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Géographie historique du pays de Guérande
du VIème au Xème siècle.

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Les origines de la ville. — La première église. — Le comte Waroc'h. — La seconde église. — Gislard. — Les invasions normandes. — Le siège de 919.

Note : BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE. — Cartulaire de l'abbaye de Redon, édit. DE COURSON, in-4°, 1863 (Docum. inéd. sur l'Hist. de France) ; — La Chronique de Nantes, édit. R. MERLET, in-8°, 1896 ; — Gallia Christiana, tome XIV, in-fo, 1856 ; — A. DE LA BORDERIE, Hist. de Bretagne, tome 1er, in-8°, 1896 ; — D. LOBINEAU, Hist. de Bretagne, in-f°, 1707 ; — D. MORICE, Preuves de l'Hist. de Bret., tome 1er ; — J. LOTH, L'émigration bretonne en Armorique, du Ve au VIIe siècle, in-8°, 1884 ; — L. MAITRE, Les Origines du temporel des évêques de Nantes et de la Collégiale Saint-Aubin à Guérande, in-8°, 1900 ; — D. F. PLAINE, Saint Salomon, roi de Bretagne et martyr, in-8°, 1895 ; — D. BÈDE PLAINE, La colonisation de l'Armorique par les Bretons insulaires, in-8°, 1899 ; — GRÉGOIRE, La Collégiale de Saint-Aubin de Guérande, in-8°, 1889 ; — H. QUILGARS, L'église Saint-Aubin de Guérande, ses origines et ses institutions, in-8°, 1905.

 

I. — LES PLUS ANCIENS MONUMENTS.

Les premières mentions de la ville de Guérande ne se rencontrent que dans des textes d'une époque relativement tardive. Il faut descendre, en effet, au milieu du IXème siècle, pour entendre citer cette ville, son église et quelques localités avoisinantes. Les chartes du Cartulaire de Redon qui ont conservé les premiers renseignements écrits sur Guérande, constituent le monument le plus précieux pour l'étude de la région guérandaise aux IXème et Xème siècles ; c'est elles qui serviront de base principale à la reconstitution des divisions territoriales de cette région antérieurement à l'an mille.

Au IXème siècle, sous l'influence des idées religieuses qui prenaient à cette époque un développement considérable, grâce aussi aux libéralités des princes bretons et de tous ceux qui subissaient l'ascendant de ces idée, les églises et les abbayes s'enrichirent de donations importantes dont les titres, conservés de nos jours, attestent, par leurs détails, la situation matérielle et morale des villes et des campagnes. Guérande, et son église surtout, étaient incontestablement, au milieu du IXème siècle, un centre très important. Comme tous les lieux célèbres, la ville était le rendez-vous de tous ceux qui voulaient conclure des contrats, arrêter des conventions, prendre des engagements matériels ou moraux. A la même époque la presqu'île de Batz était aussi en possession d'une église [Note : Pergit ad ecclesiam ipsius insolae (Baf) et visum quod viderat presbytero illic commanenti innotercit (ERMENTAIRE, Translatio S. Filiberti, I. 82, dans MABILLON, 554)].

L'importance qu'avait Guérande au IXème siècle, fit croire à M. de la Borderie que cette ville était « une fondation des Bretons qui, sous Nominoë, débordèrent au sud de la Vilaine et s'établirent dans l'espèce de péninsule comprise entre cette rivière, le bas cours de la Loire et la mer » [Note : Hist. de Bret. I. p. 87]. La science archéologique ne permet pas d'accepter une telle hypothèse C'est que, des fouilles faites dans l'intérieur de la ville, il résulte que l'origine de Guérande doit être reculée de trois siècles environ. Les travaux de reconstruction de l'église Saint-Aubin, opérés il y a une trentaine d'années, et des fouilles faites en 1899, ont amené la découverte de monuments du plus haut interêt qui révèlent d'une façon indubitable l'existence de la ville à la fin du VIème siècle.

L'un de ces monuments est un sarcophage de granit, conservé aujourd'hui dans la crypte de l'église, composé d'une auge recouverte d'un couvert en batière décoré de croix pattées, de cercles et d'imbrications. Sa forme et son ornementation dénotent un monument de la fin du VIème siècle [Note : E. LE BLANC, Les sarcophages chrétiens de la Gaule, in-f°, 1866. (Docum. inédits sur l'Hist. de France)]. Ce sarcophage chrétien ne peut être celui d'un homme vulgaire, mais d'un personnage important, d'un chef militaire ou d'un évêque. De plus, sous l'espèce de déambulatoire qui termine le chœur de l'église Saint-Aubin, existent, sous le dallage, les substructions d'une construction semi-circulaire de 1m 95 de diamètre. Les murs épais de trente centimètres, sont faits de petits moellons assez régulièrement taillés en petit appareil, reliés par un mortier blanc composé de chaux, de sablé et de coquilles d'huîtres. Dans cette construction singulière, M. Maître crut reconnaître « les restes d'une habitation civile qui fut utilisée pour l'érection du premier oratoire » [Note : L. MAITRE. Les origines du temporel, etc.]. Pour accepter cette hypothèse, il faudrait supposer ou bien que l'établissement du premier temple fut bien postérieur à la fondation de la ville, ou bien que cette construction circulaire n'était que le reste d'une villa gallo-romaine. La première explication est en contradiction formelle avec les habitudes des chrétiens de cette époque. Lorsque ceux-ci s'établissaient dans une région, ils commençaient par construire un temple autour duquel ils érigeaient leurs demeures. Il n'est pas possible aussi de voir dans le monument circulaire, les restes d'une habitation gallo-romaine : il n'a aucun des caractères des constructions de cette époque.

Cette construction faisait plutôt partie d'un ensemble de monuments, ou même d'un monument unique, dont les substructions furent retrouvées en 1875 par M. Muterse qui a recueilli et conservé des briques et du mortier offrant la même composition que celui qui servit à la construction circulaire. La brique n'a nulle apparence des terres cuites romaines, mais ressemble singulièrement aux briques que l'on retrouve dans les ruines mérovingiennes ; il en est de même du mortier.

On se trouve ici en présence des restes d'une église chrétienne, peut-être d'un baptistère destiné à l'immersion des catéchumènes ; et ceci est corroboré par l'existence d'une source à cet endroit. Comme tous les baptistères mérovingiens, celui de Guérande était édifié à proximité d'une nappe d'eau destinée à l'alimenter. Cependant, la disposition de l'ensemble des substructions peut laisser place à d'autres hypothèses.

On sait, en effet, que les baptistères primitifs étaient placés à l'ouest des églises : c'était une règle invariable. Or, d'après la disposition des ruines découvertes sous l'église de Guérande, le baptistère supposé se trouverait à l'Est. Mais d'autre part, l'exiguité de ce monument peut laisser croire à l'existence d'une absidiole d'un petit monument, trop peu considérable pour avoir servi d'église, mais répondant aux plans connus des premiers baptistères isolés. Un baptistère seul aurait été édifié en premier lieu, en attendant la construction d'une église rendue bientôt nécessaire par l'accroissement de la population. De plus, on ignore — et des fouilles, impraticables, pourraient seules le démontrer — s'il n'existe pas, à l'est du monument circulaire, les substructions de nouvelles constructions. La question d'orientation, en supposant l'édification successive d'un baptistère et d'une église, put être, du reste, rendue inobservable par suite de constructions particulières qui forcèrent à déroger à la règle générale.

Les baptistères primitifs étaient de petites constructions généralement octogonales, dans lesquelles se trouvaient une piscine ou cuve destinée aux baptêmes, et un autel pour la célébration des offices religieux. Un ou plusieurs côtés de ces constructions se terminaient en cul-de-four. C'est bien la disposition des substructions de Saint-Aubin. Mais la présence de substructions différentes, sous la nef et le chœur, obligent à croire qu'il existait, à une même époque, deux monuments religieux, l'un, un baptistère édifié à l'origine, l'autre une église construite à l'ouest pour répondre aux nécessités du culte.

L'architecture et la disposition de ces monuments primitifs ne peuvent être précisées. Du baptistère, la partie en cul-de-four est seule connue. De l'église, quelques débris de murs en petit appareil sont parvenus jusqu'à nous. Sans doute des fouilles méthodiques permettraient de lever le voile qui cache les origines de ces monuments antiques. Sous le chœur de Saint-Aubin, elles feraient connaître si le sarcophage de granit était isolé. Si l'on arrivait à prouver qu'il provient d'une crypte, les origines de Guérande s'éclaireraient d'un jour singulier ; car un sarcophage ainsi placé ne saurait être que celui d'un saint ou d'un très grand personnage. La présence même de ce sarcophage construit en pierre aussi dure que le granit et recouvert de sculptures que les artistes de l'époque gravaient d'habitude sur des pierres tendres comme le marbre ou la pierre blanche, prouve assez qu'on se trouve en présence du tombeau d'un homme placé bien au-dessus du vulgaire. Ses caractères attestent la fin du VIème siècle, et ces données archéologiques sont renforcées par les faits historiques.

 

II. — L'ETABLISSEMENT DES BRETONS DANS LE WENRAN.

S'il fallait en croire Sidoine Apollinaire, le premier établissement, dans le pays de Guérande, des Bretons chassés de leur île, daterait de la seconde moitié du Vème siècle. Cet écrivain rapporte en effet [Note : SIDONIUS APOLLINARIS, I, epist. VII, dans D. Bouquet, I, p. 781] qu'en 469 ou 470, l'empereur Anthémius menacé par Euric, roi des Visigoths, sollicita le secours des Bretons établis au nord de la Loire, Britannos supra Ligerim sitos. Le texte de Sidoine Apollinaire est trop vague pour permettre d'affirmer, comme on l'a fait, que ces Bretons, alors sous le commandement de Riothimus, étaient établis exactement sur la rive gauche de la Loire, dans la péninsule de Guérande. Ces Bretons, à la prière d'Anthemius, remontèrent bien la Loire, mais ils paraissaient venir plutôt du nord de l'Armorique. Après avoir gagné, par l'Océan, l'embouchure du fleuve, ils s'établirent chez les Bituriges d'où ils allèrent chez les Burgondes après leur défaite par Euric [Note : JORNANDÈS, De rebus Gothicis, XLV ; — GRÉGOIRE DE TOURS, Hist. Eccles., 11, 18 ; — J. LOTH, L’émigr. bret., p. 154]. D'aucune façon, il n'est donc possible de considérer les Bretons de Riothimus comme les ancêtres de la population bretonne de Guérande.

Mais les chroniques rapportent que les Bretons émigrés occupèrent la région qui est aujourd'hui le pays de Vannes, au milieu du VIème siècle. Leur chef, le comte Waroc'h, passa la Vilaine vers l'an 570 et occupa toute la région qui s'étend entre cette rivière et la Loire, c'est-à-dire la presqu'île guérandaise [Note : J. LOTH, L'Emigr. bret., p. 93]. Ce pays était presque complètement en ruines. Les invasions des IVème et Vème siècles avaient détruit les belles villas gallo-romaines, et les indigènes vivaient misérablement, n'osant rebâtir leurs luxueuses habitations qui avaient couvert le coteau de Guérande, et reprendre le commerce qui avait si puissamment enrichi les Gallo-romains.

Waroc'h était un chef militaire. Arrivant dans un pays dont il fit une facile conquête et que ses Bretons appelèrent le Wen-Rare [Note : Le pays blanc ou pays inculte], tant il était en friche et couvert de ruines, il établit sa demeure, ou mieux son camp, dans un lieu lui permettant de surveiller à la fois la région de la Loire, visitée à chaque instant par les Normands, et la Vilaine où un débarquement de ces barbares pouvait l'isoler du pays de Vannes et anéantir ses troupes. Il s'arrêta donc dans un lieu qu'il appela de son nom Aula Quiriaca, ou Cariacum, autrement dit la Cour de Waroc'h, et en breton Lesguiriac [Note : Les historiens bretons se sont demandés pendant longtemps où se trouvait située Aula Quiriaca. La Chronique de Nantes y a vu Guérande, et son opinion a été adoptée par d'Argentré : « Sous cet evesché — de Nantes — est située la ville de Guerrande ayant esté nommée ainsi que je trouve par les anciens, Aula Quiriaca. » (Hist. de Bret., p. 47, édit. 1669.) Pour Morlent (Précis sur Guérande et Le Croisic, p. 115), Aula Quiriaca est également Guérande, mais cet auteur pense que la ville s'appela d'abord Grannone, et changea ce nom au XIème siècle en celui d'Aula Quiriaca, au moment de la venue de l'évêque de Nantes, Quiriacus ! Pour Dom Bède Plaine, Aula Quiriaca n'est autre que Grannonum qu'il place a Guérande (La colonis. de l'Armor. par les Bretons insul., p. 26). M. de la Borderie, et M. Maître après lui, l'identifient avec Piriac ; et M. Orieux avec Chassay près Nantes (Bull. de la Soc. Archéol. de Nantes, 1898). — Or, Aula Quiriaca existait encore en 1572 sous la forme bretonne Lesguiriac (Arch. de la Loire-Inf., B 1473 : Aveu au Roi de la baronnie de Campzillon), et le texte qui la cite à maintes reprises en précise la situation d'une façon absolument exacte par l'énumération de tous les chemins qui y conduisaient ; Lesguiriac était sur le territoire de la commune actuelle de Piriac, entre le bourg et le port de Lérat. Aucun doute n'est désormais possible sur la position d'Aula Quiriaca. — Quiriac est devenu régulièrement Guiriac, en composition avec Les (J. LOTH, Aula Quiriaca et Les Guiriac, Revue celtique, XXIII, p. 205). Aula Quiriaca est le même nom que Cariacum, de Fortunat, forme sous laquelle on la retrouve dans une charte de Louis VI de 1123 (D. LOBINEAU, Pr., I, 548)]. Cette résidence du chef breton était située à la pointe de Piriac, entre ce bourg et le port de Lérat ; c'était peut-être l'ancienne habitation d'un riche gallo-romain que Waroc'h restaura et dont il fit sa demeure provisoire. Son nom a survécu à travers les siècles, et, en 1572, on la trouve encore nombre de fois mentionnée sous la forme Lesguiriac [Note : Arch. de la Loire-Inf., B 1473]. « Ce nom est une preuve certaine d'un établissement breton permanent (dans la presqu'île guérandaise) dès la seconde moitié du VIe siècle : Les indique très évidemment la demeure d'un chef. C'est, en général, le premier terme des résidences occupées par les chefs bretons » [Note : J. LOTH, Aula Quiriaca et Les Guiriac (Revue celtique, XXIII, p. 205)].

Aula Quiriaca fut le point de concentration des Bretons de Waroc'h, au sud de la Vilaine. Ces bretons n'eurent pas toujours le beau rôle de protéger les émigrants et d'assurer la reconstruction des bourgs et des villas de l'époque gallo-romaine, ravagés par les barbares. Ils étaient aussi des pillards qui poussaient leurs incursions jusqu'aux environs de Nantes et semaient autour d'eux la terreur aussi bien que les Saxons, rançonnant les indigènes et les emmenant avec eux en captivité. Leurs exactions furent telles que l'évêque de Nantes, Félix, résolut d'intercéder auprès de Waroc'h pour qu'il mit fin aux pillages de ses soldats. Waroc'h était chrétien ; ses Bretons aussi. L'évêque de Nantes quitta sa ville épiscopale et s'en fut trouver Waroc'h à son palais d'Aula Quiriaca. Cette intervention était aussi motivée par une autre cause. La région guérandaise qu'occupaient les Bretons, était alors revendiquée par les évêques de Nantes et de Vannes [Note : GRÉGOIRE DE TOURS, Historia Francorum, IV, 4]. Des textes semblent indiquer que ce pays était de fait sous la domination des évêques de Vannes [Note : Acta SS., mense martio, 1a die : In venetensi territorio... Guenran]. Félix voulait obtenir que Waroc'h remit sous sa juridiction le Wenran ; et en venant solliciter la protection du comte breton, il reconnaissait, en somme, ses conquêtes.

L'évêque réussit complètement dans ses desseins. Il reçut un accueil d'autant plus empressé que Waroc'h sentait la nécessité de se ménager l'appui de l'Eglise qui était une véritable force.

Durant son séjour à Aula Quiriaca, l'évêque de Nantes fut rejoint par un personnage considérable à l'époque, le poète Fortunat (Venantius Honoratus Clementianus Fortunatus), futur évêque de Poitiers, et secrétaire de la reine Radégonde qui s'était retirée dans le monastère de Sainte-Croix, fondé par elle à Poitiers, après sa séparation du roi Clotaire Ier.

Ce ne fut pas une rencontre fortuite, mais concertée avec l'évêque de Nantes qui entretenait avec Fortunat d'étroites relations d'amitié. Elle eut lieu quelques années avant 583, date de la mort de Félix. Dans une lettre à la reine, Fortunat lui narra son séjour à Aula Quiriaca et l'empressement qu'il mit à s'y rendre [Note : FORTUNAT, epistola 25 (édit. Nisard, p. 140)]. Le plaisir d'y rencontrer Félix ne fut pas le seul motif qui décida Fortunat à s'éloigner de Poitiers. La grande renommée dont il jouissait avait poussé l'évêque de Nantes à le prier de s'adjoindre à lui pour intervenir plus efficacement auprès de Waroc'h.

L'entrevue d'Aula Quiriaca fut, pour l'évêque de Nantes, pleine de conséquences heureuses. Après avoir remontré au comte que ses soldats, bien que chrétiens, avaient commis de véritables sacrilèges en pillant les lieux saints et en particulier une église qui se trouvait à l'embouchure de la Loire, à l'endroit où devait s'élever plus tard la ville de Saint-Nazaire, et qu'il convenait à un prince chrétien de réparer ces outrages par quelque manifestation publique de sa foi, Félix sollicita la protection de Waroc'h, et profita sans doute des bonnes dispositions du Breton pour lui faire reconnaître que le pays de Guérande dépendait de l'évêché de Nantes. Waroc'h se laissa convaincre : il s'empressa de doter richement [Note : GRÉGOIRE DE TOURS, De Gloria Martyrum, 61] l'église située à l'embouchure de la Loire, qui avait été pillée par ses soldats.

C'est à cette époque, et pendant cette entrevue, qu'il convient de placer la fondation du regaire épiscopal de Guérande, et l'origine du pouvoir temporel des évêques de Nantes dans la région guérandaise. Waroc'h offrit à Félix son palais d'Aula Quiriaca et ses dépendances, l'Ager Cariaca, ainsi que l’île Dumet, insula Aduneta, qui se trouvait en mer, à proximité du rivage. Ainsi fut établie d'une façon officielle et définitive la domination des évêques de Nantes jusqu'à la Vilaine. Il est vrai que les évêques de Vannes n'en continuèrent pas moins à revendiquer cette région comme faisant partie de leur diocèse, et au IXème siècle encore, certaines chartes de l'abbaye de Redon concernant le pays de Guérande sont datées du pontificat des évêques de Vannes, comme si la querelle n'avait pas encore pris fin, et s'il restait dans l'esprit de certains clercs, des doutes sur le bien fondé de la possession des évêques nantais.

La donation de Waroc'h à l'évêque Félix et à ses successeurs, dont il ne reste aucune titre, fut confirmée en 1123 par le roi Louis VI, avec les autres possessions de l'église de Nantes.

Félix, tout heureux de son succès, retourna à Nantes. Fortunat, de son côté, se rendit à Angers assister aux fêtes données en l'honneur de saint Aubin ; et pendant son séjour à Aula Quiriaca, il ne fut pas sans recueillir les souvenirs laissés par ce saint personnage dont il se fit le biographe et le poète.

***

La conquête du Wenran par Waroc'h fut donc d'abord toute militaire ; les Bretons prirent le pays par force, et s'y installèrent sous la protection de leurs armes. Ce fut une conquête armée avant d'être une conquête économique et politique. Elle fut faite au détriment des Gallo-romains soumis aux rois francs. La domination des rois francs entre la Vilaine et la Loire, à la fin du VIème siècle, est d'autant plus certaine qu'il faut attribuer à l'un d'eux des donations de terres faites dans cette région à une abbaye de l'Orléanais [Note : Voir le chap. IV, dans l'Origine des Paroisses, ce qui concerne saint Lyphard de Meung]. Les évêques de Nantes, avant Waroc'h, regardaient d'autre part ce pays comme faisant partie de leur évêché, et si ceux de Vannes ne cessèrent leurs prétentions sur lui, c'est qu'ils considéraient comme pays breton la conquête de Waroc'h et entendaient grouper sous leur obédience ce territoire peuplé de gens de leur race et non le laisser soumis aux évêques des Francs.

 

III. — ORIGINES DE LA VILLE DE GUÉRANDE.

Cependant les nécessités d'organiser le Wenran d'une façon stable, décidèrent Waroc'h à établir sa résidence définitive, et la capitale du pays qu'il venait de conquérir, dans une position plus centrale en même temps que plus rapprochée de la Loire. A l'embouchure du fleuve, un camp ou une forteresse en commandait la défense et suffisait à assurer la sécurité du vieux port gaulois ravagé par les Barbares. Waroc'h jeta les yeux sur un endroit où se croisaient de nombreuses voies romaines allant dans toutes les directions, entouré de nombreuses habitations gallo-romaines plus ou moins en ruines. Ces voies constituaient une précieuse ressource stratégique permettant d'accéder rapidement à un point menacé et de correspondre facilement avec les régions éloignées. Ce fut ce point que Waroc'h choisit pour édifier la capitale de sa conquête.

Comme tous les chefs bretons, Waroc'h était entouré de moines et de prêtres; leur première préoccupation, en s'établissant dans un pays, était d'assurer le service du culte en construisant un temple dans lequel le baptême pouvait être administré. Quelle coïncidence de retrouver avec ces données de l'histoire des ruines qui les confirment ! Les substructions du monument circulaire découvertes sous le chœur de Saint-Aubin, ne sont-elles pas les vestiges du premier temple chrétien édifié par les Bretons de Waroc'h ?

La construction de ce premier temple ne doit pas être de beaucoup antérieure à la visite que Félix et Fortunat firent au chef breton à Aula Quiriaca. Peut-être même à ce moment, c'est-à-dire vers 580, venait-il d'être achevé.

En effet, il paraît hors de doute que cette première église fut placée sous l'invocation de saint Aubin [Note : Voir chap. IV, cc qui concerne saint Aubin] et qu'elle reçut à cette époque des reliques de ce saint, au lendemain de l'entrevue d'Aula Quiriaca. Waroc'h n'avait pas été sans entretenir ses illustres visiteurs de la cité dont il poursuivait l'érection, et de leur en faire les honneurs ainsi que de son église à laquelle Félix dut prendre un intérêt tout particulier, lui qui avait doté Nantes d'une cathédrale sur laquelle Fortunat ne tarit pas d'admiration. Dès son origine, l'église ne fut pas en possession des reliques de son patron, mais ce trésor lui fut peu après accordé, grâce à l'intervention de Félix et de Fortunat qui la firent participer à la distribution des reliques de ce saint à laquelle Fortunat s'en alla assister en quittant Waroc'h.

***

Pendant deux siècles, les VIIème et VIIIème l'histoire reste muette sur la ville de Guérande. La disparition de Waroc'h laissa sa conquête sans défense et en proie à la rapacité des Normands, d'une part, dont les incursions, accompagnées de pillages, étaient continuelles, et aux descentes qu'y faisaient les Francs, désireux de rentrer en possession du territoire breton. Mais cet état de lutte ne paraît pas avoir appauvri le pays : au IXème siècle, le pays de Guérande était complètement organisé aux points de vue politique et administratif, et la ville se trouvait dans un état de prospérité superbe.

A cette époque, la ville primitive du VIème siècle s'était complètement transformée. La première église, peut-être détruite au cours d'une invasion, mais plutôt rendue insuffisante par l'accroissement de la population, avait été agrandie ou mieux complètement refaite. Les substructions de ce monument existent encore, un peu au nord-ouest des ruines du premier, entre la sacristie actuelle et le chœur de Saint-Aubin.

Elles sont formellement datées par une base de colonne, décorée de dents de scie et de chevrons, laissant entrevoir la première naissance des pattes. Le P. de la Croix date cette base de la fin de l'époque mérovingienne [Note : Lettre à l'auteur], c'est-à-dire qu'elle est environ de deux siècles plus jeune que l'église primitive, et daterait de la fin du VIIIème ou du commencement du IXème siècle.

Cette nouvelle église était, de la part du peuple, l'objet d'une grande vénération. Le rédacteur d'une charte de l'abbaye de Redon du milieu du IXème siècle [Note : Cartulaire de Redon, p. 370, anno 854. — Factum est... in ecclesiam Wenran ante sanctum altare in quo habentur reliquiæ S. Albini], prend soin de dire que cette charte a été passée dans cette église, devant l'autel où sont conservées les reliques de saint Aubin, comme si cet autel était l'objet d'un culte spécial connu dans un vaste rayon. Cette église devait être un monument autrement riche que la construction du VIème siècle faite uniquement pour répondre aux plus urgentes nécessités du culte. Un passage des Miracles de S. Aubin ne laisse aucun doute à cet égard. « Les habitants de la cité de Guérande, dit-il, portent à leur saint confesseur un saint amour, et le vénèrent après le Christ d'une façon remarquable, comme le prouve la magnifique basilique que leur zèle leur fit construire en son honneur » [Note : BOLLANDISTES, Acta Sanctorum, I, 62. — Cujus (vici Guenran) incolæ sanctum confessorem sancto venerantur amore, miraque post Christum colunt veneratione, quod magnifica illic probat basilica in ejus honorem ipsorum studio constructa].

 

IV. — LA RIVALITÉ D'ACTARD ET DE GISLARD.

Au milieu du IXème siècle, le comte breton Nominoë, après avoir lutté avec succès contre les Francs et soumis à sa domination presque toute l'Armorique, manifesta le désir de se rendre complètement indépendant et de prendre le titre de roi. Pour arriver à cette fin, l'appui des évêques qui constituaient alors une puissance considérable, lui était nécessaire ; et comme quelques-uns d'entre eux tenaient le parti des Francs, il fallait donc « ou les gagner tous ou trouver un moyen de chasser ceux que l'on ne pourrait séduire » [Note : D. LOBINEAU, Hist. de Bret., I, 2, p. 43]. Au nombre de ceux qui résistaient à Nominoë était Actard, évêque de Nantes. En 848, ce prélat restait seul adversaire du comte breton ; ses collègues de Vannes, de Dol, de Léon, de Quimper, qui n'avaient pas voulu se courber aux exigences du comte, avaient été déposés dans un concile réuni à Coëtiou, petite localité du Morbihan, par Nominoë, et remplacés par des créatures dévouées à sa cause. Restait Actard qui ne semblait pas disposé à se laisser, sans résistance, déposséder de son siège. Pour le remplacer, Nominoë avait un homme disposé à flatter ses ambitions et à servir ses desseins il s'appelait Gislard [Note : Consulter sur Gislard : Decreta Gratiani, causa VII, quæst. I, X ; — A. DE LA BORDERIE, Hist. de Bret., tome II ; — Id., Questions historiques bretonnes ; la collégiale de Guérande et l'intrus Gislard (Revue de Bret., de Vendée et d'Anjou, 1889, p. 64) ; — La Chronique de Nantes, édit. R. MERLET ; — J. LOTH, l'Emigration bretonne ; — DOM MORICE, Hist. de Bret., I, p. 44 ; — HINCMAR, Epistola XXXI (collect. Migne) ; — voir aussi les lettres adressées par les Papes aux souverains bretons à propos du conflit entre Gislard et Actard : POTTHAST, Regesta Pontif. roman., et Bibl. Nat., ms. fr. 22308]. Malgré son nom tout germanique, celui-ci était, au dire de l'auteur de la Chronique de Nantes, originaire de la ville de Vannes [Note : Gislardum ex urbe Venetensi progenitum (Chron. de Nantes)]. Nominoë l'avait laissé, dès 846, rallier autour de lui les Bretons du pays de Guérande ; et comme Gislard avait été consacré évêque dans une circonstance qui échappe à l'histoire, il avait entamé la lutte contre le franc Actard, en s'intitulant évêque de Nantes. Le pays de Guérande, et généralement toute cette partie de l'évêché de Nantes comprise entre la Vilaine, la Loire et une ligne allant de Savenay à La Roche-Bernard par Pont-Château, était habitée par une population entièrement bretonne de langue et de mœurs, établie dans cette région depuis la fin du VIème siècle. C'est elle que le nouvel évêque gagna facilement, et par laquelle il fut reconnu sans difficulté, tant elle plaçait son patriotisme breton au même degré que sa foi [Note : Suivant la Chronique de Nantes, rédigée il est vrai postérieurement à ces événements, Gislard gouverna l'église de Nantes pendant cinq ans, jusqu'à la mort de Nominoë (Gislardum... ecclesiam namneticam quinque annis, usque ad obitum Nomenoii rexit). Ce prince étant mort en 851, et Gislard ayant été déposé par Hérispoë la même année, Gislard commença donc à exercer ses fonctions épiscopales en 846. Or, comme Actard resta évêque de Nantes jusqu'en 850, Gislard résidait donc ailleurs qu'à Nantes, et comme il ne trouve place dans aucun catalogue épiscopal, c'était certainement à Guérande, au milieu de ses Bretons. Suivant M. GIRY (Sur la date de deux diplômes de l'église de Nantes), Gislard n'aurait quitté le siège épiscopal de Nantes qu'en 856 ; c'est d'autant plus inadmissible que la charte d'Hérispoë accordant des compensations à l'église de Nantes, est antérieure d'au moins un an à cette date, et que c'est précisément en partie pour réparer les torts causés à l'Eglise de Nantes par la querelle de Gislard et d'Actard, qu'Hérispoë lui fit une donation. On a prétendu que Gislard avait étendu sa juridiction jusqu'à la rivière du Semnon. C'est impossible. Dans cette région, qui fut appelée plus tard l'archidiaconée de la Mée, se trouvait une population soumise aux Francs et qui était hostile aux Bretons. Comment ces gens si différents des Bretons par la langue et les coutumes, auraient-ils pu accepter la juridiction de Gislard ?]. Gislard, champion des Bretons, en face d'Actard, le franc, avait, chez elle, cause gagnée d'avance.

Ne pouvant encore monter sur le siège épiscopal de Nantes où Actard résistait désespérément, Gislard, à l'instigation de Nominoë, s'installa en 846 à Guérande, en plein pays breton, la ville la plus importante du diocèse après Nantes. L'évêque breton était régulièrement consacré [Note : Ceci ressort d'une lettre du pape Nicolas Ier qui reconnaît valables les ordinations sacerdotales faites par Gislard (D. MORICE, Pr., I, 317)] ; de la magnifique basilique de Saint-Aubin il fit sa cathédrale, la dota d'un chapître de chanoines, et y exerça toutes les fonctions épiscopales. Par son approbation, formelle ou tacite, Nominoë donna l'existence légale aux institutions de Gislard.

L'évêché de Guérande ne fut naturellement reconnu par aucune autorité ecclésiastique [Note : POTTHAST, Regesta Pontif. roman] : les prêtres de la région bretonne furent les seuls membres du clergé à suivre Gislard qui, au surplus, se créa un nouveau clergé en accordant l'ordination à des clercs qui ne devaient certainement pas être des adversaires. Quant à l'évêque de Vannes, Courantgenus, il éprouva une certaine satisfaction en songeant que cette région de Guérande que ses prédécesseurs avaient toujours revendiquée, distraite de l'obédience de l'évêque de Nantes, allait sans doute lui être restituée par Nominoë au cas où la lutte contre les Francs viendrait à tourner à son désavantage.

Actard cependant, soutenu par l'empereur, était décidé à opposer au Breton une extrême résistance. Depuis quatre ans que durait le démembrement de son diocèse, il s'attendait toujours à voir Nominoë paraître devant Nantes avec une forte armée ; aussi avait-il pris soin de mettre la ville en état de défense. En 850, Nominoë parut enfin ; il se rendit maître de la ville en peu de temps, chassa l'évêque Actard et remit à Gislard l'administration de tout le diocèse [Note : Chronique de Nantes]. Le pape Léon IV eut beau le supplier de ne pas soutenir plus longtemps l'évêque de Guérande, qu'il qualifiait à cette occasion de voleur et de larron [Note : GRATIANI Decreta, Causa VII, quæst. I, can. X. — Non furem et latronem qualem Gillardum esse sentimus in namnetica sede ultra debes defensare], Nominoë n'en resta pas moins inébranlable. Pendant un an, ce prince jouit de son triomphe, mais à sa mort, en 851, son fils Hérispoé s'empressa de faire la paix avec l'empereur Charles le Chauve. Celui-ci exigea le rétablissement d'Actard sur le siège épiscopal de Nantes. Hérispoë céda ; en 851 Actard revint à Nantes tandis qu'Actard se retira à Aula Quiriaca [Note : Chronique de Nantes], dans son ancien diocèse de Guérande.

Le premier acte d'Actard fut de tenter de faire passer Gislard pour un intrus et un faux évêque ; et pour mieux frapper l'esprit des populations, il entreprit d'ordonner de nouveau les prêtres qui avaient reçu de Gislard la consécration sacerdotale. Mais le pape Nicolas Ier refusa de s'associer à ces machinations, en opposant aux prétentions d'Actard le refus le plus formel [Note : D. MORICE, Pr., I, 317].

Gislard songea de suite à reprendre sa juridiction épiscopale sur ses bretons de Guérande. Pour mieux marquer ses intentions, il s'était, à son départ de Nantes, retiré dans le domaine épiscopal d'Aula Quiriaca, attendant que les événements lui permissent de reprendre possession de l'église de Guérande. Mais la situation politique de la Bretagne s'était modifiée ; le résultat que visait Nominoë d'ériger son pays en royaume, était obtenu, et Hérispoë s'opposa aux desseins de l'ancien évêque de Guérande et ne l'autorisa pas à exercer dans cette ville les fonctions épiscopales [Note : L'hostilité qu'Hérispoë manifesta à Gislard est connue par une allusion qu'y fit ce prince dans la charte de donation qu'il accorda à l'église de Nantes, en 855. Il y est dit, en effet, que cette église avait été appauvrie par la domination d'hommes pervers, pravorum hominum potestate, phrase qui vise incontestablement Gislard. Ce texte a été publié par M. DE LA BORDERIE, Hist. de Bret., II, p. 529, et Défense d'un diplôme du roi Erispoé (Bull. archéol. de l'Assoc. Bretonne, tome IV, p. 161). M. GIRY l'a commenté en dernier lieu dans un article publié dans les Annales de Bretagne, XIII, p. 485, sous le titre : Sur la date de deux diplômes de l'Eglise de Nantes]. Gislard n'en continua pas moins d'intriguer ; d'Aula Quiriaca il mit tout en œuvre pour recouvrer son ancienne puissance, sûr que, toute la population guérandaise l'approuvait dans sa résistance.

Jusqu'à la mort d'Hérispoë, en 857, Gislard qui habitait le pays de Guérande, resta toujours en attente de quelque revirement dans les idées de son souverain. Quand Salomon monta sur le trône de Bretagne, Gislard crut le moment favorable pour tenter un dernier effort et faire pression sur l'esprit de ce prince pour le déterminer à lui rendre son ancienne dignité. Salomon parut assez bien disposé en sa faveur et chercha à prendre sa défense [Note : D. MORICE, Pr., I, 317] ; mais sans doute il recula à l'idée de se brouiller avec l'empereur et de renouveler une lutte qui pouvait devenir désastreuse pour son pays. Par la force ou la persuasion, il parvint à faire renoncer Gislard à ses prétentions [Note : HINCMAR, epistola 31, n° XI, dans la Patrologie latine, tome CXXVI, p. 218]. Ce dernier, voyant qué tout espoir était perdu, quitta Aula Quiriaca et se retira dans un monastère [Note : Suivant M. DE LA BORDERIE (Hist. de Bret., II, p. 102), Gislard aurait été livré par l'empereur Charles le Chauve au jugement des évêques qui l'internèrent dans le monastère de Saint-Martin de Tours].

La disparition de Gislard ne rétablit pas l'unité du diocèse de Nantes. Les nombreux partisans de l'évêque déchu de Guérande, refusèrent d'accepter l'obédience de l'évêque de Nantes. Quelques-uns s'offrirent à l'évêque de Vannes qui accepta avec empressement. Il s'en suivit entre les deux prélats une rivalité qui dura près de cinquante ans. La lutte fut particulièrement vive pendant les années qui suivirent immédiatement la disparition de Gislard, et jusqu'en 870, à ce point que le peuple ne savait trop quel était son véritable évêque. Les chartes de l'abbaye de Redon qui concernent les domaines de la région guérandaise, sont, en majeure partie, datées des années du pontificat de l'évêque de Vannes ; d'autres de celui de l'évêque de Nantes ; d'autres, enfin, — et celles-là furent rédigées aussitôt le départ de Gislard — portent à la date le nom de l'évêque de Nantes, Actard, et celui de l'évêque de Vannes, Courantgenus [Note : Cartulaire de Redon]. Cette espèce d'anarchie subsista jusqu'à la fin du IXème siècle. Ce n'est que vers l'an 900 que l'évêque Fulcherius réunit définitivement au diocèse de Nantes la région bretonne de Guérande [Note : Gallia Christiana, tome XIV, 807. — Memoratur quoque Nannetensis dioecesis partes Gislardi temporibus disjunctas recuperans] à la suite d'un voyage qu'il y fit et pendant lequel il reçut des guérandais un accueil excellent : ce fut la paix à jamais rétablie entre les bretons de Guérande et l'évêque de Nantes.

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La vie de Gislard est si peu connue qu'il est bien difficile de se faire une juste idée de ce personnage. Le pape Léon IV qui le qualifia de voleur, n'avait en vue que son élévation sur le siège épiscopal de Nantes, qu'il pouvait considérer à bon droit comme irrégulière et issue d'un coup de force. Mais ceci n'entache en rien la vie privée de l'évêque de Guérande, car s'il faut en croire un autre document, un catalogue de la reine Christine de Suède, Gislard aurait vécu une vie aussi exemplaire que celle des saints [Note : TRAVERS, Hist. de Nantes, I, 36].

En réalité, Gislard fut l'un des premiers soutiens de la cause bretonne et l'un des principaux acteurs de l'unité de la Bretagne. Contraint par les événements à abandonner l'évêché de Nantes, il aurait dû, à ce moment, comprendre que son rôle politique était fini et abandonner ses prétentions : son ambition ne lui permit pas ce sacrifice. Mais Guérande ne doit pas oublier qu'elle lui doit, avec la fondation de son chapitre de chanoines, la prééminence dont son église a toujours joui dans le diocèse.

 

V. — GUÉRANDE, DEPUIS HÉRISPOE JUSQU'A ALAIN-LE-GRAND.

Ce fut sous le règne de Nominoë que Guérande atteignit la plus grande splendeur qu'elle ait eue avant l'an mille ; et bien que son essort eût été entravé par les descentes fréquentes des Normands, le IXème siècle fut pour elle, et pour toute la région guérandaise, une période de relèvement et de grande prospérité. Malgré les luttes qu'ils durent sans cesse soutenir, les rois bretons et les comtes de Vannes à qui appartenait le pays de Guérande, vinrent fréquemment résider dans les domaines qu'ils possédaient aux environs de la ville.

Au mois d'août 855, le roi Hérispoë séjourna dans le pays de Guérande, à Aula Bilis, et profita de son passage pour offrir à l'abbaye de Redon une des salines de son domaine de Batz [Note : Bibl. Nat., fonds des Blancs Manteaux, n° 46, p. 418; — Cart. de Redon, suppl. n° XLIII ; — D. LOBINEAU, Pr., II, 58] et la villa de Granbudgen, située dans le plebs de Piriac, ainsi que ses dépendances des villages de Grain et de Kerven.

Salomon, successeur d'Hérispoë, visita au moins une fois la ville de Guérande et fit un séjour à Aula Barrech en juin 861, 867 ou 872 [Note : La date de la charte convient également à ces trois années (A. DE LA BORDERIE, Chronologie du Cart. de Redon)]. Son passage fut marqué par la confirmation des dons faits à l'abbaye de Redon par Hérispoë [Note : Cart. de Redon, n°s LXXVII, p. 60, et C, p. 76]. Du vivant de Salomon, le comté de Vannes ou de Browerec'h, dont faisaient partie les plebes de Guérande et de Piriac, passa à son gendre Pascueten. Celui-ci affectionna tout particulièrement la région guérandaise. On l'y voit à la fin de 854 ; et le 15 décembre, il signe sur place même la donation aux moines de Redon de la baule de Bronaril pour y faire construire des salines [Note : Cart. de Redon, n° XXII, p. 19]. Le 31 mai 859, il était au palais de Clis et complétait sa donation par un pré et un emplacement pour bâtir une habitation [Note : Cart. de Redon, n° XXIII, p. 19-20]. Entre 857 et 872, il est encore dans le pays de Guérande, à Aula Camplatr, d'où il donne encore aux moines de Redon un emplacement pour édifier une échelle à poissons, toujours à Bronaril. Entre temps, on le voit accorder à leur abbaye la saline Barnahardisca et la villa Burbrii, sise à Canvel, en Piriac [Note : Cart. de Redon, n° LXXII, p. 57], donation signée à Pleucadeuc, et la terre de Ranhocar dont il lui fit présent à Redon même [Note : Cart. de Redon, n° CCLX, p. 209-210].

La mort de Pascueten, arrivée en 877, fit passer les domaines de ce prince, et Guérande, aux mains d'Alain-le-Grand.

 

VI. — LES INVASIONS NORMANDES.

Note : BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE. — Sur les invasions normandes dans la Basse-Loire, consulter principalement : La Chronique de Nantes ; — La Chronique de Reginon (dans D. Bouquet) ; — Annales Vesdastini, dans les Monumenta German. historica ; — FLODOART, Chronicon., dans D. Bouquet, tome VIII, et Annales, dans les Monumenta German. historica, script. III ; — D. LOBINEAU, Hist. de Bret., I ; — D. MORICE, Hist. de Bret., I ; — PIERRE LE BAUD, Hist. de Bret. ; — A. DE LA BORDERIE, Hist. de Bret., II ; — D'ARGENTRÉ, Hist. de Bret. ; — A. ECKEL, Charles-le Simple, dans la Bibl. de l'Ecole des Hautes-Etudes, fasc. 124 ; — Vetus Collectio mss. de rebus Brit.

S'il fallait en croire la tradition, la presqu'île guérandaise aurait été peuplée de Normands et de Saxons aux IXème et Xème siècles ; et ces terribles pirates établis à demeure dans la presqu'île, y auraient laissé des descendants dont les plus beaux spécimens seraient les habitants de Batz ! Cette domination normande, accompagnée de pillages et de violences, s'accorde bien mal avec la prospérité qui régnait alors dans le pays de Guérande. Les chroniques du temps assurent de la façon la plus formelle que les Normands, ou toute peuplade que l'on désignait sous cette dénomination, ne se sont jamais établis à demeure dans la région guérandaise. Au IXème siècle, à partir de 853, ils avaient leur cantonnement dans l'île Bethia [Note : L'île Botty, en Loire, commune de Bouguenais], et ne firent que deux expéditions dans la presqu'île guérandaise, en 843 et en 853. En 843, après avoir fait quelques pillages aux environs de Guérande, ils remontèrent à Nantes qui fut prise et brûlée. En 853, une flotte venant de la Seine, arriva à l'embouchure de la Loire, ravagea une partie du pays de Guérande et monta vers Nantes qui tomba encore au pouvoir des barbares. Une nouvelle flotte apparut en vue des côtes du Croisic vers 888 ; les habitants effrayés s'enfuirent et se réfugièrent à Guérande, mais cette fois les pirates ne tentèrent pas de débarquer. Jusqu'en 919 ils n'inquiétèrent plus la presqu'île guérandaise. Mais à cette date, une flotte de scandinaves, venant directement de leur pays [Note : Il ne s'agit plus ici des Saxons de la Seine qui faisaient des incursions jusqu'à la Loire et qui opérèrent les deux descentes de 843 et de 853], arriva soudain en vue des côtes. Ayant débarqué, ceux-ci s'avancèrent vers Guérande [Note : Sur le siège de Guérande de 919, consulter la relation manuscrite de PIERRE LE BAUD (Bibl. Nat., ms. fr. 8266, f° 128) ; — les Miracula S. Albini, rédigés à une époque contemporaine de cet événement ; — D. LOBINEAU, Hist. de Bret., I, p. 78 ; — ALBERT LE GRAND, la Vie des SS. de Bretagne (vie de S. Aubin, du 1er mars) ; celui-ci ne fait guère que reproduire le texte des Miracula]. Les populations étaient habituées à entendre parler de ces terribles visiteurs ; mais elles ne les avaient vus que deux fois, et commençaient à ne plus les redouter autant.

Aussi, cette invasion jeta l'effroi parmi elles : celles-ci ne surent que faire et où se réfugier. A ce moment, la ville de Guérande n'avait pas de garnison : beaucoup d'hommes s'enfuirent, abandonnant femmes et enfants. Ceux qui demeurèrent furent assemblés à son de trompette et conduits à l'église où ils implorèrent saint Aubin de leur venir en aide. Une procession fut organisée dans laquelle les reliques du saint, pieusement conservées sur son autel, furent portées à travers la ville. Réconfortés par leurs prières, les guérandais marchèrent à l'ennemi. Au moment où ils franchissaient les portes de la ville, dit la légende, un seigneur à l'aspect vénérable, équipé d'armes flamboyantes, et dont ils ignoraient le nom, se présenta à eux et leur tint ce langage : « O hommes de peu de foi, pourquoi craignez-vous de combattre des gens qui vivent sans Dieu ? Est-il donc plus impossible au Christ de vaincre une grande troupe qu'une petite, surtout quand le bienheureux Aubin s'apprête à vous porter secours ? Souvenez-vous de David enfant qui tua Goliath d'un coup de pierre » [Note : Traduction du texte des Miracula].

Ces paroles donnèrent confiance aux guérandais : ceux qui s'étaient cachés prirent les armes et tous allèrent au devant des Normands. Cette petite armée fondit avec tant de force sur les barbares qu'elle les mit en déroute. Les Normands surpris de cette attaque s'enfuirent, laissant le champ de bataille couvert de cadavres des leurs. Les guérandais n'eurent à déplorer aucune perte, mais ne purent retrouver le chef qui les avait conduits à la victoire [Note : La légende de l'apparition de saint Aubin s'est évidemment greffée sur la procession de ses reliques au moment de la bataille, ainsi qu'il était coutume de le faire au moyen-âge].

Cette invasion de 919 fut entre toutes la plus terrible qu'eut à supporter le pays de Guérande. Mais depuis cette date la puissance des pirates commença à diminuer dans toute la Bretagne. A partir de 936, Alain Barbe-Torte, débarqué d'Angleterre, fit contre eux une guerre impitoyable ; il les poursuivit dans le comté de Nantes et les extermina à Trans, le 1er août 939 [Note : PIERRE LE BAUD, Hist. de Bret., p. 134]. La région de la Basse-Loire ne les revit qu'une seule fois dans la suite. En 959 ou 960 une flotte venant encore des pays Scandinaves fit le tour de la Bretagne, remonta la Loire et s'empara de Nantes où l'évêque Gautier fut fait prisonnier [Note : Chronique de Nantes ; — F. LOT, Date de l'exode des corps des saints hors de Bretagne (Annales de Bret., XV, p. 60) ; — A. DE LA BORDERIE, Hist. de Bret., II, p. 42]. Emmenant avec eux leur prisonnier, et les produits de leurs pillages, ces Scandinaves arrivèrent jusqu'à Guérande où ils relâchèrent l'évêque après en avoir tiré une forte rançon. Ce fut la dernière visite des Normands à Guérande.

Ainsi donc, les pirates Normands ou Scandinaves ne descendirent que quatre fois dans le pays de Guérande, deux fois au IXème siècle, en 843 et en 853, deux fois au Xème, en 919 et en 959 ou 960. Il y a loin aux exagérations de la tradition qui veut que Guérande ait été prise et brûlée par eux. Jamais ils ne se sont rendus maîtres de la ville ; ils se bornèrent, par quatre fois, à rançonner et à piller une partie du pays. (H. Quilgars).

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