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Guérande : mesures persécutrices contre le clergé et les religieuses sous la Révolution

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Coup d'œil rétrospectif sur les événements déjà accomplis — On ne peut trouver d'intrus pour Guérande — Chasse aux prêtres fidèles — Obligation de s'exiler — Les premiers mois de 93, aggravation des mesures persécutrices contre le Clergé — La prise de Guérande par les Royalistes — Tribunal révolutionnaire — Exécutions — Les religieuses tertiaires et les Filles de la Sagesse.

Avant de clôre cette année 1792 qui prélude à celle de 1793 dont on a dit « sans pareille dans notre histoire et dans l'histoire d'aucun peuple, une terrible année de 20 mois » [Note : Autour de lu Révolution, par Ed. Biré, p. 83], nous devons jeter un coup d'œil rétrospectif sur tout ce qui s'est produit à Guérande contre la religion, depuis le commencement des prétendues réformes, et aussi considérer les ruines amoncelées par ces destructeurs de 89 qui s'appelaient les mandataires du peuple.

Les élections, qui s'étaient succédées sans interruption au sein des convoitises et des rivalités, avaient jeté le trouble parmi la population guérandaise, d'ordinaire pacifique et depuis longtemps si tranquille à l'ombre de ses antiques murailles. Deux partis la scindaient : les gens d'ordre qu'on aurait pu appeler Conservateurs si le mot avait été trouvé alors, et les hommes nouveaux, hantés d'utopies, et qui voulaient tout abattre pour reconstruire à neuf ; ou plutôt les vrais guérandais de race et les étrangers, bourgeois, marchands et fonctionnaires : division que va accentuer la violence du Gouvernement.

La religion, qui depuis des siècles régnait en maîtresse, honorée, aimée et pratiquée sur cette terre de Saint-Aubin qui devait tant à sa Collégiale, avait subi les assauts ide l'impiété : le Chapitre disparu du grand chœur où la louange divine ne se faisait plus entendre ; les religieux dominicains supprimés et partis ; les daines Ursulines expulsées ; les écoles fermées ; les prêtres mis dans l'obligation de faire un serment contraire à leur conscience ; le scandale de l'intrusion offensant les vrais catholiques ; les maisons hospitalières menacées d'être privées du personnel dévoué et probe qui les desservait ; l'interdiction des chapelles paroissiales et des oratoires domestiques où célébraient les ecclésiastiques fidèles ; ceux-ci surveillés et bientôt forcés de quitter le pays. Quels événements !

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Le plus inquiétant, sans contredit, avait été de voir quelques hommes, venus on ne savait d'où, pour la plupart, entourés d'une vingtaine d'autres qu'on nommait des patriotes, procéder par suffrages au choix de certains prêtres indignes et de leur conférer par là des pouvoirs spirituels sûr les âmes chrétiennes. On se rappelle que le Clergé paroissial, se séparant d'abord du Chapitre, sans doute pour ne pas abandonner le troupeau aux loups ravisseurs, avait fait une espèce de serment constitutionnel ; mais que, bientôt après, se rétractant de ce serment, ils avaient été forcés, à leur grand regret, de cesser leurs fonctions publiques. C'est alors que la paroisse de Guérande n'eut plus de pasteurs légitimes : un malheureux ecclésiastique du bas-chœur de la Collégiale dut être regardé comme chef de la nouvelle religion, chef provisoire, disait-on. Il fallait donc en avoir un autre, regardé comme titulaire. Etait-ce possible de le trouver ? Ici nous pourrions nous demander s'il y eut pour Guérande une élection supplémentaire de curé constitutionnel. Nous serions porté à l'admettre ou bien nous devrions supposer qu'un sujet inconnu aurait été imposé à la population par l'évêque intrus, le trop célèbre Minée. Toutefois ce qu'on peut tenir pour certain, c'est qu'un nommé Gourreau, vicaire épiscopal, étranger au Diocèse, s'était dit, au mois de juin 91, curé de Guérande. Il avait reçu, en effet, des lettres de pouvoirs. Mais parut-il jamais dans la paroisse ? Nous ne le croyons point. Au mois de septembre suivant, l'élu demandait encore « un logement décent et convenable » avant de prendre possession de sa cure. Cela ferait croire qu'il ne franchit jamais le seuil de la poterne la plus dissimulée de la cité guérandaise. Et d'ailleurs aucun Almanach du temps n'a inséré son nom et, en face du nom de Guérande, nous avons toujours vu un blanc. Donc il n'y a eu jamais d'intrus dans la paroisse de Saint-Aubin. Nous tenions à l'établir pour l'honneur de la Collégiale et des paroissiens [Note : Arch. dép. Q. Registres du Département, 22 juin 91].

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Dès le mois de février 92, on enjoignit aux municipalités d'arrêter les prêtres insoumis, ou réfractaires, selon l'expression de l'époque, qui déjà ne s'étaient pas rendus à Nantes pour se tenir sous la surveillance de la police. Cette mesure rigoureuse fut exécutée à Guérande, avec d'autant plus d'empressement que les administrateurs du District venaient, eux-mêmes, et de leur chef, d'ordonner que tous les prêtres insermentés séjourneraient en ville. On avait excusé MM. (Lemercier, Bodet et Santerre l'aîné, ainsi que M. Charbonnier, dit vicaire à Mesquer. A Missillac, il avait été décidé, d'après l'avis du directoire, qu'on laisserait en sa paroisse M. Châtellier ; deux médecins avaient attesté son incapacité de se transporter ; mais la vraie raison, c'est qu'on ne pouvait songer à le remplacer, à cause de la population et aussi parce que les municipaux prenaient sa défense [Note : Arch. dép. L. 726]. Le directoire se montra plus sévère à l'égard de M. Cousin, qui avait sollicité son retour à Pontchâteau [Note : Arch. dép. L. 742]. La municipalité de Saint-André prit fait et cause pour ses prêtres, MM. Moyon, Audrain et Balouzet, et demandait leur maintien dans la localité, René Bertha étant maire ; mais on s'y refusa, 13 mars 92, et l'on ordonnait l'arrestation immédiate de deux autres, Lescar et Rouaud [Note : Arch. dép. L. 754].

A Nantes, le 22 mai, tous ceux qu'on avait pu saisir étaient tenus en détention dans l'ancienne Communauté de Saint-Clément ; au 5 juin, on put en compter 183, venant de tous les points du Département. Parmi ces prisonniers, nous constatons la présence de MM. Bouchaud, recteur de Piriac, de Tréméac, chanoine, René Santerre et quatre capucins du Croisic. Le 16 août, on les transférait au Château ; y furent amenés MM. Chaussun, l'aumônier des Ursulines, le vénérable Le Palludier, de Trescalan ; et deux autres capucins du Croisic se joignirent à eux le 20 et le 23 août.

Au mois suivant, le 6 septembre, des membres du Département se transportent au Château pour signifier aux détenus qu'ils ont à opter entre la continuation de leur peine ou la déportation. Tous, excepté les plus âgés, acceptent l'exil. Quatre bateaux sont aussitôt affrétés pour les conduire sur les côtes d'Espagne ou de Portugal. S'embarquent sur le Télémaque le chanoine Pélage Loyseau, le jeune clerc Santerre, le vicaire de Saint-Molf, Vignard, ainsi que trois capucins. Prirent place sur le Marie-Catherine, MM. Chaussun, Bouchaud, de Tréméac, Gauthier, né à Guérande et vicaire à la Chapelle-Launay, Mollé, né au Pouliguen et vicaire à Saint-Géréon [Note : Il faut ajouter M. Chevalier, sulpicien, venant du Croisic]. Sur le Bon-Citoyen et le N.-D. de Pitié nous ne voyons personne de la région guérandaise. Ce dernier bateau dut s'arrêter à Saint-Nazaire et le médecin, mandé à bord, déclara que certains passagers étaient trop malades pour s'aventurer en mer ; cependant — une infâmie ! — les Administrateurs de Guérande, district d'où dépendait Saint-Nazaire, eurent la cruauté de maintenir l'ordre du départ. [Note : Registres du district de Guérande].

Tous ces déportés, pourtant en vertu d'une loi qu'il leur fallut subir, sont bientôt considérés comme des émigrés et, en conséquence, leurs biens mis sous séquestre.

Bien d'autres n'avaient pas cru attendre le mois de septembre pour quitter la France qui leur refusait la liberté de vivre : ils s'étaient embarqués ici ou là, selon que nous l'avons mentionné dans les courtes notices consacrées à ces malheureuses victimes de la persécution.

Parmi ceux que leur grand âge avait dispensés de la déportation, nous comptons, M. Bodet, prêtre habitué de la Collégiale, âgé de 67 ans, M. Le Palludier, de Trescalan, 65 ans, et M. Couvrant, recteur de Besné, paroisse du District, 75 ans. Ils sont destinés au martyre : les flots de la Loire les engloutiront par ordre de Carrier.

M. de Boisfleury et quelques vicaires de la région avaient échappé aux poursuites et se tenaient cachés dans les parages pour exercer, au risque de leur vie, le saint ministère.

Les déportés, en quittant Nantes, 9 et 10 septembre, avaient vu la populace ameutée contre eux et vociférant des cris de mort ; ils eussent même été massacrés sans la protection de la garde nationale. Ce qui avait dû leur faire prévoir les plus mauvais jours pour ceux qui restaient au pays.

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A Paris les événements se précipitaient : on allait à grands pas vers la persécution sanglante et déjà d'ailleurs on avait appris à Nantes les massacres des Carmes où quatre ecclésiastiques du Diocèse avaient été victimes de ces bandits que l'histoire a appelés des septembriseurs. A Guérande même on était sur le point de voir couler le sang humain, mais on commença par un simulacre : le curé de Batz, M. Montfort, et celui de Saint-André, M. Moyon, furent mis au poteau en effigie. Nous le savons par la note de l'ouvrier, datée du 12 octobre 1792, pour avoir monté le poteau de justice. Au mois suivant, 16 novembre, ce fut une réalité sanglante : ce jour-là on exécuta un nommé Julien Leroy, de Donges [Note : Arch. dép. L. 642]. Pourtant nous ne sommes pas encore arrivés à la Terreur, mais les Marat, Danton et Robespierre la préparent et l'on verra la guillotine sur la place du Pilori à Guérande, du moins, pendant quelques jours, comme à Nantes sur la place du Bouffay, pendant plusieurs mois, durant le règne du monstre Carrier.

L'année 1793 s'ouvrit par le régicide, crime national qui porte malheur à un pays : la tête de l'infortuné et bon Louis XVI tomba sous le couteau de la guillotine le 21 janvier, date sanglante qu'on ne pourra plus effacer sur cette page de notre histoire de France. La République avait été proclamée le 24 septembre et les arbres menteurs de la Liberté, autour desquels dansait un peuple en délire, étaient plantés partout, jusque dans le moindre village, au fond des provinces. On le planta à Guérande, en face le grand portail de la Collégiale, sur cette place du Marché où l'on fera entendre tant de blasphèmes et l'on accomplira tant d'actions impies et sacrilèges. Le procès-verbal de cette première manifestation révolutionnaire n'a point été conservé, comme tout d'ailleurs ce qui a été écrit avant la prise de la ville par les troupes royalistes [Note : Au village de Clis on avait planté un arbre de la Liberté, car d'après le registre des délibérations communales, 17 brumaire an III, on voit qu'il venait d'être abattu. Leborgne appelle cela un sacrilège et un forfait].

Pendant les premiers mois de 93, la persécution religieuse devint plus accentuée et tout acte de culte catholique fut regardé comme délictueux. L'autre culte qu'on appelait constitutionnel ou national, lui-même, déjà discrédité, commençait à disparaître et à être négligé tant par ceux qui l'avaient imposé que par ceux qui s'y étaient laissés tromper ; d'ailleurs la conduite peu édifiante des ministres contribua plus que tout à cette déchéance.

Plusieurs prêtres s'étant trouvés compromis dans le mouvement insurrectionnel du 10 au 13 mars, ce fut là un prétexte pour aggraver la persécution religieuse. Dès quelques jours après ce mouvement, la Convention décrète que tout citoyen est obligé de dénoncer et de faire arrêter tout prêtre insermenté. Le Comité de Guérande se mit aussitôt en activité pour faire quelques bonnes prises, mais sans succès : les deux ou trois ecclésiastiques qui se tenaient cachés dans le pays purent échapper aux recherches policières.

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Cependant, quoique ce qui va suivre n'entre point dans notre sujet, nous ne saurions passer sous silence le fait d'armes qu'on est convenu d'appeler dans l'histoire de la Révolution le siège de Guérande. Il eut des conséquences pour la religion.

L'approche des insurgés, venant de la Roche-Bernard et de Pontchâteau, frappait tous les esprits et surtout affolait les Administrateurs ; malgré cette. frayeur on se laissa surprendre. D'ailleurs se défendre était chose presque impossible, la ville étant sans garnison. Disons aussi — et cela est historique — que la majorité, la très grande majorité des habitants, lasse du régime qu'imposaient ses maîtres, regardait l'armée royale comme capable de la délivrer du joug de plus en plus pesant de la tyrannie jacobine. Cette levée de 300.000 hommes, décrétée par la Convention, ne laissait pas, non plus, indifférents paludiers et laboureurs, et même petits commerçants de la ville. On se rendit donc, presque sans coup férir, et l'administration cria à la trahison. Il n'y eut point de siège en règle pour Guérande et il en fut de même pour le Croisic. Il faut l'avouer : ce soulèvement de nos populations rurales était plus une croisade pour reconquérir la liberté religieuse qu'une tentative pour rétablir la royauté. Sans doute les gens honnêtes et les vrais Français avaient bien pris pour un malheur national la suppression de la monarchie héréditaire, le meurtre criminel du roi ; mais la persécution contre les prêtres fidèles les avait outrés davantage. La ville de Guérande, en particulier, qui devait tout à nos institutions chrétiennes, ne put admettre qu'une poignée d'étrangers, ambitieux et impies, lui dictât des arrêtés persécuteurs. Si les potentats du jour qui la tyrannisaient avec impunité n'avaient eu derrière eux pour les soutenir le gouvernement anarchique que la France venait de se donner, ils eussent été chassés comme des malfaiteurs et peut-être égorgés comme ides criminels.

Le récit de ce prétendu siège est raconté tout au long par les Administrateurs du District ; il est écrit de leurs mains à la première page du registre de leurs délibérations et d'ailleurs on l'a publié en ces dernières années [Note : Arch. dép. L. 1012. Registres du District]. A en croire les narrateurs partiaux, il y aurait eu incendie, pillage, meurtre et violences de toute sorte : rien de tout cela. ll y a bien eu, aux premiers coups de feu, une jeune fille et deux habitants tués et quelques autres blessés ; mais on n'a pu, dans le procès intenté contre les accusés de Guérande et du Croisic, relevé un seul trait de violence criminelle. Les portes étant ouvertes, les royalistes s'emparèrent facilement de la place et, une fois entrés, ils se contentèrent de remplacer immédiatement les Administrateurs, de brûler leurs paperasseries et peut-être de vider la caisse de Grimpérel. Prévoyant une contre-attaque qui les menaçait, ils sont sortis de leur propre volonté au bout de 8 jours. L'occupation ne dura que du 22 au 30 mars. Il en fut de même au Croisic.

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Comme certains prêtres, cachés dans la région, avaient reparu à Guérande sous la protection des royalistes, des mesures plus rigoureuses devaient être prises contre eux, et c'est ainsi que s'il y eut des représailles ce ne fut pas de la part des catholiques, mais de leurs persécuteurs. Voilà un décret de mort édicté par la Convention : « Huitaine après la proclamation du présent décret (18 mars) tout citoyen est tenu d'arrêter ou faire arrêter les prêtres dans le cas de déportation. Les émigrés et les prêtres seront conduits dans les prisons du district, jugés par un jury militaire et punis de mort dans les 24 heures ». Puis, quelques jours après, on englobait dans la même répression tout ecclésiastique qui n'aurait pas prêté le serment d'Egalité. D'ailleurs le général Beysser qui reprit Guérande et le Croisic se montra terrible pour les rebelles et tous ceux qui s'étaient compromis clans les derniers événements. La prison du Croisic, plus sûre que celle de Guérande, se remplit de malheureux dont plusieurs allaient être des victimes.

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Pour célébrer l'anniversaire du 10 août, Guérande fit plus que Nantes. Tandis que dans cette dernière ville on se contenta de passer en revue les bataillons de la Garde-Nationale, nos administrateurs guérandais célébrèrent une fête politico-religieuse. Deux jours auparavant ils avaient arrêté le programme. A 11 heures, les Autorités se grouperont au Mail et de là se rendront à l'église paroissiale où une messe sera dite par Chantrel, pendant laquelle on exécutera des hymnes patriotiques ; après la messe on chantera un Te Deum. Puis retournant au Mail l'on se donnera l'accolade fraternelle entre citoyens et citoyennes et à la fin de la journée on organisera un bal champêtre ; deux barriques de vin seront mises à la disposition des personnes présentes [Note : Arch. municip. de Guérande, D. 1].

Pour rendre légales les sentences et les exécutions, il s'agit maintenant d'établir un tribunal criminel ; à ce sujet il y eut une longue correspondance entre le Département et le District ; on arriva pourtant à s'entendre, même pour le transport de l'instrument homicide, la guillotine. Ce ne fut que le 4 octobre que les juges tinrent leur première séance, Breger, administrateur du district de Blain, étant accusateur public, et, bientôt, le bourreau, Sénéchal, se montra avec ses aides et la machine sanglante. On monta celle-ci, prête à fonctionner, sur une des places de la ville, au grand effroi de la population. François, dit Bitacle, et Thoumazeau furent exécutés comme rebelles. Ce fut tout, car à Nantes on se faisait besoin de l'horrible instrument, on le ramena au chef-lieu. Le vénérable David de Drésigué, ancien maire du Croisic, n'eut pas l'honneur de monter sur l'échafaud, mais il dut être fusillé contre le mur du cimetière de sa ville. Il y eut bien une quatrième condamnation à mort, prononcée contre un nommé Guillaume, mais celui-ci s'était déjà tué par accident.

Indépendamment des jugements du Tribunal, le président, Savariau, juge à Clisson, décerna un certain nombre de mandats d'arrêt et d'amener contre ceux qui avaient pris une part plus ou moins active au mouvement insurrectionnel, et, parmi eux, plusieurs guérandais, dont M. Philippe Perraud, vicaire chapelain de Clis. Ce prêtre et plusieurs autres inculpés, dans la nuit du 27 au 28 octobre s'étaient heureusement évadés du château de Guérande.

Dans la sanglante journée du 19 décembre 93, où, les demoiselles de la Métayrie, leur bonne et deux Sœurs de la Sagesse furent guillotinées sur la place du Bouffay, à Nantes, vingt hommes eurent le même sort, dont sept de Guérande : G. Philippe, L. Dragueux, L. Geslin, L.-F. Guiéneuf, L. Berthaud, J. Roussel et J. Ruelle.

Le lendemain de l'évasion dont nous venons de faire mention, comparaissent devant leurs juges les trois tilles de la Sagesse qui desservaient l'hospice du Croisic, Marie Gauguin, Marie Botton et Marguerite Jégain, prévenues d'avoir refusé le serment, continué de porter leur costume religieux, refusé d'assister à la messe de leur aumônier, tandis qu'elles allaient entendre celles de trois prêtres insermentés pendant l'occupation de la ville par les royalistes, etc... En conséquence, elles sont condamnées à la déportation sous le climat de la Guyane. La peine ne fut pas appliquée, mais elles demeurèrent enfermées au Sanitat de Nantes, où Marie Gauguin mourut. Le 30 octobre, le Tribunal reçoit Guillaume Lepré, chirurgien du Croisic, qui avait accepté les fonctions de maire, pendant les jours de l'occupation royaliste ; il est déféré devant celui de Nantes et condamné à mort. Il y eut à partager son sort un autre du même nom, Joseph, vitrier au Croisic, qu'on avait fait lieutenant de la milice bretonne et un troisième, habitant de la ville, Lelantier, qui s'était laissé nommer greffier de la municipalité Lepré. Après sept condamnations à mort et de nombreux mandats d'arrestation et d'emprisonnement, le Tribunal de Guérande clôtura ses séances, le 3 novembre. [Note : Voir La Justice révolutionnaire à Guérande, par M. Lallié].

Le sinistre Chottard, après la réoccupation de Guérande par les républicains, fut choisi comme commissaire du directoire exécutif pour le canton et il en sut remplir les fonctions avec zèle [Note : Parmi les Administrateurs du District et de la Commune, nous pouvons citer : Le Bail, Masson, Crespel, Busson, Ruel, Leforestier, Mahé, Loyseau, Noize, Dory, Jagorel, Le Borgne, Le Torzec, Payen et Chottard. Le 31 août, on commença à appliquer la loi des Suspects : cependant les Comités de Surveillance et de Salut public ne furent organisés que le 24 novembre].

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Mais il nous tarde d'en venir aux Sœurs hospitalières qui gouvernaient les maisons de charité de la ville et à ces nombreuses tertiaires, vivant dans leurs familles ou isolément, mais formellement rattachées à des congrégations disparues et supprimées.

Ces pieuses femmes qui s'étaient faites les humbles et dévouées servantes des pauvres et des malades auraient dû être au moins épargnées, ce semble, et mises à l'abri des persécutions ; mais non, leur tour arrive. Il faut attendre le mois d'octobre 93, pour que la Convention en vienne jusqu'à ce point extrême. « Toutes les filles, attachées à des ci-devant congrégations de leur sexe, au service des pauvres, au soin des malades, qui n'auraient pas encore fait le serment dans le temps, seront déchues dès cet instant de toutes les fonctions relatives à cet objet ». Il est question ici du serment d'Égalité qu'à la rigueur une conscience catholique pouvait prêter, mais qu'en général on refusa à peu près partout. Déjà, dès 92, année où il fut décrété, le Département l'avait exigé et poussait les districts à prendre la même mesure contre les religieuses hospitalières. A Guérande on y mit de l'empressement, car au mois de juin on fit violence aux Administrateurs du Croisic pour congédier les trois Filles de la Sagesse qui ne se résignaient pas à jurer ; mais le Bureau de la municipalité s'y était opposé, ne trouvant personne capable de les remplacer. Guérande comptait deux de ces admirables religieuses, qui tenaient la pharmacie et visitaient les pauvres et les malades ; nous pensons qu'elles s'appelaient Manot et Rabeau ; mais elles n'étaient connues que sous leurs noms de religion. Réfractaires au serment, comme toutes celles de leur Ordre d'ailleurs, elles furent arrêtées le 6 germinal an II et conduites à Nantes, avec beaucoup de tertiaires pour subir la détention. On avait accusé ces saintes filles d'avoir repris leur costume, fréquenté les brigands, tenu des propos incendiaires. C'est pourquoi les membres du District et de la Municipalité, de concert, s'étaient décidés à prendre des mesures de rigueur « pour purger le pays, écrit-on, de ces suppôts de fanatisme, ces démons de la discorde ». Jusqu'à cette époque, quoique n'exerçant plus leurs fonctions charitables, elles étaient restées en ville, reçues dans quelques maisons amies [Note : Le District leur avait défendu de porter en public leur costume religieux. — Arch. dép. L. 1009] ; leur pharmacie avait été adjointe à l'hôpital qui eut d'abord pour directrice la citoyenne Renaud, puis après la citoyenne Junisson, toutes deux fort incapables et peu probes.

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En même temps que les Filles de la Sagesse, les tertiaires de l'Hôtel-Dieu et de l'Hospice-général avaient dû quitter leur emploi, car presque toutes refusèrent le serment exigé. Ces tertiaires n'étaient pas des religieuses proprement dites, mais elles furent regardées comme telles par leurs persécuteurs. En dehors de celles employées au ministère de charité, il y en avait beaucoup d'autres, répandues en ville et à la campagne : elles furent également inquiétées.

Les unes, dites du Mont-Carmel, avaient leur centre religieux à la Collégiale, sous la direction de M. de Boisfleury ; mais elles se réunissaient ordinairement en la chapelle Sainte-Anne du cimetière : ce sont celles-là qui gouvernaient l'hospice Saint-Louis. Les autres, suivant la règle de saint Dominique, relevaient d'un Père Jacobin et s'assemblaient au devant de l'autel Saint-Avertin. Enfin il y avait les Franciscaines, moins nombreuses et conduites par les Capucins du Croisic.

La supérieure des tertiaires Carmélites était Jeanne Bouilland, qui avait succédé à Jeanne-Marie Le Borgne, morte en 1790 ; mais celle qui était à la tête de l'Hospice Saint-Louis s'appelait Jeanne-Louise de la Yonnais. Elle fut une des premières victimes ; on disait d'elle, « d'autant plus dangereuse que plus intelligente ». Quelques jours après la reprise de Guérande, elle fut arrêtée à la Chapelle-des-Marais où elle s'était retirée et cela sur la dénonciation du sacristain qui l'accusa d'avoir procuré aux prêtres insoumis ce qu'ils lui demandaient pour célébrer la messe durant le séjour des Brigands dans la contrée. Le Tribunal de Guérande, après un premier interrogatoire, la fit conduire à Nantes, où, internée au couvent de la Visitation, elle en subit un second. Après quelques jours de détention on la relâcha [Note : Les Religieuses Nantaises durant la persécution révolutionnaire, par l'auteur].

Mais c'est en germinal et floréal an II que toutes ces tertiaires furent mises en demeure de jurer. Après les avoir rassemblées au chef-lieu du District, on les interpelle, chacune en son particulier, pour savoir si enfin elles se décident à faire le serment. Harcelées par leurs familles, craintives devant les menaces, ignorantes pour la plupart des conséquences de leur acte, 42 faiblissent ce jour-là et 17 refusent énergiquement. Mais, dans la suite, mieux informées et plus libres, presque toutes se rétractent, comme la Sœur Olive de la Croix et la Sœur Maurice dont les rétractations ont été conservées. En un même convoi elles furent conduites à Nantes pour subir la détention jusqu'à la paix, « étant suspectes de fanatisme et d'aristocratie », dit le jugement.

Englobée dans ce groupe de tertiaires, se trouvait Jeanne-Madeleine Hugon, une vraie religieuse celle-là. Née au Pouliguen et nièce de M. Pélage Loyseau, le dernier chanoine de la Collégiale, elle avait fait profession à Nantes et, à l'heure des expulsions, elle faisait partie du Carmel de Guingamp. Revenue auprès de sa mère qui était veuve, elle s'affilia aux Sœurs tertiaires de l'Hospice de Guérande, pour échapper, croyait-elle, à la persécution. Elle fit donc partie de ce nombreux cortège de religieuses dont nous venons de parler et qui s'embarquèrent au Pouliguen pour Nantes. A peine avait-elle quitté sa mère désolée que les Autorités locales mettaient les scellés sur ses meubles. Nous ne pouvons les citer toutes, ces filles parfaitement innocentes et condamnées d'avance. Quelques-unes moururent en prison : Julie Bizeul, du Croisic, et deux autres, a-t-on avancé, mais dont nous n'avons pu retrouver les noms. Il y eut, quelques semaines plus tard, un autre convoi dirigé aussi sur Nantes : parmi celles qui s'y comptaient, nous pouvons citer Françoise Cavalin, Marie Quitte, Jeanne Lehuédé et Françoise Le Palludier. [Note : Libérée de prison après thermidor, comme ses compagnes, cette dernière revint à Guérande et fut admise à l'hôpital comme pensionnaire. Dans la suite elle se fit quêteuse pour l'église dépouillée de tout ornement et mourut après dans les sentiments d'une grande piété. — Il n'y avait pas que les religieuses devenues suspectes, mais toute personne attachée à ses croyances. En juillet 93, on fit à Guérande une rafle de celles qu'on appelait aristocrates et fanatiques, pour les incarcérer dans la maison Le Chauff, et même les envoyer à Nantes ; de Monti, de Sécillon, Boccandé, de Kerpoisson, des servantes, des hommes du peuple. On dit de Mlle Le Chauff, « très dangereuse, directrice de l'aristocratie ». L. 1011].

Nous ne devons pas manquer de joindre à toutes ces humbles persécutées les dames Ursulines qui étaient restées à Guérande ou dans les environs, à la suite de leur expulsion. Quelques-unes d'ailleurs y avaient leurs familles : ainsi Pélagie de Monti, réfugiée chez sa mère. Elle fut arrêtée le 4 octobre 93 et mourut de misères et de privations au Sanitat de Nantes, le 15 germinal an II, quelques semaines après la supérieure de l'hospice du Croisic. Jacquette Le Coq eut le même sort et décéda le 2 messidor ; de même il en fut de Catherine Chottard, morte le 19 vendémiaire et de Jeanne Amelot, le 21 frimaire.

Elles avaient été conduites à Nantes pour être jugées et incarcérées le 6 germinal précédent. Nous comptons : Marie Lemoine, Françoise Deniaud, Charlotte Rateau, Renée Le Coq, Marie-Françoise Moisan, Marie-Renée Le Pourceau de Trénéac, Jeanne Chottard, Catherine Forget, Marie Maillet, Françoise Amelot, Marie Hégo, Brigitte de Gouix, Jacquette Le Coq : presque toutes sont Ursulines.

Il en est une, Mme de Tréméac, qui avait été signalée à Vannes le 29 mai de cette année 93 ; c'est de là qu'elle revint à Guérande pour être arrêtée. Comme toutes celles qui survécurent, elle fut élargie le 13 nivôse an III. Madeleine Hugon, la Carmélite, rentra dans son Ordre rétabli, à Paris, puis à Nantes, où elle fut prieure et enfin à Guingamp, où elle mourut dans la même dignité et amèrement pleurée de ses sœurs.

De plusieurs Ursulines nous ignorons complètement ce qui arriva pendant la Révolution et après leur sortie du cloître, telles : Me Aoustin, Boullo, Mad. Fourré, Cath. Foys. Il en est d'autres qui durent se soumettre aux lois et ainsi échapper à l'emprisonnement, comme L.-V. Poisbeau, qui, elle, reçut une pension de 600 l., Jeanne Thierry, qui en sollicita une le 9 mars 93, et Gabrielle Troteau. Nous sommes persuadé qu'en général les converses prétèrent le serment de 92 et ainsi ne furent pas inquiétées dans la suite.

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Avant d'en finir avec les religieuses, nous pourrions faire mention de certaines, originaires de Guérande, qui sont venues s'y réfugier en quittant leurs couvents respectifs. Comme telles, il est évident qu'elles ne purent échapper au Comité de surveillance. Citons, par exemple, Mme la chanoinesse de Courson, arrêtée le 10 vendémiaire an II, et internée au Sanitat ; Me de Couëssin, fontevriste, obligée de quitter Guérande et de se retirer à Nantes, mars 93 ; Mme de Mondoret, chanoinesse de Blesle, mise dans la même nécessité et qui put obtenir un passe-port pour Jersey. Une tertiaire de Batz dut aussi émigrer, Agathe Haspo ; mais comme elle était partie sans autorisation, les scellés furent apposés sur son domicile, le 17 floréal an II. Olive Bernard, hospitalière de Guérande, s'expatria elle-même.

Les religieuses guérandaises, on a dû le constater, comme les ecclésiastiques, ont passé par la grande tribulation, et de même celles du Croisic. Pour refus de serment ou pour rétractation après l'avoir prêté imprudemment, elles ont été arrêtées et conduites à Nantes où, pour la plupart, elles ont comparu devant le Tribunal de Phélippes-Tronjoly, puis ont été incarcérées au Bon-Pasteur, où plusieurs sont mortes et où toutes ont beaucoup souffert.

Celles, restées dans le pays, ont rendu de grands services aux prêtres cachés. La tradition nous a gardé le souvenir d'une tertiaire franciscaine de la Chapelle-des-Marais, Marguerite Broussard, qui, en plusieurs circonstances, fournit des cachettes aux prêtres traqués et recherchés. On ne put jamais la faire jurer. Une autre de Pontchâteau, la sœur du maire, Pélagie Gouray, resta toujours ferme dans ses idées antirévolutionnaires, malgré toute la pression qu'elle eut à subir. On rapporte un trait de courage et de piété, accompli par la sacristaine de Saillé, Marianne Macé : ayant appris que les impies de Guérande avaient jeté dans une douve de la ville la statue de sainte Anne, vénérée dans la chapelle du grand cimetière, elle vint, pendant une nuit très noire, la retirer du cloaque qu'elle connaissait et elle l'emporta chez elle pour la conserver précieusement.

Mais que d'autres faits de ce genre, inspirés par la foi, sont aujourd'hui oubliés ou n’ont jamais été connus que de Dieu seul !

(Abbé P. Grégoire).

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