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HISTOIRE DE BRETAGNE : FAITS REMARQUABLES SOUS CERTAINS ROIS, COMTES ET DUCS |
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*** HISTOIRE DE BRETAGNE ***
CONTENANT CE
QUI S'EST PASSÉ DE PLUS REMARQUABLE
DANS CETTE CONTRÉE SOUS SES ROIS, SES
COMTES ET SES DUCS.
CHARLES DE BLOIS et JEAN DE MONTFORT.
(1341).
Jean-le-Bon que la Bretagne venait de perdre, était l'aîné des trois fils du duc Artur II. Quoique marié plusieurs fois, il ne laissait point d'enfants. La couronne revenait donc à ses frères ou à leur postérité ; mais celui qui le suivait immédiatement, Gui, comte de Penthièvre, né comme lui du premier lit, était mort depuis six ans, et n'avait qu'une fille Jeanne dite la Boiteuse, mariée à Charles de Blois, fils aîné de Gui, comte de Blois, et d'une sœur du roi de France. Le quatrième frère, qui se nommait Jean, vivait encore. Il était né d'Yolande de Dreux, comtesse de Montfort, seconde femme d'Artur. Jean prétendait être appelé au trône de préférence à sa nièce. La nièce au contraire se croyait en droit d'exclure son oncle. Nous verrons bientôt de grandes puissances arriver en Bretagne pour appuyer les prétentions de l'un et de l'autre. Charles de Blois aura pour défenseurs de sa cause, le roi de France, le duc de Normandie, le roi de Navarre, un duc d'Athènes, des auxiliaires Espagnols, des auxiliaires Génois, etc. Montfort verra dans son parti le roi d'Angleterre, Robert d'Artois, beau-frère du roi de France, des stipendiaires Allemands et la plus grande partie des villes de Bretagne.
C'est ici le commencement de la plus cruelle guerre civile qui ait jamais désolé la Bretagne. Que n'est-il possible de dérober aux yeux des hommes, les scènes affreuses et les malheurs de cette province infortunée ! mais le besoin de faire connaître l'histoire ne permettant pas à l'écrivain de suivre ici son inclination, je vais continuer la narration des évènements, en les exposant successivement aux yeux du lecteur.
Aussitôt que Jean III eut cessé de vivre, Montfort, son frère, courut aux armes. Il alla droit à Rennes et assiégea cette ville. Après avoir essuyé plusieurs attaques, les habitants firent une sortie et perdirent Henri de Spinefort, leur gouverneur. Le comte de Montfort résolut de tirer profit de cet évènement. Comme il savait que Spinefort était cher aux habitants, il leur fit dire que, s'ils ne lui rendaient la ville sur-le-champ, il allait faire pendre le capitaine. Cette menace eut son effet. Les Rennois, pour sauver une vie si précieuse, ouvrirent leurs portes et Montfort mit dans la ville une bonne garnison, dont il donna le commandement à Guillaume Cadoudal. Après cela, il se rendit à Nantes dont il gagna les habitants qui le reçurent dans leur ville et se déclarèrent pour lui. Alors, sans perdre de temps, il prit le titre de duc et son épouse celui de duchesse ; puis il convoqua les prélats, les barons et les députés des villes pour délibérer sur la nécessité présente des affaires. Mais sans attendre le résultat de leur conférence, il prit le chemin de Limoges où était le trésor du feu duc, son frère. Aussitôt qu'il se présenta, les habitants lui ouvrirent les portes de la ville et lui donnèrent le trésor de son frère Jean, comme à son héritier légitime.
A son retour en Bretagne, Montfort se vit abandonné par quelques évêques et la meilleure partie des barons. La crainte d'avoir le roi de France pour ennemi, en détermina la plupart pour Charles de Blois. Montfort ne perdit point courage pour cela. En habile politique, il employa l'argent de Limoges à lever des soldats, et bientôt il se vit à la tête d'une armée capable de tenter la conquête de la Bretagne. Il commença par Chanteauceaux dont il s'empara après quelques jours de siége [Note : Quelques historiens prétendent qu'il n'assiégea Rennes qu'après la prise de Chanteauceaux]. Il alla ensuite assiéger Brest, Hennebond, Vannes, et s'en rendit maître en peu de temps. Malgré ces succès, il sentait que son rival, protégé des Français, pouvait fondre sur lui tout d'un coup. Il résolut donc de passer en Angleterre pour y demander du secours. Edouard III, ravi de trouver cette porte pour entrer en France, reçut Montfort avec joie et lui promit ce qu'il demandait. Après cela le comte revint à Nantes et y trouva la comtesse, son épouse, qui approuva ce qu'il avait fait.
Charles de Blois apprit avec chagrin toutes ces nouvelles, et se plaignit au roi que le comte de Montfort lui enlevait injustement son héritage. Philippe VI assembla les pairs du royaume pour les consulter sur ce qu'il y avait à faire. Il fut décidé qu'on assignerait Montfort pour être jugé selon les lois. Les messagers du roi le trouvèrent à Nantes et signifièrent leurs ordres au comte. Celui-ci leur répondit qu'il obéirait et qu'il irait à Paris. Il y alla en effet, suivi de quatre cents gentilshommes et se logea dans la rue de la Harpe. Le lendemain il se rendit au palais, monté sur un superbe coursier et magnifiquement vêtu. Là furent déployés par chaque parti de nombreux mémoires pour faire autorité. La loi divine, la loi naturelle, le droit romain, le droit féodal, tout fut mis en œuvre pour soutenir les prétentions.
Cependant Montfort partit si secrètement de Paris, qu'il était déjà en Bretagne pendant qu'on le croyait encore dans la capitale. Il avait prévu que le jugement ne lui serait pas favorable. En effet, peu de jours après, un arrêt prononça que la Bretagne appartiendrait à Charles de Blois, et le nouveau duc fit hommage de son duché à Philippe, son oncle. Pour soutenir cette décision, le roi donna ordre au duc de Normandie, son fils aîné, d'assembler des troupes, de se mettre à leur tête et d'aller au secours de Charles. Un grand nombre de princes, de barons et de seigneurs français promirent d'accompagner le fils du roi qui, dès son entrée en Bretagne, vit accourir aussi sous ses drapeaux une foule d'illustres Bretons, entre autres, Olivier de Clisson, père du connétable, les seigneurs de Retz, de Beaumanoir, de Tinteniac, Coëtmen, Gouyon, Trogoff, etc. Le duc commença ses opérations par s'emparer d'Ancenis, de Carquefou et de Chanteauceaux ; puis il alla investir la ville de Nantes. Montfort s'y trouvait et la défendait avec vigueur.
De temps en temps il faisait des sorties meurtrières pour l'un et pour l'autre parti. Mais les habitants, lassés d'un siége qui leur coûtait beaucoup de monde, livrèrent une de leurs portes pendant la nuit, à condition qu'ils auraient la vie sauve. Les Français entrèrent dans la ville en aussi grand nombre qu'ils voulurent. Jean de Montfort fut fait prisonnier, conduit à Paris et renfermé dans la tour du Louvre.
A la nouvelle de cet évènement, la comtesse Jeanne de Flandre, son épouse , se mit à la tête de sou parti et le soutint avec honneur. C'était une femme au-dessus de son sexe pour le courage, la valeur et les autres vertus militaires. Elle était à Rennes lorsqu'elle apprit la captivité de son mari. Au lieu de se laisser abattre par ce contre-temps, elle prend son fils entre ses bras, le montre à ses sujets et les conjure de ne pas abandonner le faible enfant dont ils sont les protecteurs et l'espérance. Après avoir ainsi relevé le courage de son parti, cette nouvelle Artémise donna ses ordres pour lever des troupes, parcourut les places, acquit de nombreux partisans, envoya Amaury de Clisson demander du secours à l'Angleterre, ceignit le casque et l'épée comme un général intrépide. (1342).
Au commencement du printemps, elle sortit de Rennes. Charles vint aussitôt investir cette capitale à la tête de ses soldats et de douze mille hommes que lui avait envoyés le duc de Normandie. Les habitants, las du siége, mirent en prison Cadoudal, leur gouverneur, et capitulèrent malgré lui. La capitulation portait que les troupes de Montfort sortiraient vies et bagues sauves. En conséquence, Charles de Blois fit son entrée à Rennes, reçut le serment des habitants et leur donna une bonne garnison.
Après la prise de Rennes, Charles fit marcher ses troupes à Hennebond où il espérait terminer la guerre. Dès que son armée parut à la vue de la ville, la comtesse qui s'y était renfermée, fit sonner le tocsin et armer tout le monde. Les ennemis se présentent aux portes ; les attaques commencent ; Jeanne monte sur un superbe cheval de bataille, court de rue en rue, animant ses soldats à la défense. Ceux-ci font des prodiges de valeur ; Charles est repoussé. Irrités de ce désavantage, les seigneurs donnent un nouvel assaut avec plus de fureur qu'auparavant. La comtesse monte au haut d'une tour, et s'apercevant de là que le camp des ennemis est mal gardé, elle sort à la tête de trois cents cavaliers par une porte opposée à celle qu'on attaquait, fait un circuit, se jette dans le camp, y répand la terreur et le désordre, met le feu aux tentes, et n'espérant pas pouvoir rentrer dans Hennebond, pique du côté d'Aurai, courant à toute bride. Les assiégés ne la voyant pas revenir et n'ayant point de ses nouvelles, passèrent la nuit dans les plus vives inquiétudes. Elle erra pendant cinq jours et cinq nuits dans la campagne, rallia dans Aurai tout ce qu'elle put trouver de partisans, doubla sa troupe, se rapprocha de Hennebond à la faveur de l'obscurité, et le sixième jour, au soleil levant, passant comme un éclair entre les assiégeants et les remparts , elle entra dans la place au son des trompettes et à la vue de toute l'armée ennemie.
Cependant les assiégeants, repoussés dans plusieurs assauts, prirent le parti d'attaquer la ville avec des machines. Les remparts tombent ; la terreur s'empare des assiégés ; l'évêque de Léon sort de la ville, va trouver Charles et revient annoncer que sans perdre de temps il faut se rendre.
La comtesse opposa son courage et son exemple au parti que l'évêque conseillait de prendre et obtint des principaux officiers déjà ébranlés, un délai de trois jours. Le troisième jour dès le matin, on vit du haut des remparts l'armée de Charles sous les armes s'avançant en bon ordre pour livrer un assaut général. L'alarme se répandit partout. Mais, à l'instant même l'anse du Blavet parut couverte de voiles : c'était la flotte Anglaise qui venait au secours de la comtesse, sous les ordres d'Amaury de Clisson et de Gantier de Mauni. Les Anglais opérèrent leur débarquement, et n'entrèrent dans la place qu'après avoir brûlé les machines des assiégeants. La comtesse qui avait été spectatrice de ce fait d'armes, descendit du château et alla témoigner sa reconnaissance à Gautier de Mauni et à ses compagnons. Enfin les ennemis levèrent le siége et allèrent investir Guérande. La ville ne résista pas longtemps ; Louis d'Espagne la prit d'assaut et la livra au pillage. Tous les habitants furent passés au fil de l'épée sans distinction d'âge ni de sexe.
Aurai, Vannes et Carhaix tombèrent aussi bientôt après au pouvoir du parti de Charles. Alors Louis d'Espagne vint avec sa flotte dans la rivière de Laita ou de Quimperlé, et fit mettre pied à terre à six mille hommes de ses troupes, avec ordre d'aller piller les habitants de l'endroit. Pendant qu'ils répandent la terreur dans la ville et dans la campagne, Gautier de Mauni, Amaury de Clisson, Yves de Treziguidi, Landremau de Cadoudal, du parti de Montfort, arrivent avec trois mille hommes, attaquent les vaisseaux, s'en emparent, volent aux soldats qui ravageaient la campagne et en font un si grand carnage, que de six mille qu'ils étaient, il ne s'en sauva que trois cents.
Cependant Charles de Blois se présenta de nouveau devant Hennebond, et en fit battre les remparts par quinze grandes machines qui jetaient des pierres jusque dans le cœur de la ville. Les assiégés, encouragés par quelques succès, surtout par la présence de leur héroïne, criaient aux assiégeants : vous n'êtes mie encore assez ; allez quérir vos compagnons qui dorment aux champs de Quimperlé. Cette raillerie piqua vivement Louis d'Espagne. Il vint trouver Charles de Blois et le pria de lui accorder un don pour prix des services qu'il avait rendus. Le prince engagea sa parole : alors l'Espagnol demanda la tête de Jean le Bouteillier et de Hubert Dufresnoi, détenus au Faouët. Charles eut horreur de cette proposition ; mais Louis ajouta qu'il quitterait l'armée si on ne lui livrait pas ces deux hommes. On fit donc venir les prisonniers, et le prince eut la faiblesse de permettre un attentat. Louis, insensible à toutes les représentations, arrêta que le lendemain il leur ferait couper la tête à la vue de l'armée et de la ville. Cette nouvelle parvint bientôt aux assiégés. Saisis d'indignation, ils jurent sur l'honneur de sauver les deux infortunés ou de venger leur mort. A l'instant la comtesse leur propose une sortie qui eut lieu au moment même où l'on préparait l'exécution. Un corps de troupes, conduit par Amaury de Clisson, s'avança vers les Français et engagea le combat : un autre, commandé par Mauni, tomba sur les derrières du camp, pénétra jusqu'au pavillon de Louis, enleva les deux prisonniers et les conduisit triomphants à Hennebond.
Trois jours après, Charles de Blois tint conseil dans sa tente. On l'engagea à lever le siége et à porter ses armes ailleurs. Ce parti fut pris, et de suite on alla assiéger Jugon, place forte et si imposante qu'on disait alors en proverbe : Qui a Bretagne sans Jugan, - A chappe sans chapperon.
Charles de Blois s'empara de cette ville par la trahison d'un marchand : ce perfide en ouvrit une porte à minuit, et Charles y entra avec ses troupes. La sentinelle du château découvre ce qui se passe, et crie de toutes ses forces : alarme ! alarme ! Les bourgeois épouvantés se retirent dans le château ; Charles devient maître de la ville.
Avant la fin de cette même année, la comtesse de Montfort passa en Angleterre pour y demander de nouveaux secours. Le roi lui accorda une flotte de quarante-six bâtiments, commandée par Robert d'Artois qui, mécontent du roi de France, avait passé à l'étranger. Charles de son côté arma promptement une escadre de trente-six vaisseaux dont il prit lui-même le commandement, et alla à la rencontre des ennemis jusqu'à la hauteur de Jersey et de Gernesey. Aussitôt que les deux flottes furent en présence, les Anglais tirent sonner de la trompette, arborèrent leur pavillon et fondirent à pleines voiles sur les vaisseaux de Charles, montés pour la plupart par des Génois. Le combat commença par les armes de trait, puis on en vint à l'abordage. La comtesse de Montfort, une hache à la main, se signala dans cette bataille comme le plus intrépide marin. La nuit sépara les deux flottes qui ne purent recommencer le lendemain, parce qu'elles furent dispersées par une tempête.
Jetée sur la côte de Vannes, la comtesse de Montfort alla avec ses alliés mettre le siége devant cette place. Les habitants se défendirent avec la plus grande valeur. Mais Gautier de Mauni, s'étant approché des remparts pendant une nuit, fit planter des échelles dans un endroit qui n'était point défendu. Ses soldats mettent leur bouclier sur leur tête, montent sans bruit, entrent dans la ville et vont prendre à dos les assiégés qui étaient occupés à défendre les brèches. Le combat fut opiniâtre, mais enfin la victoire se déclara pour Mauni qui se rendit maître de la place. La comtesse de Montfort y fit son entrée, y mit Robert d'Artois pour gouverneur et parla ensuite pour Hennebond. Olivier de Clisson et Hervé de Léon qui étaient dans Vannes, furent accusés de négligence en cette occasion. Piqués de cette imputation et de leur défaite, ils résolurent de rétablir leur honneur en reprenant cette place. En conséquence, ils rassemblent leurs amis, les gentilshommes, leurs vassaux qu'ils joignent à quelques troupes que leur avait données Charles de Blois, et en composent un corps d'environ douze mille six cents hommes. Robert de Beaumanoir, maréchal de Bretagne, vint lui-même avec quelques soldats augmenter cette armée. Clisson s'avança vers Vannes, dont il forma le siége qui fut poussé avec tant de vigueur que les assiégeants entrèrent par les mêmes brèches qu'on n'avait pas encore eu le temps de réparer. La garnison fut taillée en pièces.
Quelque temps après, le roi des Anglais, Edouard III, protecteur de Monnfort, vint en personne en Bretagne avec une flotte considérable, et débarqua au Morbihan. Il s'empara d'abord de Rohan, de Pontivy et de quelques autres places peu importantes ; puis, pour jeter tout d'un coup la terreur dans la province, il assiégea trois places à la fois, Vannes, Nantes et Rennes. Pendant ce temps, Louis d'Espagne qui tenait la mer, enlevait tous les convois qui venaient d'Angleterre. Il attaqua même la flotte des Anglais, leur prit quatre vaisseaux et en coula trois à fond. Pour conserver le reste de sa flotte, Edouard en envoya une partie à Brest, et l'autre à Hennebond.
Cependant les Anglais ne pouvant s'emparer de Rennes et de Nantes, réunissent toutes leurs forces contre Vannes. Le siége est poussé avec vigueur : tous les jours il se livre quelque combat. Hervé de Léon et Olivier de Clisson sont faits prisonniers ; mais la captivité de ces deux guerriers n'abat point le courage de la garnison ; elle continue de se défendre avec valeur.
Sur ces entrefaites, arrive le roi de France qui fait offrir le combat au roi d'Angleterre ; ce monarque au lieu de l'accepter, entre en négociation et conclut, à Malestroit, une trève qui devait durer trois ans entre lui et le monarque français, Charles et Montfort. Cette trève se fit le 19 janvier 1343, par l'entremise de deux cardinaux que le pape Clément VI avait envoyés en Bretagne.
Cette guerre durait depuis trois ans, lorsqu'en 1344 un acte de sévérité de Philippe de Valois vint doubler l'ardeur et les forces du parti qu'il combattait. Olivier de Clisson, Godefroi d'Arcourt et plusieurs autres seigneurs firent secrètement un traité avec le roi d'Angleterre, quoiqu'à l'extérieur ils demeurassent attachés au parti de Charles de Blois. Le comte de Salisbury fut le dépositaire de tous les secrets et des lettres scellées de leurs sceaux, par lesquelles ils promettaient au roi des Anglais de prendre le parti de Montfort.
Arrivé en Angleterre, Salisbury apprit de son épouse l'outrage que lui avait fait Edouard, et fut si enflammé de colère contre ce prince qu'il repassa en France, révéla à Philippe l'existence du traité qu'on venait de faire, et lui montra les noms des coupables qui l'avaient chargé de leurs lettres. Philippe, sans autre forme de procès, donna ordre de les arrêter dans un tournoi, et fit trancher la tête à Clisson et à treize de ses complices. Le corps de Clisson fut pendu aux fourches de Montfaucon ; sa tête fut portée à Nantes placée sur le bout d'une tance, puis exposée à l'une des portes de la ville. Cette cruelle exécution répandit la crainte, mais elle inspira aussi l'horreur, parce qu'elle n'était pas juridique.
A la nouvelle du supplice de Clisson, Jeanne de Belleville, sa veuve, rassemble quelques gentilshommes, va droit à un château qu'occupent les troupes de Charles de Blois, laisse une partie de ses soldats en embuscade et se présente, accompagnée seulement de quarante chevaliers. On ignorait le sort de Clisson ; on croit que son épouse voyage pour une partie de chasse ; on l'introduit sans défiance. A l'instant le son du cor avertit sa troupe, cachée dans le bois ; elle accourt, attaque, remporte la victoire et passe tous les vaincus au fil de l'épée.
Après ce fait d'armes, la nouvelle héroïne équipa quelques vaisseaux, alla désoler les côtes voisines, attaqua tous les bâtiments français qui se présentèrent, et, chargée de leurs dépouilles, vint offrir à la comtesse de Montfort ses armes et son ressentiment.
Pendant ce temps-là, Charles était allé mettre le siége devant Quimper. La ville fut prise d'assaut et livrée au pillage. Déjà près de quinze cents personnes avaient été égorgées, lorsque Charles, attendri par un de ces spectacles dont l'impression est si forte sur les âmes sensibles, retint le bras de ses soldats et cria de toutes ses forces : épargnez les vaincus.
Une femme avait reçu le coup de la mort pendant qu'elle allaitait son enfant. Cette innocente créature que guidait le seul instinct n'avait pas abandonné la mamelle de sa mère mourante et baignée dans son sang. Charles qui passe par hasard dans ce lieu-là, aperçoit cet enfant : il frémit ; son âme est émue, et la voix de la nature qui parle au fond de son cœur, le presse de faire cesser le carnage.
Ce fut à peu près dans ce temps-là que Jean de Montfort fut délivré de sa prison par le moyen de quelques pauvres qui le déguisèrent en marchand. Aussitôt qu'il fut en liberté, il passa droit en Angleterre pour demander du secours à Edouard ; mais ce prince qui armait alors pour venger le supplice de Clisson, ne put lui donner que très-peu de soldats. Avec cette petite troupe, commandée par les comtes de Northamton et d'Oxford, Jean de Montfort passa la mer. Arrivé en Bretagne, il y leva d'autres troupes et alla mettre le siége devant Quimper ; mais Charles de Blois qui avait une armée bien supérieure, l'obligea à se retirer. Montfort ne vécut pas longtemps après. Accablé de chagrins, épuisé de fatigue, il mourut à Hennebond, le 26 septembre 1345. Son corps fut porté à Quimperlé et mis dans un tombeau de bronze, dans l'église des Jacobins.
Quelque temps après la mort de Jean de Montfort, le comte de Northamton prit la ville de Carhaix ; puis il assiégea Guingamp qui se défendit avec tant de valeur que l'Anglais ne put s'en rendre maître. De là il alla investir la Roche-Derrien [Note : Derrien, fils de Henri de Penthièvre, eut en partage la terre et la seigneurie de la Roche-Derrien où il fit bâtir un château fort, auquel il donna son nom, longtemps avant cette époque. Ce lieu s'appelait auparavant Roche-Jaudi], donna deux assauts à la ville et s'en empara. De la Roche il partit pour Lannion dans le dessein de prendre encore cette ville ; mais la contenance hardie des habitants l'ayant obligé de passer outre, il alla au pays de Léon pour y passer l'hiver et prendre un peu de repos. Le commandant de la garnison qu'il avait laissée à la Roche, se présenta aussi devant Lannion quelque temps après le départ de son général : il traita avec deux soldats de la ville qui lui ouvrirent une fausse porte, un dimanche au point du jour. Les Anglais entrèrent ainsi dans la ville, la pillèrent et tuèrent beaucoup d'habitants. Eveillé aux cris des victimes, un chevalier, nommé Geffroy de Pont-Blanc, sort du lit, prend une lance, repousse les Anglais le long de la rue, et se défend seul contre tous ; mais atteint enfin d'un trait que lui lance un archer, l'intrépide chevalier succombe. Les Anglais lui arrachèrent les dents et les yeux, et le firent ainsi mourir au milieu des tourments.
Sur ces entrefaites, Charles alla assiéger la Roche-Derrien à la tête de quinze mille hommes. Il fit faire des machines si grandes qu'elles lançaient des pierres de trois cents livres, dont il battait continuellement la ville et le château. Mais l'armée anglaise s'approcha du camp des assiégeants avec tant de précautions, que ceux-ci ne furent avertis de son arrivée que lorsqu'elle tomba sur leurs gardes vers minuit. L'alarme se répand parmi les soldats de Charles : le prince relève leur courage par sa présence et par son exemple ; il s'élance au milieu des ennemis, abat des têtes à droite et à gauche à la lueur des flambeaux, et fait prisonnier de sa propre main Thomas d'Ageworth, général anglais ; lui-même est pris trois fois et trois fois délivré par les siens.
La victoire était encore indécise, lorsque le commandant de la Roche-Derrien sortit avec cinq cents hommes d'élite, armés de haches, tomba sur les troupes qui gardaient Ageworth, brisa ses fers, et tua la plus grande partie de ceux qui le tenaient prisonnier. Ce fut là le commencement de la déroute de l'armée de Charles de Blois. Ce héros se voyant entouré des Anglais et ne pouvant être secouru, s'adossa contre un moulin à vent et combattit encore là comme un lion pendant quelques minutes. Mais, accablé par le nombre, couvert de dix-huit blessures et perdant ses forces avec son sang, il succomba de fatigues et d'épuisement. On le coucha sur un lit de plumes. Thomas d'Ageworth voulut l'obliger à se rendre à lui ; mais il répondit qu'il ne donnerait ses armes qu'à un chevalier breton, nommé Robert. Lorsqu'il fut en meilleure santé, on le conduisit à Quimperlé, de là à Vannes, de Vannes à Brest, de Brest à Hennebond, de Hennebond en Angleterre. Jeanne de Penthièvre, son épouse, se mit à la tête des affaires, et les dirigea avec prudence et courage.
Cependant les Anglais de la garnison de la Roche-Derrien ne cessaient de vexer les habitants des environs. Ceux-ci, soutenus par quelques troupes que le roi de France avait envoyées sous la conduite de Pierre de Craon , allèrent attaquer la garnison anglaise. Les Anglais ne pouvant tenir contre la valeur des assiégeants, proposèrent de capituler. Ceux-ci leur refusèrent toute composition et se préparèrent à recommencer les assauts. Pierre de Craon promet cinquante écus au soldat qui entrera le premier dans la place ; il met cette somme dans une bourse de cuir au bout d'une pique, afin que toute la troupe puisse la voir. Cinq braves sapent la muraille et en font tomber cinquante pieds de largeur. Aussitôt un soldat monte et gagne le prix : la ville est prise et pillée. Tous ceux qui s'y trouvèrent furent passés au fil de l'épée, à la réserve de deux cent cinquante hommes de garnison qui se sauvèrent dans le château. Ils furent obligés de capituler et obtinrent de sortir la vie sauve ; mais s'étant fait conduire à Quintin, ils s'y virent assaillis par les artisans et les bouchers qui les massacrèrent.
Au milieu du tumulte et du bruit des armes, les Bretons eurent la consolation de voir canoniser à Avignon , par Clément VI, un saint prêtre, qui attirait leur vénération depuis plusieurs années ; c'était Yves Hélory de Kermartin (diocèse de Tréguier) (1347 ou 1348). Ses miracles avaient porté sa gloire et son nom dans toute la France et même dans les royaumes étrangers.
Cependant les Anglais, auxiliaires, ou ennemis, commençaient à devenir odieux au peuple breton qui ne les désignait plus que par ces mots : ar zozon barbaret. Les grands eux-mêmes en étaient mécontents. Le maréchal de Beaumanoir qui commandait dans Josselin pour Charles de Blois, alla trouver Bembro, capitaine anglais, et lui reprocha avec force sa conduite lâche et barbare envers des malheureux sans défense. Bembro lui dit avec colère et suffisance : « Je m'étonne qu'un Breton ose accuser un Anglais de lâcheté ! Quel est celui de votre nation qui s'est rendu célèbre dans les armes ? Les Anglais, au contraire, ont rempli l'univers de leurs hauts faits, et méritent le premier pas entre toutes les nations du monde pour la valeur et pour le courage ». Beaumanoir, piqué jusqu'au vif, propose à Bembro, pour réponse à ses rodomontades, un combat de trente Bretons contre trente Anglais. Le défi est accepté, et le rendez-vous assigné au chêne, du Mi-Voie, entre Josselin et Ploërmel.
A la nouvelle, de ce qui s'était passé entre Beaumanoir et Bembro, tous les gentilshommes bretons de la garnison de Josselin briguèrent l'honneur de faire partie des trente, et Beaumanoir fut embarrassé relativement à la préférence, parce qu'il craignait d'humilier par un refus ceux qu'il ne pourrait comprendre au nombre des combatttants. Bembro au contraire, se trouva dans un embarras tout à fait différent ; il fut obligé pour compléter le nombre convenu de prendre des Flamands auxiliaires et quelques Bretons du parti de Montfort. Beaumanoir se rendit avec ses Bretons dans la plaine où l'on devait se battre, au jour et à l'heure indiqués ; c'était le quatrième dimanche de carême (1351).
Bembro se trouva aussi au lieu dont on était convenu, mais il y montra moins de fierté qu'à Ploërmel ; il proposa même à Beaumanoir de s'abstenir de toute hostilité. Beaumanoir lui dit nettement que les Bretons n'entendaient pas se déranger ainsi pour rien, et que les Anglais n'en seraient pas quittes à si bon marché. De gré ou de force il fallut donc se résoudre à combattre : Bembro range ses combattants sur une seule ligne de front, et les fait se serrer étroitement l'un contre l'autre, de manière à présenter l'aspect d'une muraille de fer, hérissée de piques et de fauchards. Beaumanoir de son côté met ses trente Bretons en bon ordre, à la vue d'un peuple immense qui attend avec impatience l'issue d'un combat qui va décider de la valeur des deux nations.
Les Bretons, bouillants d'ardeur, se précipitent impétueusement sur la redoutable ligne des Anglais : l'on se porte des coups si violents que le feu sort des armes. Thomelin Billefort, frappe avec un maillet pesant vingt-cinq livres, et Hucheton avec un fauchard tranchant des deux côtés. Quelques-uns tombent de part et d'autre ; les autres s'attaquent corps à corps ; la lutte devient si furieuse, que les combattants se voient obligés de se retirer de concert pour prendre haleine et se rafraîchir. Un instant après le combat recommence avec tant d'acharnement que la sueur ruissèle sur tous les corps. Bembro saisit Beaumanoir à la gorge et le somme de se rendre : au même moment Alain de Keranraix [Note : Alain de Keranraix, de Plouaret, Olivier Arrel, seigneur de Kermarquer (Lézardrieux) et Geslin de Tronguidy (près Treguier) étaient du nombre des trente héros bretons] porte un coup de lance à l'Anglais et le renverse par terre ; un chevalier, nominé Geoffroy du Bois, l'achève d'un coup d'épée qui le perce de part en part. Beaumanoir, affaibli par ses blessures, épuisé de fatigues, demande à boire : bois de ton sang, lui dit un de ses compagnons d'armes, et ta soif se passera. Ces mots terribles le font rougir : il rentre au combat, reprend ses forces et veut se faire jour au travers des rangs ennemis ; mais ses efforts sont inutiles. Guillaume de Montauban qui le suit, s'écarte de la mêlée, saute sur un cheval et feint de s'éloigner. Beaumanoir lui crie à pleine tête : où vas-tu, faux et mauvais chevalier ? pourquoi nous abandonnes-tu ? Il sera reproché à toi et à ta race à jamais. Montauban, sentant son cœur se gonfler de courage, lui répliqua sans s'étonner : ouvre (travaille) bien de ta part, maréchal, et je ferai tout devoir de mon côté. A. l'instant il se précipite comme un lion sur les insulaires, en abat sept du premier effort, et trois au retour. Les Bretons entrent incontinent dans les rangs éclaircis, y jettent le désordre, frappent, renversent, assomment et massacrent les Anglais, à ces cris répétés des spectateurs bretons : honneur et victoire !
Telle fut l'issue du combat des trente, si célèbre dans les annales de la Bretagne, et si glorieux pour la nation bretonne [Note : Quelques historiens prétendent que les Anglais furent tous ou tués ou pris]. (1351). Quoique la valeur qu'y déployèrent tous les combattants des deux partis fût telle qu'elle passa en proverbe, cependant Tinteniac [Note : Il existe actuellement à Lorient un descendant de la famille du célébre Tinteniac, M. Ange de Tinteniac], du côté des Bretons, et Crocart du côté des Anglais, eurent le principal honneur dans cette action.
Cette année-là, le roi Jean II, successeur de Philippe VI, et comme lui, protecteur de Charles de Blois, envoya en Bretagne une armée considérable, sous le commandement du maréchal d'Offernont et du comte de la Marche. La comtesse de Montfort se dispose à résister vigoureusement : elle ramasse une petite armée d'Anglais et de Bretons, et en donne le commandement à Tanguy ou Tanneguy du Châtel, à Yves de Tréziguidi et à Garnier de Cadoudal, tous trois grands capitaines. Ceux-ci marchent au-devant de l'armée française, qu'ils rencontrent dans la paroisse de Mauron. Le maréchal, qui a des troupes supérieures, méprise le petit nombre des ennemis et les attaque aussitôt qu'il les aperçoit. Sa présomption lui coûta cher. Tanguy du Châtel fond sur le corps des troupes aux ordres du maréchal, l'enfonce, tue le chef de sa propre main et met ses soldats en déroute. Le carnage fut grand : le comte de la Marche y périt avec sa compagnie. Le vicomte de Rohan, le sire de Tinteniac qui s'était couvert de gloire à la bataille des trente, y furent tués aussi, ainsi qu'un grand nombre d'autres seigneurs.
Peu de temps après, Charles de Blois fut mis en liberté, moyennant une rançon de cent mille florins d'or, et en laissant ses deux fils à sa place comme otages : Devenu libre, il retourna en Bretagne et y continua la guerre pendant quelque temps sans rien faire de décisif. C'est à cette époque que commença la réputation de deux capitaines qui se sont illustrés par de hauts faits d'armes. Olivier de Clisson, après la mort de son père, avait été jeté par sa mère dans le parti de Montfort. Bertrand du Guesclin [Note : Du Guesclin était fils de Robert du Guesclin, seigneur de Broons, et de Jeanne de Malemains, fille de Foulques de Malemains] se trouvait sous la bannière de Charles de Blois. Les exploits de ce Breton n'étaient encore que des coups de main de partisan ; mais nous allons le voir signaler une valeur et des talents qui lui ont si bien mérité le titre de héros.
En 1356, il entreprit de s'emparer du château de Fougerai, gardé par deux cents Anglais que commandait un écuyer de leur nation. Un jour que ce capitaine était sorti, du Guesclin posta ses soldats en embuscade et se déguisa en bûcheron, avec trois des plus braves des siens qui mirent un fagot sur leurs épaules. Ainsi chargés, ils se présentent devant le château pour vendre leur bois. Le portier descend, accompagné de deux soldats, pour leur ouvrir la porte. Du Guesclin avait eu soin de cacher une hache avec laquelle il assomme le portier, tandis que ses compagnons se jettent sur les autres. Ceux qu'il avait mis en embuscade se présentent au premier signal, et entrent dans le château dont ils lèvent le pont-levis, dans la crainte que le capitaine anglais ne vienne avec sa troupe. La garnison accourut au bruit. Du Guesclin, armé d'une hache, eut à combattre sept des plus vigoureux Anglais ; il en terrassa deux et fit reculer les autres. Enfin, après bien de la résistance, les Anglais cédèrent et la place fut prise par les Bretons qui y trouvèrent un bon dîné, préparé par les vaincus. Sur le soir, du Guesclin sortit avec cinquante cavaliers et se mit en embuscade sur le chemin que le capitaine anglais devait prendre. En effet, celui-ci arriva à la nuit, donna dans le piège et y perdit la vie, ainsi qu'un grand nombre des siens ; les autres furent faits prisonniers et conduits à Fougerai. Du Guesclin mit une garnison dans cette ville et vola de suite au secours de Rennes.
Le duc de Lancastre s'était présenté devant les murailles de cette ville avec une armée considérable, l'avait investie de toutes parts et en avait fermé si bien les issues qu'il était impossible de la secourir et d'y faire passer des vivres. Le dessein du prince anglais était de se faire une place d'armes de Rennes, et il avait juré qu'il ne s'en éloignerait que lorsqu'il s'en serait rendu maître. Cependant du Guesclin qui n'avait pas pu s'enfermer dans la ville assiégée, cherchait tous les moyens de faire échouer les entreprises des Anglais : il courait la campagne, côtoyait perpétuellement les ennemis, s'emparait de leurs convois, enlevait leurs quartiers, détruisait leurs vivandiers et les battait au fourrage. Il fit prisonnier un de leurs chefs, le baron de la Poole, guerrier recommandable par sa bravoure et sa naissance. Le nom de cet Anglais donna lieu à la plaisanterie des soldats de Bertrand : ils disaient que l'aigle bretonne avait plumé la poule anglaise.
Bertrand, fâché de ne pouvoir entrer dans Rennes, offrit au baron la remise de sa rançon, à condition qu'il irait demander au duc de Lancastre et qu'il en obtiendrait pour lui et les siens la liberté du passage pour pénétrer dans la ville. La Poole se rendit auprès du duc, qui lui répondit qu'il se garderait bien d'accepter une telle condition, et qu'il aimerait mieux apprendre que cinq cents archers seraient entrés dans Rennes, que du Guesclin tout seul. Le baron rejoignit son vainqueur avec cette réponse et se constitua son prisonnier.
Cependant le siège continuait malgré l'extrême rigueur de l'hiver, et les incommodités de la saison n'interrompaient pas les courses de du Guesclin. Les Anglais commençaient à murmurer dans leur camp. Fatigués par le froid excessif, maltraités par les assiégés, ils ne voulaient plus entendre parler d'assaut ni d'escalade. Le duc de Lancastre ne voulut point pourtant abandonner son entreprise avant d'avoir tenté tous les moyens possibles. Il fit creuser un souterrain qui devait aboutir au milieu de la ville : son dessein était de faire entrer par-là autant de monde qu'il en faudrait pour la prendre. L'ouvrage était déjà fort avancé, lorsque Bertrand de Saint-Pern [Note : M. de Saint-Pern-Coüellan, de Dinan, descend de la famille de ce célèbre Breton], parrain de du Guesclin, fit faire l'ouverture de la mine, se jeta dedans avec quelques hommes d'élite, massacra un grand nombre d'Anglais, poussa les autres, mit le feu aux merrains qui soutenaient les terres, et le souterrain fut comblé.
Cependant la disette commençait à se faire sentir et la consternation était générale. Pour aviser aux moyens de se tirer d'affaire, un nommé le Tort-Boiteux de Pencoët, gouverneur de la ville, assembla son conseil de guerre. On décida qu'il fallait se rendre, et tâcher d'obtenir une capitulation honorable. A l'instant, un bourgeois de la ville, connu par ses vertus et son amour pour sa patrie, se lève dans l'assemblée et demande audience. « Messieurs, dit-il, le parti que l'on vient de prendre me paraît un peu précipité ; s'il est suivi, notre prince perd pour jamais le duché de Bretagne ; cette considération doit nous retenir et nous empêcher de rendre cette ville sans la participation de notre souverain. Il faut le prévenir de notre situation, et voici ce que j'ai à vous proposer : je me rendrai au camp des Anglais ; je feindrai un mécontentement qui m'a forcé de m'échapper de la ville ; je dirai au duc de Lancastre qu'on attend ici à toute heure un renfort de quatre mille hommes ; je lui enseignerai la route qu'ils doivent tenir et l'engagerai à aller au-devant d'eux pour les combattre ; je tâcherai ensuite de m'évader et de me rendre à Nantes auprès de notre souverain ».
Cette proposition fut reçue avec un applaudissement général ; on sonna toutes les cloches en forme de réjouissance, et le lendemain on fit une sortie. Le brave bourgeois, mêlé parmi les soldats, se rend aux Anglais et demande à parler au duc de Lancastre, qu'il a le bonheur de persuader. Le prince anglais part le lendemain et va au-devant du prétendu secours. Le bourgeois trouve le moyen de s'échapper et prend le chemin de Nantes. Il rencontre sur sa route Bertrand du Guesclin, auquel il raconte son stratagême. Le héros breton, transporté de joie, dit à ses gens : Marchons hardiment ; nous entrerons aujourd'hui dans la ville. Arrivé au camp des Anglais, il charge la garde avancée, la met en fuite, entre pêle-mêle dans le camp avec les fuyards qu'il passe presque tous au fil de l'épée. Il prend ensuite le chemin de Rennes, rencontre sur sa route deux cents chariots chargés de farines et de viandes, que les paysans conduisaient aux Anglais ; il les oblige à défiler vers la ville et y entre lui-même à la tête du convoi ; puis il fait payer aux paysans la valeur de leurs marchandises et les renvoie. Ensuite il visita les fortifications de la place. En faisant sa ronde, il aperçut dans la prairie du Pré-Raoul, auprès des fossés, un troupeau de plus de deux mille porcs, appartenant aux Anglais. Vis-à-vis de cette prairie et de la rivière qui la séparait de la ville, était une fausse porte qu'on tenait toujours fermée. Bertrand ordonne de l'ouvrir, d'y faire placer une truie et de lui tenailler les oreilles. Aux cris de cet animal tous les cochons se mirent à la nage, passèrent la rivière, et déjà ils étaient entrés par la porte au nombre de plus de douze cents avant que les insulaires s'en fussent aperçus. Ils accoururent ; mais les soldats, placés pour protéger cette amusante désertion, tuèrent environ trente Anglais, en prirent un pareil nombre et mirent les autres en fuite.
Sur ces entrefaites, les ennemis firent construire un beffroi, espèce de tour carrée de la hauteur des remparts, avec un pont roulant que l'on poussait jusqu'au parapet des murs, de sorte que les assiégés et les assiégeants combattaient de la main à la main. Du Guesclin forme le projet de détruire le beffroi. Il fait sortir cinq cents arbalétriers, chargés chacun d'une fascine soufrée, et en dispose cinq cents autres dans la ville, avec quelque cavalerie pour les soutenir en cas de besoin. Il sort au point du jour, tenant d'une main une torche et de l'autre son épée, charge vigoureusement les Anglais, en tue trois cents, culbute les autres, brise les portes de la tour à coups de hache et la livre aux flammes. Le duc de Lancastre, tout furieux, envoie le comte de Pembroc pour couper la retraite à du Guesclin. L'intrépide Breton marche aux Anglais, les fait charger en tête et en queue et les taille en pièces. Le duc de Lancastre accourt avec une troupe plus nombreuse ; Bertrand vole à lui, le défait et l'oblige à lever le siége.
Charles de Blois, arrivé à Rennes, donna à du Guesclin le château de la Roche-Derrien pour le récompenser des services qu'il venait de lui rendre.
En 1359, le duc de Lancastre ménagea une trève entre Charles de Blois et le jeune comte de Montfort, et quitta la Bretagne pour se rendre en Angleterre, dont le roi venait d'entrer en France avec une armée. Le monarque Anglais donna alors le gouvernement de la Bretagne à Robert de Herlé et à Jean de Bukingham.
L'année suivante, les hostilités furent suspendues en Bretagne par le traité de Brétigny, où le roi de France et le roi d'Angleterre convinrent d'arranger à l'amiable les prétentions des deux comtes. Ceux-ci comparurent devant les deux monarques qui leur proposèrent de partager le duché ; mais ils refusèrent les conditions, et la guerre recommença avec plus d'ardeur que jamais. Les deux rois n'y voulurent prendre aucune part ; seulement ils permirent à leurs sujets de s'y engager.
En 1363, Charles entra en campagne, prit plusieurs places et assiégea Bécherel. Montfort accourut avec ses troupes, assiégea lui-même Charles de Blois dans son camp et le força à se retirer. On convint alors de se rendre à Evran pour y terminer la guerre par une bataille décisive : on s'y rendit en effet, et les deux armées, rangées en ordre, allaient en venir aux mains, lorsque quelques évêques qui étaient à la suite de ces princes, s'entremirent pour arrêter l'effusion du sang. On leur proposa le partage du duché : ils y consentirent. Le comté de Rennes devait appartenir à Charles de Blois et le comté de Nantes au jeune Montfort.
Mais le moment de la tranquillité de la Bretagne n'était pas encore venu. Lorsque Charles de Blois présenta le traité à la comtesse, elle lui répondit : Je vous avais épousé pour défendre mon héritage, et non pour en céder la moité. Je ne suis qu’une femme ; mais je perdrai la vie, et deux si je les avais, plutôt que de consentir à une pareille cession. Ces reproches empêchèrent Charles de ratifier le traité, et la guerre continua.
Le roi de France, Jean II, fait prisonnier par les Anglais, à la bataille de Maupertuis, était mort à Londres : Charles V lui succéda. Ce prince, attaché aux intérêts du comte de Blois, envoya du Guesclin avec une armée en Bretagne. Du Guesclin se joignit à Charles et alla avec lui lever le siége d'Auray, attaqué par Jean de Montfort et l'Anglais Chandos. Ici va se livrer la célèbre bataille qui doit enfin décider du sort de la Bretagne.
Le 29 septembre 1364, au point du jour, les deux armées se déployèrent dans la plaine, n'ayant entr'elles qu'un ruisseau. Des deux côtés on voyait flotter les bannières de Bretagne. Les deux chefs portaient les hermines sur leurs cottes-d'armes. Charles de Blois, après avoir reçu l'eucharistie, range son armée en ordre de bataille, en fait trois corps et une arrière-garde. Jean de Montfort de son côté partage aussi ses troupes en trois corps et une arrière-garde, embrasse ses officiers, en laissant échapper quelques larmes, fait le signe de la croix, monte à cheval. Les cors et les trompettes des deux armées donnent le signal du combat. Les Français attaquent les premiers. Un chevalier à qui Montfort avait donné des armes pareilles aux siennes, s'élance dans la mêlée, en criant de toutes ses forces : Bretagne ! Bretagne ! Charles de Blois, où es-tu ? Viens te mesurer avec moi. Charles de Blois, croyant que c'était Montfort s'arme d'une hache d'acier, se précipite sur cet homme et l'abat à ses pieds d'un seul coup. Jean de Montfort l'ayant appris, vole de ce côté-là. Charles le reconnaît et s'avance pour recommencer le combat. L'un et l'autre excitent les soldats par leur exemple : de part et d'autre se font des prodiges de valeur. Cependant l'impétuosité française ébranle la ligne ennemie, et Louis de Châlons a l'honneur d'abattre l'enseigne de Montfort, que Robert Kernoles relève à l'instant. Clisson qui combat à l'une des aîles de l'armée de Montfort, reçoit un coup de lance qui lui crève un œil. Cet accident ne le rend que plus furieux ; une hache à la main , il ouvre les rangs et se fait jour à travers les bataillons les plus serrés. Du Guesclin de sou côté, en criant Notre-Dame, frappe avec fureur d'un marteau d'acier et abat tout devant lui. Chandos l'ayant aperçu, appelle les siens qui tous ensemble fondent sur le guerrier breton, lui déchargent vingt coups à la fois et le font tomber de cheval. Charles de Dinan vole à son secours et d'un coup de hache fait sauter la cervelle à Richard de Cantorbéry, son beau-frère. Chandos irrité, anima les siens à le venger. Du Guesclin s'attache à ce capitaine et Beaumanoir à Gautier Huet, qu'il abat à coups de lance. Enfin, la victoire allait se décider pour la valeur de Charles, lorsqu'un corps de réserve que Clisson avait disposé pour décider le combat, vint prendre à revers les troupes du comte de Blois et les mit en désordre.
Charles, qui dans ce moment se couvrait d'une nouvelle gloire par ses faits d'armes, se vit tout-à-coup séparé des siens et entouré d'ennemis. Il recueille alors le reste de ses forces, et, comme un lion que la résistance rend furieux, assomme les assaillants à coups de hache ; mais accablé sous le nombre et le poids des armes, frappé à la bouche d'un glaive qui passe d'un demi-pied au-delà du cou, le héros tombe, se rend, meurt [Note : Le comte de Blois perdit six mille hommes dans cette bataille, sans compter les prisonniers]. Montfort, à la vue du cadavre de son compétiteur, versa des larmes et ordonna, avant de se retirer, de le transporter à Guingamp où il fut enterré honorablement.
Telle fut la fin de Charles de Blois, prince affable et pieux, brave jusqu'à la témérité, humble dans tous les états de sa vie, charitable envers les pauvres, dur envers lui-même jusqu'à porter habituellement un cilice et coucher sur la terre nue, ne supportant jamais à sa cour une parole qui pût blesser la pudeur. Pour tout dire en un mot, cet homme extraordinaire a mérité par sa valeur héroïque un rang distingué parmi les plus grands capitaines, et par l'éminence de ses vertus une place à côté de saint Louis. Sa mort mit fin à la guerre civile qui durait depuis vingt-deux ans, et dans laquelle on livra en Bretagne, quinze cents combats et deux cents assauts. Cette guerre avait ruiné la plupart des villes de la Bretagne et fait périr plus de deux cent mille hommes. Jeanne de Bretagne ou de Penthièvre, son épouse infortunée, se vit alors pour jamais privée de ses droits ; seulement le traité de paix qui se fit à Guérande lui assura le comté de Penthièvre et quelques indemnités en terres, notamment la vicomté de Limoges. Les princes, ses fils, furent retenus prisonniers en Angleterre. (1365).
JEAN DE MONTFORT ou JEAN IV.
Duc de Bretagne.
(1365).
Jean IV, surnommé le Conquérant, vainqueur à Auray, fut reconnu duc de Bretagne par le traité de Guérande. Il est évident qu'il devait cette élévation à l'alliance des Anglais, et par conséquent il était juste qu'il leur conservât de la reconnaissance ; néanmoins il fit hommage de son duché à Charles V, roi de France. (1366).
La Bretagne devint alors la victime d'un fléau nouveau : une foule de gens de guerre, Français, Anglais et autres, que la paix avait rendus à l'oisiveté, parcouraient les provinces et les ravageaient. On les nommait les grandes compagnies. Comme la France était particulièrement le théâtre de leur dégât, Charles V chargea du Guesclin de le délivrer de ces bandes. Du Guesclin leur envoya un héraut pour leur demander un sauf-conduit. Le héraut les trouva non loin de Châlons-sur-Saône. Hue de Caverlé, qui était leur chef principal, répondit qu'il verrait du Guesclin avec plaisir, et accorda le sauf-conduit. Du Guesclin alla les trouver et eut l'adresse de les décider à marcher avec lui à la conquête de l'Espagne. C'est ainsi qu'il délivra son pays de la présence et des ravages de ces pillards. Revenons à Jean IV.
La bonne intelligence ne fut pas de longue durée entre le prince breton et Charles V. Une guerre s'alluma entre la France et l'Angleterre. Montfort, par trop mauvais politique, se jeta sans nécessité dans le parti des Anglais, et ouvrit ses portes aux ennemis de la France. L'Anglais Milleborne entre en Bretagne, indispose le prince breton contre les barons de son duché et lui persuade de mettre toute sa confiance dans ceux de sa nation. Le trop crédule Jean IV se laissa gagner et mit des garnisons anglaises dans les villes de Quimper, de Lesneven, de Morlaix, etc. Partout les Anglais exercèrent leur barbarie, mais surtout à Morlaix. Les habitants de cette ville prirent le parti de se joindre à la noblesse du voisinage pour se défaire de leurs tyrans. Ils firent entrer secrètement dans la ville plusieurs compagnies françaises qui passèrent au fil de l'épée les trois cents hommes de la garnison. Le duc de Bretagne, offensé de cette trahison, s'avança avec une armée dans l'intention de livrer Morlaix au pillage. Les habitants, consternés, allèrent au-devant de lui, se jetèrent à ses pieds et obtinrent leur pardon ; mais ils furent obligés de livrer cinquante des plus coupables que le duc fit pendre. L'exécution se fit sur la place publique, devant le peuple convoqué à son de trompe. Le duc sortit ensuite de Morlaix après y avoir laissé une garnison anglaise de huit cents hommes. Cependant quelques grands seigneurs se déclarent contre Montfort et sollicitent le secours du roi de France. Le seigneur de Rohan surprend Vannes ; le seigneur de Laval s'empare de Dol ; Guillaume de Ploufragan se rend maître de la forteresse de Cesson, près Saint-Brieuc, que Jean IV, dit-on, avait fait construire. Clisson suivit l'exemple de ces hauts personnages, abjura le service du duc, entra dans celui du roi de France et alla rejoindre du Guesclin en Normandie.
Le connétable reçoit l'ordre de marcher sur la Bretagne (1370) ; il y accourt, s'empare de tout le duché, à l'exception de Brest, d'Auray et du château de Derval, au diocèse de Nantes. Robert Kernoles défendait ce château.
Montfort ne pouvant se soutenir par ses propres forces, passa en Angleterre pour y demander du secours. (1374). Le roi lui permit de lever sur les terres de sa domination deux mille hommes d'armes et trois mille archers, avec lesquels il s'embarqua et vint descendre à Saint-Mahé. En arrivant il attaqua le fort qui est auprès de l'abbaye Saint-Mathieu, en Bas-Léon, le prit et passa la garnison française au fil de l'épée. Après cela, il se rendit aussi maître de la ville du Conquet, de Saint-Pol-de-Léon et de Saint-Brieuc ; puis il marcha vers Quimperlé, dans le dessein de surprendre Clisson : peu s'en fallut qu'il n'y réussît. Clisson était hors de la ville, lorsque le duc y arriva. Averti de sa marche, il rentra bien vite : il était temps. A l'instant l'attaque commença. Clisson mit tout en usage pour se défendre ; mais prévoyant qu'il ne pourrait résister longtemps, et ne pouvant être secouru, il offrit de se mettre à rançon avec Beaumanoir. Le duc s'y refusa et voulut les avoir à discrétion. Clisson commençait à désespérer de son salut, lorsque tout-à-coup deux capitaines arrivèrent et annoncèrent aux assiégeants que le roi de France et celui d'Angleterre venaient de conclure à Bruges un traité dont les conditions étaient que chacun demeurerait saisi des places qu'il occupait, et qu'il y aurait suspension d'armes au moment même du premier avis. Le duc leva aussitôt le siége, publia la trève et congédia une partie de ses troupes. Les Anglais repassèrent la mer et le prince alla rejoindre son épouse à Auray. Après y avoir pris un peu de repos, il partit pour l'Angleterre avec la duchesse. Peu de temps après moururent Edouard et le comte de Cambridge, son fils. Le duc de Lancastre, déclaré régent du royaume, rompit aussitôt avec la France, vint en Bretagne et assiégea St-Malo qui avait une garnison française. Les assauts commencent et les Anglais y vont à couvert sous des manteaux de charpenterie. La place est battue par quatre cents pièces de canons [Note : Froissart]. Les Malouins se défendent avec un courage étonnant. Le duc de Lancastre, ne pouvant prendre la ville à coups de mitraille et de boulets, ordonne de pratiquer une mine. Morfouace fait une sortie brusque pendant la nuit avec des gens déterminés, attaque les mineurs, fait tomber leur ouvrage sur eux, pénètre dans le camp, renverse les tentes, tue quantité de monde et rentre dans la ville. Le siége est levé ; le duc de Lancastre retourne dans son pays. Du Guesclin, que le roi de France avait envoyé à Saint-Malo pour soutenir les assiégés, détacha Clisson pour aller attaquer Auray qui fut obligé de se rendre. Enfin, les Français reprirent toutes les places appartenant au duc de Bretagne qui était toujours en Angleterre.
Sur ces entrefaites, six mille Bretons partirent pour l'Italie, sous les ordres de Jean de Malestroit et de Silvestre Budes. La réputation dont jouissait la nation bretonne dans le métier des armes, avait engagé Grégoire XI à solliciter ce secours pour l'aider dans la guerre qu'il avait alors à soutenir. Quand les Bretons furent arrivés en Italie, on leur fit observer qu'ils allaient avoir affaire à la formidable seigneurie de Florence, et, comme ou leur demanda s'ils oseraient entrer dans cette province, ils répondirent fièrement que, si le soleil y entrait, ils y entreraient aussi. Ils ne tardèrent pas à prouver qu'ils savaient tenir parole. Ils marchèrent sur Bologne et assiégèrent la ville. Les soldats de la place et ceux du camp allaient et venaient sous sauf-conduit. Un jour les Allemands prirent querelle avec les Bretons touchant le point d'honneur. Les Allemands vantaient leur courage à la guerre et prétendaient au premier pas sur les Bretons. Un de ceux-ci, furieux de l'injure, leur répondit avec fierté : Les paroles ne sont rien : allons au fait. Il faut que vous vous fassiez connaitre tels que vous vous dites ; sortez de la ville : nous vous ferons présent de trois coups de lance et d'un plus grand nombre, si vous le désirez. Le défi est accepté, le jour et le combat fixés au lendemain.
Dix Bretons doivent se mesurer avec dix Allemands. Le bruit s'en répand partout. Toute la ville se porte sur les créneaux ; toute l'armée bretonne est sur les rangs pour voir l'évènement de ce combat. Les champions se présentent, le signal se donne, les deux partis se battent avec fureur pour soutenir l'honneur de leur nation ; mais enfin la valeur des Bretons l'emporte ; les Allemands sont hachés [Note : D'Argentré fait monter à plus de soixante le nombre des villes et des châteaux pris et saccagés en Italie par les six mille Bretons dont on vient de parler]. Ce trait mémorable rappelle la fameuse journée des trente. Revenons aux affaires du duc Jean IV.
Charles V, non content d'avoir envahi tous les états de ce malheureux prince, voulut encore l'en dépouiller légalement. Montfort fut cité devant la cour des pairs ; mais l'ajournement ne lui fut point signifié, et comme on ne lui envoya point de sauf-conduit, on ne fut pas en droit de lui reprocher sa non comparution et de le condamner sans l'entendre. Dans la délibération, le monarque prit la parole, accusa le duc, son vassal, de s'être ligué avec le roi d'Angleterre contre la France, d'avoir envoyé un cartel de défi au roi, son seigneur d'avoir couru le royaume avec ses ennemis et d'y avoir commis des hostilités. En conséquence, il fut déclaré criminel de lèse-majesté et déchu de ses droits au duché de Bretagne, qui fut regardé comme contisqué et uni à la couronne de France.
Charles envoya quelques seigneurs pour exécuter l'arrêt rendu contre le duc. Ce monarque pensait que ses commissaires ne trouveraient pas de grands obstacles, malgré les dispositions peu favorables que lui avaient montrées plusieurs seigneurs bretons en quittant sa cour ; mais il se trompait, et peut-être n'y avait-il pas un seul homme dans le pays qui désirât changer de souverain. Nous voulons, disaient-ils, un duc qui demeure parmi nous : telle est notre résolution. Nous nous sommes défendus de l'esclavage des Français pendant mille ans ; nous nous en défendrons encore aujourd'hui.
Les Bretons étaient mécontents de leur duc, et ses faveurs pour les Anglais en étaient la cause ; mais ce n'était pas une raison pour qu'ils voulussent passer sous la domination de la France. Indignés de la conduite du roi qui avait disposé de la Bretagne sans le consentement de la nation, quarante gentilshommes s'associent pour le maintien de l'indépendance du pays. Les bourgeois de Rennes les secondent dans leur projet. Nantes ferme ses portes ; tout le monde prend les armes, et l'on envoie à la hâte une députation de seigneurs en Angleterre porter au duc le vœu des Bretons pour son retour. Jean IV monte sur un petit bâtiment, suivi de cent hommes d'armes et de deux cents archers, et vient débarquer à l'entrée de la Rance. Une foule de monde s'y était porté au-devant de lui. Les grands seigneurs se jettent dans les flots pour être les premiers à l'approcher ; ils se mettent à genoux dans la mer ; ils ont de l'eau jusqu'au menton (1379) [Note : L'histoire rapporte que le 22 juillet de cette même année, il y eut dans la rivière de Blavet, qui passe à Hennebond, flux et reflux jusqu'à trente-deux fois entre le lever et le coucher du soleil. D'Argentré prétend que la mer monta et se retira jusqu'à trente-trois fois. La même chose, arriva dit-on, dans la Tamise]. Le peuple se précipite sur son passage. Il se rend d'abord à Dinan où les seigneurs viennent le complimenter et lui offrir leurs services. Sensible à leurs soumissions, le duc leur en témoigne sa vive reconnaissance et les renvoie chez eux pour se préparer à la guerre. Vannes fut choisie pour le rendez-vous des troupes. Lorsqu'elles y furent assemblées, Montfort marcha contre les Français, commandés par le duc de Bourbon et le duc d'Anjou ; mais ceux-ci se virent bientôt obligés, à cause de la désertion de leurs soldats, de demander une trêve qui leur fut accordée pour un mois.
Sur ces entrefaites, le duc convint avec le roi d'Angleterre qu'il ne traiterait point avec le roi de France sans son consentement. Ce dernier mourut en 1380, et laissa sa couronne à Charles VI, son fils. Le duc de Bretagne qui n'avait aucun sujet de plaintes contre le nouveau roi, aurait bien voulu faire alliance arec lui ; mais le projet était difficile, à cause de son traité avec le roi d'Angleterre qui devait lui envoyer six mille hommes. Ce secours débarqua effectivement à Calais et se rendit en Bretagne par la France, sous le commandement du comte de Bukingham. Montfort reçut le général anglais d'un air satisfait et l'engagea à aller prendre ses quartiers d'hiver à Rennes ; mais on lui en ferma les portes et on lui déclara qu'on ne recevrait point son armée.
Le duc était à Vannes et ne se pressait point de se rendre à Rennes. On lui annonça que les Anglais, las de l'attendre, venaient le trouver pour lui demander un asile. Il part à l'instant, arrive dans la ville et trouve le peuple effrayé à la vue des étrangers. L'antipathie des Bretons pour les Anglais était telle, que Montfort prit le parti de les renvoyer et de traiter avec la France. (1381). Les principales conditions du traité furent que la ville de Nantes serait rendue au duc et qu'il irait trouver le roi, suivi des principaux seigneurs de son duché. Jean partit alors pour Compiègne et y rendit hommage à Charles VI, après s'être réconcilié avec Clisson, devenu connétable depuis la mort de du Guesclin [Note : Du Guesclin, disgracié à la cour de France, sur les faux rapports de la Rivière, partit pour l'Espagne en 1380 tomba malade en route, mourut le 13 juillet devant Châteuneuf-Randon qu'il assiégeait, et fut transporté à Paris. En mourant il légua au tombeau de saint Yves cinq cents livres de cire blanche]. Ainsi se rétablit enfin en Bretagne une paix depuis si longtemps désirée. Il ne restait plus qu'à obtenir du roi d'Angleterre le retour de la duchesse de Montfort, la restitution du comté de Richemont et l'évacuation de Brest que les Anglais tenaient alors en leur pouvoir. Richard céda sur le premier article, marchanda sur le second et se refusa au troisième. Quelques années après, Olivier de Clisson qui méditait la conquête de l'Angleterre, fit construire des vaisseaux dans tous les ports de la Bretagne ; il fit aussi construire à Tréguier une ville en bois de trois mille pas de diamètre. On la montait ou la démontait à volonté : elle devait servir de tente aux troupes en pays ennemi. Après avoir achevé ses préparatifs, Clisson mit à la voile, mais une violente tempête dispersa ses vaisseaux, et fit manquer l'expédition qui avait coûté trois millions.
La veuve de Charles de Blois mourut deux ans auparavant. (1384 ). Clisson délivra de prison les enfants de cette princesse en payant pour leur rançon une somme de cent vingt mille livres, plus d'un million de notre monnaie (1387). Il y avait trente-quatre ans que ces princes étaient détenus en Angleterre, et il est probable qu'ils y seraient demeurés long-temps encore, si l'ambitieux connétable n'eût voulu marier une de ses filles avec l'aîné, nommé Jean, comte de Penthièvre, héritier présomptif de la couronne de Bretagne. Ce projet déplut si fort au duc de Bretagne, qu'il résolut de se rendre maître de la personne de Clisson et il s'avisa pour y parvenir du moyen le plus lâche. Il avait convoqué les états à Vannes, et Clisson s'y rendit sur une invitation spéciale. Après la clôture de cette assemblée, Montfort invita le connétable, le sire de Laval et Beaumanoir à venir voir le château de l'Hermine qu'il venait de faire construire près de Vannes. Ils se rendent à l'invitation du duc et l'accompagnent au château. Jean les mène de chambre en chambre et les fait boire de son vin à la porte du cellier. De là, il les conduit vers la maîtresse-tour, s'arrête à l'entrée de la porte et prie Clisson d'examiner cette pièce. Clisson entre sans défiance ; mais à peine franchi quelques degrés que la porte se ferme. Des hommes s'élancent sur lui, le désarment, le chargent de fers et le jettent dans un cachot. Le sire de Laval, ayant entendu la porte se fermer, tremble pour le connétable, et dit au duc : Haa, Monseigneur, pour Dieu, merci. Que voulez-Vous faire ? Montfort, plus vert qu'une feuille, lui ordonne de sortir. Beaumanoir entre à l'instant et demande où est Clisson. Montfort s'avance contre lui, un poignard à la main : Veux-tu être, lui dit-il, au point où est ton maitre ? — Oui, Monseigneur. — En ce cas-là, lui dit le duc, il faut te crever un œil [Note : Clisson avait perdu un œil à la bataille d'Auray]. Beaumanoir se jette à ses genoux et le supplie de ne pas se déshonorer. Or va, répondit le duc, tu n'auras ni pis ni mieux. On le mena aussitôt dans une chambre et on le lia avec trois chaînes.
Aussitôt le duc appelle Bazvalen qui avait la garde du château, et lui ordonne de faire mourir le connétable cette nuit même. Le sire de Laval, averti par Bazvalen de cet ordre barbare, se met à deux genoux devant le duc et le conjure de renoncer à ce dessein. Les prières, les remontrances, tout fut inutile. Montfort réitère ses ordres. Bazvalen se retire consterné ; puis le duc se met au lit en jurant que cette fois il sera vengé de Clisson. Quand le repos eut un peu ralenti la fougue des premiers mouvements, Montfort fut cruellement agité par diverses réflexions ; il attendait le jour dans les plus cruels tourments. A peine avait-il paru qu'il envoya chercher Bazvalen. Bazvalen arrive ; Montfort lui demande si ses ordres sont exécutés : oui, Monseigneur, répondit-il. Quoi ! s'écrie le duc, Clisson est mort ! ah ! Dieu, mon créateur ! ah ! messire Jehan ! voici un piteux reveil-matin. Mon Dieu, je vois bien que je ne serai jamais sans détresse. Retirez-vous, Bazvalen, et ne paraissez oncques devant moy. Bazvalen obéit. Montfort se tourmente, gémit, jette des cris dignes de compassion, ne veut ni boire ni manger. Bazvalen le laisse un jour entier dans cet état faire sa pénitence. Enfin il se présente malgré la défense, et dit au duc : Monseigneur, je connais la cause de votre douleur ; je suis d'avis que vous y mettiez fin. — Voire, messire Jehan lui dit le duc, sinon à la mort. Alors ce vertueux officier lui dit que, prévoyant cette douleur, il avait osé lui désobéir, et que Clisson était encore en vie. A ces paroles, le duc, pleurant de joie, se jette au cou de Bazvalen et promet de le récompenser. En effet, il tint sa parole et donna depuis la valeur de 10,000 flor. à cet honnête homme [Note : La postérité de cet homme généreux existe encore à Vannes]. Le duc soupa, et le sire de Laval, averti de ce changement, se présenta de nouveau devant Montfort. Montfort lui dit qu'à sa considération seule il avait bien voulu faire grâce de la vie au connétable et le mettre à rançon. Il fixa cette rançon à cent mille livres d'or, exigeant en outre la remise de toutes les places qui appartenaient soit à Clisson, soit au comte de Penthièvre, c'est-à-dire, Josselin, Lamballe, Broons, Jugon, Blain, Guingamp, la Roche- Derrien, etc. Le duc exigeait en outre que le connétable renonçât à l'administration des biens du comte de Penthièvre ; qu'il ne délivrât point ce prince de sa captivité et qu'il rompît lui-même le mariage projeté. Clisson qui s'attendait à mourir, souscrivit aux conditions que le duc venait d'imposer. Beaumanoir procure les cent mille francs et Clisson sort de l'Hermine.
Sur-le-champ il se met en route pour Paris, y arrive avec une incroyable diligence, se plaint au jeune roi de l'injure que lui avait faite le duc de Bretagne, demande justice et vengeance. Le roi lui répondit qu'il se ferait rendre compte de cette affaire et qu'il en délibérerait avec les pairs du royaume, ajoutant qu'il avait, lui Clisson, commis deux fautes : la première, d'avoir assisté aux états de Vannes ; la seconde, de s'être laissé prendre comme un enfant. Le duc de Berri, oncle de Charles VI, accompagna de quelques paroles assez dures cette raillerie faite au connétable par un roi de dix-neuf ans. Clisson voyant bien par là que personne ne se chargerait du soin de sa vengeance, forma en Bretagne une ligue dans laquelle entrèrent plusieurs seigneurs de marque. Il commence par délivrer le comte de Penthièvre, ensuite il marie ça fille avec ce prince ; puis on vole aux armes, et dans l'espace de quinze jours, Guingamp et Châtelaudren sont obligés de se rendre, Lamballe est enlevée par escalade, Saint-Malo est surpris [Note : Quelques historiens prétendent que ce ne fut qu'à cette époque qu'on fit usage pour la première fois, en Bretagne, de la poudre à canon, inventée, dit-on, par Berthold, cordelier allemand]. Alors le roi s'entremit pour être l'arbitre du différent. Il envoya quatre ambassades au duc sans pouvoir en obtenir la restitution des terres, arrachées au connétable. Montfort, sommé de se rendre à Paris, ne voulait pas consentir à faire ce voyage ; cependant, pressé par les instances de ses conseillers, il partit pour la cour de France, accompagné de douze cents hommes, et fit une entrée solennelle dans la capitale. (1388). Clisson y était déjà. Le duc de Berri et le duc de Bourgogne introduisirent Jean IV, se mirent à genoux et supplièrent le roi d'avoir plus d'égard à la qualité du duc de Bretagne qu'à la faute qu'il avait commise. Charles se rendit à leurs supplications, fit manger à sa table le duc et Clisson, leur ordonna des restitutions réciproques et leur fit jurer la paix. Les conditions de cet arrangement ne furent point exécutées. La guerre recommença, fut suspendue par des traités, puis se ralluma encore.
Enfin on proposa de se réunir à Tours pour une conférence : la proposition fut acceptée. Le duc partit de Nantes avec une suite de quinze cents hommes et une escorte de galères, armées de canons. Le connétable et le comte de Penthièvre, son gendre, parurent aussi au lieu désigné dans un appareil également formidable.
Le duc, en attendant son audience, fut visité par tous les grands de la cour du roi, et tout semblait tendre à une parfaite intelligence, quand un léger accident pensa causer de nouveaux désordres. Quelques Français, ayant pris querelle au jeu de paume contre les Bretons, ils en vinrent aux prises dans la rue, et un indiscret jeta de la boue sur les armes du duc de Bretagne, qui était à la porte de son hôtel. Le bruit s'en répand de suite. Les Bretons, furieux de l'injure, prennent les armes, accourent pour venger leur duc ; mais le roi, ayant interposé son autorité, fit cesser le tumulte. Ensuite on s'occupa d'affaires, et après trois mois de négociations, on parvint à faire signer à ces irréconciliables ennemis un traité qui rétablit Clisson dans ses biens. Les cent mille francs d'or que le duc lui avait extorqués lui furent aussi rendus. (1392).
Quatre mois après cet accommodement, le connétable, sortant vers minuit de l'hôtel de Saint-Paul et traversant la rue Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers, vit tout-à-coup fondre sur lui un seigneur Angevin qui se nommait Pierre de Craon. Cet homme donne ordre à cinquante cavaliers dont il était suivi, de charger le connétable. Clisson est renversé de cheval, couvert de blessures et laissé pour mort. Aussitôt les assassins s'éloignent au galop et prennent la route de Chartres. Pierre de Craon vint en Bretagne et se rendit à la cour du duc. Ce prince fut soupçonné de n'être pas étranger à cet attentat. Cependant le connétable, que ses ennemis croyaient avoir tué, ne mourut pas de ses blessures ; il se rétablit même assez promptement et mit tout en œuvre pour engager le roi à marcher sur la Bretagne. Charles, vivement ému de la scène nocturne de la rue Sainte-Catherine, écrivit d'abord au duc de Bretagne de faire saisir l'assassin et de le lui envoyer. Le duc répondit au monarque français qu'il ne savait rien de Pierre de Craon, ni ne voulait savoir. Outré de cette réponse, le roi résolut d'aller venger Clisson en Bretagne. Quand tout fut prêt pour cette expédition et que les maréchaux eurent donné ordre aux troupes de prendre le chemin d'Angers, le roi, armé de toutes pièces, partit à la tête de son armée. Mais il tomba malade en route, et perdit l'usage de la raison. Cet accident fit manquer l'expédition, et sauva le duc de Bretagne.
Clisson fut alors disgracié à la cour de France. Il eut l'imprudence de solliciter auprès du duc de Bourgogne un paiement en faveur de quelques gens de guerre. Le duc lui répondit : vous n'avez pas besoin de vous mettre en peine pour l'état du royaume ; sans vous il serait bien gouverné. Naguère vous files un testament de quinze cent mille francs [Note : Plus de dix-huit millions de notre monnaie] ; où diable avez-vous tant assemblé de finaces ? Sortez de ma chambre, et que je ne vous voie plus : si ce n'était pour mon honneur, je vous ferais crever l'autre œil. Clisson partit de la capitale et se retira dans son château de Montlehery. On le cita au parlement ; il ne voulut pas s'y rendre. Informé qu'on se préparait à exercer des violences contre sa personne, il alla se renfermer dans Josselin.
Le duc de Bretagne, croyant que ce contretemps serait favorable au succès de ses armes résolut de continuer la guerre contre le connétable. Pierre de Craon, qui était alors en prison à Barcelone, trouva le moyen de s'échapper, vint en Bretagne et reçut du duc le commandement du corps de troupes, destiné à former le siége de Josselin. Clisson, averti par le vicomte de Rohan des desseins qui se formaient contre lui, ne jugea pas qu'il fût prudent d'attendre dans Josselin le duc et toutes ses forces ; il se contenta d'y laisser une garnison et alla se renfermer dans Moncontour. Le duc arrive devant Josselin, l'attaque, s'en empare, vole ensuite à Moncontour qu'il s'efforce en vain de prendre par escalade. De là il ordonne de marcher contre la ville de Lamballe dont il pille les faubourgs ; puis il va mettre le siège devant la Roche-Derrien, prend la ville, la fait démolir, congédie une partie de ses troupes et se retire à Morlaix avec quelques seigneurs pour y prendre un peu de repos et s'amuser à la chasse, exercice qu'il aimait beaucoup, mais qui ne lui fit jamais oublier que l'homme est fait pour une autre fin que pour forcer un renard et courir un lièvre.
Pendant ce temps-là, Clisson, fortifié par l'arrivée des Français que le roi s'était décidé à lui envoyer, s'empara de la ville de Saint-Brieuc, et jeta une garnison dans la ville de Saint-Malo. Les habitants de cette ville craignant les suites de cette guerre, se donnèrent au roi de France et prièrent le pape Clément VII d'approuver leur démarche, et d'écrire au roi relativement à cette affaire. Le pape leur donna satisfaction sur l'un et sur l'autre points.
Cependant le duc, informé de ce qui se passait, sort de Morlaix, se rend à Vannes, lève une armée, accourt à Saint-Brieuc, envoie offrir le combat à Clisson et aux Français. Clisson n'ose l'accepter et se tient renfermé dans la ville. Sur ces entrefaites, le roi de France écrivit au duc pour le prier de se désister de la guerre et de permettre aux Français qui étaient avec Clisson de retourner chez eux. Le duc céda à la volonté du monarque et se retira à Dinan, de là à Nantes où il ne demeura que quelque temps. Peu après il écrivit à Clisson pour l'engager à venir à Vannes discuter leurs intérêts. Clisson répondit qu'il s'y rendrait ; mais il exigea qu'auparavant le duc lui envoyât son fils en ôtage. L'enfant fut conduit à Josselin, et Clisson, se piquant de noblesse dans son procédé, arriva à Vannes, ramenant avec lui le jeune prince. Ce trait de confiance disposa les esprits à une réconciliation et la paix fut enfin rendue à la Bretagne. (1395).
Pendant ce temps de repos, le duc s'occupa des fiançailles de son fils avec Jeanne de France, fille de Charles VI. A la faveur de cette alliance, les Anglais qui s'étaient réconciliés avec le roi de France, rendirent la ville de Brest au duc, ou plutôt la lui vendirent cent vingt mille fr. (1396). Le roi d'Angleterre demanda à Charles VI la grâce de Pierre de Craon ; le monarque français la lui accorda.
Quelques années après mourut Jean IV au château de la Tour-Neuve à Nantes, après avoir reçu les derniers sacrements avec dévotion. (1399). Ou avait donné à ce prince le surnom de conquérant, et il en était digne, car peu de souverains ont eu plus de guerres à soutenir. Il a porté les armes dès son enfance et conquis deux fois son duché. Du reste ce fut un prince d'un esprit difficile et déliant. Quand il aimait, il ne négligeait rien pour le service de ses amis, et quand il haïssait, il revenait difficilement.
Il avait été marié trois fois, d'abord à Marie d'Angleterre, puis à Jeanne de Hollande, enfin, à Jeanne de Navarre ; il laissa de cette dernière princesse quatre fils et trois filles. L'aîné de ses fils, nommé Jean, fut son successeur ; le second fut Artur, connétable de France et comte de Richemont ; le troisième, qui s'appelait Richard, fut comte d'Estampes ; le quatrième qui se nommait Gilles, mourut au siége de Bourges où il servait pour le duc de Bourgogne.
Ce fut sous le règne de Jean IV que fut commencée la célèbre église de Notre-Dame du Folcoat (Finistère). Voici l'origine de la fondation de ce magnifique édifice d'après plusieurs écrivains notables. Vers l'an 1350, un pauvre idiot de naissance vivait aux environs de Lesneven ; il se nommait Salaün. Il était d'un esprit si borné qu'il ne put jamais apprendre que ces mots : Ave Maria, qu'il disait et répétait sans cesse. Il avait pratiqué une chétive loge dans un bois, sous un gros arbre qui ombrageait une fontaine. Il allait toujours nu-pieds, et couchait sur la terre nue ; une pierre lui servait d'oreiller. Dans les plus grands froids de l'hiver, il se plongeait dans la fontaine de son ermitage ; puis il reprenait ses hardes, montait sur son arbre et se berçait sur une branche pour se réchauffer, en prononçant de toutes ses forces ces paroles : Ave Maria ! o Maria ! Il allait tous les matins à Lesneven à la messe, pendant laquelle il ne cessait de répéter son refrain favori : Ave Maria ! o Itrôn Varia ! Après la messe, il allait par la ville demander du pain, ne disant que ces mots : Ave Maria ! Salaün à dépré bara. Et puis il retournait à sa demeure où il trempait son pain dans l'eau de sa fontaine, et à chaque morceau qu'il mangeait, il prononçait avec son enthousiasme ordinaire : Ave Maria ! O ! o ! o ! Maria ! L'étrange manière de vivre de cet innocent, le fit appeler Salaün ar foll ou ar foll coat (le fou du bois). Il vécut ainsi à peu près quarante ans, et mourut en répétant avec tendresse ces belles paroles : Ave Maria ! O Maria ! Il fut enterré sans parade et sans bruit. Quelque temps après on vit croître et fleurir sur son tombeau un beau lis frais et odoriférant, portant écrites sur ses feuilles ces paroles qu'il avait si souvent prononcées : Ave Maria ! Le bruit de ce miracle se répandit dans tout le pays, et l'on venait en foule visiter le tombeau fleurdelisé. Le duc de Bretagne, instruit lui-même du prodige, envoya des commissaires qui constatèrent le fait. Quelques semaines après, ces commissaires firent ouvrir la fosse, et l'on reconnut que cette fleur venait par la bouche du creux de l'estomac [Note : Le père Cyrille, l’abbé Guillerm, Jean Langueznou, etc. Ce dernier affirme, dit-on, dans un écrit, avoir vu ce miracle]. Frappé de cet évènement, le duc fit vœu de bâtir en ce lieu une chapelle en l'honneur de la Sainte-Vierge, s'il vainquait Charles de Blois. Après la bataille d'Auray où il remporta la victoire, il se mit en devoir d'accomplir son vœu, et vint lui-même poser la première pierre de cette église qui prit le nom de Notre-Dame du Folcoat en mémoire du miracle, opéré sur la tombe du bienheureux Salaün.
JEAN V.
Duc de Bretagne.
(1399).
Jean V n'avait que dix ou douze ans lorsque son père mourut. Comme il était trop jeune pour tenir les rênes de l'état, la régence du duché fut confiée à Jeanne de Navarre, sa mère, qui commença son administration par renouveler l'acte de réconciliation du duc avec Olivier de Clisson. Le roi d'Angleterre, Henri IV, demanda cette princesse en mariage. Il se persuada que cette alliance le rendrait maître des enfants de la duchesse et de leurs sujets. La régente consentit au mariage et épousa le monarque anglais par procureur. (1402). Ces deux époux étaient cousins, mais ils eurent des dispenses.
Au mois de décembre de la même année, la duchesse partit pour l'Angleterre, après avoir confié la garde de ses enfants au duc de Bourgogne, leur plus proche parent. Le duc les emmena tous à Paris où Jean V demeura jusqu'à sa majorité.
L'année suivante la guerre s'alluma entre la France et l'Angleterre (1403) : les Bretons y prirent part. Une escadre anglaise de dix vaisseaux, fit une prise considérable à la vue des côtes de Bretagne. Cette action réveilla la haine de la nation bretonne. Encouragée par Olivier de Clisson, elle arma trente vaisseaux. Le seigneur de Penhoët, amiral de Bretagne, en eut le commandement. La flotte mit à la voile, partit de Roscou, près Saint-Pol, et alla à la rencontre de l'escadre anglaise. Aussitôt que les Bretons l'aperçurent, ils poussèrent de grands cris et voulurent s'élancer sur elle à l'heure même. Il fallut toute l'autorité des chefs pour retenir leur ardeur et pour les obliger d'attendre au lendemain. Dès la pointe du jour le signal de la bataille se donne et les Bretons fondent sur la flotte anglaise avec une fureur inconcevable. Le combat et le massacre commencent à trois heures du matin et durent jusqu'à neuf. Alors les Anglais ne pouvant plus soutenir les efforts des Bretons, rallient tous leurs vaisseaux : les Bretons font comme eux, et le choc recommence. Enfin les insulaires voyant les leurs tomber de toutes parts, et leurs vaisseaux sur le point d'être pris, jettent leurs armes dans la mer pour en priver les Bretons. Ceux-ci, devenus les maîtres, y jettent les Anglais eux-mêmes, font mille prisonniers et prennent quarante bâtiments. Après cette bataille, la flotte bretonne fit voile vers Jersey et Grenesey, pilla ces deux îles, alla brûler le port de Plymouth et revint ensuite en Bretagne chargée de butin. En revanche, Guillaume de Wilford, écuyer anglais, commandant d'une flotte de six mille hommes d'équipage, vint prendre sur les côtes de Bretagne quarante navires, en brûla quarante autres, puis il débarqua près Penmarc, incendia tout le pays, mit le feu aux faubourgs Saint-Mahé et fit ravage dans le pays d'alentour. Les Bretons prennent les armes précipitamment, volent aux ennemis et se battent d'abord à forces égales ; mais ils sont enfin vaincus et les Anglais se rembarquent.
Le duc, ayant atteint sa quinzième année, fut déclaré majeur, et fit hommage de son duché à Charles VI. Il épousa ensuite Jeanne de France, puis il partit de Paris avec la duchesse, et arriva à Nantes le 15 mars 1405.
Jean V fit ses premières armes contre les Anglais, En 1406 selon Ogée, auparavant selon Lobineau, la Bretagne arma une flotte chargée de deux mille chevaliers sous les ordres de Châteaubriand, de la Jaille et de Guillaume du Chatel. Cette flotte mit à la voile à Saint-Malo et se dirigea vers Yarmouth. Les Anglais, avertis de l'arrivée des Bretons, s'assemblent au nombre de six mille hommes, font un fossé sur la grève et n'y laissent qu'un petit passage défendu par un corps de garde avancé. Les Bretons descendent précipitamment : les Anglais font une décharge de flèches et de toutes sortes de traits. La garde du passage est renforcée si à propos qu'il est impossible aux Bretons de la réduire. Quelques-uns se hasardèrent de passer le fossé, mais ils furent submergés ou par la pesanteur de leurs armes ou par la multitude des ennemis. Toute la valeur des Bretons n'aboutit qu'à vendre chèrement la victoire ; ils tuèrent à peu près quinze cents Anglais. Du Chatel, comme un lion furieux de sa défaite, abattait tout devant lui d'une hache pesante qu'il maniait avec une extrême adresse ; mais accablé de fatigues, couvert de blessures, il perd ses forces, tombe et meurt. Tous les autres furent tués ou pris. Du nombre de ceux qui voulaient se rendre plusieurs furent massacrés, parce que les Anglais, n'entendant point leur langue, prenaient leurs prières pour des menaces.
La nouvelle de ce malheur répandit la consternation parmi les soldats qui gardaient le reste de la flotte. Dans le premier mouvement de leur indignation ils voulurent aller de suite venger la perte de leurs compagnons ; mais les avis prudents de l'un d'entr'eux, les portèrent à différer, et ils revinrent en Bretagne.
Peu de temps après, Tanguy du Chatel, frère de Guillaume, équipe une nouvelle flotte, met à la voile, surprend le port d'Yarmouth, entre dans la ville, la réduit en cendre, parcourt la côte pendant huit semaines, porte partout le ravage et revient en Bretagne, chargé de butin.
Bientôt il eut une autre occasion de continuer sa vengeance. Une flotte anglaise, après avoir manqué la Rochelle, vint fondre sur les côtes de Bretagne dans le dessein de brûler la flotte du comte de la Marche qui était au port de Brest. Olivier de Clisson fit avertir à la hâte le duc de l'arrivée des Anglais. Jean se mit aussitôt à la tête de deux mille deux cents hommes et marcha au-devant des ennemis. Il détacha le maréchal de Rieux avec sept cents soldats pour aller observer la contenance des insulaires dont les meilleures troupes avaient fait descente. Les paysans, armés de fourches, couraient à la mer pour empêcher le reste de débarquer.
Le maréchal mit pied à terre et se joignit aux communes pour leur donner du courage. Cependant les Anglais ne s'en étonnèrent point ; mais quand ils virent arriver le duc avec le gros de l'armée, l'épouvante les saisit, et le comte de Beaumont qui partageait le commandement de la flotte anglaise avec le Bâtard d'Angleterre, essaya vainement de les rallier. Il demeura presque seul ; Tanguy du Chatel qui se trouva aux prises avec lui, l'abattit roide mort d'un coup de hache.
En parlant de ce combat à leurs compatriotes, les paysans dont les fourches avaient aidé à chasser les Anglais, ne manquaient pas d'ajouter : Ar zozon à déhé souden - Pa teremp nimp Tor é ben [Note : Ceci rappelle ces fameuses paroles qu'une tradition armoricaine attribue à César : quam terribiles sunt Britonnes quando dicunt TOR É BEN (ou Terr-i-ben)].
Après cette action qui le couvrit de gloire Jean V en fit une autre qui le couvrit de honte. Par une olitique que sa jeunesse seule peut excuser, il laissa voir qu'il avait hérité de la haine de son père contre Clisson. Les ennemis de ce grand homme l'accusèrent de maléfices. Jean V favorisa ces accusations absurdes, et Clisson, malade alors, fut assigné par la justice. Pour fléchir le jeune duc, le vieux guerrier lui fit compter cent mille livres. Jean V accepta cette somme et laissa mourir en paix le frère d'armes de du Guesclin. (1407).
Après la mort de ce grand capitaine, Marguerite sa fille, veuve du fils de Charles de Blois, excita des troubles dans la Bretagne et établit des fouages sur les sujets nobles des comtés de Tréguier et de Goëlo. Le duc lui fit défendre par ses officiers de lever ces impôts. La princesse, appuyée du duc de Bourgogne qui lui envoyait des troupes, fit emprisonner les députés de Jean V, fortifia ses places et se mit eu état de défense. Le duc lui déclara la guerre et la força de céder.
Sur ces entrefaites Charles VI, dans un de ses moments lucides, rendit au duc de Bretagne la ville de Saint-Malo qui, avec l'agrément du pape Clément VII, s'était donnée à la France, plusieurs années auparavant. (1415).
Cependant Marguerite de Clisson, plus que jamais dévorée de l'ambition de régner, mettait tout en œuvre pour arriver à son but. Afin de mieux jouer son rôle, elle fit un nouveau traité d'alliance avec le duc Jean V, et envoya Olivier, son fils aîné, trouver ce prince à Nantes. Olivier y resta quelques jours, puis il engagea le duc à venir voir sa mère au château de Chanteauceaux, à cinq lieues de Nantes. Jean, ne se doutant d'aucune supercherie, accepta la proposition. Le 12 février 1420, Olivier vint éveiller le prince au château de la Tour-Neuve. Le duc se lève et part accompagné de quelques-uns de ses gens. Ce jour-là on alla coucher au Loroux-Botereau. Le lendemain, après avoir entendu la messe, le duc monta à cheval et prit la route de Chanteauceaux. Il fallait passer le pont de la Troubarde, placé sur une petite rivière, appelée Divette. Le comte passa le premier avec quelques-uns des siens ; le duc et Richard, son frère, passèrent après. Aussitôt Alain de la Lande et quelques autres, faisant semblant de se divertir, jetèrent les planches dans l'eau pour empêcher ceux qui suivaient de donner du secours. Le duc qui ne s'en doutait pas, crut bonnement que c'était un jeu et se mit à rire de tout son cœur. Mais à l'instant même on vit sortir du bois quarante lances qui avaient pour chef Charles de Penthièvre : le duc surpris , demande ce que signifie ce monde. Ce sont mes gens, répond le comte, et de suite il met la main sur le duc. Olivier lui fait attacher la jambe droite avec une corde à la bride et à l'étrier de son cheval qu'on mena par un licou. Ainsi allait le prince entre deux hommes à cheval, tenant chacun une demi-lance. On arrive à Chanteauceaux. Le duc et son frère sont menés droit dans une tour où ils demeurent trois semaines. La mère du comte et sa femme vinrent voir les captifs. Jean supplia Marguerite, au nom de Dieu, de lui sauver la vie ; il n'eut pour réponse que des reproches sanglants. La vieille comtesse eut même l'impertinence de lui citer ces paroles : deposuit potentes de sede. Cet attentat souleva toute la Bretagne. On prit les armes contre les Penthièvre. Les Penthièvre se préparent à la résistance et mettent une garnison d'étrangers à Chanteauceaux, à Clisson et ailleurs. On commence la guerre par le siége de Lamballe, centre du domaine des Penthièvre. Ceux-ci, informés de ce qui se passe, s'arment d'épées et de dagues, vont à grand bruit trouver Jean V dans sa chambre, entrent sans saluer, déclarent au duc qu'ils lui feront voler la tête de dessus les épaules, si le siége n'est pas levé, et en faisant ces terribles menaces ils approchent l'un et l'autre le poing contre le visage du duc. Cependant la ville de Lamballe fut prise et Guingamp capitula. Jugon, la Roche-Derrien, Châteaulin, etc., échappèrent aussi aux Penthièvre [Note : Trois ans après mourut le fameux Guillaume de Keralio, qui fut tué au siége de Rhodes. La maison de Keralio, en Plouguiel près Tréguier, a fourni de grands guerriers]. Sans perdre de temps, on alla ensuite assiéger Chanteauceaux, où étaient renfermés la vieille comtesse et quelques-uns de ses enfants. Le comte de Porhoët fit conduire au siége plusieurs machines de Ploërmel, de Vannes et d'ailleurs. Des canonniers du roi d'Angleterre s'y rendirent aussi pour servir le duc. Les Bretons firent un pont de merrain sur la Loire, pour passer leur armée, leurs vivres et leur artillerie. Au moyen de leurs canons ils eurent bientôt brisé toutes les couvertures, et continuant à battre le château, ils firent tomber des pans de muraille. L'alarme se répandit parmi les assiégés ; ils capitulèrent ; Chanteauceaux fut rasé, le duc et son frère rendus à la liberté. Par bonheur pour Jean V, il n'était plus à Chanteauceaux quand on en fit le siége. La haineuse Marguerite de Clisson n'aurait pas manqué de l'exposer aux batteries.
Jean V avait promis, pendant sa captivité, de donner à Notre-Dame des Carmes de Nantes, son pesant d'or, et autant en argent, à saint Yves de Tréguier, s'il échappait au péril que couraient ses jours dans la prison où l'avait jeté Marguerite de Clisson ; aussitôt qu'il fut en liberté, il se hâta d'accomplir sa promesse. Ensuite il assembla les états à Vannes pour juger les Penthièvre. Ceux-ci furent condamnés et leurs biens confisqués au profit du duc. Les deux aînés prirent la fuite. Guillaume, le plus jeune et le moins coupable, languit dans une prison obscure où il perdit presque la vue à force de verser des larmes.
Le duc, désormais tranquille, donna ses soins à la réforme de mille abus par lesquels les sergents féodés se rendaient odieux. Chaque laboureur était obligé de leur payer un boisseau de blé au mois d'août, certaine mesure de vin au commencement de l'année, de plus une somme d'argent pour étrennes ; des chapons ou des poules à carnaval, et des œufs à Pâques. Le duc leur fit défense de rien lever sur son peuple, sans ordres de sa part. Cette attention à veiller au bonheur de ses sujets, lui gagna l'affection de tous les Bretons. Quelques années après, il eut la douleur de voir ses états désolés par une maladie contagieuse qui emporta bien du monde.
Il ne se passa plus rien de mémorable sous le règne de Jean V, si ce n'est le supplice du trop fameux maréchal de Raiz, de la maison de Laval. L'atrocité de ses crimes et la barbarie qu'il joignait à ses débauches, portent à croire qu'il était fou. On lui fit son procès au château de la Tour-Neuve de Nantes, et il fut condamné à être brûlé. On a dit que la plupart des enfants de la ville de Nantes assistèrent à son supplice, et qu'on les fustigea tous, pour leur en graver le souvenir.
Jean V mourut au manoir de la Touche, près de Nantes, l'an 1442. Son corps fut porté au château de la Tour-Neuve ; de là il fut transporté dans le cœur de l'église cathédrale, où il fut mis dans une fosse, auprès du duc Jean IV, son père. Plus tard on l'en tira pour le porter à Tréguier où il avait ordonné qu'on l'inhumât. L'évêque de cette ville, Jean de Plœuc, accompagné de son clergé, alla recevoir à Runan les dépouilles ducales. On les enterra dans l'église cathédrale, non loin du tombeau de saint Yves, à l'honneur duquel le duc avait fait construire une chapelle, au côté gauche de l'église. Jean V fut surnommé le Bon, et l'amour que lui porta son peuple, prouve assez qu'il méritait ce titre. Il avait eu de son mariage avec Jeanne de France, François, Pierre, Gilles et Isabeau. Ce prince est le dernier des ducs de Bretagne qui ait laissé des enfants mâles. Après François, son fils, nous verrons la couronne portée par des frères, par des cousins, par des filles, et enfin passer par des mariages à une autre dynastie.
FRANÇOIS Ier.
Duc de Bretagne.
(1442).
A Jean V succéda François, son fils aîné. Ce prince avait épousé, l'an 1431 , Yolande d'Anjou, fille de Louis II, roi de Sicile. Cette princesse mourut le 17 avril 1440. Peu de temps après, François demanda et obtint en mariage Isabelle d'Ecosse. La nouvelle duchesse aborda au château d'Auray, le 30 octobre 1442, avec une grande suite de seigneurs et de dames du royaume d'Ecosse. Après la cérémonie du mariage, le duc prit le chemin de Rennes, accompagné du connétable de Richemont, son oncle.
En 1446 le duc créa l'ordre de chevalerie, appelé de l'Epi. Les chevaliers, dont le prince était le chef, portaient un collier d'or, fait en forme de couronne d'épis de blé, joints les uns aux autres. Au bout du collier pendaient deux chaînes d'or et une hermine, posée sur un gazon, au-dessous de laquelle étaient ces mots : à ma vie. C'était la devise qu'avait prise le duc Jean IV.
Cette même année le duc François se rendit à Chinon, ou Charles VII se trouvait ; et là, on présence de toute la cour, debout et sans chaperon, il mit ses mains entre celles du monarque qui était aussi debout, fit l'hommage de son duché au roi de France, et contracta avec lui une alliance contre les Anglais. Une trève avait été faite entre la France et cette nation ; la Bretagne y était comprise. Cependant en 1448, le roi d'Angleterre résolut de s'emparer de Fougères, et pour exécuter son projet, il jeta les yeux sur François de Surienne, déjà fameux par la prise de trente-deux villes. Surienne fait reconnaître par ses espions l'état de la place, et sur leur rapport il part pour Londres et promet la prise de Fougères. Pour l'encourager davantage, le roi le nomma chevalier de l'ordre de la jarretière, lui donna la seigneurie de Worcester et mille livres de pension. Surienne, comblé d'honneurs et de biens, repasse en France, se rend à Verneuil, assemble six cents hommes, se met en route, arrive sous les murs de Fougères, se glisse avec ses soldats dans les fossés, fait dresser des échelles, escalade le château, égorge la garnison et livre la ville au pillage. Indigné de cette trahison, François Ier envoya Michel de Partenai vers Surienne pour lui demander par quel ordre il avait pris Fougères. Ne m'enquérez plus avant, répondit Simienne ; ne voyez-vous pas que je suis de l'ordre de la jarretière ? François, convaincu par cette réponse, que Surienne n'avait agi que d'après l'ordre du roi d'Angleterre, envoya un héraut au duc de Sommerset pour le sommer de restituer Fougères. Le duc de Sommerset se contenta de désavouer la conduite de Surienne. François prend les armes et assiége Fougères ; la place est défendue par surienne et une garnison nombreuse. Cependant pressés par la famine, les assiégés demandent à capituler. François leur permet de sortir ; la ville est reprise après deux mois de siège. (1449).
Tandis que François Ier se couvrait de gloire par le succès de ses armes, il se rendait odieux à ses sujets par la barbarie avec laquelle il traitait son frère, Gilles de Bretagne. Victime d'une haine implacable, cet infortuné prince languissait dans les prisons, il y avait quelques années. Voici la cause et l'origine de ses malheurs.
Il s'était plaint au duc de l'insuffisance de son apanage et lui avait fait quelques demandes. François refusa de le satisfaire. De là la source de leurs divisions. Gilles avait des ennemis ; ils résolurent sa perte. Le plus acharné de tous, Artur de Montauban, maréchal de Bretagne, ne laissait passer aucune occasion pour aigrir l'esprit du duc contre son frère. François, déjà mécontent, fit assembler ses états et eut la faiblesse d'accuser son frère de félonie et de lèse-majesté. Le jeune prince avait donné lieu à ces accusations. Il avait demeuré longtemps en Angleterre et pouvait s'y être laissé gagner. Il fut donc facile de persuader au roi de France qu'il entretenait dans ce pays des correspondances contraires au repos de l'état. En conséquence, le roi envoya en Bretagne quatre cents hommes armés pour prendre Gilles. Ils arrivèrent au château du Guildo [Note : Dans la paroisse de Crehen , à trois lieues trois quarts de Saint-Malo] où le prince jouait à la paume avec ses écuyers. Il ouvre sans défiance les portes aux Français. On s'empare de sa personne et on le mène à Dinan, comme un criminel. Artur, connétable de France, ne fut averti du complot, formé contre la liberté de Gilles, son neveu, que lorsque les quatre cents hommes, chargés de l'arrêter, furent partis ; alors le roi lui fit part de tout ce qui avait été résolu. Le connétable en fut très-mécontent et dit au monarque français, avec toute la hardiesse dont le rendait capable l'énergie de son caractère, qu'il ne faisait pas bien de travailler ainsi à détruire la maison de Bretagne ; qu'il eût bien pu trouver d'autres moyens de remédier aux maux imaginaires qu'il craignait. Le roi, touché de ces paroles, dit au connétable : pourvoyez et faites diligence, autrement la chose ira mal, car le duc et les autres vont délibérer de le perdre. Le connétable partit de suite à la hâte, mais il ne put atteindre le duc qu'après que Gilles eut été pris. Le connétable supplia le duc de permettre qu'il pût le voir. François y consentit, alla même avec le connétable et Pierre de Bretagne au château où était détenu l'infortuné Gilles. Gilles, son oncle et son frère, se jetant aux genoux du duc, lui demandèrent pardon et le conjurèrent, les larmes aux yeux, d'avoir pitié d'un frère plus malheureux que coupable. Le duc, insensible à ces touchantes supplications, n'y répondit que par des railleries, et demeura ferme dans sa résolution.
Cependant les états n'ayant rien décidé contre Gilles de Bretagne, François se rebuta des procédures et chercha d'autres moyens de se défaire de son frère. Il appela, une nuit, Jean Hingant et un autre de ses affidés, Olivier de Méel, pour leur avouer son extrême impatience de se voir débarrassé de Gilles. Le premier hésita et alla consulter le procureur général, Olivier de Breil, qui lui conseilla de renoncer à la cour plutôt que de se souiller d'un crime horrible. Le second saisit sans effroi une occasion qu'il croyait favorable à sa fortune. Il se chargea volontiers de la garde du prisonnier pour trouver avec plus de facilité le moyen de le faire mourir. Il tenta d'abord la voie du poison qui ne lui réussit pas. Alors, pour miner du moins le prince par une longue prison, il entretint, par des calomnies atroces, le feu de la discorde que lui et quelques autres avaient allumé entre les deux frères. Mais la bonté du tempérament de Gilles empêchait les chagrins de sa captivité d'altérer assez sa santé pour leur donner lieu d'espérer la fin de sa vie aussitôt qu'ils l'auraient souhaité. Ils résolurent donc de mettre la main sur le prince et de le faire périr inhumainement. Cependant une entreprise de cette nature les fit trembler pour les suites, et, afin de se mettre à couvert de toutes les recherches, ils voulurent se faire autoriser par le duc dans cette abominable entreprise. Gilles de Bretagne écrivait de temps en temps à son frère des lettres fort soumises, protestant qu'il ne voulait avoir aucune liaison avec les Anglais : mais à la place de ces lettres, ses ennemis en présentaient d'autres à François , remplies de reproches et de menaces. Le duc en témoigna son mécontentement en des termes qui laissaient assez entendre qu'il souhaitait d'être délivré de Gilles. En conséquence on rédigea en son nom un arrêt ou plutôt un ordre par lequel, sans procédure préalable, sans interrogatoire et sans jugement, son frère était condamné à mort. Ce crime fut celui de Louis de Rohan, seigneur de Guéméné-Guingamp. Il écrivit cet ordre en sa qualité de chancelier de Bretagne ; mais il fallait le faire sceller. Le garde-des-sceaux, Eon Baudouin, s'y refusa courageusement : on lui ôta sa charge, et le chancelier, devenu dépositaire des sceaux, scella lui-même l'acte qui ordonnait un assassinat. Autorisés de cet ordre dont le duc n'avait peut-être aucune connaissance, les scélérats qui gardaient le malheureux captif au château de la Hardouillaye, prirent d'abord le parti de le faire mourir de faim. lls l'enfermèrent pour cet effet dans une chambre souterraine, qui n'était éclairée que par une fenêtre grillée qui donnait sur les fossés, et l'y laissèrent pendant quelques jours sans permettre qu'on lui portât ni pain ni eau. L'infortuné prince, dévoré de la faim, poussait dans son obscur cachot les plus lamentables gémissements, et demandait à ceux qui passaient un peu de pain pour l'amour de Dieu. Personne n'osa se hasarder à lui rendre ce service ; seulement une pauvre femme eut compassion de son état déplorable : nos maux nous rendent sensibles à ceux des autres. Elle se glissa adroitement dans le fossé, s'approcha de la fenêtre grillée, et donna au prince un morceau de pain. Le lendemain elle y retourna avec la même générosité.
Gilles de Bretagne qui, dans l'univers entier ne voyait qu'une femme sensible à ses malheurs, comprit bien qu'il n'y avait plus pour lui aucun espoir de salut. Il était exténué, et la mort lui parut prochaine. Il pria sa bienfaitrice de lui procurer un prêtre. Cette femme le quitte et lui amène un cordelier qui le confesse à travers les barres de fer de la fenêtre. Gilles l'instruisit de son nom, de sa naissance et des tourments qu'on lui avait fait souffrir jusqu'à ce jour : il ajouta que, puisqu'il n'avait pu fléchir le duc qui l'avait livré à ses plus cruels ennemis, il le priait d'aller lui faire le détail de l'état déplorable où il le voyait, de lui dire que son malheureux frère n'avait plus que quelques instants à vivre, et que, n'ayant pu obtenir justice en ce monde, il le citait à comparaître dans quarante jours au jugement de Dieu. Le religieux le consola, adoucit la rigueur de ses peines par l'espoir d'une vie heureuse et le quitta.
Cependant les gardes ou plutôt les bourreaux de ce prince, étonnés de le voir vivre si longtemps, et pressés, dit-on, par un ordre secret, entrèrent le matin dans sa chambre, et, le trouvant au lit, très-affaibli par la misère, lui mirent une serviette autour du cou et s'efforcèrent de l'étrangler. Le prince, quoique faible, se défendit quelque temps avec une grosse flûte dont il blessa un de ses bourreaux ; mais ils consommèrent leur crime en l'étouffant entre deux matelas. Ensuite ils lui bouchèrent les oreilles et le nez, afin que le sang ne pût sortir, le couchèrent dans son lit comme s'il fut mort de maladie et partirent pour la chasse.
Ainsi mourut Gilles de Bretagne, après trois ans et dix mois de détention, moins malheureux mille fois s'il fut né fils d'un laboureur. Mais éloignons de nous le tableau de ses souffrances et de sa fin ; il est affreux et cruel pour toute âme sensible.
La nouvelle de cette mort, répandue dans toute la Bretagne, y causa un murmure général. La plupart des parents du duc en furent indignés. Le comte de Richement surtout lui en fit de sanglants reproches. En vain François voulut-il se justifier en disant qu'on avait fait mourir son frère sans ses ordres, personne ne le crut. Le duc se trouvait à la tête de ses troupes devant Avranches, lorsque cette nouvelle arriva dans son camp ; il reprit quelques jours après la route de Bretagne. Comme il passait au Mont-Saint-Michel, il rencontra sur la grève le cordelier qui avait confessé son frère. Ce religieux s'approcha et demanda à lui parler en particulier. Le duc s'arrêta pour l'entendre, et fit éloigner tout le monde pour lui donner la liberté de s'expliquer. Je suis chargé, lui dit le prêtre, de la part de monseigneur Gilles, de vous citer à comparaître dans quarante jours devant le tribunal de Dieu, pour lui faire raison du traitement indigne que vous avez exercé contre lui. Ces paroles produisirent une telle impression sur le duc, déjà déchiré par les remords, que dès ce jour-là sa santé s'affaiblit à vue d'œil. Averti des approches de la mort, il se fit transporter dans une maison de plaisance, voisine de Vannes. Là se promenant lentement devant quelques seigneurs qu'il avait mandés, il leur dit qu’il se sentait près de s'éteindre et que n'ayant point d'enfant mâle, il entendait que son frère Pierre régnât après lui : puis il passa dans une chambre plus spacieuse, se confessa, demanda pardon à tous ses gens, reçut à genoux la sainte eucharistie, se coucha, prit une croix dans sa main, entra en agonie, et mourut le jour même que lui avait fixé son frère pour paraître au jugement de Dieu. (145O).
Telle fut la fin de François Ier, prince libéral et vaillant, mais d'un esprit facile à prévenir contre ses plus proches, témoin la mort déplorable de Gilles de Bretagne, son frère, tache ineffaçable pour la mémoire de celui qui, tenant les oreilles fermées à la voix de la nature et du sang, ne les ouvrit qu'à celles de l'ambition et de la haine de quelques favoris.
PIERRE II.
Duc de Bretagne.
(1450).
A François Ier succéda son frère, Pierre II. Plein d'estime pour le comte de Richemont son oncle, il envoya le prier de venir à son couronnement à Rennes. Le comte se rendit à l'invitation, et après avoir honoré la cérémonie de sa présence, il accompagna le duc à l'entrée qu'il fit à Nantes, au mois d'octobre 1450. La même année Pierre fit hommage de son duché à Charles VII, à Montbazon. Auparavant il avait fait une ordonnance par laquelle il était défendu de publier dans son duché les bulles venues de Rome, sans les avoir fait voir au conseil et sans avoir eu permission de s'en servir.
Pierre avait vu avec indignation le traitement fait à son frère, Gilles de Bretagne ; il résolut donc de venger sa mort. Il savait que ses meurtriers avaient noirci le prince aux yeux de son prédécesseur, auprès duquel ils l'avaient accusé de crimes imaginaires. De concert avec le comte de Richemont, Pierre fit arrêter à Marcoussi, Olivier de Méel, l'un des plus coupables. De Marcoussi on le transféra en Bretagne, où il eut la tête tranchée ainsi que ses complices, excepté celui qui l’avait le mieux mérité, Artur de Montauban. Cet assassin échappa à la justice des hommes en se faisant moine aux Célestins de Paris. L'on serait surpris d'apprendre qu'il mourut archevêque de Bordeaux, si l'on n'avait d'autres exemples de la miséricorde de Dieu à l'égard des plus grands pécheurs.
Pierre, naturellement triste et chagrin, devint inaccessible à tout le monde ; tout lui déplaisait, et il se défiait de tous, même de sa vertueuse et chaste épouse ; des soupçons il en vint aux effets. Un jour, comme elle s'occupait avec d'autres dames à jouer du luth, dans une salle à Guingamp, il y entra furieux et vomit contre elle mille injures ; puis il s'avança même pour la frapper. Françoise se jette à genoux et lui dit en pleurant : Monseigneur, différez pour le présent, et quand nous serons seuls vous pourrez faire punition, s'il y a cause. Passe donc dans la chambre, lui dit le brutal : l'humble princesse obéit, et son cruel époux la suit, lui meurtrit le visage de soufflets, et lui déchire le corps à coups de verges, avec tant de cruauté qu'il la laisse demi-noyée dans son sang. Par suite de ces mauvais traitements et du chagrin dont la vertueuse princesse ne put se défendre, elle tomba dangereusement malade. Alors le prince, honteux de ses procédés injustes, entra dans la chambre de son épouse, et, les yeux baignés de larmes, il se jeta à genoux auprès de son lit, lui demanda pardon et jura que désormais il vivrait en bonne intelligence avec elle, si Dieu lui rendait la santé. La princesse se rétablit et le prince tint parole.
En 1451, le duc fit l'ouverture de ses états à Vannes, où Françoise d'Amboise, son épouse, fut reconnue duchesse. Il donna des lois nouvelles, renouvela les anciennes, défendit sous des peines très-sévères le blasphème et les jurements. Il ordonna aux procureurs de plaider gratuitement la cause des pauvres, pour éviter l'oppression du peuple. Il voulut en outre que tout contrat, fait pour une somme au-dessus de cent livre, fût passé par devant deux notaires, et scellé du sceau de la cour sous la juridiction de laquelle il se ferait. Il décida que la lieue bretonne serait de deux mille huit cent quatre-vingts pas géométriques, mesure équivalente à celle qu'a établie le président de l'Hôpital.
La Bretagne était à cette époque, remplie de ces lieux francs qu'on appelait Minihis, où la justice n'avait aucun pouvoir. Toutes les églises et les endroits, jadis habités par des saints, jouissaient de ce privilège. Le duc, de concert avec le pape Nicolas V, diminua le nombre de ces retraites, afin de diminuer aussi le nombre des scélérats en leur rendant plus difficiles les moyens d'échapper au supplice.
Le règne de Pierre II fut stérile en événements. Pendant les sept années qu'il gouverna la Bretagne, aucune guerre ne troubla ce pays. Ce prince mourut de paralysie au château de Nantes, en 1457. Pierre II était d'un caractère sombre, difficile et chagrin. Du reste ce fut un prince religieux, indulgent envers les autres, dur envers lui-même jusqu'à porter le cilice, mais on prétend que c'était pour expier un crime, car il avait une fille naturelle, et cependant il vécut avec son épouse dans une perpétuelle continence. Enfin il fut regretté de la noblesse qu'il avait comblée d'honneurs, du peuple qu'il avait soulagé, et des pauvres dont il avait été le père. Toutefois on lui reproche, comme une marque de peu de discrétion, d'avoir créé quantité de titres de barons et de bannerets, et d'avoir jeté par-là la pomme de discorde parmi les nobles du pays.
ARTUR III.
Duc de Bretagne.
(1457).
Artur III , fils de Jean IV, fut reconnu duc de Bretagne après la mort de Pierre II. Connétable de France et comte de Richemont, il passait pour un des plus grands guerriers de son temps et le plus expérimenté dans l'art militaire. Quoique duc de Bretagne, il ne voulut jamais renoncer à la qualité de connétable, et comme les seigneurs bretons lui faisaient des remontrances à ce sujet, il leur répondit qu'il voulait et qu'il devait honorer dans sa vieillesse une dignité qui lui avait fait honneur dans sa jeunesse. Accompagné de toute la noblesse du pays il fit son entrée à Rennes vers la fin du mois d'octobre de la même année. De Rennes il retourna à Nantes, d'où il partit pour aller à Tours trouver le roi de France qui l'avait prié de se rendre auprès de sa personne. Il faisait porter devant lui deux épées, l'une, comme insigne du duché de Bretagne, l'autre, comme attribut de la dignité de connétable. A quelque distance de la ville, les seigneurs français vinrent au-devant de lui et l'accompagnèrent jusqu'à l'appartement de sa majesté. Le roi le reçut avec de grandes démonstrations d'estime, jusqu'à ce qu'on eût parlé d'affaires. On lui proposa l'hommage ; il offrit de le faire comme ses prédécesseurs ; on le pressa de le rendre lige ; il s'y refusa et partit sous prétexte de consulter les états, mais bien résolu de ne plus revenir à la cour du roi de France. Cependant il y retourna plus tard pour faire hommage à Charles VII. Lorsqu'il se présenta pour remplir cette cérémonie, le comte d'Eu et le seigneur d'Ambasson s'écrièrent à la fois : qu'il ôte sa ceinture. Mais le chancelier de Bretagne répondit hardiment : non, il ne le fera point. Le roi fut obligé de se contenter de l'hommage simple.
A son retour à Nantes, Artur eut un différend avec l'évêque de cette ville, Guillaume de Malestroit, qui refusa de lui rendre hommage de son temporel, quoique ce prélat lui fût redevable de son évêché. Le prince fit saisir, par provision, les revenus de cet évêque qui lança contre lui les foudres de l'excommunication. Le duc en appela à l'archevêque de Tours et au pape ; mais les différends ne furent terminés que longtemps après. Le duc en prit tant de chagrin que sa santé déjà chancelante s'affaiblit à vue d'œil. Enfin sentant sa dernière heure approcher, il appela un prêtre, se confessa, entendit la messe et rendit l'esprit à Dieu au château de Nantes, après un règne de quinze mois et 65 ans de vie. (1458). La Bretagne perdit en lui un prince religieux et juste, doué d'ailleurs des talents qui font les grands guerriers. Il avait eu trois femmes et cependant il ne laissa point d'enfants.
FRANÇOIS II.
Duc de Bretagne.
(1458).
Artur III eut pour successeur François II, comte d'Etampes, fils de Richard de Bretagne et petit-fils de Jean IV. Marguerite d'Orléans, sa mère, l'amena prendre possession du duché, à Rennes où il fit son entrée solennelle en 1459, accompagné des barons et des seigneurs du pays. Ensuite il se rendit à Montbazon où il fit hommage au roi Charles VII, debout, l'épée au côté, sans prêter serment. Le roi lui donna des marques éclatantes d'une amitié qui ne devait pas durer longtemps. Peu après son retour en Bretagne, le duc envoya, selon la coutume de ses prédécesseurs, une ambassade d'obédience au pape. François II saisit cette occasion pour faire solliciter auprès du souverain pontife, Pie II, l'érection d'une université à Nantes. Les ambassadeurs trouvèrent le pape à Mantoue, l'assurèrent de la soumission filiale du nouveau duc et lui parlèrent du dessein qu'il avait d'ériger une université à Nantes. Le souverain pontife s'y prêta volontiers, et sa bulle d'institution donna à ce nouvel établissement à peu près les règles et les priviléges de l'université de Paris. Peu d'années après, le duc mit dans la même ville un imprimeur. Enfin, tout occupé de la prospérité de ses états, il établit des relations de commerce avec l'Angleterre, le Portugal, les villes anséatiques, l'Espagne et même dans le levant ; ce qui suppose une navigation assez étendue pour cette époque.
Le malheur de François II fut d'être contemporain de Louis XI qui parvint au trône après Charles VII (1461). Voici à quelle occasion commencèrent les démêlés qu'il eut avec ce prince. Amaury d'Acigné, neveu de Guillaume de Malestroit, prétendait qu'il était indépendant de la juridiction ducale. Le duc fit défense au peuple, à ses officiers et au clergé de reconnaître Amaury pour évêque de Nantes, sous peine aux ecclésiastiques de bannissement, et aux laïques, de confiscation de leurs biens. En conséquence de ces ordres on traîna hors de la ville le grand vicaire de l'évêque, et l'on investit le palais épiscopal ; les portes en furent brisées, les officiers de l'évêque chassés, les titres et les meubles enlevés. Amaury porta ses plaintes à Louis XI. Le monarque français fit dire au duc de Bretagne qu'il entendait que le temporel de l'évêque de Nantes serait en séquestre entre ses mains ; qu'en outre les évêques de Bretagne relevassent de sa couronne ; qu'ils lui fissent directement serment de fidélité ; que pour lui, il cessât de battre monnaie et de lever des impôts sur ses sujets, parce que, prétendait-il, ce droit appartenait à la couronne de France ; qu'enfin il ne recevrait plus les hommages des seigneurs sous ces mots : contre tous ceux qui peuvent vivre et mourir, et que s'il ne se soumettait à toutes ces exigences, il lui ferait la guerre.
François se trouva alors embarrassé ; il prit l'avis de son conseil et répondit au monarque qu'il ne pouvait rien décider sans le consentement de ses états et qu'il les assemblerait dans trois mois. Quand ce terme fut expiré, il demanda trois autres mois, promettant d'aller lui-même porter la réponse. Le duc cherchait à gagner du temps pour lever une armée et se mettre en état de défendre ses droits les armes à la main. Il savait d'ailleurs qu'il y avait un grand nombre de mécontents en France. Il fit sonder leurs dispositions et n'eut pas de peine à les faire entrer dans ses projets. Le comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne ; le duc de Berri, frère du roi ; le duc de Bourbon et la majeure partie des grands du royaume, formèrent avec François II la fameuse ligue dite du bien public.
Pour le duc de Berri, l'objet de cette guerre était de se faire donner la Normandie à titre d'apanage. Il s'évada de la cour, favorisé dans sa fuite par des ambassadeurs bretons qui lui fournirent des relais, et courant avec eux à toute bride, il rompit tous les ponts derrière lui, parvint jusqu'aux frontières de la Bretagne et demanda un asile au duc Tous les jours la Bretagne voyait arriver des mécontents qui s'échappaient de la cour ou des prisons de Louis XI. De ce nombre étaient le comte de Dunois et le maréchal de Lohéac. Enfin le duc se mit en marche en 1465, le long de la Loire avec le duc de Berri, à la tête d'une armée de dix mille Bretons, pour aller se joindre à celle du comte de Charolais qui s'avançait à sa rencontre par Longjumeau et Montlehéry.
Ici se livra une bataille entre l'armée royale et celle de Bourgogne. La lutte fut opiniâtre et sanglante, la perte presque égale de part et d'autre à cela près que le comte de Charolais fut blessé, pris deux fois et deux fois délivré. Louis XI opéra sa retraite et se rendit à Paris. Le duc de Bretagne et les coalisés firent leur jonction et allèrent bloquer le roi dans la capitale. Le blocus dura trois mois. Après quelques entrevues, quelques escarmouches et quelques trèves, le monarque français négocia pour dissoudre la ligue. Il renonça à tout ce qu'il avait voulu exiger de François II, lui paya une somme de cent vingt mille écus d'or, accorda au duc de Berri la Normandie pour apanage et aux autres rebelles tout ce qu'ils demandaient.
Au mois de janvier 1470, Louis XI envoya au duc de Bretagne le collier de l'ordre de Saint-Michel, qu'il venait d'instituer, et dont les statuts portaient que les chevaliers feraient serment de servir le roi envers et contre tous, et de renoncer à toute autre alliance. Le duc, ne voulant point se lier par de pareilles obligations, s'excusa d'accepter cette marque d'honneur que lui offrait le roi. Ce monarque comprit bien par ce refus que François avait contracté des alliances avec les ennemis de son royaume. Il entra donc en Bretagne à la tête de cinquante mille hommes. Ancenis et quelques autres places tombent à son pouvoir. François assemble ses troupes et marche contre le roi, tandis que le duc de Bourgogne avec lequel il avait fait encore alliance, entre en France avec son armée selon les conventions. Louis voyant qu'il ne pourrait résister à la fois à ces deux alliés, eut recours à la négociation. Il chargea le seigneur de Lescun d'aller faire des propositions d'accommodement au duc de Bretagne. Celui-ci conclut avec ce gentilhomme une trêve dans laquelle fut compris le duc de Bourgogne. Le roi fut si content de s'être tiré de ce mauvais pas, qu'il donna quatre-vingt mille livres de pension au duc de Bourgogne, et le comté de Cominges à Lescun, pour le récompenser de ses services. Cette trêve fut prolongée deux fois, et enfin changée en un traité de paix qui fut signé dans l'abbaye de la Victoire, près Senlis, le 9 octobre 1475. Le roi de France établit dans le même temps le duc de Bretagne lieutenant-général de son royaume, titre d'honneur, mais sans autorité.
A cette époque, une cruelle maladie qui durait depuis l'an 1172, désolait la Bretagne. Cette maladie s'appelait lèpre. Ceux qui en étaient atteints, étaient séparés publiquement de la société des autres hommes. Ils étaient en horreur à tout le monde ; on les appelait cacoux, caqueux ou caquins. On prétend que cette maladie fut apportée en Bretagne par des croisés Bretons, ou par des hommes qui avaient fait le voyage de la Palestine.
Cependant François II, toujours en défiance contre Louis XI, chercha à s'unir avec le roi d'Angleterre, tandis que ses ambassadeurs se rendaient à la cour de France pour assurer le roi de sa fidélité. Le monarque français qui avait des émissaires dans tout le pays, trouva moyen d'intercepter les lettres qu'écrivait François au roi des Anglais, et lorsque le chancelier Chauvin et cinq autres seigneurs allèrent trouver Louis en Artois, ils furent arrêtés et mis séparément en prison. Après douze jours de détention, le roi fit venir Chauvin dont il avait entendu parler comme d'un homme de bien et incapable de faire une lâcheté : il lui demanda s'il savait pour quelle raison on avait usé d'une telle rigueur à son égard et à l'égard des autres ambassadeurs. Chauvin lui répondit qu'il l'ignorait absolument. Alors Louis le mena dans son cabinet et tira de sa robe vingt-deux lettres en original, dont douze étaient signées du duc de Bretagne ; les dix autres étaient du roi d'Angleterre et contenaient la correspondance de ces deux princes contre le roi de France. Le chancelier, après avoir lu ces lettres, ne put contester la vérité du fait, vit bien que jusqu'alors il avait été la dupe de son maître et protesta devant Dieu qu'il n'avait aucune connaissance de cette intrigue. Le roi qui le savait bien, lui permit ainsi qu'aux autres seigneurs de retourner auprès du duc, sans vouloir rien entendre des propositions qu'ils étaient venus lui faire. Il leur remit même les lettres, les chargea de les présenter au duc et de lui dire de sa part qu'il rechercherait désormais en vain son estime et son amitié, s'il ne se défaisait de tous points de ce roi d'Angleterre.
Quand Chauvin et ses compagnons furent de retour en Bretagne, ils rendirent compte au duc de tout ce qui s'était passé. François qui croyait secrète son intelligence avec l'Angleterre, fut extrêmement surpris. Il ne pouvait accuser d'infidélité que Pierre Landois, son favori. Il le manda sur-le-champ, et quand il fut entré, il lui dit : voici des lettres que le roi m'a envoyées ; vous devez les connaître, voyez-les. Landois dans l'étonnement perdit d'abord la parole et changea de couleur. Cependant ayant fait un effort sur l'accablement où la surprise l'avait mis, il se jeta aux pieds du duc et lui dit : Monseigneur, si vous avez le moindre soupçon de ma fidélité, je me consigne prisonnier entre les mains de qui il vous plaira, pour vous répondre sur ma tête que je n'ai rien fait contre mon devoir. Il ajouta que ne pouvant porter lui-même les dépêches ni envoyer son secrétaire, il avait confié les lettres à Gourmel qui écrivait sous ce même secrétaire ; que ce Gourmel s'était assurément laissé corrompre par argent et qu'il remettait vraisemblablement ses paquets à l'agent de Louis XI. Le duc ordonne à Landois de le faire arrêter, avec menace de le faire pendre lui-même, s'il ne saisissait ce traître. Landois ne se le fit pas dire deux fois : il envoya prendre Gourmel dans un port de Bretagne. On l'amena à Nantes ; on l'interrogea et il avoua qu'il y avait à Cherbourg un homme avec lequel il était d'intelligence ; que cet homme ouvrait les dépêches dont il était chargé pour l'Angleterre, en retenait les originaux, et en faisait des copies où il imitait parfaitement le seing du duc, qu'il faisait la même chose des lettres qu'il rapportait d'Angleterre et qu'il donnait cent écus au porteur pour chaque lettre. Gourmel fut mis en prison dans le château d'Aurai. Quelque temps après on l'enferma dans un sac et on le jeta dans la mer. (1476).
Cependant Louis XI, offensé de l'intelligence du duc de Bretagne avec le roi des Anglais, lui aurait fait la guerre, s'il n'eût été occupé du siége d'Arras. François qui connaissait bien ses intentions, conclut un traité d'alliance avec le monarque Anglais et promit de donner en mariage au prince de Galles, sa fille, Anne de Bretagne, née de sa seconde femme, Marguerite de Foix, fille de Gaston quatrième du nom, comte de Foix et prince de Navarre. (1478). Mais le roi d'Angleterre mourut peu d'années après et laissa le duc de Bretagne sans autres défenses que ses propres forces contre les entreprises de Louis XI. François ne perdit pas courage ; il renforça ses places, augmenta ses garnisons et se mit en état de repousser la force par la force. Mais la mort du roi, arrivée en 1483, vint délivrer les Bretons d'inquiétude du côté de la France.
Cet évènement aurait permis au duc de Bretagne de respirer et de jouir de quelques moments de sécurité, si sa faiblesse ne lui avait préparé des troubles domestiques. Landois, le principal auteur de l'alliance faite avec l'Angleterre, avait indisposé les grands contre lui par son orgueil, ses vexations et son adresse à diriger à son gré l'esprit du duc. Landois était originaire de Vitré, fils d'un tailleur et tailleur lui-même. Il trouva le moyen de se placer chez le tailleur du prince et s'introduisit ainsi à la cour de Bretagne. Le duc, charmé de la tournure de son esprit, le prit à son service. La facilité qu'il avait de parler au prince, lui procura les moyens de le gagner, et, pour y réussir, il mit en œuvre flatteries, mensonges, calomnies, trahisons, en un mot tous les crimes qu'il croyait utiles. Mais ce qui contribua le plus à son élévation, ce fut le penchant de son maître au libertinage. Landois flatta son inclination vicieuse et devint son confident. Il passa rapidement par toutes les charges et se fit enfin nommer trésorier. C'était l'emploi le plus considérable de l'état. Admis au conseil, il forme le projet d'y dominer en maître. Il fait éloigner tous ceux qui lui font ombrage. Un seul restait, et il n'était pas facile de le chasser ; c'était le chancelier Guillaume Chauvin. Chauvin n'était pas le rival de Landois dans l'exercice du pouvoir, mais il jouissait d'une considération qui importunait le favori, et souvent il opposait l'autorité de son opinion aux volontés de Landois. Landois de son côté, avec une âme noire et vindicative, cherchait tous les moyens possibles de contrarier Chauvin et de le rendre odieux au duc. Un jour, dans une contestation très-animée, il s'oublia jusqu'à dire au chancelier qu'il le ferait manger par les poux et mourir de misère. Chauvin lui répondit que ce ne serait pas le premier exemple d'un homme de bien dans l'oppression, mais que la justice divine l'attendait à son tour, lui Landois, et qu'il terminerait une vie criminelle par une mort infâme. Nous verrons tout à l'heure le résultat de leurs prédictions ; mais auparavant suivons Landois dans l'exécution de ses projets ambitieux. Parvenu au sommet du pouvoir, il voulut aussi élever ses parents. Jacques d'Espinay, évêque de Rennes, était un homme turbulent, et pour ce défaut assez mal dans l'esprit du prince : Landois profita de leur mésintelligence, et réussit par ses intrigues à porter le duc à donner à l'évêque pour coadjuteur, l'un de ses neveux. D'Espinay en prit tant de chagrin qu'il alla mourir dans un coin de son diocèse. Landois avait tant de crédit qu'à sa sollicitation le pape Sixte IV nomma à l'évêché de Tréguier, un autre de ses neveux, Robert Guibé, à la place du cardinal Voiledor qui devait occuper ce siége. Plus tard ce Robert Guibé devint évêque de Rennes, puis de Nantes, enfin cardinal et légat.
Cependant Landois ne pouvant forcer Chauvin à fléchir devant son orgueil, assura au duc que c'était un traître, et qu'il tramait les plus noirs complots. François prêta l'oreille à la calomnie, et donna ordre d'arrêter le chancelier, puis il prononça la confiscation de ses biens. Les officiers que l'infâme Landois chargea de cette injuste commission, s'en acquittèrent avec tant de rigueur qu'ils ne laissèrent même pas un lit à l'ancien ministre, ni à sa femme, ni à ses enfants. L'évêque de Nantes et le clergé élevèrent la voix en faveur de l'innocence que le crime opprimait ; leurs remontrances furent vaines, et à la honte du prince breton, les biens confisqués de la victime de son infâme favori servirent à doter un bâtard du duc. Quant à Chauvin, on le traîna de prison en prison et on le renferma enfin dans le château de l'Hermine, près de Vannes, où il mourut consumé par la faim, la soif et la vermine.
A la nouvelle de la mort de ce vertueux magistrat, le peuple et les grands seigneurs, déjà fort mécontents, jurèrent la perte du favori. Le maréchal de Rieux vint au château de Nantes, y entra par surprise, annonça sans détour que son intention était de se saisir de Landois. Il fit visiter les lieux les plus cachés sans excepter la chambre du duc. Cependant le scélérat Landois réussit à se sauver cette fois, et le maréchal courut risque de perdre la vie. Landois, irrité jusqu'à la fureur, alla trouver le duc et lui représenta les auteurs de cette action comme des rebelles qui ne connaissaient plus l'autorité de leur souverain. Le duc jura de punir les coupables et ordonna de faire le siége d'Ancenis, place qui appartenait au maréchal de Rieux et qui servait alors d'asile aux mécontents. Mais les soldats, chargés de cette commission, au lieu de tirer l'épée contre les seigneurs, jurèrent de ne les quitter qu'après le supplice de Landois. Aussitôt ils vont tous à Nantes et arrivent, enseignes déployées, devant le château : on en brise les portes : les soldats et le peuple entrent en foule, remplissent la cour et les avenues. Landois commence à craindre et s'enferme dans une armoire dont le duc prend la clef. François, voyant la sédition s'augmenter, envoya le comte de Foix, son beau-frère, pour tâcher de calmer les esprits ; mais il ne put y réussir. Embarrassé de son embonpoint, il faillit être étouffé par la foule, malgré tout le respect qu'on lui portait, et il eut mille peines à regagner la chambre du duc. Monseigneur, lui dit-il, je vous jure Dieu que j'aimerais mieux être prince d'un million de sangliers que de vos Bretons ; il faut de toute nécessité livrer le trésorier, autrement nous sommes tous en danger. Alors le duc ouvrit l'armoire, prit Landois par la main et le livra au chancelier Chrétien, successeur de Chauvin, en lui disant : vous savez ce que vous lui devez ; soyez-lui ami en justice. A l'instant le trésorier fut conduit à la tour de Saint-Nicolas, au milieu de la garde, rangée en haie. On instruisit le procès du favori ; il fut convaincu de la mort de Chauvin, de malversations criantes dans l'exercice de sa charge, d'exactions énormes, de vols, etc. En conséquence il fut condamné à être pendu. L'exécution se fit hors de la ville dans la prairie de Biéce, à la vue d'un peuple immense. (1485).
Telle fut la fin du fameux Landais, le plus adroit politique qui fût alors en Europe. Homme de tête et de courage, il eût mérité l'estime des grands et du peuple, s'il avait eu moins d'orgueil, moins de passion pour la vengeance, et s'il n'avait pas usé tyranniquement de l'ascendant qu'il avait pris sur l'esprit de son prince. Reprenons le fil des grandes affaires.
Charles VIII avait succédé à Louis XI, son père. A peine fut-il monté sur le trône qu'il vit la plupart des grands seigneurs conspirer contre l'état, dans le dessein d'ôter à madame de Beaujeu la régence qui lui avait été confiée. Le duc d'Orléans, le prince d'Orange, le comte de Dunois et celui de Cominges, etc., se retirèrent en Bretagne où ils furent bien reçus. La duchesse régente, indignée de leur conduite, leva des troupes et prit des mesures pour s'emparer du duché de Bretagne sous prétexte de punir la désobéissance des rebelles.
Amilcar fit jurer à son fils Annibal haine immortelle au peuple romain ; François II fit jurer à l'aînée de ses filles, haine éternelle à tous ceux qui voudraient s'emparer de son héritage. Il assembla les états à Rennes pour assurer sa couronne à cette princesse qui en était la légitime héritière. Tous les seigneurs bretons jurèrent sur la croix qu'ils reconnaîtraient Anne de Bretagne pour leur souveraine princesse et qu'ils mourraient plutôt que de souffrir une domination étrangère. (1485 ou 1486) [Note : Cette année-là le duc créa un parlement sédentaire en Bretagne pour rendre la justice à ses sujets. L'année suivante, il abolit dans ses domaines le droit de mottage, en vertu duquel il recueillait la succession des colons qui mouraient sans enfants].
Cependant Charles VIII fit entrer l'année suivante trois corps de troupes en Bretagne. L'un se dirigea sur Ploërmel qui fut obligé de se rendre, mais après avoir vendu cher la perte de sa liberté ; l'autre corps se porta sur Vannes qui ne fit aucune résistance ; le gros de l'armée alla mettre le siège devant Nantes. Les assiégeants attaquèrent la place avec fureur et les assiégés se défendirent avec courage. Sur les entrefaites, accourut le comte de Dunois au secours de la ville, à la tête de dix mille hommes. On se battit avec acharnement de part et d'autre, mais la valeur des Bretons l'emporta ; le siége fut levé et les Français se retirèrent. Ici le courage des Guérandais mérite une mention honorable.
Ils s'étaient rendus au siège au nombre de cinq cents, tous résolus d'exposer leur vie pour le duc de Bretagne. On leur avait donné des hoquetons marqués d'une croix noire, selon l'ancien usage de la nation bretonne qui se distinguait dans les batailles par ce signe vénérable. Pour faire voir qu'ils méritaient la confiance qu'on plaçait dans leur courage, les valeureux Guérandais passèrent l'eau et se battirent contre les Français dans la plaine de Biéce, d'une manière qui leur attira des louanges et la meilleure part à l'honneur de cette journée. (1487).
Par suite de la levée du siége de Nantes, la cour de France proposa un accommodement et souhaita le roi d'Angleterre pour arbitre. Elle trouva bon que l'ambassadeur de ce prince se rendît auprès de François et du duc d'Orléans pour leur proposer de rentrer dans la soumission. Mais le duc d'Orléans qui dirigeait le duc de Bretagne, rejeta toutes les propositions que lui fit l'ambassadeur. Le roi de France s'autorise sur ce refus à pousser la guerre avec vigueur. Il envoie son armée du côté de Dol. Cette ville ne fait aucune résistance ; seulement elle ferme ses portes à l'arrivée des troupes ; mais cette mesure n'arrête pas l'ennemi ; la ville est prise et livrée au pillage. Ailleurs cependant les affaires du duc n'allaient pas si mal. Redon se rend ; Ploërmel est repris ; Vannes est assiégée par l'armée bretonne ; la place est battue de canons ; les Français se rendent, et la ville passe encore au pouvoir de ses anciens maîtres. (1488).
Pendant ce temps-là, Charles s'était avancé en personne jusqu'à Ancenis. Il mit le siège devant cette ville et commanda les attaques. Assiégeants et assiégés, tout le monde fit des prodiges de valeur. Cependant les batteries ayant fait tomber les murs et les remparts, la place fut prise et les fortifications rasées. Fougères, quoique défendue par des gens d'une valeur reconnue, subit le même sort.
Pour réparer tant de pertes et de malheurs, les Bretons et les seigneurs français voulurent faire un dernier effort, réunir leurs forces et livrer une bataille décisive. On résolut d'aller assiéger Saint-Aubin-du-Cormier, et l'armée Bretonne se mit en marche. Les forces du roi de France ne tardèrent pas à se présenter sous les ordres du seigneur de la Tremouille, premier chambellan et lieutenant- général. On voyait dans l'armée de Bretagne, des Bretons, des Anglais, des Gascons, quinze cents Allemands et beaucoup d'Espagnols sous le commandement du sire d'Albret. Le quartier de ce prince et celui du duc d'Orléans étaient assez éloignés l'un de l'autre. Tout à coup au milieu de la nuit, à la veille d'une bataille, presque à la vue de l'ennemi, le camp du prince français est éveillé par une alerte. On prend les armes à la hâte, on court reconnaître ceux qui s'avancent, et ce sont les troupes d'Alain d'Albret et du maréchal de Rieux. On les accuse d'avoir médité une surprise nocturne, une trahison ; les reproches sont repoussés comme des offenses ; on est sur le point d'en venir aux mains. Ce n'est qu'avec peine que quelques chefs plus modérés préviennent les derniers excès de la discorde. Le lendemain les altercations recommencèrent dans le conseil. Les ennemis du duc d'Orléans repoussaient ses accusations et l'accusaient lui-même d'être d'intelligence avec la France. Pour détruire ces calomnies et pour apaiser les troupes, le prince résolut de combattre à pied parmi les Allemands ; bientôt il en eut l'occasion. Le 28 juillet 1488, les deux armées se rangent en ordre de bataille ; les enseignes se déploient, les cors et les trompettes sonnent la charge et le combat commence. L'avant-garde des Bretons, commandée par le maréchal de Rieux, repoussa d'abord la première ligne de la Tremouille ; mais un capitaine Allemand, nommé Blaire, ayant fait un mouvement pour se mettre à couvert de l'artillerie française, la ligne de l'armée bretonne se trouva interrompue. La cavalerie Française chargea les escadrons du duc, qui ne soutinrent pas même le premier choc, et trouvant l'ouverture que le capitaine Allemand avait faite, elle rompit les rangs, et porta partout et le désordre et le carnage. Les Bretons perdirent six mille hommes dans cette bataille, les Français quinze cents. Le duc d'Orléans et le prince d'Orange furent faits prisonniers. Ce dernier fut pris d'une manière qui ne lui fait pas beaucoup d'honneur. Quand il vit l'armée de Bretagne en déroute, il se jeta, le ventre contre terre, entre les morts. Un archer du roi le reconnut et lui dit : Monseigneur, si vous voulez, je vous sauverai.— Mon ami, répondit le prince, sais-tu à qui tu parles. L'archer lui dit qu'il le connaissait bien, que même il avait porté les armes sous ses drapeaux. Le prince lui promit une grande récompense et fut mis en sûreté avec les prisonniers. La Tremouille arriva peu de temps après. Il invita les deux princes à souper, fit asseoir le duc d'Orléans au-dessus de lui, le prince d'Orange à la place la plus honorable après, et se mit vis-à-vis d'eux. Au dessert on vit entrer deux cordeliers : les convives pâlirent. La Tremouille se leva ; Messeigneurs, leur dit-il, il ne m’appartient de rien ordonner contre vous ; cela est réservé au roi ; mais vous, (adressant la parole aux autres prisonniers), vous qui avez quitté le parti du monarque Français pour suivre celui de ses ennemis, confessez-vous, vous n'avez qu'un instant pour vous préparer à la mort. Les princes intercédèrent vainement pour eux. Le duc d'Orléans fut envoyé dans la tour de Bourges où il resta renfermé près de trois ans. Quant au prince d'Orange, il fut conduit au château d'Angers.
La Tremouille, profitant de sa victoire, envoya quelques hérauts sommer les habitants de Rennes de se rendre, et pour leur faire savoir que, s'ils s'y refusaient, il irait les y assiéger le lendemain. A cette nouvelle les bourgeois s'assemblent, délibèrent et envoient Bouchard, Le Vayer et Plessix-Balisson porter leur décision aux hérauts de la Tremouille. Bouchard leur parla ainsi au nom du peuple : ne pensez pas que vous soyez déjà seigneurs de Bretagne et que vous ayez aussi facilement le surplus. Nous avons dans Rennes quarante mille hommes dont vingt mille sauront bien se défendre contre la Tremouille, s'il se présente. Nous ne craignons ni le roi ni sa puissance ; allez le dire à votre maître. Cette réponse énergique sauva la ville du siége, mais l'orage qu'elle avait su détourner fondit sur celles de Dinan et de Saint-Malo qui furent obligées de se rendre. Ce fut à cette époque qu'arrivèrent en Bretagne les secours tardifs de l'Angleterre. On vit enfin débarquer un corps de huit mille hommes, envoyé par le roi Henri ; mais c'était trop tard : l'armée du duc n'existait plus ; le découragement était extrême. François II, consterné, sollicita la paix par une lettre qu'il fit porter au roi de Franc, et dans laquelle il prenait la qualification de son sujet. Pour examiner ce qu'il y avait à faire dans cette circonstance, le roi se retira avec son conseil au Verger près d'Angers. La plupart des membres du conseil opinèrent pour la continuation de la guerre, attendu la facilité de la conquête entière de la Bretagne, et l'occasion favorable d'éteindre une maison trop longtemps ennemie de celle des Valois. Cet avis flattait la régente, Mme de Beaujeu : il était conforme à ses projets ambitieux sur le comté de Nantes, et il eût prévalu sans le vertueux chancelier Gui de Rochefort. Cet homme, sincère et désintéressé, se lève en plein conseil, et adressant la parole au monarque avec une noble fierté d'âme : « la force, dit-il, ne fait point le droit. C'est sur la justice qu'il faut régler les déclarations de guerre. Tant de conquérants, fléaux du monde, ont pu penser différemment ; mais un roi ne fait tort à personne. Il n'est souverain que pour empêcher l'oppression. Le duc de Bretagne peut, comme il le proteste lui-même, avoir donné retraite au prince, son parent et son ami, sans avoir eu l'intention de troubler le royaume. S'il est coupable, faut-il étendre la vengeance sur sa fille et la frustrer de la succession ? Les fautes sont personnelles. Mais, dit-on, l'on a des droits sur la Bretagne. Qu'on les examine donc, ces droits. S'ils ne sont pas fondés, qu'on rappelle incessamment les troupes ; s'ils le sont, il faut continuer la guerre plus vivement que jamais. Un prince doit être juste ; il y va du bonheur des peuples et de sa gloire particulière ».
Le sage fut écouté cette fois à la cour. On n'osa point abuser de la victoire. Le roi accorda la paix à la Bretagne aux conditions suivantes : que le duc ferait sortir du pays toutes les troupes étrangères, et qu'il n'en appellerait jamais dans ses états pour faire la guerre à la France ; que les places de Saint-Malo, de Dinan, de Fougères et de Saint-Aubin-du-Cormier demeureraient aux Français ; qu'enfin le duc ne marierait point ses filles sans l'agrément du roi de France.
Cette dernière condition était dure ; elle renversait tous les projets de ce malheureux prince. Cependant il fallut s'y soumettre. François en eut tant de chagrin qu'il mourut peu de jours après à Coiron, le 9 septembre 1488, à l’âge de cinquante-trois ans. Il fut enterré dans l'église des Carmes à Nantes. Ce prince avait été marié deux fois. Marguerite de Bretagne, fille de François Ier, fut sa première femme ; Marguerite de Foix, fille de Gaston IV, fut la seconde. Marguerite de Bretagne lui donna un fils qui mourut jeune, Marguerite de Foix deux filles, Anne et Isabelle.
François II fut déréglé dans ses mœurs, et ne se conduisit que par des impressions étrangères, faiblesse assez ordinaire aux personnes élevées en dignité. Du reste ce fut un prince juste, courageux, affable, doux et charitable.
Un jour il rencontra un pauvre vieillard sur le chemin de Rennes et lui demanda où il allait. — Monsieur, répondit le bonhomme, qui ne connaissait pas le duc, je m'envais à laville me défaire de cet animal (c'était un coq) pour payer le duc. — Il n'en fallut pas davantage à ce prince pour supprimer diverses taxes, afin de soulager son peuple. Enfin, pour tout dire en deux mots, sans ses maîtresses et ses favoris, on n'aurait pu blâmer ce prince que de s'être trop mêlé des affaires étrangères. Mais le souverain qui n'a rien à se reprocher est aussi rare que le corbeau blanc dont ce dernier duc faisait ses délices.
ANNE.
Duchesse de Bretagne.
(1488).
Aussitôt que François II eut cessé de vivre, les Bretons proclamèrent duchesse souveraine Anne de Bretagne, fille aînée de ce prince. Comme elle n'avait alors que douze ans, on lui donna pour tuteur le maréchal de Rieux, et pour conseillers le sire d'Albret, le chancelier de Montauban, le comte de Dunois et le comte de Cominges. La comtesse de Laval fut maintenue dans sa charge de gouvernante. La Bretagne était alors aux abois. On était réduit à frapper des monnaies de cuir. Les Français continuaient de dévaster le pays et de prendre des villes, comme si la paix n'eût pas été signée. Châteaubriand, Pontrieux, Concarneau, Brest furent emportés de vive force. Guingamp éprouva le même sort ; mais après une résistance qui mérite une mention dans l'histoire. Cette ville avait été mise en état de défense par les soins de Chero et de Guiquel, capitaines bretons. Un traître à sa patrie, le vicomte de Rohan, général du monarque français, fit investir cette ville et attaquer le faubourg de Tréguier. Cette place fut défendue avec la plus grande valeur par une troupe de jeunes gens qui s'étaient enfermés dans un fort près la chapelle de Saint-Léonard. Le second jour du siége, le vicomte prit Montbareil qu'il livra aux flammes, après l'avoir pillé. Il fit ensuite dresser une batterie de trois couleuvrines pour abattre le fort de Saint-Léonard où Guiquel s'était réfugié avec les jeunes gens. Ceux-ci sortirent du fort pour s'emparer des couleuvrines. Un combat sanglant s'engagea ; mais la jeunesse qui craignait que toute l'armée française ne vint l'assaillir, se retira promptement. Le vicomte fit aussitôt creuser un fossé entre le fort Saint-Léonard et la ville pour couper la communication et pour empêcher l'envoi de tout secours. Avant que le fossé fût achevé, Guiquel et la jeunesse sortirent du fort. Le général français, instruit de leur manœuvre, fit avancer des soldats pour s'opposer à leur passage ; mais, malgré la résistance, les Bretons se firent jour, l'épée à la main, et rentrèrent dans la ville. Cependant le vicomte qui s'était rendu maître des couvents des Cordeliers et des Jacobins, y logea son armée, en distribua une partie dans le jardin des Jacobins et l'autre sur Montbareil. Les Français attaquent la ville du côté des remparts ; on les repousse vivement : ils se retirent. Le lendemain, le vicomte ordonne encore de dresser dans le jardin des Cordeliers une batterie qui tire toute la journée et fait une brèche entre les portes de Montbareil et de Tréguier. Les assiégeants montent à l'assaut ; les Bretons les repoussent avec une valeur héroïque ; mais un capitaine de Guingamp s'empare de la tour Guenchi, et, par la plus noire trahison, facilite à l'ennemi l'entrée de la place. La ville est prise et livrée au pillage. (1489).
La Bretagne était alors inondée de troupes étrangères, et le roi de France y était tellement le maître que les lettres pour la convocation des états s'expédiaient en son nom. Ce monarque réclamait la tutelle de la duchesse Anne et de sa soeur, et faisait inviter l'aînée à s'abstenir de prendre le titre de duchesse, jusqu'à ce que les commissaires, nommés pour examiner les droits de la France, eussent prononcé. Cette conduite du monarque porta les ministres de la duchesse à négocier avec le roi des Romains, Maximilien, et avec le roi de Castille. Ceux-ci firent quelques mouvements pour donner de l'inquiétude à la France du côté de la Flandre et sur la frontière des Pyrénées. Pendant ce temps-là, on conclut un traité avec le roi d'Angleterre, Henri VII, qui promit un secours de six mille hommes à condition que la Bretagne en payât l'entretien et le transport, que la duchesse lui remit deux places de sûreté à son choix et qu'elle ne se mariât point sans son consentement.
Le conseil de Bretagne s'occupait cependant du mariage de la princesse. Trois princes demandaient la main de la duchesse, Maximilien, le duc d'Orléans et le sire d'Albret. Le feu duc l'avait promise à ce dernier qui insistait beaucoup sur cette promesse, et se voyait appuyé par la comtesse de Laval et par le maréchal de Rieux. La duchesse protesta qu'elle ne l'épouserait jamais, dût-elle se faire religieuse. Enfin elle épousa par procureur le roi des Romains, au mois d'avril 1490.
Charles VIII qui pensait à réunir le duché à la couronne, apprit avec chagrin cette nouvelle. Il aurait bien voulu épouser lui-même la duchesse ; mais il avait pris des engagements avec Marguerite d'Autriche, fille du roi des Romains, engagements qu'il ne paraissait pas facile de rompre. Cependant, après de longues réflexions, il se détermina à renoncer à cette alliance pour tourner ses vues du côté de la Bretagne. Il fit élargir le duc d'Orléans qui, depuis sa défaite, était enfermé dans la tour de Bourges, et envoya ce prince trouver la duchesse Anne, avec un équipage convenable à sa naissance. Le duc arriva à Rennes au mois d'octobre 1490 et fut reçu avec beaucoup de joie. Les circonstances étaient bien changées : autrefois ce prince avait fait la cour à la princesse, et maintenant il ne paraissait devant elle que pour l'engager à donner sa main à un autre. Il n'hésita pourtant point à s'acquitter de sa commission. Il trouva la duchesse mécontente des longueurs affectées de Maximilien, mais plus mécontente encore de la conduite des Français qui avaient rompu la trève, conclue sous le règne de François II, son père. Elle se plaignit des ravages qu'on avait faits dans ses états, de l'oppression de son peuple et de la tyrannie exercée sur elle-même, et refusa tout net le mariage qu'on lui proposait, bien qu'elle fût assiégée dans Rennes par l'armée du roi.
Cependant son conseil lui ayant offert le spectacle attendrissant de la désolation générale, lui ayant représenté que le seul moyen d'obtenir la paix et de rendre son peuple heureux était d'accepter les offres de la France qui lui rendrait toutes les places qu'on lui avait enlevées ; que de simple duchesse de Bretagne, elle allait devenir la reine d'un puissant royaume, elle consentit à tout, rompit le mariage déjà fait par procureur avec le roi des Romains, et donna sa parole à Charles VIII. Le contrat fut passé à Langets, près deTours, le 6 décembre 1491.
Charles se rendit huit jours après à Rennes, où il vit pour la première fois la duchesse Anne. On convint dans l'entrevue des principaux articles du mariage. Le premier article concernait la cession réciproque que faisaient les deux époux au dernier survivant de tous leurs droits et prétentions au duché, au cas qu'ils n'eussent point d'enfants de leur mariage ; le second article portait que, si la cession avait lieu au profit de la duchesse, elle serait tenue d'épouser en secondes noces le successeur au trône, ou, à son défaut, l'héritier présomptif de la couronne, qui, dans ce cas, rendrait au roi pour la Bretagne tous les droits féodaux, ainsi que l'avaient fait les ducs prédécesseurs, et ne pourrait aliéner le duché ni le faire passer en d'autres mains qu'en celles du prince régnant : le troisième article, mais qui ne fut pas rendu public, portait que la princesse conserverait toute son autorité dans la province.
Quand toutes ces conditions eurent été réglées, le roi partit de Rennes pour se rendre à Langets, où il fut suivi par la princesse. Le mariage y fut célébré dans une salle du château. Le pape Innocent VIII donna les dispenses nécessaires, à condition que, dans l'espace de six mois, les deux époux emploieraient mille écus d'or à marier les filles pauvres.
De Langets la cour vint à Saint-Denis. La nouvelle reine y fut couronnée en présence du roi et des grands du royaume. Le lendemain, elle fit son entrée dans la capitale. Tous les corps de la ville allèrent la recevoir avec appareil. Le peuple accourait à sa rencontre en si grande affluence qu'elle eut peine à se rendre du village de la Chapelle à Paris. Les acclamations retentissaient de toutes parts. Jamais triomphe ne fut si pompeux, ni marqué par tant de joie et d'applaudissements. La capitale ne pouvait se lasser d'admirer et de célébrer une jeune princesse qui apportait en dot au monarque une belle province avec la paix [Note : Isabelle de Bretagne, sœur de la duchesse Anne, était morte à Rennes le 24 aût 1490].
Cependant en se mariant avec la duchesse, le roi n'avait fait aucune mention des priviléges de la Bretagne. Les villes adressèrent à Charles des représentations à ce sujet. Le monarque fit convoquer les états en son nom, et, par une déclaration du 7 juillet 1492, ordonna que l'on ne pourrait appeler ses sujets bretons, en jugement de première instance, ailleurs que devant les juges de leur pays ; que le parlement de Bretagne administrerait la justice comme il l'avait fait jusqu'alors, et qu'on pourrait appeler de ses arrêts devant le parlement de Paris, comme précédemment. Il accorda en outre que les impôts ne seraient levés en Bretagne qu'avec le consentement des états, et que ceux qui avaient pour objet l'entretien des places fortes, ponts et routes, ne pourraient être détournés de leur destination.
Anne, en devenant reine de France, cessa d'exercer sa souveraineté, comme duchesse de Bretagne. Charles VIII gouverna le duché pendant près de sept ans que dura leur union. La reine se renferma dans les vertus de son sexe, tenant sa cour avec dignité, veillant avec attention, avec sévérité même sur les dames dont elle s'entourait, et s'occupant des soins domestiques et de l'étiquette, comme si elle n'eût pas été capable des affaires du gouvernement. Cependant Mézerai dit que, dès son entrée en France, elle donna du coude à madame de Beaujeu.
Dès la première année de son mariage, Anne donna à la France un dauphin. La naissance de cet enfant fut un évènement pour la Bretagne. Les états manifestèrent l'allégresse des peuples en votant une contribution plus forte que celle des années précédentes. Le roi, en signe de bienveillance, accorda quelques priviléges aux villes de Nantes et de Rennes. Plus tard, il établit en Bretagne le parlement des grands jours, qui devait se tenir depuis le 1er septembre jusqu'au 8 octobre.
Charles VIII mourut la veille du dimanche des Rameaux, le 7 avril 1498, et voici comment : il était à son château d'Amboise avec sa cour ; et comme on devait ce jour-là faire une partie de paume dans les fossés du château, il prit la reine par la main et la conduisit dans une galerie d'où l'on pouvait voir le jeu. La porte de cette galerie était si basse, que, quoique le roi fût petit, il s'y heurta la tête en entrant. Il ne parut pas beaucoup s'occuper de cet accident, lorsque tout-à-coup il tomba à la renverse d'une attaque d'apoplexie si foudroyante, qu'il expira quelques heures après, sur une simple paillasse, apportée à la hâte ; sujet digne de réflexion sur le néant des choses humaines.
Il est difficile d'exprimer combien la mort précipitée de ce prince affligea la reine. Elle s'habilla en noir, contre la coutume, et fut deux jours sans prendre de nourriture ni de repos et ne voulant recevoir aucune consolation. Il n'est plus rien au monde, disait-elle, qui puisse m'attacher à la vie.
Cependant Louis XII, sensible à la douleur de cette princesse, envoya pour la consoler le cardinal Briçonnet et Jean de la Mark, évêque de Condom. Les larmes coulèrent de ses yeux avec plus d'abondance, quand elle aperçut Briçonnet qui avait été si cher à son époux. Briçonnet lui-même, ayant voulu porter la parole, sentit sa voix suffoquée par la douleur et fut obligé de laisser parler l'évêque. Par la force de son éloquence et de ses raisons, ce prélat détermina la reine à prendre quelque nourriture et à survivre à sa douleur. Elle recouvra ses forces peu à peu et s'occupa sans délai à donner une nouvelle forme à la chancellerie de Bretagne, ordonnant par ses lettres qu'elle tiendrait ses séances alternativement à Rennes et à Nantes, à commencer au 1er mai. (1498).
Elle partit ensuite pour cette dernière ville, et y arriva le 8 novembre. Le clergé s'avança processionnellement avec les saintes reliques au-devant de la princesse. On remarqua à son entrée une jeune fille superbement vêtue, qui, portée dans une tour sur le dos d'un éléphant de bois, présenta les clefs de la ville à la reine. Deux sauvages conduisaient cette machine qui était mise en mouvement par des hommes qui, sans paraître, la faisaient marcher.
Après avoir passé quelque temps à Nantes, et fait plusieurs ordonnances utiles, Anne se rendit à Rennes pour y tenir les états du pays.
Louis XII, successeur de Charles VIII, la désirait en mariage, mais il était déjà marié à la vertueuse Jeanne, fille de Louis XI, et Anne montrait de grands scrupules ; en effet elle pouvait en avoir. Il fallait donc avant tout que Louis déclarât nul son premier engagement et qu'il obtint ensuite une bulle de cassation du pape pour en contracter un autre. On allégua la parenté au quatrième degré, l'affinité spirituelle, la violence exercée à l'égard du duc d'Orléans par Louis XI pour lui faire épouser Jeanne. Le pape Alexandre VI nomma des commissaires pour examiner cette affaire épineuse. Après l'information, il déclara le mariage nul et permit au roi de se remarier. Alors Louis se rendit à Nantes et y épousa Anne reine douairière de France. (1499).
La veille de ce mariage qui réunit irrévocablement la Bretagne à la France la princesse eut soin d'exiger du roi une déclaration qui garantissait les priviléges de ses chers Bretons.
En 1504 ou 1505, Louis tomba malade perdit la parole, fut à l'extrémité. La consternation se répandit de la chambre du monarque dans toutes les provinces : tout le monde tremblait de perdre un prince si justement vénéré. Pour la reine qui ne respirait qu'après le séjour de son pays qu'elle aurait tant et qu'elle voulait gouverner toute seule, si Dieu disposait de son mari, elle donna ordre d'emballer ses meubles et de les charger sur la Loire, dans le dessein de les envoyer au château de Nantes. Le maréchal de Gié fit garder les passages et arrêter les meubles, dans la pensée que le roi lui en saurait bon gré, lorsqu'il se serait rétabli. Il se trompa, car il fut livré à la vengeance de la reine qui lui fit faire son procès. Le sire d'Albret qui disait avoir des griefs à témoigner, feignit une maladie pour occasionner à l'accusé l'humiliation de se transporter chez lui. La confrontation se fit donc dans un des châteaux d'Albret, et l'on y poussa, dit un auteur, jusqu'à l'indécence l'oubli du respect dû au malheur. « L'accusé était sur un petit siège : le témoin, étendu sur son lit, jouait avec un petit singe qui de temps en temps s'échappait pour aller tirer la barbe blanche du vénérable maréchal, aux grands éclats de rire des spectateurs » (D.). Enfin l'affaire fut portée au parlement de Toulouse, qui condamna le maréchal, le priva de ses charges, et lui ordonna de se tenir éloigné de la Cour pendant cinq ans, au moins de dix lieues.
Quelque temps après que cette affaire fut terminée, la reine fit travailler par un excellent ouvrier au magnifique tombeau du feu duc son père. Ce mausolée fut érigé dans le chœur des Carmes de Nantes. On n'a rien à dire des années suivantes jusqu'à l'an 1510, si ce n'est que la peste désola Rennes en 1509.
En 1510, la guerre éclata entre la France et le pape Jules II. Louis assembla le clergé de France à Tours pour délibérer sur cette affaire. Les députés du clergé breton, qui se trouvaient à l'assemblée, protestèrent qu'ils n'entendaient point que le clergé de Bretagne fût compris dans les convocations générales du clergé de France, et que, si l'on arrêtait quelque chose de contraire à l'honneur de l'église romaine, ils déclaraient dès-lors leur consentement nul et extorqué par crainte, qu'ils en appelaient et qu'ils en appelleraient encore en temps et lieu.
Malgré cette opposition et les larmes de la reine qui suppliait le roi de renoncer à son entreprise, la guerre fut résolue et Louis passa les monts.
Peu d'années après, Henri VIII, roi d'Angleterre, en guerre avec la France, arma contre ce pays une flotte de quarante vaisseaux. Cette flotte parut à la vue des côtes de Bretagne au mois d'août de l'année 1513. Primoguet ou Porsmoguer, gentilhomme breton, qui commandait un vaisseau de douze cents hommes d'équipage, appelé la Cordelière, que la reine avait fait construire à Morlaix avec beaucoup de dépenses, sortit du port de Brest, joignit la flotte française qui n'était que de vingt vaisseaux, attaqua l'amiral anglais qui commandait le vaisseau nommé, la Régente. La Régente et la Cordelière se tirèrent d'abord plusieurs bordées ; ensuite Primoguet accrocha l'amiral anglais et l'on en vint à l'abordage. Le Breton était sur le point de se rendre maître de l'Anglais, lorsque tout-à-coup il se vit entouré de douze vaisseaux ennemis. Le sien s'embrase, saute, disparaît. Primoguet n'eut que le temps de se jeter à la mer où il fut noyé sans qu'il fût possible de le secourir. Les vaisseaux français furent extrêmement endommagés par le feu des ennemis ; ils étaient même en danger d'être pris, lorsque tout-à-coup quatre navires, bretons du Croisic se présentent, se battent, chassent les Anglais, les poursuivent de concert avec les Français, descendent en Angleterre et pillent quelques villes.
Peu de temps après, les Anglais, pour se venger des désordres que les Français et les Bretons avaient faits en Angleterre, firent une descente auprès de Pennemark, pillèrent et brûlèrent plusieurs villages.
Le grand-maître d'hôtel de Bretagne assemble les communes à la hâte, vole aux ennemis et les contraint à se rembarquer plus vite qu'ils n'avaient fait leur descente. (1513).
Au commencement de l'année suivante, la reine tomba malade, reçut les derniers sacrements et mourut au château de Blois, le 9 janvier 1514, à l'âge de trente-sept ans. Son corps, enseveli et revêtu des habits royaux, demeura exposé jusqu'au 13, dans la chambre où elle était morte. Alors elle fut portée dans la salle d'honneur, où elle fut laissée jusqu'au 15. Cette salle était tendue d'une riche tapisserie de fil d'or et de soie, et le lit où fut déposé le corps était couvert d'un grand drap d'or, brodé d'hermines, traînant jusqu'à terre. Aux deux côtés de la reine, il y avait deux coussins de drap d'or, sur l'un desquels était la main de justice et le sceptre sur l'autre. Pendant tout le temps que le visage de la reine demeura découvert, il n'y eut personne qui n'admirât le peu de changement que la mort y avait apporté. Tout le monde disait que cette beauté qui résistait pour ainsi dire à l'empire de la mort, était une récompense de la pureté de ses mœurs. Quand il fallut couvrir le visage de cette princesse, tous les assistants, la regardant pour la dernière fois, fondirent en larmes et poussèrent des cris de douleur. Avant de mourir, elle avait demandé au roi que son corps fût enterré à Nantes, dans le tombeau de son père et de sa mère. Louis n'y ayant point consenti, elle le pria du moins d'envoyer son cœur à ses chers Bretons. Cette faveur lui fut accordée, à elle et à la Bretagne. Quant à son corps, il fut porté à Saint-Denis, sépulture ordinaire des rois.
Anne était petite et un peu boiteuse, mais d'une très-belle figure. Naturellement fière et impérieuse, elle fatigua plus d'une fois la douceur de Louis XII, qui ne s'en vengeait qu'en l'appelant ma bretonne. Du reste elle était polie, honnête, sensible, pieuse et bienfaisante, sur tout à l'égard des Bretons ; aussi son nom est-il en vénération chez ce peuple, encore même aujourd'hui. On lui reproche d'avoir persécuté trop vivement le maréchal de Gié et de s'être montrée moins Française que Bretonne. Il est vrai qu'elle ne pouvait cacher sa prédilection pour son ancien peuple. Elle faisait de fréquents voyages en Bretagne, et, si elle entreprenait quelques pélérinages, ils avaient toujours pour objet Notre-Dame du Folcoat. Anne était instruite, et favorisa beaucoup les savants. Elle commença le brillant ouvrage de la restauration des lettres, que continua François Ier. Qu'il était beau de voir cette princesse, dans un temps d'ignorance, ramener dans Paris et dans Nantes les âges heureux d'Athènes et de Rome !
Après la mort de la reine Anne, Louis XII donna le duché de Bretagne au comte d'Angoulême, son gendre, qui ordonna que le parlement des grands jours serait sédentaire à Vannes.
L'avantage des peuples, l'importance d'une paix solide entre deux nations rivales et depuis de longues années ennemies, furent les seules considérations capables de déterminer Louis XII à prendre de nouveaux engagements avec Marie d'Angleterre, sœur de Henri VIII. Le mariage fut célébré à Abbeville. Mais ce monarque ne vécut pas longtemps avec sa nouvelle épouse : l'image de la première, des regrets continuels, une santé délicate, tout cela le conduisit bien vite au tombeau dans sa cinquante-troisième année. (1515). Monarque digne de vivre à jamais dans la mémoire des hommes, il aurait peut-être égalé les plus grands princes de la terre, s'il avait vécu plus longtemps. Pour faire en un mot son éloge, il suffit de dire qu'au milieu de ses funérailles il fut proclamé père du peuple à son de trompe.
François de Valois, duc d'Angoulême, premier prince du sang, régna sous le nom de François Ier, après Louis XII, mort sans enfants mâles. Il succéda au duché de Bretagne par son épouse, Madame Claude, fille de Louis XII et de la duchesse Anne.
En 1532, les états assemblés à Vannes envoyèrent au roi une requête par laquelle ils le suppliaient de permettre que le dauphin, alors présent en Bretagne, fit son entrée solennelle dans la capitale comme duc et seigneur, de se réserver à lui-même l'usufruit et l'administration du pays, de prononcer la réunion perpétuelle du duché à la couronne de France, en maintenant les droits, les libertés et les priviléges de la province, et en faisant jurer au dauphin de les maintenir ; enfin de défendre à tous ceux qui se prétendaient issus des anciens ducs de Bretagne, par les femmes, d'en porter le nom et les armes. En conséquence de cette demande, le roi déclara, par des lettres patentes, le dauphin son fils vrai duc et propriétaire du duché de Bretagne, et passa l'acte pour l'union de cette province à la couronne de France, le 12 août de la même année. Le dauphin se rendit à Rennes, où il fit son entrée et fut couronné sous le nom de François III. Dès lors la Bretagne fut irrévocablement unie à la France, après avoir eu pendant près de douze cents ans ses princes particuliers et une constitution qui lui était propre.
Il est à remarquer en finissant qu'il y eut à peine cent ans de paix dans le duché pendant cet intervalle. Ceci prouve assez que le repos et le bonheur dont la Bretagne a presque toujours joui sous le sceptre des rois, sont le bienfait de la réunion de cette contrée à la couronne de France ; mais il faut se souvenir qu'elle s'est donnée d'elle-même, et qu'elle n'est pas une conquête comme la plupart des autres provinces.
(Abbé Brouster).
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