquelles il est dû de rentes domaniales 15 minots de froment, 2 minots 1/4 d'avoine, 1/2 minot d'orge, 11 sols en argent, 2 poulets ; et finalement, le sixième dans les biens consistant en la tierce gerbe et un rôle de rentes commun et indivis avec le sieur Audouyn échu eu sieur Piedevache de succession d'écuyer Marc- Mathurin Joannau... tous lesquels biens sont situés audit île de Groix, relevant roturierement du fief du seigneur prince de Guémenée et envers lui chargé de lots et rentes, quand le cas échoit (quand il y a vente de ces terres) et sur la totalité ou portion au seigneur prince (il est dû au seigneur prince) 4 minots 1/2 froment, pareille quantité avoine, 4 livres 2 sols en argent, et au sieur Duquartier 1 minot froment, 1/4 pareille quantité d'avoine et 1 livre, 12 sols qui double tous les 3 ans, et ce, sans autres rentes ou prestations », c'est-à-dire, sans corvées.

Dans les nombreuses ventes qui ont lieu, les difficultés de délimitation restent fréquentes. Il n'y a toujours pas de bornage. Les témoignages sont utilisés quelquefois, mais très souvent, les gens qui pourraient témoigner n'existent plus. Les propriétaires en arrivent à égarer leurs propriétés ! Le procès suivant en fait foi.

« 4 juin 1784. Extrait du registre du greffe de la juridiction de Lorient. Le sieur Jean Jacques D..., ancien capitaine de la marine de la Compagnie des Indes agissant tant pour lui que pour ses consorts, Guyomar, avocat. Contre, Julien B... et Simon D... pour eux.et consorts... Lelivec procureur, M. Barlée, avocat ».

O... intente un procès à Simon D... à propos d'une tenue située à Lomener, appartenant à O... et pour lesquelles C... et Simon D... paient des redevances. Ni le propriétaire, ni les tenanciers ne savent où sont les terres de cette tenue de Lomener. O... assigne C... et Simon D.... pour que ces derniers précisent la situation de la tenue. Dans sa défense, Lelivec dit que C... et D... ont fouillé dans les titres de propriété de 40 familles qu'ils ont consulté la plus grande partie des habitants de l’île, sans trouver les indications voulues. Lelivec ajoute nombre de renseignements sur les redevances de la tenue, il dit que C... et D... paient pour elle :

1° une rente à O... de 3 livres tournois.

2° Une rente d'un minot et un perau de froment foulé, 1 minot et un perau d'avoine foulée et comble et 2 livres en argent, au sieur Ducartier qui perçoit cette rente par les soins de Mademoiselle Pr... et qui la perçoit double toutes les troisièmes années.

3° Une dîme féodale d'un pereau de froment foulé et d'un demi-minot d'avoine foulée et comble qui se paie à la delle Pr... comme fermière du seigneur prince de Rohan et de Guémenée.

4° Une rente d'un demi-perau de froment foulé et d'un perau d'avoine foulée et comble — dont les O…. et consorts paient annuellement la moitié.

5° Une fondation d'un minot froment au sieur recteur de l'île ; une dîme ecclésiastique au même, d'un perau de froment et puis d'un 1/2 perau (une année 1 perau, l'année suivante 1/2 perau) dont le sieur O... et consorts supportent encore la moitié.

6° Enfin au sieur Granier une rente d'un perau froment et de 5 sols 6 deniers, en argent qui s'élèvent toutes les 3 années à 1 minot froment, 10 sols, 9 deniers. C... et D... doivent, pour cette tenue « suivre le destroit du moulin desdits seigneurs fonciers (seigneurs pour propriétaires) et y faire les corvées ordinaires et extraordinaires requises à la manière accoutumée ».

O... seigneur foncier ! c'est pourtant un plébéien. Mais en 1784, à quelques années de la Révolution, la bourgeoisie rurale aime assez à imiter la noblesse, à prendre une particule, au besoin. Dans les campagnes, on suit encore mal l'évolution des idées philosophiques ; à Groix, on s'en préoccupe moins que partout ailleurs. Les grésillons paient leurs dîmes sans songer à murmurer ; n'a-t-on pas vu de tous temps, circuler dans l’île, la voiture du deogueo, la voiture des dîmes offertes à Dieu — par l'intermédiaire de ses représentants sur la terre.

Je ne sais si on paie une dîme pour les paissons. Si on n'en paie pas, ce qui est probable, les pêcheurs sont donc plus favorisés que les agriculteurs. Il est vrai qu'il y en a relativement peu : on ne pêche, encore, que de la sardine, les bateaux étant trop petits pour faire la grande pêche. A observer que la pêche de la sardine peut se prolonger jusqu'en janvier.

Ainsi, en 1784, au mois de janvier, « D... et autres mettent 224 milliers de sardines à 20 fr le mille, à bord de chasses marées. ». Vraisemblablement, de tels bénéfices encourageront plus tard, la pêche de ce poisson à laquelle les habitants peuvent d'autant mieux se livrer que les vaisseaux du roi prennent de moins en moins de matelots. Le 4 janvier 1784, 20 matelots, seulement sont au service. L'ère des guerres est depuis longtemps finie. La paix internationale et la tranquillité sociale semblent assurées. L'orage révolutionnaire qui gronde au continent n'a pas de retentissement, à Groix ; le recteur de l’île fait même décider la reconstruction de l'église de Loctudy. Ce vieux sanctuaire, église monacale, remonte à bien loin dans le passé. On raconte qu'au moment où les moines résolurent de bâtir une chapelle, entre Piwisy et Primiture, ils restaient indécis sur le choix de l'emplacement. L'église serait-elle érigée à Créhal ou à St-Tudy ? Des corbeaux — il n’y avait pas de colombes à Groix — des corbeaux décidèrent en apportant, à St-Tudy, de petits fragments de bois, indiquant assez, ce faisant, que la chapelle devait s'élever à St-Tudy. La légende ne manque pas de grâce ; elle en aurait davantage si le transport des petits morceaux de bois s'était effectué au moyen d'oiseaux plus poétiques.

Les travaux de construction commencent en 1788. L’ancienne église dépendant, quant au chœur, des prêtres de la maison de l'Oratoire de Nantes, je crois que les Oratoriens contribuent aux dépenses qui s'élèvent à 36.000 livres — somme bien en disproportion avec les résultats obtenus. Les ouvriers, sinon les entrepreneurs doivent être de Groix. Il y a des maçons, des charpentiers, par ex. « Paul Esprit. Le D... maître menuisier demeurant au bourg paroissial de St-Tudy. » (acte du 3 octobre 1788, signé Lestrohan, notaire royal, au Port-Louis).

Pendant que l'on travaille aux murs de l'église, les premiers symptômes de troubles se répercutent à Groix. Le prévôt cesse, probablement, d'exercer ses fonctions ; les rentes qu'on lui payait sont remises au Receveur de la Principauté. Ce nouveau mode de paiement est stipulé dans un acte de vente de maison conclu entre Marie-Anne Sainte Le… vendeur, et J. D..., acheteur. La maison est chargée « envers la prévôté de Groix, de la rente foncière de six sols que le dit acquéreur paiera et acquittera à la recette du prince de Rohan, à l'avenir, à compter de la St-Gilles ». Les frais de l'acte établi sur magnifique papier velin montent à 102 livres, 12 sols ; après l'exposé des clauses, se trouve le reçu du receveur du prince : « Le receveur de la principauté de Guémenée certifie avoir reçu de l'acquéreur la somme de 162 livres 10 sols, sous la réserve de tous droits seigneuriaux féodaux et plus grands échus ou à échoir ».

Cette législation féodale est grandement menacée. L'assemblée nationale métamorphose la France ; si le bouleversement général qui en est la conséquence n'atteint pas encore Groix, c'est que l'île n'a ni châteaux, ni seigneurs, ni vengeance à exercer contre son suzerain, purement nominal, dont les terres sont aliénées depuis longtemps. Dans l'île, le mécontentement du peuple ne reconnaît pour cause que les dîmes et les biens ecclésiastiques. L'assemblée nationale abolit les dîmes et les droits féodaux, le 4 août 1789 ; elle ne tarde pas à exiger de tous les détenteurs de biens ecclésiastiques, une déclaration rigoureuse. Le prieuré de St-Gouthiern est déclaré le 10 mars 1790.

« Devant nous officiers municipaux de la ville de l'Orient, s'est présenté le sieur Ed. M..., Receveur de la principauté de Guémenée, demeurant en cette ville, lequel comme fondé de la procuration spéciale de messire P. F... prieur du prieuré de St-Gouziern en l’île de Groix, ladite procuration en date du 8 février dernier, au rapport de C… notaire royal à P..., lequel sieur Ed. M... a, avec la procuration déposé la déclaration par lui rédigée au nom dudit sieur P. F... touchant le bénéfice et dont la teneur suit :

Je soussigné fondé de la procuration de messire P. F…, demeurant à Creil, prieur de St-Gouziern, en l'île de Groix, évêché de Vannes, au rapport de Me Th..., notaire royal au châtelet de Paris, résident à P..., en date du 8 février 1790, contrôlé le 19 du même mois par Robillard, déclare pour satisfaire, seulement au décret de l'Assemblée nationale concernant la déclaration des biens ecclésiastiques, à la municipalité de Lorient ou à autres dans le district de laquelle se trouvera l’île de Groix et y étre renvoyée, que ledit messire P. F.... est titulaire du prieuré de St-Gunthiern en ladite île de Groix, que lui a été présenté par la maison de Rohan, et dont le revenu est affecté sur des terres lui appartenant en ladite île, affermées le 31 mars 1785, par acte au rapport, de Le Th..., notaire de cette juridiction, contrôlées le 2 avril suivant par B... pour neuf ans, à compter du 1er janvier 1791, à dame M.-J. M..., demeurant en ladite de Groix, paroisse de St-Tudy ; pour payer annuellement, audit sieur F... la somme de 523 livres tournois sur laquelle somme ladite dame est tenue d'acquitter pour compte dudit prieur, les décimes et subvention dues sur ledit prieuré ; en outre faire à la décharge dudit prieur toutes les réparations quelconques de la chapelle dédiée audit St-Gouziern ; même de faire desservir, à ses frais, et sans repetition vers lui, la messe y fondée, déclarant ledit sieur procurateur que le sieur prieur ne possède autre bien en ladite île de Groix et n'entendre préjudicier par la présente déclaration aux droits de la maison de Rohan, même de l'annuler si les revenus dudit prieuré n'étaient point dans le cas de celle qu'il en fait pour ledit prieur ».

Ces déclarations de biens ecclésiastiques ne sont qu'un prélude à la confiscation. Dès le commencement de 1791, les litiges religieux portés devant les tribunaux, ne sont pas admis. Le 29 juillet 1791, un juge de paix de Vannes, écrit au notaire Lestrohan qu'en raison de cet état de choses, il doit prévenir les héritiers de feu D... qui de son vivant, l'avait chargé d'une procédure contre les Oratoriens de Nantes, à propos d'une pension ecclésiastique, due à Groix.

De pareils changements communiquent l'esprit nouveau aux habitants qui restent pourtant tranquilles ; ils ont assisté, sans manifestation hostile, au départ du recteur Landrain qui quitte Groix en juin 1791 et dont la dernière signature sur les registres est du 29 juin 1791. Son remplaçant, l'abbé B. Fardel, prêtre constitutionnel, a une attitude politique fidèlement révélée par les registres de la paroisse. L'abbé Fardel, dès son arrivée s'applique à rejeter, en ce qui concerne ses fonctions, les habitudes rappelant l'ancien régime ; les sépultures deviennent des décès, les baptêmes des naissances. Cette simple substitution de mots constitue, en réalité, une petite révolution ecclésiastique. L’abbé prépare bien d'autres surprises à ses paroissiens. Perspicace, souple, très intrigant, peut-être ambitieux, il prend une part active au mouvement qui se dessine de plus en plus, à Groix, où la vente du prieuré de St-Gunthiern, sur l'ordre de l'Assemblée nationale, doit produire une sensation profonde. Il fréquente les cabarets, cherche à se rendre populaire, paraît s'inquiéter fort peu de sa dignité L'arrestatidn de Louis XVI, à Varennes, le 21 juin 1791, les massacres de septembre sont des coups de théâtre qui jettent le désarroi ; la lutte éclate à Groix entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, entre les aristocrates (!) et les républicains, probablement excités par des meneurs, venus du continent.

La République est enfin proclamée, dans la première séance de la Convention, le 21 septembre 1792. L'abbé Fardel, continue néanmoins, jusqu'au 14 octobre, à commencer ses actes, par l'ancienne formule « l'an de grâce… ». Mais, le lendemain, soit par ordre, soit spontanément, il dit : « L'an 1792, le 25 octobre, et le premier de la République française.... ». Les événements se précipitent effrayants. Le 3 décembre, la Convention décide que Louis XVI sera jugé par elle. L'abbé Fardel sait bien que cette mise en accusation équivaut au moins à la déchéance du roi, il s'adapte, aussitôt, à la situation ; le 31 octobre, il écrit, simplement : « L'an premier de la République, le 31 octobre ».

Deux mois plus tard, Louis XVI monte sur l'échafaud, la Terreur s'organise. L'abbé ne signe plus Recteur, mais curé. Son rôle n'a pas laissé de traces, pendant la guerre de Bretagne ; défend-il l'église de Loctudy contre les gens qui la pillent, le 13 florial, an II, (avril 1793) et lui enlèvent ses ornements, son argenterie, ses vases sacrés ? Il me semble qu'en ces jours ensanglantés, un prêtre assermenté n'a guère d'influence pacifique sur la foule. L'effacement du curé de Groix étonne donc moins que la surexcitation des grésillons révolutionnaires contre leur église et leurs chapelles. Avant l'agitation de 1793, ils ne payaient plus les dîmes ecclésiastiques, mais ils fréquentaient les offices, vénèraient leurs saints. Puis, voilà que, tout à coup, cédant à une impulsion irrésistible ils brisent ce qu'ils adoraient hier, pillent des objets religieux, jettent dans la mer, la statue de St-Laurent, près de Quilhuit, détruisent toutes les croix des villages. Évidemment, parmi eux, se trouvent des étrangers ; mais s'ils ne faisaient momentanément fi de leurs croyances religieuses, pourtant si fortes, il y a peu de temps, ils oseraient arrêter certaines violations. S'ils se ruent sur le prieuré de St-Gouziern, et quelques autres chapelles, c'est probablement, sous l'influence d'individus qui les exhortent à se venger des dîmes.

La question des dîmes doit jouer un rôle capital dans la révolte éphémère des grésillons. Pendant les troubles, l'abbé Fardel montre le zèle d'un  pur démocrate. Le 19 septembre, il signe : Fardel, curé, officier public ; le 24 sepmbre (4 frimaire), il emploie le calendrier révolutionnaire, il crit : « République française » ; le 6 frimaire : « République une et indivisible » ; le 16 frimaire il signe officier public, et marie à la mairie ; le 2 pluviose, il fait précéder du mot citoyen, le nem de chaque témoin.

Les efforts de ce prêtre sans caractère, de ce révolutionnaire sans sincérité ne parviennent pas à le maintenir à Groix ; il est obligé de s'enfuir en Espagne, je crois. Il rentrera plus tard en France, fera de nouveau partie du clergé régulier, prouvant ainsi que s'il a perdu son honneur, il a gardé son habileté. Le 18 floreal, an III, le nom de l'abbé Fardel est remplacé, sur les registres, par le nom de Dené, qui signe « officier public », et adopte les formules d'état civil ordinaires.

La Constituante crée les divisions départementales, cantonales et communales en 1791, et ce n'est qu'en Floréal, an III (avril 1793) que Groix s'organise véritablement en commune laïque, sans immixtion d'ecclésiastiques dans son administration. Ce n'est pas à dire que la loi de la Constituante ne soit pas observée ; quelque temps après sa promulgation, « le général de la paroisse de St-Tudy » prend les archives de la paroisse, placées sans doute au presbytère et en confie la clef à D... aîné. L'année suivante, le 8 janvier 1792, les « officiers municipaux de l'île de Groix déclarent avoir reçu de Monsieur D... aîné, la clef des archives qui lui avait été remise par le général de la paroisse de St-Tudy, île de Groix, en 1791. ». Signé Wa.... qui libelle le reçu, Joseph Le Dr..., Fr... Dr... Mais, jusqu'à Dené, la fonction d'officier public avait appartenu au curé de l’île.

Je ne sais si l'abbé Fardel fut remplacé. Les vieillards de l'île racontent que pendant la Révolution, il n'y avait pas de curé (peut-être après l’abbé Fardel) ; peut-être veulent-ils dire qu’il n'existait pas de prêtre assermenté, c'est-à-dire reconnu par le pape. Les fidèles se réunissaient, en cachette, le dimanche, dans une maison pieuse, située sur le chemin qui va de l'église au presbytère. Là, un d'eux lisait la messe. « C'était l'église chrétienne », ajoutent-ils. L'église du bourg et la chapelle de Locmaria servaient de casernes aux soldats de la République, venus à Groix, pour défendre l'île contre une surprise des flottes Anglaise et Hollandaise. Ces casernes momentanées furent utilisées jusqu'à l'achèvement des forts.

Fait curieux, depuis 300 ans l'île de Groix est menacée à la fin et au commencement de chaque siècle, et chaque fois, par les Anglais et Hollandais. A la fin du XVIIIème siècle, heureusement, elle est mieux gardée qu'autrefois. Comme les courreaux et les côtes du continent sont surveillés, les bateaux de Groix reçoivent des permis de navigation. En voici un : 19 ventôse, an IV - N° 1 La chaloupe La Marie Thérèse, patron Jean N... - Allant à Hennebond chercher des fagots - Le 19 ventôse, 4.

Au commencement de cet an 4, l'officier public de Groix reçoit les registres d’état civil de l'administrateur du Directoire du district d'Hennebont. Ces registres sont arrêtés, à la fin de l'année, par l'officier municipal de la commune, et visés par l'administrateur du canton de Port Liberté (Port-Louis). On ne peut s'empêcher de remarquer la profusion des officiers, dans les affaires publiques : officier d'état civil, officier municipal etc.

L'an 4 n'a pas été sans péril. Les vaisseaux ennemis ont croisé devant l’île et à un moment ils l'ont menacée d'un débarquement. Les grésillons se sont rappelé le stratagème du recteur Uzel et ont disposé des draps blancs sur les côtes, pour simuler des tentes de cantonnements. Il n'y a pas eu de descente.

L'année 1795 ressemble, administrativement, à l'année 1794 ; les registres sont délivrés par le président du canton de Port-Liberté. Le 11 pluviose 1795, Milloch est maire, Rio agent municipal ; donc plus d'officiers communaux. En 1800, à partir du 21. prairial, les actes sont libellés non plus par Rio, mais par Proteau, maire, qui meurt avant la fin de l'année. Rio arrête les registres, le sixième jour complémentaire de l'an VI (1800). Sixième jour complémentaire de l'an VI ! Voilà une fin d'année qui diffère singulièrement du rectorat de l'abbé Uzel qui, lui aussi, arrêta les registres de Groix, à la fin du siècle précédent. En ce XVIIIème siècle, si frivole d'abord, et si terrible ensuite, les grésillons ont traversé trois phases distinctes.

Au commencement du siècle, les menaces des flottes ennemies les ont réduits à une profonde misère. De 1720, environ, à 1789, la fortune leur a souri. Enfin, la révolution a changé leur état économique, sans modifier beaucoup leur état social, sans accroître sensiblement leur bonheur.

Au début du XIXème siècle, nul tenancier de tenue n'est obligé à payer de dîmes ecclésiastiques. Nombre de tenanciers ne paient même plus de redevances à leurs propriétaires ; certains deviennent possesseurs de leurs terres locatives, assez obscurément. En retour, les impôts, plus lourds qu'autrefois sont plus, rigoureusement perçus : les aliments, les objets indispensables à l'existence sont plus chers. La vie a changé, elle n'a pas été améliorée. Les habitants aisés, les autocrates, ont eu des destinées diverses ; les uns ont perdu une partie de leurs biens si péniblement acquis ; les autres servis par les circonstances ont augmenté leur fortune, — leur nombre en est assez grand. Nous n'en sommes plus au temps où une seule famille dominait ; il existe, maintenant, plusieurs familles dirigeantes.

Cette perturbation de l'état économique a respecté les droits de la maison de Rohan. Malgré le 4 août 1789, le prince reçoit ses minots de froment et d'avoine. C'est que, en aliénant toutes ses terres, avant la révolution, Rohan a stipulé qu'elles lui devraient une redevance perpétuelle ; aprés la Révolution il semble percevoir des droits de fermage et non des droits seigneuriaux. Les grésillons ont été et sont encore des fermiers. A ce point de vue, l'île de Groix offre, sans doute, un exemple unique qui peut s'expliquer par une coutume vieille de plusieurs siècles, par la crainte de ne pas obtenir gain de cause contre la puissante maison de Rohan, par la faible importance de la rente que paie chacun et enfin par la plus grande quantité de numéraire.

L'apport de l'argent provient de la pêche et de la construction du fort Lacroix. La solde des ouvriers qu'emploie l’Etat reste en majeure partie dans l’île ; plusieurs de ces étrangers épousent des grésillonnes et se fixent Groix. Quant à la pêche de la sardine, elle augmente, considérablement. On sale désormais le poisson sur nos côtes, dans les presses rudimentaires de Port Mélite et de Port Melin [Note : Fin du XIXème siècle, la presse de Port Melin est en ruines, mais ses ruines représentent un des coins les plus pittoresques de l’île ; situées sur le bord d'une minuscule plage sablonneuse, entre deux masses schisteuses énormes, elles se survivent à elles mêmes, vermoulues, ornées de fleurs]. Comme il n'y a pas de jetées, les pêcheurs accostent et débarquent leurs poissons, avec difficulté, près des falaises pas trop à pic et à la surface desquelles ils taillent des encoches figurant des escaliers. Quand il leur est impossible d'atterrir près d'une roche, ils jettent l'ancre sur un fond de sable, fixent une amarre à un anneau artificiel taillé dans un bloc de schiste (Port Melin) et descendent à terre sur le dos du pêcheur, désigné pour la corvée.

La pêche et les guerres impériales enlèvent beaucoup d'hommes à l'agriculture. Les sillons les plus exposés aux rafales sont abandonnés ; la partie S. O. de Groix devient, de sorte, une lande stérile nue, désolée. Les femmes ne cultivent plus que les terres les mieux abritées, ou les plus proches des villages.

Il y a trois catégories de terres : 1° les terres froides sous prairies et les terres chaudes à froment, valant 5 francs, la corde (80 cordes au journal) ; 2° les terres argileuses à 4 francs la corde ; 3° les terres à 2 francs. Les terres à froment dominent ; on y sème le blé rouge, (le plus estimé) le blé d'orient, le blé d'espagne (il s'agit de froment et non de maïs), l'orge nue et l'orge « carrue ». J'imagine qu'on y cultive aussi, le lin et les pommes de terre. L'avoine semble devoir se contenter des terres de 2ème qualité.

Les moissons venues, les gens à corvées vont aider leurs propriétaires. On coupe les céréales, souvent imparfaitement mûries et on les dispose en tas terminés par un chapiteau. Alors, l'aire est préparée. Quand le sol est bien aplani, bien résistant, les gerbes sont disposées en un cercle ; au milieu de ce cercle se tient une femme ayant en main les guides des 4, 6, 8 chevaux qui tournent en rond, avec une vive allure, pour débarrasser les épis de leur grain. Dans le but d'exciter l'ardeur des bêtes, la femme chante quelques unes de ces vieilles mélopées bretonnes, faites de mélancolie et de douceur.

Pour vanner, on choisit un point culminant, et là, au moyen d'un crible et à la faveur d'une brise légère, on sépare le grain de sa mince enveloppe qui va flotter au loin, dans l'espace. L'aire, presque toujours en face d'une maison, ne permet pas de vanner, elle sert uniquement à l'importante opération de la « battaison ». Son utilité, son rôle dans les relations des propriétaires et des tenanciers lui valent un tel prestige qu'il y a la fête de l'aire neuve. Quand un grésilion a fini une aire, il prie ses amis et ses parents, à venir danser sur le petite place. Les notables, le recteur, les invités arrivent le jour fixé, pimpants et vêtus de leurs plus beaux habits ; ils se livrent tous à une gaieté de bon aloi. Le recteur ne dédaigne point d'ouvrir la danse, s'associant ainsi, pour un instant, aux divertissements aimables de ses fidèles. Il a raison, ce bon pasteur, la vraie vertu n'est jamais d'une intolérance farouche.

Outre les réjouissances des aires neuves, il y a les pardons des villages possédant une église. Les habitants de la localité ou a lieu le pardon offrent un de ces bals bretons graves, décents, peints avec tant de charme par Brizeux. La joie rayonne de tous côtés ; on goûte du lait caillé ; on oublie dans les rires et les festins, le souci des durs labeurs. Dans ces modestes ripailles ne figurent ni viande, ni pain blanc, ni vin, je crois. Groix, n'a encore, ni boucher, ni boulanger. On se nourrit de pain noir d'orge, savoureux, pétri dans la famille et cuit dans le four du village [Note : Le samedi, on chauffe le four avec des ajoncs et des genêts. Les fours sont presque toujours attenants aux maisons. Le four du roi, au bourg constitue l'unique exception]. Tout le grain ne peut être moulu à Groix ou fonctionnent pourtant plusieurs moulins construits après la Révolution ; il faut apporter son orge aux meuniers de Pont l'Abbé, deux fois l'an.

A défaut de viande de boucherie, les grésillons mangent de la viande de porc salée, les jours de fête. D'ordinaire, un repas se compose de purée de pois, de lait caillé et de pain noir. Les gens riches ont des pommes de terre. On boit de l'eau, quelque fois du cidre. Au moment de se mettre à table, le chef de famille récite une prière où il implore la santé des siens, la prospérité de la maison. Cette grave invocation donne au repas un caractère presque antique : on mange pour se nourrir et non pour satisfaire un vain goût de la table, on considère sa frugale nourriture comme le pain quotidien de l'évangile, reçu en récompense de son travail.

Pendant le carême, d'une durée rigoureuse de 40 jours, la frugalité devient un vrai jeûne ; on ne prend que du mil à l'eau ou au lait, de la purée de pois et de la bouillie d'avoine.

L'air salé et très pur de Groix, un travail incessant et rude donnent aux grésillons une grande vigueur, une robuste vitalité qui ne diminuent que très tardivement. Les vieillards des deux sexes, âgés de 80 à 90 ans ne sont pas rares. La race est assurément belle ; on a le droit de se montrer fier d'être un enfant de l’île. Par malheur, l'alcool viendra... Mais en 1800, les rares cabarets ne vendent que du cidre et du vin. D'autre part, les grésillons ne font pas la grande pêche, ils restent chez eux, ne fréquentent le continent que pour affaires urgentes ou pour se rendre à la célèbre foire d'Hennebont — le jour de la Toussaint, qui ne va pas à cette foire ? Après avoir vendu son froment à Lorient, la veille, on arrive à Hennebont sur un joli bateau, heureux de vivre un instant dans ce milieu extrêmement animé où tout flatte les yeux. On fait ses provisions de toute nature ; on achète pour toute une année des luminaires de résine, du sucre, des épices, des chaussures, des vêtements, d'éblouissants tabliers, des étoffes éclatantes de blancheur. Pour habiter une île aussi détachée du monde que Groix, on n'en a pas moins de la coquetterie. Fraîches fleurs sauvages, écloses sur un rocher, les jeunes grésillonnes ont l'amour inné de la toilette ; d'ailleurs à leurs ravissants visages roses que n'a pas encore décoloré l'abus du café, ne faut-il pas un gentil ajusté brun, un gracieux tablier à fleurs rouges. Tout chez elles est aimable, même leurs prénoms Jacquette, Guillemette, Gillette, Yvonnette qui évoquent les radieuses contrées du midi. Dans leur simple et élégant costume, il est quelque chose dont la disposition les préoccupe fort : c'est la coiffe. Impossible de bien placer sa coiffe soi-même. Il faut se faire « farder » [Note : « Farder » signifie mettre une coiffe. ll y a eu des coiffeuses à Groix jusqu'à 1850, environ] par une coiffeuse qui consacre parfois un temps très long à obtenir les plis rêvés.

Le jour de son mariage, la grésillonne porte une ceinture de ruban, plus agréable à voir, certes, que ces misérables fleurs d'oranger en carton peint, perdant leurs couleurs sous la pluie. Le marié revêt un paletot de drap, un gilet de molleton blanc, bordé de velours noir ; un bouquet fleurit sa boutonnière. Derrière lui, au son du biniou, suivent les invités avec des vestes rondes, des pantalons de drap bleu, des chapeaux ronds, retapés à la mode, des gilets de coton blanc ou de couleur, des bas de coton immaculés, des.souliers découverts, avec, quelquefois, une boucle d'argent. Les vieillards, représentants d'un passé moins fashionnable, ont un gros surtout de bure, un pantalón de même étoffe, des bas drapés, des sabots ou de gros souliers, un chapeau à l'antique [Note : L'usage des chapeaux hauts de forme emprunté, primitivement, à la marine subsiste, en 1895, pour les mariages et les baptêmes].

Si les mariés ne possèdent pas de logis., ils habitent avec un de leurs parents ; dans l'unique pièce de la cabane à toit de chaume. Pas grande, mais propre la cabane. Au fond, une large cheminée, dans laquelle brûle du goëmon ou des mottes d'excréments de vache ; près de la fenêtre une fable coulante, renfermant du froment, de l'orge et le magot caché au milieu du grain. Sous les hauts lits à tiroir, des pommes de terre ; au dessus de la porte, les crocs qui servent à retirer le goëmon de la côte, après la tempête. C'est la que vit une famille parfois composée de 6, 8 personnes — et heureuse, si la sardine se vend bien, si la récolte du froment est satisfaisante.

Tout à côté de l'humble case se trouve la petite écurie qui abrité le cheval acheté, à 2 ans au continent, et les vaches, toujours trop nombreuses. On est très fier d'avoir plusieurs vaches, parce que chaque vache suppose une certaine quantité de terres. Hélas ! les paturages manquent, les vaches maigrisent, donnent de mauvais lait. Malgré tout on les garde, en confiant leur alimentation au hasard. Au printemps, en été, elles happent quelques brins d'herbes, le long des chemins, donnent de fréquents coups de dents aux champs d'orge et de froment ; pendant l'hiver... elles « espèrent » la fin des frimas. Il serait si facile d'avoir moins de vaches tuberculeuses et un peu plus de jardins potagers ! Mais le jardinage n'inspire aucun intérêt. Deux ou trois maisons ont quelques légumes ; toutes les autres s'élèvent, couvertes de chaume, flanquées de leurs mesquines écuries, tristes, sans un arbuste, sans ce gracieux jardinet, qui en tous pays, égaie une habitation par ses fleurs et sa verdure. Les grésillons pêchant ; les grésillonnes sèment les céréales, les pois, les lentilles, s'occupent du ménage. C'est tout. Leur horizon économique ne va pas plus loin. A ce point de vue spécial, les habitants ne sont pas seulement négatifs, ils détestent quiconque a d'autres occupations que les leurs ; pour eux les maçons, les charpentiers, les forgerons, venus du continent, ne sont que des terriens ! Ce sont aussi des étrangers et à Groix, comme dans toutes les campagnes, les étrangers inspirent une défiance très forte.

Les grésillons moins que quiconque ne comprennent pas que l’on quitte sa commune natale ; ils n'abandonnent jamais Groix, eux ! Aucun habitant de l'île ne se fixe en effet ailleurs, ne se marie autre part que dans son petit pays. C'est que, la concurrence vitale n'y existe pas, et ne peut guère y paraître : tout le gain vient de la mer. La prospérité est, au contraire, en relation avec le nombre des habitants ; plus il y a de grésillons, plus il y a de bateaux et par suite de bénéfices réalisés.

Les bateaux ont un très faible tonnage ; les grosses chaloupes coûtent trop cher et sont d'ailleurs assez peu nécessaires pour le genre de pêche côtière que l'on pratique. Puis, il ne faut pas trop s'aventurer à construire de fort bateaux, par ces temps, troublés où la liberté n'est pas sûre. Les bateaux anglais sillonnent le golfe du Morbihan.

Le 24 germinal an XI, (14 avril 1802) on arme le littoral et les îles de la côte bretonne [Note : J'ai trouvé la plupart des renseignements militaires qui suivent, dans la « Chronique du port de Lorient » de M. Lallement. Revue maritime, 1894] pour résister à une attaque de la flotte ennemie. Le général Morand reçoit la charge des batteries du Grognon, du Grip, de la pointe des Chats, organisées à la fin du siècle dernier. On rétablit, en même temps, les postes de signaux de l'île ; il y en a un à la pointe Est et l'autre à la pointe Ouest.

Les guetteurs de Groix, signalent, à peu près chaque jour, des bâtiments ennemis. Le 14 prairial an XI, (13 juin 1802) deux vaissseaux et un lougres se montrent à l'ouest de Groix, sous pavillon français ; ils vont ensuite dans les courreaux, avec les couleurs anglaises. Les batteries de Groix et du Talud (continent), leur envoient des boulets, inutilement.

Le 2 messidor, (21 juin le port de Lorient reçoit l'arrêté du 8 prairial an XI, concernant l'organisation des companies de canonniers gardes côtes. Deux de ces compagnies sont affectées à Groix. L'uniforme comprend un habit, de drap bleu, un gilet et une culotte de tricot vert de mer, un chapeau brodé de laine noire, des boutons en métal jaune timbrés d'un canon, d'un fusil et d'une ancre.

Le 17 messidor, l'officier des signaux de Groix tire trois coups de canon sur des embarcation de pêcheurs qui s'échappent.

Le 24 fructidor (11 septembre) un vaisseau parlementaire anglais mouille en rade Groix. Ce bateau rapatrie 194 prisonniers français de Ste-Lucie, prise le 3 messidor par une expédition anglaise de 8.000 hommes. Il n'y a plus de vivres à bord ; les prisonniers souffrent beaucoup du manque d'eau. Les autorités de Lorient donnent 15 jours de vivres au parlementaire qui se dirige vers la Rochelle, le seul port ouvert sur les côtes de l'océan.

Le quatrième jour complémentaire an XI, (21 septembre) un autre parlementaire s'arrête dans les courreaux de Groix, avec 451 prisonniers français venant aussi de Ste Lucie ; il prend des vivres et va à la Rochelle.

Un troisième parlementaire survient aussitôt après avec 181 prisonniers épuisés par les privations.

Le 6 vendémiaire an XI, (29 septembre) Groix donne trois officiers mariniers, dix matelots qui servent à constituer la 4ème escouade du 3ème équipage ; ce sont de beaux spécimens de la race grésillonne, puisque pour entrer dans les équipages, il faut avoir au moins 5 pieds 3 pouces, de hauteur.

Le 5 frimaire an XI, (27 novembre) une frégate anglaise passe dans les courrraux ; les batteries de l'île font feu sur elle ; elle riposte sans causer le moindre dégât.

Le 16 frimaire, (8 décembre) à Lorient, 5 bateaux de 1ère espèce partent à 7 heures du matin, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Ségur, pour se rendre à Boulogne ; ils aperçoivent un vaisseau qui veut leur barrer la route ; ils se refugient, alors, avec le « Belislois », sous les batteries du Grip, près de Port Tudy. Une frégate les y bloque. Le lendemain 17 frimaire, le vaisseau anglais, vu la veille, mouilleen rade du Pouldu, et fait attaquer les bateaux français par 6 de ses péniches, appuyées par la frégate. Les bateaux, la proue au large, se défendent aidés par les batteries du Grip et finalement repoussent l'ennemi que le mauvais temps oblige à prendre le large.

Pendant toute l'année suivante, des bâtiments de guerre anglais croisent, tantôt au large, tantôt près de l'île. Ce blocus paralyse le commerce, suspend la pêche de la sardine.

Tristes jours pour les grésillons ! L'autorité maritime va jusqu'à les prendre de vive force, dans leurs familles. Le 10 frimaire, an XII (2 décembre 1803), une commission militaire accompagnée de gendarmes prend à Groix tous les marins valides, sans exception, afin d'armer l'Hermione et le Suffren. Les enrôlés involontaires qui peuvent se soustraire à la surveillance du bord, s'enfuient et désertent, tant leur existence est misérable dans cette flotte sans cesse bouleversée où les aliments manquent si souvent.

On exige beaucoup de l’île ; par contre, on ne se préoccupe guère de ses besoins : on ne songe à elle que pour construire, sur ses côtes, des travaux d'un intérêt général, un phare, par exemple. La construction de ce phare, le premier que Groix ait eu, rencontre des obstacles que l'on trouve signalés dans une correspondance de 1804 entre le ministère de la marine et le port de Lorient. Le 6 nivôse, an XIII (27 septembre 1804) le ministre de la marine demande, à Lorient, les points où il serait utile d'élever des phares pour faciliter l'atterrissage. Le préfet maritime répond « qu'il n'en existe aucun dans l'arrondissement ; que l'érection d'un phare, à Groix, fut projetée et sa construction mise en adjudication, le 10 thermidor, an II ; que l'ouvrage élevé aux 3/4 de sa hauteur s'écroula en l'an VII ; qu'un nouveau plan fut approuvé, en l'an VIII et 30.000 fr. prévus pour cette année, afin de commencer les travaux ; que le devis total montait 61.312 fr., les circonstances et le manque de fonds arrêtèrent le travail ; qu'avec le renchérissement de toutes choses, il faut s'attendre à une dépense de 80.00 fr., au moins, en 1804, si l'on veut reprendre le projet ».

Et le blocus et les recherches de matelots continuent tonjours. Il y a pénurie d'hommes. Le 3 septembre 1805, les gendarmes lèvent, on pourrait dire enlèvent, à Groix, un certain nombre d'adultes, destinés à la Cybèle. Ce sont, en général, des pêcheur sans grande expérience, en tout cas fort ignorants des manœuvres de la marine de guerre. Ils font nombre.

Pendant les premiers mois de l'année 1806, aucun événement à noter. Le 1er octobre 1806, le Vétéran, commandé par le prince Jérôme Bonaparte veut mouiller à Groix, avant d'entrer à Lorient. Comme le mouillage choisi n'est pas assez bien défendu, le port de Lorient envoie un mortier de 12 sur les côtes voisines et y fait disposer 6 canons de 24, pris dans les batteries de l’île — assez bien fournies, par conséquent.

Il n'y a pas que des canons dans l'île, il y existe des corps de garde ; on y élève de petits retranchements, partout où l'ennemi peut descendre. Ces ouvrages militaires, la présence d'un assez grand nombre de soldats impriment au pays une physionomie militaire. D'ailleurs, les guerres continentales, le blocus préoccupent tous les grésillons. Pour eux, cet état de choses change profondément leur mode d'existence. Ils n'osent guère pêcher ; les femmes et les vieillards travaillent la terre, tout en craignant les balles ennemies [Note : Des vieillards m'ont dit vers 1895 avoir connu plusieurs personnes blessées, aux champs, par des balles anglaises].

Les soucis de cette espèce d'état de siège n'empêchent point les procès. Certaines contestations ont même un caractère de futilité qui contraste fort avec la gravité de la situation. En 1807, M. de Lau... cite devant le juge de paix de Port-Louis, M. R... de Groix, pour avoir coupé des genéts sur plusieurs de ses sillons. R... proteste de son innocence et accuse du méfait de C..., officier de santé des milices garde-côtes de Groix. De C... répond qu'il a ordonné d'enlever les genêts parce qu'il représente le prince de Rohan-Guémenée, propriétaire et seigneur du fief de l'île, ayant tous droits sur les terres mal délimitées comme le sont les sillons, cause du litige. L'affaire, d'abord insignifiante, se complique donc d'une question de possession seigneuriale. Le tribunal condamne de C.... De Lau et de C..., ne se servent plus des titres nobiliaires qu'ils ont abandonnés depuis 1792.

De Lau..., conserve beaucoup de parcelles de terre, mais il ne parvient pas à se faire payer par ses fermiers. Il habite Quimperlé et confie le soin de ses fermages à une vieille personne de Groix. Ses lettres, dépourvues d'enveloppes, sont cachetées avec de modestes pains ; elles représentent, simplement par leurs suscriptions, les diverses phases de cette grande tourmente qui bouleverse, si fort, les droits des anciens propriétaires de l’île. Adressées d'abord il la citoyenne, puis à demoiselle, elles le sont après le couronnement de l'empereur, à mademoiselle, dans son hôtel, à Groix. Pas de timbre, mais un cachet formé de grosses lettres noires indiquant les noms des bureaux de poste.

En 1808, Groix voit encore un petit combat naval d'où sort vainqueur le capitaine de frégate Duperré. A son retour de la Martinique, cet officier, commandant de la Sirène, rencontre, près du port de Lorient, toute une division anglaise, composée de 2 vaisseaux et de 3 frégates. Il est attaqué le 22 mars. Ses premiers efforts tendent à gagner le mouillage de Groix, afin de se faire aider par les canons de la côte. Impossible d'atteindre le but. A chacun des bords de la Sirène, se rangent un vaisseau et une frégate. Un commandant anglais crie à Duperré : « Amène ou je coule ! »« Coule, mais je n'amène pas ! » répond le commandant de la Sirène. Pendant 1 heure 1/4, Anglais et Français combattent. Tout en luttant, Duperré manœuvre de façon à s'échouer sous les batteries de Groix ; il y parvient enfin et voit disparaître ses ennemis. Quelque temps après, il est promu capitaine de vaisseau.

L'année suivante, les opérations anglaises finissent ; les mers deviennent libres. Les grésillons circulent désormais, sans danger, autour de leurs falaises ; ils reprennent leurs pêches avec d'autant plus d'activité qu'ils ne sont plus exposés aux levées incessantes d'autrefois. Insensiblement, le cours de la vie reprend régulier, chez, eux. Pourtant, le calme, l'apaisement ne viennent que vers 1814, à l'époque où la chapelle de Locmaria est rendue au culte. Après le départ de Napoléon Ier pour Sainte-Hélène, on ne redoute plus de guerres. On se livre de nouveau aux travaux agricoles, à l'industrie de la sardine ; la pêche de ce poisson est assez importante pour alimenter les trois presses [Note : Une pressse est une usine où la sardine, séchée, salée, est plus ou moins comprimée dans des barils ou des caisses], de Port-Mélite, Port-Mélin et Port-Tudy.

L'usine de Port-Tudy est mentionnée dans un acte du 29 juin 1818, assez riche en renseignements locaux. On y voit les surfaces métriques substituées aux anciennes mesures ; les tenues à domaine congéable y figurent toujours avec des redevances en froment, orge, avoine, poulets et sommes d'argent, fort minimes. Quelques redevances se réduisent à 0 fr. 45. Il y est question d'un moulin eau, au Gras ; d'une terre située « auprès du corps de garde du Grip » ; des ruines du château du Gras, avec un courtil, donnant au levant, aux dépendances de Kergatouarn. Il s'y trouve des terres, s'étendant « au bas du village du Gras », d'autres près du village de Kergatouarn. Les villages du Gras et de Kergatouarn sont évidemment en ruines ; leurs débris servent à élever de petits murs de clôture, encore debout en 1895. Les grésillons ne reconstruisent pas, au milieu de ces endroits inanimés ; ils préfèrent ajouter leurs maisons neuves aux villages mieux respectés par les événements.

C'est ce que nous dit le recteur Lelivec dans un manuscrit de 2 cahiers. Quel brave homme que ce recteur Il désire vivement l'amélioration sociale de ses paroissiens. Il conseille de nettoyer les rues ; de transférer le cimetière à une plus grande distance du bourg ; de planter des arbres, sur les bords des principaux chemins. Ses vœux seraient comblés si l'Etat établissait, à Groix, une bergerie. L'élevage des moutons lui semble très facile, très pratique. Il achète quelques-uns de ces animaux afin de justifier ses conseils, auprès de ses fidèles. Hélas ! Les femmes lui réclament de telles indemnités pour les dégâts réels ou imaginaires, imputés à son petit troupeau, qu’il se voit dans la nécessité de le sacrifier. A la suite de cet insuccès, suivi de bien d'autres, il s'adresse, non sans artifice de courtisan, à la sagesse, à l'initiative du lieutenant du roi, en fonction à Groix — je ne sais trop pourquoi. Outre ce haut personnage, il y a encore un officier de santé, un garde d'artillerie et un garde du génie.

Le manuscrit de l'abbé Lelivec ne contient pas que des exposés de réformes, on y trouve quelques pages sur le passé et l'état actuel de l’île. Les notes historiques ne représentent qu'une série d'hypothèses entremêlées de traditions orales. L'état de l’île en 1819, offre au contraire, des éléments monographiques ayant de la valeur, puisqu'ils sont authentiques. L'abbé mentionne 503 ménages avec 1156 hommes et 1458 femmes, soit une population de 2614. Cette faible densité tient, sans doute, à l'épidémie de 1777-1778 et qui reparaît peut-être en 1825.

Un petit mémoire manuscrit du docteur Lestrohan donnerait à le supposer. Le docteur Lestrohan, médecin des épidémies de l'arrondissement de Lorient, arrive à Groix, vers la fin de 1825 pour y rester 2 ou 3 mois. Pendant son séjour, il lit les notes de l'abbé Lelivec et croit nécessaire de condenser ses observations diverses, en une quarantaine de pages. Il aurait pu se dispenser de ce soin, car il ne dit rien d'intéressant. Pas un mot de l'épidémie qui motive sa présence, pas même son nom. En retour, il signale, à la hâte, de nombreux cas d'épilepsie, de dartres, d'ophthalmies. Les faits médicaux s'effacent à peu près complètement devant l'enthousiasme que les mégalithes inspirent à l'auteur. Les Grecs et les Latins sont mis à contribution pour exprimer l'état d'âme d'un moderne, en présence d'un menhir.

Au début de 1826, M. Lestrohan retourne à Lorient ; en traversant les Courreaux, son bateau se jette sur les « Errants », mais les passagers ont la vie sauve. Le naufrage sera rappelé, plus tard, par un tableau que l'on fixera an chœur de la chapelle de Locmaria.

Désireux de connaître la gravité de l’affection qui détermine la mission de M. Lestrohan, j'ai consulté les registres de l'état civil.

En 1824 — 43 décès.
En 1825 — 42 décès.
En 1826 — 76 décès.
En 1827 — 68 décès.
En 1828 — 110 décès.

S'il y a une épidémie eu 1825, elle est donc assez bénigne.

D'ailleurs, les temps semblent heureux pour les habitants dont le bien être s'accuse de plus en plus. L'aisance qui leur vient et les idées libérales qui commencent à se disséminer partout leur suggèrent la résolution de secouer le joug du prince.

En 1830, ils refusent nettement de payer les redevances à la maison de Rohan. Le prince les poursuit judiciairement. Ils décident, alors, de revendiquer, devant les tribunaux, la déchéance d'une dette, légalement abolie, depuis longtemps. Pour lutter avec plus de méthode contre leur ancien suzerain, ils chargent un des leurs de les représenter et se cotisent pour fournir au délégué les moyens matériels de défense. Les juges reconnaissent la justesse de leur cause, en première instance et ensuite, en appel à Rennes.

Ce procès représente un des évènements les plus importants de Groix, puisqu'il met fin à son vasselage. Impossible de le nier, jusqu'en 1830, l'île dependait des Rohan, et reconnaissait même sa dépendance, puisqu'elle consentait à solder des droits féodaux et perpétuels pour des terres achetées pourtant, par actes notariés. Après le verdict de Rennes, au contraire, les détenteurs de tous biens en deviennent propriétaires, sans droits restrictifs.

Cette étnancipation ouvre une ère nouvelle, caractérisée surtout par un vif sentiment de liberté. On tire vanité de ne plus prélever sur sa récolte les minots de froment, d'avoine et d'orge dus, pendant des siècles, en vertu des principes essentiels de la féodalité. Les titres de princes et de seigneurs perdent leurs prestiges. Autrefois, on songeait avant tout aux devoirs envers une classe privilégiée de la société ; on commence, aujourd'hui, à penser vaguement à ses droits.

Au milieu de l'effondrement des coutumes et des croyances de jadis, certaines idées très vivaces subsistent : les idées superstitieuses. C'est un legs atavique de la race bretonne. Et ce legs remonte à bien loin. Les bretons chrétiens qui s'établirent au Vème siècle, dans l'Armorique, étaient fortement imprégnés de paganisme ; leur religiosité était entachée de pratiques idolâtres que les efforts des évêques et des moines ne parvinrent pas à faire disparaître. Au moyen-âge et pendant la Renaissance, il y eut même, en Bretagne, de véritables manifestations païennes : on adora avec exaltation certaines statues de pierre.

Les convulsions sanglantes de la province favorisèrent ce réveil momentané des religions ancestrales. Il y avait trop de souffrance, trop d'incertitude dans le duché pour qu'il fût possible de cultiver l'esprit du peuple, de l'épurer, de l'orienter d'une manière définitive vers les idées générales du catholicisme. Les gens d'humble condition, c'est-à-dire la masse de la population, adoptaient plus aisément les cérémonies inspirées par d'anciennes fêtes païennes qu'ils ne se laissaient convaincre par les prédications du clergé.

Ce n'est que très lentement que l'Armorique, régénérée par l'envahissement de ses voisins, s'est dépouillée, en partie, de son amour du mystérieux pour devenir une des parties les plus religieuses de la France. Toutefois, en dépit de son ardente piété, elle a gardé un reliquat de croyances surnaturelles ; n'ayant pas vaincu suffisamment son imagination, elle n'a pu se débarrasser de ces puissances occultes tour à tour propices ou malfaisantes. En 1830, comme au XVIIème siècle, elle admet les revenants, les apparitions protéiformes du diable. Les grésillons partagent la crédulité de l'Armorique, ils ajoutent même leur Ré er sebat aux autres diablotins bretons.

A Groix, on ne s'entretient point des Ré er sebat ou sorcières du sabbat, sans employer des euphémismes, d'aimables métaphores — pour ne pas les effaroucher. Ce sont des esprits matérialisés que l'on craint un peu, que l'on veut ne pas se rendre hostiles. On conte leurs exploits sans frayeur, parfois même avec un fin sourire.

Femmes le plus souvent fanées et vieillies, les Ré er Sebat abandonnent la nuit, la couche de leurs époux et vont courir la pretentaine, sur les côtes, dans les landes dénudées. Elles ne se risquent guère auprès des villages ; leur coutume est de se rassembler en des endroits sauvages, désolés où les plus rustiques des plantes ne peuvent germer. C'est en ces lieux, bien connus des habitants, qu'elles se livrent éperduement à la danse du sabbat [Note : Près de Créhal et près de Kerrigan, par exemple]. Dans leurs courses échevelées à travers les grèves, sur les falaises, elles prennent par la main jeunes gars et gens de raison, les entraînent, en des courses folles et les laissent épuisés sur un chemin ou les précipitent du haut d'un rocher. Il leur arrive de s'enfermer dans la coque d'un oeuf et de s'élancer vers les ports fréquentés par les pêcheurs, afin de surprendre les moindres actes de ces derniers. Leurs sarabandes et leurs lointains voyages sont salariés. Elles reçoivent cinq sous pour une nuit de sabbat, — qui commence à une heure indéterminée et finit invariablement au chant du coq. Elles ont... leur secret professionnel ; il leur est défendu de dire qui les paie. Les pires malheurs frappent les indiscrètes.

Aux Ré er sebat femmes se mêlent quelques rares hommes, dont on ne connaît que quelques-uns.

Les Ré er sebat des deux sexes fréquentent volontiers les dolmens, les menhirs et les cromlechs. Aussi, les mégalithes n'inspirent-ils point confiance. Ces grandes pierres qu'ont élevées les fées restent enveloppées de mystére ; on ne les aproche point, le soleil disparu, dans la crainte de s'exposer à divers maléfices.

Comme les mégalithes, les vents ne disent rien de bon quand ils soufflent avec violence. « Carriek en ankaou », « le char de la mort » passe dans les airs avec un bruit sinistre. C'est le cercueil toujours prêt à recevoir les victimes des tempêtes. Lorsque l'ouragan commence à répandre la frayeur sur son passage, le char sort du dolmen de St-Nicolas [Note : Le dolmen de St-Nicolas s'élève sur la pointe Sud-ouest de Groix. Quand les gros vents balayent l'île, on pourrait croire qu'ils viennent de ce point].

Le corbillard aérien n'est pas seul à jeter sa note funèbre, par les mauvais temps. Du côté de Kerzos, au niveau du long récit qui s'avance dans la mer sauvage, de lugubres cris se répandent dans l'espace, dès que les flots deviennent menacants. Ces plaintes infiniment douloureuses représentent les « cris des Flamands » incendiaires de la chapelle de N.-D de Placemanec, que la divinité a condamnés à gémir ainsi, pour expier leurs sacrilèges.

Contrairement aux « cris des Flamands », les fantômes de Kergatouarn révèlent leur présence, par tous les temps. Ils se présentent aux passants, la nuit, près des ruines du manoir de Kergatouarn. Ils offrent des paniers remplis de pièces d'or abondantes en cet endroit, et disent simplement : « Veux-tu un panier comble ou un panier plein ? » (simplement plein jusqu'aux bords). Si l'infortuné répond : « Un panier comble », il s’enfonce sous terre, victime de son avidité.

Le diable coupable de tant de méfaits aime à revêtir l’apparence d'une boule lumineuse, voltigeant de maison en maison ou courant sur les sentiers. Il n'est pas rare, encore, que le Malin se transforme en un chien étrange qui parcourt le vallon de Port-Melin, et s'arrête, les yeux étincelants, si un audacieux arrête ses regards sur lui.

Ces faits merveilleux seront longtemps admis après 1830 ; pour qu'ils se réduisent, plus tard, à de simples phénomènes naturels, il faudra que les Ré er sebat deviennent de vulgaires états de somnambulisme, et les fantômes de Kergatouarn de simples hallucinations. Alors, on saura que les « cris de Flamands » proviennent du bruit de la mer se précipitant dans les cavernes, que les boules lumineuses représentent d'inoffensifs feux follets. Alors aussi, les habitants emportés par la lutte pour la vie n'auront ni le temps ni le désir de bercer leurs misères en poétisant ce qu'ils ne comprendront pas ; ils seront moins ignorants, seront-ils plus heureux ?.

(Dr. Vincent).

 © Copyright - Tous droits réservés.