Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

Guérande : suppression des signes de religion sous la Révolution

  Retour page d'accueil       Retour page "Histoire religieuse de Guérande"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Recherche des prêtres cachés, M. de Boisfleury et quelques autres — Vente des biens des émigrés — Pensions accordées à certaines religieuses — La fête de la déesse Raison — Destruction des signes de religion — Les calvaires de la ville et les deux christs de la Collégiale — Le matériel des églises et les cloches — Manifestations républicaines des communes voisines — Abdication de certains prêtres jureurs — Fête de l'Etre suprême et de la Nature.

Les événements qui se précipitent dans ces années de Révolution entravent notre marche de narrateur : il nous devient impossible de suivre rigoureusement l'ordre chronologique, ce qui pourtant eut été mieux. Mais les objets les plus divers partagent notre attention et ainsi nous nous trouvons dans la nécessité de continuer l'un avant d'atteindre l'autre. Voilà pourquoi, au cours de notre récit, nous faisons un pas tantôt en avant, tantôt en arrière, selon les sujets qui s'offrent à nous.

A l'époque où nous sommes rendus, en l'an II qui va du 22 septembre 1793 au 21 septembre 1794, l'an le plus rempli et le plus terrible de notre histoire, nous serons mis dans l'obligation de suivre cette marche irrégulière, pour ne pas être un annaliste froid et monotone.

Il nous faudra pourtant nous en tenir aux agissements du Directoire du District dont nous possédons les registres de délibérations et les arrêtés, pour marquer les progrès de la persécution religieuse qui est dans le programme de la Révolution.

Après tant de ruines amoncelées déjà, que deviennent ces pierres éparses, nous voulons dire ces prêtres arrachés de leurs paroisses et poursuivis comme des êtres nuisibles à la nouvelle société, ces religieuses dispersées, ces catholiques terrifiés ? Puis que font ces maîtres du jour pour anéantir les croyances ancestrales, effacer sur notre sol tout ce qui rappelle la religion ? Guérande, chef-lieu de district, reçoit des commotions plus vives que les bourgades qui l'environnent. Il y a là de petits tyrans à qui l'on donne pouvoir de vie ou de mort sur les citoyens ; la population est toujours croyante, mais elle tremble de peur : en un mot, c'est la TERREUR.

On peut dire que dès la fin d'avril 93 tout ecclésiastique, blotti dans quelque retraite, était à la merci du premier dénonciateur et des traîtres, il y en avait comme ailleurs, même dans les paroisses les plus chrétiennes. C'était, comme nous l'avons déjà dit, un acte de vrai républicanisme que de livrer un réfractaire aux lois. La chasse aux prêtres était ouverte à Guérande et elle devint plus terrible après le retour de Chottard et consorts à leurs fonctions d'administrateurs. Ceux-ci avaient comme pourvoyeurs les membres du Comité de surveillance et ceux du Comité de salut public.

M. de Boisfleury, malgré qu'il fit plusieurs absences du pays, bravant le danger, resta caché dans la campagne durant les plus mauvais jours de la Révolution. Sa retraite ordinaire était à Kerdando, chez le tisserand Philippe, et, dans ses courses nocturnes, quand il était appelé quelque part, il se faisait accompagner par le jardinier Piquet et par Thual, fermier de Kerhué. On rapporte qu'un jour il fut sur le point d'être pris et qu'il ne dut son salut qu'à Dufrexou lui-même. Il avait également une autre retraite à Kerudal, en Saint-Molf. Le Croisic le demanda même et il s'y rendit. Voulant une fois, à la faveur de la nuit, pénétrer dans la ville de Guérande, pour assister une personne mourante qui sollicitait son ministère, il trouva les portes sévèrement gardées et il fut contraint de traverser la douve pleine d'eau au pied de la tour de la Gaudinais et de s'introduire par une meurtrière à l'aide d'une corde avec laquelle il put s'y hisser.

MM. Mollé, Perraud, Bodet, Santerre et Hervé, ainsi que plusieurs autres prêtres des paroisses voisines, ne manquaient pas de trouver dans la population guérandaise quelques familles fidèles et dévouées qui les recevaient à leurs foyers, comme Mme Lepage, née Frangeul, Couet et Denier, son beau-frère.

C'est le 31 mars que se rouvre le registre du District, les autres, remplis auparavant, « ayant été brûlés, écrit-on, par les Brigands qui ont envahi la ville par la trahison de la plus grande partie de la garnison ». Après avoir raconté à leur façon la prise de la ville, les délibérants ajoutent cette phrase emphatique : « Le flambeau de la Liberté luit une seconde fois sur les habitants de Guérande ». Vingt-sept signatures approuvent le factum.

L'an. II et l'an III sont marqués à Guérande, comme partout ailleurs en France, par des perquisitions, des arrestations et des exécutions.

M. Camaret, le tourment de Chottard, se cachait dans la région de Camoël et d'Assérac. Mais un jour on découvrit sa cachette et l'on y avait trouvé des pièces compromettantes : une chanson sur l'évêque intrus du Morbihan, Le Masle, l'ancien recteur d'Herbignac, trois lettres de celui-ci au séminaire de Vannes, des sermons et des prières [Note : Arch. dép. L. 674]. Ce prêtre zélé et courageux n'en aura pas fini avec ses persécuteurs. L'intrus de Nivillac, Bercegeay, le dénoncera aux Autorités ; Chottard ne le lâchera pas, mais ne pourra jamais le saisir. — M. Fr. Vince, vicaire à Donges, est arrêté et fusillé sur champ : on avait trouvé sur lui une ampoule aux Saintes-Huiles. — M. J. Mahé, desservant de Saint-Joachim, eut le même sort ; son confrère, J. Ollivaud, était condamné et exécuté à Nantes. — M. Lequimener, né à Mesquer et recteur de Saint-André-de-Treize-Voies, revenu au pays natal, est arrêté par quelques soldats du régiment de Mayenne, caserné à Guérande. On l'a rencontré avec son neveu qui portait ses effets ; mais dans la maison où on l'a surpris on a trouvé un autel tout préparé. « Nous nous sommes saisis, dit le procès-verbal, de la pierre sacrée et de quelques livres, ensuite les avons conduits au corps-de-garde de Guérande jusqu'à la réclamation du directoire » [Note : Arch. dép. L. 725]. — Emmené à Nantes, M. Lequimener mourut aux Carmélites au bout de quelques mois.

M. Landeau, le recteur de Saint-Lyphard, conduit au chef-lieu du Département, comparaît devant le Tribunal de Phélippes ; il est condamné à la détention. C'est lui seul qui eut la bonne fortune d'échapper à la noyade des prêtres du 16 novembre 93 [Note : Les Noyodes à Nantes en 93, M. A. Lallié]. M. Richard, qui avait eu l'imprudence de revenir à Pontchâteau, où il était vicaire, fut saisi par les troupes républicaines, 3 pluviôse an II, et amené à Guérande. Après un interrogatoire sévère devant la Commission militaire « tous les membres opinent pour la mort ; son jugement est exécuté de suite ».

Entre toutes les victimes qu'a faites la Révolution, il en est une dont nous devons ici faire une mention spéciale, M. Augustin Davy, né à Besné et ordonné en 1772. Son vénéré recteur, M. Couvrand, qui estimait beaucoup le jeune prêtre, l'avait appelé auprès de lui pour remplir les fonctions de vicaire. Tous les deux refusèrent courageusement la prestation du serment constitutionnel. Le recteur fut obligé de se rendre à Nantes et devait y trouver la mort dans la noyade du 16 novembre 93 ; mais le vicaire resta au milieu des paroissiens. Se déguisant sous différents costumes, il allait de village en village porter les secours de la religion. Depuis plusieurs mois on le recherchait vainement, étant protégé par les habitants qui ne voulaient avoir aucun rapport avec l'intrus. Au village d'Er, en Donges, il y avait des patriotes qui, pour le saisir, faisaient des battues de jour et de nuit ; au mois d'août 94, il fut rencontré près de Tréffier. Les forcenés qui le recherchaient, lancèrent leurs chiens contre lui et il fut obligé de se rendre. On l'attacha à un cheval et on le traîna ainsi jusqu'à Er, l'espace de plus d'un kilomètre, maltraité et injurié tout le long du chemin. Rendu là, il fut attaché contre une porte, sous une pluie battante, et, après, on le traîna encore, de la même manière, jusqu'à Savenay ; en route, il eut à endurer des injures et des coups. Les femmes, elles-mêmes, s'étaient acharnées contre ce malheureux prêtre.

Comparaissant devant une Commission militaire qui siégeait au chef-lieu de district, il fut condamné à mort et exécuté immédiatement à la porte du cimetière. Là même, on creusa sa fosse et on l'y jeta.

On peut dire de ce saint et vaillant prêtre qu'il fut un martyr de la Foi, ayant souffert une vraie passion en laquelle on ne lui ménagea ni les outrages, ni les humiliations, ni les mauvais traitements, et qui se termina sous les balles meurtrières. Les patriotes qui l'avaient pris, ayant avec eux le général Lambert, s'étaient travestis en soldats royalistes. « Le prêtre, dit-on dans le rapport, nous a pris pour des brigands ».

Un Guillaume Lemauff, appelé dans quelques documents Lemolfe, qui dut naître au Croisic et avait été ordonné en 1767, eut une fin que nous ne pouvons préciser. M. Lallié, malgré ses patientes investigations, n'a pu apporter de la certitude dans la notice qu'il lui a consacrée [Note : Le Diocèse de Nantes pendant la Révolution, II, 229]. Il le dit recteur de Vue ; mais la cure était, en 90, occupée par M. Beugeard. Ce qu'il faut admettre, c'est que, refusant le serment, il vint se cacher à Batz, chez une dame Sabatier ; dénoncé, il fut recherché et découvert dans la maison de celle-ci, le 13 février 93. On trouva dans sa cachette un paquet de livres et des papiers compromettants. Quelques jours après son arrestation et son incarcération à Guérande, le District décida que le prêtre Lemauff serait conduit à Nantes. Chottard écrivit : « Notre avis est pour la déportation... Nous préférons voir cet hypocrite, ainsi que tous ses confrères qui abondent dans notre malheureux pays à deux mille lieues de nous que de les voir encore infecter de leur souffle impur l'air sacré de la Liberté ». Enfermé au Château, il fut interrogé le 22 février ; renvoyé devant l'accusateur public, on l'enferma au Bouffay le 29 mars, et, le 6 septembre seulement, un ordre du Tribunal révolutionnaire ordonna son transfert aux Petits-Capucins. Cependant il ne figure point sur la liste des prêtres noyés. M. Lallié affirme qu'il fut ramené à Guérande, et que même il a trouvé un ordre du 8 novembre 93 de le reconduire à Nantes après avoir subi un nouvel interrogatoire. Fut-il compris dans une des noyades qui suivirent celle du 16 novembre, ou mourut-il à Guérande ? Aucun des documents, que nous avons consultés, ajoute notre auteur, ne permet de le dire.

Le District ne doit pas compter que ces martyrs ; il y faut ajouter tous ceux qui sont morts pendant la persécution, ou noyés en Loire, ou ayant succombé de misères et de privations, soit dans le diocèse, soit sur la terre étrangère.

***

Quelque temps après leur retour, ces bons patriotes, rassurés pour leur vie qui avait couru un si grand danger, se préparent à exercer certaines représailles contre les ennemis en fuite : ce qui pouvait se faire sans péril et d'ailleurs ils avaient une arme, la Loi ! La Convention avait décrété la confiscation des biens, meubles et immeubles de tout émigré pour être vendus au profit de la nation. C'était une liquidation moins facile à faire que celle des domaines ecclésiastiques. Les propriétés ecclésiastiques, on les avait regardées comme devant revenir de droit à l'Etat ; et puis, si l'on prenait le capital, on s'engageait à servir la rente : le peuple avait cru à cela. Pour celles qui appartenaient à des particuliers, elles étaient privées et par là même inaliénables. Aussi il y eut moins d'empressement à les acheter. S'enrichir aux dépens des absents qui auraient bien pu revenir un jour, cela paru quelque peu audacieux. Enfin, comme les ventes étaient publiques, on ressentait une certaine pudeur d'introduire chez soi ces dépouilles marquées au chiffre et aux armoiries de ceux à qui elles appartenaient.

On tenta des opérations qui n'eurent aucun succès ; cependant, en somme, on peut dire que tout trouva acquéreur. Il ne nous appartient pas de rappeler ces tristes souvenirs, cela n'entrant point dans notre cadre historique [Note : Arch. dép. L. 1011. Chottard avoue, à propos de ces liquidations : « La vente a été lente ». On fut obligé, faute d'acquéreurs, de prendre comme magasin une maison de la ville pour y déposer tout ce qui restait invendu]

Ce qui paraîtrait étonnant, c'est qu'en ce temps-là on montrait une certaine générosité envers quelques membres des communautés dispersées. Mais, en y réfléchissant, on comprendra que les voleurs peuvent bien faire quelques largesses avec ce qui ne leur appartient pas ; de plus, il fallait encourager les défections en les récompensant.

Voilà donc que les administrateurs s'apitoient sur le sort lamentable de pauvres religieuses qui mouraient de faim : on accorde à quelques-unes, assermentées, des secours et des pensions. Nous comptons parmi ces favorisées du sort : Jeanne Leduc, Marguerite Lucas et Jeanne-Marie Lehébel, anciennes professes et résidant sur le territoire du District ; on y joint bientôt Madeleine Frodié, une autre Ursuline, habitant Guérande, mais venant de la maison de Rennes [Note : Arch. dép. L. 1022]. On voit que plusieurs font leur demande : Olive Benoit, hospitalière de Vannes, Marie-Rose de Tréméac, ursuline de Vannes, et résidant à Herbignac, Marie Lagré, sœur converse de Muzillac ; mais ont-elles été satisfaites ? Nous ne l'avons pas constaté, sans doute elles n'avaient pas juré. Nous voyons aussi qu'en même temps Leforestier, l'ancien chantre de la Collégiale, fait part de sa détresse aux Administrateurs du District et sollicite des secours pour lui et son frère, chassé de sa communauté et se trouvant dans la même nécessité que lui.

***

L'infâme Carrier était arrivé à Nantes le 8 octobre 93 et, le 1er novembre suivant, il installait le Tribunal révolutionnaire : ce jour-là c'est la vraie Terreur qui commence pour notre région.

Le peuple de France vit donc sous le régime le plus dur de la Convention, de cette Assemblée qu'on aurait dû appeler « un cloaque d'athéisme, de déisme, d'impiété, de barbarie, d'inhumanité, d'extravagance et de déraison » [Note : Autour de la Révolution, p. Edm. Biré]. Nous ne pourrons raconter toutes les horreurs de ce temps, ou parce que nous ignorons les unes, ou que nous n'osons point rappeler les autres.

C'en est fait du culte constitutionnel : on n'en veut aucun, si ce n'est celui de la Raison ou mieux de la folie satanique. A l'imitation de Paris qui avait inauguré des cérémonies sacrilèges dans l'église métropolitaine de Notre-Dame, Nantes, comme toutes les autres villes et après les plus petites bourgades, organise, à son tour, la première des fêtes qu'on appellera républicaines, mais qui finiront lamentablement. Nantes, disons-nous, célébra la déesse Raison pendant que la guillotine faisait son travail horrible sur la place du Bouffay. Une prostituée, vêtue d'une tunique transparente, coiffée du bonnet phrygien, une pique à la main, est portée triomphalement par les rues et, avec son cortège, entre à la cathédrale et là, assise sur le maître-autel, reçoit les hommages de ses adorateurs.

La ville de Guérande, ou du moins les misérable qui la terrorisaient, eurent, eux aussi, l'audace de profaner l'antique Collégiale, par une semblable indignité, devant une population attérée et dégoûtée. Le récit de ce sacrilège a-t-il été conservé ? Il n'est point tombé sous nos yeux ; mais le fait est certain. Ce fut là le début de toutes les impiétés qui suivirent, et dont nous nous proposons de raconter quelques-unes.

Le 30 janvier 1794, une voix s'élève du Conseil de la commune, la voix de Chottard, pour demander que « tout signe quelconque de religion qui existe encore sur le territoire, comme croix de pierre ou de bois, figures et emblèmes représentant des soi-disant Vierges ou Saints, soit incessamment détruit ». Aussitôt, en séance, un arrêté, conforme à cette motion impie, fut pris par les membres délibérants et le renégat qui l'avait provoqué est tout prêt à le faire exécuter [Note : Arch. municip. de Guérande].

En conséquence le mois de février 1794 vit dans la ville et les campagnes de Guérande, comme dans les autres communes, une vaste destruction, opérée par les iconoclastes de la Révolution, laquelle dut être achevée le mois suivant, si l'on s'en rapporte à une réclamation officielle du 22 mars. Le directoire écrivait, en effet, à cette dernière date, en s'adressant au directeur des Domaines nationaux : « Il existe encore, sur une maison de la République, située rue des ci-devants Capucins, une croix et une vierge en plâtre. Comme les signes extérieurs d'un culte particulier doivent être proscrits sous le régime de la Liberté et de l'Egalité, nous pensons que tu ne les as fait subsister que parce que tu n'en avais pas connaissance ; mais aujourd'hui tu n'auras plus d'excuses ». Cette maison était celle qui avait servi d'hospice aux religieux du Croisic. Cependant un peu plus tard on réclama encore contre certains emblèmes, oubliés sur la façade du monastère des Ursulines.

On ne peut pas dire cependant qu'on renversa toutes les croix rurales, mises sous la protection des villages. Il en resta certaines que l'on sait, comme celle de Trescalan qui était très vénérée de la frairie et celle de la Vertinais, où l'on se rendait de nuit en pèlerinage, au plus fort de la persécution.

C'est avec ces débris de christs et de statues qu'on éleva ce monticule, appelé la Montagne de la Liberté, face au grand portail de la Collégiale, sur la place de la Psallette. Parmi ces débris, il faut noter ce qui restait de la statue de saint Aubin placée entre les deux battants de la porte mortuaire, puis d'un Ecce homo qui se trouvait sous le chapiteau du Sud et des apôtres et évangélistes qui faisaient à ce motif religieux comme une couronne ou encadrement.

Pour la ville, elle comptait trois calvaires, sans comprendre la croix de Saint-Laurent, élevée sur les ruines de l'ancienne chapelle, entre la rue et le faubourg de Bizienne. Le premier de ces calvaires avait été érigé en 1764, dans le grand cimetière où se trouvait la chapelle Sainte-Anne ; l'autre, en 1777, entre la grande porte de l'église et le petit cimetière ; le troisième, en 1787, dans l'angle rentrant, formé par la tour septentrionale de Saint-Michel et la muraille contigüe : celui-ci était le plus remarquable. Les croix de 1764 et 1787 étaient faites de bois ; celle de 1777, de fer : toutes les trois, assises sur une base de granit. Les pierres furent employées à réparer les remparts de la ville.

L'église collégiale possédait, entre autres, deux crucifix notables : l'un, dont la figure était très expressive, suspendu au pillier d'en face la chaire, et l'autre planté sur le jubé et revêtu de lames d'argent. Leur sort fut divers. Ce fut dès le mois de février qu'on les enleva de la place honorable qu'ils occupaient depuis longtemps.

Le christ du jubé, de grandeur nature, qui attirait tous les regards par ses proportions et son éclat lorsqu'on entrait dans l'enceinte sacrée, et que nous serions porté à croire ce que les anciens appelaient le Grand Dieu de Guérande, fut l'objet d'une vraie déception pour ces misérables qui l'estimaient d'argent massif. Une fois descendu de son trône d'honneur, on le sortit de l'église et on le fit traîner par une couple de bœufs jusque sous les créneaux des murailles. Après l'avoir dépouillé de son revêtement précieux, on le laissa là, en vomissant contre le bois dénudé d'horribles blasphèmes. On raconte qu'un gendarme, témoin de la scène, l'enleva de nuit et le cacha dans un endroit secret, pour le rendre plus tard.

Probablement le même jour, ces forcenés, en rage d'impiété, lâches valets des Administrateurs plus criminels qu'eux-mêmes, tentèrent de renouveler les ignominies de la Passion sur l'autre représentation du Sauveur en croix. Ce bois avait une histoire. Sa forme et son style le faisaient remonter à la fin du XVème siècle ; il avait été, un jour, déposé par la marée sur la plage de la Baule. D'où venait donc cette épave ? Sans doute de quelque église de Saintonge ou d'Angoumois, que les Huguenots, en ce temps-là, saccageaient et dépouillaient. La ville de Guérande avait recueilli ce christ inconnu comme un don de la Providence, et l'avait placé dans la Collégiale à une place en vue, en face la chaire.

Descellé de la colonne de l'autel Saint-Aubin, on le traîna par des cordes jusque sur la place du Marché et de là à la porte Bizienne. Ces imitateurs des juifs déicides l'avaient déjà disloqué, mutilé et même décapité à coups de hache, sur la place du Pilori, croit-on, tout près de la chapelle Notre-Dame la Blanche, devenue lieu de réunion pour les Comités et les clubs. A la porte du faubourg, on le précipita dans la douve avec d'horribles défis qui ne rappelaient que trop ceux des bourreaux du Golgotha. Un jardinier de la tenue du Parc, Jacques Malville, qui avait été, du seuil de sa maison, témoin navré de cette scène d'horreur, le retira, sans être vu et le déposa respectueusement sous une couche de terre, d'où on devait l'enlever plus tard pour être restauré et offert, comme une relique, à la vénération des fidèles.

Dans la chapelle Saint-Michel, se voyait placé sur le chancel un autre christ de taille moyenne. Ce fut un des membres des Comités qui osa lui percer les yeux avec la bayonnette de son fusil.

Au Pouliguen on jeta dans le feu le crucifix de la chapelle Saint-Nicolas. Ces misérables profanateurs recevaient quelquefois leur châtiment dès ce monde. Ainsi, la tradition de Guérande rapporte que le chef de cette bande de forcenés impies qui avaient brisé et jeté à la voirie les christs de la Collégiale, se trouva accroché par les bras à un balcon contre lequel il avait le dos appuyé et qu'ainsi il resta surpendu dans le vide, comme s'il avait été crucifié. Celui qui avait été l'auteur de l'acte commis à Saint-Michel, ne tarda pas à tomber malade et à perdre complètement la vue.

Lisez les lignes suivantes adressées au Commissaire exécutif de Montoir, 29 nivôse an III, et vous pourrez juger de la mentalité de ces baptisés renégats qui faisaient profession d'impiété pour plaire à leurs maîtres : « Je suis prévenu qu'il a été élevé un morceau de bois, appelé vulgairement croix, à trois quarts de lieue du bourg de Montoir, sur le chemin de Savenay, et que le jour d'hier il y a eu grand concours de monde, qu'on y a déposé son offrande et que des personnes apostées dans les champs ont ramassé ces offrandes, probablement pour les remettre à quelque patriote, tel, par exemple, était l'abbé Rouaud » [Note : Arch. dép. 754. Registre du district de Guérande].

Enfin il ne restait donc plus rien de ce que les révolutionnaires appelaient les hochets de la superstition.

***

Tout le matériel du culte, ornements et linges, argenterie et cuivrerie, confessionnaux et chaises, tout avait été enlevé et vendu ; quant aux métaux, ils étaient allés à la Monnaie, Les procès-verbaux de ces ventes ont été généralement perdus. Dans le District, nos Archives n'ont conservé que celui du Croisic dont les détails sont assez curieux. L'on s'arrachait les tableaux, les statues, les aubes, surplis et chasubles. Parmi ces acquéreurs à la criée, il y avait certainement des personnes, animées des meilleurs sentiments et qui achetaient pour conserver secrètement et rendre un jour. C'est ainsi qu'à Guérande comme au Croisic et dans beaucoup d'autres paroisses on montre encore de nos jours bien des choses d'avant la Révolution, tableaux et statues.

Mais, au chef-lieu de district, on rassemblait toutes les dépouilles des églises de la région, celles du moins qui avaient quelque valeur, pour être vendues au plus haut prix. A Guérande cette vente eut lieu, sans que nous en ayons maintenant aucun témoignage écrit. Nous n'avons rien trouvé aussi de la vente du mobilier des Jacobins et des Capucins. Il n'en est pas de même des Ursulines : l'opération dura deux jours, 3 et 4 novembre 93, et l'on ne réalisa dans ces deux vacations que 114 livres [Note : Arch. dép. Q. 513. Domaines nationaux]. Les chapelles urbaines avaient été vendues nationalement et quelques-unes même démolies. Notre-Dame la Blanche qui servait aux clubs et aux Comités de surveillance et de salut public, ne fut vendue qu'en l'an IV, pour 1.440 livres ; elle était devenue un magasin à fourrages. Sainte-Anne, dans le grand cimetière, en la même année, pour 846 livres. Nous ne croyons pas que celles de Saint-Michel et des frairies rurales aient eu ce même sort : on y faisait des réunions de patriotes. Dès 91, la maison des Jacobins avait trouvé acquéreur pour 18.400 livres ; l'hospice des Capucins pour 2.500 livres, mais le couvent lui-même attendit 1810 pour trouver acquéreur, au prix de 9.000 livres. La chapelle Saint-Armel ne monta qu'à 290 livres. La maison des Sœurs grises fut laissée à 4.000 livres. Quant au couvent des Ursulines, dont nous ferons mention plus loin, il resta à la ville et fut affecté à recevoir les militaires malades.

Dans le mobilier des maisons religieuses ou des émigrés, on mettait à part les livres, et ceux qui avaient quelque valeur étaient envoyés à Nantes. C'est avec ceux qui provenaient des Jacobins et des Ursulines (200 volumes) qu'on composa la bibliothèque municipale, installée dans l'hôtel d'Andigné.

Parmi les objets meublant les églises, on attachait beaucoup de prix aux orgues et à l'argenterie, même à tout métal. Il y avait à Guérande, au Croisic et à Batz de belles orgues ; elles furent vendues. Celles de la Collégiale furent achetées 1.000 livres, le 3 floréal an II ; celles du Croisic, 800, celles de Batz, 700 [Note : Arch. dép. Q. Domaines nationaux].

Mais avec l'argenterie, calices, ciboires et ostensoirs, on voulut faire des pièces de monnaie pour remplir les caisses vides de l'Etat. Le 7 octobre et le 5 novembre 91, on avait déjà fait un envoi considérable de tout le District. Si on y ajoute celui du 19 décembre de l'année suivante, on arrive au total de 4.614 marcs, 12 onces [Note : Le marc, divisé en 8 onces et en 64 gros, valait un peu plus de 245 grammes]. C'est Jan qui accompagna l'envoi de ces dépouilles sacrées à la Monnaie de Nantes. Le 1er thermidor an II, Guérande avait expédié 12m, 2o, 6 1/2 de galons brûlés, et 98m, 4o, 1/2 de galons non brûlés.

Quant au mobilier des églises, confessionnaux, stalles, chaises, statues, tableaux, il fut vendu à la criée à peu près partout ; mais les procès-verbaux de ces opérations font défaut, en grande partie. Cependant nous avons celui du Croisic, tandis que celui de la Collégiale a disparu ; nous savons seulement que le 30 floréal an II on fit l'expertise de ce qui provenait de toutes les églises du District et qu'elle s'éleva à 3.030 livres 10 sous. Quoique dilapidée et saccagée par les volontaires de Seine-et-Oise, la riche église de N.-D. de Pitié contenait encore une foule de choses qu'on s'est arrachées. Inventoriée pour la seconde fois le 12 messidor an II, elle fut dégarnie les 15 et 16 suivants. Le total de la vente s'éleva à 3.032 livres et les frais à 135 livres.

Pour les cloches dont les fondeurs faisaient des canons et des sous, elles furent rigoureusement réquisitionnées ; il n'était permis d'en garder qu'une seule, pour convoquer le peuple à la moindre alerte. Plusieurs envois de cloches venant des églises du District avaient été faits sur un bateau qui se chargeait au Pouliguen [Note : Les cloches ont été une des proies les plus enviées par les démolisseurs de la Révolution. Sans doute ils avaient besoin de métal pour fondre des canons et fabriquer des pièces de monnaie ; mais ils voulaient surtout réduire au silence ces voix aériennes qui chantent la gloire de Dieu et appellent à la prière. Ils les avaient nommées les tambours des prêtres]. Le 24 août 93, en séance de la Société populaire, Dufrexou et Danto se plaignent que les cloches du Croisic n'ont pas encore été descendues et expédiées à Nantes [Note : Arch. dép. L. 1009. — Les premières cloches descendues et livrées avaient été celles des Jacobins. C'est le 2 novembre 92 que le District l'avait ordonné. Ce jour-là on avait également arrêté que la cloche de l'Hôpital et celle de la Collégiale qui sonnait les messes ordinaires fussent descendues ; on n'avait réservé que celle de l'Hospice général qui servait à appeler les ouvriers et ouvrières qui travaillaient à la filature de la laine en cette maison]. Celles de Batz étaient parties dès le 13 avril. Le 29 juin, le citoyen Le Bail est autorisé à faire descendre celles de Donges et de Montoir et à se faire rembourser le prix ou de les échanger contre des canons de gros calibre. Les cordes elles-mêmes ne furent pas épargnées, car d'après les ordres du Comité de salut public, (18 germinal an II), on avait requis de les rassembler toutes dans le District pour en faire des bourres. A cette date on constate que Guérande n'avait pas encore fait livraison de l'argenterie et de l'autre métal de son église [Note : Arch. dép. L. 1011. — Un membre du Département, Savariau, venu au District en inspection, constate ce retard et le Conseil ordonne la descente de ces cloches et en même temps le descellement des grilles et des balustrades de la Collégiale, 24 brumaire an II. (L. 41). Les cloches de Batz ne furent expédiées à Nantes que le 13 avril 93. (L. 1012)]. Mais l'envoi se fera. Au Pouliguen on embarqua un jour 30.000 livres de métal de bronze et de cuivre, provenant de différentes églises du district. On ne garda dans le beffroi de Saint-Aubin qu'une seule cloche sur les cinq qui s'y trouvaient, celle qui appelait au sermon, bénite en 1772 et qu'on nommait la Caroline ; quant au bourdon, la grosse Albine, on l'avait sacrifiée comme ses sœurs plus petites.

L'horloge, acquise en 1642 avec les deniers de l'octroi et de la Fabrique, fut cependant respectée à cause de son utilité publique. On pouvait donc lire encore, gravés sur le timbre, ces mots latins : Sic vitæ cursum in haras divido, et le distique suivant : Ictibus assiduis horas dum pulso diurnas, Mortales moneo mortis adesse diem.

Quelques soins et diligence que l'on mit à anéantir tous ces signes de la religion, des particuliers se présentaient de temps en temps devant le bureau du District pour prévenir que des omissions avaient été faites ici ou là, comme des fleurs de lys qui se trouvaient encore sur la maison des Ursulines. Enfin quand même, déclare Chottard, « les signes extérieurs du fanatisme sont tombés partout ».

***

Pentant ce temps-là, pour en finir plus tôt avec les prêtres qui n'avaient pas été déportés à cause de leur grand âge, on les noyait en Loire, à Nantes. Dans l'horrible hécatombe de la nuit du 16 art 17 novembre 93, le District compta quatre victimes Couvrand, né à Saint-Reine, curé de Bené ; Giraud, né à Pontchâteau, desservant de Saint-Philbert ; Landeau Jacques, né à Quéniquen, curé de Moisdon ; Le Palludier, né à Guérande, et prêtre habitué à Trescalan ; Thobye, né à la Chapelle-des-Marais et curé de Pouillé. Le frère du curé de Moisdon, Landeau Julien, curé de Saint-Lyphard, n'échappa que par miracle à la mort : il put se sauver à la nage, regagna sa paraisse et survécut jusqu'au 25 juin 1799. Un jour Le Bail, se trouvant à Nantes, écrit au District : Il vient d'arriver en ville 60 à 80 prêtres qu'on destine au bain. Horrible ! c'étaient les prêtres de la Nièvre qu'on devait en effet bientôt noyer comme ceux de Nantes.

***

Sur les ruines de nos sanctuaires et les tombes inconnues des prêtres qui succombaient partout, le peuple, affolé ou terrifié, danse et chante, pour donner à ses maîtres des preuves de civisme ou plus vraisemblablement pour éviter la prison et la mort. Le 8 novembre 93, les habitants de Batz viennent fraterniser avec ceux de Guérande : à 10 heures du matin, les municipaux de la commune, portant le drapeau de la République, et suivis de 2.000 personnes, dit le rapport, citoyens et citoyennes, se groupent autour de l’arbre de la Liberté, déposent au pied un guidon aux trois couleurs, puis l'on se mêle aux Guérandais et Guérandaises et enfin l'on s'embrasse fraternellement. « Ils ont déclaré qu'ils ne tenaient plus à aucune espèce de fanatisme et qu'ils entraient au temple de la Raison pour montrer leur retour aux vrais principes ». Là, sur la place, on donne lecture de la Constitution et l'on exécute « le cantique des Marseillais ». La cérémonie terminée, les habitants de Batz sont reconduits jusqu'à une lieue [Note : Arch. dép. Série L].

Le 17 frimaire, ce sont les autres communes qui viennent à leur tour, Saint-André, Saint-Nazaire, Escoublac, Saint-Molf, Saint-Lyphard, Assérac, et plusieurs sections rurales de Guérande. On se présente par groupe. « Ils ont crié, dit le même rapport, Vive la République ! Vive la Montagne ! et ont fait le serment de vivre libres ou de mourir devant l'arbre de la Liberté ». Mesquer arrive en dernier lieu ; les habitants « se disent libres de tout fanatisme ; ces citoyens ont déposé l'argenterie de leur église ».

Pourquoi donc, après tout cela, se serait-on fait besoin de prêtres, même de ceux qui s'étaient amoindris pour entrer dans l'Eglise constitutionnelle ? Qui d'ailleurs pouvait encore célébrer la messe à l'ancienne Collégiale ? Chantrel peut-être. Dès le 2 septembre 93, le conseil de la Commune avait arrêté de renvoyer les trois enfants de la Psalette qu'on avait jusque à cette époque gardés pour le service du culte, et de les remplacer par des orphelins de l'hospice [Note : Arch. municip. de Guérande].

***

Pour être impartial, nous devons rapporter ici des faits d'un douloureux souvenir. Saint Pierre renia son Maitre adoré, Judas l'a trahi par un baiser, deux apôtres... Voilà une lâcheté et une infâmie, n'est-ce pas ? mais hélas ! c'est humain. Or, en ce temps de terreur, où chacun tremblait pour sa vie, des prêtres, autres apôtres du Christ Jésus honni et désavoué par ceux qui avaient cru en Lui, des prêtres sont allés, eux aussi, jusqu'au reniement et à la trahison, lâches ou terrifiés devant la puissance de ces tyrans qui les menaçaient de mort.

Le 28 floréal an II, 12 mars 94, sur le bureau du directoire viennent déposer leurs lettres de prêtrise, les ex-prêtres, comme ils s'appellent eux-mêmes : Chantrel, ancien diacre d'office de la Collégiale ; Thébaud, ancien vicaire de Guérande ; Le Gal, ci-devant diacre et maintenant instituteur public ; Glais, curé de Piriac ; Godard, de Saint-Molf. Et les membres du District inscrivent sur leur registre : « Leurs noms seront placés sur le tableau des ci-devant prêtres qui ont enfin reconnu la vérité et ont abjuré leurs erreurs » [Note : Arch. dép. L. 1013. Registre du District]

A quelque temps de là, le 3 messidor, certains autres viennent abdiquer leur sacerdoce éternel : J. Radal, dit ex-vicaire de Guérande ; Jagorel, dit vice-gérant de Guérande ; Coquerel, curé du Croisic ; Jalliot, de Montoir ; Girardin, d'Herbignac. Séance tenante, après avoir contrôlé les pièces, on les brùle publiquement [Note : A ceux-là nous pourrions joindre un étranger au Diocèse, qui desservait l'Hôpital du Croisic. Né en 1726, on ne sait où, il remplissait depuis quelque temps cette fonction, quand, s'isolant du clergé paroissial, il prêta le serment constitutionnel et devint plus tard le vicaire de Coquerel. Etant encore à l'Hôpital, il mourut le 16 mai 1797].

Nous avons déjà fait mention de la fin lamentable de ces malheureux : quelques-uns se sont réconciliés avec la sainte Eglise ; les autres, nous ignorons comment ils ont fini.

Durant ces années de Révolution, à ces déprêtrisés on trouvera quelque emploi ou situation : on se servira d'eux, parce qu'on ne trouvera que peu d'hommes pour remplir les postes qui sont créés dans les institutions nouvelles.

Ces faiblesses honteuses que nous venons de mentionner seraient pour nous aujourd'hui inexplicables et nous ne saurions les pardonner si nous ne nous rappelions la dureté et le poids du joug que portaient ces pauvres gens de l'époque. Ils sont les jouets, presque inconscients, de cet affollement qu'occasionne la peur. Que ne ferait-on pas pour sauver sa vie menacée ?

***

Au cours de la fête de la déesse Raison à Paris, on avait remarqué l'absence de Robespierre. Ce monstre sanguinaire, ce roi de la Terreur en France, avait déjà l'idée d'organiser une autre fête, imaginée par les déistes du temps et que l'on prévoyait plus populaire. Elle s'appela la fête de l'Etre suprême et de la Nature. L'ordre fut donné de la célébrer dans toute la République au jour du décadi du 20 prairial an II, 8 juin 1794. La Capitale la célébra dans le jardin National, celui dit avant des Tuileries. Nantes en fit autant : réunion du cortège sur la Fosse, stations place Royale, au pied de la colonne de la Liberté et à l'ancienne Cathédrale. Guérande, chef-lieu de district, ne pouvait s'abstenir, dans la circonstance, de proclamer le mot d'ordre de Robespierre : Le peuple français croit en l'Etre suprême [Note : Arch. municip. de Guérande. D. 1].

Dès le 14 prairial, en séance du conseil de la Municipalité, on avait arrêté le programme de la la cérémonie pour le décadi suivant : « La ci-devant église sera désaraignée, balayée et préparée convenablement.., au lever du soleil on tirera deux coups de canon... les deux façades et les deux portes du temple seront décorées... le chœur sera orné de tapisserie et de verdure, à l'entrée sera dressé un autel, chargé de fleurs, au milieu une lampe flamboyante… dès 9 heures le peuple et les autorités se rassembleront, hommes, femmes, jeunes filles vêtues de blanc et des corbeilles de roses en les mains... quatre vieillards porteront les Droits de l'homme... » [Note : Arch. de Guérande].

Ce programme dut être fidèlement rempli, mais le récit nous fait défaut. Tout cela pourtant ne consola point les Guérandais de ne plus assister à ces splendides processions du Sacre qui, autrefois, se déroulaient par les rues et le long des remparts de la ville. Que pouvait dire au peuple cette sacrilège parodie de nos pompes catholiques ? Forcé de les voir et même de s'y mêler, il n'oubliait point le temps, encore récent, où un pieux cortège composé du vénérable Chapitre, des prêtres de la paroisse et des jeunes lévites, faisait cortège à la Sainte Eucharistie, rayonnante dans son ostensoir d'or, que l'on déposait sur des autels de fleurs, de verdure et de lumières, élevés à quelques carrefours, pour recevoir les hommages et les adorations de toute une foule recueillie qui priait et chantait. Que les cœurs, dans le secret, espèrent encore : ce temps reviendra. Mais il faut attendre que ces folies d'impiété passent et soient oubliées.

Cette religion laïque ne pouvait pas remplacer l'autre, la vraie, celle que l'on ne tolérait plus. Les lois de la Convention et les arrêtés municipaux se brisaient contre la mauvaise volonté des gens. En vain Chottard lançait des ordres menaçants pour l'observation des décadis ; en vain il signifiait « que les ci-devant dimanches ne se passent pas dans la fainéantise » [Note : Arch. municip. de Guérande. D. 2]. Les dimanches restaient toujours sacrés et l'on faisait tout pour assister à une messe dans quelque lieu retiré où l'on savait qu'un prêtre catholique devait célébrer. Vraiment la République ne convertissait pas les Guérandais à sa religion laïque.

(Abbé P. Grégoire).

© Copyright - Tous droits réservés.