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Guérande : réorganisation de la paroisse et rétablissement de la religion sous la Révolution

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Les prêtres fidèles réapparaissent et exercent leur ministère publiquement. — M. de Boisfleury, M. Bizeul. — Les déportés rentrent en France. — Rapport de Chottard sur les prêtres du voisinage. — Réorganisation des paroisses. — Etat lamentable de la Collégiale. — Ce qu'on lui avait enlevé. — M. de Bruc, premier curé concordataire de Guérande. — Rétablissement de la religion dans les paroisses.

Le peuple de France était las de ce régime révolutionnaire qui avait amoncelé tant de ruines, fait couler tant de larmes et de sang, commis tant de crimes, semé tant de haines : on prévoyait enfin que des jours meilleurs allaient luire. Dès l'an VIII la confiance renaît partout ; les déportés rentrent dans leurs paroisses et ceux qui étaient restés au pays osent se montrer au grand jour, malgré la police, toujours tracassière, mais impuissante du Gouvernement.

M. Potiron de Boisfleury, qui ne s'était éloigné de Guérande qu'à de rares intervalles, y exerce son ministère au su de tout le monde ; Chantrel, le pontife du culte constitutionnel, a eu le courage de se rétracter à son lit de mort ; Radal est mort à l'hôpital depuis quelques années ; plusieurs prêtres fidèles, pour obéir à la loi, ont fait leur déclaration de résidence sur le territoire guérandais. On peut donc dire que le culte catholique est rétabli en cette paroisse, comme à peu près partout, avant que Bonaparte l'ait autorisé par décret.

M. Bizeul, l'ancien vicaire, ne voulant pas encore rentrer dans la Collégiale, laquelle d'ailleurs n'était ni nettoyée ni réconciliée, célébrait à l'entrée du village de Quéniquen, dans la maison de Kerlézo. Un autel est adossé au mur de la métairie de la veuve Yviquel, et orné par M. Bataille, le beau-frère du prêtre : là M. Bizeul voit, chaque dimanche, des foules accourir de tous les environs. Avec ses policiers, Chottard, le maire, ne peut l'ignorer, mais il laisse faire, sentant que sa tyrannie touche à la fin et que bientôt, lui-même, cachera au fond de sa demeure la honte et les remords qui le hantent, et il en sera de même du sans-culotte Le Torzec, de l'hypocrite Le Borgne et des autres. De Quéniquen on s'avance jusque dans les murs de la ville. Des maisons particulières servent d'oratoires. M. Bizeul vient dire la messe en la maison de son oncle, rue Saint-Michel ; M. Bodet, attaché à la famille de Sourzac, se transporte de Kerholland à l'hôtel de cette noble famille, situé à l'angle des rues Tricot et Sainte-Catherine, pour rendre les mêmes services à la population urbaine. M. d'Andigné, revenu au pays, met ses vastes appartements, évacués par les Administrateurs de l'ancien district, à la disposition des ecclésiastiques. M. de Boisfleury, qui résidait à Careil, fut appelé à y célébrer une messe solennelle. La religion est donc dès lors rentrée dans la cité de Saint-Aubin.

***

De 1800 à 1802 les portes de nos églises se sont partout rouvertes, sous la poussée du peuple et de tous les déportés qui rentraient en France. Bonaparte favorisait ce mouvement et se mettait déjà en négociations avec le légat du Pape pour régulariser le statut de la Religion catholique. Le Concordat ne fut que le 23 messidor an IX ; la loi d'organisation du culte fut proclamée à Nantes le 15 avril de l'an du salut 1802, et la cathédrale, réconciliée, s'ouvrait aux fidèles le 15 août, au jour de l'Assomption de la B. V. Marie, reine de France.

Avant l'arrivée du nouvel évêque. Mgr J.-B. Duvoisin, il y avait des arrangements préalables à prendre entre le Préfet du département et les vicaires-généraux remplaçant le prélat nommé, mais non encore arrivé : c'était là une tâche difficile. De tous côtés les habitants des paroisses réclamaient leurs prêtres s'ils avaient été fidèles, et, d'autre part, les jureurs se mettaient sur les rangs pour rentrer dans le clergé approuvé. De la préfecture on adressa aux maires une circulaire secrète et confidentielle, pour recevoir des renseignements précis sur les antécédents, les dispositions et les capacités des sujets, et surtout pour savoir les noms de ceux qui méritaient la confiance du Gouvernement et jouissaient de l'estime publique. M. l'abbé Le Flô de Trémélo, ancien chanoine de Guérande et grand vicaire de l'évêque, prenait, lui aussi, ses informations. Cependant la volonté gouvernementale, en bien des cas, obligea l'autorité ecclésiastique à faire des nominations qui ne lui inspiraient que de la défiance. Il a fallu faire place dans la nouvelle organisation à certains prêtres jureurs qui s'étaient compromis pendant la Révolution.

La circulaire préfectorale portait la date du 8 thermidor an IX et demandait de la diligence dans la communication des renseignements. Un des rapports les plus typiques que nous ayons rencontrés au dépôt d'Archives, sur cet objet délicat, est celui que rédigea Chottard, le maire de Guérande : il mérite d'être cité en entier pour faire voir dans quel esprit ces hommes de la Révolution envisageaient les choses et appréciaient les sujets.

« 20 thermidor an IX.
1° Potiron de Boisfleury, ex-jésuite (1), ex-chanoine de Guérande, aujourd'hui représentant le grand vicaire de l'évêque La Laurencie, exerce son culte, sans avoir fait la déclaration de fidélité à la Constitution ; plus instruit que les autres, il a sur eux une influence qui, jointe aux prétendues pouvoirs qu'il tient du soi-disant évêque, fait que ceux-ci n'agissent qu'après l'avoir consulté ; il tue l'esprit public, il est opposé aux prêtres (jureurs) qui veulent rentrer dans les églises.

2° Bizeul, ex-vicaire de cette ville, exerce dans cette commune ; il est moins dangereux que le premier.

3° Tudeau, ex-constitutionnel rétracté, exerce à Saillé ; il est un lâche qui a été tour à tour révolutionnaire et antirévolutionnaire ; s'il avait de quoi faire bombance ; il ferait ce que l'on voudrait.

4° Baudet, ex-vicaire du Croisic, exerce à Kerholland ; il n'a jamais été constitutionnel, mais au reste ressemble au précédent.

5° Jagorel, il exerce dans l'église de Piriac ; il est constitutionnel et sa conduite parfaitement bien ; il faudrait que le Gouvernement soutint et encourageât mieux ceux qui font comme lui.

6° Sauvager, à Mesquer, exerce dans l'église, sans avoir fait sa déclaration ; au commencement il a été révolutionnaire ; il n'y a que la suppression des dîmes qui l'a alarmé, comme bien d'autres ; avec un peu de politique on pourrait peut-être en tirer parti.

7° Rivalan, à Saint-Molf, revenant d'Espagne ; il m'a paru de bonne disposition.

Il y a en outre à courir sur le territoire, les nommés : Guénel, d'Herbignac, Le Guen, de Saint-Molf, Perraud, de la Chapelle-des-Marais. Ceux-ci courent partout et vendent à haut prix les tours de leur métier. A Escoublac, où est le plus souvent Perraud, on sonne les cloches comme avant la Révolution. Ces hommes qui, s'ils étaient appréciés, ne pourraient faire aucun mal, en font cependant beaucoup, en raison de la crédulité et de l'ignorance des habitants : ils remarient, ils rebaptisent, etc.

Salut fraternel. Chottard, maire » [Note : Arch. dép. V. Correspondance spéciale. Police].

Voilà un document authentique qui donne l'idée du genre : l'auteur recommande les prêtres les moins recommandables et signale pour la disgrâce tous ceux que le peuple entoure de vénération et d'estime.

L'ordonnance épiscopale qui réorganisait les paroisses et le clergé dans le Diocèse, est datée du 23 janvier 1803 ; mais le fait était déjà accompli depuis plusieurs mois.

Monseigneur Duvoisin conserva comme grand-vicaire M. l'abbé Le Flô de Trémélo, entrant en même temps, à titre d'honoraire, dans le chapitre de la cathédrale Saint-Pierre. M. l'abbé de Monti en fit partie comme titulaire, et M. de Tréméac, étant nommé premier curé de la paroisse épiscopale, fut aussi décoré du titre de chanoine : ce qui faisait que parmi les membres du nouveau Chapitre y figuraient trois des anciens chanoines de Guérande. Quant à M. de Boisfleury, âgé et ayant beaucoup souffert de sa vie errante et agitée, pendant la persécution, il ne voulut pas quitter sa bonne ville de Guérande et y demeura humblement, comme un simple vicaire, jusqu'à sa mort qui ne devait pas tarder. Le dernier chanoine de Guérande, Pélage Loyseau, à cause de sa santé fort ébranlée, fut autorisé à se maintenir au Pouliguen, où il était né, et à faire la desservance de la chapelle Saint-Nicolas.

Le nouveau curé de Guérande, pour maintenir les traditions locales, autant que cela était possible, devait être un ancien chanoine : c'est ce qui se fit. M.. l'abbé de Bruc fut choisi entre tous ; de plus, comme cela était en usage sous l'ancien régime, l'évêque lui accorda des lettres de vicaire-général honoraire et l'on éleva sa cure au rang de première classe, la seule en dehors de la ville épiscopale où l'on en reconnaissait six, une pour chaque canton. Vu son titre de vicaire-général, il se trouvait en même temps chanoine honoraire de Saint-Pierre. Ces privilèges accordés à l'ancienne Collégiale semblaient confirmer ceux d'autrefois.

Nous avons déjà écrit que M. de Bruc, après avoir été vicaire capitulaire à la mort de Monseigneur Duvoisin, fut désigné par le Gouvernement et le S. Pontife pour l'évêché de Vannes.

La paroisse de Guérande était une des plus étendues du Diocèse, n'ayant point encore été démembrée comme cela devait se produire dans la suite, il fallait donc à M. de Bruc plusieurs prêtres pour lui prêter assistance. On lui donna, comme vicaires, M. Allot de Montigné, né à Vitré, ancien curé du Pertre ; M. J. Bizeul, maintenu à son poste d'avant la Révolution ; M. Y. Le Guen, autrefois à Batz, et délégué pour Trescalan ; M. J. Cavalin, pour Clis, ancien chapelain de Kervalet ; M. J. Peuriot, pour Saillé, né à Châteaubriant, et ordonné pendant la Révolution ; M. J. Cousin, pour la Madeleine, né à Pontchâteau, ancien vicaire de Sion. Puis résidèrent aussi à Guérande, comme prêtres habitués, MM. G. Bodet, ancien vicaire au Croisic ; Fr. Régent, ancien recteur de Saint-Nazaire ; Nic. Lehuédé, né à Batz et récemment ordonné ; il n'avait reçu que le diaconat en 1789.

On comptait ainsi 11 prêtres rappelant, en quelque sorte, le nombreux clergé guérandais. Il faut faire remarquer que les vicaires ruraux résidaient près de leurs chapelles.

***

Dans tout le pays, dans l'ancien District, la réorganisation des paroisses s'accomplissait en même temps, sans grandes difficultés, tant était ardent le désir des populations de revoir leurs prêtres, victimes de la Révolution, et de rouvrir leurs églises profanées. Ce fait n'a été officiel que le 23 janvier 1803, comme nous l'avons dit ; mais depuis plusieurs années le culte se pratiquait même publiquement, comme partout, dans le diocèse de Nantes et les prêtres étaient rentrés.

La Révolution, persécutrice et homicide, avait fait bien des vides dans les rangs du clergé, de sorte que on ne pouvait songer à rétablir tout ce qui avait été détruit. L'important, pour cette époque de restauration, c'était de donner des desservants aux églises paroissiales, nous voulons dire au moins des curés. Quelques-uns de ceux-ci, avancés en âge, éprouvés par l'exil ou bien par la vie errante qu'ils avaient menée durant la persécution, auraient eu besoin de vicaires ; mais, vu la pénurie des sujets, cela ne devait être accordé qu'à peu de paroisses. Tous ceux aussi qui s'étaient gravement compromis pendant la grande épreuve ne devaient pas mériter la confiance des fidèles ; il fallait donc faire un choix, malgré la pression du Gouvernement qui semblait garder ses sympathies pour les jureurs. Monseigneur Duvoisin et M. l'abbé Le Flô de Trémélo, son vicaire-général, eurent des cas difficiles à résoudre et durent même quelquefois user d'une grande miséricorde pour certains sujets.

A Guérande, on a dû le remarquer, le personnel ecclésiastique fut en général bien choisi. On a su en éloigner certains prêtres qui n'étaient pas sans tache. Dans toutes les paroisses du climat, il semble qu'on ait eu cette délicate attention, sans doute grâce à l'influence du vicaire-général. Les anciens recteurs, survivants et valides encore, furent maintenus comme curés : tels MM. Moyon, à Saint-André ; Lévêque, à Assérac ; Montfort, à Batz ; Sauvaget, à Mesquer ; Châtellier, à Missillac ; Dubois, à la Chapelle-des-Marais ; Eon, à Montoir ; Audrain, à Pontchâteau. Des vicaires d'avant la Révolution étaient nommés curés sur place, comme MM. Gougeon, à Saint-Lyphard ; Rivallan, à Saint-Molf. On donna des cures à certains vicaires qui avaient fait preuve de courage en restant dans leurs paroisses au risque de leurs jours : Ph. Perraud, à Escoublac ; Vaillant, à Saint-Joachim. M. Camaret, si célébre au pays de Guérande, durant les troubles, accepta la cure de Montrelais, près d'Ancenis ; plus tard, on lui offrit la direction du Lycée impérial qu'il refusa et même un évêché, a-t-on dit.

Au vénéré M. Chaussun, l'ancien aumônier des Ursulines, on donna la cure de Sainte-Reine. Le Croisic ne recouvra pas son recteur : ayant eu des difficultés avec une municipalité sectaire, il dut quitter sa paroisse où il était déjà revenu et alla occuper la cure de Saint-Nazaire [Note : Il fut remplacé par M. Lallement, né à Piriac, et vicaire au Loroux en 1789 ; celui-ci s'était expatrié. Mais le vicaire Bertho fut maintenu]. P. Lescar, de Saint-André, ne voulut pas quitter cette bonne population et resta comme vicaire de M. Moyon ; L. Guihéneuc, de Missillac, demanda aussi à y rester. M. Bertho, autrefois chapelain de Saint-Marc, reprit son ancien poste.

Nous constatons que l'on ne mit pas un seul prêtre jureur à la tête des paroisses du District, et même qu'on les éloigna, comme Tudeau, nommé vicaire à Corsept, et Thébaud, l'intrus de Batz, à Nantes [Note : A consulter Le Rétablissement du Culte, par l'auteur, pages 97 à 100. Sur les 21 paroisses de l'ancien District, il n'y en eut que 12 dont les cures furent pensionnées par l'Etat ; les autres, plus petites et plus pauvres, ne recevaient aucune attribution officielle, par conséquent les prêtres restaient à la charge des paroissiens, telles : Saint-André, Assérac, Besné, Crossac, Donges, Escoublac, Saint-Lyphard, Mesquer, Sainte-Reine. Partout les vicaires ne reçurent aucune indemnité. Ces injustices n'ont été réparées que plus tard].

Il ne fallait pus espérer que la Collégiale guérandaise fùt rétablie ; tous ses biens avaient été vendus. Le Chapitre de la cathédrale seul reprit vie et c'est pourquoi on y voit quelques chanoines de Guérande. Quant aux Ursulines, nous ne devions plus les revoir dans leur maison de la Porte-Calon. Le couvent restait inoccupé depuis que les contagieux l'avaient évacué. Abandonné à la ville il devait, — mais il fallut attendre 1810 — être vendu à l'Evêché qui en fit un Petit Séminaire [Note : Cette maison d'instruction fut d'abord rétablie comme collège universitaire et en 1810 on choisit un prêtre pour remplir les fonctions de principal, M. Lebastard, ancien recteur de Cugand avant la Révolution, qui avait fondé, dans son village natal, une petite école cléricale, à la Chevallerais ; sa santé fort ébranlée, fut cause qu'on lui donna, en 1812, un successeur dans la personne de M. René Macé, né à Nantes en 1785, prêtre en 1810 ; celui-ci resta à Guérande de 1812 à 1824, époque où il devint aumônier du collège royal à Nantes] : ce qui rappelait en quelque sorte, l'ancienne régenterie de Saint-Jean. Les chapelles Saint-Michel et Notre-Dame devaient se rouvrir plus tard ; pour celles de Sainte-Anne, elle fut démolie et, du cimetière où elle se trouvait, on fit une place. ; Saint-Armel et la Trinité disparurent également.

***

Voici un tableau, dressé au mois de janvier 1804 par le sous-préfet de Savenay ; ce sont des renseignements demandés par le Gouvernement sur les prêtres existant dans l'arrondissement. Nous en reproduisons ici quelques extraits et l'on pourra le comparer avec celui de Chottard.

Guérande :

De Bruc, 58 ans, né à Vallet, curé, grand-vicaire.

Lehuédé, 36 ans, né à Batz, diacre ou sous-diacre (?)

Bizeul, 62 ans, né à Guérande, vicaire.

Guyomard du Roscouët, 60 ans, né à Mesquer, vicaire.

Régent, 56 ans, né à Batz, vicaire.

Cavalin, 60 ans, né à Batz, vicaire.

Le Guen, 50 ans, né à Saint-Molf, vicaire.

Guénel, 30 ans, né à Herbignac, sans fonction.

On dit de M. de Bruc qu'il a émigré en Allemagne, de quelques autres, qu'ils ont été déportés ; de Le Guen et Guénel, qu'ils sont restés sur le territoire de l'Empire. Quant à la question de l'emploi de leur temps pendant la Révolution, on y répond par ces mots : On l'ignore, excepté pour Le Guen, qui s'est occupé de son ministère et pour Guénel qu'on taxe, fameux et dangereux dans le brigandage. Sur la conduite de ces messieurs depuis le rétablissement du culte, la note est à peu près la même : Il n'y a pas à s'en plaindre. Il se conduit bien. Il n'y a pas de plaintes contre lui. On ajoute de Guénel « qu'il n'est pas l'ami du Gouvernement ».

En général, nous pouvons dire que les appréciations du sous-préfet sont bienveillantes. Cependant mentionnons quelques particularités. De M. Bodet, curé des Marais, on le dit le plus riche de la commune, sans talents, opposé au Gouvernement. De M. Sauvaget, curé de Mesquer : Trop exalté dans son opinion, attachement douteux envers le Gouvernement ; les fonctionnaires ne parlent pas bien de lui. En revanche, on paraît très bien disposé pour les assermentés, comme pour Godard, curé constitutionnel de Saint-Molf et resté sans fonction à Mesquer.

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Toute la société guérandaise, aussi bien que le peuple, se rangea unanimement autour du nouveau curé et de ses collaborateurs, oubliant le passé, pardonnant à tous. Il n'y eut jamais à Guérande, ni dans la région environnante, de ces dissidents en religion qui ne voulaient pas admettre le Concordat et le nouvel état de choses ; on les appelait à Lorient Louysets, et à Nantes anticconcordataires ou gens de la Petite Eglise [Note : Un roman paru il y a quelques années, sous le titre L'abbesse de Guérande, nous contredirait ; mais il est prouvé que ce livre, au point de vue de l'histoire, n'est. qu'un tissu de faussetés et d'invraisemblances, comme tous les autres d'ailleurs. Il faut reconnaître que l'auteur a mal placé le théâtre des scènes qu'il a inventées ; il eut été mieux inspiré de prendre Lorient ou Poitiers].

Aussitôt rentré à Guérande, le nouveau curé activa les travaux les plus urgents de réparation et le jour de Pâques 1802 l'église collégiale fut solennellement rendue au culte du vrai Dieu, en même temps qu'en toute la France, les fidèles catholiques rentraient dans leurs temples profanés par la Révolution et réconciliés par les prières et les ablutions liturgiques.

***

Avec quelle joie le peuple chanta l'Alleluia de la Résurrection du Sauveur sous les voûtes de Saint-Aubin ! Pour le chant de cette hymne on dut prendre le texte approuvé pour le Diocèse, O filii et filiae. Il était nouveau pour les Guérandais qui n'avaient jamais entendu que celui concédé à l'ancienne Collégiale [Note : Cette hymne, de liturgie locale, mériterait d'être conservée. Nous la publierons un jour peut-être, avec une traduction en lignes mesurées et rimées dans notre langue française, pour qu'on puisse la chanter dans les familles. Cette traduction, nous la ferons nôtre].

Le curé prit à tâche de relever les ruines morales aussi bien que matérielles de la Révolution : l'oeuvre était difficile et devait être longue. Mais pourtant personne, mieux que ce prêtre vénéré, eut pu renouer le présent au passé et faire revivre les traditions de foi et de piété dans cette noble et chrétienne ville, solide dans ses croyances comme les murailles de granit qui l'entourent.

Tout était à refaire, car tout avait été défait, excepté ce qui était resté dans le sanctuaire involable des consciences et des coeurs, la foi.

L'église Collégiale se voyait à cette heure de restauration dépouillée de tout ce qui l'ornait et faisait sa richesse aux temps d'avant la Révolution. Il ne restait rien de toutes ces choses qu'on avait inventoriées en 1790 : ou elles avaient été vendues devant la maison des Jacobins qui avait servi de magasin, ou elles avaient été envoyées à la Monnaie [Note : Dès 1801, les habitants de Guérande s'étaient cotisés pour fournir à la Collégiale les objets nécessaires au culte. Les réparations du monument, d'après un expert, étaient estimées à 20.000 francs ; une grosse partie de cette somme allait au clocher qui menaçait ruine].

Voici ce que nous relevons dans le procès-verbal d'inventaire rédigé en 1790 :
Un grand ostensoir d'argent doré,
Deux autres d'argent,
Un grand calice de vermeil, servant aux messes solennelles,
Onze autres calices d'argent, y compris ceux des chapelles,
Deux lampes d'argent,
Deux chandeliers d'acolythe, de même,
Un bénitier avec son goupillon,
Deux croix processionnelles,
Un grand ciboire de vermeil,
Trois autres plus petits d'argent,
Trois custodes pour le saint-viatique,
Deux burettes pour les saintes-huiles, le tout d'argent,
Quarante-six ornements sacerdotaux, complets,
Vingt chasubles simples,
Quatre dalmatiques simples,
Trente-quatre chappes, etc.

Il n'est point mentionné ici de reliquaires et pourtant la Collégiale en possédait plusieurs d'argent et de vermeil ; non plus de tout ce qui était de cuivre, comme chandeliers et le reste ; ni encore, de la lingerie, aubes, surplis, etc. Car on a tout inventorié très minutieusement et l'on a tout vendu : chaises, confessionnaux, autels, tableaux. Du jubé, cette barrière qui séparait le choeur de la nef, on n'avait conservé que les deux ventaux de la porte centrale [Note : Cet objet, regardé comme oeuvre d'art, fut transporté à Nantes, et de là, plus tard, à Paris. On le voit encore au Musée de Cluny].

***

Quand M. de Bruc devint évêque de Vannes, en 1817, tous ceux qui, à Guérande, avaient fait la Révolution, s'éteignaient les uns après les autres, presque tous avec les secours de la religion et les pardons de l'Eglise ; l'on commençait à oublier ces terribles années qui ont mis une ligne de démarcation si prononcée entre l'ancien et le nouveau régime.

Tout semblait renaître et revivre : les oeuvres de piété, d'instruction et de charité ; la Collégiale, qui, par l'enlèvement du jubé, s'était comme agrandie, se remplissait chaque dimanche. Il fallut reprendre le service des vieilles chapelles de Careil et de Clis, pour la plus grande commodité des habitants. Bientôt on devait voir se former sur le vaste territoire guérandais de nouvelles paroisses, à Trescalan, à Saillé, à la Madeleine. Les religieuses, chassées par la Révolution, revinrent à l'Hôpital ; d'autres fondaient un pensionnat de jeunes filles ; les frères de Ploërmel instruisaient les garçons. Il fallut attendre longtemps, c'est vrai, mais le Chapitre de Saint-Aubise lui-même put avoir un semblant de restauration.

Sous un certain aspect, on dirait que la vieille cité n'a pas changé : ses murailles résistent au temps qui détruit tout ; sa foi religieuse a survécu au grand bouleversement de la fin du XVIIIème siècle et aux assauts de l'impiété moderne. La Révolution, on ne peut le nier, y a laissé une telle emprunte qu'elle ne s'effacera jamais. Mais ce que nous voyons aujourd'hui prouve que ce grand événement politique et religieux n'a été qu'une épreuve passagère, voulue par la Providence, et que, si les hommes s'agitent en de stériles variations, Dieu, l'Eternel et l'Immuable, seul demeure.

(Abbé P. Grégoire).

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