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Guérande : les membres du clergé paroissial (curé, vicaires, clercs et aumôniers) sous la Révolution

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Les membres du clergé paroissial de Guérande, curé, vicaires, clercs et aumôniers : leur conduite et leur sort pendant la Révolution — Evacuation du couvent des Ursulines — Difficultés que la persécution attire sur les administrateurs ; demande de troupes au département — Les Intrus dans les paroisses.

Le vice radical de la Constitution civile du Clergé consistait surtout dans cet article qui laissait le choix des curés au caprice des électeurs ; de sorte que les prêtres, recevant mission du peuple, ne pouvaient avoir juridiction sur les âmes.

On procéda quand même à ces élections illégales et scandaleuses dès les premiers mois de février 1791. Le district de Nantes dut donner l'exemple à ceux de la partie rurale. Ces opérations sont consignées dans des procès-verbaux, dont beaucoup ont été perdus. Ainsi pour plusieurs districts et en particulier pour celui de Guérande, nous avons à regretter l'absence complète des dossiers. Cependant les suffrages furent exprimés à peu près partout, mais il faut l'avouer, à grand'peine et même, en beaucoup de cas, ils se portèrent sur des sujets qui n'avaient pas juré ou qui n'acceptaient pas le poste qu'on leur donnait. A Guérande, comme M. Eon, le recteur, et ses vicaires passaient pour avoir prêté le serment on ne dut point se préoccuper d'en élire d'autres. L'un des vicaires, Thébaud, qui d'ailleurs ne s'était point rétracté de son serment fait dans les formes voulues, fut élu curé de Batz et s'empressa d'accepter.

M. Eon (François), vicaire perpétuel du Chapitre, comme on disait en droit, mais réellement recteur de la paroisse, depuis le 26 septembre 1784, jouissait, en même temps, de la chapellenie du Tréhoret, bénéfice attribué à la cure. Il crut, en son jugement, ainsi que deux de ses vicaires urbains, pouvoir préter un serment en des termes qui n'étaient pas sans laisser quelque doute dans l'esprit des administrateurs, On voulut donc bien s'en contenter pour ne pas soulever la population, déjà très surexcitée et à ce point que le Département envoya une troupe de 50 hommes pour maintenir l'ordre.

On accusa bientôt le curé de Guérande de ne pas publier au prône les décrets de l'Assemblée. Une lettre datée de Prinquiau, 18 avril, fait constater qu'à cette date, il s'était déjà rétracté de son serment du 23 mars précédent. Aussi dut-il quitter Guérande sans délai. Le ministère qu'il avait rempli ainsi que ses vicaires, avait été légitime canoniquement, parce que l'un et les autres jouissaient des pouvoirs concédés par l'évêque de Nantes et qu'ils ne les tenaient point des électeurs. Embarqué sur le navire « La-Constitution » à la Roche-Bernard, il ne prit terre que le 13 octobre de l'année suivante ; ce qui montre, à n'en pas douter, qu'il dut se retirer dans quelque cachette avant de quitter la France. Son séjour en exil fut de courte durée, car il décéda le 5 février 1793. Un certificat du curé de Santander nous apprend que ce digne ecclésiastique « reçut le Saint-Viatique et mourut dans le sein de l'Eglise catholique » [Note : Cette pièce est datée du 9 février 93 ; elle est apostillée par le consul de France et fut expédiée au District par voie diplomatique. — Arch. dép. L. 711]. Il eut à ses obsèques, comme assistants, environ 200 de ses compagnons d'exil.

Les deux vicaires de Guérande pour la ville étaient J. Bizeul, faisant en même temps l'office de sacrite, et P. Chelet, tous deux dans les mêmes conditions que leur curé pour l'affaire du serment prêté avec restriction et rétracté après.

M. Bizeul, né à Guérande même, bénéficier de N.-D. la Blanche, se retira à Redon et se rendit en Espagne où il resta jusqu'à l'an X, époque où il rentra dans sa patrie et se fixa à Guérande. Au rétablissement du culte, M. de Bruc le garda comme vicaire et c'est dans cette charge qu'il mourut le 28 août 1814.

M. Chelet, né à Batz, et ordonné en 1782, se dirigea sur Pénestin ; puis à Pénerf, il s'embarqua pour Santander, où il entra comme novice au monastère des Hiéronymites ; sa mort arriva en 1800.

Il y avait, à Guérande, des vicaires ruraux, à Careil, Trescalan, Clis, Saillé et la Madeleine.

Un seul desservait la chapelle frairienne de Careil, M. René Anézo, né à Herbignac, prêtre de 1764 ; il jouissait, en même temps, du bénéfice de Saint-Jean l'Evangéliste. Par suite de son refus de jurer, on le mit dans l'obligation de quitter son service, suivant les décrets du 6 juin et du 9 décembre 91. Les habitants le redemandèrent avec d'autant plus d'instance qu'il n'avait pas été remplacé, 11 janvier 92. Cette date nous montre qu'il était resté dans le pays. Mais il dut, lui aussi, s'expatrier en Espagne, ce qui nous est prouvé par la requête de ses parents du 29 frimaire an II, pour obtenir la levée de séquestre sur ses propriétés.

M. Pierre Ollivaud, chapelain de Trescalan, eut l'imprudence de faire le serment, et, malgré lui, il fut élu curé de Mesquer. Mais il s'était rétracté le 26 février. Parti pour l'Espagne, il n'en revint qu'à la pacification générale et se fit chapelain de Méan, et de là à Saint-Malo-de-Guersac, où il mourut, eu 1801.

A Trescalan, il y avait deux prêtres desservants : l'un avait le titre de vicaire et l'autre, avancé en âge, semblait un habitué de la chapelle. M. Thomas Hervé, le premier, avait prêté un serment qui fut jugé insuffisant ; on dit aussi de lui « qu'il a juré, mais s'est rétracté », 17 novembre 91. Il dut se cacher dans quelque retraite, ou bien se rendre à l'étranger. Une chose indubitable et bien établie, c'est que dès l'an IV il était de retour à Guérande, car de l'Administration cantonale on écrit, 14 avril 96 : « Qu'il n'y a dans le pays que le prêtre Hervé qu'on a recherché plusieurs fois sans pouvoir le saisir ». Il serait mort à l'Auvergnac.

Le prêtre habitué de Trescalan s'appelait René Bodet, né à Missillac en 1725 ; il avait été recteur de Saint-Brevin, dit-on de lui. Amené par la gendarmerie à Guérande le 26 août 92, sur l'ordre du président du Département, il fut immédiatement après transféré de là au Château de Nantes, puis, avec bien d'autres, aux Carmélites ; enfin le vénérable vieillard périt dans la fameuse noyade de la nuit du 16 au 17 novembre 93, victime de sa fidélité à l'Eglise et à son sacerdoce.

Jean-René Mollé-Pichon, né au Poulignen, était vicaire rural de Saillé. Lui aussi avait prêté le même serment conditionnel que ses confrères et que d'ailleurs il se hâta de rétracter. On le rechercha après l'invasion de Guérande en 93 et fut gravement inquiété dans l'affaire. Le 20 germinal an III, il est constaté qu'il aurait fait sa soumission devant la municipalité de Batz ; mais, malgré cela, il fut encore obligé de se cacher sous le Directoire. On rapporte qu'il mourut d'un refroidissement contracté en fuyant devant les gendarmes qui le poursuivaient au milieu des marais.

Philippe Perraud, né en 1750, ordonné en 1778, après avoir vicarié en plusieurs paroisses, s'était retiré au village de Clis dont il desservait la petite chapelle ; il habitait, selon la tradition, dans la maison appelée maison de campagne des évêques. Après sa rétractation, il fut pris par la gendarmerie de Pontchâteau et conduit à Guérande. Condamné à mort à la suite d'un jugement, il eut la bonne fortune de s'échapper de la prison, la veille même de son exécution. Nous reviendrons sur ce fait. A l'époque de la réorganisation des églises et des paroisses, le nouvel évêque du diocèse le nomma curé d'Escoublac ; c'est là qu'il finit sa vie agitée, 14 janvier 1812.

Le seul du clergé paroissial de Guérande qui, dès le principe, ne s'était point mépris sur la gravité du serment constitutionnel, c'était le vicaire de la Madeleine, Pierre Santerre. Il était natif de Férel. On essaya de le remplacer par un jureur, mais comment aurait-on pu en trouver ? Nous ne savons rien de précis sur la vie errante et mouvementée qu'il dut mener pendant la Révolution. De son nom, de la même famille et de la même paroisse, on connaît deux autres prêtres, victimes de la persécution : Jacques, guillotiné à Lorient, 19 messidor an II, et Julien, déporté à Cayenne et y ayant trouvé la mort. Voilà une trinité de martyrs dont Férel doit s'honorer.

A Saillé, il y avait un second vicaire, Jacques Thébaud, que nous ne devons pas omettre, malgré ses infidélités et ses scandales. Il se fit élire curé constitutionnel de Batz et alla jusqu'à l'abdication de son sacerdoce éternel. M. de Tréméac, ayant été nommé curé de la Cathédrale, comme nous l'avons mentionné précédemment, eut pitié de ce pauvre égaré, le demanda même comme vicaire dans le but de le ramener à l'honneur et au devoir. Ce malheureux prêtre, repentant de ses erreurs, mourut à Nantes le 16 août 1818.

Nous ne pouvons aussi manquer de joindre aux ecclésiastiques de la paroisse de Guérande et dont nous venons de rappeler le souvenir, certains autres habitant la ville, comme aumôniers de communauté ou retirés du ministère.

D'abord c'est M. Chaussun, aumônier des Ursulines, et natif de Besné. Après l'expulsion des religieuses qu'il dirigeait, il resta en sa maison pendant quelques mois ; mais bientôt il dut venir à Nantes pour répondre aux appels quotidiens, auxquels on obligeait les insermentés. Du château, où il fut enfermé, il s'expatria et s'embarqua pour l'Espagne le 10 septembre 92. D'après un document qui fait preuve, il résidait encore à Santander en 1799. A son retour dans le diocèse, on le nomma curé de Sainte-Reine ; sa mort arriva le 15 septembre 1815.

L'Hôpital-Général avait aussi un aumônier, M. Bouthereux, qui précédemment avait été vicaire de Saint-Aubin pendant de très longues années.

On affirme de lui qu'il fit le serment et qu'il mourut dès l'année suivante, en 1792.

Un ancien aumônier, M. René Monnier, déjà d'un âge fort avancé, s'expatria en Espagne. Sans cette fuite loin de la patrie, il eut été une victime des noyades. En débarquant à Saint-Nazaire, en 1802, il périt d'un accident.

Enfin nous en connaissons un dernier qui autrefois avait été aumônier des Ursulines ; il habitait près la porte Vannetaise et s'appelait Julien Michel. Ce qu'on sait de lui d'une manière certaine, c'est qu'il finit à Nantes ; une tradition ajoute qu'il aurait été noyé en Loire vers 1795. Pourtant à cette date on ne noyait plus. Mais il y en a un autre qui certainement a connu cet affreux supplice, inventé par le monstre Carrier : M. Le Palludier, retiré à Trescalun depuis 1787, après avoir été recteur de Saint-Lyphard. Son origine était guérandaise et sa naissance remontait à l'année 1827.

Il nous faut clôre cette longue liste de prêtres martyrs en ne faisant qu'une simple mention d'un autre qui ne mériterait pas d'y figurer, mais que l'impartialité de l'historien oblige à nommer, Jean Radal de Poissevin, chapelain de Sainte-Barbe et Saint-Armel. Le serment qu'il prêta en mars 91 ne lui porta pas bonheur : il mourut à l'hôpital, âgé de 77 ans, le 4 mai 1795. Son nom reviendra forcément sous notre plume dans la suite.

Mais les jeunes clercs guérandais ont donné de si beaux exemples de leur fidélité à l'Eglise qu'il nous plaît de les associer ici à leurs aînés dans le sacerdoce.

C'est d'abord Thomas Audrain. Il ne devait avoir reçu que la tonsure. Il passa les années les plus terribles de la Révolution, on ne sait où et comment ; mais, sous le régime du Directoire, il fut arrêté et emprisonné. On le compte parmi ces victimes qui moururent de misère et de faim sur les Pontons de Rochefort, en 1798.

Pierre Braire (un nom bien guérandais), clerc-minoré de Saillé, où il faisait les fonctions de maître d'école, s'expatria en Portugal et passa ensuite en Espagne. Il y aurait embrssé la vie religieuse dans un couvent de Franciscains, serait devenu gardien de celui de Torres et supérieur d'un séminaire. Selon la tradition, il décéda en 1810 ; d'après le maire Chottard, beaucoup plus tôt ; car celui-ci écrit au préfet en 1802 : M. Braire doit être regardé comme déporté et non comme émigré ; et, puisqu'il est mort, ses biens doivent revenir à ses parents.

François Muterse, né à Guérande, précepteur à Saint-Nazaire, était entré dans la cléricature, mais nous ne savons à quel degré. Une lettre de la municipalité de Guérande porte (14 thermidor an III) qu'il n'a pas fait constater sa résidence en France depuis le 6 prairial et qu'il doit être rangé parmi les émigrés. De retour en sa patrie, vers la fin des troubles, il est décédé à Nantes sous la Restauration.

Guillaume Ollivier, acolythe, né à Guérande et étudiant à l'Oratoire de Nantes, émigra en Portugal et devint professeur à l'Université de Coïmbre. Rentré en France, il se fit Frère des Ecoles chrétiennes. On dit qu'il mourut en sa ville natale vers 1836.

Gilles Jagorel, aussi de Guérande, tonsuré le 6 juin 1789. On raconte de lui qu'il s'expatria en Espagne, passa plus tard en Italie et mourut à Naples.

Un fils du sénéchal, Fidèle Le Péley de Villeneuve, avait reçu la tonsure et possédait un bénéfice à Guérande, comme on l'a constaté par la déclaration faite en son nom ; il voyageait à l'étranger quand la Révolution éclata et ne dut rentrer dans sa famille qu'après les troubles passés.

Nous pouvons donc conclure que ces jeunes ecclésiastiques, non encore engagés irrévocablement dans les Ordres sacrés, demeurèrent néanmoins fidèles à leur vocation, pour la presque totalité, imitant en cela les chanoines et les prêtres de Guérande [Note : Si nous devions nous occuper des autres ecclésiastiques nés à Guérande et remplissant différents postes dans le Diocèse, nous ferions constater que presque tous restèrent dignes de leur sacerdoce, comme les deux frères Bédard, l'un doyen de Châteaubriant, l'autre desservant du Petit-Auverné ; J.-B. Bizeul, vicaire à Vieillevigne, frère de celui de Guérande ; J. Rué, génofévain et recteur du Pin, etc.].

On l'a vu, plusieurs de ces derniers, se cachant dans certaines familles chrétiennes, restèrent à la disposition des catholiques jusqu'à l'arrêté du Département qui les obligea à demeurer à Nantes, juin 1792. Quelques-uns cependant n'obéirent point à cette injonction et purent se soustraire aux recherches de la police et aux dénonciations du Comité de surveillance et des clubs, selon que nous le raconterons plus loin.

***

Le tour des religieuses Ursulines, laissées pour un temps dans leur monastère de la Porte-Calon, va venir. Suivant le décret du 17 août 92, qui ordonnait l'évacuation des couvents de femmes avant le 1er octobre, les administrateurs du district durent se présenter chez les Ursulines pour leur faire notification de la loi qui les expulsait.

Déjà d'ailleurs elles avaient été inquiétées à plusieurs reprises. L'année précédente, le 3 Octobre, le directoire avait décidé à leur sujet « qu'étant une cause de désordres pour le pays et que chaque dimanche matin il se fait dans leur église un rassemblement considérable de personnes, sans doute prévenues par elles et par le prêtre insermenté dont elles se servent, les portes de la clôture seront ouvertes aux délégués et elles auront à renvoyer leurs pensionnaires ». Il ne s'agissait ici que du renvoi des jeunes filles, élèves de la maison ; mais les dames, retirées chez les Ursulines, pouvaient encore y demeurer.

Elles avaient été mises en demeure de prêter le serment, comme institutrices de la jeunesse : toutes refusèrent énergiquement. Sept jours après, le District écrivait au Département : Par le refus de serment, elles se sont mises dans l'impossibilité d'exercer leurs fonctions de l'instruction publique attachée à leur Institut ; elles se sont par là-même dépouillées de la jouissance de leurs biens qui ne leur a été conservée qu'à cette fin. Par conséquent, elles devront dans la huitaine renvoyer leurs élèves, âgées de moins de 25 ans, et remettre tous les titres dont elles sont dépossédées [Note : Arch. dép. L. 803].

Le 1er octobre, dernier terme pour quitter leur couvent passe pour elles sans incident : elles attendent anxieusement leur expulsion et sont prêtes à sortir. Ce jour-là, de leur côté, les administrateurs, très contrariés de leur résistance, délibèrent sur la manière d'agir dans la circonstance. Le lendemain deux délégués frappent à la porte du couvent et y pénètrent, tenant en mains le procès-verbal d'inventaire, rédigé précédemment. Le recollement se fait minutieusement et cela dure deux jours : ce ne fut donc que le 4 octobre que les Ursulines de Guérande sont forcées d'abandonner ce cher asile où elles avaient espéré de demeurer jusqu'à la mort. La plupart restent en ville, dans leurs familles ou chez des personnes amies qui veulent bien les recevoir. Encore un peu de temps et la persécution qui se fera plus violente les dispersera au loin ou les enfermera dans la prison du Bon-Pasteur de Nantes. Là quelques-uns mourront de privations et toutes souffriront affreusement.

***

Ces mesures de rigueur, prises contre le Clergé et les Communautés, rendaient difficiles l'exercice des fonctions administratives. Ceux qui sont au pouvoir l'avouent eux-mêmes, écoutez-les : « L'autocratie des ci-devant nobles, celle des prêtres et du club monastique laissent aux officiers, chargés de la sécurité publique, les plus vives inquiétudes. Tous les jours, des menées sourdes que nous surveillons, afin d'arrêter des manœuvres qui font craindre les mêmes événements que plusieurs pays ont déjà éprouvés. Nous avons demandé ci-devant 100 hommes pour la sùreté des élections et nous n'avons pas été assez heureux pour obtenir de vouse une réponse qui nous donnât satisfaction que par l'arrivée imprévue de 30 dragons que nous voyons avec désagrément nous prévenir de leur départ pour le 17 de ce mois.

Vous connaissez trop bien les besoins que nous avons de la force des troupes, puisque nous ne comptons pas parmi nous 80 patriotes ! pour nous en refuser. Ceux que nous avons nous ont communiqué leurs ordres pour partir le 17. Nous vous prévenons que le Bureau a arrêté, sur le réquisitoire du procureur de la commune, que nous ne pouvons les laisser partir, sans que préalablement ils soient remplacés. Le moindre intervalle à ce remplacement serait le moment des rebelles. Le District et la Municipalité seraient exposés à l'incendie et les administrations attaquées.

Ce qui nous autorise à ne pas donner au détachement la route du retour qu'il doit entreprendre, qu'il ne soit remplacé, 50 hommes de dragons sont ici nécessaires pour repousser le efforts des hommes mal intentionnés. Ne nous laissez donc pas devenir les victimes des méchants. Nous avons lieu de l'attendre, ayant droit au secours public, comme tous les autres citoyens du Département.

Nous avons l'honneur d'être fraternellement, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs.

Les membres du bureau de la Municipalité : Moysen, Hardouin, Dufrexou, Le Borgne ». [Note : Fonds Dugast-Matiffeux, XXII, 20, 1. Bibliothèque municipale de la ville de Nantes. — Pièce complétement inédite].

Cette lettre est un cri d'alarme et d'anxiété, jeté aux administrateurs du département, et qui nous montre que Guérande n'était pas encore républicanisé à la mesure des persécuteurs de la Religion.

A Batz, la tranquillité ne régnait point non plus et le chapelain de Saillé, devenu curé constitutionnel, ne coulait pas que de beaux jours. L'ancien recteur se tenait caché dans la paroisse et gardait l'estime de la population qui en avait fait le premier maire de la commune. Un de ses vicaires, M. Guihard, qui desservait le Pouliguen et qui lui-même avait été élu procureur, portait beaucoup d'ombrage à Thébaud. Celui-ci fit si bien qu'on l'arrêta et qu'on le conduisit à Nantes, escorté de quatre dragons, juillet 91. Dans son interrogatoire, il comprit qu'on l'accusait de s'occuper de l'éducation de jeunes garçons qui n'avaient jamais porté la cocarde tricolore ni monté la garde. Ces accusations ne tenant pas, on le relâcha et il revint au Pouliguen. A son retour, la joie populaire fut telle que le District crut bon d'envoyer 15 hommes de troupes pour assurer le bon ordre et décida de tenir M. Guihard en détention « jusqu'à ce que les affaires aillent mieux, car ; tant que les prêtres seront dans leurs paroisses, la division existera entre les citoyens ». [Note : Arch. dép. L. 676. — C'est Chottard qui écrit cela].

Certes, l'intrus, au milieu de ces agitations, n'était ni heureux, ni tranquille dans son presbytère de Batz. Il avait d'ailleurs contre lui la municipalité, dont il dit « qu'elle est absolument fanatique et se fait gloire de s'oposer au nouvel ordre de choses ». Il menace le District de se retirer de la commune, si l'on ne prend pas d'énergiques mesures [Note : Arch. dép. eodem].

Au Croisic, les choses se présentaient autrement : c'était la lutte entre M. Crossay, le recteur, et les municipaux. Dès le 15 janvier 91 les difficultés avaient commencé„ quand il se fut agi de prêter serment ; les trois prêtres n'avaient pas voulu obéir aux injonctions du maire, et pourtant, au mois de mai, ces prêtres exerçaient encore leur ministère. M. Crossay refusa énergiquement de donner lecture d'une lettre pastorale du prétendu évêque Minée : ce fut le comble. Le 12 juin il avait ête obligé de céder la place à Coqueret, un ancien Carme de Vannes, qui venait enfin d'être élu curé du Croisic. M. Baudet, un vicaire, dut disparaître comme son recteur ; M. Bertho, l'autre vicaire, malgré une pétition pour le garder, suivit l'exemple de ses confrères et s'expatria. Au 8 juillet, les municipaux écrivent au District : « Nous ne connaissons d'autres prêtres réfractaires que le sieur Chevalier qui arrive de St-Sulpice de Paris, il y a quinze jours ; nous lui avons défendu de dire la messe, n'ayant pas de pouvoirs de l'évêque. Il nous a obéi et nous n'entendons plus parler de lui ». [Note : Guillaume Chevalier, né au Croisic le 17 juin 1736, de la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, avait été supérieur du Séminaire d'Orléans et avait fait aussi partie de la Communauté de Saint-Clément de Nantes. Malgré la retraite (chez sa mère) où il voulut bien se tenir, on lui notifia de se rendre à Nantes, 22 décembre 91, pour répondre aux appels ; il fut accusé de fomenter des troubles. Les paroissiens de Batz et du Croisic demandèrent, à plusieurs fois, son retour, ainsi que celui des Capucins, janvier 1792 ; mais il s'expatria. Quand il reparut en 1795, il s'associa avec M. Joubert, pour travailler au rétablissement du Séminaire de Nantes ; il mourut en 1811].

Pour Montoir on avait compté, comme constitutionnel, sur un prêtre instituteur, nommé Rialland ; mais il dut s'y récuser ou n'y put tenir, car au 29 mai 92, en séance du Département, on écrit : « Les électeurs de Guérande sont convoqués à l'effet d'élire le curé de Montoir ». Le procès-verbal faisant défaut, nous ne pouvons affirmer qu'il y eut jamais un intrus à Montoir. A Saint-Joachim, qui avait été détaché de cette paroisse pour former une nouvelle commune, on ne connaît point, non plus, de curé constitutionnel.

Donges eut le vicaire, qui, après avoir été vice-gérant, obtint le titre de curé, premiers jours de juin 91 : il s'appelait Guigand ou Guingand, né à Besné. Celui-là eut l'avantage de se maintenir et même de devenir maire de la commune et receveur du canton. A Piriac, il en fut de même : c'est le vicaire Glais qui accepta la place de M. Bouchaud, le recteur qui s'était rétracté quelques jours après la prestation de son serment. Voilà deux paroisses où nous constatons qu'il n'y eut pas de révolte éclatante contre l'intrusion parmi les habitants.

L'élection de P. Olliveau, vicaire à Trescalan, pour la commune de Mesquer ne se fit pas sans de vives protestations, 25 octobre 91. Bientôt il se serait rétracté, devant l'attitude des paroissiens, et aurait passé en Espagne. Un prêtre habitué de Mesquer, qui était né à Kercabélec. Godard, presque impotent, se laissa élire curé de Saint-Molf, fin juin 91. Il n'y put rester longtemps et revint habiter sa paroisse natale.

A Pontchâteau, où les prêtres étaient en si grande vénération, on ne put réussir à faire une élection. Pour tenir lieu d'un assermenté, Minée envoya un de ses vicaires épiscopaux, un certain Bessejon, prêtre du diocèse de Clermont, qui avait déjà passé à Saint-Etienne-de-Montluc et à Blain. Il arriva à Pontchûteau en mai 92, mais il ne put exercer son culte [Note : Arch. dép. L. 742].

Un chapelain de Donges, P. Rabaz, âgé et invalide, fut choisi pour Besné. Arrivé en septembre 91, il n'y aurait séjourné que deux mois et revint à Donges pour mourir. L'expérience avait été douloureuse pour lui.

Sambron, indigne d'être né à l'ombre de la collégiale Saint-Aubin, étant vicaire à Montoir, fut élu curé constitutionnel de Crossac. Dans une longue lettre du 19 juillet 91, il raconte qu'il prit possession de sa cure, escorté de gardes-nationaux et en l'absence de la municipalité. Puis il entre dans certains détails qui nous donnent une idée de ses graves difficultés, éprouvées en cette paroisse foncièrement chrétienne. M. Vaillant et M. Le Sénéchal de Kerguisé, prêtres fidèles, le gênent beaucoup ; il demande leur éloignement. Ses jours sont exposés, écrit-il, aux plus grands dangers. Les habitants n'assistaient même pas à la sépulture de leurs défunts.

Au chef-lieu de canton, à Saint-Nazaire, nous voyons curé constitutionnel, Yves Guynois, ancien religieux de Vannes. Il avait prêté serment au Croisic, le 13 avril 91, et servit de vicaire à Coquerel pendant quelques mois. Ce n'est qu'en novembre qu'il fut installé comme curé constitutionnel à Saint-Nazaire. Certes, ce ne fut pas un homme heureux. Les paroissiens l'accusèrent de vol et de détournement ; après deux procès qu'il eut à soutenir contre eux, il fut emprisonné à Guérande.

Pour Escoublac qui avait eu le malheur de voir son recteur jurer et se maintenir dans sa cure, la surexcitation des gens fut si grande que ce triste prêtre fut mortellement blessé et obligé de se faire hospitaliser à Guérande où il mourut le 20 mars 94 [Note : Arch. dép. L. 700].

A Sainte-Reine et à Missillac, on eut massacré l'intrus s'il s'était présenté dans le pays, mais on n'en élut point.

Partout on désertait les églises occupées par ces élus de la Nation, sans mission et sans pouvoirs ; on refusait leur ministère. Isolement, humiliations, avanies de toutes sortes, telles ont été les moindres peines qu'ont endurées ces malheureux dévoyés.

Voilà toute l'histoire de l'intrusion dans le District de Guérande : cela est lamentable. Dans les paroisses dont nous n'avons point fait mention, l'on n'a pu trouver de constitutionnels.

Nous nous occuperons de Guérande au chapitre suivant et nous verrons que là aussi l'intrus ne s'y fit jamais installer.

(Abbé P. Grégoire).

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