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MADAME DES ARCIS

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Celui qui, dans un tableau du XVIIème siècle, oublierait les fondations de monastères de femmes, laisserait de côté l'une des faces les plus neuves de cette époque. En ce qui concerne Guingamp, vous y avez vu arriver, dans ce siècle, les Ursulines, les Carmélites, les Hospitalières, les Dames du Refuge, quatre couvents importants dans une bourgade. Dans ces dernières années, un écrivain puséiste, une femme, dit-on, a publié, en anglais, un livre intitulé : Derrière les grilles des Couvents de France.

Le titre seul était tout un succès. Franchir cette clôture monastique, barrière morale plus puissante aujourd'hui encore que les murailles mêmes qui la symbolisent ; pénétrer, sans violence et sans sacrilège, dans ces asiles silencieux, qui ont pour tous l'attrait du secret, et, pour un grand nombre, l'attrait d'un mystère hypocrite, c'est une vive satisfaction, sans aucun doute. Or, cette libre entrée dans les plus profonds arcanes de la vie claustrale, est un des revenant-bons des études archéologiques et des investigations patientes dans les archives et les chartriers. La découverte d'un dossier monastique intime, pour n'être pas très-rare, n'en est pas moins appréciée, et je ne fais pas difficulté d'avouer, en ce qui me concerne, que c'est une des choses dont je suis le plus friand.

Les archives du monastère de Montbareil de Guingamp, aujourd'hui, comme chacun le sait, transplanté à Saint–Brieuc, sont éparses en plusieurs lieux le dépôt de la Préfecture des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) en possède quelques lambeaux ; j'en ai trouvé des liasses plus considérables chez des particuliers. Les vastes bâtiments de ce monastère ayant été convertis en prison avant d'être vendus nationalement, puis rachetés par les Filles de la Croix, qui y vivent aujourd'hui, il est merveilleux que les papiers dont je vais m'occuper aient survécu à ces diverses vicissitudes.

Toutes ces écritures se peuvent convenablement diviser en trois classes principales : 1° les titres de propriété et les contrats de dot des novices, complètement insignifiants pour nous ; 2° les écritures relatives aux Repenties, qui sont les plus nombreuses et sont beaucoup moins piquantes qu'on ne le pourrait croire ; 3° les papiers intimes de la communauté, qui dédommagent amplement des déceptions réservées à l'explorateur par les liasses de la seconde catégorie.

Il y aux archives départementales des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) un bon nombre de lettres de cachet, adressées au Refuge de Guingamp, qui ne prouvent qu'une chose, c'est que les plus obscures pécheresses étaient honorées de ces signatures royales sur lesquelles les romanciers ont jeté tant de mystérieuse importance. Sur les cinquante lettres de cachet renfermées dans le carton de Montbareil, il y en a quarante qui frappent des prostituées de profession et du plus bas étage, à la requête de la police, et pas une ne porte un nom connu. J'avais eu un petit émoi, en lisant, sur une des terribles pancartes, la qualification de femme du commissaire de police de Versailles, et j'avais cru presque à une affaire d'Etat ; hélas ! en tournant le feuillet, je vis que la demoiselle était cloîtrée à la requête de Monsieur son mari, et pour de simples affaires de ménage.

Dans une très-volumineuse correspondance privée, relative à l'entrée et à la sortie des pénitentes, même disette, sinon plus grande : les lettres de cachet avaient au moins le mérite de l'autographe royal. Mais ce qui ressort, avec un incomparable éclat, de cet ensemble uniforme et monotone, c'est l'immense charité du sacerdoce et des nombreux chrétiens de toutes conditions qui interviennent dans ces négociations, non-seulement avec leur bourse, mais avec leur coeur. Je n'en puis citer ici que trop peu d'exemples, car je n'ai point encore atteint, à vrai dire, mon sujet, et il ne faut pas que je m'égare en ces préliminaires. Je ne saurais mieux choisir que ces deux billets de Monseigneur de Kermorvan, évêque de Tréguier : « A Tréguier, ce 20 février 1747. — A la Révérende, la très-Révérende Mère Supérieure de Montbareil à Guingamp. — C'est de ma part, Madame, que l'on vous présente cette fille pour être placée parmy les pénitentes de Montbareil. Ses déréglements et scandales m'ont engagé à la faire arrester et conduire en lieu où elle les pleure et travaille à s'en corriger. Je souhaite que ce second voyage qu'elle fait chés vous soit plus efficace que le premier, et devienne enfin salutaire à cette pauvre âme égarée, que le libertinage dans lequel les troupes nouvellement arrivées à Tréguier l'ont replongée, perdroit sans espoir de retour. Je me charge de faire païer sa pension quand vous m'en aurez marqué le prix, que je crois devoir être modique, cette pénitente étant forte et faite au travail. Je suis parfaitement, ma chère Fille, votre affectionné père en Dieu, — CHARLES GUY, évêque comte de Tréguier ».

« A Tréguier, le 27 novembre 1749. — La porteuse de cette lettre Madame, est celle dont Monsieur le Recteur de Plouezoch vous parla en revenant de la mission de Saint-Gilles, et qui consentit volontairement d'aller passer un an chez vous, ce qui engagea Messieurs les Missionnaires de lever entre eux dix écus pour elle. Le dit Recteur m'a remis la ditte somme, que je n'ay pas osé lui donner. Je vous la feray rendre quand je sauray qu'elle sera chez vous. Vous aurez la bonté de me mander comme elle se comportera pendant son année. Je suis avec considération, Madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur, CHARLES Guy, évêque comte de Tréguier ».

Je n'ai trouvé qu'un vieux religieux de Morlaix qui conseille de joindre, pour une ivrognesse émérite, aux méditations et aux sermons, un peu « de nerf de boeuf ».

Les archives intimes des religieuses offrent, je l'ai dit, un plus vif intérêt. Les pièces qu'elles renferment sont de deux sortes : des circulaires adressées par chaque couvent à toutes les maisons de l'ordre, pour notifier le résultat des élections et faire connaître les principaux événements ; des notices nécrologiques qui sont intitulées : « Extraits », et qui étaient également adressées à tous les monastères.

Les circulaires sont charmantes.

Je ne résiste pas à la tentation d'en copier une. Après avoir dit que, si quelques-unes des pénitentes ne se repentent guère, d'autres, et le plus grand nombre, laissent espérer un vrai changement, cette circulaire, datée de Caën, le 29 avril 1754, poursuit : « Plusieurs nous donnèrent cette satisfaction l'année dernière, au sortir d'une retraite que les R. Pères Jésuites leur firent ensuite d'une mission qu'ils avoient faite dans notre ville, laquelle fut prolongée de quinze jours en faveur des communautés et autres personnes qui n'avoient pu assister aux prédications. Ces R. Pères nous accordèrent donc pour ces pauvres filles une retraite de cinq jours, pendant lesquels elles avoient trois sermons suivis d'une bénédiction avec le saint Ciboire. Elles observoient exactement les autres exercices des missions. Vous jugez bien, nos très-chères Sœurs, que nous en prîmes notre part avec bien de l'avidité. Le choeur de nos pénitentes étant trop petit, nous fabriquâmes des tentes proche les fenêtres, ce qui donna le moyen à nos Soeurs cuisinières d'y participer, sans rien obmettre de leurs occupations ; elles apportoient leur pain à trancher, leurs pois et fèves à écaler, leurs navets à gratter, etc., de sorte qu'en se rassasiant spirituellement, elles travailloient à nous nourrir corporellement. Les prédications étoient des plus fortes et des plus touchantes ; aucun vice n'y fut épargné ; mais un surtout y fut développé d'une manière si naturelle, qu'elle blessa les oreilles chastes et délicates de plusieurs. Heureusement, elles se trouvèrent sous les tentes, ce qui leur procura la facilité de prendre la fuite. Quelques-unes s'en repentirent, vu le récit que leur firent celles qui, étant moins farouches, avoient demeuré constamment, sans s'émouvoir de quelques paroles grasses, qui n'eurent pas de suites, mais suivies d'un discours charmant. Les fuyantes n'y furent pas reprises ».

Telles sont, d'un bout à l'autre, ces chroniques monastiques, pleines d'une gaîté douce, d'une familiarité noble, et d'un sel tout attique, quand elles ne sont pas remplies d'une émotion vraie, comme dans le récit de la mort du chapelain qui fut frappé d'apoplexie au seuil même du couvent, lorsqu'il venait y dire la messe. L'émotion seule, et un certain mysticisme que j'apprécie beaucoup moins, règnent dans les notices nécrologiques ou « Extraits ». Ces Extraits sont fort nombreux aux archives des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor), et plusieurs s'appliquent à des religieuses du couvent de Guingamp. Je ne veux m'attacher qu'à la notice qui concerne la fondatrice même de notre couvent, Madame la vicomtesse des Arcis, connue dans le cloître sous le nom de Soeur Marie de l'Incarnation.

Monsieur Moisan ou Moisant, grand-père de la Soeur Marie de l'Annonciation, était sorti d'une notable famille de Rouen, proches parents de M. le marquis de La Luzerne et de MM. des Brieux. Après avoir compté parmi les plus zélés de la religion prétendue réformée, M. Moisan avait abjuré et était compté parmi les meilleurs catholiques. Mais comme toute sa famille n'avait pas suivi son exemple, et était encore calviniste, il quitta la Normandie et vint s'établir en Basse-Bretagne, à Guingamp. Il y épousa une demoiselle de Kergozou, vieille maison noble de Quimper–Guézennec. Quant à lui on le trouva plus mêlé à la bourgeoisie qu'à la noblesse : il fut maire de Guingamp, et je le soupçonne de s'être adonné au commerce, où il fit fortune. Son fils aîné, qui prit le nom d'une de ses métairies, suivant l'usage universel du temps, et se fit appeler M. de Kervégan–Moisan, épousa Mademoiselle de La Moissonnière, de haute bourgeoisie, et de robe, je crois. [Note : Charles Prédoué de La Moissonnière fut maire de Guingamp, en 1625]. De ce mariage naquit celle dont j'écris la vie.

« On la nomma Hélène sur les saints fonts de baptême, par lequel nom, dit la notice originale dans son mystique langage, le Saint-Esprit donna à connoistre qu'il se dédioit l'âme et le coeur de cette enfant, choisye pour porter et exalter la croix, comme sa sainte patronne, en tous les estats de sa vie ».

Lorsqu'elle n'avait encore que sept ou huit ans, Mademoiselle sa mère, femme d'un grand coeur, qui faisait son occupation ordinaire de la charité et de la piété, en quoi elle était imitée par son mari, vint à mourir, laissant plusieurs enfants, qui furent recueillis et élevés par Mademoiselle de La Moissonnière, leur grand'mère [Note : Cette qualification de Mademoiselle, donnée en tout lieu, par le manuscrit original, à la grand'mère comme à la mère de Madame des Arcis, confirme mes doutes sur son origine bourgeoise]. Hélène fut traitée en enfant gâtée ; mais comme sa nature la portait au bien par un penchant héréditaire, et qu'elle n'avait autour d'elle que des exemples de vertu, dans ses soeurs aînées et dans son aïeule, c'était, à la fois, la plus pieuse et la plus aimable des enfants gâtées. Les Ursulines venaient de s'établir, à Guingamp : Mademoiselle de La Moissonnière était une des grandes bienfaitrices de la maison naissante, et, à cause de cela, y faisait de fréquentes visites. Ces rapports journaliers donnèrent à sa petite–fille un goût si vif pour les religieuses, qu’elle le prit pour une véritable vocation, et en déclara son dessein à sa grand'mère, ce qui surprit et courrouça fort la bonne dame, malgré sa vertu, à tel point qu'elle défendit à Hélène toute relation avec les Ursulines. Cela n'eut pas d'autres suites.

Quelque temps après, la vieille grand'mère mourut, laissant de rechef Hélène orpheline, maîtresse d'une belle fortune, et maîtresse d'elle–même car M. de Kervégan, son père, était d'une douceur qui allait jusqu'à la faiblesse.

Une nièce de M. de Kervégan avait épousé le marquis des Arcis, gentilhomme de cour, d'une très-vieille famille de la Bretagne, dont le nom était de Cervon, et que je suppose, ainsi que son frère, dont je vais parler, de la suite du duc de Chaulnes. Hélène quitta la vie paisible de Guingamp, et les habitudes graves de Mademoiselle de La Moissonnière, pour le bruit de Rennes et la vie toute mondaine de sa cousine, Madame la marquise des Arcis, chez laquelle elle alla demeurer. Elle se fit très-vîte à ce nouveau milieu, et, comme elle avait de la figure, de l'esprit et de la fortune, elle y eut de grands succès. Des qualités si rares, et peut-être la dernière plus que toutes les autres, lui valurent les recherches empressées de M. le vicomte des Arcis, beau-frère de sa cousine. L'ouverture de ce mariage n'agréa point à M. de Kervégan : il lui paraissait d'une imprudence extrême, parce que les mérites de M. des Arcis étaient plus brillants que solides, et que sa fortune ne répondait en aucune façon ni à sa position dans le monde, ni surtout à son inclination à la grosse dépense, inclination à laquelle les goûts personnels de Mademoiselle de Kervégan, loin d'apporter aucun obstacle, devaient donner un nouveau stimulant. Mais l'amour-propre et la vanité de la jeune fille étaient tellement infatués de cette alliance, que, la faiblesse naturelle de son père aidant, elle eut bientôt triomphé des résistances, et elle arracha à M. de Kervégan un consentement plein d'appréhensions et de tristesse, et qui lui faisait dire à ses amis :.

« J'établis mon Hélène dans la cour ; mais je crains qu'elle ne soit pas la plus heureuse de ses soeurs ! ». Pressentiments qui se réalisèrent si cruellement par la suite !.

Pendant huit ou dix ans, la vie de Madame des Arcis fut une fête non interrompue, dont le tourbillon ne lui laissa pas même le temps d'apercevoir les désordres de son mari. Elle eut à Rennes un train splendide, et une table dont on vantait la délicatesse et la magnificence.

Cependant, un jour, malgré toutes les distractions et les éblouissements de son existence, la réflexion pénétra dans l'âme de la petite-fille de la pieuse et austère Mademoiselle de La Moissonnière, et elle sentit dans son coeur un vide immense. C'était une radicale et complète conversion. Elle se mit sous la direction du P. Valentin, religieux carme très-renommé pour son habileté dans la conduite spirituelle, et y fit de si rapides progrès, que bientôt elle pensa comme une sainte et vécut de même. Ce changement dans toutes les habitudes de sa femme dut singulièrement étonner le vicomte ; mais il ne paraît pas qu'il y mît obstacle, se contentant de mener, pour sa part, une existence toute indépendante, et, je n'ai pas besoin de le dire, toute différente de celle de la vicomtesse.

La paix de cette nouvelle vie fut tout-à-coup troublée par « une démarche que fit M. le vicomte à la sollicitation d'un de ses amis, l'aydant à prendre et à mettre en prison une personne à qui son ami vouloit faire affront. Cette action, indigne du rang de ces gentilshommes, d'avoir fait l'office d'huissier et sergent, parut si lâche et fit tant de bruit dans la ville de Rennes, qu'un chacun les blasmoit de cette bassesse ; et M. des Arcis en conceut tant de honte et de confusion, qu'il résolut de quitter la Bretaigne et s'en alla à Paris ».

Cette absence, qui devait, sans doute, être momentanée, et ne durer qu'autant qu'il aurait été nécessaire pour calmer, justement blessée des suites extravagantes d'une débauche, eut une influence considérable sur le sort de Madame des Arcis. En effet, à Paris, le vicomte retrouva ses anciens amis, ses relations de la cour et de la ville, et, comme c'était un caractère léger et vaniteux et qui n'avait, jamais calculé, il se laissa facilement entraîner à mettre en oubli les graves considérations de fortune qui l'avaient autrefois déterminé à prendre un emploi en province, et il se décida à revenir à la cour, pour laquelle il lui parut qu'était fait seulement un homme de sa naissance et de son mérite. Il se défit donc de ses charges en Bretagne et manda à la vicomtesse qu'elle eût à venir le joindre à Versailles, et qu'il se mettait en route pour l'aller chercher. Mais Madame des Arcis n'était plus la jeune fille légère et irréfléchie qu'il avait si facilement séduite à l'époque de leur mariage. « Dieu, — dit en cet endroit mon manuscrit, — ayant desjà gaigné son coeur, le monde et la cour n'avoient plus de charme pour elle, joint que sa famille, qui l'aimoit tendrement, estoit toute opposée à une pareille entreprise, connoissant l'esprit de M. des Arcis, si porté à la haute dépense, et sans aucun ménagement. On jugea que c'étoit pencher à une totale ruine de la maison ; ce qui leur fit conclure à une séparation de biens, Madame des Arcis se voyant obligée de conserver le sien pour l'éducation de ses enfants. Cette résolution déplut si fort à M. le vicomte, qu'il résolut d'enlever son espouse et de la mener à Paris, contre vent et marée ».

La pauvre femme prit la fuite, et se retira chez une de ses parentes ; mais cet asile provisoire n'offrait aucune sécurité, et on crut, au contraire, avoir trouvé une retraite impénétrable dans la Maison du Refuge, qui venait de se fonder à Rennes, et qu'à cause de sa pénurie et de son exiguité, on appelait le Petit-Couvent. Madame des Arcis sentait une vive répugnance pour ce petit couvent, où tout n'était que pauvreté d'une part, et ignominie de l'autre ; mais la nécessité de pourvoir à sa sûreté, et, sans doute, cette Providence qui mène les hommes, à leur insu quand ce n'est pas malgré eux, dans leur voie propre, forcèrent ses premiers refus et elle franchit le seuil obscur de cette maison, dont l'existence même était ignorée de la plupart des habitants de Rennes. Elle devait y trouver le plus précieux des trésors, une parfaite amie, un coeur et une âme comme son coeur et son âme en avaient besoin, dans la personne de la Mère Marie de la Trinité Heurtant. Aussi, quand le vicomte, las de ses recherches inutiles, et perdant l'espérance de réussir en son dessein, fut retourné à Paris, la vicomtesse ne voulut plus quitter la maison du Refuge. Elle donna ordre à ses affaires, mit ses enfants en pension au collège, et, libre de tous soins, n'en eut plus d'autre que de propager dans la province l'institut du Refuge, dont elle avait apprécié l'immense utilité. La vertu et la patience qu'elle avait fait paraître dans tous les troubles et les chagrins que lui causait la conduite de son mari, la mirent en très-haute estime à Rennes, et lui valurent de hautes et chaleureuses affections, parmi lesquelles se comptait Madame d'Argouges, première présidente. Elle tenait à voir presque journellement la dévote recluse, et il arriva à ce propos une aventure que Madame des Arcis se plaisait à raconter. Depuis son entrée au Refuge, elle avait adopté un costume d'une simplicité extrême, de sorte qu'un jour qu'elle se présenta à la porte de l'hôtel d'Argouges, le garde qui était de faction, la prenant pour une solliciteuse importune, lui refusa l’entrée. A quelques jours de là, la première présidente s'étant plainte de ne pas l'avoir vue, elle raconta, en riant, l'affront qu'elle avait essuyé et la manière dont le garde avait exécuté sa consigne. On fit venir cet homme, qui se crut perdu, et dit, avec un juron, que personne ne pouvait deviner une vicomtesse sous un pareil déguisement, et qu'il n'y avait pas de sa faute. Cette vertueuse intimité admettait en tiers Madame la présidente de Brie, et Madame des Arcis, toute zélée pour l'oeuvre des Refuges, n'eut pas de peine à y intéresser ses deux amies. On vit ces nobles femmes faire leur plus douce occupation de visiter les pauvres pénitentes, pour les réhabiliter à leurs propres yeux ; leur donner de petits présents, pour mieux faire accepter leurs bons conseils ; embrasser, avec l'effusion de la charité chrétienne, ces créatures infimes et infâmes, régénérées par la pénitence et le repentir ; puis, s'inquiéter, avec une infatigable sollicitude, de les placer, au sortir du Petit-Couvent, loin de l'occasion d'une rechute.

Madame des Arcis, en devenant dévote, n'avait fait que détourner le but de cette générosité native qui se manifestait autrefois dans ses prodigalités fastueuses. Elle consacra sa fortune aux bonnes oeuvres et surtout à celle des Refuges ; elle y consacra également, on peut le dire la fortune de ses amies et leur influence. Ce fut par ses soins, et par les démarches de Mesdames d'Argouges et de Brie, que la maison de Rennes, largement pourvue de ce qui lui était nécessaire, obtint les lettres royales de confirmation qui lui étaient indispensables. Puis, vint l'expansion du prosélytisme inhérent à toutes les oeuvres chrétiennes, et l'on s'occupa de semer dans la Bretagne d'autres maisons de l'Ordre.

Madame de Brie fonda le monastère d'Hennebont, qui n'eut qu'une existence éphémère ; car, Madame de Brie étant morte peu de temps après la fondation, cette communauté naissante n'eut pas assez d'influence pour obtenir ses lettres d'érection et fut supprimée.

Dans le même temps qu'elle fondait Hennebont, la pieuse présidente de Brie abandonnait quelques rentes qu'elle possédait en Basse-Bretagne, pour aider à l'établissement d'un Refuge que Madame des Arcis projetait à Guingamp. Cette dernière, toute pleine du désir de cette oeuvre, faisait à Guingamp de fréquents voyages, dans lesquels, suivant la pittoresque expression de notre manuscrit, « elle venoit jetter ses plombs pour ce grand ouvrage ».

Elle tâchait d'amener doucement sa famille, dont elle avait gardé toute la tendresse, à seconder son entreprise, et ne se décourageait d'aucune lenteur, quand une circonstance des plus imprévues et des plus douloureuses précipita les événements. M. de Kervégan s'était remarié, et avait eu de cette seconde union une fille unique, « des mieux faites et accomplies qu'on eût sceu souhaiter ».

Madame des Arcis, après avoir pris de l'éducation de cette petite soeur un soin quasi maternel, avait pourvu à son établissement, et l'avait très-honorablement et très-richement mariée à M. de Lassé, conseiller au Parlement. Madame de Lassé mourut dans l'année de ses noces. Ce fut un coup de foudre qui jeta Madame de Kervégan dans les bras de sa belle-fille, dont la douleur était presque égale, et qui lui offrit la consolation des bonnes oeuvres. Madame des Arcis eut dès lors, dans sa marâtre, qui renonça comme elle absolument au monde, une auxiliaire ardente, et la fondation de Guingamp ne sembla plus devoir trouver d'obstacles.

Madame des Arcis et Madame de Kervégan ne quittèrent le Petit-Couvent de Rennes que pour tenter, à Guingamp et ailleurs, les démarches nécessaires pour obtenir l'agrément de Messieurs de la ville, de Monseigneur de Tréguier et de Monseigneur le duc de Vendôme, de qui Guingamp relevait, comme membre du Penthièvre. Lorsque tout fut prêt, on vit arriver de Rennes une petite colonie, composée de la Mère de la Trinité Heurtaut, supérieure ; la Soeur Marie du Saint-Esprit de Porcon, assistante ; la Soeur Marie de la Présentation Vallée, encore novice, et, enfin, Mademoiselle Menars, postulante, qui alla, plus tard, mourir à Vannes, sous le nom de Soeur Marie de Saint-Jean. Le 21 novembre 1677, dans une chambre d'une petite maison de la rue de Monthareil, transformée en chapelle, la première messe fut célébrée, et l'ordre de la Charité du Refuge prit solennellement possession du second monastère qu'il eût en Bretagne.

Dès ce jour, la vie de Madame des Arcis appartint tout entière au couvent de Montbareil.

Deux ans ne s'étaient pas écoulés que la maison conventuelle, la chapelle et les bâtiments destinés aux pénitentes, étaient achevés. Ce ne fut pas sans de sérieux obstacles, les uns grands, les autres moindres, que l'on tourna ou que l'on surmonta. Quelquefois, les religieuses crurent sentir l'intervention divine, rendue évidente et palpable. Je transcris littéralement un passage du manuscrit ; je ne me sens pas capable d'égaler cette simplicité et cette naïveté : « Il y avoit sur l'emplacement destiné à la construction du nouveau monastère, une maison toute ruinée et si mal en ordre que ce n'étoit qu'une vieille masure. Cependant, la demoiselle qui en étoit propriétaire y avoit une attache si extraordinaire, que pour rien du monde elle ne la vouloit vendre. Sa résistance causoit beaucoup d'inquiétude, parce qu'elle rompoit tout le plan du bâtiment, et l'on ne savoit plus par quel ressort se prendre pour lui faire entendre raison, lorsque notre dame vicomtesse s'avisa d'un saint stratagème, mettant une image de la sainte Vierge dans ceste mazure, la priant d'en prendre possession par son autorité ; et son oraison ne fut pas plustôt achevée que la demoiselle vint de son propre mouvement lui offrir sa maison, qu'elle avoit tant laissé demander sans se vouloir flêchir ».

Le zèle de Madame des Arcis ne se bornait pas à l'agrandissement matériel de la communauté qu'elle avait prise sous son patronage ; elle s'occupait aussi de lui procurer des novices, « en sorte qu'il passa à Guingamp en proverbe qu'il se falloit garder des attraits de Madame des Arcis, ou se résoudre à être religieuse ; par l'éloquence qu'elle avoit à parler de l'auguste employ de ce saint Institut, ne pouvant renfermer dans son coeur, sans les communiquer aux autres, les hauts sentiments que Dieu lui en avoit donnés ».

Six années environ s'écoulèrent ainsi ; puis, dans les premiers jours de l'année 1683, un événement, qui rendait la liberté à la pieuse femme, lui permit de donner une nouvelle preuve de son dévouement pour l'institut auquel elle avait consacré tous ses soins, et de lui consacrer sa propre personne. Monsieur des Arcis mourut à Paris, « dans tous les bons sentiments ». La noble veuve, après avoir rendu les derniers devoirs à son mari, s'occupa activement de régler ses affaires, et de partager à ses enfants, déjà grands, un bien clair et quitte de dettes et de procès ; puis, rien ne la retenant plus, elle s'arracha aux tendresses de sa famille et prit l'habit religieux, au monastère qu'elle avait fondé, le 17 avril 1683, jour de saint Vincent Ferrier. Monseigneur de Saillant, évêque de Tréguier, voulut présider lui-même à cette cérémonie « où il fit un sermon admirable, comparant notre chère Soeur à ce grand Saint qui a tant gaigné d'âmes à Dieu et c'estoit autant la canoniser que prescher que fist ce digne thémoin oculaire des vertus innombrables de la sainte novice, la qualifiant toujours de ce nom, et thémoignant en toute rencontre la haute estime qu'il en avoit ».

Le noviciat ne fut pas sans épreuves ; la plus rude fut la séparation d'avec la Mère Heurtant, cette amie de toutes les heures, en qui le coeur de la novice s'était fondu, et qui fut appelée par ses supérieurs pour fonder la Maison de Paris. Cet appui, dont elle avait si souvent éprouvé la douceur et la force, lui manqua au moment où elle en aurait eu le plus besoin ; car sa famille mit à sa profession une opposition extrême, alléguant la considération de MM. des Arcis, ses fils, qui n'étaient pas encore établis dans le monde, et qu'elle ne devait pas, disait-on, abandonner. Cette opposition fut si violente, qu'elle l'obligea à ajourner l'exécution de son sacrifice ; mais elle ne la rendit que plus confirmée dans son dessein, et, quelque temps après, surmontant avec une grande énergie tous les obstacles, elle prononça solennellement ses voeux, entre les mains de Monseigneur de Saillant, et prit le nom de Soeur Marie de l'Annonciation.

La vie de la Soeur Marie de l'Annonciation ne fut marquée désormais que par l'épanouissement journalier de toutes les douces et charmantes vertus qui fleurissent à l'ombre du cloître, dans les âmes qui sont véritablement élues pour cette vocation exceptionnelle, et je me sens tout-à-fait inhabile à en retracer le tableau.

Elle avait conservé, de ses élégances mondaines, un goût très-vif pour les fleurs ; elle avait la charge des jardins ; elle y créa de nombreux et splendides parterres, dont elle cueillait elle-même les plus beaux bouquets pour en parer les autels, et des petites chapelles en forme de grottes qu'elle avait fait disposer en divers lieux du vaste enclos, afin que chaque promenade, consacrée par une pensée pieuse, fût comme un dévot pèlerinage. Elle exerça très-longtemps les charges de directrice et d'assistante : je ne sais en quoi précisément elles consistaient, et mon manuscrit ne les définit pas autrement qu'en disant que la Mère de l'Annonciation « y signala son zèle pour l'observance et pour former de bons sujets à la sainte religion ». Ces graves occupations ne la détournaient pas de ses fleurs, et quand le temps lui manquait pour achever ses bouquets la veille des fêtes, elle demandait la permission de se lever dès les trois heures du matin pour parer l'autel.

Madame des Arcis avait un dernier devoir à remplir pour parachever la fondation de Montbareil : « Elle fit encore paroître son zèle ardent pour le soutient de ce cher monastère, lorsque le Roy fit recherche des maisons qui étoient dépourveues de lettres d'établissement, employant le ciel et la terre pour nous faire obtenir les nôtres, sans lesquelles nous courions le même risque que plusieurs autres maisons religieuses, puisque même on nous avoit desjà signifié de déguerpir. Jugez quelles alarmes pour la communauté et pour sa bienfaitrice, en considération de laquelle Monseigneur de Saillant et Monseigneur d'Argouges travaillèrent infatigablement pour nous obtenir nos lettres de Sa Majesté. Ils y réussirent avec tant de bonheur, qu'en quinze jours nos alarmes furent changées en chants d'allégresse, et Monseigneur de Saillant escrivit que de les avoir obtenues ce n'étoit pas une faveur, mais un miracle ».

Dans les premiers mois de l'année 1694, Madame des Arcis fut frappée d'une hydropisie qui devait la conduire au tombeau, après dix mois d'atroces souffrances, supportées avec une patience et une résignation héroïques. Elle était d'une très–petite taille, et naturellement obèse : elle enfla prodigieusement de tout le corps et surtout des jambes, où il se forma bientôt des plaies et des ulcères qui lui causaient d'affreuses douleurs ; néanmoins, elle se faisait porter au choeur tous les dimanches et fêtes. Vers la fin de juillet, elle fut prise d'une violente fièvre, avec un gros délire et une oppression si forte, que les médecins jugeaient qu'elle n'avait plus que quelques heures à vivre, quand il se déclara un mieux si subit et si prononcé, que la communauté revint à l'espérance. Cette trompeuse convalescence dura environ deux mois ; puis, la malade retomba dans ses plus grandes infirmités. A l'embonpoint avait succédé une maigreur extrême et une faiblesse qui augmentait chaque jour. Elle se fit encore traîner mourante au chœur, et voulut entreprendre une retraite pour se préparer à mourir : elle ne put l'achever. Elle fit un effort suprême le jour de la Présentation, anniversaire de la fondation de la maison, où l'on faisait la rénovation des voeux, et s'étant fait descendre à la chapelle, elle y renouvela, pour la septième fois, des promesses qu'elle avait si fidèlement tenues. En remontant, elle fut prise d'un vomissement douloureux qui se renouvela pendant huit jours, et l'accabla tout-à-fait. Elle formait néanmoins le projet de descendre encore au choeur le jour de Noël, pour communier ; mais cela fut tout-à-fait impossible. Le 26 décembre, elle eut du délire ; on profita d'un moment lucide pour la confesser, et, comme toute sa raison était revenue pendant sa confession, et qu'elle se trouvait mieux, on remit, sur son désir, au lendemain matin, à lui administrer les sacrements. La nuit fût calme ; mais, au point du jour, on eut besoin de la remuer dans son lit ; une crise subite se déclara, qui l'étouffa en moins d'un demi-quart d'heure. La communauté, accourue en toute hâte, mêlait ses larmes et ses prières.

Ainsi mourut, le 27 décembre 1694 [Note : J'ai sous les yeux un constitut du 3 décembre 1694, souscrit par « Messire Augustin-Vincent de Cervon, chevalier seigneur des Arcis, à présent en cette ville de Guingamp, logé dans l'auberge du sr. de Launay, où pend pour enseigne la Grande Maison, » au profit de Messire Jan Boscher, prêtre, pour un capital de six cents livres hypothéqué sur un convenant en Pleumeur-Gauthier. Ce chevalier des Arcis était, sans aucun doute, un des fils de la Mère de l'Annonciation, venu pour recueillir les derniers soupirs de sa mère, et qui, en attendant, mangeait son blé en herbe, suivant les traditions paternelles], à l'âge de cinquante-huit ans, la femme remarquable dont nous venons d'esquisser la vie : elle contribua, plus que personne, à la propagation de l'oeuvre des Refuges en Bretagne, et, à ce titre, elle peut compter au nombre des bienfaitrices les plus éminentes de son pays. Charmante et piquante figure par ailleurs, qui ne déparerait aucune galerie de portraits du XVIIème siècle, elle n'aurait pas dû, sans doute, demeurer si longtemps ensevelie dans l'humilité de son institut, puis dans la poussière des archives ; mais cette exhumation tardive ne lui prête-t-elle pas un attrait de plus ? (S. Ropartz).

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