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CAHIER DE DOLÉANCES DE SAINTE-CROIX DE GUINGAMP

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PROCÈS-VERBAL. — Assemblée électorale, le 31 mars 1789, sous la présidence de François Le Cocq, « choisi par le général pour commis de la paroisse ». L'assemblée a été convoquée « tant au son de la cloche sonnée à différentes fois que par les affiches mises à la porte de l'église, M. le recteur et prieur à la fois dudit Sainte-Croix, fief amorti du Roi, n'ayant pas jugé à propos de la publier au prône de sa grand'messe ». — Comparants : Pierre Prigent, trésorier, [procureur (5 ; 1 servante, 1,10)] ; Olivier Mahé (1,10) ; Michel Lepellan, tisserand (6) ; Marc Boissard, ménager (18,10 ; 2 domestiques, 3) ; Yves Roullet (1) ; Olivier Le Corre, cardeur (1) ; Allain Moilon, marchand (2,10 ; 1 servante, 1,10) ; Jean Daniel, tisserand (1) ; François Le Cocq, fileur (1) ; Julien Le Comte ; Alain Le Crenff (1) ; Yves Leperchect ; François Lepellan, « composant le corps politique de la paroisse » ; Julien Le Beche ; Allain Cocquart, marchand (23,5 ; 1 servante, 1,10) ; Michel Lepellan ; François Hervé [serrurier (1)] ; François Rohan ; Prigent Keravis ; Jean-Jacques Derrien [fileur (1)] ; Guillaume Hervé, maçon (1) ; Jan Connan, tisserand (1) ; Nicolas Le Coz ; Jacques Phelipe ; Jan-Marie Gautier (1) ; Louis Martin ; Bertrand Legendre ; François Lejean ; Jean Ollivier [laboureur (1,10)] ; Guillaume Le Goff ; François-Hyacinthe André [procureur (17,10 ; 2 domestiques, 3 ; 1 clerc, 3)] ; Jean Michel ; Marc Le Thomet ; François-Marie Le Coguiec (1) ; Yves-Marie Perron ; Michel Le Coguiec, tisserand (1) ; Guillaume Le Cocquen ; Pierre Sort (?). — Député : François Pellan.

Cahier des plaintes, doléances et remontrances, arrêté en l'assemblée générale de la commune, corps politique et général de la paroisse de Sainte-Croix, près Guingamp, en exécution de la lettre de Sa Majesté, du règlement y annexé et l'ordonnance de Monsieur le Sénéchal de Rennes.

[Note : Entre ce cahier et le cahier de Saint-Sauveur de Guingamp, on remarque de très fortes analogies, mais qui portent sur les idées plutôt que sur la forme ; la rédaction des deux cahiers est sensiblement différente].

 

ARTICLE PREMIER. — Le bourg noble de Sainte-Croix était jadis honoré et considéré par son prince. Que l'on regarde ses premières pièces, ses titres et les écritures que l'on voit encore aujourd'hui, l'on verra qu'il avait des immunités et des privilèges. Sur une pierre de remarque faisant partie du couronnement du grand portail servant de première entrée pour aller à l'église et au presbytère ou prieuré, on lit : « Sauvegarde du Roi et de M. l'Abbé, pour le bourg, paroisse et abbaye de Sainte-Croix et ceux qui en dépendent, donné à Chantilly le 7e jour de mai, l'an de grace 1636. Signé : Louis et plus bas, Bouteillier, » avec armes des deux côtés.

Voilà un monument respectable ; cependant aujourd'hui ce bourg n'est qu'une chétive bourgade, écrasée d'impôts de toutes espèces (1), sans que l'habitant ait rien à dire.

[Note : On lit dans un mémoire de M. de la Fresionnière, abbé de Sainte-Croix, pour le pont de Sainte-Croix (mémoire non daté, mais qui est certainement des dernières années de l'Ancien Régime) : « Le bourg de Sainte-Croix, chef-lieu de l'abbaye du même nom, est regardé comme un faubourg attenant à la ville de Guingamp. Les habitants du bourg payent la capitation, le casernement et tous les droits municipaux avec les habitants de la ville et logent les gens de guerre dans les passages. — Le bourg est la voie publique qui conduit de Guingamp à un très gros bourg nommé Bourbriac et à la ville de Rostrenen, et ces deux lieux ont avec la ville de Guingamp des communications intéressantes… » (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4857)].

Suivant la renommée publique, l'abbé de Sainte-Croix fournissait au Roi, de seize ans en seize ans, ou au premier réquisitoire de Sa Majesté, un cavalier monté et armé de toutes pièces. Par ce moyen, tous les habitants étaient déchargés de tous subsides et impositions. Heureux temps, qu'es-tu donc devenu ? Nous vivions tous dans une honnête médiocrité. Depuis, on ne sait par quelle influence secrète et maligne, nous sommes tombés insensiblement dans la plus grande pauvreté ; notre bourg, que les eaux inondent de partout, attendu qu'il est dans un bas et sans pavés, quoiqu'il y en eut jadis, comme on le voit par les restes des anciens, et attendu qu'il est surtout contigu à la rivière de Trieux, qui le borde d'un côté dans la longueur et qui se déborde à la moindre pluie, de façon que Sainte-Croix n'est alors qu'un cloaque et un endroit fort dangereux pour ses habitants, quand il survient quelques inondations ou dérives, ce qui n'arrive que trop souvent, par malheur.

[Note : Voy. le mémoire de l'abbé de Sainte-Croix, cité à la note précédente ; « Le bourg de Sainte-Croix est séparé de celui de Bourbriac par la rivière de Trieux, et la grosseur de cette rivière a nécessité l'établissement d'un pont. Cette rivière sort très fréquemment de son lit et inonde le bourg. Les débordements ont porté l'eau dans l'année dernière à trois pieds de hauteur dans toute l'étendue du bourg, et cela est arrivé 5 ou 6 fois dans l'année. Cette irruption de la rivière et le passage continuel qui se fait sur le pont, surtout avec des charrettes, rendent l'entretien et les réparations de ce pont presque journalières et toujours très onéreuses... » — D'ailleurs, dans la nuit du 18 au 19 août 1773, le Trieux, à la suite d'un orage, ravagea terriblement toute la ville de Guingamp. Le procès-verbal de l'enquête et de l'expertise faites par la Commission diocésaine de Guingamp, en septembre 1773, évalue les pertes éprouvées par la ville seule à 167.255 l., dont 69.962 l. pour la perte des effets et marchandises, et 77.293 l. pour les dommages occasionnés aux propriétés. 41 habitants de Guingamp furent noyés. D'ailleurs, cet orage exerça ses ravages sur tout le diocèse de Tréguier et même sur une bonne partie de la Bretagne (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 3909)].

Le peuple y est malheureux, à deux ou trois citoyens près ; l'on n'y remarque qu'un seul métier divisé en trois classes ; il consiste et se réduit à carder et filer de la laine, à en faire des futaines, que l'on vend au dehors : voilà leur seul emploi, de manière que l'ouvrier ne gagne que 10 à 12 s. par jour, tout au plus, chacun suivant sa capacité ; c'est pourquoi, au prix actuel des denrées de toutes espèces, ils ont mille peines à fournir à leurs besoins les plus pressants, nourriture et entretien toujours fort médiocres.

 

ART. 2. — Ce qui ruine la province et le peuple est nombre de sociétés qui se forment à la récolte ou tôt après pour arrêter les grains de toutes espèces dans les campagnes et partout où elles trouvent des magasins ou greniers remplis, achètent, même à heure indue, tous ceux qui se présentent aux marchés, et quelquefois les charretées passant dans les rues pour y aller : par ce moyen, l'on ne voit aux marchés que très peu de blés et un chacun ne peut en avoir qu'avec grande peine. Encore le paie-t-il fort cher.

Cependant la province en fournit assez pour nourrir tous les Bretons, même pour en céder une bonne partie aux greniers du monarque et à ses autres provinces au besoin.

D'où provient donc cette espèce de disette ? Les armateurs, les négociants, courtiers et autres approvisionneurs, meuniers, boulangers et quantité d'autres, dont la bourse est bien garnie, en font de concert un très grand commerce et quelquefois les uns à l'envi des autres ; ils s'enrichissent tous et ruinent le menu peuple en emmagasinant les grains à la proximité de la mer, à l'effet d'en trouver à la première occasion une prompte et facile défaite et d'en faire passer à l'étranger ; le meunier réduit les siens en farine, qu'il apporte ensuite aux marchés, à fur et à mesure que la cherté augmente, et la débite par mesure aux pauvres gens ; les boulangers font des leurs du pain, qu'ils vendent au public à leur volonté ; d'ailleurs les seigneurs ou leurs receveurs et les gros ménagers entassent souvent en grenier le produit de leurs recettes et de leurs récoltes, année sur année, et ne s'en défont que lorsqu'ils au plus haut prix, et c'est toujours le meunier qui en a la préférence.

Pour le bien général et surtout du menu peuple, il conviendrait d'empêcher tous ces approvisionneurs de courir les campagnes pour y arrêter les grains et les acheter, ainsi que ceux des recettes emmagasinées en greniers dans les villes, leurs environs ou ailleurs, et d'entrer dans les marchés qu'il ne fût midi, afin qu'un chacun pût se procurer aisément sa provision, enfin d'empêcher que les blés demeurassent en greniers année sur année.

 

ART. 3. — La sujétion aux moulins et aux fours banaux est un droit contraire à notre constitution et aux privilèges de la Nation ; qu'on nous laisse donc libres, qu'on nous permette d'aller chacun où il sera le mieux servi : les meuniers et les fourniers deviendront alors plus honnêtes, s'ils veulent être occupés.

 

ART. 4. — Puisque nous sommes actuellement obligés de tirer au sort, au moins qu'on nous permette de le faire dans notre paroisse, et non à Guingamp avec la ville, et que personne n'en soit exempt.

 

ART. 5. — Quoique très pauvres, nous sommes fortement capités et logeons de la troupe ; au moins, que notre rôle soit encore séparé de celui de Guingamp.

 

ART. 6. — Les forts devoirs que l'on perçoit sur chaque espèce de boissons qui se débitent écrasent le peuple hors d'état d'en loger, et il semble que ces droits augmentent chaque année ; en imposant un droit sur chaque barrique ou autre quantité de toutes sortes de boissons qui se consommeraient ici et ailleurs, droit auquel toutes personnes, sans aucune distinction seraient assujetties, établissant ensuite de simples receveurs pour l'exiger, le prince saurait alors par lui-même le bien général qui en résulterait.

 

ART. 7. — Il y a dans nos environs nombre de communautés d'hommes qui ne prêchent, ne confessent et ne font rien, en un mot, qui ne sont d'aucune utilité. Cependant, ces religieux possèdent de grands et de beaux biens, et habitent des maisons que l'on prendrait plutôt pour des Louvres que pour des monastères ; qu'elles seraient bien mieux employées à des hôpitaux et leurs biens au besoin de l'Etat : les religieux deviendraient prêtres, au grand contentement du plus grand nombre d'eux et ils seraient distribués dans les endroits où il en manque tant pour le service de Dieu et l'utilité des peuples.

 

ART. 8. — Les religieuses, dont la plupart des communautés sont rentées et bien riches, font toutes sortes d'ouvrages et de commerces au dedans et au dehors de leurs cloîtres, s'écartant en cela de leur institution, ce qui cause un grand préjudice aux ouvriers et aux marchands qui sont à leur proximité ; il conviendrait donc qu'elles gardassent leurs ouvrages pour leur utilité et qu'elles s'abstinssent de toutes espèces de commerce au dehors.

 

ART. 9. — L'on parlait que les recteurs et les curés allaient avoir une moitié d'augmentation sur leurs portions congrues ; cette augmentation serait mal placée, car, avec toutes leurs autres rétributions, ils vivent tous à l'aise et l'on assure avec vérité que ce sont les heureux du siècle ; d'ailleurs, il y a quantité de recteurs qui ont de grosses paroisses, qui valent pour ainsi dire de petits évêchés.

[Note : Nous connaissons l’existence dans la paroisse de Sainte-Croix, à Guingamp, de deux vicaires ou curés : Maurice Derrien (voy. sa requête du 31 mars 1791) et Beaulard, qui était en même temps principal du college de Tréguier ; ce dernier, dans une lettre au Directoire des Côtes-du-Nord, du 14 août 1790, déclare « qu'il ne desservait pas dans l’église par aucune commision », mais que, depuis vingt ans, il a « participé aux services de toutes les fondations qui se desservaient en l'église » (Arch. des Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor, Lv 13)].

ART. 10. — Il y a grand nombre d'abbayes et de communautés de religieuses très opulentes, qui ne sont d'aucuns secours au public ; leurs revenus seraient donc mieux employés aux besoins de l'Etat, et le peuple en ressentirait quelque soulagement.

 

ART. 11. — Outre les charges royales, auxquelles le Tiers Etat est largement compris et où Sainte-Croix paye la bonne part, il est obligé à mille corvées, logements de troupe, casernement, tirement à la milice, conduite de troupes, tailles et fouages et autres ; il n'est en rien exempté.

 

ART. 12. — Tant d'usements qui ont lieu en différentes parties de la province sont abusifs, odieux, contraires au bien public ; les vassaux qui par malheur se trouvent dans ces endroits sont fort souvent ruinés : congéments, quevaises et cent autres qui ne font qu'une suite dangereuse de la tyrannie primitive des seigneurs sur leurs vassaux. Les écrivains, les auteurs qui en parlent montrent combien ils sont pernicieux ; conséquemment, ils devraient tous être abolis.

 

ART. 13. — Il en est ainsi des lods et ventes, rachats et corvées de différentes espèces, que les seigneurs exigent encore aujourd'hui de leurs vassaux, et, chose inouïe, souvent ils la prennent doublement en espèces à la première réquisition du seigneur et en argent lors de la recette des autres rentes à la Saint-Michel. Encore, le seigneur ou son receveur l'augmente-t-il presque chaque année ; ces droits sont trop onéreux pour qu'ils subsistent désormais.

 

ART. 14. — Dans l'exercice et l'administration de la justice, il se commet chaque jour mille abus, mille injustices, surtout dans les juridictions seigneuriales qui se tiennent à la campagne, que l'on peut traiter avec raison de larronnières. Dans plusieurs villes de la province, c'est la même chose ; partout, les charges sont vénales et aujourd'hui portées au plus haut prix ; aussi les voit-on presque toutes occupées par des sujets sans connaissances, sans aucune teinture de la jurisprudence ni de la pratique ; d'ailleurs, les clients souffrent considérablement du nombre de degrés de juridictions où il faut souvent qu'ils passent avant d'arriver au Parlement, quatre, cinq et quelquefois davantage, ce qui les écrase et les ruine, avant qu'ils puissent être jugés en dernier ressort. Ne plus tolérer aucune de ces juridictions seigneuriales, établir en leurs places dans les villes, à distance convenable, avec fixation pour chacune de son district, des cours royales ou des bailliages, n'admettre tout au plus que trois degrés de juridiction pour le civil et deux pour le crime ; de cette manière, le petit bailliage jugerait sans appel jusqu'à 3.000 et le grand jusqu'à 10.000 $ et au-dessus : le Parlement pour le civil et pour le crime ; le petit bailliage jugerait d'abord et ensuite le Parlement par appel en dernier ressort. Ne donner de places qu'à des sujets dont la capacité et la conduite fussent connues, chacun dans son rang, et que les charges fussent à vie, s'il était possible, afin d'éloigner toujours l'impéritie ; enfin, de prendre dans le Tiers Etat la moitié des membres du Parlement; de cette manière, le client deviendrait heureux et tout le public aurait la satisfaction après laquelle il soupire depuis si longtemps.

 

ART. 15. — Pour le bien général, deux impositions tiendraient lieu à l'avenir de toutes celles qui se lèvent actuellement : elles seraient, l'une réelle et l'autre personnelle. Dans la première, seraient employés généralement tous les biens immeubles des villes et campagnes sur le pied de leur valeur actuelle ou de leur juste évaluation, sans aucune distinction de la nature, qualité, rang ni ordre du bien et du propriétaire : bien entendu que toutes les rentes foncières, constituées, féodales et autres quelconques y seraient comprises, autant qu'il plairait au monarque de fixer. A la seconde capiteraient, aussi sans distinction, tous les sujets du royaume, chaque individu suivant ses facultés, laissant néanmoins à côté tous les pauvres gens qui ne seraient pas en état de payer vingt sols. Ce plan ne devrait déplaire à qui que ce fût et préviendrait tant d'abus, tant d'injustices qui se commettent dans la répartition des taxes.

 

ART. 16. — Les dégradations et abats de bois de toutes espèces que les seigneurs et autres propriétaires font chaque jour sur leurs dépendances, sans mettre en leurs places aucuns plants, causent un préjudice des plus sensibles à tout le monde, aux fermiers surtout, et en outre à la cherté et la disette des bois, notamment pour celui à feu, de manière que, si l'on continue d'opérer ainsi encore pendant vingt ans, le public ne trouvera point de quoi se chauffer. Il serait donc prudent d'obliger tous ceux qui en abattraient à l'avenir de substituer deux plants en la place de chaque arbre ; à eux seuls en reviendrait le profit.

 

ART. 17. — Jusqu'ici le Tiers Etat, quoiqu'il soit de la plus grande utilité et ait rendu les plus grands services à l'Etat, n'a été considéré que comme la victime sacrifiée à la puissance, même à la tyrannie ; cependant, c'est lui qui paye la majeure partie des charges, malgré la pauvreté où l'ont réduit le pouvoir des grands, leur tyrannie et l'autorité que prennent sur lui les membres du clergé ; c'est le Tiers Etat qui nourrit les trois ordres et qui fournit à tous leurs besoins ; il travaille sans cesse à la prospérité du royaume, à sa tranquillité et à la sûreté des sujets ; il se sacrifie, lui et ses biens, au service de son prince ; il traverse les mers, affronte mille dangers pour aller chercher les climats les plus éloignés et en apporter les richesses et les productions en France ; rien n'est capable de le rebuter : tant de peines, tant de soins mériteraient des égards ; le cultivateur n'est-il pas le premier des hommes ? N'a-t-on pas vu les braves Romains choisir à la campagne, prendre à la queue de la charrue leurs empereurs, leurs généraux d'armées ? Abdolonyme, tiré de son champ et placé à la tête des milices nombreuses de cet empire florissant, remporta des victoires signalées et mérita des triomphes ; des millions d'exemples semblables prouveraient de tous les temps la valeur, la fidélité et le courage du roturier à chaque occasion et en toutes rencontres, tant sur terre que sur mer ; n'est-il pas aujourd'hui tel qu'il était autrefois et qu'il sera toujours ? Pourquoi donc l'exclut-on des charges, des emplois, des pensions et autres gratifications et de tant de privilèges que l'on accorde, que l'on concède avec autant de facilité aux deux autres ordres, à la noblesse surtout ? Les faveurs doivent se distribuer au mérite, sans distinction de naissance, ainsi que les charges et les emplois.

 

ART. 18. — L'on voit des nobles et des ecclésiastiques, quoique fort riches, prendre en ferme de grosses métairies et des dîmes, les ôter à des familles qui en retiraient leur subsistance et les réduire à la mendicité ; il conviendrait cependant, que chacun demeure dans sa classe, et leur défendre de s'immiscer dans de semblables fonctions.

 

ART. 19. — Presque tous les habitants de Sainte-Croix. abbaye et fief amorti au Roi, sont sans éducation, ainsi que leurs enfants, qu'ils n'ont pas le moyen d'envoyer à l'école : il aura donc sans doute échappé à leur ignorance plusieurs motifs contre des abus dont ils ne se rappellent pas, quoiqu'ils en soient à chaque instant les tristes victimes, mais heureusement les villes voisines, bien plus éclairées, ne manqueront pas d'en faire articles ; peut-être encore aura-t-il échappé à leur impéritie et à leur grossièreté des termes durs et impropres, sans en savoir la portée, mais leur simplicité et leur bonne foi méritent de l'indulgence et des égards ; la vérité nue et sans fard a souvent plus d'attraits que celle qui ne se montre que par des mots choisis et des phrases ampoulées, qui déguisent, qui cachent d'ordinaire le plus beau, le plus brillant, le plus précieux de ses charmes.

 

ART. 20. — Il est encore néanmoins un objet intéressant pour l'Etat et pour les familles en général. Dans aucune ville de nos environs et dans la plupart de celles de la Bretagne, nulle école publique et gratuite pour l'instruction des enfants de l'un et de l'autre sexe ; de là naît l'ignorance : l'on ne trouve que quelques maîtres ignares et qui se font payer largement ; il n'y a donc que les gens riches qui puissent faire éduquer leurs enfants. Il serait donc à propos, et ce serait une très bonne chose, d'établir dans chaque ville où il n'y en a pas deux écoles publiques pour l'instruction de la jeunesse de l'un et l'autre sexe, qui y serait éduquée gratuitement : deux couvents seraient très propres pour cet utile établissement et l'on pense que les religieux et religieuses qui y sont se prêteraient avec plaisir à d'aussi charitables fonctions, y donneraient même toute leur attention.

 

ART. 21. — Puisque la sagesse, l'équité et la prudence de notre auguste Monarque cherchent les moyens de subvenir aux besoins de l'Etat, d'abolir les abus, d'établir un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l'administration, de travailler à la prospérité générale de tout le royaume et de procurer le bien-être de tous et chacun des sujets de Sa Majesté, nous ne pouvons qu'applaudir à un aussi généreux dessein ; ce sont là des marques bien sensibles de sa bienfaisance : il est père, il le sait et il veut témoigner sa tendresse à tous ses enfants ; quel trait de bonté ! C'est donc à tous les Français et aux Bretons surtout à seconder des vues qui ne tendent qu'à son parfait bonheur ; trop heureux et mille fois trop heureux serons-nous, si nos justes plaintes et nos vives reconnaissances parviennent sans obstacle au pied du trône, ainsi que nos plus humbles respects et les assurances constantes de notre inviolable fidélité. Nous sommes pauvres, et très pauvres, mais nous n'en sommes pas moins bons sujets bretons, et prêts à sacrifier nos vies et nos faibles biens pour notre Monarque et pour la patrie : nous adressons tous à l'envi nos vœux au ciel pour sa conservation.
[26 signatures].

(H. E. Sée).

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