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LES DIX CAILLOUX DES R. P. CAPUCINS DE GUINGAMP.

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Ceci n'est autre chose que le récit de la fondation d'une maison de Capucins, au XVIIème siècle. Or, précisément parce qu'elle ne date pas encore de trois cents ans, cette histoire, que je n'ai pas trouvée sans intérêt, est complètement inconnue. Grâces aux travaux des Benédictins, nos érudits, et ils ne sont pas rares, savent par cœur le moyen âge breton ; en revanche, tout le monde ignore l'histoire des générations qui ont vécu immédiatement après la réunion définitive de la Bretagne à la France. Les Bénédictins ne sont point allés jusque-là. Cependant, cette époque de transition vaut la peine d'être étudiée ; le calme qui suivit en Bretagne les troubles de la ligue donna un libre essor à l'activité littéraire, artistique, administrative de nos cités ; un grand nombre de monuments, d'institutions utiles date de ce temps-là ; et, ce qu'il y a de curieux à observer, c'est l'originalité typique que conservent encore les mœurs bretonnes, malgré l'anéantissement de notre nationalité. A ce point de vue, j'aime autant une anecdote du XVIIème siècle qu'une chronique du XIIIème.

Je reviens aux R. P. Capucins de Guingamp. L'histoire officielle de la fondation de cette maison est très-courte, et la voici telle qu'on la trouve écrite dans les registres des délibérations de la communauté de ville :

« Du 28 décembre 1614. Délibérans : M. le gouverneur, les vicaires, les juges de Guingamp, les maires, habitants. Sur la remontrance du sieur maire, que l'on avoit désiré un couvent de Pères Capucins en cette ville, que même plusieurs gentils-hommes voisins et notables bourgeois s'étoffent assemblés chez M. le Gouverneur à cet effet, et avoient donné charge audit sieur maire de le proposer à ladite assemblée : les habitants, ainsy que cy-dessus assemblés ont été unanimement d'avis, sous le bon plaisir de Madame de Mercœur, de faire humbles prières et supplications à Monsieur le Provincial de l'ordre de Messieurs les révérends pères Capucins et à Messieurs les révérends pères deffiniteurs du dit ordre, à ce qu'il leur plaise accorder aux dits un couvent et famille des dits religieux capucins ».

Si ce procès-verbal vous portait à penser que les religieux mendiants, appelés par des vœux unanimes, n'eurent qu'à se présenter aux portes et à entrer dans la maison où on semblait les souhaiter si ardemment, vous vous laisseriez, une fois de plus, induire en erreur par l'histoire officielle. Un petit manuscrit de 1675, dont je dois la connaissance à M. A. de Barthélemy, nous révèle ce qu'il y a de vrai sous les obséquieuses formules du registre municipal, et nous raconte en détail les épreuves que les révérends Capucins et les personnes pieuses qui les patronaient eurent à subir, avant de pouvoir établir une maison de l'ordre à Guingamp.

Les Capucins, introduits en Bretagne par le duc de Mercœur, y devinrent bientôt extrêmement populaires. Il y avait, du reste, bien des points de contact entre ces religieux et les populations bretonnes. Le mendiant, dans toute la Bretagne, est un être sacré ; à plus forte raison quand ce mendiant portait le froc et distribuait, en échange de l'aumône, les consolations de l'Evangile.

Déjà plusieurs des villes voisines avaient des couvents de Capucins, et, depuis 1591, Guingamp avait perdu les Cordeliers, qui avaient quitté leur monastère de la Terre-Sainte, ruiné par le prince de Dombes, pour aller habiter Grâces. Deux personnes de piété conçurent alors le dessein de rendre à Guingamp les prêcheurs populaires qu'il n'avait plus, et de remplacer les Cordeliers par des Capucins. Il fallait d'abord trouver des patrons puissants pour l'œuvre projetée, car les deux bonnes âmes qui en avaient eu la pensée étaient incapables d'agir avec leurs seules ressources. On en parla à la vieille marquise de Locmaria, qui prit la chose avec chaleur ; puis à l'abbé de Bégard, messire Jean Fleuriot, qui résidait à Guingamp, et qui promit, si l'on voulait fonder le couvent en cet endroit, de concéder la chapelle de Saint-Léonard, qui dépendait du prieuré de Saint-Sauveur, dont il était titulaire, et d'aider en outre aux constructions pour une somme de trois cents livres. Ce premier feu ne tint pas. Je ne sais quel petit cousin de la marquise de Locmaria, seigneur de haute qualité, de belles manières et peu dévot, vint visiter la bonne dame. Celle-ci n'eut rien de plus pressé que de réclamer une aumône pour ses chers Capucins. Non-seulement le cousin refusa l'aumône, mais il fit si bien auprès de la marquise, qu'il la dégoûta complètement de ses premières idées, et qu'elle n'en voulut plus entendre parler. Cette défection découragea les associés, et il semblait que l'œuvre dût étre désormais abandonnée.

Il passait souvent par Guingamp des Capucins de la maison de Morlaix ; on leur raconta ce qui était arrivé. Ils conseillèrent de ne pas perdre tout espoir, et de faire seulement en sorte que le prochain Carême et le prochain Avent fussent prêchés à Guingamp par un prédicateur capucin nommé le P. Jean-François de Saumur. On y réussit. Le P. Jean-François commença par amener à lui M. Guillaume de Coatrieux, marquis de la Rivière, gouverneur de la ville. Ce seigneur était tourmenté, depuis plusieurs années, par la goutte et d'autres cruelles souffrances. Il voulut que les conférences relatives à la fondation du nouveau couvent se tinssent chez lui, et il y prit une part active. On songeait toujours à la chapelle de Saint-Léonard, d'autres préféraient Notre-Dame de Rochefort ; quand un jour, en se promenant, le P. Jean-François avisa le manoir du Penquer, où s'étaient logés les Jacobins, après qu'on les eut obligés de quitter l'abbaye de Sainte-Croix, qui leur avait offert un asile momentané, lors du sac de leur couvent, en 1591. Ce lieu sembla au capucin plus convenable qu'aucun autre. Il appartenait au marquis de la Rivière. D'un côté, on savait que le marquis était mécontent des Jacobins, dont il ne pouvait obtenir le payement de la rente convenue à titre de bail ; mais on savait aussi que plusieurs habitants de Guingamp convoitaient cette propriété et avaient fait des offres très-avantageuses. On se décida néanmoins à hasarder une proposition directe au marquis de la Rivière. La chose fut amenée de loin ; le marquis répondit vaguement qu'il n'eût point été mécontent de voir les Capucins logés au Penquer. Il fut souvent reparlé de cette affaire, et ce qui en hâta singulièrement la solution, c'est que, le jour même où il manifesta le dessein de donner le Penquer aux Capucins, M. de la Rivière, qui, comme nous l'avons dit, était tourmenté depuis six ans de la goutte et d'une fièvre quarte qui l'avait réduit à l'extrémité, trouva tout à coup une amélioration extraordinaire dans sa santé , « et l'on veid, dit notre manuscrit, comme par miracle, deux à trois jours après, le dit seigneur relevé et remis en tel estat estoit nécessaire pour conclure l'acte et contract de ce don ». Il se consacra dès-lors tout entier au succès de cette œuvre, et, de son côté, Madame de Coatrieux y contribua de tout son pouvoir. Le P. Jean-François de Saumur se retira sur ces entrefaites, après avoir déclaré qu'il avait mission d'accepter, au nom de son ordre, la fondation de Guingamp.

Il ne restait plus à obtenir que le consentement de la communauté de ville. La chose ne paraissait pas facile. Les Jacobins, furieux de se voir chassés du Penquer, usaient de tout leur crédit pour exciter les esprits contre le nouveau couvent. Déjà les bourgeois avaient fait une sorte d'assemblée préparatoire, qui s'était tenue sous la halle, et dans laquelle s'était manifestée une vive opposition contre les Capucins. Cette réunion députa deux de ses membres, amis particuliers de M. de la Rivière, pour faire connaître au gouverneur le résultat de la délibération, et lui dire que la communauté se sentait trop pauvre et trop grevée pour pouvoir accepter une nouvelle charge. Le marquis répondit sèchement aux députés « qu’il estoit marry de ce que eux, ses amis, avaient pris cette charge et commission, et qu'il eust voulu pour somme notable qu'ils ne l'eussent jamais acceptée ». Il les rudoya et les l'envoya en disant encore : que « quand il n'y auroit autre que luy seul, il bastiroit le dit couvent et nourriroit les ditz pères Capucins ».

L'entrevue avait lieu en présence d'un capucin, le R. P. Jean-Baptiste d'Avranches, qui jugea bon d'ajouter quelques paroles persuasives aux menaces du gouverneur ; il affirma aux Guingampais ; « que quand ilz auroint senty le bien quy leur seroit procuré par les dicts pères, la consollation qu'ils en recevroint, ils loüeroint Dieu et le remerciroint d'un si grand bien, et qu'ils n'estoint si grands mangeurs, qu'ils deussent aprehander l'aulmosne qu'ils donneroint, pour laquelle ils recevroint mille bénédictions du ciel ».

Les amis des Capucins ne comptaient pas tant sur l'influence du marquis de la Rivière et sur l'éloquence du P. Jean-Baptiste, qu'ils n'eussent encore quelques inquiétudes sur l'issue de l’assemblée générale qui allait avoir lieu : « la quelle se fist en l'esglise de Nostre Dame, au cœur d'icelle, en présence du saint Sacrement, où l'affaire proposée à tous en général, et demandé l'advis de tous ceulx qui le merittoient, Dieu miraculeusement extorqua un consentement général, nemine contradicente, excepté un seul habitant, qu'y dict pour raisons ce que ces députés cy-devant avoinct faict entendre au dict seigneur. Et néanmoins (chose merveilleuse) la mesme assemblée, s'étant retirée en la nef de l'esglise, n'estoit aulcunement disposée à cette affaire : ains l'on n'entendoit qu'un murmure dans l'esglise, redisant les mesmes frivolles raisons que de précédant. L'on remercia Dieu de cet hœureux consantement, y ayant présidé et acheminé l'affaire, à tel poinct qu'il ne falloit plus que planter la croix, à quoy sans perdre temps l'on se disposa ». Le marquis de la Rivière donna un bel arbre de sa terre de Goaz-Hamont, tout proche de la ville. On l'apporta dans le grand portail de l'église Notre-Dame, où les ouvriers le travaillèrent.

Les murmures n'étaient pas complètement apaisés, quand arriva le jour fixé pour le plantement de la croix ; mais cette journée dissipa bien des préventions. La cérémonie se fit avec pompe. M. de Kerbic, grand-vicaire de Tréguier, remplaça l'évêque absent, et officia dans toutes les cérémonies. Toute la noblesse des environs entourait le gouverneur, « auquel on veid les larmes aux yeux, de joye qu'il avoit, de voir leffect de ses bonnes intentions accomply, et luy rellevé de malladye invétérée ». Le trajet ne fut pas assez long pour satisfaire la dévotion de tous ceux qui voulaient porter la croix sur leurs épaules. Le P. Jean-Baptiste marqua chaque station par une exhortation appropriée à la circonstance, et ses paroles furent trouvées pleines d'éloquence et d'onction.

Cela se passait le 15 novembre 1615 ; neuf ans après, le dimanche de la Quasimodo, 14 avril 1644, les Capucins faisaient la dédicace de leur chapelle et complétaient leur installation au Penquer, dont la suppression des ordres monastiques devait seule les chasser, après plus d'un siècle et demi.

Pour avoir extrait de mon vieux manuscrit tout ce que j'ai jugé digne d'intérêt il me reste à parler des singuliers monuments que les Capucins de Guingamp consacrèrent à leurs principaux bienfaiteurs.

Dans une partie de l'enclos qui n'est pas désignée, s'élevait une croix ; c'était le mémorial de la guérison radicale et miraculeuse de M. de la Rivière.

Dans la chaussée pavée, qui conduisait à l'entrée principale du couvent, proche l'escalier du cimetière de la Trinité, on voyait, jusqu'en 1692, quatre cailloux ronds, disposés en forme de croix. C'était un témoignage de reconnaissance pour les quatre principales bienfaitrices de la maison : Madame la marquise douairière de Locmaria ; Mademoiselle Pechin, qui fit de sa maison de Pontrieux un hospice pour les Capucins : Mademoiselle Moissonnière, qui donna six mille livres pour aider à la construction de l'infirmerie ; Mademoiselle du Rocher-Huet, et sa fille, Madame du Roscoët, « conseillère au Parlement ».

En 1692, dit une note ajoutée par une main étrangère, on élargit l'entrée du couvent ; on enleva alors les quatre cailloux commémoratifs du milieu de la chaussée, où ils fussent demeurés inconnus, et on les transporta à l'extrémité du pavé, tout contre les marches, dans l'endroit le plus apparent. Le P. Gardien ajouta à ces quatre pierres six autres cailloux, en mémoire des plus insignes bienfaitrices de son temps, savoir : Madame et Mademoiselle de la Garenne du Boisgelin, Madame de Kerprat, Madame de Keraudren, Madame de Kercabin, Madame du Rumen et Madame du Gage. Ces dix cailloux étaient encore disposés en forme de croix.

Aujourd'hui, l'on chercherait en vain les débris de ce monument curieux et naïf ; le couvent est devenu une habitation privée. La tradition orale s'est éteinte avec le dernier des religieux du Penquer, et ces souvenirs ne sont conservés que par le manuscrit « collationné fidellement à une minutte et escript par Vincent Le Briquir de Pedernec, notaire de la cour abattiale de Begar, fieff amorty au Roy, le 17e avril 1688 ».

(M. S. Ropartz).

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