Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

CAHIER DE DOLÉANCES DE SAINT-SAUVEUR DE GUINGAMP

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Guingamp 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

CAPITATION. — Total en 1770, 257 l. 14 s. 9 d., se décomposant ainsi : capitation, 176 l. ; 21 d. p. l. de la capitation, 15 l. 8 s. ; milice, 23 l. 10 s. ; casernement, 42 l. 16 s. 9 d. (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 3981).

VINGTIÈMES. — En 1788, 1.344 l. 3 s. 3 d.

FOUAGES. — 1 feu 3/4 1/24. — Fouages extraordinaires et garnisons, 33 l. 11 s. 5 d.

PROCÈS-VERBAL. — Assemblée électorale, le 29 mars 1789, sous la présidence de Jean-Claude Le Cocq, commis des délibérations de la paroisse [Note : Ce personnage est mentionné, parmi les comparants de l'assemblée électorale de Saint-Agathon. comme « faisant pour le commis »], « à défaut d'officiers publics ». — Comparants : Jacques Cloud, fabrique ; Guillaume Toudic ; Gabriel-Jacques Lollieroux ; Jacques Le Roux ; Pierre Corbin ; Jean Guezou ; Bertrand Renault ; Jean Guilloury ; René-Anne Geffroy ; Yves Lehuerff ; Yves Got ; Charles Corson ; Yves Festou, délibérants ; Joseph-Marie Le Boudet ; Guillaume Le Bail ; Jean Jezequel, jardinier ; François Dufain [tailleur (1)] ; Philippe Laîné ; F. Bonnamy ; René Le Houerff ; Pierre Bouchet ; J. Guillour ; Charles Bazil de Tromadez (1) ; Phélipe Seauve ; P. Houérou. — Député : René Geffroy, notable de la paroisse.

Cahier de plaintes, doléances et remontrances, arrêté en l'assemblée générale de la commune de la paroisse de Saint-Sauveur-lez-Guingamp, en exécution de la lettre de Sa Majesté, du règlement y joint, de l'ordre de Monsieur le Sénéchal de Rennes et de la notification en faite à la dite paroisse en la personne de son trésorier, par exploit du vingt-six du présent mois de mars.

 

ARTICLE PREMIER. — Depuis plusieurs siècles, le Tiers Etat et le pauvre peuple de Bretagne est grevé et lésé par l'inégalité de la répartition des impôts qui se lèvent, injustice criante, inégalité effrayante dans la répartition de la capitation où les deux ordres de l'Eglise et de la noblesse, quoique plus opulents et plus riches que le Tiers par leurs revenus, les places et les emplois qu'ils tiennent et des pensions dont ils sont les seuls favorisés par le Gouvernement et par les Etats de la province, ne supportent cependant qu'une faible portion à proportion de leur opulence.

 

ART. 2. — Les fouages ordinaires et extraordinaires, les casernements, logements des troupes, corvées de grands chemins, transport des troupes (voir la note qui suit), francs-fiefs, tout cela est supporté par le Tiers à la décharge des ordres de la noblesse et de l'Eglise, qui n'y contribuent en rien.

[Note : La paroisse de Saint-Sauveur n'était pas astreinte à la corvée ; c'est ce que déclarent nettement ses délibérants dans leur lettre à la Commission diocésaine, du 30 janvier 1769 : « Nous n'avons jamais été affectés sur aucune route, attendu que notre paroisse, faisant un des faubourgs de la ville de Guingamp, est assujettie au logement des troupes, aux fournitures des casernes et autres corvées de cette espèce » (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4891). La ville de Guingamp avait la charge de réparer les pavés de sa banlieue (Ibid., C 4883 et 4357). Dans une requête aux Etats, de 1768, la communauté de ville déclare : « Située sur la route de Rennes à Brest, le pavé dans toute la longueur de la ville et celui des deux banlieues sur les chemins de Saint-Brieuc et de Morlaix sont sujets à des rétablissements fréquents et dispendieux » ; pour la réparation de la banlieue de Morlaix, elle a dépensé 2.237 l. ; la banlieue du chemin de Pontrieux et Tréguier a codé 6.000 l. ; les banlieues des routes de Carhais et de Pontivy exigeraient plus de 10.000 l. de dépenses (Ibid., C 4357). — Il semble que, vers 1746, on ait tenté de soumettre à la corvée les paroissiens de Saint-Sauveur de Guingamp, car nous possédons une requête des habitants de Saint-Sauveur, de février 1746, demandant à être déchargés de la corvée, attendu qu'ils sont « obligés de contribuer avec la ville de Guingamp au logement des gens de guerre et au fournissement d'ustensiles aux casernes » ; voy, aussi une attestation du maire de Guingamp. Limon du Timeur, du 27 février 1746 (Ibid., C 2420)].

 

ART. 3. — Cependant, comme sujets de Sa Majesté, il paraît juste et équitable que chaque individu contribue, suivant son revenu, son aisance et son opulence, aux besoins de l'Etat et du monarque. Les privilèges, ces faux préjugés qui ne doivent leur existence qu'au despotisme des deux premiers ordres, à la cruauté et à la barbarie et plus encore à l'abus d'autorité dont ils s'armèrent contre le pauvre peuple dans les siècles d'ignorance, ne doivent être d'aucune considération dans une matière où il ne s'agit que de secours, dont les avantages deviennent communs à tous.

Observations sur l'origine des fiefs, tirées de l'avertissement de Messire René de la Bigottière, seigneur de Perchambault, président aux enquêtes du Parlement de Bretagne sur son Commentaire de la Coutume de la même province, pour servir de mémoire justificatif aux articles premier, deux et trois [Note : Il s'agit des Commentaires sur la Coutume de Bretagne ou institutions au droit français par rapport à la même Coutume, Rennes, 1702, in-4° — Tout le passage entre guillemets est emprunté aux deux premières pages de l'Avertissement de Perchambault].

« Toutes les coutumes de France ne sont qu'une expression de l'autorité des seigneurs de fief et un recueil des droits qu'ils exigeaient de leurs vassaux. Car, lorsque les Anglais et les Normands se furent rendus maîtres de la plus grande partie des Gaules, et que les grands seigneurs furent devenus héréditaires, ils abolirent toutes les lois qu'ils y trouvèrent et établirent la plus violente et la plus barbare domination qui fut jamais. Après avoir ruiné l'autorité monarchique, tous les seigneurs usurpèrent la puissance souveraine [Note : En marge, en face de ce passage, on a mis la réflexion : « encore à craindre »]. Nos barons et nos évêques devinrent princes dans leurs terres et s'attribuèrent le droit d'y battre monnaie, de donner des abolitions et de faire la guerre, et notre Coutume le leur donnait expressément. Ils faisaient administrer la justice par leurs domestiques ; nous avons un titre qui fait voir que la charge de sénéchal de Rohan était attachée à celle de maître d'hôtel [Note : Ici on a omis tout un passage de Perchambault]. Mais le plus triste était que ces seigneurs avaient autant d'esclaves que de vassaux, et qu'ils en tiraient toutes les corvées et tous les services qu'il leur plaisait, regardant la personne et les biens de ces pauvres gens comme des dépendances de leurs fiefs ; il faut voir, dans les écrivains de ce temps-là, quelles taxes et quelles impositions on faisait : « ter aut quater in anno et quoties volunt, onera gravia et importabilia imponunt », dit Petrus Venerabilis (Pierre le vénérable). On ne pouvait se marier, ni prendre les ordres, ni faire aucun commerce, ni plaider sans payer de grands droits ; tout était vénal chez ces princes. C'est pourquoi saint Louis, chapitre 24 de ses Ordonnances, se crut obligé de s'en plaindre et d'avertir les barons que, comme il ne pouvait mettre aucune imposition dans leurs terres sans leur consentement, aussi ne pouvaient-ils pas en mettre sans celui de leurs vassaux [Note : Ici aussi le cahier omet de reproduire tout un long passage du texte de Perchambault].

L'esprit qui régnait alors n'était que la force de l'autorité ; on ne parlait que des grands et on n'écoutait pour rien l'intérêt des autres qu'on appelait bourgeois et vilains, du nom des bourgs et des villages qu'ils habitaient, etc. ».

O cruauté ! O tyrannie ! Que la Providence veuille qu'on en déterre les moindres racines !

 

ART. 4. — Les droits odieux de banalité de four et de moulin, domaine congéable, droit quevaisier, lods, ventes, corvées, rachats et infinité d'autres semblables ne sont autres choses qu'une suite de cette domination barbare, et par conséquent devraient être abrogés, supprimés ou convertis en d'autres prestations.

[Note : Dans l'évêché de Tréguier, dans toutes les paroisses de la région de Guingamp, un grand nombre de terres sont tenues par les paysans à domaine congéable. Cependant ce mode de tenure semble y avoir été moins dense que dans d'autres régions de la Basse-Bretagne, car l'usement de Tréguier ne spécifie pas, comme la plupart des autres usements, que toute terre est présumée être tenue à domaine congéable, s'il n'y a preuve du contraire ; c'est tout au moins l'explication que donne de cette disposition BAUDOUIN DE MAISONBLANCHE (Institutions convenantières ou traité raisonné des domaines congéables en général et specialement à l'usement de Tréguier et Goëlo. Saint-Brieuc, 1776, t. I, p. 32) : « Ce motif n'existe point dans l'évêché de Tréguier et le comté de Goëlo : les rentes convenantières n'y sont guère plus communes que les chef-rentes, les rentes censives, foncières, de fondation... ».

La condition juridique du domaine congéable était déterminée, non par la Coutume de Bretagne, mais par des usements locaux auxquels on avait donné force de loi. On trouvera le texte de ces usements dans SAUVAGEAU, Coutumes de Bretagne, éd. de 1737, t. I, 2ème fascicule, et dans la petite Coutume, éd. de 1734, pp. 405-418. — Il nous suffira d'énoncer les caractères essentiels du régime. Le seigneur foncier était propriétaire du fonds ; les domaniers l'étaient des édifices et superfices, autrement dit des droits convenanciers. Sur le fonds le domanier n'avait que la jouissance, tandis qu'il exerçait sans restriction son droit de propriété sur les édifices et superfices, pouvant les vendre, les aliéner sans restriction. — On entendait par édifices et superfices : les batiments construits sur les convenants, le produit de la terre, les murs, les fossés, les arbres fruitiers, les bois taillis, les bois puinais (épines, sureau, aulnes, genêts, genèvres, ronces, coudres, houx, bouleau). Les bois de décoration, au contraire, appartenaient au seigneur foncier : c'étaient le châtaignier, le frêne, le hêtre, le noyer, l'ormeau, le chêne ; et le domanier ne pouvait disposer que de l'émonde de ces arbres. Il semble d'ailleurs que les droits des domaniers sur les arbres de leurs tenues aient été progressivement réduits au cours des XVIIème siècle et XVIIIème siècles (Voy., à ce sujet, Julien FURIC, Commentaire sur l’usement local du domaine congéable de Cornouaille, 2ème édition. 1664, pp. 9 et sqq.). Les domaniers ne cessaient de se plaindre des abus qu'exerçaient à cet égard les seigneurs fonciers, abus auxquels on attribuait la cherté excessive du bois à la fin de l'Ancien régime.

Le seigneur foncier avait le droit de congédier son domanier ou de céder à un tiers le droit de congédier, à la condition de lui rembourser les droits réparatoires (c'est-à-dire le prix des édifices et superflues), qui étaient estimés par des experts, et cette estimation donnait lieu souvent à des frais excessifs. Le domanier, de son côté, pouvait, dans certains cas, faire exponse, c'est-à-dire déguerpir sa tenue et exiger du foncier le remboursement des droits réparatoires. Cependant il obtenait généralement l'assurance que le convenant resterait en sa possession pour une période déterminée (en général 9 ans), moyennant un acte de baillée, qui permettait d'ailleurs au foncier de le soumettre à une commission, dont le taux était assez élevé. Les congéments, qui se sont multipliés surtout dans la seconde moitié du XVIIIème siécle, constituaient, malgré l'assurance de la baillée, une menace perpétuelle pour les domaniers, qu'ils réduisaient souvent à la misère la plus terrible. Les 28 communes des campagnes du district de Guingamp, dans leur délibération du 19 septembre 1790 (Arch. Nat., D XIV 3), déclarent que les congéments occasionnent des procès sans fin et même des crimes : il arrive souvent que le domanier expulsé coupe les arbres fruitiers de sa tenue, y sème de mauvaises herbes, incendie les bâtiments, se venge même par l'assassinat du congédiant. Cf. aussi la Pétition des administrateurs du district de Guingamp, du 28 août 1790 (Ibid., publiée par SAGNAC et CARON, Les Comités des droits féodaux..., p. 474).

Les domaniers, non seulement acquittaient au seigneur foncier les rentes convenancières, mais ils étaient encore assujettis aux charges du régime seigneurial, aux droits de justice, aux banalités, aux corvées ordinaires et extraordinaires, à la dîme ecclésiastique et féodale, ce qui permettait de dire, suivant l'expression du temps, que le domaine congéable était « entaché de féodalité ».

Dans notre région, les convenants suivaient l'usement de Tréguier. Nous ne possédons pas le texte de cet usement ; il ne nous est connu que par les commentaires des juristes, et notamment par le Traité des domaines congéables à l’usement de Tréguier et comté de Gouëllo, par F. d[e) R[osmar], avocat au Parlement (impr., à Vannes, chez Hovius, 15 p., in-8°) [un exemplaire se trouve aux Arch. d’Ille-et-Vilaine C 5073.] — Il a été Imprimé ad calcem de la petite Coutume de Sauvageau et de celle d’Hévin). BAUDOUIN DE MAISONBLANCHE, dans ses Institutions convenantières, ne cite l'usement de Tréguier que d'après le commentaire de Rosmar, et nous lisons dans la Pétition des communes du canton de Carhaix, des 20-21 décembre 1790 (SAGNAC et CARON, op. cit., pp. 492-493) : « On ne peut au moins douter que cet usement de Tréguier ne soit de moderne rédaction. Il est intitulé : « Traité des domaines congéables à l'usement de Tréguier et comté de Gouello », composé et rédigé par écuyer F. de Rozmar, avocat en Parlement, originaire dudit pays ». — L'usement de Tréguier était bien moins dur pour les domaniers que l'usement de Rohan ; il se rapprochait beaucoup de l'usement de Cornouaille, comme le déclare le Traité de Rosmar (p. 3). Cependant, il en différait par certains traits, ainsi que le remarque GIRARD dans son Traité des usements ruraux de Basse-Bretagne (pp. 29 et sqq.). L’article XI constitue un avantage pour le colon, car il stipule « qu'après avoir donné un exploit à fin de congément, l'on n'est plus en lieu de se repentir et faut au propriétaire l'exécuter, ainsi qu'il a été souvent jugé, et n'est aussi le colon obligé de sortir qu’il ne soit expressément et effectivement remboursé » (ROSMAR, op. cit., p. 7). GIRARD (op. cit., p. 34,) nous explique la portée ne cette disposition : « le colon qui ne veut plus s'exposer aux tracasseries d'un seigneur foncier peut le forcer de finir le congément commencé et de lui rembourser la valeur de ses édifices et superfices, suivant l'estimation des experts ». POULLAIN-DUPARC prétend aussi (Journal du Parlement, t. IV, pp. 264 et sqq.) que le droit de juridiction du foncier sur les domaniers n'était pas de plein droit dans l'usement de Tréguier. — D'autre part, quand le seigneur propriétaire vendait la tenue de son convenancier « faute de paiement des arrérages de rentes », il le faisait par simples bannies, sans être astreint aux formalités ordinaires des saisies et il pouvait « avoir la préférence » (Art. V, ROSMAR, op. cit., pp. 4-5 ; cf. aussi GIRARD, op. cit., p. 33, et BAUDOUIN DE MAISONBLANCHE, t. I, pp. 132 et sqq.). Les corvées en l'usement de Tréguier paraissent avoir été particulièrement dures, car, d'après l'article XVII, elles « ne s'estiment et ne se payent par argent, s'il n'y avait un refus et contestation formelle de le faire ; les corvées sont d'aider à faner et charoier le foin et à charoier le vin et le bois de provision et l'ardoise, nourrissant les hommes et les chevaux » (ROSMAR, p. 9), et la corvée d'ardoise s'exerce même si la carrière est située à plus de 10 lieues et si les domaniers ne peuvent revenir dans la même journée (Journal du Parlement, t. V, pp. 288-289). — Sur tout ce qui précède, voy, aussi H. SÉE, Les classes rurales en Bretagne..., pp. 263-300.

L'hostilité contre le domaine congéable, qui se manifesta vigoureusement dans les cahiers des paroisses rurales de l'évêché de Tréguier, ne fit que s'accentuer dans le courant de l'année 1790, comme le prouvent les nombreuses pétitions et les nombreux mémoires adressés à l'Assemblée Nationale (Arch. Nat., D XIV 3) : on peut citer particulièrement la Pétition des administrateurs du district de Guingamp, du 28 août 1790 (publiée par SAGNAC et CARON, op. cit., pp. 470 et sqq.), la Délibération de l'assemblée des 28 communes des campagnes do district de Guingamp, du 19 septembre 1790 ; nous aurons souvent l'occasion, dans la suite, de nous référer à des délibérations de municipalités rurales, plus précises et plus énergiques encore que les cahiers. La loi du 6 août 1791, qui maintenait le domaine congéable, tout en en supprimant les abus les plus flagrants et en abolissant les charges seigneuriales qui pesaient sur les domaniers, ne satisfit que médiocrement les populations rurales. Celles-ci continuèrent à protester et à s'agiter, jusqu'au moment où la loi du 27 août 1792 supprima radicalement le domaine congéable et transforma les tenues convenancières en propriétés incommutables. Mais la loi du 9 brumaire an VI (30 octobre 1797) abrogea la loi du 27 août 1792 et fit revivre la législation de la Constituante, qui devait régler le régime convenancier pendant tout le XIXème siècle. Cependant la vente des biens nationaux diminua très sensiblement le nombre des tenues, car beaucoup de domaniers rachetèrent les rentes foncières et devinrent ainsi propriétaires du fonds. — Voy. Léon DUBREUIL, Une tenure bretonne (Révolution française, mai-juin et juillet-août 1910, t. LVII. pp. 481-501, et t. LVIII, pp. 24-51) : du même, La Révolution dans les Côtes-du-Nord, pp. 67-103, et La vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord, Paris, 1911, pp. 143 et sqq. Cf. Jacques VIGNERON, Etude d'une très ancienne Institution bretonne : le bail à domaine congéable, Bordeaux, 1907. Une intéressante bibliographie relative au domaine congéable depuis 1789 nous est donné dans la Bibliothèque de jurisprudence bretonne du baron CORBIÈRE publiée par S. ROPARTZ, Etudes sur quelques ouvrages rares et peu connus, écrits par des Bretons ou imprimés en Bretagne, Nantes 1879 pp. 272-281].

 

ART. 5. — Afin d'établir légalité que la justice exige dans la répartition des impôts, il paraîtrait expédient de les réunir tous en deux espèces d'impôts, l'une réelle, l'autre personnelle, sous les dénominations qu'on jugera à propos de leur donner, sans qu'aucune personne ni aucune espèce de biens en fût exceptée, et de les augmenter et diminuer selon les besoins de l'État et des circonstances.

 

ART. 6. — Pour éviter la diminution sensible que Sa Majesté éprouve sur ses finances, les députés voudront bien la supplier de pourvoir aux moyens de lui faire parvenir plus directement les impôts de chacune paroisse, en n'établissant dans chacune province ou diocèse qu'un receveur et trésorier, qui sera chargé de les verser directement aux coffres de Sa Majesté.

 

ART. 7. — Quant aux moyens de pourvoir et subvenir aux besoins de l’Etat, il n’en est aucun, dans la situation et dans la détresse où se trouvent le peuple et l’Etat même, comme celui de supprimer toutes les abbayes, communautés d’hommes rentées, comme inutiles à l’Etat et de réunir les biens immenses qu’ils possèdent au domaine de la couronne (voir note suivante). Il est à cela d’autres motifs puissants, tells que le scandale, le mauvais exemple et le choc que de tels établissement donnent aux mœurs et à la religion.

[Note : Dans la paroisse de Saint-Sauveur se trouvait le prieuré de Saint-Sauveur de Guingamp, dépendant de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes. Un document de la seconde moitié du XVIIIème siècle nous indique que le prieuré « actuellement en régie par M. Homo » ne produit, année commune, qu'un revenu de 400 l. C'est que les charges étaient considérables : au recteur et à son curé, le prieuré donnait 701 l., sans compter 10 l. pour contribution au logement du recteur ; à la fabrique, 3 l. 5 s. ; au régisseur, 97 l. 10 s. ; pour décimes et subventions, 92 l. 15 s (Archives du Musée Condé, à Chantilly, F 48) ; voy. aussi une déclaration de 1699 et un compte de 1776 (Arch. d'Ille-et-Vilaine, série H, fonds de l'abbaye de Saint-Melaine, liasses 24 et 25). — Dans sa requête de 1791, Etienne Guérin, vicaire de Saint-Sauveur, déclarait « ne posséder aucuns bénéfice ecclésiastique » (Arch. des Côtes-du-Nord, Lv 13)].

ART. 8. — Si on demande comment pourvoir aux besoins des membres qui composent ces abbayes et communautés, il est facile de le trouver : il y a disette de prêtres dans tous les diocèses ; il serait donc utile de les distribuer dans les paroisses, avec pensions, où ils se rendraient utiles à l'Etat, à la patrie et au peuple par les sacrifices, les publications, les prédications, les confessions et autres fonctions sacerdotales. Il est peu de membres de ces communautés, si on les consultait en particulier, qui n'acceptât cet arrangement.

Observations sur les deux articles précédents. Outre l'inutilité de ces établissements, outre les puissantes raisons qu'il y a de les abolir, les faibles secours qu'on peut s'attendre d'un peuple, déjà écrasé par les divers impôts, ne sauraient rétablir parfaitement les finances ni d'une manière durable : il faut donc s'en prendre à la portion la moins utile et la plus riche de l'Etat. Il y a plus : ces raisons, en rendant le Monarque assez puissant par lui-même, lui donneraient les moyens de décharger son peuple de la plus grande partie des impôts et d'établir des hôpitaux pour le soulagement des misérables de son rayaume, lorsque ses finances seraient entièrement rétablies.

[Note : Il y avait à Guingamp un Hôtel-Dieu et hôpital général. Un mémoire de 1758 déclare : « Nous y avons deux hôpitaux ; le premier est pour les malades et est gouverné par des religieuses hospitalières. Tout le revenu attaché à cet hôpital pour ce qui regarde les pauvres peut bien aller à 1.250 l. de rente, dont un particulier nommé par la ville fait la recette et entretient à proportion des pauvres malades dans cette mainson. Mais c’est peu de chose, car, après avoir distrait les réparations auxquelles il est obligé, il ne saurait fournir à la dépense de 12 ou 15 pauvres. Le second hôpital es celui celui qu’on appelle l’hôpital général. Il peut bien avoir de revenu certain environ 400 l. ». Mais, après le paiment de diverses charges, il ne lui reste pas 100 l., et, en dépit des secours de particuliers, on ne peut entretenir à l’hôpital général que « 25 petits pauvres ». Aussi « toutes les églises et toutes les rues sont pleines de mendiants de l’un et l’autre sexe qui se perpétuent » ; d’ailleurs, « les pauvres des paroisses voisines nous accablent et, comme Guingamp est sur la grande route, nous avons tous les ans tous les vagabonds, les fainéants et les estropiés qui courent le royaume » (Arch, d’Ille-et-Vilaine, C 1273). L’Hôtel-Dieu était obligé de recevoir les soldats malades, ce qui diminuait encore ses resources, comme le font remarquer les religieuses hospitalières dans une lettre du 8 octobre 1756. A la même époque, le chirurgien attaché à cet établissement ne recevait « ni appointements ni gratifications » (voy , la lettre du chirurgien Guillou du 29 septembre 1756, Ibid., C 1760). L’état de 1774 attribue 2.000 l. à l’Hôtel–Dieu et 900 l. à l’hôpital général, et déclare que les orphelins entretenus par ce dernier établissement devraient étre placés « chez de bons laboureurs auxquels il pourrait payer une pension proportionnée aux services qu’ils rendraient » (Ibid., C 1293). Dans les dernières années de l’ancien Régime, la situation de l’Hôtel-Dieu semble assez peu prospère ; c’est ce qui incite le marquis de Ségur à élever de 14 à 16 s. le prix de la journée des soldats qui y sont soignés, mesure qui fut d’ailleurs appliquée à tous les hôpitaux de la Bretagne (Ibid., C 1760). — Il y avait aussi à Guingamp une fondation de 80 l. pour les pauvres honteux, en vertu d’une donation de la duchesse de Martigues, et une autres de 100 l. pour les « marmites des pauvres », qui était attribuée aux « pauvres artisans malades » (Ibid., C 1293, Etat de 1774). En 1776, trois Sœurs Grises furent établies dans la ville pour le service des pauvres, conformément au vœu exprimé depuis longtemps par la municiapalité (S. ROPARTZ, Guingamp, Etudes pour servir à l’histoire du Tiers Etat en Bretagne, 2ème édition, 1859, pp 138-140). — En 1786, « plusieurs personnes bienfaisantes » ayant proposé de créer « un bureau de charité où seront versées toutes les aumônes que des membres choisis sont chargés de distribuer et d’employer », « tous les citoyens en état de venir au secours de l’humanité » ont fait une souscription volontaires. Dans sa séance du 4 avril 1786, le corps de ville souscrit une somme de 200 l. par an, qui doit être versée dans la caisse du bureau de charité (Arch. comm. de Guingamp, Reg. des Délibérations de 1786-1789, BB 15, fol.3)].

 

ART. 9. — Les monastères et communautés de filles, établies pour prier Dieu et le service de sa gloire, profanent leur insstitucion et leur établissement par le commerce en tout genre et les fabriques de toutes espèces de marchandises ; elles font commerce de toutes espèces de marchandises et fabriquent toiles, étoffes : elles sont lingères, tailleuses, cordonnières, jardinières, teinturières, confiseuses, liquoristes, etc. , ce qui cause un préjudice notable au commerce et corps de métiers ; il est donc instant de supplier Sa Majesté d'interdire à ces monastères tout commerce ou fabriques quelconques, de les ramener à leurs institutions ou leur faire contribuer avec le Tiers Etat au payement de l'industrie et autres impôts.

 

ART. 10. — Représenter à Sa Majesté et à l'assemblée des Etats généraux qu'au mépris et indépendamment de l'arrêt du Conseil qui défend l'exportation des grains hors du royaume et l'achat dans les greniers, les négociants et marchands, les meuniers et boulangers continuent à en faire le transport à l'étranger et à acheter les grains dans les greniers, ce qui ne peut manquer d'occasionner une disette prochaine, et, pour prévenir un fléau aussi désastreux, Sa Majesté et l'Assemblée sont suppliées d'y pourvoir par un règlement inébranlable.

 

ART. 11. — Plusieurs pièces de terre en Bretagne ont été employées à l'agrandissement des grands chemins, sans que les propriétaires en aient été indemnisés, ni même déchargés d'aucune partie de rente, ce qui est une injustice criante, à laquelle l'Assemblée est suppliée de fixer son attention et de vouloir bien pourvoir et aviser aux moyens de la réparer par des indemnités proportionnées au préjudice qu'elle cause.

 

ART. 12. — Les droits et devoirs sur la boisson en Bretagne est un impôt qui écrase le menu peuple et gens de métier de la province, sur lequel seul il se lève les frais de régie ; les appointements des commis et employés des fermes absorbent la majeure partie de cet impôt, sans que l'Etat ni la province en profite, et ce qui, au contraire, est un pesant fardeau, au détriment du peuple. On supplie Sa Majesté, l'Assemblée et les Etats de la province même de convertir cet impôt en une imposition territoriale, et de le fixer à une somme par barriques de boissons qui se fabriqueront dans la province ou qui y entreront d'ailleurs, et d'aviser aux moyens de prévenir les frais accablants de régie.

 

ART. 13. — L'inégalité dans la distribution de l'eau-de-vie est une injustice, qui ne paraît fondée sur aucun motif ; les plus riches l'ont à meilleur compte que les plus pauvres ; il y aurait donc de l'équité à établir à cet égard une égalité commune à chacun.

 

ART. 14. — Les nobles, qui manifestent de la fermentation sur la conservation de prétendus privilèges qui, selon leur faux préjugé, doivent les exempter de contribuer au payement des impôts, n'ont pas honte de profaner ces privilèges par le commerce et l'industrie : ils tiennent par mains les meilleures terres de la petite paroisse de Saint-Sauveur, qu'ils font valoir par leurs domestiques, qu'ils font étaler dans les marchés les légumes et autres denrées, comme les derniers des mercenaires, sans contribuer avec les habitants à aucune imposition royale. On supplie l'Assemblée d'interdire aux membres des classes privilégiées toutes espèces de commerce ou trafic, soit par eux-mêmes, soit par leurs domestiques, s'ils ne contribuent au payement des impôts.

[Note : Dans une requête du général de Saint-Sauveur, relative à la corvée, de février 1746, il est dit que la paroisse est « composée d'habitants qui sont des laboureurs, journaliers et voituriers, chargés d'enfants et ne possédant en propriété, pour ainsi dire, aucuns biens et ne résidant dans cette paroisse qu'en qualité de fermiers » (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 2420)].

ART. 15. — Tous les maux que le peuple éprouve proviennent de l'influence des deux ordres privilégiés et du défaut de représentation suffisante de l'ordre du Tiers aux Etats de la province ; on supplie donc Sa Majesté et l'Assemblée générale d'ordonner qu'à l'avenir l'ordre du Tiers sera représenté par les députés en nombre égal à ceux des deux autres ordres réunis.

 

ART. 16. — L'administration de la justice aux sujets de Sa Majesté est un droit royal du premier ordre et une émanation de la souveraineté ; la concession qui en a été faite à des seigneurs particuliers est dégénérée en un abus dont un chacun en reconnaît le préjudice ; il serait donc utile de ramener les choses à leur première constitution et que la justice fût rendue aux sujets du prince en son nom et par ses seuls officiers.

 

ART. 17. — En supprimant, comme il serait avantageux de le faire, toutes les juridictions seigneuriales, il serait utile de créer une juridiction royale dans chacune ville, grande et petite, où il y a chacune semaine marché public, et de leur fixer leur district et territoire de proche en proche, suivant la proximité du clocher de chaque paroisse, pour la commodité publique.

 

ART. 18. — Il serait également utile de créer un nouveau présidial à Guingamp, trop éloigné des autres présidiaux de la province, et d'établir que toutes les appellations des juridictions royales seraient portées ainsi de proche en proche aux présidiaux, afin d'éviter aux plaideurs les différents degrés de juridictions, et que les présidiaux jugeassent en dernier ressort jusqu'à 4000 $ une fois payées et trois cents livres de rente.

 

ART. 19. — L'abréviation des procès est un objet important à considérer, parce que le pauvre, à défaut de faculté, ne peut se faire rendre la justice et se trouve, avec le meilleur droit, forcé de céder avec le riche, qui, par la fortune, se la procure souvent par des moyens illégaux et injustes. Les droits royaux rendent les procédures très coûteuses, ce qui ne permet pas à tout le monde de se faire entendre dans les tribunaux de la justice.

 

ART. 20. — Au Parlement, où tous les membres sont du nombre des deux ordres privilégiés, l'influence des mêmes ordres sur celui du Tiers ne peut manquer d'être sensible : si le roturier contre le noble ou l'ecclésiastique a raison, il ne peut obtenir d'être jugé ; si au contraire il a tort, on s'empresse de le condamner. Il serait donc utile et avantageux que les magistrats fussent pris également de l'ordre du Tiers comme de ceux de la noblesse et du clergé.

 

ART. 21. — L'inadmissibilité du roturier dans les plus hautes places, emplois ou dignités, tant sur mer que sur terre, dans l'Eglise et dans la robe, est quelque chose qui fait gémir l'humanité et la raison, surtout dans un gouvernement éclairé : pourquoi un roturier n'aurait-il pas autant de valeur, autant de mérite de vertu, de talent et de capacité qu'un noble ? N'est-il pas comme lui sujet du même souverain ? Il en résulterait donc que, suivant le droit naturel et des gens, qu'il aurait aussi le même droit de participer aux grâces dont le prince favorise la seule noblesse de son Etat.

 

ART. 22. — La vénalité des charges de judicature est encore quelque chose de nuisible au public et à l'Etat même ; les sujets les plus capables en sont exempts pour n'y admettre que les plus ineptes, qui ne parviennent que par leur fortune. Il serait bien avantageux que les charges publiques fussent accordées au mérite et aux talents ; chacun s'empresserait alors de s'en rendre digne.

 

ART. 23. — La petite paroisse de Saint-Sauveur, composée seulement de quatre-vingts capités, toute pauvre, tout indigente, toute grevée qu'elle fût, s'empresse d'aller au devant des vues bienfaisantes de son souverain bien aimé et très digne de l'être, et lui offre non seulement son corps, mais encore son bien, autant et de la manière que les besoins de l'Etat l'exigeront ; elle supplie uniquement sa justice de ramener ses semblables à l'égalité avec elle, et de la prendre dès à présent et pour toujours sous sa protection, en se référant au surplus à sa délibération du deux février dernier, déposé au greffe de la municipalité de la ville de Rennes.

 

Fait et arrêté en l'assemblée générale de la paroisse de Saint-Sauveur-lez-Guingamp, sous les seings des habitants et notables d'icelle et celui du soussigné commis des délibérations qui a présidé la dite assemblée, ce jour de dimanche vingt-neuf mars mil sept cent quatre-vingt-neuf, à l'issue des vêpres et au désir du procès-verbal dudit jour.
[Mention de 26 signatures, dont celle du commis, Le Cocq].

 

DÉLIBÉRATION du 2 février 1789.
(Arch. commun. de Rennes. Cart. des Aff. de Bretagne, H).

Le corps politique de la paroisse, sans vouloir contrevenir aux arrêts du Parlement des 8 et 10 janvier, mais, considérant que ces arrêts « ne lui défendent pas de prendre des délibérations utiles dans les circonstances actuelles », adhère à « tout ce qui pourra être fait, soit par la commune de Rennes, soit par les députés en Cour des différentes communes respectivement à l'intérêt commun de l’ordre du Tiers, même à tout ce qui sera arrêté par l'assemblée générale du Tiers, qui doit se tenir à l'Hôtel de ville de Rennes ».
[Sur le registre, 11 signatures, dont celles de René Geffroy et de Le Cocq].

H. E. Sée.

 © Copyright - Tous droits réservés.