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HISTOIRE DE BRETAGNE : SES ROIS, COMTES ET DUCS

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Les temps historiques pour la Bretagne ne commencent, à proprement parler, qu'à l'époque de l'arrivée de Jules César dans ce pays, environ 54 ans avant l'ère chrétienne. Alors une légion romaine, commandée par Crassus, détermina la soumission de l'Armorique. César, pour s'en assurer, se fit livrer des otages, distribua ses troupes dans leurs quartiers et partit pour l'Illyrie. Les Armoricains, profitant de son absence, secouèrent aussitôt le joug. Le commandant de la septième légion romaine, stationnée vers Angers, envoya des officiers dans le territoire de Coutances, de Vannes et de Quimper pour y faire une réquisition de vivres. Les Venètes se saisirent de ces officiers, en déclarant qu'ils ne les laisseraient partir que lorsqu'on leur aurait rendu les otages qu'eux-mêmes avaient donnés. César, informé de ces événements, ordonne de construire des vaisseaux de guerre sur la Loire, de rassembler des rameurs dans la province romaine, de lever des matelots et de s'assurer de pilotes. Ses ordres furent exécutés avec diligence, et il se rendit à son armée aussitôt que la saison le permit.

Les Vénètes et les autres peuples, apprenant l'arrivée de César, font tous les préparatifs que nécessite la grandeur du péril. Ils donnent principalement leurs soins à la marine, fortifie leurs villes et y transportent des grains ; ils rassemblent le plus grand nombre de vaisseaux possible dans les ports de la Venétie, se liguent avec les autres peuples de l'Armorique et appellent des auxiliaires de la Grande-Bretagne.

Aussitôt que la flotte de César parut, environ 220 bâtiments bien équipés et munis de toutes sortes d'armes, appareillèrent pour lui offrir le combat. L'action s'engagea et l'on se battit depuis la quatrième heure du jour jusqu'au coucher du soleil. Alors les Armoricains, voyant un grand nombre de leurs vaisseaux tombés au pouvoir de l'ennemi, se disposèrent à chercher leur salut dans la fuite. Sur ces entrefaites, il survint tout à coup un calme si profond qu'il leur fut impossible de se mouvoir. La flotte romaine, à la faveur de cet accident, enleva les vaisseaux armoricains les uns après les autres, à l'exception d'un très-petit nombre dont la nuit facilita la retraite. Cette bataille mit fin à la résistance des Venètes et de leurs alliés. Ne pouvant plus se défendre et n'ayant pas de refuge, ils se rendirent à discrétion. On prétend que ce combat mémorable se livra à peu de distance de la côte des Venètes. On dit aussi qu'après cette victoire. César, passant par Nantes, ruina cette ville pour la punir du secours qu'elle avait accordé aux Venètes qu'en outre ce conquérant envoya contre Rennes, Crassus son lieutenant, qui s'empara de cette ville dont il fut fait gouverneur.

Sous les règnes de Tibère et de Néron, l'Armorique, soupirant toujours après l'indépendance, se révolta de nouveau ; mais, n'ayant pas pu secouer le joug, elle demeura quatre siècles dans la misère et l'abjection. Pendant ce long intervalle, cette contrée ne fournit aucun évènement remarquable, si ce n'est l'arrivée de quelques Bretons insulaires qui, forcés par des pirates germains de quitter la Grande-Bretagne, vinrent s'établir dans l'Armorique, en 284. Ces hommes, ainsi que les habitants de la vieille Armorique, se peignaient la figure avec le jus d'une herbe qui lui donnait une couleur bleue. On prétend pour cela que le nom de Bretagne vient de bréiz, mot dérivé de briz ou brit, qui signifie peint, bigarré, en langue celtique. Aujourd'hui une telle coutume nous fait sourire de pitié, et nous croyons à bon droit que si un Armoricain du vieux temps reparaissait sur sa terre natale, il serait tenu, sous peine de passer pour un sot, d'admirer l'esprit que nous avons eu de substituer le rouge au bleu.

Plus tard il y eut encore deux émigrations, l'une en 364, et l'autre eu 383. A cette dernière époque un général romain, nommé Maxime, était gouverneur de la Grande-Bretagne. Cet homme d'un grand courage et d'une ambition plus grande encore, résolut d’arracher le sceptre aux empereurs Gratien et Valentinien II, qui venaient de partager le monde. Il persuada à un prince d'Albanie, c'est-à-dire, d'une partie de l'Ecosse, de quitter sa patrie pour le suivre dans le chemin de la gloire et de la fortune.

 

CONAN.

Roi des Bretons.

(384).

Conan Mériadec, c'est-à-dire le grand roi, était le nom du jeune prince qui devait accompagner Maxime. Ravi de trouver l'occasion de se signaler, il leva dix mille hommes qu'il joignit aux troupes de son allié. Ces deux aventuriers partirent alors ensemble, firent voile vers l'Armorique et débarquèrent à l'embouchure de la Rance. Imbault, officier des troupes de Gratien, attendait Maxime entre Rennes et la mer. Il se livra une bataille sanglante non loin de la ville d'Aleth [Note : Aleth, ancienne ville épiscopale, était assise sur cette portion du territoire de Saint-Servan , qu'on nomme encore la Cité]. Les insulaires firent un horrible carnage de leurs ennemis ; 1500 hommes de l'armée de Gratien restèrent sur le champ de bataille. Après cette victoire, Maxime et Conan marchèrent droit à Rennes, puis à Nantes, puis à Paris. Ici se livra une seconde bataille dans laquelle Gratien fut battu complètement. Le prince breton prit alors congé de Maxime et revint dans l'Armorique pour prendre possession des états que lui confiait le nouvel empereur. Celui-ci ayant été tué à la bataille d'Aquilée, Conan se hâta de reconnaître Théodose, porta la guerre dans l'Aquitaine, se rendit maître du pays de Retz, secoua le joug des Romains, finit par se faire un royaume indépendant et choisit Nantes pour son séjour ordinaire. Dès-lors, affermi sur son trône, il ne s'occupa plus que de la police de ses états, récompensa ceux qui l'avaient bien servi, leur assigna des terres et des seigneuries avec des titres et des honneurs, prit soin de la religion, fit des fondations d'églises, établit des magistrats pour rendre la justice, fit bâtir des forteresses, et plaça des corps de troupes sur les côtes pour les défendre.

Enfin courbé sous le poids des ans et des fatigues, il donna le gouvernement de ses états à trois de ses fils, dont les deux aînés se nommaient Rivelin ou Huellin avec le surnom de Murmacon ; le dernier s'appelait Urbien dit Ker-Uncar.

Saint-Fragan fut, dit-on, chancelier du grand roi dans l'Armorique, puis gouverneur du Léonnais. On prétend qu'à cette époque à peu près la ville d'Occismor, située dans cette contrée, était habitée par une colonie romaine convertie au christianisme ; que cette colonie montra tant de ferveur dans la pratique de cette religion qu'on nomma Occismor la ville sainte, et son territoire, le monde de perfection ; que des idolâtres vinrent attaquer ce peuple de saints, et que dans deux combats qu'ils lui livrèrent, il périt pour la foi de Jésus-Christ 7777 Occismiens. Ces martyrs reposent, dit-on, dans le cimetière de Lanrivoaré.

Conan Mériadec mourut vers l'au 421, et fut enterré à Saint-Pol-de-Léon avec cette épitaphe : hic jacet Conanus, rex Britonum [Note : A cette époque il y avait en Bretagne un mélange de trois cultes, le paganisme, le culte des druides et le christianisme].

 

SALOMON Ier.

Roi des Bretons.

(421).

Il paraît que les enfants de Conan étaient morts avant lui, car il eut pour successeur Salomon, son petit-fils, fils d'Urbien. Ce jeune roi prit pour épouse la fille d'un patricien romain, nommé Flavius. Il fit avec l'empereur Valentinien un pacte de bonne intelligence. C'est à Salomon 1er qu'on est redevable de l'abolition de la coutume, venue des Romains. de vendre à l'encan, au profit du fisc, les enfants des contribuables qui n'étaient pas en état d'acquitter les impôts. Ce prince n'est connu dans l'histoire que par ce trait d'humanité. Il régna treize ans et fut tué dans une sédition dont on ignore la cause.

GRALLON.

Roi des Bretons.

(434).

A Salomon succéda Grallon, son fils aîné, selon quelques historiens ; d'autres disent qu'il fut un usurpateur et qu'il épousa la belle-sœur de Conan ; qu'il obtint un établissement considérable dans le pays de Léon, et que par Salomon il avait été revêtu du titre de comte de Cornouaille. On prétend qu'il se lia avec les barbares, et qu'il entretint des intelligences avec un prince franc, nommé Mérovée, père de celui qui fut la tige des Mérovingiens. Ces circonstances donnèrent de l'inquiétude aux Romains. Valentinien III envoya Litorius un de ses lieutenants, combattre Grallon qui fut considéré comme un rebelle. Grallon marcha contre les Romains qui le vainquirent (439). Il fut plus heureux dans la guerre qu'il fit aux Danois. Ceux-ci avaient fait une descente en Bretagne. Grallon leur livra bataille, les battit et les obligea de se rembarquer un peu plus vite qu'ils n'auraient voulu. Cinq ou six ans après, il remonta la Loire jusqu'à la ville de Tours dont il s'empara ; mais il fut obligé d'abandonner cette conquête. On attribue à Grallon la fondation de l'abbaye de Landévenec, et l'érection de l'évêché de Quimper. S.-Corentin qu'il en avait nommé évêque, prêcha l'évangile dans la Cornouaille avec tant de succès, que jamais le soleil, dit le père Maunoir, n'a éclairé un canton où ait paru une plus constante et plus invariable fidélité dans la vraie foi, et il est à naître, continue-t-il, celui qui a vu un Breton bretonnant prêcher une autre religion que la catholique.

Grallon mourut l'an 444 ou 445, et fut enterré dans l'abbaye de Landévénec. On ne connaît des enfants de ce prince qu'une fille célèbre par le dérèglement de ses mœurs. Cette autre Messaline se nommait Ahés. On lui attribue la fondation du château de Ker-Ahès qui est devenu la ville de Carhaix. Sous le règne de son père fut engloutie, dit-on, en punition des crimes de ses habitants, la célèbre ville d'Ys (Corisopitum, Ker-is-opidum), qui était située non loin de Quimper, dans la baie de Douarnénez. Elle disparut si promptement, suivant la tradition, que le lendemain de cette catastrophe le voyageur incertain, s'étant arrêté sur le rivage, n'aperçut qu'une mer paisible et demanda en vain où était la ville d'Ys. Suivant la chronique, le roi Grallon se trouvait alors dans cette ville coupable. A l'aspect des flots que roule sur elle une mer agitée, il monte à cheval, emportant sa fille en croupe. Tout-à-coup il entend une voix qui lui crie : roi Grallon, si tu ne veux périr, débarrasse-toi du démon que tu portes en croupe. A l'instant il précipite sa fille dans les eaux, et se sauve. On aperçoit encore à fleur d'eau quelques vestiges de cette ancienne ville. Plusieurs ont prétendu que le mot Paris veut dire pareil à Is. (Le Baud. )
" A boue hé benet ker Ys, - Den neus cavet par da Baris ". (Adage breton).

 

AUDREN.

Roi des Bretons.

(445).

A la mort de Grallon la couronne rentra dans la postérité de Conan, et ce fut Audren fils de Salomon, qui la porta. Sous le règne de ce prince, les Alains firent une descente sur les côtes méridionales de la Grande-Bretagne (447). Une nuée de fugitifs, saisis d'épouvante, et une députation qui demandait du secours, arrivèrent dans la presqu'île. (Bretagne). Ces malheureux trouvèrent le roi des Bretons dans le Château-Audren [Note : Châtelaudren, aujourd'hui petite ville, à quatre lieues de Saint-Brieuc]. Ils implorèrent sa protection, les larmes aux yeux, lui firent offre de le reconnaître pour leur roi, s'il les délivrait des barbares. Audren refusa leur couronne, ais il leur accorda un secours de deux mille hommes Constantin, son frère en eut le commandement. Avec cette petite armée il passa dans la Grande-Bretagne, marcha contre les barbares, les battit et les mit en fuite. En reconnaissance de ce service, les insulaires déférèrent la couronne à Constantin.

Les Alains, pour se venger d'Audren, lui déclarèrent la guerre. La politique romaine ménagea une réconciliation entre les deux partis : saint Germain, évêque d'Auxerre, en fut le négociateur.

Quelque temps après, Attila fit une irruption dans les Gaules à la tête des Huns. Les Bretons marchèrent au secours de l'empire ; Attila fut vaincu à Orléans et à Châlons.

Audren mourut en 464 après un règne de dix-neuf ans, et laissa quatre enfants, Erech, Budic, Maxent et Juthurrel ou Gicquel.

 

ERECH.

Roi des Bretons.

(464).

Audren eut pour successeur Erech, l'aîné de ses enfants. Dès que ce jeune prince fut monté sur le trône, il se mit à la tête de ses Bretons et se joignit au comte Egidius qui comandait les troupes romaines dans la Gaule. Les Alains, les Goths et les Saxons, s'étant emparés du Poitou, du Berri, de l'Orléanais, du Maine et de l'Anjou, s'en disputaient la possession les uns aux autres. Un préfet des Gaules, nommé Arvand, se ligua alors avec Euric, roi des Goths, dans le dessein de chasser entièrement les Romains et de partager tout le pays entre les Goths et les Bourguignons. Pour résister à ces barbares, l'empereur Antherne implora le secours du roi de Bretagne. Erech se mit à la tête de douze mille Bretons et s'avança vers le Berri. Il rencontra les ennemis avant de s'être uni aux légions d'Anthème. Une action s'engagea ; Erech fut battu complètement et mourut l'an 472. C'est tout ce que l'histoire dit de ce prince.

 

EUSÈBE.

Roi des Bretons.

(478).

A l'époque où mourut Erech, Budic, frère de ce prince, vivait encore, mais il était dans la Grande-Bretagne où les guerres de son père l'avaient obligé d'aller chercher un asile. Eusèbe, dont on ne connaît pas bien la famille, s'empara de la couronne. Le règne de ce prince n'offre rien de mémorable. Affligé d'une maladie qu'on croyait incurable, il fut guéri par saint Melaine, évêque de Rennes. Ce même prélat guérit aussi sa fille Aspasie, possédée du démon. On ne sait pas si Eusèbe a régné sur toute la Bretagne : on le qualifie de roi de Vannes. On croit cependant que les pays de Quimper, de Léon et de Tréguier, faisaient aussi partie de ses états. Il fit tirer depuis Châtelaudren une ligue de séparation, qui passait par Quintin, Corlay, et vers l'extrémité du golfe de Vannes, jusqu'à la rivière de Vilaine. Il régna dix ou douze ans, et mourut en odeur de sainteté.

 

BUDIC.

Roi des Bretons.

(490).

Budic était le second des enfants d'Audren. Appelé par les Bretons, il sort de la Grande-Bretagne, lieu de son exil, et vient avec quelques troupes de la grande île recevoir la couronne qu'avait portée son père. Les Alains occupaient alors le Maine ; Budic tombe sur eux ; les bat et les chasse du pays. Quelque temps après, une peuplade de barbares qu'on croit être des Francs, vint fondre sur la Bretagne. Après une guerre qui dura sept ans, Marcel, chef de cette expédition, assiégea Nantes. Budic à la tête de ses Bretons attaqua les assiégeants, les défit et délivra la ville [Note : Des historiens attribuent la victoire, remportée sur les Francs, à l'intercession des saints martyrs Rogatien et Donatien]. Quoique Clovis fût le chef de la nation des Francs, il ne commanda pas en personne cette expédition, car il se trouvait alors dans les plaines de Tolbiac, près de Cologne, et faisait la guerre aux Tongriens.

A cette époque il y avait en Bretagne trois populations, les Armoricains ou anciens habitants des côtes, c'étaient les indigènes ; les Lètes, c'est-à-dire, les étrangers, les Gaulois surtout ; enfin les Bretons insulaires, multipliés par les émigrations. Cette diversité de peuples et surtout les incursions que faisaient les barbares en Bretagne, y rendaient la couronne difficile à porter.

En 509 une population, venue de la Frise, arriva sur les frontières de la Bretagne. Plus heureuse que ne l'avaient été les Francs, elle se maintint pendant quatre ans sur les limites orientales du pays. Budic ne vit pas terminer la guerre qui lui avait été déclarée par les Frisons. Il mourut à Nantes en 509 et fut enterré dans l'église de Saint-Cyr, qu'il avait fondée. On croit qu'il périt par les ordres de Clovis, qui, après sa mort, s'empara d'une partie de la Bretagne et y fit battre monnaie.

 

HOEL Ier ou RIVOAL.

Roi des Bretons.

(509).

Hoël , fils aîné de Budic, se trouvait dans la Grande-Bretagne à la mort de son père. Artur, chevalier de la table ronde, arrière-petit-fils de Constantin, régnait alors dans cette partie de l'île qu'on appelle Cambrie. Parent de Hoël et guerrier généreux, il offrit à ce prince des secours pour rentrer dans ses états et pour en chaser les Frisons. Hoël accepta cette offre avec reconnaissance, mais il ne put débarquer sur le continent qu'en 513. A la nouvelle de l'arrivée de leur roi, les Bretons accourent sous ses drapeaux, marchent avec lui contre les Frisons et délivrent la frontière, envahie pur eux. Clotaire, fils de Clovis, envoya féliciter Hoël et l'inviter à venir à sa cour. Hoël s'y rendit, et les deux princes se lièrent d'amitié, et se firent des présents réciproques.

On attribue à Hoël l'érection de l'évêché de Dol en métropole. Ce prince termina sa glorieuse carrière en 545, après un règne qui dura de longues années. Ses contemporains lui donnèrent le surnom de Grand. Sainte Pompée, enterrée dans la paroisse de Langoat, près Tréguier, fut, dit-on, l'épouse de Hoël-le-Grand. L'abbé Grallet pense que c'est la même qu'Aspasie, fille d'Eusèbe.

Ce fut, dit-on, sous le règne de Hoël Ier, que vint aborder sur la côte de Bretagne, dans un endroit qu'on nomme la lieue de Grève, près Plestin, diocèse de Tréguier, le fils d'un roi d'Irlande , célèbre par la sainteté de sa vie : Efflam était le nom de ce prince. A peine, dit la chronique, eut- il mis pied à terre qu'il fut épouvanté par l'apparition subite d'un monstre qui sortit d'une caverne, située au pied d'un rocher, appelé dans le pays rohel hir. Ce monstre, suivant la tradition, désolait la contrée. Pour dérouter ceux qui seraient tentés de lui donner la chasse, il avait la ruse de marcher à reculons ; de sorte qu'en voyant les marques de ses griffes dans le sable, on eût pensé qu'il venait de sortir du lieu où il ne faisait que d'entrer. Le célèbre Artur dont nous avons parlé plus haut, se trouvait alors dans l'Armorique [Note : Quelques historiens ont prétendu qu'il possédait une petite partie de l'Armorique]. Il était dans ces parages avec sa suite à la chasse des animaux féroces dont il y avait grand nombre dans les forêts et les bois. En marchant par la grève, Efflam le rencontra par hasard, et lui dit le danger dont il était menacé. Artur attaqua le dragon, quoiqu'il n'eût alors d'autres armes que sa massue et son bouclier. Pendant le combat qui fut opiniâtre, le prince irlandais priait Dieu pour son vaillant défenseur. Il fut exaucé. Artur blesse enfin mortellement son hideux adversaire ; le monstre se traîne sur un rocher en vomissant le sang, fait un sifflement effroyable, roule les yeux de tous côtés, baisse la tête, et se précipite dans la mer [Note : Suivant une autre version, adoptée par quelques historiens, Artur lutta toute une journée contre le monstre sans succès ; le lendemain il revint à la charge, et ne fut pas plus heureux. Alors Efflam implora le secours du ciel, et aussitôt le monstre, montant sur un rocher, se precipita dans la mer].

 

HOEL II.

(545).

A la mort d'Hoël Ier la Bretagne fut partagée entre cinq des fils de ce prince : Hoël, Canao, Waroch, Macliau et Budic. Hoël, dit Jean Reith , eut pour sa part la Bretagne orientale, c'est-à-dire Rennes et le pays qui s'étend vers le nord jusqu'à la mer. Nantes échut à Canao, le comté de Vannes à Waroch, la Bretagne occidentale à Macliu et à Budic. Les deux autres fils de Hoël Ier, Léonor et Tugdual, se firent religieux, et méritèrent par l'éminence de leurs vertus d'être mis au nombre des saints. Tugdual parvint à l'épiscopat [Note : Les uns veulent qu'il ait été évêque de l'Exobie ; d'autres, qu'il n'ait été qu'évêque régionnaire : l'abbé Déric dit que Childebert, en le faisant sacrer, ne donna d'autres bornes à son évêché que celles de sa charité : d'où l'on peut croire qu'il a été vraiment évêque de Tréguier ; saint Ruelin, son successeur, ne porte point d'autre titre. Ce diocèse n'eut point alors sans doute une circonscription déterminée ; la suite même des évêques fut interrompue jusqu'à Noménoé].

Hoël est supposé l'aîné des cinq. On ne croit point qu'il ait porté le titre de roi : il se distingua, dit-on, dans les armées de son père. Honoré de la considération de Malgo, roi de la Grande-Bretagne, il s'allia avec ce prince par un mariage illustre. Sa fille Éléonore épousa le seigneur de Léon , à qui Hoël accorda le droit de bris et naufrage. Hoël persécuta l'évêque de Saint-Malo qu'il força d'abandonner son siége. Ce prince fut tué par son frère Canao dans une partie de chasse ; il laissa un fils qu'il avait nommé Judual.

 

CANAO ou CONOBRE.

Comte de Nantes, puis roi des Bretons,

(547).

Note : Vers le milieu de ce siècle on vit encore arriver dans la Petite-Bretagne une nuée de bretons fugitifs, chassés de la grande île par les Saxons, les Juttes et les Angles, peuples de la Germanie.

Dévoré de l'ambition de régner sur toute la Bretagne, Canao, non content d'avoir ôté la vie à Hoël, fit encore mourir deux autres de ses frères, Waroch et Budic. Tant de crimes avaient déterminé les évêques de Bretagne à s'assembler dans un château, situé au pied de la montagne de Brée, dans la paroisse de Pédernec, pour prendre des mesures contre ce scélérat que le peuple appelait Canao ar Miliguet (le maudit). Saint Hervé s'y trouva, dit-on, avec les évêques assemblés.

Jusque-là Judual, fils de Hoël II, avait été traité avec assez d'égard. Sa mère qui le vit en songe élevé sur le sommet d'une montagne d'où il recevait les hommages de l'Armorique, eut l'imprudence de le dire à Canao. Ce prince, jaloux de l'autorité qu'il avait usurpée, répondit à cette princesse qu'il avait épousée malgré elle, qu'il savait un moyen d'anéantir ses prédictions et c'était de faire périr son fils dans le jour même. Judual, instruit par sa mère du danger dont il était menacé, se réfugia dans le monastère de son oncle Léonor. Celui-ci ne le croyant pas en sûreté dans l'asile que la religion lui offrait, le fit embarquer de suite pour le soustraire à la mort, et ne craignant pas de braver la rage du tyran, son frère, lui montra le vaisseau qui voguait à pleines voiles. Canao, furieux d'avoir manqué sa proie, donna un soufflet au saint abbé.

Saint Léonor, en confiant Judual aux ondes de la mer, l'avait fait accompagner par des personnes qui devaient le conduire à la cour de Childebert. Il s'était flatté que le monarque dont il était connu, jetterait un œil de compassion sur ce jeune prince et qu'il adoucirait ses malheurs : il ne fut pas tout-à-fait trompé dans ses espérances ; le roi fit au prince persécuté un accueil gracieux, et le fit élever avec soin ; mais il ne pensa pas à le rétablir dans les droits de son père. Saint Samson, évêque de Dol, prit le parti d'aller lui-même porter aux pieds du trône de Childebert les griefs du peuple contre l'usurpateur des biens de son prince légitime, et de solliciter son retour. Mais il trouva beaucoup plus de difficultés qu'il n'avait pensé, à faire rendre à Judual sa liberté. Canao, par ses libéralités, avait su gagner la protection de la reine, et par ce moyen il faisait retenir son compétiteur à la cour du roi. Enfin pour s'assurer la possession de la couronne, ce scélérat qui avait fait périr trois de ses frères, résolut aussi la mort de celui qui restait ; c'était le jeune Macliau. Félix, évêque de Nantes, intercéda pour ce prince qui n'obtint la vie qu'en signant une renonciation formelle à tous ses droits. Ne se croyant point en sûreté pour cela, il se réfugia chez un Seigneur qui avait nom Comore, gendre de Waroch. A peine avait-il eu le temps de respirer dans cette retraite, que Canao l'envoya demander avec hauteur. Comore ne se sentant pas en état de lui répondre sur ce ton de hardiesse, cacha Macliau dans un tombeau, et en le faisant passer pour mort, il disait aux envoyés : Macliau n'est plus ; vous voyez sa tombe ; dites à votre maître qu'il n'a plus rien à craindre de son frère. Ceux-ci le crurent, burent et mangèrent sur le tombeau, puis retournèrent rendre compte à Canao de ce qu'ils avaient appris.

A cette époque vivait dans l'île de Baz, à une lieue du pays de Léon, un homme distingué par sa naissance, mais plus distingué encore par ses vertus et son zèle pour le salut des âmes. Cet homme s'appelait Pôl-Aurélien. Il naquit dans la Cornouaille insulaire et fut le disciple du célèbre Iltud. Wirtud, gouverneur de l'île de Baz, rempli d'admiration pour les vertus du saint, écrivit à Childebert pour le prier de le donner pour évêque aux habitants du Léonnais. Il chargea le saint d'aller lui-même porter sa lettre au roi, sans lui en faire connaître le contenu, mais lui disant seulement que c'était un message d'une si haute importance qu'il ne pouvait le confier qu'à sa prudence et à sa sagesse. Pour obliger le comte, Pôl partit donc pour Paris et remit au roi la lettre dont il était chargé. Childebert fit sacrer saint Pôl évêque du Léonnais. Dès-lors le lieu où il établit le siège de son évêché, et qui porte son nom depuis sa mort, devint la principale ville du pays : la célèbre Occismor jouissait auparavant de cette prééminence. Quelque temps après son retour à Léon, il convertit au christianisme un tyran de la contrée, le seigneur du Faou. Cet homme cruel encore païen, venait de massacrer de sa propre main saint Tadec et saint Judule. Touché des vives remontrances de Pôl, il eut horreur de ses crimes, et pour les expier fonda l'abbaye de Daoulas ; ce mot signifie deux meurtres. (Daou deux et las meurtres). Saint Pôl mourut à l’âge de 102 ans.

Revenons à Macliau que nous avons laissé dans sa tombe. Ce prétendu mort ne tarda pas à ressusciter après le départ des envoyés. Ennuyé de vivre dans des terreurs continuelles, il quitta la cour de Comore, sa femme et ses enfants, renonça au monde, entra dans un cloître et prit les ordres sacrés. Il fut même fait évêque.

Sur ces entrefaites mourut Childebert, roi de France. Clotaire lui succéda. Cramne, fils de ce dernier, se révolta contre son père. Canao l'accueillit dans ses états. Clotaire prend les armes, fond sur la Bretagne et remporte une victoire décisive près Saint-Malo. Canao perdit la vie dans ce combat [Note : Quelques-uns prétendent que c'est à Canao que les romanciers ont donné une horrible célébrité, sous le nom de Barbe-Bleue]. Quant à Cramne, il fut brûlé ainsi que sa femme et ses enfants dans une cabane où il s'était réfugié, et à laquelle Clotaire fit mettre le feu. Judual qui accompagnait l'armée française, fut mis en possession du comté de Rennes.

Informé de ces évènements, Macliau sort du cloître et vient recueillir presque en totalité la succession de son frère (568). Budic, comte de Cornouaille, était mort ; Macliau s'empara de la tutelle du jeune héritier, et bientôt après de l'héritage. Théodoric était le nom de cet enfant. Comme il avait peu de confiance en son oncle, il prit le parti de fuir ; mais il ne tarda pas à reparaître à la tête d'une armée, attaqua Macliau et lui ôta la vie ainsi qu'à son fils Jacob.

A cette époque à peu près une sécheresse extraordinaire, qui dura plusieurs années, suspendit la fertilité de la terre dans le diocèse de Vannes. Pour faire cesser cette calamité, on eut recours à la protection de saint Paterne, et l'on alla chercher ses reliques au lieu où il mourut, après avoir abdiqué le siège de Vannes, pour se soustraire à la persécution. Au moment où les restes vénérés du saint prélat entrèrent dans la ville épiscopale, une pluie abondante et salutaire annonça que la campagne offrirait bientôt ses premières richesses aux cultivateurs désolés par l'aridité.

 

ALAIN Ier.

Roi des Bretons.

(577).

Judual, celui-là même dont nous avons déjà parlé, prit le titre de roi et le nom d'Alain Ier.

Incapable de profiter des circonstances, il ne posséda que le comté de Rennes. Théodoric régna sur une partie de la Cornouaille ; Connobert eut le comté de Nantes ; Comore celui de Léon ; Waroch ou Guerech, fils de Macliau, fut comte de Vannes, et cependant il n'était pas maître de la ville.

L'asile et la protection que la France avait accordés à Judual pouvaient avoir procuré à cet état quelque autorité dans la Bretagne. Cette suprématie s'étendait particulièrement sur les villes de Nantes et de Rennes. Waroch s'empara de Vannes par violence et refusa le tribut annuel que ce comté payait au roi de France. Alors la France était gouvernée par quatre rois, Caribert, Gontran, Chilpéric et Sigebert. Chilpéric, roi de Soissons, prétendit avoir des droits sur la Bretagne. Waroch, encouragé par Sigebert, roi d'Austrasie, se prépara à la résistance : une guerre sanglante s'alluma entre Chilpéric et Waroch. L'armée française vint camper sur la Vilaine ; Waroch se présenta sur le bord opposé, et tomba pendant la nuit sur les Français qu'il tailla en pièces. Alors il se hâta de faire la paix et promit de demeurer dans l'obéissance. Cependant il ne tarda pas à violer ses promesses. De là une nouvelle guerre, qui fut une source de calamités. Waroch dévasta le territoire de Rennes, les Français le comté de Vannes. La reine Frédégonde, mue par des intérêts politiques, eut l'art de réconcilier les deux partis pour les réunir contre le roi d'Austrasie et celui de Paris. Ces deux derniers princes prétendaient au protectorat de Rennes et de Nantes.

Sur ces entrefaites, Pappolen, général de Gontran, roi d'Orléans et de Bourgogne, se présenta devant Rennes ; on lui en ferma les portes ; il y entra de vive force : les habitants se soulevèrent après son départ et massacrèrent son fils qu'il leur avait donné pour gouverneur. Pappolen revint sur ses pas à la tête de son armée, pour réduire le comte de Vannes. Il se livra une bataille si sanglante, qu'il ne resta personne de part ni d'autre, dit Velly. Ce fait est exagéré ; la vérité est que les Bretons remportèrent une victoire complète et que presque toute l'armée française fut passée au fil de l'épée. Pappolen lui-même, blessé d'un coup de lance, fut tué par Waroch.

Quelque temps après, Waroch se ligua avec Alain pour attaquer le comté de Nantes. L'armée française s'avança contre eux : Waroch et Alain firent semblant de se soumettre, et les hostilités furent suspendues. Mais l'année suivante, Waroch recommença ses ravages, et l'armée de Gontran reparut. L'un des généraux de ce prince fut défait en bataille rangée, et perdit la victoire avec la vie. Waroch traita avec l'autre général, le combla de présents, le détermina à se retirer, lui prépara une embuscade au passage de la Vilaine et y massacra son arrière-garde.

Après cette victoire, le vainqueur continua ses hostilités , se rendit maître de quelques villes, et surtout de Rennes. L'histoire ne fait plus mention de Waroch, ni de sa postérité, ni de celle de Théodoric, comte de Cornouaille. Il paraît qu'Alain survécut à l'un et à l'autre. Un de ses fils fut comte de Cornouaille ; un autre, de Nantes ; un autre fut évêque de Dol ; l'aîné lui succéda.

A cette époque à peu près, une maladie contagieuse se répandit dans la Bretagne, et y moissonna une grande quantité de monde : saint Félix, évêque de Nantes, fut atteint de cette maladie et y succomba. La famine ne suivit pas de loin la peste. C'était un second fléau , par lequel Dieu qui agit en père, dans le temps même qu'il frappe, cherchait à corriger ses enfants rebelles. La disette fut si grande que la plupart étaient réduits à faire du pain avec des racines de fougère, ou à manger l'herbe des prairies. La religion fit voir dans cette circonstance le pouvoir de ceux qui en sont animés. Saint Magloire, évêque de Dol, puis abbé d'un monastère célèbre, dans l'île de Jersey, en fournit un exemple mémorable : c'était comme l'a dit un auteur, un second Joseph que Dieu destinait à sauver ses frères des horreurs de la famine. Une foule de Bretons allèrent chercher auprès de lui les aliments qu'ils ne pouvaient trouver ailleurs ; il leur distribua généreusement les provisions du monastère.

 

HOEL III.

Roi des Bretons.

(594).

Hoël, l'aîné des enfants d'Alain, porta la couronne après son père. La guerre continuait encore : Hoël la termina par une victoire éclatante qu'il remporta sur les Français, près de Rennes. Rennes, Nantes et Vannes lui ouvrirent leurs portes après ce brillant succès. Maître de presque toute la Bretagne, il prit le titre de roi sans opposition Sous son règne, la France ne songea plus à faire des conquêtes sur les Bretons, et la Bretagne, qui venait de se couvrir de gloire, put respirer un peu, après avoir été si longtemps le théâtre de la guerre. La mort de Gontran et la mésintelligence qui se mit entre les enfants de Clotaire furent favorables au repos dont avaient besoin les Bretons. Hoël mourut en 612.

 

SALOMON II.

Roi des Bretons.

(612).

Hoël III était père de vingt-deux enfants ; le quatrième, qui se nommait Gozel, supplanta l'aîné, et régna sous le nom de Salomon II. Ce prince n'est guère connu dans l'histoire que pour la fondation de quelques abbayes et un secours de dix mille hommes qu'il envoya à Cadualon, roi de la Grande-Bretagne, qui avait été dépouillé de ses états par son frère Edvein. Salomon II régna vingt ans. On ne sait pas comment il termina sa vie. Judicaël est le nom de celui des enfants de Hoël qui fut supplanté par Salomon. Il s'était retiré dans la solitude de Gaël ; et là, dans un cloître, il attendit pendant vingt ans l'occasion de recouvrer ses états.

 

JUDICAEL Ier.

Roi des Bretons.

(632).

A la mort de Salomon II, Judicaël sortit de la solitude et vint s'asseoir sur le trône qu'avait usurpé son frère. Les tracasseries du roi Dagobert vinrent troubler les premiers moments du règne de ce prince. Le monarque français fit une ordonnance par laquelle il défendait à ses sujets de se servir de la monnaie de Bretagne, d'aller dans ce pays, et d'y faire le commerce. Il écrivit aussi à Judicaël de renvoyer les Français qui s'étaient retirés dans ses états, s'il ne voulait pas y voir arriver les armées françaises pour lui demander raison de sa désobéissance. Judicaël qui n'était pas de caractère à se laisser effrayer, moins encore à se laisser commander, répondit au roi que dans le pays où il était le maître, il avait la même autorité que lui dans le sien ; qu'il y pouvait recevoir sous sa protection tous ceux qui s'y réfugieraient, et qu'il ne souffrirait point qu'il lui fît la loi. Piqué de cette réponse énergique de Judicaël, Dagobert résolut de lui faire la guerre. En conséquence il envoya en Bretagne quelques troupes qui firent le dégât partout. Judicaël assembla au plus vite ses valeureux Bretons, marcha à la rencontre des Français, les chargea avec furie, et les mit en déroute ; puis il courut tout le Maine qu'il ravagea jusqu'aux portes du Maus. Dagobert renforça ses troupes, et alla de rechef offrir la bataille à Judicaël. Le prince breton l'accepte et bat les Français. Dagobert n'osant plus essayer ses forces contre lui, crut que le parti le plus sûr, c'était de demander la paix. En conséquence il lui envoya une ambassade. Saint Éloi, depuis évêque de Noyon, fut chargé de cette mission. Ce prélat réussit à détruire les sujets de discorde, à faire signer un traité qui conciliait les deux souverains, et à déterminer Judicaël à venir à la cour de Dagobert. Judicaël partit de Rennes avec une escorte si nombreuse de princes et de seigneurs bretons, que cette compagnie pouvait passer pour une armée de ce temps-là. Arrivé à la cour, il se présenta au roi et lui fit des présents considérables. Dagobert usa généreusement de retour, et lui en fit de plus magnifiques. Charmés l'un de l'autre, ces deux princes se jurèrent une amitié éternelle.

Judicaël, ravi de voir la paix conclue et ses sujets à l'abri de la guerre, revint en Bretagne où, bientôt dégoûté des grandeurs humaines, il résolut de descendre du trône pour retourner dans le cloître dont il regrettait la tranquillité. Judicaël avait deux enfants ; mais ils étaient encore trop jeunes pour gouverner par eux-mêmes : il jeta donc les yeux sur son frère Judoc et lui offrit la couronne. Judoc était alors dans le monastère de Lan-Mailmon, mais sans aucun engagement. Il reçut froidement la proposition que lui faisait son frère et demanda huit jours pour y réfléchir. Il employa ce temps à penser aux moyens de fuir une dignité dont la gloire ne le tentait point. Un jour il vit quelques inconnus qui passaient en habits de pélerins : il se joignit à ces voyageurs, partit avec eux et alla finir ses jours dans un monastère qu'il fit bâtir à l'embouchure de la Canche.

Ce contre-temps n'empêcha pas Judicaël d'exécuter son projet : il confia le soin de ses affaires à Rivallon, oncle de ses deux enfants, Alain et Urbien, et retourna au monastère de Gaël. Il y vécut plusieurs années dans les exercices de la vie religieuse, et mourut vers l'an 658. Les Bretons firent ses obsèques avec le plus de magnificence possible pour honorer dans sa personne deux qualités qui se rencontrent fort rarement, celle de saint et celle de roi.

 

ALAIN II.

Roi des Bretons.

(638).

Alain II était fils de Judicaël. Il n'était âgé que de huit ans, lorsque son père lui laissa la couronne. Son règne fut heureux, selon l'Histoire qui ne dit rien de son frère Urbien, sinon qu'il se maria, que ses enfants partagèrent avec ceux d'Alain, et prirent le titre de comtes.

Alain II mourut en 690. Il avait régné cinquante-deux ans. Après sa mort, la Bretagne fut partagée entre sept souverains, sous le nom de comtes. Ces petits princes, dévorés d'ambition se firent des guerres continuelles. La Bretagne fut alors le théâtre de toutes les horreurs. Les meurtres, les assassinats, tous les crimes désolèrent cette contrée qui fut abreuvée du sang de ses habitants pendant près d'un siècle, c'est-à-dire, depuis 690 jusqu'en 786. Charlemagne gouvernait alors une grande partie de l'Europe. Témoin des maux de la Bretagne, cet empereur crut que le seul moyen de les finir était de réduire ce pays sous sa domination. Il envoya donc contre les Bretons Adulphe, son grand-sénéchal, qui en soumit une grande partie ; et dès que ses affaires le lui permirent, il marcha en personne contre ceux qui restaient à subjuguer, s'empara des villes de Rennes, de Nantes, de Vannes et du reste de la Bretagne, toutefois après une résistance opiniâtre de la part des Bretons, et après avoir perdu lui-même bien du monde ; c'est ce qui fit dire à ce monarque que, s'il avait été forcé de livrer encore une bataille, il ne lui serait plus demeuré un seul soldat.

Cependant la puissance et la gloire de Charlemagne avaient beau s'augmenter tous les jours : plus le succès de ses armes donnait de sujet aux Bretons de le redouter, plus le joug de son autorité leur était insupportable.

A peine eut-il quitté ses nouvelles conquêtes, qu'il s'y fit un soulèvement général. Toute la nation, ne consultant que son courage et l'amour de l'indépendance, déclara la guerre à Charlemagne, et chassa les Français qui ne purent conserver que les villes de Rennes, de Nantes et de Vannes. Après cela les comtes recommencèrent leurs guerres civiles, et au lieu de s'unir ensemble contre l'ennemi commun, ils se déchiraient eux-mêmes et préparaient leur défaite. De tous ces comtes le plus célèbre en cruauté fut un seigneur de Quimper, nommé Rivode. Ce nouveau Caïn, non content d'avoir tué de sa propre main Méliau, son frère, prince recommandable par sa douceur et sa piété, voulut encore, pour s'emparer de son héritage, ôter la vie au jeune Mélaire, fils unique de l'infortuné Méliau. Il envoya donc des hommes armés attaquer le château qu'habitait son neveu, près de la montagne de Bré, avec ordre de lui apporter sa tête. Aurèle, mère de cet enfant, se jeta aux pieds du capitaine, et les larmes aux yeux, le supplia de sauver la vie à ce petit prince innocent. La pitié trouva pour le moment accès dans les cœurs des ministres de la fureur de Rivode. Touchés des larmes de la mère et des caresses innocentes du jeune Mélaire qui ne connaissait pas le péril extrême où il était, ils consentirent à ne pas lui ôter la vie. De ses meurtriers même qu'ils devaient être, ils devinrent ses intercesseurs auprès du tyran, et Rivode par un adoucissement digne de lui, se contenta d'ordonner qu'on lui coupât la main droite et le pied gauche, afin de le rendre incapable de manier le sabre et de monter à cheval. A la nouvelle de cette barbarie, exercée sur un enfant cher au peuple, la noblesse court aux armes ; le tigre effrayé, désavoue son crime, et fait mettre à mort les soldats qui avaient mutilé Mélaire. Alors l'évêque de Quimper ouvrit un asile à l'infortuné prince auquel il inspira de grands sentiments de religion. Lorsqu'il fut guéri, on lui fit une main d'argent et un pied d'airain dont il se servait avec beaucoup d'adresse.

Cependant la fureur et la jalousie de Rivode s'étant rallumées quelques années après, ce monstre fit assassiner Mélaire à la suite d'un repas auquel l'avait invité son perfide tuteur, le comte Constantin que les promesses de Rivode avaient corrompu.

 

MORVAN.

Comte de Léon, puis Roi des Bretons.

(818).

Après la mort de Charlemagne, les Bretons avaient reconnu Morvan pour leur roi. Ce jeune prince joignait la ruse au courage, et aurait donné bien des inquiétudes à la France, s'il avait régné longtemps. Louis-le-Débonnaire qui tenait alors les rênes de l'empire, sentit toutes les conséquences de l'élection du nouveau roi , et eut recours à la négociation : il envoya une ambassade à Morvan ; l'abbé Witcaire en fut chargé. Cet abbé engagea Morvan à se soumettre à l'empereur, et lui fit envisager tous les périls auxquels l'exposerait un refus. Morvan lui répondit : « hâte – toi de rapporter à ton maître que les champs que je cultive ne sont point les siens, et que je n'entends point recevoir ses lois. Qu'il gouverne les Francs ; je commande à juste titre aux Bretons, et je refuse tout tribut. Que les Francs osent déclarer la guerre, et sur–le–champ, moi aussi, je pousserai le cri du combat, et leur montrerai que mon bras n'est pas encore affaibli ».

Witcaire retourna à la cour rendre compte à Louis de sa mission. Le monarque français rassemble une armée et s'avance vers la Bretagne. A cette nouvelle, Morvan quitte son château, sa femme et ses enfants, et vole avec les Bretons au-devant de l'ennemi pour le combattre. Mais à la vue d'une armée supérieure en nombre, il juge qu'il y aurait de l'imprudence à l'attaquer en plaine, et se contente de la harceler dans sa marche. Il se porte comme un éclair tantôt sur un point, tantôt sur un autre ; et fidèle à la manière de se battre de ses aïeux, il fuit un instant pour revenir à la charge. Mais s'étant trop avancé dans une de ses escarmouches, il est assailli par un Français qui lui porte un coup dans les tempes. Morvan, percé de la lance, tombe sur la terre ; le Français s'élance sur lui et lui coupe la tête. Sa mort fit perdre courage à ses sujets qui se virent obligés de subir le joug de la France. Le vainqueur établit des comtes et des gouverneurs dans les principales villes.

 

WIOMARCH.

Comte de Cornouaille, puis Roi des Bretons.

(822).

Deux ou trois ans après, les seigneurs bretons formèrent le projet de secouer le joug des Français. Wiomarch , rejeton de la famille des comtes de Cornouaille, le plus indigné de la servitude du pays, réveilla dans tous les cœurs l'amour de l'indépendance. Toute la Bretagne, empressée de trouver un libérateur, se réunit sous les ordres de cet homme entreprenant, et le reconnut pour roi.

Sans perdre de temps, il lève une armée nombreuse, et, de concert avec les principaux seigneurs du pays, fait la guerre aux Français, tantôt vaincu, tantôt vainqueur. La peste et la famine désolaient alors la France. Aussitôt que ces fléaux eurent cessé, Louis vint lui-même en Bretagne à la tête de toutes ses troupes, et ravagea le pays par le fer et par le feu. Wiomarch, obligé de se rendre, alla trouver l'empereur à Aix-la-Chapelle où il lui fit sa soumission, puis il retourna dans son pays qu'il souleva de nouveau. Lambert, gouverneur de Nantes, le surprit dans un château et lui ôta la vie.

 

** DEUXIÈME DYNASTIE.**

NOMÉNOÉ.

Roi des Bretons.

(824).

Noménoé était gouverneur de Vannes lors de la guerre de Louis-le-Débonnaire contre Morvan. Il s'était déclaré pour la France et avait beaucoup contribué aux succès de l'empereur. Pour lui témoigner sa reconnaissance, Louis le nomma son lieutenant-général en Bretagne. On ignore de quelle famille descend ce prince qui va jouer un rôle digne de l’histoire.

Le peuple qui le croyait d'une origine obscure, eut d'abord assez peu d'estime pour lui, parce qu'on s'imaginait alors que pour avoir du mérite, il fallait de la naissance. Mais quelle que fût l'extraction de cet homme, il ne tarda pas à prouver qu'il n'était pas dépourvu des talents qui font les grand rois.

Une révolte éclata en Bretagne en 830 ; Noménoé fut accusé de n'y être pas étranger. L'empereur marcha en personne sur la Bretagne ; mais son armée se mutina, ses trois fils se déclarèrent contre lui, et l'on ne songea plus à réprimer la révolte des Bretons. Ceux-ci devenant de jour en jour plus hardis, firent des excursions sur le territoire de France. (836).

Le monarque français se borna à des menaces : quelque temps après, on le déposséda.

Ce fut à cette époque à peu près que les Danois firent une descente sur les côtes de Bretagne, sous la conduite de Hasting, prirent et ravagèrent l'Exobie (Cos-Yaodet), ville considérable alors, située à la pointe de la rivière du Guer, à quatre lieues de Tréguier. Après avoir détruit cette ville qui avait alors, dit-on, un siége épiscopal, Hasting se rendit au monastère de Trécor qu'il pilla [Note : On croit que la tour qui joint cathédrale et le palais épiscopal de Tréguier, et que l'on nomme Tour d’Hasting, est l'ouvrage de ce barbare].

Après la mort de Louis-le-Débonnaire, ses trois fils, Charles, Louis et Lothaire se disputèrent l'empire. (841). Le premier s'avance jusqu'au Mans, et envoie demander à Noménoé s'il est disposé à le reconnaître. Le gouverneur se décide à lui prêter serment. Sur ces entrefaites, une guerre civile éclata entre Charles, Lothaire et Pépin II, leur neveu. D'un autre côté, les Normands et les Sarrasins firent à cette époque une irruption sur le territoire de France. Noménoé habile à profiter des circonstances, n'oublia rien pour se rendre indépendant (843). Il s'assura de la coopération de Lambert IIème du nom. Celui-ci venait de perdre son comté de Nantes : Noménoé le mit en possession de cette ville ; mais il en fut chassé par les habitants. Alors Lambert implora le secours des barbares et des Normands ceux-ci, conduits par ce chef, entrèrent dans la Loire avec soixante-sept barques d'osier ; revêtues de cuir (845). Aussitôt qu'ils furent arrivés devant Nantes, ils placèrent des échelles contre les murs, prirent la ville d'assaut et la remplirent de sang. Les habitants, qui n'avaient point de comte ou gouverneur, n'avaient fait aucune résistance. La plupart s'étaient sauvés dans la cathédrale, et s'y étaient enfermés avec l'évêque Cohard et le clergé. Après avoir pillé la ville, les barbares attaquèrent l'église et en brisèrent les portes : tout le monde, sans distinction, fut passé au fil de l'épée. L'évêque lui-même fut massacré sur l'autel. Après cet horrible carnage, les Normands se retirèrent, portant tous les trésors de l'église. Lambert se remit ainsi en possession de cette ville.

Pendant ce temps-là, Noménoé s'était approché de Rennes pour défendre cette place, qu'il savait être menacée ; et en effet, la même année, Charles-le-Chauve se présenta sur les bords de la Vilaine avec une armée, composée de quarante mille hommes à peu près, tant Français que Saxons. Noménoé n'a que vingt mille combattants ; néanmoins il marche hardiment à la rencontre des ennemis ; une bataille sanglante s'engage, près d'un monastère, appelé Balon (ou Ballon), le 22 novembre 845. Les Bretons se battent avec acharnement jusqu'à la fin du jour. Vingt mille Français tombent morts ou blessés sur le champ de bataille, et cependant la victoire demeure indécise ; l'affaire est remise au lendemain. Dès la pointe du jour, les deux armées reprennent les armes et l'on recommence le combat avec une fureur difficile à exprimer ; mais la cavalerie bretonne, ayant enfoncé les Saxons, les oblige à fuir, et leur fuite jette le désordre parmi les Français. Le roi, effrayé, se retire du champ de bataille ; toute l'armée se précipite à sa suite et abandonne aux vainqueurs les tentes et le bagage ; les Bretons, sans s'arrêter à se charger d'un butin dont ils étaient assurés, se mettent à la poursuite les fuyards, dont la majeure partie tombe sous l'épée du vainqueur. Enfin las de tuer et de courir, ils reviennent au camp des Français qu'ils trouvent rempli d'armes, d'habits, d'or d'argent et de pierreries.

Noménoé s'étant assuré la possession de la Bretagne par cette éclatante victoire, prit le titre de roi et voulut se faire couronner par le clergé ; mais les évêques qui, pour la plupart, devaient leur élévation à l'empereur, n'étaient pas disposés à favoriser les vues ambitieuses du nouveau roi.

Actar, évêque de Nantes, se déclara hautement contre lui. Noménoé le fit déposséder militairement ; après quoi il entreprit de faire déposer les évêques ordonnés par ce prélat, et d'en mettre d'autres à leurs places. Mais il fallait un prétexte qui favorisât la déposition de ces évêques. Noménoé les accusa de simonie, et convoqua quelques évêques pour les juger. Après bien des disputes l'affaire fut renvoyée au pape, et l'on fit partir pour Rome d'une part deux évêques accusés, et de l'autre le célèbre Convoyon. Ce vertueux abbé de Redon qui jouissait de l'estime et de la confiance de Noménoé, devait être l'organe de ce prince auprès du souverain pontife. Léon IV prononça contre les évêques accusés une sentence conditionnelle, mais il ajouta que l'on ne pouvait déposer un évêque que dans une assemblée de douze évêques, et que dans tous les cas les condamnés auraient le droit de recourir à Rome. Noménoé, peu satisfait de cette réponse, assembla quelques évêques de la Bretagne, des abbés et quelques seigneurs, fit déposer les évêques accusés, et en mit d'autres à leurs places ; il en augmenta même le nombre en instituant des siéges épiscopaux à Saint-Brieuc et à Tréguier.

Prévoyant que le métropolitain de Tours s'opposerait à l'installation de ces nouveaux évêques, il érigea de sa propre autorité le siége de Dol en métropole [Note : Dol avait perdu le titre de métropole pendant la domination des Français]. Ce fut dans la cathédrale de cette ville qu'il se fit couronner et sacrer roi : la cérémonie se fit avec autant de pompe et de magnificence que les rois de France en mettaient à cette solennité ; l'archevêque lui posa sur la tête un diadème d'or, enrichi de pierres précieuses. L'église cathédrale retentit alors des cris de vive à jamais le roi Noménoé ! Quelque temps après, le nouveau roi, quoique menacé des censures par un concile, assemblé à Tours, fit une irruption sur le territoire de France, et s'empara du Mans et d'Angers ; ensuite il revint chasser Charles-le-Chauve qui avait pris Rennes et Nantes ; puis il s'avança jusqu'à Vendôme dont il s'empara. Ce fut là que mourut cet intrépide guerrier (851). C'était un prince d'une volonté ferme, d'une valeur héroïque et d'un génie supérieur. A son nom s'attachent des idées de gloire, et son règne est une époque mémorable. Conan Mériadec avait fondé le royaume de la Petite-Bretagne ; Noménoé en fut le restaurateur. Le seul reproche peut-être, qu'on puisse lui faire, c'est d'avoir agi trop en maître, et d'avoir trop écouté son ambition dans l'affaire des évêques qu'il fit déposer. Du reste il se montra favorable au clergé et libéral envers les églises. Enfin pour tout dire en un mot, Noménoé fut le Charlemagne des Bretons.

 

ÉRISPOÉ.

Roi des Bretons.

(851).

Noménoé eut pour successeur son fils Erispoé. L'avènement de ce jeune prince à la couronne parut au roi de France un moment favorable pour se venger des affronts qu'il avait reçus de Noménoé ; mais il se trompa dans ses espérances. Erispoé, aussi vaillant que son père, remporta sur Charles-le-Chauve une victoire éclatante sur le territoire de Redon, non loin de la Vilaine, entre la maison de Beaulieu et l'étang de Baudry. Un grand nombre d'officiers français et une multitude de soldats périrent dans cette journée. Charles, en perdant la bataille, s'estima trop heureux de n'y avoir pas perdu la liberté et la vie. Cette défaite le porta à faire la paix, qui se conclut à Angers entre lui et le roi des Bretons. Erispoé conserva ses conquêtes jusqu'à la Mayenne. Cependant il fit hommage au roi de France, en reconnaissant tenir de ce monarque une partie de ses états, savoir le comté de Nantes.

Sur ces entrefaites, il s'éleva des discussions entre les princes au sujet de la couronne de Bretagne. Noménoé était le cadet de sa famille ; son frère aîné s'appelait Rivallon. Salomon , fils de ce dernier, prétendait qu'à la mort de Noménoé, la couronne devait rentrer dans la branche aînée. En conséquence, il porta ses réclamations devant Charles-le-Chauve, et le pria d'être le juge dans cette affaire. Ce prince, mu par des vues politiques, adjugea à Salomon le tiers de la principauté, c'est-à-dire, le comté de Rennes. Erispoé refusa de se soumettre à cette décision. De là une guerre sérieuse dans laquelle le roi des Bretons n'eut pas l'avantage (852). Quelque temps après, les Normands fondirent sur la Bretagne et y exercèrent d'horribles ravages pendant deux ans. Erispoé, profitant du moment de leur retraite, en 855, tomba sur leur colonne et en fit un épouvantable carnage. A la suite de cette victoire, Charles-le-Chauve, pour s'attacher les Bretons, proposa le mariage de son fils Louis avec la fille unique d'Erispoé. Cette alliance, qui devait assurer le repos de la Bretagne , fut précisément la cause de sa perte. Salomon, dont nous avons déjà parlé, sentit que, si ce mariage venait à réussir, il lui serait impossible d'arracher à la France un royaume qu'elle croirait posséder légitimement. L'ambition qui le dévorait ne lui permit pas de retarder l'exécution de l'entreprise qu'il méditait. Il commença par se faire un parti ; et, quand il se vit assez fort, il eut la hardiesse d'attaquer son cousin-germain et son roi, défit tous les gens de sa suite, le poursuivit lui-même jusque dans une église, où il s'était réfugié, et le fit poignarder au pied de l'autel par le féroce Almar, un de ses officiers, l'an 857.

 

SALOMON III.

Roi des Bretons.

(857).

Dès que Charles-le-Chauve eut appris le meurtre, commis en la personne d'Erispoé, il prit la résolution de venger sa mort. Il vint dans ce dessein avec une armée jusqu'à l'entrée de la Bretagne. Salomon, qui ne croyait pas pouvoir lui résister, eut recours à la négociation, et sut si bien gagner le prince, qu'il fut reconnu roi aux mêmes conditions qu'Erispoé.

Quelque temps après, Charles-le-Chauve voulant chasser d'Angers les Danois qui s'en étaient emparés, demanda du secours à Salomon, vint au Mans et s'avança avec son armée jusqu'à la petite ville d'Antrême. Salomon s'y rendit avec l'élite de ses troupes. Alors les deux princes prirent ensemble le chemin d'Angers, d'où les Danois sortirent par composition. Charles, satisfait de l'empressement que Salomon avait témoigné pour le secourir, abandonant toutes les prétentions d'hommage que les rois de France croyaient avoir depuis Charlemagne, le reconnut pour roi de Bretagne et lui fit présent d'une couronne d'or enrichie de pierreries, lui donna le comté de Coutances, en Normandie, une partie du territoire d'Avranches et le Cotentin.

L'an 868, Salomon envoya Pasquiten, son gendre, trouver Charles-le-Chauve à Compiégne, avec plein pouvoir de conclure avec ce monarque un traité d'alliance à l'avantage des deux nations. Pasquiten s'acquitta bien de sa commission ; le traité fut conclu et ratifié.

Cependant Salomon, poursuivi par le souvenir du meurtre d'Erispoé, résolut de céder le trône à son fils Wigon, pour se procurer le temps de faire pénitence de son crime. Dans cette vue, il convoqua une assemblée de tous les évêques et de tous les seigneurs bretons ; mais les évêques, surtout celui de Vannes, ayant des sujets de plaintes contre Salomon, ne voulaient point que sa postérité eût régné, parce qu'ils craignaient que le fils ne ressemblât au père. Pasquiten, comte de Vannes, gendre de Salomon, et Gurvand, comte de Rennes, qui avait épousé la fille d'Erispoé, se laissèrent entraîner par le parti mécontent. Gurvand gagna un très-grand nombre de seigneurs bretons qui entrèrent dans la conjuration. Dès le premier jour, les conjurés se saisirent du fils de Salomon, qu'ils immolèrent sur-le-champ. Salomon, voyant que la révolte était générale, prit le parti de fuir, et alla chercher un asile dans l'église d'un monastère près sa maison de Plélan-le-Grand. On lui députa un évêque pour lui dire d'en sortir, afin d'éviter une profanation dont sa résistance pourrait être la cause. Cette cruelle ambassade ne l'étonna point : après s'être muni du pain de vie, il se présenta aux révoltés avec un visage plein de majesté, sans aucune marque d'abattement ni d'indignation. Les plus animés ne purent soutenir sa vue : ils le livrèrent à quelques Français qui le haïssaient, et dont un avait été tenu sur les fonts baptismaux par cet infortuné prince. Ils lui arrachèrent les yeux le jour même ; puis ils le conduisirent en Basse-Bretagne et le tuèrent dans la paroisse de Ploudiry, diocèse de Saint-Pol-de-Léon, le 28 juin 874. Salomon fut un prince affable et religieux : il eut mille vertus qui parurent avec d'autant plus d'éclat qu'elles contrastaient avec son crime. Sa mort fut celle d'un saint, et les Bretons l'ont toujours honoré comme tel, et même comme martyr. Blanche de Bretagne, princesse recommandable par sa piété, fut l'épouse de ce prince. La descendance masculine de cette dynastie s'éteint avec Salomon III. Après lui les princes bretons ne portèrent plus le titre de roi ; ils prirent celui de comte ou de duc [Note : Suivant l'opinion d'un écrivain fort instruit, ils s'appelaient ducs, duces, quand ils commandaient les armées, et comtes, comites, quand ils rendaient la justice à leurs peuples]. Cette autre dignité avait la même souveraineté que celle des rois. Les ducs avaient les mêmes ornements, et une couronne à hauts fleurons.

NOTIONS DIVERSES.
1. La stature des anciens Bretons était un peu courte en général ; leur taille était épaisse, leurs cheveux noirs ou châtains : ils avaient la barbe fournie, le teint un peu brun, les traits mâles, les épaules larges, le regard assuré, les bras nerveux, le cœur bon, l'âme douée d'un courage modèle, la tête réfléchie, froide et dure.

2. La lutte et la soule ont été pendant longtemps les exercices favoris des Bretons, au moins en Basse-Bretagne. Le jeu de la soule (redec ap vel) remante à plus de vingt siècles. C'était, dit un écrivain, une imitation des jeux Pythiens que l'on célébrait en l'honneur d'Apollon.

Le red an dro, course en rond, est aussi de la plus haute antiquité. C'est, selon la Tour-d'Auvergne, le red an druo ou danse des prêtres de Mars. nommés par les Romains, saliens.

L'instruction était presque nulle en Bretagne. Ceux qui se destinaient au service des autels, étaient les seuls, pour ainsi dire, qui sussent quelque chose. Cette ignorance dans laquelle vivaient nos aïeux, entretenait une foule de superstitions parmi le peuple.

3. Ainsi que les Gaulois et les Celtes, les Bretons, venus après eux, croyaient aux fées, dont la principale s'appelait Morgan (née de la mer) : ils étaient persuadés qu'elles venaient se chauffer au foyer du laboureur, qu'elles méditaient sur les rives des mers, et dansaient au clair de la lune. Ils croyaient aussi aux revenants, et aux esprits follets (feux légers qu'on voit voltiger dans les marais et les cimetières, et qui ne sont autre chose que de l'hydrogène phosphoré) ; aux êtres qu'ils appelaient potret ar zabat , lutins qui se métamorphosent en chats, se tiennent dans les lieux abandonnés, et obligent à danser avec eux jusqu'au jour ceux qui les rencontrent ; aux lavandières de nuit (cannérézet nos) qui obligent les passants à tordre le linge avec elles, jusqu'à ce qu'ils tombent de fatigue ; aux loups-garous hommes changés en loups ; au chariot de la mort (kar an nanco) traîné par des oiseaux funèbres ; aux corandonnet, nains d'une force surnaturelle, qui à certains jours de l'année, et par un beau clair de lune, sortaient de leurs souterrains, et formaient une ronde infernale autour des dolméin (tables de pierres), des cromlec'h (pierres en cercle), et des méinhir (pierres longues) ; que leurs petites voix criardes se faisaient entendre pendant le silence de la nuit, et faisaient fuir le voyageur qu'ils cherchaient à attirer en faisant sonner de l'or sur la pierre sacrée. La croyance aux fées venait de ce que les Druides enseignaient que les âmes des morts erraient autour des tombeaux.

4. Les bonnes-gens croyaient que quand mourait un homme qui pour empiéter sur la propriété de son voisin déplaçait la pierre, mise debout pour assurer les propriétés, il était condamné à venir chaque jour à minuit au lieu où était la pierre ou terme qu'il portait dans ses bras, et à crier : où la mettrai-je ? Jusqu'à ce que quelqu'un lui eût répondu : mets-la où tu l'as trouvée. Dès ce moment finissait sa pénitence. (H).

A l'époque où le christianisme s'introduisit dans l'Armorique, on y rendait un culte aux fontaines ; l'on plaçait aussi, dans les carrefours, des chênes grands et majestueux qu'on regardait comme le symbole de la divinité. Pour faire cesser ces superstitions les chrétiens mirent des statues de saints dans certaines fontaines, et des croix dans les carrefours.

5. Il y a eu longtemps en Bretagne un mélange de trois cultes, le christianisme, le paganisme des Romains, et le culte des Druides.

6. Le fameux Merlin, archidruide et prophète, qui vivait vers la fin du cinquième siècle, remplit la Petite-Bretagne de ses prophéties.

Le célèbre Guinclan, autre prophète druide, vivait aussi dans le même siècle. On croyait qu'il avait tout vu, tout appris et qu'il avait parcouru les mers et même les astres ; il s'arrêta enfin sur la montagne de Bré, et c'est de ce lieu qu'il adressa ses prédictions aux deux Bretagnes. Il avait prédit qu'avant la fin du monde la plus mauvaise terre produirait le meilleur grain. A bars a vezo fin ar bed - Ar fallan douar, guellan éd.

Il se fit enterrer tout vivant, dit-on, dans la montagne de Bré, et défendit d'ouvrir jamais son tombeau, ajoutant que si l'on venait y troubler son repos, il bouleverserait l'univers. (K).

7. Il existait au sixième siècle des maisons de poste en Bretagne : elles étaient placées de distance en distance sur les grands chemins. On y fournissait des chevaux frais à ceux qui couraient pour l'utilité publique. (H).

8. Au commencement du septième siècle les monnaies de Bretagne se trouvaient de valeur supérieure à celles de France. Cet avantage rendit très-florissant le commerce des Bretons.

9. Le clergé breton était cité pour la régularité de ses mœurs. Dans le sixième siècle surtout, la Bretagne armoricaine a été le pays des saints.

10. Devise attribuée à Conan Mériadec : malo mori quam fœdari. Plutôt mourir que de me déshonorer.

 

PASQUITEN.
Comte de Vannes et de Nantes.

GURVAND.
Comte de Rennes.

(874).

Après la mort de Salomon, Pasquiten et Gurvand partagèrent la Bretagne entre eux. Le premier eut pour sa part le comté de Vannes, et tout le pays situé au midi de la province. Le second eut le comté de Rennes et toute la partie située au nord. Une union que le crime avait formée ne pouvait subsister longtemps. Aussi ces deux princes furent-ils bientôt brouillés ensemble. Gurvand, content de son sort, ne pensait qu'à jouir en paix du fruit de son forfait ; mais Pasquiten, poussé par une ambition sans bornes, ne put le laisser en repos. Il gagna la plus grande partie des Bretons, et appela les Normands à son secours. Fortifié de ces étrangers et comptant sur la victoire, il commença la guerre avec une armée de trente mille hommes. Il entra dans le pays de Rennes et marcha vers la ville pour y assiéger Gurvand.

Aux approches du comte de Vannes, la plupart des gens de Gurvand se retirèrent chacun de son côté., de sorte qu'il ne demeura pas plus de mille hommes auprès de ce prince, encore tâchèrent-ils de lui persuader qu'il y aurait plus de témérité que de valeur à attendre l'ennemi avec si peu de monde. Gurvand, naturellement intrépide et incapable de trembler, ranima leur courage par cette belle harangue : « A Dieu ne plaise, mes amis, que je fasse aujourd'hui ce que je n'ai jamais fait, que je tourne le dos en présence de mes ennemis et que j'obscurcisse par une fuite honteuse la gloire dont nous sommes en possession depuis que nous portons les armes. Est-ce que la mort vous ferait peur ? Et ne vaut-il pas mieux morir avec gloire, que d'être redevable de la vie à sa lâcheté ? Mais pourquoi parler de mourir ? Parlons plutôt de vaincre : ce n'est pas la multitude qui engage la victoire dans un parti plutôt que dans un autre ; c'est le secours du Dieu des armées et la valeur des combattants. Essayons nos forces contre nos ennemis : en arrive ce qui pourra ; nous aurons toujours fait ce que l'honneur demande de guerriers tels que vous ».

Ce discours énergique rassure les soldats et leur inspire l'intrépidité du chef. Gurvand profite de ce moment d'enthousiasme et s'élance tête baissée avec sa petite troupe sur les trente mille soldats de Pasquiten. Il se fait jour à travers les escadrons les plus épais, tuant et renversant tout avec une fureur, une rapidité qui rompt toutes les mesures de l'ennemi. A peine avait-on commencé à réformer les rangs dans les lieux où il avait porté le désordre, qu'on le voyait paraître de nouveau plus acharné que la première fois. Pasquiten ne pouvant remettre le bon ordre dans son armée, et voyant ses soldats tomber sous l'épée de Gurvand, comme l'herbe tombe dans les prés sous la main du faucheur, chercha son salut dans la fuite.

Cette bataille se donna auprès des murailles de Rennes. Les Normands qui combattaient pour Pasquiten se jetèrent dans l'abbaye de Saint–Melaine et s'y retranchèrent. La nuit étant venue, ils s'enfuirent vers leurs vaisseaux qui étaient apparemment à Redon.

Avec toute la faveur du peuple et des grands, Pasquiten n'osa plus attaquer Gurvand pendant qu'il le vit en état de marcher à la tête de ses troupes ; mais dès qu'il le sut retenu par une grande maladie, il rassembla de nouvelles forces et se jeta sur les terres de son ennemi. Gurvand, quoique mourant, se fit mettre dans une litière et conduire en cet état à la tête de ses troupes. Animés par sa présence et remplis de son courage, ses soldats se jetèrent sur l'armée de Pasquiten, qu'ils taillèrent en pièces. Mais il fallut bientôt changer les cris de victoire en des cris de douleur : Gurvand expira entre les bras de ceux qui l'emportaient dans son camp.

Doué de tous les talents qui font les grands hommes, ce prince aurait mérité d'occuper une place à côté des plus grands capitaines, s'il n'était parvenu par un crime à l'autorité souveraine. Pasquiten n'eut pas le temps de profiter de la mort de son rival ; il fut assassiné la même année. (877).

 

ALAIN III.
Comte de Vannes.

JUDICAEL II.
Comte de Rennes.

(877).

Alain, frère de Pasquiten, fut comte de Vannes, et Judicaël, fils de la fille d'Erispoé fut comte de Rennes. Ils succédèrent à Gurvand et à Pasquiten dans leurs droits et dans leur haine. Alain prétendait régner seul, et Judicaël était bien loin d'y consentir.

Pendant que la Bretagne était ainsi divisée, les Normands y entrèrent sous la conduite de Hasting, leur roi, et recommencèrent leurs ravages. L'intérêt commun réunit pour quelque temps ceux que des intérêts particuliers avaient rendus ennemis. Alain et Judicaël se mirent à la tête de leurs troupes et marchèrent contre l'ennemi commun. Judicaël, emporté par le feu de la jeunesse et le désir de la gloire, attaqua le premier les Normands dans un lieu appelé Traut, les battit et les réduisit à demander quartier. Le vainqueur fut inexorable et parut vouloir les passer tous au fil de l'épée. Le désespoir donna de nouvelles forces aux Normands. Résolus de vaincre ou de mourir, ils se jetèrent comme les lions sur l'armée victorieuse, l'enfoncèrent, en firent un horrible carnage et arrachèrent à Judicaël la victoire et la vie.

Alain, guéri d'une maladie qui l'avait réduit à l'extrémité, rassembla ses forces, et, pour mettre le ciel dans ses intérêts, fit vœu de consacrer à saint Pierre la dixième partie de tout le butin et de l'envoyer à Rome, si Dieu lui donnait la victoire. Tous les Bretons firent le même vœu, et sûrs à ce prix du secours divin, ils chargèrent les Normands avec tant d'impétuosité que de 15 à 20 mille qu'ils étaient, il ne s'en sauva que 400. Cette victoire éclatante valut à Alain le titre de roi et le surnom de Grand, que ses soldats lui décernèrent sur le champ de bataille. Il fit ensuite sa paix avec les comtes de Léon et de Goëlo, laissa à Bérenger, fils de Judicaël, le comté de Rennes et s'occupa à réparer les désordres qu'avaient causés les Normands. Ce fut au milieu de ces occupations que mourut Alain au château de Rieux (diocèse de Vannes), l'an 907, après un règne de trente ans.

 

GURMHAILLON.
Comte de Cornouaille, puis de Vannes.

MATHUÉDOI,
Comte de Poher.

(907).

Gurmhaillon, comte de Cornouaille, et Mathuédoi, comte de Poher, succédèrent à Alain. Le premier passe pour son neveu, le second était son gendre. A peine se voient-ils en possession de leur nouvel héritage, que les Normands reparaissent et entrent en Bretagne par la Loire, s'emparent de Nantes pour la quatrième fois, rasent les murs qu'Alain avait élevés et se répandent dans le pays. La terreur s'empare de la population ; les uns se réfugient dans les provinces voisines, d'autres passent la mer à la hâte et vont chercher un asile dans la Grande-Bretagne. Ceux qui n'avaient pas pris la fuite furent emmenés en esclavage. Mathuédoi était du nombre de ceux qui passèrent en Angleterre. Quant à Gurmhaillon, on ignore le reste de sa vie.

Cependant les barbares devenaient de jour en jour plus difficiles à contenir. Ils avaient remonté la Loire, pillé Angers, brûlé Tours et obligé Orléans à se racheter par une contribution. Eudes, comte de Paris, qui s'était emparé de la couronne de France, leur opposa pendant quelque temps une barrière ; mais on les avait accoutumés à faire acheter leur retraite. Charles-le-Gros les avait déterminés à lever le siége de Paris moyennant sept cents livres pesant d'argent ; Eudes lui-même traita avec eux après la prise de Meaux. Enfin, Charles-le-Simple, si justement ainsi qualifié, leur offrit des provinces pour être délivré de leurs invasions ; il leur céda même les droits qu'il s'arrogeait sur la Bretagne, mais à l'insu des Bretons et sans leur aveu. (912).

 

BÉRENGER.

Comte de Rennes.

Le traité par lequel Charles–le–Simple avait placé la Bretagne sous la mouvance des Normands, fut appelé traité de S.-Clair. Les Bretons, mécontents, comme ils devaient l'être, de se voir sous la domination d'un peuple qui, tant de fois, avait ravagé leur pays, s'occupent des moyens de secouer un joug honteux et pénible. En conséquence une lutte terrible s'engage entre ces deux peuples, et cette lutte durera de longues années. Raoul ou Rollon, duc de Normandie, commence les hostilités. Pour soumettre les Bretons, ses nouveaux sujets il ravage leur territoire pendant cinq ans. Après Rollon, Guillaume–Longue–Epée, son fils et son successeur, fond aussi sur la Bretagne, et, comme son père, saccage les villes et les châteaux. Juhaël Bérenger, fils de Bérenger et petit-fils de Judicaël, comte de Rennes, indigné de voir les peuples et lui–même courbés sous le joug d'une nation cruelle, jura de s'en affranchir ou de périr dans cette entreprise. Cependant il n'était pas facile de l'exécuter. Les habitants, à la vue de la mort qui les menaçait avaient presque tous pris la fuite : néanmoins l'amour de l'indépendance, la gloire dont il allait se couvrir, s'il réussissait, la confiance qui fait agir les héros, anime, rassure et confirme Bérenger dans sa résolution. Il lève une petite armée, fortifie quelques places, vole à la rencontre du comte de Flescan, général d'une puissante avinée, et le joint dans le territoire de Trans, diocèse de Rennes. Le combat s'engage et l'on se bat avec acharnement depuis le matin jusqu'au soir. Enfin les Normands sont taillés en pièces et leur général perd la bataille et la vie (931). On prétend qu'il demeura quinze mille ennemis sur le champ de bataille. Mais de nouveaux désastres firent expier aux Bretons ces généreux efforts pour recouvrer leur liberté. La division de la Bretagne en plusieurs principautés favorisait trop le succès des étrangers.

 

ALAIN IV DIT BARBE-TORTE.

Comte de Vannes.

(937).

Alain IV était fils de Mathuédoi et petit-fils, par sa mère, d'Alain–le–Grand [Note : Ce prince est le premier exemple eu Bretagne de la transmission de la souveraineté par les femmes, car il ne faut pas compter Pasquiten et Gurvand, qui n'étaient que des usurpateurs]. Il avait passé en Angleterre dans un temps de trouble avec une partie de ses sujets, tandis que les autres allèrent chercher un asile en France ou dans les îles voisines. Les Normands restèrent les maîtres du pays jusqu'à ce qu'Alain, ennuyé de vivre dans une cour étrangère, pensât sérieusement à rentrer dans ses états. Il demanda au roi Andolstam, son protecteur, des vaisseaux qu'il obtint, les remplit de Bretons réfugiés, rentra en Bretagne en 938 et débarqua au port de Cancale. De là, il s'avança vers Dol à la tête des Bretons qui l'avaient suivi, attaqua les Normands qu'il trouva dans cette ville et les tailla en pièces. Sachant qu'auprès de Saint-Brieuc il y avait d'autres troupes de la même nation, il remonta incontinent sur ses vaisseaux, fit son débarquement à l'entrée de la rivière de Gouët, attaqua les barbares et les délit entièrement. Ces deux victoires consécutives annoncèrent aux Bretons le retour de leur liberté. Ils accoururent sous les drapeaux d'Alain et lui firent de nouveau serment de fidélité. Sous la conduite de ce jeune héros, ils poursuivirent les Normands, les battirent et les chassèrent avec tant de rapidité, qu'à la fin de la campagne il ne leur resta que Nantes. Alain résolut de leur enlever ce dernier asile, et marcha pour les combattre avec un corps de troupes choisies, plus considérables par leur valeur que par leur nombre. Les Normands, à la vue de cette poignée de gens, eurent honte de demeurer dans leurs retranchements ; ils en sortirent brusquement et chargèrent les Bretons. Ceux-ci plièrent et se retirèrent cependant en bon ordre jusque sur une petite hauteur qu'ils avaient laissée derrière eux. Après avoir imploré le secours de la sainte Vierge et s'être rafraîchis des eaux de la fontaine de Fauchons, ils tournèrent tête contre les Normands qui plièrent à leur tour, mais avec un désordre dont ils ne purent se remettre. Les Bretons les poursuivirent et en tuèrent un si grand nombre que la terre fut jonchée de cadavres : il n'en échappa qu'un très-petit nombre, qui prit le chemin de la mer, pour ne plus revenir en Bretagne de longtemps. Après cette victoire éclatante, Alain se rendit à Nantes pour remercier Dieu du succès de ses armes. Il trouva l'entrée de la cathédrale bouchée par des ronces et des épines qu'il fit couper. Ce trait d'histoire prouve que les Normands ne permettaient point aux fidèles de s'acquitter des devoirs même les plus sacrés, ou plutôt qu'il n'y avait point de chrétiens à Nantes pendant que cette ville était sous le joug des étrangers ; ceux-ci avaient ruiné cette place ; à peine y reconnaissait–on les vestiges des maisons et des rues. Alain fit réparer ce qui pouvait l'être et bâtit le château de la Tour-Neuve, où il logea. Pour attirer des habitants dans la ville, il accorda des priviléges, entr'autres celui par lequel il déclarait libre tout serf qui viendrait y fixer son domicile.

Alain Barbe–Torte mourut à Nantes l'an 952. Doué de tous les talents qui font les héros, il aurait bien mérité le surnom de Grand, si sa vie privée n'avait été ternie par des faiblesses honteuses et criminelles. Il laissa deux enfants de Judith, sa concubine. Hoël, qui était l'aîné, fut comte de Nantes, et Guerech, le cadet, fut évêque de la même ville, mais non sacré.

Alain eut de son épouse légitime, sœur de Thibaut, comte de Blois, un fils qui fut son successeur et qu'on nomma Drogon.

 

DROGON.

Comte de Vannes et de Nantes.

(952).

Drogon, fils d'Alain Barbe-Torte, était encore au berceau lorsque son père mourut. Thibaut, comte de Blois, surnommé le Tricheur, avait été désigné par Alain pour être le tuteur de cet enfant. Thibaut fit avec Foulques, comte d'Anjou, un traité par lequel il lui cédait, dit-on, la moitié de la Bretagne. D'un autre côté, la mère du jeune Drogon ne tarda pas à se remarier. Elle donna sa main à Foulques. Celui-ci réclama la tutelle de son beaufils, supplanta le comte de Blois, entra à main armée en Bretagne et fit percevoir les impôts pour son propre compte et non pour le compte de son pupille. Cet enfant mourut tôt après dans un bain : ou prétend qu'il y fut étouffé.

Sur ces entrefaites, les Normands vinrent encore assiéger la ville de Nantes. Foulques, comme s'il eût été d'intelligence avec les barbares, ne songea point à leur opposer résistance. Réduits à leurs propres forces, les habitants abandonnèrent leurs maisons au pillage et se réfugièrent dans le château dont les Normands ne purent s'emparer. Les Nantais, indignés de la conduite de Foulques, prirent la résolution de chercher un autre maître.

 

HOEL IV ,
Comte de Vannes et de Nantes.

CONAN DIT LE TORT,
Comte de Rennes.

(953).

Hoël, fils d'Alain IV, fut choisi par les Nantais à la place de Foulques. Son règne fut troublé par Conan le Tort, fils de Juhaël Bérenger. Celui-ci descendait d'une fille de Salomon III, et prétendait à ce titre régner seul au préjudice de Hoël qui n'était pas légitime. Hoël de son côté revenait sur les concessions faites par Thibaut qui avait abusé de sa qualité de tuteur pour consentir à la spoliation de son pupille, et ne voulait laisser à Conan que le comté de Rennes. Comme aucun d'eux ne consentait à se relâcher de ses prétentions, on se prépara à la guerre. Cependant on se borna des deux côtés à des incursions, et les choses restèrent à peu près dans le même état pendant vingt-sept ans. Enfin le perfide Conan engagea un nommé Galurou à tuer Hoël. Ce scélérat ne s'acquitta que trop bien de cette horrible commission ; voici de quelle manière : le comte voulut un jour aller chasser le cerf dans une forêt, près de Nantes. Il y arriva le soir, envoya sa suite devant, et resta seul derrière avec son chapelain qui lui disait vêpres. Pour avoir un prétexte de ne pas suivre les autres, Galuron descendit de cheval, comme pour accommoder quelque chose à la selle. Quand il vit que les autres étaient assez éloignés, il remonta à cheval, courut bride abattue sur le comte et lui passa sa lance au travers du corps, laissa là sa monture et se cacha dans la forêt. Le chapelain demeura quelque temps immobile de frayeur : reprenant enfin ses esprits, il courut annoncer cette triste nouvelle aux gens du comte et les mena au lieu où le corps était couché par terre. Ils cherchèrent de tous côtés le perfide Galuron pour le mettre en pièces, mais ce fut en vain. Guerech, évêque de Nantes, frère et successeur de Hoël, marcha contre Conan. Animé du désir de conserver son héritage et de venger la mort de son frère, il attaqua le comte de Rennes à Concreuil ou Conquereux, et l'obligea à prendre la fuite [Note : Lobineau prétend qu'il est probable que la victoire fut remportée par Conan à couse de ce proverbe : c'est comme à Conquereux ; le Tort l'a emporté sur le droit]. Dans l'impuissance de résister à son ennemi, Conan voulut s'en défaire par un crime ; il gagna un médecin, nommé Héroïc, qui saigna Guerech avec une lancette empoisonnée. Le prince mourut peu de temps après en 987 ou 990. Conan commençait à peine à jouir de la douceur de régner sans concurrent, lorsqu'il se forma un orage qui renversa sa fortune. Hamon, frère utérin de Guerech, implora l'assistance de Foulques-Nerra, comte d'Anjou, pour venger tant de crimes. Foulques vole à son secours à la tête d'une armée considérable, et fait dire à Conan qu'il l'attend dans la lande de Conquereux. Conan s'y rendit avec ses troupes et l'on en vint aux mains. Foulques remporta la victoire, et Conan perdit la vie sur le champ de bataille.

Ce prince avait épousé, l'an 970, Hermengarde, fille de Geoffroi Ier du nom, comte d'Anjou. Cette princesse lui donna deux enfants, un fils qui fut nommé Geoffroi, et une fille qu'on appela Judith.

 

GEOFFROI Ier.

Duc de Bretagne.

(992).

Conan le Tort eut pour successeur, son fils Geoffroi. Ce prince commença son règne par la prise de Nantes qui appartenait à Judicaël, fils de Guerech selon les uns, bâtard de Hoël IV selon d'autres. Le duc lui rendit ensuite cette ville, mais à condition qu'il lui ferait hommage. Judicaël fut obligé de s'y soumettre.

L'an 1004, la Normandie obéissait à Richard II, dont la puissance était si grande que Geoffroi se décida à lui faire hommage de son duché et à entretenir la paix avec lui. Il partit à cet effet, suivi de la plus brillante noblesse de la province et se rendit à Rouen où était Richard. Ce prince le reçut avec beaucoup de magnificence, et lui fit voir ses trésors et ses magasins d'armes. Pour avoir, au besoin, un puissant appui dans la personne de Richard, Geoffroi demanda et obtint sa sœur en mariage : alors le prince breton prit congé de son beau-frère et retourna en Bretagne avec son épouse qui s'appelait Havoise.

Deux ou trois ans après, Geoffroi projeta le voyage de Rome pour y faire pénitence. Il laissa, pendant son absence, le soin de sa maison à son épouse, pria Richard, son beau-frère, de protéger ses enfants, donna l'administration de son duché à Judicaël, évêque de Vannes, et partit ensuite. Ce voyage lui fut fatal ; il y perdit la vie, et voici de quelle manière. Selon la coutume des gens de qualité, Geoffroi portait sur le poing un oiseau de proie ; c'était un épervier. Cet animal aperçut une poule, la saisit et l'étrangla. La femme à qui elle appartenait, se mit dans une si grande colère, en voyant sa poule morte, qu'elle prit une pierre et la lança à la tête de Geoffroi. Le coup fut si violent que le duc en mourut deux jours après (1008). Son corps fut porté à Rennes où il fut enterré. Ce prince laissa de son mariage avec la sœur de Richard, trois enfants, Alain, Eudon et une fille qui s'appelait Adèle. Eudou est la tige des comtes de Penthièvre.

 

ALAIN V.

Duc de Bretagne.

(1008).

Alain, l'aîné des enfants de Geoffroi, succéda à ce prince. Comme il était trop jeune pour gouverner par lui-même, la régence du duché fut confiée à Havoise, sa mère, pendant sa minorité. Alain Cagnard, comte de Cornouaille, et plusieurs autres seigneurs, mécontents de ce que cette princesse avait été nommée régente, excitèrent des troubles, prirent les armes et désolèrent le pays. Alain, devenu majeur, résolut de punir les rebelles. Appuyé par son frère Eudon, il obligea Alain Cagnard à prendre la fuite et à se réfugier en France. Les autres seigneurs révoltés furent pris et mis à mort. Quelque temps après, Aain Cagnard obtint sa grâce et recouvra son comté de Cornouaille.

En 1030, Robert-le-Diable, fils de Richard, et duc de Normandie, voulut contraindre Alain à lui faire hommage de son duché. En conséquence, il entra en Bretagne à la tête d'une armée considérable et s'empara de la ville de Dol qu'il livra au pillage. Alain rassembla ses troupes, suivit le Normand et chargea son arrière-garde. Mais la garnison que Robert avait au château de Pontorson qu'il avait fait bâtir, sortit brusquement et mit en déroute l'armée bretonne qui se réfugia à Rennes. Quelque temps après, Alain fit hommage au duc de Normandie qui retira ses troupes de Bretagne.

A cette époque mourut Havoise. Jusque-là les deux frères avaient vécu dans une grande concorde. Le lien de cette union fut sans doute le respect qu'ils portaient à leur mère ; mais aussitôt qu'elle eut cessé de vivre, ils se brouillèrent ensemble, et leur division fut suivie d'une guerre civile. Leur mésintelligence venait de leurs partages. Eudon eut pour sa part les pays de Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc et Tréguier, aux charges d'en faire hommage à son frère. Ce partage était assez beau : cependant Eudon en fut si mécontent qu'il leva des troupes et se rendit maître de quelques places. Alain prend les armes à son tour. Eudon à la vue des drapeaux de son frère, marche à sa rencontre et l'attaque avec fureur. De part et d'autre se font des prodiges de valeur : cependant la victoire et le champ de bataille demeurent à Alain ; Eudon se retire en désordre à Guingamp.

Alain V mourut à Vimoutiers l'an 1040, et fut enterré à Fescamp. Quelques historiens prétendent qu'il avait été empoisonné par les Normands qu'il avait cherché à pacifier. D'autres révoquent en doute l'empoisonnement et croient qu'Alain mourut subitement de mort naturelle. C'était un prince bien fait d'esprit et de corps, libéral jusqu'à la profusion, plein de courage, de valeur et de piété. Il laissa trois enfants, Conan qui lui succéda, Geoffroi, comte de Rennes, et Havoise, épouse de Hoël, fils aîné d'Alain Cagnard.

 

CONAN II.

Duc de Bretagne.

(1040).

Lorsqu'Alain mourut, Conan, son fils, n'avait encore que trois ans. Eudon, oncle paternel de l'enfant, s'empara de la tutelle qu'il exerça pendant plusieurs années, non sans de vives contestations. Les seigneurs bretons finirent par lui arracher son pupille qui déclara la guerre à son oncle aussitôt qu'il se vit majeur. Eudon fut vaincu et fait prisonnier dès la première campagne. La Bretagne qui soupirait après la paix, croyait l'avoir obtenue par cette victoire. Mais Geoffroi, fils d'Eudon, soutint avec opiniâtreté les droits de son père jusqu'à l'année 1062 ; ce ne fut qu'alors qu'on put l'obliger à mettre bas les armes et à reconnaître l'héritier légitime.

Les mécontents dont les espérances avaient été trompées dans cette guerre, suscitèrent à Conan un autre ennemi. Guillaume, duc de Normandie, fit dire au duc de Bretagne d'aller lui faire hommage et lui prêter serment de fidélité, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. Le Breton, trop fier pour s'humilier et trop courageux pour craindre, répondit au Normand que, bien loin de lui faire hommage, il exigeait au contraire qu'il lui remît le duché de Normandie qui lui appartenait, puisqu'il était petit-fils de Havoise, sœur de Richard II ; il ajouta qu'il savait que Guillaume projetait la conquête d'Angleterre, qu'il lui souhaitait un heureux succès mais qu'il paraissait juste qu'avant de partir il lui fit raison de ses états ; que, si on ne lui accordait pas sa demande, il était résolu d'employer le fer et le feu pour se faire rendre justice. Après une réponse aussi fière, il se mit à la tête de ses troupes et s'avança vers les frontières de ses ennemis. Guillaume marcha contre lui et se renferma avec son armée dans un camp bien fortifié. Conan n'osa pas l'attaquer, et les Normands qui le craignaient aussi, s'en retournèrent chez eux. Conan, délivré de ces barbares, alla prendre Dol et revint ensuite sur les frontières dans l'intention d'envahir la Normandie ; mais un chambellan de Bretagne, gagné, dit-on, par Guillaume, empoisonna Conan qui mourut en 1066 et fut enterré dans l'abbaye de St-Melaine (Rennes). C'était un prince audacieux, entreprenant, infatigable, ami sincère, reconnaissant et fidèle. Il ne laissa pas de postérité.

Dix-neuf ans avant la mort de ce prince naquit dans la paroisse d'Arbrissel (diocèse de Rennes), le vertueux Robert Damalioc, dit d'Arbrissel, qui se rendit célèbre par ses prédications et ses austérités. Il parcourait la Bretagne et même d'autres provinces, suivi d'une foule d'hommes et de femmes attirés par la sainteté de sa vie et par la force de son éloquence. Pour obvier aux inconvénients que pouvait avoir cette vie errante, imposer silence à la calomnie, et procurer à tant de personnes les moyens de faire en sûreté leur salut, il fonda plusieurs communautés dont la principale fut l'abbaye de Fontevrault.

 

HOEL V.

Duc de Bretagne.

(1066).

Hoël V était fils d'Alain Cagnard. Déjà comte de Cornouaille et de Nantes, il recueillit l'héritage de Conan II par le droit de son épouse, sœur de ce dernier prince. Pour s'assurer la couronne, Hoël ménagea l'amitié de Guillaume, duc de Normandie. Il accorda à ce prince, pour l'aider à faire la conquête d'Angleterre, un secours de cinq mille hommes qui partirent sous le Commandement d'Alain Fergent, son fils, et se rendirent à l'embouchure de la Somme, où Guillaume devait se trouver avec ses troupes. L'armée confédérée, composée d'environ soixante mille combattants, s'embarqua sur une flotte de huit cent quatre-vingts vaisseaux. Guillaume arrivé en Angleterre, brûla sa flotte pour ne laisser à ses soldats aucun espoir de salut que dans la victoire ; puis il marcha à l'ennemi et en fit un si grand carnage qu'il demeura, dit-on, sur le champ de bataille soixante-sept-mille six cents morts. Guillaume, victorieux, fut proclamé roi des Anglais (1070), et donna par reconnaissance à Alain Fergent le comté de Richemont, en Angleterre. Après cette expédition, Alain Fergent retourna en Bretagne.

Neuf ans après naquit au bourg de Palet, près de Nantes, le trop fameux Abailard. Ce fut le plus subtil dialecticien de son siècle, et le plus fort pour l'argumentation scolastique. Il combattit la doctrine de Guillaume Champeaux, archidiacre de Paris. L'archidiacre eut beau revenir à la charge, le docteur breton le réfuta toujours : mais il trouva plus tard, dans l'abbé de Clairvaux, le célèbre saint Bernard, un maître qui le terrassa par la force de son éloquence. Abailard mourut dans le prieuré de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône.

En 1079, plusieurs seigneurs bretons se révoltèrent et se rendirent à Dol. Geoffroi, fils d'Eudon, prince turbulent et ambitieux, se mit à leur tête et commença la guerre civile. Hoël, fortifié du secours que lui avait envoyé le roi d'Angleterre, marcha contre les rebelles et les assiégea dans Dol. Sur ces entrefaites, accourut Philippe Ier, roi de France, et fit lever le siége qui durait depuis six semaines. Irrité, comme il devait l'être, Hoël alla ravager le comté de Porhoët qui appartenait à Eudon. Eudon, à la nouvelle, sort de Dol, marche contre le duc, le surprend et le fait prisonnier. Alain Fergent, son fils, le délivra des mains d'Eudon qui termina ses vieux jours quelque temps après, et fut enterré à Saint-Brieuc. Quant à Hoël V, il mourut en 1084 et eut pour successeur, son fils, Alain Fergent.

 

ALAIN FERGENT.

Duc de Bretagne.

(1084).

Alain était un prince d'un mérite distingué. Souvent, avant la mort de son père, il avait donné des preuves de sa valeur et de sa capacité. Dès qu'il se vit en possession de son héritage, il déclara la guerre à Geoffroi, comte de Rennes, dans le dessein de se rendre maître de cette capitale. La ville fut prise d'assaut, Geoffroi fait prisonnier et conduit à Quimper où il mourut peu après.

Sur ces entrefaites, Guillaume le Conquérant repassa dans la Normandie, et fit dire à Alain d'y venir pour lui rendre hommage de son duché ; Alain s'y refusa hautement. Quelques mois après, Guillaume vint assiéger une seconde fois la ville de Dol et fit sommer avec fierté les habitants de se rendre. Sur le refus qu'ils en firent, il jura dans sa colère qu'il ne sortirait du lieu qu'après s'être rendu maître de cette orgueilleuse bicoque. Alain le surprit, lui enleva son bagage évalué à plus de quinze mille livres sterling, et le vainqueur des Anglais fit une retraite peu différente d'une fuite devant un jeune breton, son vassal. (1085 ). Plein d'estime pour le courage d'Alain, Guillaume fit la paix avec lui l'année suivante, et lui donna sa fille Constance en mariage. Les noces furent célébrées à Caen, et les deux époux se rendirent ensuite à Rennes où ils furent reçus avec de grands honneurs. Mais au bout de quelques années, Alain eut la douleur de voir mourir sa jeune épouse. Il se maria en secondes noces avec Hermengarde, fille de Foulques quatrième du nom, comte d'Anjou. Quelque temps après, il partit avec plusieurs seigneurs pour une expédition de la Terre-Sainte, résolue par le pape Urbain II, se trouva dans trois batailles et entra un des premiers dans Jérusalem que l'armée chrétienne prit d'assaut.

A son retour de cette expédition, Alain Fergent plaça un sénéchal à Rennes pour administrer la justice et soumit à son tribunal tout le reste du duché, excepté le comté de Nantes. Il créa aussi un parlement pour juger les causes d'appel du sénéchal de Rennes et de Nantes. (1106).

Quelques années après, Alain tomba malade, abdiqua en faveur de son fils Conan, et se retira dans un cloître pour y vaquer à son salut. Ce prince mourut à Redon, après un règne de 28 ans. Il était d'une taille médiocre, d'une physionomie sombre, d'un tempérament délicat, du reste recommandable par sa valeur et sa piété.

Il eut de Hermengarde, sa seconde femme, trois enfants, Conan qui fut sou successeur, Geoffroi qui mourut dans le voyage de la Terre-Sainte, et Agnès qui épousa Baudouin, septième comte de Flandre.

 

CONAN III, DIT LE GROS.

Duc de Bretagne.

(1112).

Alain Fergent eut pour successeur son fils Conan qui avait été marié du vivant de son père, avec Mathilde, fille du roi d'Angleterre, Henri Ier. Les commencements du règne de ce prince furent affligés par les plus terribles évènements. En 1112, il; y eut un tremblement de terre qui se fit sentir avec force en Bretagne. Deux ans après la sécheresse fut si grande, que plusieurs rivières se trouvèrent à sec. L'hiver suivant fut si rigoureux que la mer glaça bien avant dans la Manche, et que les pierres les plus grosses furent brisée.

En 1117, un tonnerre violent épouvanta les hommes les plus intrépides. La grêle, les éclairs, la foudre, accompagnés d'une éclipse de lune et d'une tempête violente, rendaient plus affreux ce désordre de la nature et semblaient menacer l'univers des plus grands malheurs. Un ouragan furieux avait précédé cette tempête, et avait abattu les arbres de plusieurs forêts. En 1119, une autre tempête, plus terrible que la précédente, abattit des forêts entières et renversa les tours les plus solides. Pour comble de maux la peste ravagea la province en 1141, et en 1145, l'hiver fut si rigoureux qu'il détruisit toute la récolte. Plusieurs familles moururent de faim. Lorsque Conan eut fait réparer les pertes qu'avaient occasionnées ces fléaux, il prit soin de remédier aux dérèglements et aux mauvaises coutumes qui s'étaient introduites en Bretagne. A cet effet le pape Honoré II , de concert avec le duc, ordonna d'assembler un concile à Nantes. Ce concile abolit les mariages scandaleux, les successions héréditaires dans les bénéfices, le droit de bris, qui livrait à la rapacité des hommes ce qu'avait épargné le naufrage, et celui que s'attribuaient les grands seigneurs de s'emparer du bien de celui des deux mariés qui mourait le premier ; enfin tant d'autres usages ridicules d'où naissait une servitude propre à exciter l'indignation, plus propre encore à couvrir de honte ceux qui l'imposaient. L'abolition de tant d'abus fait honneur à Conan : le reste de sa vie n'intéresse guère l'histoire. Il mourut en 1148, peu regretté des grands, mais pleuré du reste de ses sujets. Il était d'un naturel vif et bouillant, avait des manières hautaines qui lui firent des affaires et lui donnèrent assez d'occupations ; équitable du reste, et porté au bien, quand ceux qui l'approchaient lui laissaient voir la vérité. Il désavoua au lit de la mort, Hoël qui jusque-là avait passé pour son fils, et déclara qu'il ne reconnaissait, comme issue de son mariage avec Mathilde, qu'une fille nommée Berthe, mariée à Alain-le-Noir, comte de Richemont en Angleterre, fils cadet du comte de Penthièvre et seigneur de la Roche-Derrien.

La fin du règne de Conan fut marquée par une des folies les plus bizarres. Un gentilhomme des environs de Loudéac, nommé Eon de l'Étoile, se mit en tête qu'il était le fils de Dieu pour avoir entendu dire quelquefois ces paroles qui finissent certaines oraisons : Per EUM qui venturus est ; per EUMdem Dominum nostrum, etc., confondant eum avec Eon. Sur ce fondement, cet esprit stupide se persuada qu'il était le maître des vivants et des morts, et qu'il les jugerait tous un jour. Il portait un bâton fourchu : quand on lui demandait ce que signifiait cette forme extraordinaire, il répondait : ces deux pointes qui regardent le ciel signifient que Dieu, maître des deux tiers du monde, m'a cédé le troisième ; et si je tournais ces deux pointes en bas, les deux tiers du monde seraient à moi et je n'en laisserais qu'un à Dieu. Cet homme, malgré ses extravagances, eut des disciples. L'évêque de Saint-Malo, Jean de Châtillon, surnommé de la Grille [Note : Cet évêque qui a mérité le titre de bienheureux, transféra, dit-on, en 1141 ou 1142, son siége épiscopal d'Aleth dans la petite île de Saint-Malo], le fit arrêter : on le conduisit au concile de Reims. qui le condamna et le fit renfermer dans une prison où il finit ses jours.

 

HOEL
Comte de Nantes.

EUDES
Duc de Bretagne.

(1148).

A la mort d'Alain-le-Noir, Berthe, fille de Conan-le-Gros, se maria en secondes noces avec Eudes, deuxième du nom, vicomte de Porhoët fils du vicomte de Rennes et tige, dit-on, de la maison de Rohan. Elle avait de son premier mariage un fils nommé Conan ; elle avait aussi un frère, Hoël dont on a déjà parlé. Voila bien des prétendants au trône. Aussi cette princesse passa-t-elle une vie agitée entre un frère, un fils et un mari qui se disputaient les lambeaux d'une couronne qui leur fut enfin arrachée par un étranger. Hoël, quoique déshonoré dans sa naissance par la déclaration de Conan-le-Gros, réclama l'héritage d'un père qui l'avait désavoué. Les villes de Nantes et de Quimper le reconnurent pour duc, mais il trouva un compétiteur dans Eudes, second mari de sa sœur. Battu à Rézé par ce prince, Hoël fut chassé de sa capitale par les Nantais. Ceux-ci ne voulant ni du vaincu ni du vainqueur, se donnèrent à Geoffroi, fils du comte d'Anjou, et frère du roi d'Angleterre, Henri II. Mais bientôt nous verrons un jeune homme les mettre d'accord en les excluant tous à la fois.

 

CONAN IV, SURNOMMÉ LE PETIT.

Duc de Bretagne.

(1156).

Ce jeune homme était fils de Berthe et d'Alain-le-Noir, comme on l'a déjà dit. Pour soutenir ses droits à la couronne, il fit la guerre à Eudes et assiégea Rennes où s'était renfermé son beau-père. Défait en bataille rangée, il fut obligé de lever le siége et de se réfugier en Angleterre. Henri II lui confia des troupes pour l'aider à ranimer son parti. Muni de ce secours, il retourne en Bretagne, marche droit à Rennes, l'assiége, prend la ville et fait prisonnier son beau-père.

Dès lors Conan fut reconnu duc de Bretagne par tous les seigneurs du pays, à l'exception du comte de Dol (1158). Geoffroi mourut cette année. Quant à Hoël, on ne sait ce qu'il devint depuis son expulsion de Nantes. Eudes, détenu en captivité, trouva les moyens de s'évader et se retira à la cour du roi Louis VII. Quelque temps après, Conan épousa Marguerite, sœur de Malcome, roi d'Ecosse. Deux ans après son mariage, la Bretagne fut affligée de la plus horrible famine. On était réduit à manger des écorces d'arbres, des racines, et les herbes les plus dégoûtantes ; on vit même des malheureux exhumer les cadavres et les dévorer. Cette famine avait été précédée d'une pluie de sang dans le diocèse de Dol. (Lobineau).

Pour comble de malheur, la Bretagne se vit exposée cette même année à toutes les horreurs de la guerre. Une ligue de seigneurs du pays se forma contre le nouveau duc. Celui-ci implora de rechef le secours du roi des Anglais qui passa la mer, entra en Bretagne et battit les seigneurs confédérés contre Conan ; mais après cela il revendiqua le comté de Nantes, comme faisant partie de la succession de son frère : il voulut de plus priver Conan du comté de Richemont qu'il possédait en Angleterre. Conan répondit au monarque, qu'il s'étonnait que le roi des Anglais pût former des prétentions sur un pays qui, depuis longues années, dépendait de la Bretagne, qu'il était vrai que Geoffroi en avait été le possesseur ; mais que c'était une usurpation, et que des sujets n'avaient pas le droit de se soustraire à une domination légitime. Henri, sans se mettre en peine d'examiner la justice de ses prétentions, se prépara à faire la guerre au duc Conan, naturellement timide, prend le parti d'éviter l'orage, se rend à Avranches, auprès du roi d'Angleterre, et y conclut un traité qui portait que Geoffroi troisième fils de Henri, épouserait Constance, fille unique du duc, qui aurait pour dot le comté de Nantes, et qu'après la mort de Conan, Geoffroi serait reconnu souverain de Bretagne. Le mariage ne fut pas célébré de suite, parce que Geoffroi était encore au berceau. Cependant Henri prit possession du comté de Nantes au nom de son fils. Il partit peu de temps après pour la Normandie où sa mère venait de mourir.

Sur ces entrefaites, Eudes reparut en Bretagne et se rendit maître des comtés de Vannes et de Cornouaille. Il avait promis, ainsi que plusieurs autres seigneurs, de suivre Henri à la guerre qu'il méditait contre la France : mais à peine le roi eut-il tourné le dos qu'Eudes se moqua de ses promesses et laissa le monarque dans l'embarras. Henri, irrité, revient en Bretagne, et porte partout le ravage et la mort. La guerre et le massacre durèrent jusqu'à l'an 1169. Cette année-là Henri conduisit son fils à Rennes, le fit reconnaître duc de Bretagne et prit possession du duché. Conan ne put se réserver qu'une indigne retraite dans le comté de Guingamp. L'histoire ne peut trop flétrir la mémoire de ce prince, pour avoir eu la lâcheté de livrer à l'étranger le peuple que Dieu lui avait commis. Sa chute honteuse, causée par sa faiblesse, dut dès-lors apprendre aux monarques à venir que, quand on possède une couronne, il faut savoir la conserver. Consumé de chagrins, Conan mourut l'an 1171 et fut enterré dans l'abbaye de Bégard [Note : Etienne III, comte de Penthièvre, et Havoise, son épouse, comtesse de Guingamp, avaient fait bâtir cette abbaye, appelée Bégard, du nom d'un ermite qui avait vécu dans ce lieu qu'on nommait alors Pluscoat]. Le roi d'Angleterre gouverna la Bretagne jusqu'à ce que son fils, qui n'avait encore que quinze ans, fût capable de tenir lui-même les rênes de l'état. Il vint à cet effet à Pontorson où il demeura quinze jours. Ce fut là que les seigneurs bretons allèrent le trouver et se soumirent à ce monarque. Eudes resta dépouillé de ses biens et vit ses espérances pour jamais anéanties.

 

GEOFFROI II.

Duc de Bretagne.

(1182).

En 1182 fut célébré le mariage depuis longtemps projeté entre Constance, fille de Conan-le-Petit, et Geoffroi, troisième fils du perturbateur Henri II. Geoffroi se mit alors à la tête des affaires. Son père voulait l'obliger à faire hommage à son frère Henri qui venait d'être couronné roi d'Angleterre : il voulut aussi qu'il fit le même hommage du comté d'Anjou et du duché de Bretagne à Louis VII, roi de France, comme d'un arrière-fief de la couronne. Geoffroi s'y refusa hautement. Son père envoya l'année suivante une armée en Bretagne pour lui faire la guerre. La ville de Rennes fut prise après quelques jours de siège. Les vainqueurs la pillèrent et y mirent le feu. Geoffroi accourut à son secours, mais trop tard. Il ne put que la réparer le mieux possible, tandis que les Anglais continuaient leurs ravages en différents endroits de la Bretagne, et surtout sur les terres de Raoul de Fougères.

Plusieurs années s'écoulèrent pendant ces guerres civiles de la maison de Plantagenet [Note : Ce fut à cette époque que le bienheureux Guillaume Pinchon, qui devint évêque de Saint-Brieuc, naquit dans la paroisse de Saint-Alban]. Le roi de France qui était alors Philippe II, surnommé Auguste, les voyait avec complaisance. Il encourageait le duc de Bretagne dans ses révoltes, et lorsque ce prince, dévoré de l'ambition de s'agrandir, voulut forcer son père à lui céder le comté d'Anjou, ce fut à la cour de France qu'il alla demander du secours. Philippe le reçut avec de grandes marques de joie, d'estime et de tendresse. Le duc était de tous ses plaisirs, mais ces plaisirs lui furent funestes ; il tomba dans un tournoi sous les pieds des chevaux et fut emporté presque sans vie. Tous les soins possibles lui furent prodigués par les médecins du roi, mais ce fut inutilement. Une dyssenterie succéda à la douleur de sa chute, et il mourut regretté de ses sujets, à l'âge de 28 ans. Son corps fut enterré dans l'église de Notre-Dame à Paris.

Geoffroi avait eu une fille de Constance, Eléonore , surnommée la Brète, et son épouse était enceinte quand il mourut. (1186 ). Ce prince est l'auteur de la trop fameuse loi nommée l'assise du comte Geoffroi. Cette loi portait que les aînés seuls des familles nobles, recueilleraient la succession, sous la condition qu'ils feraient aux cadets une pension sortable. Dans la suite cette loi fut bornée à la tierce partie pour les cadets.

 

ARTUR Ier.

Duc de Bretagne.

(1187).

Cet enfant était encore au sein de sa mère quand Geoffroi, son père, termina sa vie. Tous les partis attendaient impatiemment sa naissance. Enfin Constance le mit au monde à Nantes, le 30 avril de l'année 1187. On ne peut exprimer avec quelle joie le petit prince fut reçu des Bretons. Ce sentiment se manifesta par l'obstination qu'ils mirent à lui donner le nom d'Artur en dépit de Henri, son grand-père, qui voulait lui donner le sien. Artur était un héros cher aux Bretons. Il avait été le compagnon de leur roi, Hoël-le-Grand. Le peuple attachait à ce nom des idées de gloire et de délivrance. Ce choix était une marque assez évidente du mécontentement de la domination des Anglais. Philippe-Auguste ne manqua pas d'en profiter.

Il se hâta de réclamer la garde du duché pendant la minorité du jeune prince. D'un autre côté le roi d'Angleterre se constitua tuteur du petit Artur. Il vint en Bretagne, s'empara de Morlaix et maria Constance à Ranulfe, comte de Chester, qu'il venait de faire chevalier. Ranulfe prit aussitôt la qualité de duc de Bretagne.

Constance fut la première à se repentir de cette union avec un sujet du roi d'Angleterre, un petit-fils, dit-on, d'un bâtard de Henri Ier. Ce mariage la plaçait sous la même dépendance et rivait les chaînes de la Bretagne. Les Bretons, mécontents aussi, regardèrent ce second mari de la duchesse comme un usurpateur et un tyran ; cependant ils n'osèrent pas l'attaquer pendant que le roi d'Angleterre fut en vie. La haine que l'on avait pour l'un et pour l'autre engagea la plupart des seigneurs bretons à se donner au roi de France.

Sur ces entrefaites, Henri, en guerre avec son fils Richard, en guerre avec les Français, périt misérablement en maudissant ses enfants, le jour qui le vit naître et le Dieu qui lui donna la vie. Les Bretons, profitant de cette circonstance, se révoltèrent contre Ranulfe et le chassèrent de leur pays. Alors Constance, délivrée d'un mari qui la tenait sous le joug de l'Angleterre, gouverna le duché pendant sept ans en son propre nom.

Pour s'affermir sur le trône, elle voulut faire asseoir son fils auprès d'elle. (1196). En conséquence, les états le proclamèrent duc de Bretagne. Richard, Cœur-de-Lion, successeur de Henri II, fut si piqué de cette proclamation qu'il entra en Bretagne à la tête de quelques troupes, et s'avança dans le pays avec le comte de Chester qu'il voulait raccommoder avec les Barons ; mais il ne put y réussir et se vit forcé de se retirer avec ses troupes. Il sentit alors qu'il ne viendrait jamais à bout de son dessein s'il n'avait recours à la ruse, et il résolut de l'employer. Il pria la duchesse Constance d'aller le voir en Normandie pour y régler leurs affaires avec plus de tranquillité. La princesse se rendit après bien des instances, et se mit en chemin ; mais elle fut arrêtée aux environs de Pontorson par Ranulfe lui-même, et conduite au château de Saint-Jacques-de-Beuvron où elle fut enfermée sur la fin de l'année 1196.

Dès que les Bretons furent informés de cet attentat, ils envoyèrent demander du secours au roi de France contre le roi d'Angleterre. Ce dernier, instruit du projet, accourt en Bretagne pendant le carême de l'année 1197, commet les plus horribles ravages, fait mourir tous ceux qui tombent sous sa main, sans distinction d'âge ni de sexe, et les jours consacrés par la religion à la mémoire des souffrances du Sauveur des hommes, sont employés par ce scélérat à satisfaire sa barbare vengeance. C'en était fait du jeune duc, si l'on n'avait pas pris des précautions pour le soustraire aux poursuites de Richard ; mais l'évêque de Vannes le fit conduire à la cour du roi de France. Philippe accueillit ce précieux dépôt avec joie et pour attirer Richard hors de la Bretagne, il envoya en Normandie un corps de troupes faire le siège d'Aumale. En effet Richard accourut au secours de cette place, et offrit le combat à l'armée française ; celle-ci l'accepta et mit les Anglais en déroute. Après cette bataille, les seigneurs bretons se déterminèrent à négocier. Ils traitèrent secrètement, au nom du jeune duc, avec le roi d'Angleterre. Constance leur fut rendue (1198), et Artur, rentré dans ses états, se réconcilia avec Richard, son oncle, qui fut tué d'un coup de flèche au siège du château d'un de ses vassaux dans le Limousin, en 1199.

Cette année là fut terminée la grande affaire de la métropole, qui durait depuis trois cent cinquante ans, entre l'église de Dol et celle de Tours. Un jugement définitif d'Innocent III mit la première sous la juridiction de la seconde. Le jeune Artur se soumit à cette décision.

Cependant la mort du prince anglais donna ouverture à de nouvelles prétentions qui changèrent tous les rapports politiques. Richard ne laissait pas d'enfants, Artur de Bretagne était fils de Geoffroi, frère cadet de Richard, et à ce titre avait droit à la couronne d'Angleterre ; Richard l'avait même désigné pour être son héritier. Cependant Jean-sans-Terre, le plus jeune des enfants de Henri, prit la qualité de roi d'Angleterre et de duc de Normandie, et se rendit à Chinon pour s'emparer du trésor de son frère. Dès ce moment il fut reconnu roi par les Anglais. La Normandie suivit cet exemple. Quant aux provinces du Maine, de la Touraine, de l'Anjou, elles se déclarèrent pour Artur.

Alors ce prince fut conduit à Tours, et confié à la garde du roi de France.

Philippe-Auguste, piqué de l'injustice que Jean-sans-Terre avait faite au jeune Artur, offre sa protection à la mère de cet enfant et jure d'aller en personne lui conquérir les états qu'on lui a ravis. La princesse accepte avec reconnaissance cette offre généreuse, déclare nul le mariage qu'elle avait contracté avec Ranulfe qu'elle n'avait épousé que contre son cœur, et s'attache étroitement à la France. Dès lors tout annonça la guerre. Philippe conféra le grade de chevalier au jeune Artur, et le jeune Artur fit hommage à Philippe de la Normandie, du Maine, de l'Anjou, de la Touraine, du Poitou et de la Bretagne, puis les armées entrèrent en campagne. Le roi de France commence ses opérations par le siège du château de Conciles en Normandie, s'en empare, entre dans le Maine, assiège et prend le château de Balon qu'il fait aussitôt démolir. Guillaume Desroches qui commandait les troupes d'Artur, représenta à Philippe que le jeune duc en était mécontent. Le roi répondit que la considération d'Artur ne l'empêcherait pas de faire ce que bon lui semblerait des places dont il se rendrait le maître. Desroches, piqué de la réponse de Philippe, persuada au jeune prince de s'accommoder avec son oncle. Le roi d'Angleterre se rendit aussitôt au Mans où Artur lui demanda la paix : Jean la lui accorda, content en apparence de sa soumission. Quelques flatteurs ayant persuadé au jeune prince que son oncle voulait lui faire finir ses jours dans une prison, il le quitta dès la première nuit et se retira à Angers, accompagné de sa mère et du vicomte de Thouars. (1199).

Cette année-là Constance rompit les liens qu'on l'avait obligée de contracter avec le comte de Chester, et se maria en troisièmes noces à Gui de Thouars, frère du vicomte dont on vient de parler. Sur ces entrefaites, la paix se conclut entre Jean-sans-Terre, Philippe et le jeune duc : ce dernier fit hommage à son oncle du consentement du roi de France, pour la Bretagne et les autres états dont il était souverain.

En 1201 Artur eut la douleur de perdre sa mère. La mort surprit cette princesse à Nantes, avant qu'elle eût atteint sa quarantième année. On prétend qu'elle mourut de la lèpre, maladie alors assez ordinaire aux femmes.

Philippe-Auguste et Jean-sans-Terre ne vécurent pas longtemps en bonne intelligence, et le duc de Bretagne qui ne désirait que l'occasion de conquérir les provinces qui lui appartenaient, s'unit à la France, leva des troupes et se disposa à entrer sur les terres de son oncle. Pour l'animer davantage, Philippe II lui promit sa fille en mariage, lui donna de l'argent et des troupes à la tête desquelles le jeune duc alla assiéger la ville de Mirabeau, à six lieues de Poitiers, parce que la reine Aliénor y était. Artur se rendit maître de cette ville sans beaucoup de résistance, mais il n'était pas facile de prendre le château. Jean-sans-Terre arrive devant la ville pendant la nuit et parvient à y entrer par la trahison de Guillaume Desroches et du vicomte de Thouars, frère de Gui, surprend Artur et quelques seigneurs qui étaient encore au lit, et contre la promesse qu'il avait faite à Desroches et au vicomte de les traiter honorablement, il les fait resserrer dans des prisons où vingt-deux moururent de faim. Desroches et le vicomte, indignés de la mauvaise foi du prince anglais, sortent de son camp et vont offrir leur épée à Philippe, roi de France. (1202) [Note : En 1202 Alain, comte de Goëlo, fonda l'abbaye de Beau-Port, près de Paimpol]. Pour Artur, il fut conduit dans le château de Falaise. Là on employa tous les moyens de persuasion pour le porter à renoncer à ses droits. Irrité de la résistance, Jean voulut, dit-on, le faire tuer par ses gardes ; mais les larmes de cet adolescent et la commisération des commandants du château le sauvèrent pour cette fois ; hélas ! ce ne fut pas pour longtemps. Jean-sans-Terre, frémissant de rage, le fit transférer à Rouen dans une tour que baignait la Seine. Une nuit, c'était le 3 avril 1203, cet enfant infortuné, réveillé en sursaut et invité à descendre au pied de la tour, y trouva un bateau dans lequel étaeint déjà le monstre Jean-sans-Terre et Pierre de Maulac, son écuyer. Cet appareil mystérieux, et surtout les regards farouches du roi, tout annonçait au malheureux duc qu'on en voulait à ses jours. Les larmes aux yeux, il se jette aux pieds de son oncle et le supplie au nom de Dieu de lui laisser la vie. Sourd aux cris du prince, Jean-sans-Terre ordonne à son écuyer de le tuer, et sur son refus, le monstre saisissant par les cheveux son prisonnier, son neveu, son roi, lui enfonça son épée dans le corps, et l'ayant retirée fumante et teinte de son sang, il lui en fendit encore la tête en deux, attacha une pierre au cadavre et le jeta dans l'eau.

Telle fut la fin de ce jeune prince qui, né pour occuper un des plus beaux trônes de l'Europe, se vit réduit à fuir d'asile en asile, afin de se dérober aux poursuites de ses barbares parents.

 

GUI DE THOUARS.

Duc de Bretagne.

(1203).

A la nouvelle de l'attentat que Jean-sans-Terre venait de commettre, les cris de la Bretagne demandèrent vengeance. Gui de Thouars profita de ce moment d'indignation. Beau-père d'Artur, veuf de la duchesse Constance, il se porta pour représentant de la famille ducale et convoqua à Vannes les grands du pays pour délibérer sur l'état présent des affaires. Les évêques et la plupart des seigneurs y accoururent. Gui de Thouars présidait à l'assemblée qui lui confia l'administration du duché, mais suivant quelques-uns à titre de tuteur de la princesse Alix, sa fille, qu'il avait eue de Constance [Note : Eléonore, sœur aînée du malheureux Artur, et que Constance avait eue de son mariage avec Geoffroi, était en captivité en Angleterre]. Quoi qu'il en soit, il prit le titre de duc de Bretagne, et à la tête d'une députation de la province, alla prier le roi de France de l'aider à venger la mort du jeune Artur. Le monarque français, touché de la perte de son ami et des larmes des Bretons, leva une armée à laquelle se joignirent les troupes Bretonnes, prit en Guienne et en Normandie les plus fortes places, et obligea Jean l'assassin à passer en Angleterre pour y lever de nouvelles troupes.

Le 29 avril 1204 Gui de Thouars entre dans la Normandie, prend, pille, brûle le Mont-Saint-Michel. De là les Bretons marchent sur Avranches, s'emparent de la ville, y mettent tout à feu et à sang, puis se répandent dans les campagnes où ils se livrent à toute la rage qui les anime. Philippe de son côté se rend maître de Rouen et achève de réunir à sa couronne la province de Normandie après trois cents ans d'aliénation.

Sur ces entrefaites, Jean-sans-Terre se mit à la tête de ses troupes, partit d'Angleterre et débarqua à la Rochelle. De là il alla prendre Angers qu'il ruina. Après cela il marcha vers Nantes, mais il ne put prendre cette ville ; Philippe la défendait. Mécontent d'avoir manqué son coup, il alla dans sa colère ravager le diocèse de Rennes. Le roi de France sort de Nantes, le suit et l'oblige à repasser la mer. Délivré de cet assassin, le roi de France s'occupa du mariage d'Alix, fille cadette de Constance. Son choix, dirigé par des vues politiques, tomba sur Pierre de Dreux, arrière-petit-fils de Louis-le-Gros, roi de France. Ce mariage se fit en 1213. Une des conditions stipulées dans le contrat avait été que Pierre ferait hommage-lige à la couronne de France. Le nouveau duc remplit cette formalité à Paris le 27 juillet de l'année suivante. Gui de Thouars mourut l'année du mariage de sa fille.

Immédiatement après cette cérémonie , il avait remis à son gendre ce qui lui restait d'autorité, et s'était retiré à Cheminé, en Anjou. C'était un prince faible et sans ambition, préférant le repos aux soins que coûte la gloire.

 

PIERRE Ier ou PIERRE DE DREUX.

Duc de Bretagne.

(1213).

Pierre de Dreux, surnommé Mauclerc (mauvais clerc) parce que, après avoir été destiné à la cléricature, et avoir étudié dans les écoles de Paris, il avait pris le parti des armes [Note : On ne faisait alors étudier, pour ainsi dire, que ceux qui se destinaient à l'église. La littérature se nommait clergie et les étudiants, clercs. Il paraît que Pierre de Dreux porta dès sa jeunesse le surnom de Mauclerc ; néanmoins cela n'empêcha pas que les politiques et le clergé n'aient cru trouver dans le terme Mauclerc de quoi justifier leurs plaintes et leurs réflexions.], était le prince le plus habile de son siècle, et celui qui avait le plus d'esprit ; mais cet esprit était plus souvent porté au mal qu'au bien ; et dans ce qu'il avait de bon, il se mêlait toujours quelque teinture de vice qui en ôtait tout le mérite. Sa vie s'est passée dans une agitation continuelle, toujours en guerre, ou contre ses sujets ou contre les ennemis de l'état. Il était railleur, peu sincère dans ses paroles, inconstant dans ses traités, jaloux des droits et de l'autorité de son rang. Tel était le caractère de Pierre de Dreux dont les principaux traits se développèrent dès le commencement de son règne. (1214).

A cette époque, Jean passa la mer pour aller se venger de Philippe-Auguste. Il s'embarqua à Portsmouth et aborda peu de jours après à la Rochelle avec une puissante armée, passa la Loire, se jeta dans l'Anjou, prit Beaufort et Angers, fit des courses jusqu'aux portes de Nantes et voulut même mettre le siége devant cette ville : mais Pierre de Dreux et le comte Robert, son frère, qui venaient de Flandre, s'étaient jetés dans la place avec leurs troupes, et, se voyant assez forts pour combattre les Anglais en pleine campagne, sortirent avec les Bretons au-devant d'eux, et les chargèrent avec tant d'impétuosité qu'ils les obligèrent à se retirer. Le duc se contenta de les voir en fuite et ramena ses troupes dans la ville. Robert, moins prudent, les poursuivit, l'épée à la main, et en tua un très grand nombre ; mais emporté par son courage, il s'avança un peu trop et fut pris par les Anglais.

Quelques années après, Pierre de Dreux perdit Alix, sa femme, qui fut enterrée à l'abbaye de Ville-Neuve, auprès de Gui de Thouars et de Constance.

La mort de cette princesse fut suivie d'une guerre civile qui désola le pays. Pierre Mauclerc, ambitieux outre mesure, fut toujours en garde contre les droits des seigneurs, comme aussi contre ceux du clergé. Il se servait du premier de ces corps pour abattre le second, et l'attaquait ensuite pour établir sur les ruines de l'un et de l'autre une autorité plus absolue que celle de ses prédécesseurs. Enfin par mille impositions insupportables, une infinité de réformes et d'exigences, il indisposa les grands de ses états qui se liguèrent et prirent les armes contre lui. Plusieurs seigneurs de l'Anjou, du Maine et de la Normandie entrèrent aussi dans leurs vues. Le duc ne s'endormit point dans une situation si embarrassante ; il leva des troupes ; quelques seigneurs se joignirent à lui, et une grande partie du peuple se déclara pour sa cause.

La Bretagne était en combustion, et la guerre dura jusqu'à l'année 1223. Les seigneurs révoltés se rendirent avec leur armée auprès de Châteaubriand, où ils avaient donné le rendez-vous à ceux de l'Anjou, du Maine et de la Normandie. Ceux-ci ne tardèrent pas à venir se joindre aux Bretons, entrèrent en campagne et se mirent à ravager les terres de Châteaubriand et des environs. Pierre de Dreux, guerrier intrépide, marche à leur rencontre, leur livre bataille, fond avec impétuosité sur la cavalerie des Normands qui lui était opposée, la repousse, la met en déroute et remporte la victoire.

Après cette défaite, les seigneurs rebelles cherchèrent les moyens de faire la paix et y réussirent. Quoique, par leur révolte, le duc dût connaître les dangers auxquels l'exposaient le mécontentement des grands et son pouvoir tyrannique, il recommença ses vexations comme de plus belle, persécutant les évêques, les chanoines et les prêtres, pillant leurs biens, emprisonnant leurs personnes, faisant fermer les portes des églises où s'étaient réfugiés ceux qu'il poursuivait, afin qu'ils y mourussent de faim. Il en vint même jusqu'à ce point de cruauté, qu'un curé, de l'évêché de Nantes, ayant refusé la sépulture ecclésiastique à un usurier public, mort sans se reconnaître, il ordonna de prendre ce curé, de le lier avec le cadavre, et les fit enterrer ensemble. Tant de barbarie et de vexations déterminèrent les évêques à lancer contre Mauclerc une sentence d'excommunication. Le despote, pour s'en venger, saisit le temporel des évêques de Rennes, de St-Brieuc et de Tréguier, et les chassa de leurs diocèses. Les prélats persécutés eurent recours au pape Grégoire XI qui chargea l'évêque du Mans de mettre le duché en interdit et d'excommunier publiquement le duc de Bretagne, jusqu'à ce qu'il eût fait satisfaction. Mauclerc, sentant combien cette excommunication pourrait lui porter préjudice, envoya des députés au pape, avec quelques propositions favorables au clergé. Alors le pape chargea deux dominicains de lever l'interdit, et d'absoudre le duc, lorsqu'il aurait juré d'exécuter les conditions. (1230).

Sept ans après, Mauclerc assembla les états et se démit de son duché en faveur de son fils qui fut proclamé duc de Bretagne, et qui se rendit à Paris où il fit hommage à Louis IX. Ce monarque rendit alors au nouveau duc le gouvernement de ses états dont il s'était emparé en 1233. A compter de son abdication, la vie de Pierre de Dreux qui, dès ce moment, n'appartient plus à l'histoire de Bretagne, fut pleine de faits d'armes très-brillants, mais qui ne suffisent pas pour faire oublier ses fautes et ses perfidies.

 

JEAN Ier.

Duc de Bretagne.

(1237).

Jean 1er, surommé le Roux à cause de la couleur de ses cheveux, fut un prince plus doux, plus modéré que son père, mais il ne lui céda point en ambition. Aussi jaloux de ses droits, il refusa contre l'usage de faire à son couronnement le serment de conserver les priviléges et les libertés de l'église qu'il chercha dans la suite à lui ravir. Pierre de Dreux avait persécuté les évêques ; Jean, son fils, s'empara des bénéfices. Cette conduite lui attira une excommunication qui l'obligea d'aller à Rome pour y solliciter son absolution qu'il n'obtint qu'après avoir promis de donner satisfaction aux ecclésiastiques.

Le père de ce jeune duc, trop bouillant pour vivre en repos, suivit saint Louis en Palestine, où il fit des prodiges de valeur : il fut blessé au visage et fait prisonnier à côté du saint roi, à la bataille de la Massoure. Revenant en Europe en 1250, il mourut dans la traversée. Son corps fut apporté en France et inhumé dans l'église de Saint-Yved de Braîne, de l'ordre des Prémontrés, fondé par André de Beaumont l'an 1130, dans le diocèse de Soissons, en Picardie. Son fils, le duc Jean Ier vivait en paix à cette époque ; mais les barons de Lanvaux et de Craon s'avisèrent de prendre les armes et se mirent en campagne : ils furent vaincus, et leurs baronnies confisquées.

Ce fut à cette époque que saint Yves, patron des avocats, naquit à Kermartin , près de Tréguier. Il eut pour père Hélory de Kermartin, et pour mère Azou de Quinquis. Il suivit pendant quelque temps le barreau de Paris, où il parut avec éclat. Sa réputation le fit appeler à Rennes pour y exercer l'officialité. Alain de Bruc, évêque de Tréguier, le réclama, le fit official de son diocèse, et le nomma recteur de Trédrez. Plus tard il fut transféré à Louannec, paroisse plus étendue. Jamais prêtre ne montra plus de zèle pour la gloire de Dieu ni plus de charité pour les pauvres.

Cependant le clergé toujours inquiété par le duc, lança contre lui une seconde excommunication, l'an 1252. Le duc, tout fier qu'il était, fut encore obligé d'aller se faire absoudre à Rome où il se soumit à faire observer les décrets du pape Innocent IV. Peu d'années après son retour, il maria Jean, son fils aîné, à Béatrix, fille du roi d'Angleterre, Henri III. Cette alliance valut à Jean la restitution du comté de Richemont qui a été affecté depuis aux aînés et héritiers présomptif de Bretagne. Après la cérémonie du mariage qui se fit à Westminster, le duc et la duchesse qui y avaient assisté, ramenèrent avec eux les nouveaux époux. Ceux-ci eurent en 1262 un fils qu'on nomma Artur. Vingt et un ans après, c'est-à-dire en 1283, mourut Blanche de Champagne. Jean-le-Roux ne lui survécut pas longtemps ; il termina sa vie au château de l'Isle, le 8 octobre 1286, et fut enterré dans l'abbaye de Prières qu'il avait fondée. C'était un prince beau de taille et de figure. Son règne eût été plus calme et plus heureux, s'il avait eu plus de respect pour les droits de l'église. Heureusement pour le bien de la religion, le fameux Galerand et Jacques de Guérande, son successeur à l'évêché de Nantes, surent tenir tête à ce prince ambitieux.

 

JEAN II.

Duc de Bretagne.

(1287).

A Jean-le-Roux succéda Jean II, son fils, comte de Richemont. De concert avec les états assemblés, il résolut d'abolir le past nuptial [Note : C'étaient quarante sous que percevaient les ecclésiastiques par chaque mariage] et le droit de tierçage [Note : C'était le tiers des meubles des gens mariés, qui revenait au clergé après la mort de l'un des deux époux]. A ce sujet s'élevèrent de grandes contestations qui ne furent terminées que longtemps après.

Dans une guerre qui s'alluma entre la France et l'Angleterre vers l'an 1294, le duc Jean se déclara d'abord pour Edouard Ier ; mais l'alliance ne fut pas de longue durée entre ces deux princes. Le peuple breton ne voyant que des pillards dans les soldats du roi des Anglais, manifesta son mécontentement au duc. Ces dispositions des sujets obligèrent Jean II à changer de parti. Il se déclara pour Philippe-le-Bel, alla le secourir au siége de Courtrai avec dix mille hommes et lui rendit de grands services. Le roi, pour en témoigner sa reconnaissance au duc, ou plutôt pour s'attacher la Bretagne par un lien fort, lui offrit le titre de pair de France [Note : Saint Yves mourut sous le règne de Jean II, en 1303]. Jean qui était puissant et souverain, ne se souciait guère d'accepter cette nouvelle qualité ; mais il y eût eu du mépris à la refuser. Le roi lui en fit sceller les lettres et les lui envoya. Le duc les reçut avec des remerciments, et par-là la Bretagne fut érigée en duché-pairie. Philippe, en donnant ce nouveau titre au prince breton, s'assurait d'autant mieux de l'hommage du duché que la qualité de duc était inséparable de celle de pair.

Les contestations qui s'étaient élevées au sujet de l'abolition du past nuptial et du droit de tierçage, duraient encore. Pour terminer ces débats, le duc Jean II résolut d'aller lui-même trouver le pape Clément V qui était venu à Lyon se faire sacrer. Après la cérémonie qui se fit dans l'église de Saint-Just, l'an 1304 ou 1305, le pape revint processionnellement de la métropole à son palais. Pendant la marche, le roi de France et le duc Jean II tenaient tour-à-tour la bride de la monture du pontife. La procession avait à passer le long d'un vieux mur qui se trouvait si chargé d'hommes, qu'il s'écroula sur les spectateurs au moment où le pape passait. Le roi et les princes furent enveloppés dans la foule. Philippe fut blessé à la tête, le pape à la jambe ; le duc de Bretagne fut écrasé sous les ruines et mourut trois ou quatre jours après. Son corps fut mis dans une chasse de plomb et porté à Ploërmel, où il fut enterré dans l'église des Carmes. Il laissa six enfants, Artur qui régna après lui ; Jean, comte de Richemont, qui mourut en Ecosse ; Pierre, vicomte de Léon ; Blanche, mariée à Philippe d'Artois, seigneur de Conches ; Marie qui épousa Gui de Chatillon, et Aliénor qui fut abbesse de Fontevrault [Note : A cette époque, la noblesse était partagée en trois classes : la première était composée des comtes seuls ; la seconde des vicomtes et des barons ; et la troisième des vicaires, des prévôts, des sergents féodès, des chevaliers et des écuyers].

 

ARTUR II.

Duc de Bretagne.

(1305).

Artur succéda à Jean II, son père, et fut reçu à Rennes avec les solennités ordinaires. Il avait porté le titre de comte de Richemont. Edouard menaçait de confisquer ce comté faute d'hommage ; c'est ce qui obligea le duc à passer en Angleterre pour s'acquitter de ce devoir. Sous le règne de ce prince fut décidée, par les états convoqués à Ploërmel, la fameuse querelle au sujet du past nuptial et du droit de tierçage. On maintint le droit de tierçage, mais on le réduisit au neuvième. Quant au past nuptial, les nouveaux mariés qui n'avaient pas pour trente sous de mobilier, en furent dispensés. Pour les autres, la redevance fut réduite à deux ou a trois sous, suivant leurs facultés. La première assemblée où le tiers-état fut appelé, est celle que convoqua le duc Artur. (1309). Le règne de ce prince ne fut pas long ; il mourut au château de l'Isle, dans la paroisse de Marzan, le 27 août 1312. Son corps fut porté à Vannes et inhumé aux Cordeliers de cette ville. C'était un bon prince, aimant la justice. Il avait été marié deux fois. De Marie, sa première femme, fille du vicomte de Limoges, il avait trois fils, Jean qui fut son successeur, Pierre qui mourut jeune, et Gui comte de Penthièvre et de Goëlo, et vicomte de Limoges. Sa seconde femme, Yolande, fille de Robert IV, comte de Dreux, lui avait donné un fils et cinq filles. Le fils se nommait Jean de Montfort.

 

JEAN III.

Duc de Bretagne.

(1312).

Jean III, dit le Bon, succéda à son père, Artur II. Il joignit au titre de duc de Bretagne, celui de vicomte de Limoges, parce que son frère Gui lui céda cette vicomté pour le comté de Penthièvre et la seigneurie de Goëlo qu'il lui-donna en échange.

En 1328, le duc partit de Rennes avec quinze bannières, à la tête de sa cavalerie et de dix mille fantassins pour aller joindre en Flandre l'armée du roi de France, Philippe de Valois. Ces deux princes, ayant réuni leurs forces, attaquèrent les Flamands qui furent vaincus et taillés en pièces au Mont-Cassel. Mais la victoire coûta cher aux vainqueurs. Le duc de Bretagne fut blessé ainsi que plusieurs seigneurs bretons. Le roi de France fit l'éloge de la valeur bretonne, en présence de toute son armée. Jean avait suivi le roi à titre d'allié et non comme son vassal. Philippe le reconnut en lui adressant une lettre dans laquelle il déclarait que ce service avait été de pure courtoisie et libéralité.

En 1340, le duc Jean III se rendit une seconde fois auprès du roi de France en Flandre avec ses valeureux Bretons pour faire la guerre aux Flamands et au roi d'Angleterre. Le duc se distingua dans cette expédition à la tête de ses troupes, dont la vaillance parut encore avec éclat. Ce prince était en marche pour rentrer dans ses états, lorsqu'il fut attaqué, en passant à Caen, d'une maladie qui termina son règne et ses jours. (1341). Son corps fut porté à Ploërmel où Jean, comte de Montfort, son frère, lui fit rendre les derniers devoirs. Jean III fut un prince sans ambition et peu constant dans ses desseins. Il fut regretté de ses sujets qui lui donnèrent le surnom de Bon, qualité qu'on ne lui disputera pas ici, quelque déraisonnable qu'ait été son aversion pour Yolande, sa belle-mère.

Sous le règne de Jean-le-Bon, Galerand Nicolas de la Grève, ecclésiastique breton , fonda à Paris le collége dit de Cornouaille, où devaient être élevés gratuitement un certain nombre d'élèves du diocèse de Quimper. Il faut citer encore deux autres bienfaiteurs des lettres et de la jeunesse. 1° Guillaume de Coëtmohan de la maison de Kerfantan , chanoine de l'église de Tréguier, qui fonda à Paris le collége de Tréguier en 1319. 2° Geoffroy Duplessis-Balisson, gentilhomme des environs de S.-Malo, secrétaire de Philippe-le-Long, qui fonda à Paris le collége Duplessis. Des étudiants bretons devaient y être élevés gratuitement.

(Abbé Brouster).

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