Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA COMMUNAUTÉ NOTRE-DAME-DE-CHARITÉ DE HENNEBONT.

  Retour page d'accueil       Retour page "Ville de Hennebont"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Fondation et destruction de ce Monastère.

L'Ordre de Notre-Dame-de-Charité n'avait pas encore accepté la maison de Rennes, que déjà la Mère Marie de la Trinité avait des vues surnaturelles sur deux autres fondations. Cette remarquable religieuse exerçait une grande influence, nous l'avons dit, sur les dames de la haute société de la ville. Elle savait les gagner à Dieu et exciter leur zèle pour le salut des âmes. Parmi celles qui fréquentaient le plus ordinairement les parloirs du couvent, se trouvaient Mme de Brie, épouse d'un Président au Parlement de Bretagne, et Mme la vicomtesse des Arcis. Un jour, dans un entretien avec ces dames, se tournant vers la vicomtesse des Arcis, la Mère Heurtaut lui annonça la fondation de Guingamp. Cette dame qui n'y avait jamais pensé et qui ne voyait aucune voie à la réalisation de ce projet, lui demanda sur qui elle comptait : « Sur la volonté de Dieu, répondit la Mère Marie de la Trinité, qui veut cette maison ; vous y aurez vous-même bonne part ». Elle continua en lui faisant la peinture d'une dame de Guingamp, qui en devait être la fondatrice. A ce portrait, Mme des Arcis reconnut parfaitement Mme de Kervégan, sa belle-mère, que jamais la Mère Marie de la Trinité n'avait pu voir. Le terrain sur lequel le futur monastère devait être élevé, lui avait également été si exactement montré, qu'elle en fit immédiatement la description avec non moins d'exactitude.

A Mme de Brie, elle prédit qu'elle fonderait une maison de l'Ordre à Hennebont et lui dit : « Vous combattez cette inspiration depuis longtemps, mais quand vous aurez fait à Dieu le sacrifice d'une partie de vos biens, il surviendra des voleurs qui emporteront plus de la moitié du butin ». Jamais Mme de Brie n'avait communiqué son projet à personne, aussi fut-elle dans le plus grand étonnement. Cette prophétie devait cependant se réaliser entièrement.

Après que les Sœurs venues de Caen eurent pris le gouvernement de la maison, ces mêmes dames vinrent voir cette bonne Mère la veille de la Trinité, sans doute pour lui offrir leurs vœux de bonne fête. La Mère Heurtaut sortait de son oraison, tout embrasée de l'amour de Dieu ; elle les aborda en leur disant : « Eh bien Mesdames, êtes-vous prêtes à faire la volonté de Dieu ? ». Sur leur réponse affirmative, elle leur parla d'une manière sublime sur la grandeur de la grâce que Dieu leur faisait en les associant avec lui pour travailler au salut des âmes. Ce que Mme des Arcis put rapporter de cet entretien tout divin à sa belle-mère, décida celle-ci à fonder le monastère de Guingamp, bien qu'elle vînt de marier sa fille unique à M. de Lasse.

Quant à Mme de Brie, elle passa le contrat de fondation de Hennebont, et en même temps fit don pour le monastère de Guingamp d'une rente de 15 livres et de 86 boisseaux de seigle.

Dans son contrat pour Hennebont, Mme de Brie dit que, témoin des grands fruits produits par les Religieuses de Notre-Dame-de-Charité dans la ville de Rennes, elle veut procurer les mêmes avantages à sa ville natale d'Hennebont. A cette fin, elle donna sa maison située au milieu de la ville et les revenus d'une grande métairie qui n'en est pas éloignée. Les Religieuses de Rennes acceptèrent la fondation au nom du futur monastère. Mais, comme elles devaient prochainement envoyer des Sœurs à Guingamp, elles s'adressèrent à Caen pour avoir les sujets nécessaires au nouvel établissement.

La Mère Marie de la Nativité Herson venait d'être nommée supérieure. Peut-être ne comprit-elle pas la nécessité de se hâter, et ne pensa-t-elle pas qu'il y a des occasions qu'il faut prendre au vol sous peine de les manquer ? Peut-être, et c'est le plus vraisemblable, fut-elle empêchée par les pertes douloureuses que fit la maison de Caen ces années-là ? Toujours est-il qu'elle ne répondit que l'année suivante aux instances de la Mère Marie de la Trinité. Ce retard fut très-préjudiciable à la nouvelle maison, car, dans l'intervalle, Mme de Brie mourut, et ses héritiers, protestants pour la plupart, attaquèrent le contrat de fondation, et, réalisant ainsi la prophétie faite à leur parente quelque temps auparavant, ils s'emparèrent de tous les biens de la succession. Cette perte, jointe aux frais d'un long procès, s'éleva à plus de 60,000 livres. Le plus pénible de l'épreuve fut l'incertitude causée par le procès. Pendant neuf ans, les Sœurs furent dans de continuelles craintes de se voir jetées sur le pavé au moment où elles y penseraient le moins. Ce manque d'avenir assuré leur fit perdre plusieurs excellentes vocations.

Les Sœurs désignées pour cette nouvelle maison furent Marie de la Conception le Lieupaul, Marie de Sainte-Marguerite Danisy et Marie de la Purification Tison.

D'une très honorable famille, tombée dans la pauvreté, la Sœur Marie de la Conception avait mené dans le monde une vie de sacrifice et de dévouement jusqu'à l'âge de 35 ans. C'est alors qu'elle entra en religion, en même temps que Mme Le Conte dont elle était la demoiselle de compagnie. Elle remplit, à Caen, la plupart des emplois de la Communauté et se trouva ainsi parfaitement préparée pour les fonctions de supérieure.

La Sœur de Sainte-Marguerite Danisy s'était, au contraire, donnée au Seigneur dès sa jeunesse, ainsi que la Sœur Marie de la Purification Tison. Les notices consacrées à ces deux Sœurs ne parlent que de leur vie cachée, pleine d'actes de charité pour le prochain.

Le départ de ces Soeurs eut lieu dans les premiers jours d'octobre 1676. Voici la narration de leur voyage, d'après une lettre adressée le 30 de ce mois à la Mère Marie de la Nativité Herson :

Ma très honorée Mère,

« Votre bonté pour nous doit vous faire désirer de connaître comment nous faisons en ce pays. C'est pour ce motif que je me donne la satisfaction de vous en informer.

Tous nos amis et meilleurs conseillers de Rennes nous ont fait voir l'importance de partir sans retard pour la sûreté de nos affaires, afin de nous loger dans la maison, pendant que les héritiers de Mme notre fondatrice étaient encore à Rennes, sans cela nous étions exposées à tout perdre. Nous en partîmes le 25 octobre, et nous eumes la consolation d'emmener avec nous notre chère Sr Marie de la Trinité Heurtaut et Marie du St Esprit de Porçon, qui partaient en même temps pour se rendre à Guingamp.

Nous avons passé par Vannes en venant ici, pour prendre la bénédiction de Mgr et obtenir la permission d'avoir le Saint-Sacrement et de faire bénir la maison. Sa Grandeur nous accorda tout sans difficulté et nous donna beaucoup de marques de bienveillance. Ensuite, nous descendîmes à l'abbaye de Notre-Dame-de-la-Joie [Note : C'était un monastère de Bernardines, gouverné depuis près de trente ans par Madeleine Le Cogneux. Elle mourut en 1688. Ce fut encore elle qui reçut une partie des Sœurs après leur expulsion], à une demi-lieue d'Hennebont, où nous avons demeuré deux nuits et un jour, avec toutes sortes de satisfaction, pendant que notre chère Sr Ménard se donnait la peine de mettre ordre à nos affaires.

Nous en sortîmes hier avec les regrets de ces bonnes dames qui auraient bien voulu nous garder plus longtemps. Elles nous ont prêté plusieurs choses pour notre église. M. le Sénéchal et Mme son épouse nous étaient venus voir à l'Abbaye et nous prêtèrent leur carrosse pour nous rendre à Hennebont. Ils nous obligèrent de descendre chez eux et d'y dîner, après quoi ils nous amenèrent avec la plus grande partie de la noblesse prendre possession de notre maison. Mme la Sénéchale nous fit apporter des lits tout garnis et tout ce qui était nécessaire; elle emprunta ce qu'elle ne pouvait fournir. Elle faisait elle-même nos lits pendant que nous travaillions à autre chose, et le soir elle nous fit apporter un souper magnifique. Nous pouvons dire que M. le Sénéchal et elle sont nos vrais père et mère, se faisant nos protecteurs et nous rendant des services très-grands, par eux-mêmes et par leurs amis.

M. le Grand Vicaire s'est donné la peine de venir aujourd'hui bénir notre maison. Après, il a chanté le Veni Creator avec 10 ou 12 ecclésiastiques qu'ïl avait amenés, faisant un chœur et nous l'autre. Ensuite il a été chanté fort solennellement une Messe de la Sainte Vierge, terminée par le Te Deum. Tout le jour nous avons eu le Saint-Sacrement exposé et ce soir M. le Grand Vicaire viendra faire le salut. Il nous a prêté un tabernacle, un soleil, un encensoir d'argent et plusieurs autres autres choses. Il a pour nous bien des bontés. M. le Sénéchal rangeait lui-même les bancs dans notre église et nous faisait apporter dans notre chœur tout ce qui nous était nécessaire, tant pupitres que sièges.

Toute la ville nous souhaitait ardemment, et la plus grande partie des personnes considérables nous honorent de leur affection. M. de Robien, un des principaux héritiers de notre fondatrice, nous avait signifié une défense de venir prendre possession le soir avant notre départ de Rennes ; mais notre conseil nous fit partir promptement, comme si rien n'eût été. Nous nous en sommes bien trouvées, car personne n'a fait opposition à notre prise de possession.

Je supplie votre Charité et toutes nos chères Sœurs de louer et remercier Dieu de nous avoir donné un si heureux succès. Si vous avez quelque chose à notre aide, ne craignez pas de nous l'envoyer désormais, car tout ce que nous avons est d'emprunt, n'ayant trouvé que les murailles. Mais en récompense, nous sommes bien logées ; la maison est fort belle, commode et capable de loger 100 personnes, avec grande facilité de s'accroître à bon marché. Nous avons aussi un assez joli jardin. Il n'est pas grand, mais en fort bon état....

« P. S. — Depuis ma lettre écrite, nous avons chanté Vêpres, Complies, les Litanies, et le Salut, fort solennellement : nous sommes présentement en clôture. Tous ces messieurs de justice sont venus à notre cérémonie ; M. le Sénéchal nous avait engagées à les y inviter. Nos amis nous plaignent beaucoup d'avoir tant différé à nous rendre ici. Si nous y fussions venues avant le décès de notre fondatrice, nous y eussions trouvé toutes nos commodités. On nous assure qu'elle nous avait destiné la valeur de 20 ou 30,000 livres tant en meubles qu'en argent, pour nous accroître. Les perles qu'elle nous a données nous sont bien disputées, et nous avons été obligées de les laisser entre les mains de ma sœur la Supérieure de Rennes, afin de les présenter quand il en sera besoin.

Une de nos peines en ce pays est que nous n'entendons point d'horloge, nous ne savons comment régler nos exercices. Il nous en coûtera bien 3,000 livres pour mettre notre maison dans la régularité, car comme elle a été bâtie pour des séculiers, il y faut faire bien des accommodements ».

Les espérances de cette lettre ne se réalisèrent point. Bientôt les héritiers de Mme de Brie suscitèrent aux Sœurs chicanes sur chicanes. Par crainte de se voir expulsées, celles-ci n'osaient faire les aménagements nécessaires à leur maison, et le manque de stabilité éloignait toute vocation. Ce ne fut qu'après plus d'un an qu'il se présenta une postulante. C'était une demoiselle autrefois très mondaine. Dans une maladie grave, elle vit le danger auquel son salut avait été exposé, et fit vœu, si elle guérissait, d'entrer dans le nouveau monastère. Sa convalescence fut presque miraculeuse par sa promptitude, aussi elle demanda son admission avec cinq autres jeunes personnes qu'elle avait gagnées par ses exhortations et son exemple. Dieu se contenta sans doute de sa bonne volonté, car après avoir porté dix-huit mois le saint habit, elle ne fut pas reçue à la profession. Ses compagnes au contraire persévérèrent toutes.

La Sr Marie de Sainte-Marguerite était chargée de les former à la vie religieuse, tandis que la Supérieure remplissait presque seule tous les autres emplois de la maison, depuis ceux de la cuisine jusqu'à ceux de l'infirmerie. En effet, presque dès son arrivée, la Sr Marie de la Purification, déjà souffrante à son départ de Caen, commença à ressentir plus fortement les attaques de la maladie de poitrine qui devait l'enlever le 25 janvier 1678. Elle supporta ses souffrances avec un grand courage et ne s'alita que quelques jours avant sa mort. Elle avait 39 ans et était professe depuis 20 ans. Son corps fut inhumé dans le cimetière de la Visitation, parce que le monastère n'avait pas encore le sien.

Comme il ne restait plus que deux Sœurs professes, le monastère de Caen, sur leur demande, fit partir pour Hennebont la Sr Marie de Saint-Benoît Pierre, nièce de la première supérieure prise dans l'Ordre. Le monastère de Guingamp eut part à ce sacrifice parce qu'elle y avait été envoyée un mois auparavant.

La Mère Le Lieupaul fut remplacée à la fin de ses trois ans de supériorité par la Mère Marie de Sainte-Marguerite Danisy, qui continua le bien commencé. Le monastère répandait dans la ville une grande édification. On y admirait surtout la vie pieuse que menaient les Pénitentes qui y avaient vécu quelque temps. Les épreuves du côté des héritiers de Mme de Brie continuaient cependant toujours. Deux jeunes novices furent emmenées par leurs familles le jour même arrêté pour leur profession. Les parents eurent peur de voir le monastère détruit et s'opposèrent aux saints engagements de leurs filles.

C'est au milieu de ces tribulations que brilla de tout son éclat la confiance en Dieu de la Mère Marie de Sainte-Marguerite. Elle ne se troublait jamais et se décourageait moins encore. « Dieu est le maître, disait-elle, il n'arrive rien que par ses ordres, et nous sommes sur la terre pour les accomplir ». L'extrême pauvreté de la maison ne l'empêchait point non plus de recevoir toutes les Pénitentes qui se présentaient. Dieu se plut souvent à récompenser sa foi et son zèle par l'envoi de secours aussi extraordinaires qu'inattendus.

Les Sœurs purent admirer son invincible patience au milieu des souffrances d'une longue et cruelle maladie. La Mère Marie de Sainte-Marguerite avait un tel empire sur elle-même que son visage n'était jamais plus calme que quand ses douleurs étaient plus vives. Ne pouvant plus marcher seule, elle se faisait conduire au chœur pour chanter l'office divin. C'est là qu'une crise violente, accompagnée de vomissements, la prit le jour de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie. A partir de ce moment, sa vie ne fut plus qu'un long martyre, qui se termina saintement le 14 octobre 1681. Elle n'était âgée que de 37 ans.

La Mère Le Lieupaul dut rentrer en charge et demanda du secours à la maison de Caen, qui lui donna généreusement la Sr Marie de Sainte-Thérèse Dubois. Le procès avec les héritiers de Mme de Brie dura encore quatre ans. Ce n'est qu'alors que le monastère put jouir du calme et des avantages de sa fondation, et faire les accommodements et agrandissements nécessaires à la parfaite régularité.

Les Sœurs s'y livraient en paix, la ville était édifiée de leurs vertus et des grands fruits que leur infatigable charité produisait dans les âmes, lorsque Dieu, dans ses impénétrables desseins, permit la destruction d'une Communauté si édifiante. Une Pénitente, par malice, fut cause de ce malheur. Le duc de Mazarin y avait fait enfermer une jeune personne dont la sœur était demoiselle d'honneur de Mme de Maintenon. Celle-ci, malgré sa piété, prit parti pour la coupable, et le duc de Mazarin dut la laisser sortir. La vengeance poussa alors cette malheureuse à rechercher les moyens de nuire à la Communauté. Il ne lui fut que trop facile de les trouver. Louis XIV, guidé par les perfides conseils des Jansénistes et des Légistes, voyait alors un péril pour ses États dans la multiplication des communautés religieuses, et faisait rechercher et fermer sans pitié toutes celles qui n'avaient pas obtenu de lettres-patentes d'établissement. Un grand nombre de monastères furent ainsi détruits dans la France entière. Les révolutionnaires de nos jours ne font, dans leur hypocrite persécution, qu'emprunter les prétextes allégués à cette époque, tant il est vrai que l'esprit du mal est toujours le même. La maison d'Hennebont fut dénoncée au Parlement et un arrêt fut rendu qui en ordonnait la fermeture immédiate.

Dieu sembla vouloir préparer les Sœurs à la terrible épreuve qui les attendait. En effet, quelque temps auparavant, la Sr Marie de Saint-Benoit Pierre fut avertie, pendant sa retraite, que Dieu leur enverrait bientôt des souffrances qui exigeraient d'elles un grand courage. Avec une parfaite simplicité, cette Religieuse manifesta à sa Supérieure cette inspiration divine et toutes deux se mirent à genoux pour offrir au Seigneur le sacrifice de leur entière soumission à toutes ses volontés.

Celles-ci leur furent bientôt connues. Le jour de l'octave de la Toussaint, 8 novembre 1687, la profession d'une Novice venait d'avoir lieu, lorsque vers neuf heures, un commissaire du Parlement, l'avocat général et un greffier vinrent au Monastère. Au nom du Roi, ils s'en firent ouvrir les portes, et, après avoir réuni la Communauté à la salle du Chapitre, lui donnèrent, sans aucune préparation, connaissance de l'arrêt, ordonnant que dans le jour de sa signification, le couvent serait évacué par toutes les Religieuses professes qui seraient distribuées par l'Évêque dans les autres Communautés du diocèse, et que les Novices seraient dévoilées et rendues à leur famille. A cette communication cruelle et inattendue, la Mère Supérieure tomba à genoux, et dit tout haut : Adoramus te, Christe... que les Sœurs eurent le courage d'achever, malgré leur saisissement et leurs larmes.

Cette scène, grande dans sa simplicité, émut jusqu'aux exécuteurs de cette inique mesure.

Revenu un peu de son émotion, M. Ledoux, vicaire-général et supérieur du Monastère, fit lever les Sœurs, leur adressa quelques paroles d'encouragement. Après quoi, les commissaires du Parlement firent exécuter l'impitoyable arrêt. Ils consentirent cependant à laisser le saint habit aux Novices qui demandaient avec instance leur envoi dans les autres maisons de l'Ordre. Sept des Sœurs Professes ou Novices, furent envoyées à l'abbaye de Notre-Dame-de-la-Joie, six autres furent placées chez les Ursulines d'Hennebont. Le couvent des Ursulines de Vannes fut assigné à la Mère Marie de la Conception et à la Sr Marie de Saint-Benoît. Avant de faire le voyage, elles durent aider les envoyés du Parlement à dresser l'inventaire des meubles du Monastère. A quatre heures, toutes ces formalités étaient remplies et la maison déserte. Les exécuteurs de ces ordres cruels permirent cependant aux deux Sœurs qui devaient se rendre à Vannes d'y passer la nuit. Elle fut aussi triste pour elles que pour les absentes. Toutefois, Dieu prit soin de les soutenir intérieurement de sa force divine. Depuis, toutes les Sœurs ont répété bien des fois que ses merveilleux effets les rendaient comme insensibles à ces tristes évènements.

Il semble que Mgr de Vautorte aurait pu réunir les Sœurs dans le monastère de Vannes. Mais, outre que la pauvreté de ce couvent était alors fort grande, il manquait, lui aussi, de lettres patentes, et c'eût été peut-être l'exposer à des mesures semblables. Le vicaire-général, chargé de distribuer les pauvres exilées dans différentes maisons, leur donna le jour même le beau témoignage que voici :

« Raymond Ledoux, vicaire général de Mgr de Vannes, à nos chères Sœurs et Filles, les Religieuses de Notre-Dame-de-Charité, ordre de Saint-Augustin, établies depuis onze ans en la ville d'Hennebont, en ce diocèse, par la permission de Mgr de Vannes, accordée à la prière des habitants de cette ville, Salut. Ne voulant pas que la séparation que nous avons faite aujourd'hui de votre communauté, par l'ordre de sa Majesté, faute d'avoir obtenu des lettres-patentes pour votre établissement, laisse quelque soupçon de dérèglement en votre conduite, nous nous sentons obligé de témoigner que votre vie a toujours été très-religieuse; que votre établissement a été d'une grande utilité pour la ville ; que les personnes vertueuses se sont fortifiées par les exemples que vous leur avez donnés ; et que plusieurs libertines se sont converties par vos soins et l'ardeur de votre zèle. De sorte que nous avons tout sujet d'espérer que la gloire de Dieu et le salut du prochain eussent reçu de grands secours de la sagesse et de la sainteté de votre conduite, si la Providence vous eût conservées plus longtemps dans un lieu où vous avez déjà fait de si heureux progrès. Voilà le témoignage que nous avons cru devoir à la vérité.

Donné à Hennebont, le 8 novembre 1687 ».

Les Sœurs étaient fort aimées et estimées dans la ville. Les habitants voulurent faire tout ce qui dépendait d'eux pour obtenir la réouverture du monastère. Les notables se réunirent en assemblée et dressèrent l'acte suivant :

« Du 21 novembre 1687, Assemblée générale des nobles bourgeois, manants et habitants de la ville et commune d'Hennebont, tenue à la manière accoutumée, après son de la cloche, et où présidait M. de Beauregard Chabry, commandant pour le Roi dans les villes et citadelles du Port-Louis, Hennebont et Quimperlé, présents... [Note : Messieurs le Sénéchal, Allouée, lieutenant et substitut de M. le Procureur du Roi ; où assistaient nobles gens, Jacques de l'Epiney, sieur de la Prairie ; Mathurin Pitoyais, sieur de Kerlois ; Vincent du Boys, sieur du Bot ; Jacques Eudo, sieur de Kerdrou ; Jérome Cornic, sieur du Hilgouët ; Joseph Jouan, sieur du Penhouët ; Georges Boutouillic, sieur de Kergatouarne ; Louis Boutouillic, sieur du Pallevast ; Vincent de Livois ; Louis de Burel, sieur de la Ville-Toulla ; Pierre Blanchard, sieur du Val ; Yves Pitoüais, sieur de Kerleano ; Guillaume Touchart, sieur de la Sollaye ; Pierre Morau, sieur de Kuennic ; Jérome de l'Epiney, sieur de Keryvallon ; Joseph Rondel, sieur de Ruslen ; Jérome le Renier ; Jacques Darper, sieur de Keranter ; Allain Robin, sieur de Saint-Germain ; Christophe de Cozik ; Hyacinthe Augustin Cornic. sieur de Kerlivio ; Louis Lezennay, sieur de Couërtorven ; Julien Bodiquel, sieur du Clos ; Pierre Garant, avocat en la Cour ; Maître Mathieu le Guilloux, procureur en cette Cour ; Maitre Guillaume Legouzrout, huissier ; Maitre Vincent Juon ; Jean Gueho, sieur de Saint-Diel, et autres représentant le corps politique de la dite commune].

En la dite Assemblée, noble homme Charles Bausse, sieur de la Baronnerie, syndic, a remontré que depuis quelques jours, les Religieuses de Notre-Dame-de-Charité, Ordre de Saiut-Augustin, qui du consentement de cette Commune, avec la permission de Mgr de Vannes, et sous le bon plaisir de Sa Majesté, dont elles espéraient obtenir les lettres, avaient pris maison en cette ville, ont été obligées de la quitter, et, par ordre du Roi, transférées en d'autres communautés religieuses, faute d'avoir pris des lettres-patentes pour autoriser leur fondation et leur établissement ; qu'il est notoire que les dites Religieuses étaient d'une grande utilité à la ville et à toute la juridiction, ayant converti plusieurs filles libertines, et d'autres, par la crainte d'y être enfermées, ayant cessé leurs désordres, donnant exercices spirituels aux filles et femmes qui les voulaient pratiquer et faire une retraite de huit jours en leur maison ; outre que par leur bonne conduite et depuis les onze ans de leur établissement, elles avaient accommodé leur maison ; que tant de leur fondation que des dots qu'elles avaient reçues, elles avaient un fonds de revenu dont elles pouvaient subsister sans être à charge à la ville, et qu'il estime que la commune doit faire de très humbles supplications à Sa Majesté, pour qu'il lui plaise d'accorder des lettres et autoriser leur établissement.

Sur quoi, la Commune délibérant a reconnu que les dites Religieuses, depuis leur établissement en cette ville, n'y ont point été à charge, qu'elles ont procuré tout le bien qu'on pouvait espérer de leur établissement, et retiré et nourri à leurs frais plusieurs filles pénitentes ; et a chargé le dit sieur Syndic de joindre les prières de la Commune à celles que l'on pourra faire à Sa Majesté, peur obtenir de sa bonté, de sa piété et bienveillance le rétablissement des dites Religieuses, et de faire pour cela les diligences nécessaires.

Fait et expédié en la dite Assemblée, le dit jour et an que dessus, ainsi signé : BEAUREGARD CHABRY ; MATHURIN DU VERGIER, SÉNÉCHAL ; CHARLES BAUSSE, SYNDIC ».

Cet acte est aussi honorable pour la ville d'Hennebont que pour les Sœurs elles-mêmes. Il prouve aussi que sous le grand Roi les employés, les municipalités jouissaient de plus de liberté que sous notre gouvernement républicain. Le droit de remontrance au moins n'était ni supprimé, ni puni lorsqu'il était exercé. Quel est le sous-préfet qui, sans révocation, pourrait aujourd'hui, comme M. de Beauregard-Chabry, blâmer un acte du pouvoir central ?

Cependant ces démarches, celles que de puissants personnages entreprirent à la demande des Sœurs, n'obtinrent aucun résultat. Les prières qui se firent pour leur rétablissement dans tous les monastères de l'Ordre, ne furent pas exaucées, du moins de la manière espérée par les Sœurs. Une prophétie de M. de Kerlivio, mort trois ans auparavant en odeur de sainteté, devait se réaliser. Ce saint prêtre avait souvent répété que c'était à Vannes et non à Hennebont que Dieu voulait un monastère de Notre-Dame-de-Charité. C'est en effet l'union des deux maisons qui fut obtenue.

Après quelques mois de dispersion, les Sœurs eurent la permission de se réunir dans le monastère de Vannes. Elle dut leur être accordée pendant la vacance du siège, après la mort de Mgr de Vautorte, arrivée le 13 décembre 1687. Recevoir dix religieuses de chœur, une converse, quatre novices et une tourière, c'était un acte héroïque de charité pour une communauté aussi pauvre et dans une situation aussi précaire. Cependant la Mère Marie de la Trinité, qui venait d'être élue Supérieure, n'hésita pas un instant. Lorsque les autres communautés lui offrirent de partager la bonne œuvre, elle se contenta de répondre : « Il ne faut point séparer ce que Dieu a uni ».

Cette charité ne tarda pas à être récompensée. La maison de Vannes obtint, contre toute espérance, des lettres-patentes en mai 1688, dans lesquelles le Roi faisait don à ce monastère des revenus et des meubles de celui d'Hennebont, à condition d'y agréger les religieuses qui en étaient sorties. Mme d'Argouge apporta elle-même cette bonne nouvelle aux Sœurs, et toutes ensemble chantèrent le Te Deum au chœur.

Quelques mois auparavant, dans un moment de vives alarmes, la Mère Marie de la Trinité avait assuré en plein Chapitre à sa communauté que la maison ne serait pas détruite. Comme les Sœurs étaient habituées à voir ses prophéties se réaliser, l'obtention des lettres-patentes les surprit moins.

Malheureusement, deux seulement des quatre novices persévérèrent ; les deux autres avaient contracté, dans les monastères où elles avaient séjourné, des tendances contraires à l'esprit de l'Institut. Elles ne furent point admises à la sainte profession. Seules, les âmes vraiment grandes résistent à la persécution ; les âmes faibles y succombent. La persécution est donc toujours à redouter, car si elle fait grandir des vertus plus sublimes, elle en empêche beaucoup de germer et d'arriver à la perfection que la paix leur eut permis d'acquérir.

Aujourd'hui, à Hennebont, on ne sait même plus où se trouvait ce monastère, qui paraissait appelé à tant de prospérité. Adorons avec les chères victimes la volonté de Dieu.

(Joseph-Marie Ory).

© Copyright - Tous droits réservés.