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Guérande : son glorieux passé ; son état politique et religieux en 1789

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I.

La ville de Guérande, à l'heure où le grand bouleversement révolutionnaire allait ébranler la France entière et en changer les institutions, drapée dans son manteau de gloire, encerclée dans ses vieilles murailles, semblait se reposer de ses agitations passées.

Elle avait eu, en effet, ses grands jours. Citadelle bâtie aux temps gallo-romains, elle était devenue la cour du comte Guéreck. Les hommes du Nord, mêlés aux Saxons, s'étaient, un jour, présentés à ses portes, prêts à y entasser les ruines et à en faire un monceau de cendres ; mais, par un miracle éclatant qu'elle dut à son VENGEUR, Saint Aubin, elle vit bientôt fuir ces hordes barbares. Depuis ce remarquable événement, elle avait pris sa part aux faits et gestes de nos ducs et laissé son nom écrit sur les pages de notre histoire bretonne.

Salomon III, après l'éloignement de l'évêque que Nominoë avait placé à Guérande, fit de cette ville l'objet de ses munificences royales, particulièrement en dotant un Chapitre de chanoines qui devait rappeler, en quelque sorte, le prélat disparu et rester une des gloires les plus pures de la cité, jusqu'au jour où cette pieuse institution fut supprimée par la Révolution.

C'est de cette Révolution qui fit chez vous tant de ruines, habitants de Guérande, que nous nous proposons de rappeler quelques actes, mais ceux-là seulement qui touchent à ce que vous avez de plus cher, à votre religion ancestrale, persécutée, presque détruite au cours de ces années d'anarchie et d'impiétés, de 1789 à 1802.

***

Quoique les origines de votre antique cité soient fort obscures, vous faites dater votre histoire du temps de l'occupation de la Gaule par les Romains ; toutefois ce qu'il y a de certain et de bien glorieux pour vous, c'est que Guérande a joué son rôle dans tous les grands événements de notre vieille province, restés dans les mémoires et consignés dans nos annales. Les ducs regardèrent toujours votre bonne ville comme un des plus beaux fleurons de leur couronne et la gratifièrent de faveurs et d'immunités spéciales. Le duc Jean III fut le premier qui se montra généreux envers elle : il lui enleva les tailles ordinaires qui pesaient sur tout le duché, et cet acte libéral fut passé en présence de la duchesse Ermengarde et de plusieurs barons, 1330. Guérande éprouva, quelque temps après, un désastre sans pareil et qui fut cause d'une ruine presque complète : Louis d'Espagne, descendu sur la côte du Croisic avec une flotte nombreuse, mit le feu à la ville et passa la plupart des habitants au fil de l'épée. Mais vos pères courageux, Guérandais, rebâtirent leurs églises et leurs demeures ; ainsi ce fut comme un recommencement.

Bientôt elle reprit son rang dans ces fameuses luttes où deux concurrents se disputaient, le glaive en main, le droit de succession au trône de Bretagne. Devenue l'apanage de Jean de Montfort, l'un d'eux, celui-ci, pour la garder, l'entoura de douves et de murailles ; afin d'affermir ses prétentions, il y fit battre monnaie à son effigie (1342). Montfort, sous le nom de Jean IV, releva la gracieuse chapelle de N.-D. la Blanche, dont vous êtes encore heureusement fiers, (1348). Son adversaire, Charles de Blois, ayant été tué à la bataille d'Auray, un traité fut conclu entre le roi de France et le duc vainqueur, solennellement signé sur l'autel majeur de la Collégiale, le 13 avril 1365, devant Jean de Craon, archevêque de Reims et pair du royaume. Les lettres de Charles V, adressées à Montfort, furent proclamées en l'église Saint-Aubin. Il y avait là, comme témoins, Jean de Bretagne et les députés de la dame de Penthièvre, Hué de Montrelais, évêque de Saint-Brieuc ; Jean de Beaumanoir et Guy de Rochefort. Ainsi, par cette paix qui mettait fin aux guerres de succession, la Bretagne était reconnue duché indépendant, sous le sceptre de Jean IV.

Deux connétables, les plus célèbres de notre histoire bretonne, firent le siège de la cité guérandaise. Si Bertrand Duguesclin put la prendre et y entrer triomphant, Olivier de Clisson dut s'avouer vaincu au pied de ses murailles, 1373 et 1379. La cessation des hostilités n'eut lieu que le 4 avril 1381 et la paix fut signée dans la chapelle de N.-D. la Blanche [Note : Voir Les Sièges de Guérande, par M. de Boceret, et surtout la Petite Histoire de Guérande, par M. Quilgars. Dans ce dernier ouvrage les faits marquants où s'est trouvée mêlée la ville de Guérande sont racontés en détail et dans l'ordre chronologique. Ici nous ne mentionnons que les plus glorieux et sommairement].

L'an 1386, Jean IV, veuf de Jeanne de Hollande, épousa en troisièmes noces Jeanne de Navarre, et la bénédiction nuptiale leur fut donnée à Saillé, petite trêve de la paroisse Saint-Aubin : des prélats et les principaux barons de la province assistèrent à la cérémonie. C'est ainsi que Guérande devint une part du douaire accordé à la jeune princesse.

Jean V, à son tour, se fit le bienfaiteur de la ville, en y fondant un couvent de Jacobins au faubourg de Bizienne ; il voulut que la chapelle eût pour titulaire Saint Yves, un nom dès ce temps-là très vénéré en Bretagne. Il posa, lui-même, la première pierre du nouveau sanctuaire, le 16 mars 1409, et le fit consacrer deux ans après, en présence de ses fils, Pierre et Gilles de Bretagne. Comme cet établissement avait nécessité la démolition de la petite chapelle de la Très-Sainte-Trinité qui appartenait au Chapitre, le duc en fit construire une autre à ses frais et indemnisa les chanoines.

Le 8 septembre 1446, le duc François II étant décédé à Couëron, ses deux filles se rendirent à Guérande où l'une d'elles, la jeune duchesse Anne, reçut les condoléances de Charles VIII, roi de France. Trois ans plus tard, Jean d'Epinay, trésorier du duché, se trouvait dans les murs de la ville, avec quelques officiers attachés au service de la princesse : c'est alors que le maréchal de Rieux mit le siège devant Guérande. Aussitôt Anne, soucieuse de la sécurité de sa bonne ville, envoya des troupes qui forcèrent l'ennemi à se retirer, et trois d'entre les révoltés, pour donner un exemple, furent décapités.

En 1557, une escadre espagnole, débarquée sur les côtes voisines, s'apprête à saccager le pays et à envahir Guérande. Or, le sénéchal, P. de Goudelin, seigneur de Chavagne en Sucé, rassemble, sans perdre de temps, les braves guérandais et met les envahisseurs dans la nécessité de reprendre la mer.

Les querelles de la Ligue à peine apaisées, voilà les Calvinistes qui essaient de s'établir à Guérande. Malgré qu'ils dussent profaner la chapelle des Jacobins, leur séjour ne fut pas de longue durée et, bientôt, il leur fallut se retirer à Piriac et au Croisic, où ils purent se maintenir pendant quelques années.

Les Etats de Bretagne, étant assemblés à Nantes, en 1614, demandèrent au Roi la destruction des forts de la ville de Guérande, ainsi que de plusieurs autres places de la province, devenue française depuis le mariage de la duchesse Anne avec le Roi. Or, ces messieurs du Parlement qui tenaient leurs séances à Guérande quatre ans plus tard, purent constater qu'ils avaient été obéis, du moins en partie.

Les Guérandais avaient vu dans leurs murs le célèbre prédicateur dominicain, S. Vincent-Ferrier et l'on se souvenait même que, de la chaire extérieure de la Collégiale, il avait adressé la parole au peuple assemblé sur la place du Marché. Tel est, en raccourci, le tableau des gloires passées de la cité guérandaise.

 

II.

Tout cela était resté dans les mémoires et la tradition en gardait fidèlement le souvenir. Mais, depuis plus d'un siècle, rien de remarquable ne s'était produit.

Cependant cette noble ville, qui avait vu tant de hauts personnages, subi tant de sièges, gardait ses franchises et ses prééminences, quand sonna, au cadran du temps, la fatale année de 1789, et pouvait encore se regarder et se dire la seconde de l'ancien comté nantais, laissant bien loin derrière elle certains chefs-lieux de baronie, comme la Roche-Bernard, Pontchâteau, Châteaubriant, Ancenis et Derval.

Si les négociants et les armateurs s'étaient fixés au Croisic et par là même avaient laissé Guérande sans activité commerciale, si une garnison militaire ne gardait plus les portes de la vieille citadelle de Jean V, les Guérandais, en gens habiles, avaient su exploiter la renommée de leurs ancêtres, demandant et obtenant de nouveaux privilèges, conservant les anciens avec un soin jaloux et faisant de leur ville un centre administratif d'une importance notable : siège de subdélégation et de sénéchaussée, elle commandait à celles du Croisic et de la Roche-Bernard. Près de 80 juridictions féodales relevaient de son tribunal et 15 paroisses dépendaient de son siège royal de police. Elle avait le privilège de communauté et députait aux Etats de la province.

Le dernier sénéchal fut Le Péley de Villeneuve ; Rouaud de la Ville-Martin présidait le siège royal de police et était maire de la commune en même temps ; sous les ordres de celui-ci, le procureur-syndic Lallement, le greffier Lenormand, le miseur Buard. Puis l'on comptait toute une légion de fonctionnaires de l'ancien Régime. C'étaient Grimperel, directeur des Devoirs ; Le Veuf, contrôleur général ; Tanguy, receveur des Domaines ; Larey, Danto, Branchu et Hardouin, notaires ; Robiou et Buard, avocats ; Lallement et Crespel, avoués ; Dufrexou, Nicodi, Chétiveau et Lacombe, médecins. Ajoutez à tous ceux-là de nombreux officiers de justice seigneuriale, procureurs fiscaux, juges, sergents, etc., attachés aux différents fiefs.

La noblesse était largement représentée par de très anciennes familles qui se perpétuaient dans leurs manoirs de campagne et qui avaient leurs hôtels en ville. A l'Auvergnac étaient les de la Bourdonnaye ; à Lesnérac, les de Sesmaisons ; à Careil, les Foucher ; à Lessac, les de Courson ; à Kerfur, les de Sécillon ; à Bogat, les de Monti, et bien d'autres dont les domaines couvraient les paroisses environnantes, mais qui jouissaient d'une résidence d'hiver à Guérande même : les de Kerpoisson, d'Andigné, de Couëssin, de Francheville, de Trévélec, de Kercabus, de Montigny, Rado, Calvé, Chaumard, Kersalio, Dauville, Kerdinio, Pradois, etc.

Seul de tous les gentilshommes guérandais, le comte de la Bourdonnaye était gagné aux idées nouvelles en politique comme en religion. On a dit que Diderot et Dalembert, les auteurs marquants de l'Encyclopédie et les disciples de Voltaire et de Rousseau, étaient venus faire un séjour à l'Auvergnac et ainsi ces illustres philanthropes avaient endoctriné leur hôte. La condition de M. de la Bourdonnaye, son emploi de syndic de la noblesse au Parlement de Bretagne, sa réputation de lettré et de bienfaisant, sa grande fortune enfin, tout lui donnait une importance manifeste. Cependant, il faut le constater, son empire fut nul sur les seigneurs voisins qui vivaient retirés sur leurs terres loin de la Cour où ils ne fréquentaient pas, et attachés à la religion traditionnelle. Aussi nous ne le verrons point se mêler aux affaires locales, ou parce qu'il se vit bientôt dépassé par ses amis, ou que son influence se fut amortie. En avril 1789, il accepta le commandement supérieur de la Garde nationale qui venait de se former à Nantes, et, comme tel, il aura, dans le département, un rôle politique qui ne lui fera point honneur.

Quelques bourgeois et marchands composaient, à Guérande, un tiers-état tout préparé à admettre les réformes de la Révolution. C'est chez ceux-ci et les fonctionnaires que se recruteront les membres des nouvelles administrations.

Mais ce qui donnait surtout du relief à la ville de Guérande et la plaçait immédiatement après Nantes, c'était le nombreux clergé qu'on pouvait y compter. La chaire de son unique évêque du IXème siècle était restée vide, c'est vrai ; cependant il faut reconnaître qu'il avait laissé quelque chose de lui : le Chapitre Saint-Aubin que Salomon avait établi et fondé pour rappeler la cour épiscopale ; puis, dans la suite des temps, des communautés s'étaient formées, ainsi que des maisons de charité et d'instruction publique.

Le Chapitre est dit, dans toutes les déclarations que nous possédons, noble, royal, notable et collégial, et, par là, on affirme sa fondation faite par un roi de Bretagne, Salomon III, les qualités requises pour en faire partie et la communauté privilégiée qu'il formait dans le clergé du diocèse de Nantes. On a écrit que ce Chapitre avait été fondé pour Gislard, l'évêque imposé par Nominoë : les privilèges dont ce collège a été enrichi infirment cette assertion. Ce n'est qu'après la disparition de l'évêque de Guérande que cette institution a pu être établie ; par conséquent aux dernières années du IXème siècle. On peut soutenir cette opinion, malgré que nous n'ayons plus ni la bulle pontificale, ni la charte royale, ni le texte du concordat passé entre Guérande et l'évêché de Nantes. Il faut donc s'en rapporter à la tradition qu'a gardée le Chapitre qui a toujours déclaré qu'il était de fondation royale et qu'il devait ses commencements à Saint Salomon. D'ailleurs les privilèges, dont jouissait la Collégiale, sont une preuve indéniable qu'elle a été fondée postérieurement à l'épiscopat de Gislard, qu'elle est l'œuvre du roi de Bretagne et de l'évêque légitime de Nantes, par suite des arrangements qui eurent lieu à l'époque où Guérande, cessant d'appartenir au diocèse de Vannes, rentra dans celui de Nantes. Avoir droit de porter mitre et crosse pour le Prévôt, de nommer aux cures et à tous les bénéfices simples du climat pour le corps capitulaire, exercer une juridiction ordinaire sur tout le pays, voilà des prérogatives uniques dont aucune collégiale n'aurait pu se prévaloir. Et ces privilèges, celle de Guérande se les a conservés, malgré les oppositions faites dans le cours des temps et avec le consentement des évêques de Nantes et les sentences du Parlement de la province.

Composé d'abord de quatorze prébendes, le Chapitre de Guérande se recrutait par la présentation des rois de France, après la réunion de la Bretagne au royaume. Pour y être admis, il fallait justifier de quatre quartiers de noblesse, aussi bien du côté maternel que paternel.

Dans une déclaration de 1475, la plus ancienne qui nous soit parvenue, la collégiale Saint-Aubin prétend posséder pleine juridiction sur tout le pays guérandais et la moitié des dîmes ; également le droit de n'être visité que personnellement par l'évêque diocésain et qu'une seule fois dans tout son épiscopat, par conséquent à l'exclusion des vicaires généraux et des doyens de la Roche-Bernard.

A la fin du XVIIIème siècle, il n'y avait plus que onze prébendes proprement dites : une revenant au Régent, une autre à la Psalette, une troisième au recteur de la paroisse.

Le bas-chœur comprenait diacre et sous-diacre d'office, sacriste, sous-chantre et plusieurs vicaires urbains et chapelains. Chaque chapelle rurale avait un ou deux desservants résidants : Saillé, la Madeleine. Trescalan, Careil et Clis.

La seule dignité, canoniquement reconnue dans le Chapitre, était celle du Prévôt ; mais on avait coutume de compter en plus, comme titres honorifiques, celles de sous-doyen, de grand-chantre et de théologal. Le maître de la Psalette restait au choix exclusif du Chapitre ; malgré cela il y avait un chanoine faisant l'office d'économe de la maison où l'on élevait quatre-enfants de chœur. Il n'en était pas de même du Régent ou maître d'école, étant nommé de concert par l'évêque, les chanoines et le général de la paroisse. Dans cette école, qui se tenait en la chapelle Saint-Jean, on enseignait gratuitement aux jeunes gens de Guérande les sciences et les belles lettres, ce qu'on appelait alors les humanités : c'était donc une école secondaire.

Ces messieurs du Chapitre et de la paroisse formaient une réunion d'ecclésiastiques, telle qu'on ne pouvait en voir une autre équivalente dans les autres lieux du diocèse, Nantes excepté. Il faudrait pourtant encore ajouter quelques prêtres retirés du ministère et célébrant chaque matin à la Collégiale ; quelques aumôniers et les quatre Pères Jacobins établis au faubourg Bizienne.

Ainsi nous pourrions arriver à une quarantaine d'ecclésiastiques résidant sur la paroisse Saint-Aubin, soit en ville, soit à la campagne. Deux chanoines seulement avaient été dispensés de la résidence canonique : le Prévôt, Côme Loyseau de la Sauve, vicaire général de Châlons, en dignité depuis 1781, et Nicolas Desfriches-Desgenettes, clerc tonsuré, chanoine de 1789 et demeurant à Séez.

L'on connaît que l'évêque de Nantes avait à Guérande un domaine dépendant de ses Régaires et que même il posséda un palais épiscopal jusqu'à l'époque de Mgr G. de Beauvau, qui le rendit inhabitable [Note : L'évêque a eu à Guérande son sénéchal et son procureur fiscal, jusqu'à la Révolution].

Les Ursulines tenaient un pensionnat, un externat et des classes gratuites, au faubourg Saint-Michel, depuis le XVIIème siècle. Elles étaient, quand la Révolution survint, vingt-sept dames de chœur et neuf converses. Mme du Vivier, leur supérieure, mourut avant les terribles événements qui devaient se produire pour elles (14 mai 1790), et fut élue à sa place, selon les décrets de l'Assemblée constituante, Julienne Chrestien, déjà sous-prieure. Celle-ci était originaire du Crosquer ; la seconde, ou l'économe, se nommait Marie Maillet, ou Mayet, sortie de Méan. Plusieurs d'entre les autres étaient Guérandaises, comme Mmes de Monti, de Kercabus, Chottard, et presque toutes les converses appartenaient à des familles de la paroisse. Elles avaient un aumônier, M. Chaussun, qui dut succéder à M. Michel ; ce dernier, retiré du ministère actif, vivait en ville. Outre leurs élèves, ces dames logeaient et nourrissaient quelques personnes de leur sexe, à titre de grandes pensionnaires, et, parmi celles-ci, plusieurs étaient de condition, mais sans beaucoup de fortune.

On comptait à Guérande trois établissements charitables : l'Hospice-Général qui recueillait des vieillards, des enfants et des incurables au nombre d'une centaine ; l'Hôtel-Dieu, ou Saint-Jean, rue de Saillé ; enfin le Bureau de charité, alimenté par les dames de la ville et d'où l'on portait des aumônes au domicile des pauvres honteux. Cette dernière maison était desservie par deux Filles de la Sagesse, appelées sœurs grises, dont le souvenir est gardé par une petite rue qui porte encore ce nom. Dans les autres établissements ce n'était que de pieuses personnes, affiliées au Tiers-Ordre du Carmel et se faisant servantes volontaires des pauvres et des malades. A l'Hospice-Général, il y avait un aumônier, M. Monnier, et, à l'Hôtel-Dieu, en tenait place un prêtre de la collégiale.

La ville de Guérande renfermait donc dans son sein tout ce qu'on pouvait désirer pour la gloire de la religion, l'instruction des enfants et le soulagement des malheureux : ainsi elle devait se suffire à elle-même.

***

Pour achever notre tableau de Guérande d'avant la Révolution, empruntons une page à l'Etude de M. de Boceret [Note : Guérande et les Guérandais avant la période révolutionnaire, 1894]

« Le niveau moral, toujours inséparable du niveau religieux, devait être très haut dans une ville si chrétienne, et l'esprit y était, en effet, généralement bon. Les ricanements de Voltaire, les mensonges de l'Encyclopédie, les sophismes attrayants du Contrat social y avaient étonné bien peu d'oreilles. La population chrétienne et laborieuse de la campagne et des marais préférait les simples exhortations de ses pasteurs aux déclamations ampoulées des nouveaux apôtres. Du reste toute entière à ses travaux journaliers, elle n'avait pas de temps à leur consacrer. Entourée d'un côté par la mer, de l'autre par des marais d'une traverse difficile, loin de Paris et des centres d'agitation, Guérande était protégée par son isolement même contre l'envahissement des idées nouvelles. Le courrier n'y arrivait, en 1789, que deux fois par semaine ; les voyageurs, que rien ne pouvait attirer, étaient rares et, seuls, les habitants de la ville ou les commis des fermes essoufflaient les maigres bidets de la poste-aux-chevaux. Les paludiers, au retour de la troque, et les mendiants étaient les pourvoyeurs ordinaires des nouvelles ; mais ils s'inquiétaient peu des politiqueurs. Il était donc difficile aux hommes du peuple de devenir des philosophes et des révolutionnaires ».

Guérande, on peut le dire, était demeurée une de ces petites villes moyenageuses de province, immobilisée et dormante [Note : M. J. Gahier, analysant le roman de L'Abbesse de Guérande, écrit de cette ville : « Enserrée dans son corset de pierres, elle est restée durant des siècles telle qu'elle était au temps de Jean V. Les habitudes sont, en quelque sorte, figées dans la répétition des mêmes gestes, des mêmes rites et des mêmes révérences ». — Guérande-journal, n° du 20 février 1921]. Le commerce paraissait à peu près nul et l'on n’y voyait point d'industries. Pourtant les marchands et boutiquiers n'y manquaient pas, et toute la région venait là pour faire ses emplettes. On comptait, en effet, drapiers, tailleurs, chapeliers, cordonniers, perruquiers ; ces derniers seuls avaient une maîtrise, signe qu'ils étaient nombreux dans la corporation. Pour l'alimentation des ménages, on trouvait bouchers et boulangers. Deux marchés, bien achalandés, s'y tenaient par semaine. Chaque juridiction seigneuriale avait son moulin et son four banal.

La partie rurale se composait, comme encore aujourd'hui, de deux éléments bien distincts et qui se mêlaient peu : les cultivateurs et les sauniers. Ceux-ci, race antique et saine, vivaient du produit de leurs marais, s'en allaient au loin, avec leur attelage, échanger le sel contre des céréales et autres choses que le pays ne produisait pas en assez grande quantité pour le nourrir.

***

Telle était donc la région guérandaise quand la Révolution vint la secouer de sa torpeur. On ne se fût pas douté qu'elle devait emboîter le pas sur ce chemin inconnu où on la conduisait.

Cependant en la considérant avec attention, on y remarquait des hommes, dont quelques-uns étrangers au pays par leur origine, tout prêts à tendre l'oreille à ces bruits de progrès et de réformes qui leur arrivaient du dehors. Les situations, les postes, les titres et les dignités qui vont être leur partage dans le nouvel ordre de choses, tout leur donnera de l'audace et ils deviendront, à Guérande, les facteurs principaux dans le gouvernement démocratique auquel on semble aspirer. Eux aussi, bourgeois envieux et avides, méprisant le peuple et jalousant les privilégiés, s'ils n'ont été rien ou presque rien jusque-là, rêvent d'être quelque chose et même d'être tout. Quelques autres se prévalent bien de la particule devant leur nom ; mais, quand le moment sera venu, ils sauront la supprimer comme suspecte et intempestive ; on les verra se faire les ressorts dans ce grand mouvement qui, partant de la capitale, passe par le chef-lieu du nouveau département et arrive aux districts et aux communes. Le peuple leur résistera autant que cela sera possible, mais il sera impuissant à enrayer leur marche en avant ; où il restera le maître, ce sera seulement sur le terrain de la religion, mais, quand même, victime et témoin attristé devant les ruines amoncelées sous ses yeux.

Si dans le moindre village de France il s'est trouvé un procureur fiscal, un syndic, un greffier de juridiction, un notable quelconque, notaire ou médecin, pourquoi, dans une agglomération comme Guérande, n'aurait-on pas rencontré des gens capables d'obéir aux ordres et décrets de ces Assemblées qui, au cours des années de révolution, vont bouleverser et détruire toutes les institutions du royaume ?

L'heure a sonné où notre pays, qui doit tout à ses rois et à ses évêques, va renier son glorieux passé et fonder son avenir sur des théories subversives.

(Abbé P. Grégoire).

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