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FOUGÈRES DURANT LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

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LA TERREUR & LA CHOUANNERIE.

 

ON CRAINT LA DESTRUCTION DE FOUGÈRES.

On retrouve, réfugiés à Rennes, avec d'autres fonctionnaires, les administrateurs du district, tenant séance, le 3 novembre 1793, dans une salle du « Temple de la loi » [Note : Un registre de délibérations fut commencé à Rennes le 13 brumaire an II (3 novembre 1793) et terminé à Rennes le 27 nivôse (16 janvier 1794). (Archiv. départ.)].

Ils ne purent être reçus par le représentant du peuple Pocholle, que le 12 novembre 1793. Ils lui demandèrent l'autorisation de retourner à Fougères, les Vendéens ayant quitté la ville. Pocholle n'y mit pas d'opposition. Il exigea seulement que le bataillon d'escorte restât à Rennes, où l'on était toujours inquiet. Mais les administrateurs ne voulaient pas voyager avec la caisse du district et de la municipalité, sans une escorte.

Le 19 novembre, sans doute avant qu'il apprît la défaite de Tribout, à Pontorson, Pocholle autorisa le départ de la garde nationale.

Nos administrateurs se mirent en route le 20, et s'en allèrent coucher à Saint-Aubin où, le lendemain, de grand matin, le bataillon reçut ordre de rentrer à Rennes, où l'inquiétude grandissait. Les administrateurs l'y suivirent, et bien leur en prit, car il leur aurait bientôt fallu déguerpir à nouveau de leur bonne ville de Fougères, où les Vendéens se préparaient à revenir.

A l'annonce du succès des Vendéens à Dol et à Trans, les autorités civiles de Rennes, affolées, se disposèrent pour la fuite ; et nos administrateurs aussi. Il y eut quelques jours d'angoisse.

***

Enfin, le 3 décembre 1793, les « brigands » étant loin, les Fougerais se remirent en route pour rentrer chez eux.

On peut se demander comment, pendant tout ce temps, la région de Fougères fut administrée. Il n'y avait même plus de militaires

 

COMITÉS RÉVOLUTIONNAIRES.

En ville, la garde nationale entière semblant avoir été appelée à Rennes dans les jours d'affolement.

Les Vendéens avaient essayé de constituer une municipalité, mais sans succès, je crois.

Il semble que ce soit le « Comité de surveillance » [Note : Les Comités de surveillance avaient été créés le 21 mars 1793 par la Convention, et investis le 17 septembre 1793 du droit de faire arrêter les suspects ; au début, les membres furent nommés par les citoyens ; ils touchaient chacun 3 livres par jour. Après le 9 thermidor (28 juillet 1794), le nombre des Comités de surveillance, devenus Comités révolutionnaires, fut réduit à un par district, et leurs membres furent désignés par le Comité de sûreté générale ou par les Représentants en mission. Le Comité révolutionnaire de Fougères, au début de 1794, était composé de Viollard, président ; la Chesnais, secrétaire ; Hervé, Quantin, Chesnot, Mille, Lemoine] qui ait agi en maître. Il avait demandé un détachement des gardes nationales de Saint-Georges et de Billé ; mais ces municipalités voulurent attendre le retour des administrateurs du district.

Ceux-ci, ainsi que les juges rentrés avec eux, trouvèrent leurs locaux en piteux état. Ils tinrent provisoirement leurs séances à la mairie.

Le 9 décembre 1793, une Commission fut nommée pour constater les dommages causés aux particuliers. Plus tard (19 janvier 1794). on ordonna des perquisitions pour retrouver les objets disparus et connaître les receleurs. On devine qu'il y eut des délations.

***

Mais le gros souci des autorités fougeraises fut de dissiper les « calomnies atroces », lancées par le représentant du peuple Laplanche, se faisant l'écho de racontars contre les habitants de la ville ; ils étaient accusés d'avoir, lors de l'entrée de l'armée vendéenne, le 3 novembre 1793, jeté des bûches, des cailloux, et même d'avoir fait feu, par les fenêtres, sur les militaires républicains.

L'affaire était d'importance, car la Convention avait ordonné, la destruction des villes qui ne résisteraient pas « aux brigands » ; et cette menace ne paraissait pas vaine, tant on s'habituait aux rigueurs.

Déjà les administrateurs avaient adressé, de Rennes, à la Convention un mémoire de réfutation qui n'avait pas été rendu public.

On décida, à Fougères, d'en rédiger un second et de le répandre à profusion.

***

Dans ce document, daté du 21 décembre 1793, on accuse nettement le général Brière d'incapacité, et les officiers et soldats de lâcheté.

L'inculpation de lâcheté était appuyée de certificats des municipalités voisines, desquels il résultait, par l'examen des heures de passage des fuyards, que les troupes défaites à la Pèlerine et à la Chaudronnerais ne s'étaient pas ralliées à Fougères pour défendre la ville, mais l'avaient traversée en fuyant, sans s'arrêter.

Des soldats, accusant les Fougerais de trahison, se trouvaient déjà au Ferré, à Antrain, etc., entre 5 et 6, heures du soir, le 3 novembre, alors que le combat était à peine terminé à Fougères.

2. Les Comités de surveillance avaient été créés le 21 mars 1793 par la Convention, et investis le 17 septembre 1793 du droit de faire arrêter les suspects ; au début, les membres furent nommés par les citoyens ; ils touchaient chacun 3 livres par jour. Après le 9 thermidor (28 juillet 1794), le nombre des Comités de surveillance, devenus Comités révolutionnaires, fut réduit à un par district, et leurs membres furent désignés par le Comité de sûreté générale ou par les Représentants en mission. Le Comité révolutionnaire de Fougères, au début de 1794, était composé de Viollard, président ; la Chesnais, secrétaire ; Hervé, Quantin, Chesnot, Mille, Lemoine.

 

PUISAYE.

Le district ne craignit pas de réclamer (le 15 décembre 1793) un certificat de civisme pour les Fougerais, au sinistre Brutus Magnier, alors encore à Fougères, mais prêt à s'en sauver à l'annonce du repli des Vendéens sur Laval. L'affaire n'eut pas de suite.

***

Les autorités avaient encore un sujet d'inquiétude. On avait appris qu'un royaliste, Puisaye [Note : Puisaye, ancien officier, ancien membre de la Constituante, ancien partisan des Girondins, avait, lui aussi, pris part à l'insurrection fédéraliste du Calvados, sous les ordres du général Wimpfen. C'est lui qui, à la tête de l'avant-garde des forces départementales, espérait avoir l'honneur d'entrer le premier à Paris. Battu et mis hors la loi, il s'était enfui en juillet 1793, du côté de Plélan et de Ploërmel. Lors du premier passage des Vendéens à Laval (24 octobre 1793), Puisaye avait offert à la Rochejaquelein l'appui de 50.000 hommes : On avait ri de sa proposition. Après la débâcle vendéenne, Puisaye essaya de réunir les débris disloqués de la grande armée avec les bandes isolées qui tenaient la campagne. Il obtint des pouvoirs des princes et établit son quartier général dans la forêt du Pertre, qui fut fouillée à la fin de novembre 1793, sans grands résultats], caché dans la forêt du Pertre, essayait de reprendre l'œuvre de la Rouërie et de donner de l'unité à l'action contre-révolutionnaire. On savait aussi que des groupes de révoltés, qu'on appelait les « brigands de la petite Vendée », ou les « chouans », se tenaient dans les régions limitrophes des départements d'Ille-et-Vilaine et de la Mayenne.

 

LA TERREUR DANS LA RÉGION DE FOUGÉRES.

Les intrusions de la « Commune » de Paris, dans les débats de la Convention, émurent les départements.

Dès octobre 1792, les Directoires du Finistère et des Côtes-du-Nord avaient offert, à la Convention, une « garde départementale » pour assurer sa liberté. Dans la nuit du 30 au 31 mai 1793, le Directoire du Calvados vota la formation d'une « force départementale » pour le même objet.

La proscription des peu intéressants députés girondins, le 2 juin 1793, amena le 7, à Caen, une insurrection contre le parti montagnard, qui s'appuyait sur la commune de Paris. Une partie des députés proscrits se rendirent à Caen.

Sur l'initiative du département du Finistère, les départements bretons décidèrent de soutenir le mouvement déclanché à Caen. Les différents districts d'Ille-et-Vilaine furent invités par le département à recruter des volontaires, « pour retirer la Convention de l'oppression où la retient une faction liberticide » (Délibération du district de Fougères, 8 juin 1793).

On s'était imaginé, en province, que Robespierre conspirait pour le rétablissement de la monarchie ; plusieurs correspondances d'Antrain et procès-verbaux de Fougères le laissent entendre.

A Dol et à Fougères on obtempéra, le 8 juin, aux désirs du département, et on recruta des volontaires.

 

LES FÉDÉRALISTES.

Deux jours plus tard, on paraissait moins enthousiaste, et le 12 juin on décida d'aller conférer avec le département, la Convention ne paraissant pas en si grande détresse qu'on l'avait cru.

Il se pourrait, dit le procès-verbal, « que les 22 membres arrêtés soient coupables », et l'on insinue qu'il serait bon de rappeler les volontaires qui avaient dû partir de Fougères l'avant-veille.

On peut présumer que ce revirement venait de ce que l'on avait su que le député fougerais Lebreton, bien qu'ami des girondins [Note : Lebreton et 72 de ses collègues, parmi lesquels Defermon, député de Rennes, et Obelin, député de Saint-Malo, pour protester contre la proscription du 2 juin 1793, avaient rédigé, le 6 du même mois, un manifeste, qu'au dernier moment ils n'eurent pas le courage de rendre public. La protestation ne fut connue qu'accidentellement des Montagnards ; et cela valut aux signataires d'être incarcérés le 3 octobre 1793. Lebreton reprit sa place à la Convention après la chute de Robespierre. Il fit ensuite partie du Conseil des Cinq Cents], n'avait pas été compris dans la liste de proscription du 2 juin 1793, comme l'avait été le député de Rennes, Lanjuinais. On en concluait, peut-être, que la Convention n'avait proscrit que ceux d'entre les girondins qui l'avaient réellement mérité.

Le département d'Ille-et-Vilaine fut d'un avis contraire. La compagnie des volontaires de Fougères partit donc avec le bataillon d'Ille-et-Vilaine qui, d'ailleurs, ne comprenait que 197 hommes.

On sait que le mouvement insurrectionnel de Caen fut piteux.

Le 13 juillet 1793 eut lieu, près de Vernon, un combat que l'on a appelé « la bataille sans larmes », parce qu'il n'y eut ni tués ni blessés. Les fédéralistes [Note : On sait que les Girondins, en protestation contre la domination de la Commune de Paris, avaient imaginé une constitution fédérative pour la France : d'où le nom de « fédéralistes » donné aux bataillons réunis à Caen et Evreux. Les Montagnards appliquèrent ce nom à tous leurs adversaires] se débandèrent.

Quinze jours après, les girondins, rassemblés à Caen, étaient mis hors la loi. Ils se joignirent aux volontaires fédéralistes du Finistère rentrant chez eux, pour gagner Brest, et s'y embarquer pour le Midi. Dans les premiers jours d'août 1793, ils traversèrent Fougères et Antrain. Il paraît qu'ils furent assez mal reçus dans cette dernière petite ville où ils couchèrent une nuit.

***

En apprenant, le 16 juillet 1793, la déroute de Vernon, les membres du district de Fougères comprirent la gravité du cas où ils s'étaient mis en recrutant des volontaires pour lutter contre les montagnards victorieux. Apeurés, ils déclarèrent avoir été « trompés » (Procès-verbal du 16 juillet 1793) ; et pour faire oublier leur erreur, ils se mirent (c'était fatal !) au diapason des hommes de la montagne. Il en fut de même au district de Dol (Journal des Départements du 20 juillet 1793). Regrets tardifs !

La Convention ne tarda pas à sévir.

 

MODÉRÉS DEVENUS TERRORISTES.

Dans une liste de « citoyens incarcérés... à Rennes, en vertu d'un décret de la Convention du 17 septembre 1793 », figurent, parmi d'autres Fougerais, MM. Gaultraye, administrateur du district ; Delatouehe, procureur-syndic ; Malherbe, colonel de la garde nationale ; Tréhu, procureur de la commune de Fougères.

Les deux premiers furent libérés le 11 ou 12 novembre 1793, pendant que leurs collègues tenaient à Rennes leurs séances.

***

Quelques jours plus tard, le 24 novembre, le procureur-syndic Delatouche, qui avait sans doute compris, dans sa prison, qu'il fallait hurler avec les loups, fit à Rennes un grand discours, dont le ton montre le changement opéré dans les idées de nos administrateurs : « ... Le vrai républicain ne peut même pas pardonner aux âmes pusillanismes : haine aux tyrans ! — haine aux factieux, aux lâches et aux modérés ! — Liberté, unité, indivisibilité » [Note : Allusion au fédéralisme renié].

Les membres du district déclarèrent que tels avaient toujours été leurs sentiments. Ce n'était pas vrai ; mais on cherchait à le faire croire ; on était décidé à suivre les violents. Au fond, on en avait peur !

Rentrés à Fougères, les membres du district ne tardèrent pas à prendre des « mesures révolutionnaires » ; ils fraternisèrent, le 14 décembre, avec la cruelle Commission militaire présidée par Brutus Magnier ; de concert avec elle, ils arrêtent « des mesures de sûreté ».

Dans une lettre d'envoi d'un certificat, obtenu de Brutus Magnier, ils adoptent cette devise : « La liberté, l'égalité, ou la mort » (18 ou 19 décembre 1793).

Le 24 décembre 1793, ils arrêtent de s'organiser en « district révolutionnaire », fermement résolus à appliquer tous les décrets. La dictature de Robespierre se prépare ; le district de Fougères l'accepte sans sourciller. C'est la Terreur.

Non seulement le district de Fougères enregistre et publie sans hésitation toutes les lois révolutionnaires, mais il décide de les « exécuter en tout ».

Ces mêmes administrateurs [Note : A la vérité, il y avait bien eu quelques rares changements dans l'assemblée du district ; mais les nouveaux venus étaient comme les anciens des hommes d'opinions très modérées (sinon même religieuses) à l'origine. Les administrations furent plus tard l'objet « d'épurations » en sens inverses, du reste, imposées d'autorité par les représentants du peuple en août 1794 et en février 1797 ; la première était favorable aux exaltés, et la seconde aux modérés ; mais, en réalité, il y eut peu de changements, en dehors de quelques permutations] qui, au début de la Révolution, paraissaient si soucieux de la décence du culte, en viennent à se féliciter de ce que « la saine raison et l'intérêt de la République aient fait abolir ces mômeries (il s'agit de la messe) enfantées par la superstition » (24 mai 1794).

Instruits par l'expérience, ils savent se ranger du côté des vainqueurs ; on les voit, le 27 mars 1794, à la nouvelle du succès de Robespierre contre les hébertistes, adresser « avec enthousiasme » leurs félicitations à la Convention.

Et à la chute du dictateur (9 thermidor an II — 27 juillet 1794) ils enverront à l'Assemblée de nouvelles félicitations, sans doute aussi sincères, pour « avoir sauvé la France du nouveau précipice creusé sous ses pas » (2 août 1794).

***

LES REPRÉSENTANTS DU PEUPLE.

On sait l'œuvre, dans les départements, des « représentants du peuple en mission ». Quelques-uns, Carrier, Le Carpentier, etc., ont laissé chez nous un sinistre souvenir, persécutant aussi bien les prêtres schismatiques que les prêtres fidèles et les royalistes.

Nous avons vu les cruelles épreuves des bons prêtres ; les intrus ne furent guère plus heureux.

Le culte schismatique cessa à Fougères, le 31 décembre 1793, en exécution du décret du 7 novembre de la même année [Note : Dans les campagnes, il dura plus longtemps. A Antrain, il cessa vers le 17 avril 1794 — un mois plus tôt à Bâzouges-la-Pérouse. (Delarue)]. Le mois précédent (12 novembre 1793) avait été inauguré, à Paris, le culte de la Raison, en attendant (8 juin 1794) que Robespierre instituât la fête de l'Etre suprême.

Il y eut à Fougères, Louvigné, la Bazouge-du-Désert, Tremblay, je crois, et sans doute ailleurs encore, des « déesses Raison ». Le 13 janvier 1794, sur l'église Saint-Léonard on posa cette inscription : « Temple de la Raison »,

Le 13 avril 1794, le représentant du peuple Le Carpentier prit cet arrêté, qui fut enregistré à Fougères, le 24 : « Informé qu'au mépris du vœu national, qui se manifeste de plus en plus pour l'établissement du culte de la Raison, des prêtres (assermentés) se sont obstinés à conserver leurs fonctions... Arrête ce qui suit : Art. 1er. Sont déclarés suspects tous les prêtres qui ont attendu jusqu'à ce jour pour déposer leurs lettres de prêtrise... — Art, 2e. En conséquence, les prêtres ci-dessus désignés, seront mis en état d'arrestation... ».

Un second arrêté, du même, décrète le renvoi devant les administrations civiles de tout prêtre, sauf de ceux « antérieurement mariés, et qui auront donné des preuves non équivoques de patriotisme ». On sait ce qu'on entendait alors par patriotisme !

Ces décrets de Le Carpentier firent se précipiter le lamentable courant d'apostasie commencé dans le clergé schismatique depuis décembre 1793.

Les premières renonciations à la célébration du culte furent celles des curés intrus de Saint-Léonard et de Saint-Sulpice, Lemarchand et de Ruan. Quelques prêtres renoncent à leur situation ; d'autres, à leurs fonctions ecclésiastiques ; certains entendent même renoncer au caractère sacerdotal, comme s'il était possible de l'effacer.

L'ex-chanoine Pézeron déclare ne plus professer que la religion de la Liberté et de l'Egalité !

 

ABJURATIONS.

En réalité, on demandait aux prêtres, en renonçant à leurs fonctions, de déclarer positivement que ce qu'ils avaient enseigné n'était qu'imposture, et leurs cérémonies qu'une comédie. Dans notre région, on se contenta d'une vague formule. Aucun prêtre, à ma connaissance, ne poussa l'apostasie à ce point.

Plusieurs de ces malheureux prêtres se marièrent.

Un grand nombre de prêtres assermentés furent envoyés au Mont St-Michel (1794) pour avoir refusé de remettre leurs lettres de prêtrise. M. Piron dit que plusieurs de ces prêtres, au contact des prêtres fidèles qui étaient enfermés au Mont depuis octobre 1793, se repentirent et rétractèrent leurs serments. Lecoz avons-nous dit était lui aussi au Mont Saint-Michel.

L'ère chrétienne était abolie depuis le 5 octobre 1793. Dès le 20 de ce mois, le district de Fougères commença à se servir du calendrier républicain [Note : Dans le calendrier républicain, dont tous les mois avaient 30 jours, l'an II commençait le 22 septembre 1793 (1er vendémiaire an II), l'an III commençait le 22 septembre 1794 (1er vendémiaire an III), l'an IV commençait le 23 septembre 1795 (1er vendémiaire an IV), l'an V commençait le 22 septembre 1796 (1er vendémiaire an V), l'an VI commençait le 22 septembre 1797 (1er vendémiaire an VI), l'an VII commençait le 22 septembre 1798 (1er vendémiaire an VII), l'an VIII commençait le 23 septembre 1799 (1er vendémiaire an VIII), etc... Vendémiaire correspondait à septembre et octobre. Brumaire correspondait à octobre et novembre. Frimaire correspondait à novembre et décembre. Nivôse correspondait à décembre et janvier. Pluviôse correspondait à janvier et février. Ventôse correspondait à février et mars. Germinal correspondait à mars et avril. Floréal correspondait à avril et mai. Prairial correspondait à mai et juin. Messidor correspondait à juin et juillet. Thermidor correspondait à juillet et août. Fructidor correspondait à août et septembre]. Il faut dire que ce calendrier ne fut guère utilisé que dans les actes officiels ; dans la vie privée, on continua à se servir de, l'ancien, malgré les insistances du district pour que l'on fêtât les décades, et non les dimanches.

A plusieurs reprises, et notamment en juillet 1794, ordre fut donné de tenir boutique ouverte et de travailler le dimanche. Par contre, il fallait chômer et fêter les décades. Il fut interdit de se mettre en toilette le dimanche. Défense fut faite aux cabaretiers de vendre pendant la célébration des décades, sous peine de dix livres d'amende (registre de Bazouges, 28 juin 1794, Delarue).

Au 1er janvier 1794 parut l'ordre du représentant Esnue Lavallée de descendre les cloches [Note : On toléra qu'il en restât une dans chaque commune] des églises et de procéder à l'inventaire de leur mobilier. Le 15 du même mois, le district de Fougères, qui tenait à signaler son zèle, arrêta de faire part à la Convention des mesures prises pour cet objet.

Le 2 février 1794, la municipalité fougeraise demanda que fussent enlevés, de l'église Saint-Léonard, les objets du culte qui s'y trouvaient encore ; le 13 mars, le district ordonna la vente de ces objets, pour « en débarrasser cet édifice » ; et avec le prix qu'on en trouvera, on fera descendre la croix qui surmonte le clocher, ou tout au moins on en supprimera les branches, ne laissant qu'une flèche.

 

PROFANATIONS.

Après avoir été le temple de l'Etre suprême, l'église de Saint-Léonard sera un grenier à foin et un magasin de bois pour les besoins de l'armée. Le 27 novembre 1796, l'administration municipale décida de faire enlever ces marchandises pour réserver le local aux fêtes nationales et assemblées publiques.

Saint-Sulpice (décisions des 2 août et du 30 septembre 1794) devint un atelier de salpêtre [Note : Il y eut aussi des ateliers de salpêtre à Louvigné, Saint-Aubin et Saint-Georges, les deux derniers servant à des opérations préparatoires terminées à Fougères. Ces ateliers furent supprimés en février et mars 1795. La livre de salpêtre y revenait à 19 francs, alors qu'elle n'était estimée que 24 sous. Il y eut aussi un atelier de salpêtre à Antrain, dans le presbytère. La loi du 4 décembre 1793 prescrivait qu'il y en eût dans toutes les communes. (Delarue)] ; les vitraux furent enlevés ; le chapitreau de Notre-Dame des Marais servit de morgue (15 octobre 1794). Cependant, la statue miraculeuse resta longtemps encore à sa place, et on continuait de venir prier à ses pieds. Le 15 août 1795, le procureur de la communauté le constata « avec surprise » et dès le lendemain il demanda que le rideau rouge entr'ouvert derrière la grille qui, depuis 1701, fermait le chapitreau du côté de la rue, fut remplacé par des planches pour empêcher de voir la statue miraculeuse [Note : Malgré cela, on faisait brûler des cierges à l'entrée du chapitreau. C'est en vain que des dénonciations furent portées, devant l'administration municipale, contre ceux qui avaient l'audace de prier sous le « règne de la liberté » (1798). (LE BOUTEILLER, Notice sur N.-D. des M., p. 39). L'administration, dans un rapport au département, reconnut que beaucoup d'habitants allaient journellement faire leurs prières devant la statue de N.-D. des Marais et y faisaient brûler des cierges, mais que cela ne donnait lieu à aucun trouble. Ce mouvement de piété dura pendant toute la révolution. Le pèlerinage traditionnel de Landivy se faisait secrètement par des délégations de paroissiens ; lorsque l'église eût été vendue et la statue portée aux Bas-Jardins, les fidèles continuèrent à l'honorer en ce lieu].

La chapelle Saint-Louis servit de halle aux toiles et de salle d'audience du tribunal, du 18 août 1794 au 16 avril 1795, époque à laquelle le tribunal fut transféré dans la chapelle Saint-Nicolas, où la « Société populaire » tenait également ses séances (8 avril 1794).

On décida de démolir la chapelle du cimetière Saint-Roch, sous prétexte que les chouans s'abritaient derrière elle (décision du 18 octobre 1794) [Note : Il semble cependant que cette destruction ne fut consommée qu'en 1810].

L'abbaye de Rillé avait été vendue, le 28 mars 1792.

L'acquéreur démolit la vaste église qui n'avait guère qu'un siècle d'existence ; une grande partie des bâtiments abbatiaux, qui paraissent avoir eu du caractère, disparurent de la même façon. Ce vandalisme provoqua une sorte d'émeute dans la ville.

Nous avons dit, par ailleurs, le sort des autres maisons religieuses de la ville.

 

MESURES DE RIGUEUR.

La persécution continuait dans les campagnes, où les délations, les persécutions et les réquisitions étaient incessantes. Là aussi les églises furent profanées et fermées.

En 1795, on sortit les confessionnaux de l'église de Bazouges-la-Pérouse, qui avait été fermée le 16 mars 1794 (Delarue), pour en faire des guérites de factionnaires. Le capitaine Eveno faisait faire l'exercice à la garde nationale dans l'église, ce qui du reste, lui fut interdit.

Les presbytères furent loués eu vendus (avril 1794). Ils servirent souvent de corps de garde, et parfois d'écoles pour « l'éducation républicaine » (loi de brumaire — novembre 1794).

Les mesures odieuses se succédaient. Le 5 avril 1794, sur la pétition de la « Société populaire », le district avait ordonné d'extraire des enfeux les chasses de plomb pour en faire des balles. Je ne sais si la macabre et indécente prescription fut exécutée.

En messidor an II (juin-juillet 1794), le district de Dol ordonne la destruction des croix « signes représentatifs de la crédulité superstitieuse » [Note : Delarue, qui ajoute : « Si ces croix disparurent à Antrain, ce fut pendant fort peu de temps, et sans avoir été mutilés, car elles existent encore toutes aujourd'hui » (Notes manuscrites, Arch. départ.)].

Le 20 juillet 1794 on vendait à l'encan, à Antrain, les effets, hardes et ornements de l'église (Delarue).

Nous avons dit que le district de Fougères, sur le vœu du Comité de surveillance (20 avril 1794) fit fabriquer une guillotine qui resta en permanence sur la petite douve (place d'armes), « pour que les coupables de ce pays y reçoivent la punition de leurs crimes, afin que leur mort serve aussi pour l'exemple ». Depuis longtemps les administrateurs « ont témoigné le même vœu », déclarèrent-ils : peureux et versatiles, de moutons ils devenaient des tigres.

***

Des mesures de rigueur, après le passage des Vendéens, étaient fatales. Elles furent terribles, comme l'avaient été celles qui avaient suivi la révolte de la Saint-Joseph.

Le 30 décembre 1793, la garde nationale du pont Dom Guérin arrêtait, à Malagra, en la Bazouge-du-Désert, propriété de l'administrateur Foubert, cinq personnages suspects et inconnus.

Amenés à Fougères, l'un d'eux fut reconnu par une jeune fille, à laquelle il avait sauvé la vie, lors du premier passage, à Fougères, de l'armée vendéenne, et qui le trahit inconsciemment : c'était le prince de Talmont.

Parmi ses compagnons se trouvait ce Bougon-Longrais que nous avons vu amener à Fougères par une patrouille vendéenne. Le premier fut guillotiné à Laval, le 27 janvier 1794, devant le château de ses ancêtres, par un de ses anciens valets, devenu son bourreau, qui eut la vilenie de souffléter, après sa séparation du tronc, la tête sanglante de son maître. Quant à Bougon-Longrais, il avait été exécuté quelques jours auparavant (5 janvier 1794).

 

LA PETITE VENDÉE — LES CHOUANS.

Les condamnations à mort pour cause de ralliement aux Vendéens sont trop nombreuses pour être relatées ici. Près de cent cinquante personnes de notre région furent mises à mort, en vertu de sentences des Commissions militaires et du tribunal criminel d'Ille-et-Vilaine. Le 15 avril 1794, dix-sept personnes furent guillotinées, à Fougères même, et dix-neuf, le 24 du même mois.

D'autres exécutions eurent lieu à Rennes, Vitré, etc.

***

Les délations et les perquisitions amenèrent un tel nombre d'arrestations qu'il fallut enfermer les prisonniers dans les églises, la prison et le château étant insuffisants. Chose presque incroyable, « tous les hommes » de « plusieurs communes », disent les documents officiels [Note : Procès-verbal du district, 21 floréal an II — registre de La Celle-en-Luitré — registre de la municipalité de Fougères. — Voir LE BOUTEILLER, Révolution, feuilletons 60 et 61], furent incarcérés à Fougères, par mesure de sûreté, du 26 avril au 10 mai 1794.

Les hommes compromis et les prêtres fidèles qui n'avaient pas voulu s'exiler se cachaient, se déguisaient, fuyaient, menant une existence des plus pénibles. On avait construit des « caches » souterraines, comme la cache de Cogé, où se refugia souvent Bois-Guy, et celle, tristement fameuse, de la Cornulais, toutes les deux en Parigné. Cette dernière, signalée par un traître, qui habitait la Villebœufs, fut fouillée, le 27 avril 1794. Bossard, maire de Landéan, qu'on y trouva, monta sur l'échafaud.

Cette cache se trouvait en plein champ ; on y accédait par un trou pratiqué dans une haie. On dit que jusqu'à dix prêtres s'y trouvèrent parfois réunis.

Quant à celle de Cogé, elle était située sous l'étable de cette ferme ; pour y entrer, il fallait déplacer une crèche mobile [Note : Notes de M. le chanoine Desrées. — On cite une autre « cache » célèbre, celle de Joli-Cœur. D'après la tradition (ou la légende), elle se trouvait en forêt et renfermait de nombreuses pièces d'orfèvrerie appartenant aux églises des environs. Elle aurait, dit-on, été construite par des maçons que Joli-Cœur aurait tués pour s'assurer de leur silence. Il ne faut pas attacher trop d'importance à ces racontars]. Il y avait aussi une « cache » pouvant contenir huit à neuf hommes, à la Morillonnais, en Romagné. Elle fut découverte, le 8 messidor an VII (Le Bouteiller, Rév., 133), et une autre entre la Médais et la Fourelais, en la Celle-en-Cogles, où se cacha l'abbé de Villegérard, qui se réfugiait aussi parfois dans un tonneau vide au presbytère.

 

LES CHOUANS EN 1794. — LA PETITE VENDÉE.

Tandis que les deux frères du Bois-Guy suivaient l'armée vendéenne jusqu'au Mans, il semble qu'un groupe de Manceaux et de Bretons royalistes, sous les ordres, probablement, de Jean Chouan, se retirèrent dans les paroisses limitrophes du Maine et de la Bretagne.

Plusieurs documents du 8 décembre 1793 signalent dans cette région une troupe désignée sous les noms de « bandes de chouans », « Nouvelle-Vendée », « petite Vendée ». C'est la première fois qu'on trouve, dans nos pays, cette appellation de « chouans », qui devait tant se généraliser. On la retrouve, le 10 décembre, dans un document d'Antrain (Delarue). Elle tire son origine, évidemment, du surnom de Jean Cottereau. Quant à la dénomination de « petite Vendée », on la comprend sans peine, à une époque où la « grande Vendée » venait de causer tant d'émoi dans la région.

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Les membres du district de Fougères à peine rentrés dans leur ville, prévenus par un habitant de Billé, envoyèrent en reconnaissance le procureur-syndic Delatouche qui, avant la Révolution, habitait à la Chantellerais, en cette paroisse [Note : Delatouche était un ancien notaire, procureur fiscal de la seigneurie de Mué, et greffier de la Châtellenie de Châtillon].

De retour, le procureur-syndic apprit à ses collègues du district qu'une bande de 2 à 300 hommes, bien armés, s'étaient portés, le dimanche 8 décembre 1793, sur Billé, y avaient tué le curé intrus Porée, molesté son vicaire, Hubaudière [Note : Ce malheureux ne devait pas échapper à la colère des chouans. Avant qu'une année ne se fût écoulée, il tombait sous leurs coups à Beaucé, le 13 mai 1794. C'était un parent des frères Duronceray qui avaient été tués par les révoltés le 19 mars 1793, au tertre de Montaigu près de Dompierre], et commis d'autres méfaits. Le bruit courait qu'une troupe de 12 à 1.500 hommes, assemblés au son du tocsin, devait marcher contre la ville.

De leur côté, les membres du district d'Ernée avisaient, le 10 décembre, leurs collègues de Fougères, qu'une « horde de 4 à 500 scélérats » s'était formée, à l'appel du tocsin, dans les paroisses de Luitré, Princé, Dompierre, la Chapelle-Janson, la Pèlerine, Saint-Pierre-des-Landes ; que d'autres localités de la Mayenne étaient en ébullition, et ils demandaient des secours.

Le district de Fougères en avait déjà réclamé lui-même à Rennes ; il avait requis le concours des gardes nationales de Chesné, la Bouëxière, Livré et Fougères (cette dernière venait de rentrer de Rennes).

Le 10 décembre dut avoir lieu, vers la Templerie, un engagement qui ne semble pas s'être terminé à l'avantage des gardes nationales ; car celles-ci, le lendemain, se trouvaient « découragées » (Délibération du district, 21 frimaire an I). Le district de Fougères, dans une lettre du mercredi 11 décembre 1793, adressée à celui de Vitré déclarait qu'il avait été tué six « brigands », parmi lesquels « on croit un prêtre ». Il proposait une action de grande envergure, combinée entre les districts de Fougères, de Vitré et d'Ernée.

Je ne sais ce qu'il en advint, mais on n'entend pas, chez les républicains, de cris de victoire. Le 14 décembre 1793, on décida de publier une « proclamation » aux gens de la campagne. C'est peut-être tout ce qui fut fait.

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Cependant, Aimé du Bois-Guy, revenu dans la région le 15 ou le 16 décembre 1793, s'efforçait d'organiser les royalistes. D'autre part, le 19, le général de Beaufort rejoignait, à Fougères, le représentant du peuple, Jean-Bon Saint-André. Il s'agissait de prendre des mesures « révolutionnaires » contre la « petite Vendée ».

Bientôt les troupes affluèrent dans la région (5.000 hommes et dix canons, dit Lemas) (District de Fougères, p. 90). Les réquisitions ne suffirent plus pour le logement des soldats. Il fallut, le 24 décembre 1793, écrire à Caen, à Rouen et à Vire pour se procurer des draps de lit. Des battues furent organisées et des « garnisons » installées dans les communes supectes ou menacées.

Le 20 janvier 1794, le district fut avisé de rassemblements dans la forêt de Fougères, soupçonnée d'être le « réceptacle des chouans ». Les bouassiers (ou boisseliers) et les sabotiers devaient s'y prêter.

On décida d'obliger les bouassiers à se défaire de leurs chiens, de fouiller la forêt en réquisitionnant les gardes nationales des environs, et d'y pratiquer des chemins.

C'est en conséquence de cette dernière résolution que furent ouvertes nos belles allées forestières. Le plan en avait été dressé précédemment par un personnage que les procès-verbaux appellent le citoyen Trumeau, et dont j'ignore la qualité.

Ces percées devaient avoir 30 à 32 pieds de largeur.

Leur exécution demanda du temps et souffrit des difficultés, les chouans faisant opposition aux travaux qui, adjugés en juillet 1794, durent plusieurs fois être interrompus.

A diverses reprises [Note : Notamment les 15 mars 1794 — 15 avril — 3 juillet — 2 septembre — 6 septembre — 14 septembre — 4 octobre — 14 octobre 1794 —7 février 1795, etc...] les autorités civiles et militaires donnèrent, avec insistance, l'ordre d'écréter les haies, d'abattre les buissons en bordure des routes. Ces ordres ne purent jamais être exécutés, les chouans défendant de le faire. On essaya, 11 septembre 1794, de constituer pour cet ouvrage, des compagnies de travailleurs protégés par les troupes. Ce fut en vain. Les troupes, du reste, étaient occupées ailleurs. Il semble cependant qu'à cette époque disparurent quelques bosquets, notamment un petit bois, près du pont Saint-Julien, où les chouans s'abritaient souvent.

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Le recrutement des chouans se trouva favorisé, en janvier 1794, par une seconde levée de militaires (30.000 hommes de cavalerie), comme l'insurrection de mars 1793 avait été favorisée par la première levée. Le district de Fougères avait établi la répartition, entre les diverses communes de son ressort, le 8 octobre 1793 ; mais les événements avaient empêché l'exécution de la loi [Note : La première levée elle-même n'avait pu être faite complètement].

Le département ordonna de procéder à la levée, le 31 janvier 1794. « Ce fut, dit un procès-verbal du 6 février 1794, un puissant prétexte dont les prêtres qu'ils (les chouans) n'ont cessé de receler, et les débris de la Vendée, qui circulent, malgré les perquisitions sans nombre…. se serviront... ».

Le district ne se trompait pas.

Le 15 février 1794, Bois-Guy était en mesure d'attaquer, avec succès, une garnison de cent hommes, qui occupait le bourg de Mellé et qui avait cherché, quelques jours auparavant, à s'emparer de l'abbé Courtillé, vicaire de Parigné, prêtre fidèle.

Trois jours après, Bois-Guy battait la garnison de Saint-Brice, forte de 200 hommes, et le lendemain il mettait en fuite, à la Garenne, près de la ville, 250 soldats républicains qui allaient secourir Saint-Brice.

Le 27 mars 1794, les chouans revinrent à Mellé ; cette fois c'était au curé intrus Larcher et au maire Le Cordier qu'ils avaient affaire. Tous deux furent mis à mort [Note : Certaines exécutions ont l'allure de l'application d'une sentence délibérée, en punition de faits précis. On peut discuter la valeur de tels jugements. Mais que ne pourrait-on dire de ceux rendus par certaines commissions militaires, ou certains tribunaux républicains ?]. Les chouans considéraient les intrus, coutumiers de délations, comme leurs pires ennemis.

Effrayé, Paulmier, curé constitutionnel de Louvigné, prit la fuite et disparut.

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ORGANISATON DES CHOUANS.

Les recrues affluant au camp des royalistes, il fallut donner aux insurgés une organisation plus complète. L'armée bretonne fut, en 1794, répartie en six commandements confiés : à Boishardy (Lamballe), à Boulainvilliers (Locminé), à de Siltz (Rochefort-en-Terre), à Solilhac (Saint-Hélen), à de Tromelin (Guipry) et à Bois-Guy (Fougères).

Ce dernier, qui reçut, en 1794, la croix de Saint-Louis, divisa sa troupe en deux colonnes ; il garda le commandement direct de la première et confia l'autre à Louis du Pontavice des Renardières [Note : Après la pacification de 1795, du Pontavice fut remplacé par Hay de Bonteville ; et une troisième colonne, dans la région de Saint-James, fut placée sous les ordres de Dauguet (fleur de rose) avec Larcher Louvière (dit Hoche), comme lieutenant].

 

LES CAPITAINES DE PAROISSES.

Aimé désigna un capitaine dans chaque paroisse ayant fourni au moins vingt jeunes gens.

De plus, il se constitua un petit état-major d'amis dévoués.

L'état-major comprenait entre autres : Louis du Bois-Guy, Louis de la Tuolais, de Louvigné ; Saucet, dit Duval (chevalier de Saint-Louis, en 1796), né à Saint-Brice, mais habitant Saint-Ouen-la-Rouërie, ancien domestique du marquis de la Rouërie (Crétineau-Joly, III, 520) ; Thomas Renou, dit Alexandre, de Saint-James ; Michel Larcher-Louvière, dit Hoche, de Louvigné, qui fut fait chevalier de Saint-Louis ; Collin de la Contrie, de Bazouges-la-Pérouse, également chevalier de Saint-Louis (il reçut des lettres de noblesse après la guerre) ; Dauguet, dit Fleur de Rose, de Saint-James ; Tuffin de la Rouërie. Fit aussi partie du conseil, l'abbé Frétigné. Parmi les premiers capitaines, citons :

Joseph Boismartel, dit Joli-Cœur, de Parigné, qui reçut la croix de Saint-Louis.

François-Pierre Boismartel, dit le Blond, frère du précédent.

Pierre Montembault, dit Capitaine Thérèse, né à Laignelet, capitaine de Fleurigné.

François Pilet, de Saint-Brise ou Saint-Etienne.

Les frères Maupillé, de Louvigné (Pierre, René et Louis), de la famille de l'historien.

Dauguet, dit Cœur de Roi, capitaine de Saint-James.

René Angenard, dit la Rigueur, né à Fleurigné, capitaine de la Chapelle-Janson.

François Angenard-Boismartel, dit Francœur, né à Laignelet, fermier à la Morilhonnais, en Romagné capitaine des grenadiers de la colonne du Nord.

Joseph Bucheron, de Parcé.

Saucet (Nicolas), frère de Duval ci-dessus.

Joseph Rault, dit Barbeblanche, capitaine des chasseurs de la colonne du Nord.

Louis Oger, dit Vainqueur ou Capitaine l'Alliette, habitait la Fourairie et était capitaine de Laignelet.

Augustin Bouëton, fils d'un vitrier de Fougères, qui reçut la croix de Saint-Louis.

Poirier, dit Sans-Chagrin, de Parigné.

Il semble que dès ce moment Bois-Guy ait donné à ses soldats une sorte d'uniforme ; ils portaient sous leur gilet une bande de taffetas portant un christ brodé, avec ces mots : « Vive la Religion, vive le roi ». Ils mettaient à leur boutonnière un chapelet de dix grains blancs et bleus, et à leur chapeau une cocarde blanche dont M. l'abbé Piron a vu trois ou quatre exemplaires conservés aux archives départementales.

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Cependant, le général Rossignol envoyait toujours des troupes dans les régions de Vitré et de Fougères, sous le commandement de Kléber, chargé de défendre la ligne du Couesnon. Cet officier général résidait surtout dans le pays de Vitré.

Il devint bientôt impossible aux chouans de tenir campagne en groupes nombreux. Bois-Guy, nous dit Pontbriand [Note : Pontbriand, qui a laissé d'intéressants mémoires sur la chouannerie, était le beau-frère de Bois-Guy], donna ordre à ses capitaines de rentrer chacun dans leurs paroisses et de harceler sans cesse les bleus, sans se montrer. Les chouans se tinrent cachés dans les champs de genêts et dans les bois ; des observateurs se glissèrent dans le tronc creux des vieux arbres ; le cri de la chouette servit de signal ; les bleus voyaient tomber leurs officiers ou leurs camarades, sans même savoir d'où était parti le coup.

Quiconque connaît notre pays peut se rendre compte de ce que dut être cette guerre d'embuscade. On comprend que l'on ait voulu faire écréter les haies et disparaître les buissons.

Ayant la sympathie des populations, les chouans s'étaient ménagé partout des intelligences et des complicités. Ils étaient avisés, en temps opportun, des mouvements de troupes, du départ des convois. Des espions les ravitaillaient en cartouches dérobées à leurs ennemis.

Parfois cependant, ils étaient eux-mêmes trahis et dénoncés : mais tôt ou tard les délateurs étaient punis. Cela explique plusieurs morts violentes isolées.

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GUERRE D’EMBUSCADE.

Le 19 avril 1794, le général Rossignol [Note : Rossignol, énergumène, sans mœurs, sans talent, sans courage, emprisonné en juin 1793, pour ses atrocités, ses vols et ses concussions, remis ensuite à la tête de l'armée de La Rochelle et de Brest, fut déporté par Napoléon dans l'archipel indien] proposa de « dépeupler les communes » qui donnaient asile aux chouans, et de faire de notre pays une nouvelle Vendée. — Kléber était d'un avis opposé, estimant « que le spectacle des villages incendiés ne pourrait qu'ajouter à l'aigreur des esprits... ». Mais il reçut l'ordre de se rendre à l'armée du Nord, et fut remplacé par Vachot (27 avril 1794). Celui-ci prit l'engagement d'employer contre les chouans « le fer et le feu », et de ne « jamais perdre de vue le mot exterminer... ».

On n'en vint pas cependant aux mesures de destruction totale envisagées ; mais les arrestations prirent des proportions inimaginables, comme nous l'avons dit par ailleurs. Cela ne fit qu'augmenter le nombre des révoltés et leur désir de vengeance.

Les chouans étaient, le 9 mai 1794, en armes devant Saint-Brice et Saint-Etienne ; le lendemain, au nombre de 200, ils reparaissaient à Saint-Etienne ; le 12, les bleus étaient menacés à Saint-James et à Saint-Ouen-la-Rouërie. Peu après une tentative, d'ailleurs vaine, était opérée contre Pontorson.

Et, à côté de ces affaires importantes, les escarmouches continuaient, incessantes. C'était, du reste, le moment où la Terreur battait son plein.

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Au mois de juillet 1794 (le quinze), le district déclare que la situation « devient pire », que « cette horde (des chouans) se fortifie et devient plus audacieuse ». Le 22 juillet, cette impression est confirmée par l'affaire du Châtellier où, à deux reprises différentes (18 et 20 juillet 1794), Aimé du Bois-Guy, à la tête de 800 hommes, tente, sans y réussir, il est vrai, d'enlever ce bourg si facile à défendre.

Les membres du district étaient affolés ; le représentant du peuple Laignelot, répondant à une demande de secours du 15 juillet 1794, leur écrivait le 28 du même mois (10 thermidor an II) : « ...Vous vous plaignez d'être abandonnés, comme si vous n'étiez en effet ; comme si vous n'aviez pas dans votre district 1.753 hommes, et que le général Moulin n'eût pas fait marcher deux bataillons et deux forts détachements de cavalerie vers Antrain, Saint-James et Fougères. J'écris par ce courrier au général Humbert de se rendre dans vos murs... ».

Si les troupes, en effet, étaient nombreuses, le terrain à défendre était vaste et rempli d'embûches. Les soldats ne pouvaient être partout à la fois et les chouans savaient profiter des moments propices.

 

CHUTE DE ROBESPIERRE (9 thermidor an II — 27 juillet 1794).

Arrive la chute de Robespierre.

Comme toujours, nos administrateurs, imités en cela par les membres de la municipalité fougeraise, se montrèrent favorables aux vainqueurs, ainsi, que nous l'avons déjà dit. Le procès-verbal du district du 2 août « annonce une nouvelle conspiration... ; des scélérats [Note : Robespierre ; — Le Conseil général de la commune dit : « l'infâme scélérat de Robespierre »] ont voulu égarer le peuple et faire égorger ses représentants fidèles pour faire revivre la tyrannie ; une municipalité scélérate (La Commune de Paris) ... a voulu soutenir les traîtres et les soustraire au glaive vengeur » [Note : Allusion à la délivrance, par la Commune de Paris, de Robespierre enfermé au Luxembourg, et à son transfert triomphal à l'Hôtel de Ville (9 thermidor). Les gendarmes de la Convention vinrent l'y prendre ; et le lendemain il était guillotiné].

Des adresses furent envoyées à la Convention et aux représentants du peuple Laignelot et Le Carpentier. La municipalité de Fougères organisa un feu de joie (le 3 août 1794) ; sur le bûcher était placé un mannequin représentant un prêtre, « revêtu du costume et des ornements du fanatisme ».

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La disparition de Robespierre ne modifia pas immédiatement l'attitude révolutionnaire des représentants du peuple. Nous voyons, le 3 août 1794, Le Carpentier ordonner la suppression de tout signe public d'un culte quelconque [Note : Et « ses débris mis à l'écart »] (croix, chapelle, etc.), et renouveler l'ordre rigoureux de célébrer les décades.

De leur côté, les chouans ne désarmaient pas.

Le 11 septembre 1794, le district de Fougères écrivait au Comité de Salut public : « ... Nous faisons depuis huit mois des efforts impuissants... ; les choses en sont à ce point que les fonctionnaires publics et les patriotes en général ne peuvent plus résider dans leurs communes... Ces scélérats (les chouans) répandus... par bandes de 8, 10, 15 et 20 ont jeté la terreur et l'épouvante... Ils sont extrêmement difficiles à atteindre... Ils tombent de jour, de nuit, sur les villages..., égorgent, pillent et trouvent le moyen de s'enfuir... Les papiers des municipalités, recettes de contributions, sont dévastés dans les campagnes... ».

Cependant, la réaction thermidorienne se fit enfin sentir ; les prisons se vidaient ; le 6 août 1794, on démontait la guillotine ; au 25 août, il ne restait plus au château de Fougères que 23 détenus (LE BOUTEILLER, Révolution, feuilleton 70), et bientôt (28 septembre 1794) le représentant du peuple Boursault réclamait l'état des détenus avec « motifs, renseignements et avis sur la mise en liberté ».

 

ARRESTATION DU RECTEUR DE LA CHAPELLE-SAINT-AUBERT.

Beaucoup de libérations s'effectuèrent alors, notamment celle de plusieurs religieuses, dont Mme de Vallois, ancienne supérieure de l'hôpital Saint-Nicolas de Fougères.

Cela n'empêche que, le 14 septembre 1794, on avait arrêté aux Gracières, en la Chapelle-Saint-Aubert, le recteur, M. Bodin, et ses hôtes, les demoiselles Boulé des Gracières, coupables d'avoir recelé des prêtres insermentés [Note : M. Bodin, martyr de la foi, fut exécuté à Rennes le 9 octobre 1794. Les trois demoiselles des Grâcières, également martyres de leur charité, furent guillotinées le même jour]. Mais le district de Fougères sembla désavouer le Comité de surveillance, qui avait fait procéder à l'arrestation ; ou, tout au moins, il blâma les procédés illégaux qu'on avait employé, bien que le vent de pacification qui soufflait ne plût guère à nos administrateurs.

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Hoche avait été nommé, le 21 août 1794, au commandement en chef de l'armée des côtes de Cherbourg. Il lança, le 15 septembre 1794, une proclamation pour engager les chouans à se soumettre, leur promettant amnistie.

Déjà, le général Humbert, par sa lettre du 11 septembre 1794, était entré dans cette voie.

Sans tarder, le 14 septembre, le jour même de l'arrestation de M. Bodin et des demoiselles des Gracières, le district de Fougères avait énergiquement protesté, devant les représentants du peuple et le Comité de Salut public, contre la clémence des généraux.

 

TENTATIVE DE PACIFICATION.

Les propositions d'amnistie aux chouans furent néanmoins confirmées le 24 septembre, et renouvelées le 17 octobre 1794, par le représentant Boursault, par nécessité peut-être, car la situation était telle à ce moment que le 11 novembre 1794 le courrier de Poilley déclarait qu'il ne continuerait pas son service, par crainte des chouans, pour la moitié du revenu de la commune. Survint alors la loi du 2 décembre 1794, décrétant que « toutes les personnes connues sous le nom de rebelles de la Vendée et de chouans, qui déposeraient leurs armes dans le délai d'un mois, ne seront ni inquiétées, ni. recherchées pour le fait de leur révolte ». Le district de Fougères dut donc se résigner à donner « le plus de publication possible à ce décret » (Procès-verbal du district de Fougères du 11 décembre 1794).

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En fait, peu de chouans rentrèrent à ce moment : 45, dit Lemas, et ceux qui le firent eurent soin de conserver leurs meilleurs fusils, malgré la prime qu'on leur proposait.

Les frères du Bois-Guy avaient été hésitants : le 12 novembre 1794, le représentant Boursault écrivait au Comité de Salut public « Les deux Bois-Guy, chefs très dangereux, demandent leur vie pour eux et leur mère » (CHASSIN, Pacification, I, 51).

Cependant ils ne se rendirent pas.

A Nantes, on fit le procès de Carrier (décembre 1794) et on offrit aussi la paix aux Vendéens.

Et le 3 janvier 1795, une trève provisoire fut signée par Cormatin. Bois-Guy ne semble pas encore y avoir consenti.

Le 16 janvier 1795, le district de Fougères signalait des attentats commis par les chouans en Dompierre et en Romazy, qui lui faisaient soupçonner qu'ils cherchaient à se rassembler. En conséquence, il réclamait des troupes.

Le 7 février 1795, il insistait : « la désolation a succédé à l'espérance... ; les vols, les pillages, les égorgements se commettent continuellement ; il est instant de venir à notre secours » ; c'est là, d'ailleurs, un refrain permanent !

Le 13 mars 1795, le district, toujours pessimiste, annonce que les chouans « font des progrès effrayants..., qu'ils embauchent les hommes rentrés (chouans soumis ou militaires en congé)..., font des prisonniers sur les troupes..., intimident les habitants ». Il assure que les chouans « seront bientôt les maîtres de toutes les campagnes..., qu'en peu ils feront la loi... ».

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Désolés des bruits persistants de pacification, nos administrateurs exposent leurs doléances, dans une lettre curieuse, au député fougerais Lebreton, lequel répond en reprochant à Hoche de n'avoir « point de capacité », et aux membres du Comité du Salut public d'être « un peu trop confiants ».

 

DÉSARMEMENT DES TERRORISTES.

Cependant, par lettre du 19 avril 1795, les représentants du peuple Grenot, Guezno et Guermeur prescrivirent, conformément à la loi du 10 avril 1795, le « désarmement de ceux qui ont participé aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le 9 thermidor ». Comment prendre des mesures contre les terroristes, après les avoir soutenus ?

On devine l'embarras du district. Considérant, dit le procès-verbal du 22 avril, que la mesure prescrite pourrait « aigrir les esprits », qu'on ne connaît que « peu de personnes y ayant participé », que celles-ci ne furent que des « instruments aveugles », qu'elles ont donné « des preuves non équivoques de leur zèle », on décide de faire part de ces observations aux représentants du peuple. En réalité, les administrateurs se sentaient solidaires des terroristes.

L'affaire semblait destinée à en rester là ; mais un crime commis, le 26 avril 1795, à la Madeleine, près de Fougères, par un terroriste, Montgodin, directeur des messageries, obligea le district à agir. Cette fois, ce violent fut désarmé par M. Rallier, l'un des administrateurs (1er mai 1795). Ce fut, du reste, le seul châtiment du coupable.

 

PACIFICATION DE 1795. — TRAITÉ DE LA JAUNAIS (17 février 1795) CONFÉRENCES DE LA PRÉVALAIS (31 mars 1795) ET DE LA MABILAIS (20 avril 1795).

Les pourparlers en Vendée aboutirent au traité de la Jaunais, signé par Charette, aux termes duquel les insurgés, reconnaissant la République, cessaient les hostilités, obtenaient le libre exercice du culte, la levée du séquestre mis sur les biens des royalistes, recevaient des indemnités, étaient exemptés de la conscription, etc.

C'étaient là les conditions publiques ; mais il y en eut d'autres. Trop naïvement, les chefs royalistes ajoutèrent foi à des insinuations et même à des promesses qui devaient rester secrètes ; elles étaient faites, au nom du Comité de Salut public, par les représentants du peuple, avec l'intention. évidente de ne pas les tenir [Note : L'existence de ces promesses qu'on a appelées, peut-être à tort, les « articles secrets », car elles furent probablement simplement verbales, paraît indéniable. Elles concernaient la mise en liberté de Louis XVII (+ 8 juin 1795) et de sa sœur, le rétablissement du culte catholique et même de la monarchie. Charette en a affirmé la réalité dans un manifeste du 26 juin 1795 et à la veille de sa mort. Le représentant du peuple Boursault l'a fait également dans ses mémoires que cite Crétineau-Joly. Elles furent l'occasion, le 11 octobre 1795, d'une lettre du district de Fougères à la Convention : Nos administrateurs, indignés de ces « assertions calomnieuses », ne pouvaient croire à ces « promesses fallacieuses » de députés présentant d'une main la branche d'olivier « aux royalistes et recourant de l'autre à l'art funeste de l'empoisonnement ». (Voir CHASSIN, Pacification, I, 205 — WELSHINGER, Aventures de Cormatin, p. 63 — BEAUCHAMP, t. Il — CRÉTINEAU-JOLY — DE LA SIGOTIÈRE, etc...)].

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CORMATIN.

En Bretagne, un agent de Puisaye, alors à Londres (de août 1794 à juin 1795), du nom de Dezoteux, dit baron de Cormatin, ancien officier de dragons, avait noué, à l'insu même de Puisaye, des pourparlers avec les autorités républicaines.

Le 3 janvier 1795, une trève avait été signée entre le général Humbert [Note : Humbert, aventurier lorrain, avait reçu en 1794 le commandement de Fougères et de Vitré. Il se tenait généralement dans cette dernière ville] et Boishardy, qui commandait les chouans dans les Côtes-du-Nord.

Cormatin s'efforça de la faire accepter par tous les chefs royalistes.

Ce ne fut que le 27 mars 1795 (17 germinal an III) que Bois-Guy consentit à signer une trève avec Clinchamp, devenu commandant des forces du district de Fougères.

***

TRAITÉ DE LA MARBILAIS.

Quelques jours après (le 31) s'ouvrirent des conférences à la Prévalais et à la Mabilais, près de Rennes. Aimé du Bois-Guy et son frère s'y rendirent le 24 ou le 25 avril 1795 (cinq jours après la signature du traité, dit Pontbriand, qui se trompe sur le quantième du mois). Les républicains furent étonnés à l'aspect d'Aimé qui venait d'atteindre sa dix-neuvième année. Ils ne pouvaient concevoir que ce jeune homme, semblant frais échappé du collège, fût le chef, si redouté, des royalistes fougerais.

Cormatin entretint Bois-Guy des fameux « articles secrets ». Malgré cela, le jeune chef refusa de signer le traité du 20 avril, parce qu'il n'y voyait aucune signature des généraux républicains ; celles des délégués de la Convention ne lui inspirant guère confiance, et il rentra au Bois-Guy.

Il s'efforça cependant de faire respecter les clauses de ce traité qui, à la vérité, furent assez mal observées de part et d'autre [Note : Cormatin parcourait tout le territoire avec le général Humbert ; le 7 mai, il y eut une grande réunion à Bazougers dans la Mayenne ; on rédigea un règlement pour l'application de la trêve. Le 10 mai au matin, Cormatin, encore accompagné d'Humbert, réunissait les chouans à Billé et leur distribuait le règlement ; l'après-midi, il était à Saint-Aubin. (Correspond. du district ; Lettre du 12 mai 1795. Arch. Départ.)] La paix, du reste, ne fut pas de longue durée, puisque le 25 mai 1795, au soir, Cormatin était arrêté à Rennes avec plusieurs chefs royalistes.

Nous verrons que Bois-Guy faillit l'être lui-même. Son lieutenant, Louis du Pontavice, arrêté le lendemain ou le surlendemain, à Fougères, fut incarcéré à Rennes, le 27 mai 1795 [Note : Ecrou de la Tour Le Bast, 8 prairial an III. Du Pontavice fut relâché le 30 mai (11 prairial) par Hoche, en vertu de l'arrêté des représentants du peuple du 8 prairial (27 mai 1795)].

Les administrateurs du district de Fougères, qui ne croyaient pas à la bonne foi des royalistes, ne cessèrent de protester contre la pacification [Note : Cela ne les empêchait pas, le 2 avril 1795, d'inviter les prêtres reparus « ministres d'un culte de paix et de bienfaisance », qui, « réunissant la confiance des cultivateurs, sont plus propres que personne à ce genre de mission », à engager les fermiers à porter leurs grains au marché de Fougères. — Singuliers personnages, ces administrateurs, farouches persécuteurs du clergé et prêts à réclamer ses services !]. La rupture leur donna l'occasion de se vanter de leur prétendue clairvoyance.

 

RÉTABLISSEMENT MOMENTANÉ DU CULTE (12 avril 1795 - 6 septembre 1795).

Si les projets de pacification n'eurent pas une longue suite, au point de vue militaire, ils eurent cependant pour résultat d'amener le rétablissement du culte public pendant quelques mois.

Par arrêté des représentants du peuple du 26 mars 1795, les prêtres détenus pour refus de serment furent mis en liberté. Un autre arrêté du 12 avril 1795 autorisa les districts à accorder aux citoyens qui le demanderaient, la location des églises pour pouvoir y faire célébrer le culte.

En conséquence furent ouvertes, par décision du district (sans qu'on dise si c'était pour des prêtres assermentés ou pour d'autres), les églises suivantes :

Le 22 avril 1795, la chapelle Saint-Louis. A cette occasion, le marché à la toile fut reporté, comme il l'était précédemment, au-dessus de la halle à viande, sur la place du Brulis, et l'auditoire, qui avait été également installé dans cette chapelle, alla à Saint-Nicolas. Ce même jour fut affermée l'église d'Antrain aux prêtres assermentés.

Le 24 avril, les églises de Gosné, Parcé, Saint-Georges-de-Reintembault, Saint-Ouen-des-Alleux.

Le 12 mai, l'église de Saint-Sulpice de Fougères.

Le 14 mai, celles de Saint-Germain et de La Selle-en-Cogles.

Le 16 mai, celles de Saint-Brice, Louvigné, Beaucé, Le Ferré, Parigné et La Selle-en-Luitré.

Le 20 mai„ celle de Saint-Etienne.

Le 28, celles de Laignelet, Javené et Montours.

Le 3 juin 1795, celle de La Chapelle-Saint-Aubert.

D'autres églises de la région, probablement, purent encore être ouvertes. Il n'est question, au district, ni de Saint-Léonard [Note : Le conseil général de la commune, le 26 avril 1795, déclarait s'opposer à l'occupation de Saint-Léonard pour « l'exercice de tout culte particulier quelconque ». (LE BOUTEILLER, feuilleton 74). Le 11 juillet 1795, le même conseil émettait l'avis que la pétition d'un prêtre catholique (M. Foucault) demandant l'autorisation de célébrer à Saint-Léonard fût refusée parce « qu'il exige qu'on n'y célèbre point les fêtes décadaires ». (Id., feuilleton 74)], ni de Saint-Nicolas.

 

RENTRÉE DU RECTEUR DE SAINT-SULPICE.

A Fougères, les prêtres fidèles de Saint-Sulpice, dont le recteur, M. Beaulieu, revenu d'exil, officièrent à l'église paroissiale, et ceux de Saint-Léonard, à Saint-Louis.

Je ne Sais où exercèrent alors les prêtres schismatiques ; il ne semble pas que ce fût à Saint-Léonard, ni à Saint-Nicolas, ces édifices ayant alors une destination profane, à moins qu'on n'ait essayé de concilier les deux destinations, ce que je ne pense pas, car dans la pensée du Conseil général de la commune, Saint-Louis aurait été, en cas de demande, accordé aux assermentés (voir Le Bouteiller, feuilleton 74, verso, colonne 2). Il paraît probable que les schismatiques ne firent alors aucune demande et ne reprirent pas le culte public à Fougères.

La rentrée de M. Beaulieu dans son église de Saint-Sulpice ne fut pas sans susciter quelque tapage. Des hommes résolus durent passer dans l'église la nuit du 25 au 26 mai 1795 ; et, quelques jours plus tôt, des femmes courageuses étaient montées dans la tribune de l'orgue avec des pierres pour défendre le précieux instrument que voulaient détruire les fanatiques révolutionnaires, ce qui montre que le recteur de Saint-Sulpice avait l'estime et l'appui des catholiques fidèles de sa paroisse [Note : 47. Voir LE BOUTEILLER, feuilleton 74. — Récemment, non content de rééditer des racontars (voir LEMAS, district breton, p. 267), peu dignes de foi, d'un fonctionnaire de la révolution, coutumier de rapports calomnieux contre les prêtres fidèles, un conférencier, étranger au pays et peu au courant de notre histoire, a essayé, assez maladroitement et sans aucune vraisemblance, d'identifier le vénérable M. Beaulieu, dont le souvenir pourtant s'est pieusement conservé dans la paroisse, avec le fameux abbé Gudin des « chouans » de Balzac. Déjà, on avait tenté d'identifier ce personnage imaginaire, créé de toutes pièces par l'imagination du romancier, avec un martyr de la foi, l'abbé Duval. La vraisemblance était également nulle, mais le scandale était plus grand encore. Aussi l'auteur de cette dernière identification se sentit obligé à des rectifications dans l'édition définitive de son ouvrage (SERVAL : Autour d'an roman de Balzac). A la fin de la révolution (avril 1800), à la demande du sous-préfet Baron, le digne abbé Beaulieu s'entremit près de Bobon, pour réclamer la liberté du commandant Vernier, que les abrigandés retenaient prisonnier (LE BOUTEILLER, Rév., 142) ; ce qui établit aussi que M. Beaulieu avait su conquérir la confiance des hommes de tous les partis].

***

Nous avons dit qu'à cette époque on toléra que la soumission soit accompagnée de réserves concernant la foi. Mais le culte ne fut pas autorisé longtemps.

Le dimanche 20 septembre 1795, toutes les églises étaient fermées, et les prêtres, disparus, à la suite du décret du 20 fructidor an III (6 septembre 1795), publié à Dol dès le 13 septembre 1795). Ce décret ne permettait plus les réserves dans l'acte de soumission.

Peu après (26 octobre 1795), on ordonnait la reprise de l'exécution des lois de persécution contre les prêtres qui avaient refusé le serment schismatique.

Le recteur de Saint-Sulpice, M. Beaulieu, se cacha dans sa paroisse, où il continua secrètement son ministère. Il fut rencontré, dans la rue des Vallées, un soir qu'il allait visiter un malade, par le commandant de la garde nationale de Fougères, Jean Delise, qui eut la charité de lui promettre de garder le silence (Voir les notes manuscrites de l'abbé Piron à la bibliothèque de Fougères). D'autres furent plus haineux. M. Beaulieu fut arrêté, par Cavé fils (LE BOUTEILLER, Révolution, feuilleton 114 verso), le 26 août 1796, et enfermé à Rennes, au Bon-Pasteur, d'où il s'évada avec quatre autres prêtres, dans la nuit du 6 au 7 octobre 1796.  M. Piron croit qu'il fut repris et enfermé jusqu'en 1797.

 

REPRISE DES HOSTILITÉS (1er juin 1795). — HOCHE ET BOIS-GUY (fin mai 1795). — LA GRANDE GUERRE.

Comme celui de la Jaunais, le traité de la Mabilais prévoyait la formation d'un corps de 2.000 chasseurs pris dans les chouans, et soldés par le trésor public. Ces hommes devaient être chargés de la sûreté générale à l'intérieur.

Cormatin, le 22 mai 1795, prétendit que cette organisation lui incombait, mais les représentants du peuple en avaient chargé le général Hoche, que nous voyons à Fougères (où, selon Billard de Vaux, il était arrivé ce même jour du 22 mai, dans la nuit) occupé à créer une compagnie de 150 chasseurs chouans, dont il confiait le commandement à Aimé du Bois-Guy et à Louis du Pontavice.

Trois jours après, le 25 mai (voir l'écrou de la Tour Le Bast, 6 prairial), Hoche recevait l'ordre d'arrêter Cormatin et les principaux chefs royalistes. L'ordre est du 24 ; il ne fut exécuté que le 25 mai, à 5 h. 1/2 du soir, à l'hôtel de la Grand' Maison, à Rennes, en ce qui concerne Cormatin.

***

On lit dans les mémoires de Pontbriand, beau-frère de Bois-Guy. que Hoche, pour s'emparer de ce dernier, à qui il venait d'offrir un commandement, essaya d 'un procédé peu digne d'un général français : il se rendit à Fougères [Note : Sans doute le 26 mai 1795, dans l'après-midi. Pontbriand dit le 27 ; il doit se tromper de date, comme cela lui arrive assez souvent. Mais il précise : « le lendemain de l'arrestation de Cormatin » — ce qui correspond bien au 26], chez son ami Clinchamp [Note : Clinchamp semble avoir habité rue Riboisière (hôtel de la Moussaye). (Le Bouteiller, notes manuscrites)], chef militaire de l'arrondissement, et y convoqua Bois-Guy.

 

HOCHE ET BOIS-GUY.

A Fougères on ignorait [Note : Clinchamp semble avoir habité rue Riboisière (hôtel de la Moussaye). (Le Bouteiller, notes manuscrites)] encore l'arrestation de Cormatin à Rennes. Sans méfiance, Bois-Guy allait entrer chez Hoche, lorsqu'un officier de la garnison l'avertit du guet-apens qui lui était tendu, et lui apprit qu'une troupe était en route pour cerner le château du Bois-Guy.

Aimé saute à cheval, arrive à. temps chez lui pour prévenir son frère et quelques chouans qui étaient au château.

C'est, vraisemblablement, la troupe dirigée sur le Bois-Guy qui arrêta, après un combat [Note : Certificat délivré à Pontavice par Bois-Guy, alors préfet des Ardennes, le 21 août 1816. Louis du Pontavice fut alors enfermé à la tour Le Bast à Rennes (27 mai 1795) ; mis peu après en liberté (30 mai), il se retira à Placé, district de Mayenne. Là, il fut encore arrêté et envoyé à la maison d'arrêt de Mayenne (26 juin 1795). Grâce aux supplications de sa sœur, les représentants du peuple le firent relâcher à la condition qu'il se retirât à Chartres. Ce qu'il fit. Lors de la reprise des hostilités, il fut remplacé, comme lieutenant de Bois-Guy, par Hay de Bonteville], Louis du Pontavice accourant avec des soldats royalistes à l'appel d'Aimé, désireux de se venger.

Trois autres chefs chouans furent aussi arrêtés.

Croyant encore Hoche à Fougères, Bois-Guy tendit, dès le lendemain, une embuscade à la Chaîne, sur la route de Fougères à Rennes. Mais le général était reparti dans la nuit même.

Le 31 mai 1795, une troupe se rendant à Rennes tombait dans l'embuscade préparée. Un officier, fait prisonnier, à qui Bois-Guy fit rendre la liberté, fut chargé de dire à Hoche que c'était lui qu'on voulait prendre pour avoir une explication. L'officier en question rendit compte à Aimé de sa mission. Hoche prétendait n'avoir agi qu'en vue de la pacification, ce qui ne détruit pas la vilenie du guet-apens [Note : Lemas, dans son « District breton », p. 156, nie cet épisode peu glorieux de la carrière de Hoche ; cependant, les détails donnés par Pontbriand, mieux renseigné que personne et mémorialiste honnête, à qui l'on ne saurait reprocher que des erreurs de date, sont de ceux qui ne s'inventent pas. Lemas appuie sa négation de considérations qui ne prouvent rien et qui même sont en partie inexactes : « Hoche, dit-il, ne vint à Fougères ni le 27, ni le 28, ni le 29... ». Qu'en sait-il ? On ne saurait prétendre sérieusement que mention de tous les voyages de Hoche à Fougères doive se retrouver dans les registres du district : trois heures de cheval suffisaient à Hoche, encore tout jeune, pour venir de Rennes ; et ses rapports avec les autorités civiles qui le détestaient, à cause de l'appui qu'il donnait à Clinchamp, n'étaient pas tels qu'il se crût obligé de leur rendre visite à chaque fois. On sait, d'autre part, que Hoche voyageait souvent la nuit. En sorte qu'on pouvait lui écrire à Rennes sans connaître sa présence à Fougères. — Puis, il doit s'agir très probablement du 26 ! En tout cas, Hoche pouvait très bien, dans la même journée, se trouver à la fois à Rennes et à Fougères. (Voir, du reste, LE BOUTEILLER, 77, et PONTBRIAND, p. 114)].

***

LA GRANDE GUERRE.

Le lendemain de l 'affaire de la Chaîne (1er juin 1795), le général républicain annonça publiquement l'a reprise des hostilités en des termes insultants : « ... La lâcheté de vos ennemis, disait-il, vous les livre à demi-vaincus ». (Crétineau Joly).

Bois-Guy lui montra vite qu'il n'était ni lâche, ni vaincu.

Dès juillet 1795, ses chouans venaient provoquer les bleus jusque sur les collines environnant le château de Fougères, et lui-même fit preuve d'une activité extraordinaire, ainsi que d'un véritable talent militaire.

Cela lui valut l'admiration de ses ennemis même, au point que durant une courte trève, au milieu d'un rude combat dans la région de Vitré (5 juin 1795), le général Humbert, s'approchant du jeune chef royaliste, reconnut publiquement sa valeur et celle de ses soldats. Bois-Guy, du reste, n'hésita pas à constater le courage des troupes républicaines, et, après ces compliments, le combat reprit de plus belle [Note : Cet épisode est encore nié par Lemas (p. 162). Evidemment, il ne, figure pas dans les rapports officiels. Humbert ne pouvait le faire connaître. Quant à Pontbriand, répétons qu'il était renseigné de première main, et qu'il n'a rien d'un menteur. — Humbert et Bois-Guy avaient déjà eu des rapports courtois. Le général républicain avait invité le chef royaliste à déjeuner à Fougères, dans les premiers jours d'avril 1795, et Aimé avait accepté avec son frère]. Royalistes et républicains s'en attribuèrent le succès.

***

En 1795, il ne s'agit plus de la guerre de surprise, de la petite guerre de partisans et d'embûches, comme en 1794. C'est la guerre ouverte, avec de forts effectifs, ce sont des batailles rangées entre des troupes comptant parfois plusieurs milliers d'hommes, des sièges de villes ou de bourgs fortifiés.

Vers ce temps, y compris les chouans des pays d'Avranches et d'Ernée à lui confiés, Bois-Guy eut sous ses ordres jusqu'à 5.000 hommes. Plus tard, son commandement s'étendra même à une grande partie de l'Ille-et-Vilaine et débordera sur les Côtes-du-Nord.

Bois-Guy avait donné un drapeau à ses soldats ; chaque division avait une tenue distincte.

Il est impossible de raconter ici les nombreux combats qui se livrèrent alors dans notre malheureux pays.

D'août 1795 à mai 1796, une affaire, plus ou moins importante, se trouva engagée presque chaque jour par les chouans, et la plupart du temps avec succès, grâce au talent de Bois-Guy, au courage de ses soldats, à leur connaissance du pays, et aussi à l'aide que presque partout ils rencontraient secrètement chez les habitants des campagnes. Ajoutons qu'une partie des troupes républicaines avaient été envoyées vers Quiberon (descente des émigrés, 7 messidor an III — 26 juin 1795).

La situation était devenue telle que vers la mi-août 1795, le général Crublier, alors commandant à Fougères, essaya, sans succès du reste, de négocier une trève avec les chouans, par l'entremise de Tuffin de la Rouërie [Note : Arch. départ. GM-70. — Il s'agit de Marie-Eugène-Charles Tuffin, époux de Thérèse Patard de la Mélinière, tué par les bleus dans les marais de Dol le 17 mars 1796. C'était le cousin du célèbre conspirateur, il faisait partie de l'état-major de Bois-Guy].

 

EFFROI DES RÉPUBLICAINS.

Enhardis par leurs succès, les chouans faisaient apposer des affiches jusque dans la ville, pour engager les bleus à se joindre à eux ; et beaucoup de soldats républicains, même des officiers, le faisaient. Les déserteurs républicains furent très nombreux.

Les chouans coupaient les ponts sur les grandes routes, arrêtaient les convois, s'en emparaient et en donnaient décharge aux charretiers qui s'en retournaient à vide. Ils empêchaient de cultiver les biens nationaux, ou exigeaient que les fermiers leur versâssent le prix du loyer, dont ils délivraient quittance [Note : Par arrêté du 19 thermidor an IV, les ministres de la guerre et des finances autorisèrent les receveurs de l'enregistrement à prendre comme paiement les quittances et bons de réquisition des chouans (DELARUE, notes manuscrites)], ou bien ils enlevaient de la ferme, jusqu'à concurrence de ce prix, tout ce qui leur était nécessaire (paille, farine, chevaux, etc.). Ils empêchaient les approvisionnements de parvenir en ville, au grand désespoir des administrateurs du district, obligés à procéder, sous la protection de forts détachements, à de pénibles réquisitions dans les campagnes.

D'autre part, les commandants militaires de l'arrondissement, après le départ de Clinchamp, mal vu du district, étaient changés sans cesse et ne réussissaient pas à connaître suffisamment le pays, malgré les indications des gardes territoriales.

Le 28 septembre 1795, le district écrivait que la ville de Fougères était privée, depuis trois semaines, de la poste de Paris, faute d'escorte suffisante pour le courrier.

En mars 1796, le courrier n'était pas parvenu depuis le 23 décembre 1795.

Du 5 juin au 27 juillet 1795, les membres de la municipalité de Bazouges-la-Pérouse durent quitter la commune, par crainte des chouans. Beaucoup de fonctionnaires des divers cantons firent de même et se réfugièrent en ville.

Les autorités étaient affolées.

***

Le général Humbert amena à Fougères des troupes fraîches ; des cantonnements, généralement forts d'une centaine d'hommes, furent établis, à des dates diverses [Note : En mai et en août 1795, il y avait 4 cantonnements dans les campagnes du district de Fougères (Arch. départ.) ; en décembre 1795, il y en avait 8], au Loroux, à Fleurigné, à Louvigné, au Pont-dom-Guérin, à Saint-Georges-de-Reintembault, à Montours, à Saint-Aubin, à Saint-Jean, à Saint-Marc-le-Blanc, à Antrain, à Tremblay, au Pontavice, à Bazouges-la-Pérouse, à Saint-Ouen-la-Rouërie, à Rimou, etc.

Le district écrivait (18 octobre 1795), au Comité de Salut public : « On ne compte plus les chouans que par milliers ; ils ne craignent pas d'attaquer un bataillon entier ».

Le commissaire provisoire du Directoire exécutif à Fougères, Lebeschu, écrivait à son tour au département, après une grave affaire à la Plochais [Note : Il s'agit de la seconde affaire de la Plochais. En ce lieu, le 24 juillet 1795, il s'en était passé une autre que nous ne saurions taire : un important convoi y fut capturé par les Chouans. Guy du Bois-Guy, frère d'Aimé fut tué. Pendant le combat, des chouans assassinèrent, pour les voler, deux jeunes filles dé Fougères qui voyageaient dans une voiture du convoi, sous la protection d'une forte escorte. Aimé fit mettre à mort les chouans reconnus coupables. On a reproché à Aimé d'avoir ce jour-là fait fusiller 13 prisonniers ; mais il semble que les circonstances finales du combat l'y obligèrent. (Voir LE BOUTEILLER, Révolution, n° 81)], en Louvigné (fin décembre 1795) : « ... C'est un désastre continuel... ; les chouans dont on porte le nombre à 6 ou 8.000..., sont absolument maîtres du pays... Ils ne marchent plus qu'en masse, et cette masse est presque incalculable... Nous tremblons... (trois fois répété) ».

Les gardes nationales manquaient de fusils et de cartouches.

Et les succès de Bois-Guy continuaient : au début de mars 1796, il s'empara de Saint-James, et pendant plusieurs mois il conserva cette place en son pouvoir.

***

ON CROIT BOIS-GUY TUÉ.

En mai 1796, les républicains eurent une fausse joie.

Le jeune chef royaliste, accompagné d'un seul homme, le capitaine Poirier, dit Sans-Chagrin, avait été surpris, entre Montours et Poilley, par un détachement républicain. Suivi de près dans sa fuite par un tambour-major, Bois-Guy, pour le retarder, lui jeta successivement sa croix de Saint-Louis, ses épaulettes, son sabre, etc., et il réussit à s'échapper. Son compagnon ayant été saisi, se présenta comme étant Bois-Guy, avec l'espoir d'arrêter la poursuite. Le dévoué capitaine fut tué. Et le tambour-major, revenu avec les effets du général chouan, se vanta d'avoir tué Bois-Guy. Ce fut à Fougères, dans le clan républicain, une explosion de joie ; on transmit la nouvelle à Paris ; les journaux la relatèrent ; on organisa à Fougères une grande fête ; les dépouilles de Bois-Guy furent portées comme des trophées ; le tambour-major fut félicité et embrassé publiquement au son de la Marseillaise.

Bientôt il fallut déchanter. Bois-Guy fit voir qu'il n'était pas mort. Le 17 du même mois (mai 1796), il attaqua, près de Poilley, une colonne de 3.000 hommes, sans succès, il est vrai ; mais peu après, il vengea sa défaite, et il osa, vers la, fin du même mois, livrer bataille, au Ferré, à une troupe de 4.000 soldats. Il faut dire qu'il ne savait pas cette troupe si nombreuse, et que cette fois encore il dut battre en retraite, ce qu'il put faire à temps, sans grosses pertes.

 

CESSATION DES HOSTILITÉS. — SOUMISSION DE BOIS-GUY (26 juin 1796) — SON ARRESTATION (17-18 mars 1797).

Cependant la guerre était finie en Vendée. Stofflet était mort, le 13 février 1796 ; Charette, le 29 mars 1796.

Dès lors, les troupes républicaines affluèrent dans nos régions. Hoche, revenu de la Vendée à Rennes, prit, le 17 mars 1796, la direction des armées des côtes de Brest.

Malgré cela la lutte, dans nos pays, continua jusqu'en juin 1796 ; mais en Bretagne, comme en Vendée, tous les chefs successivement, mettaient bas les armes.

Un des derniers, Bois-Guy céda (21 juin 1796).

Il se retira dans son château, en Parigné, avec sa mère et sa sœur. Il alla bientôt passer quelque temps en famille, au château de la Caunelaye, près de Plancoët, chez sa sœur qui avait épousé, à Parigné, le 7 septembre 1796, son compagnon d'armes, Toussaint du Breil de Pontbriand, auteur de mémoires détaillés sur la chouannerie.

Bois-Guy revint ensuite à Parigné.

Il y vivait tranquille, lorsqu'il fut arrêté, sans qu'on sache au juste pourquoi, dans la nuit du 17 au 18 mars 1797. On allégua plus tard qu'il avait promis de quitter le pays. Cependant, les autorités n'ignoraient pas sa présence en son château, qu'il faisait réparer, et qu'il meublait, ce qui montre ses intentions pacifiques [Note : LEMAS, District breton, p. 27. — Au lieu de l'arrêter brutalement, on aurait pu, tout au moins, lui rappeler sa prétendue promesse]. D'ailleurs, Julien Loysel, commissaire du pouvoir exécutif à Fougères, peu suspect de tendresse pour Bois-Guy, avait assuré que Bois-Guy paraissait opposé à une reprise des hostilités.

D'abord enfermé au château de Saumur, Aimé ne fut plus ensuite qu'interné dans cette ville jusqu'en janvier 1799, époque à laquelle il fut de nouveau écroué au château.

L'arrestation de Bois-Guy causa, comme on pouvait s'y attendre, une vive émotion chez ses anciens soldats.

 

LA CONSTITUTION DE L'AN III (Votée en août et appliquée en novembre 1795) — ACCALMIE DE 1797. — LE 18 FRUCTIDOR AN V (4 septembre 1797) — NOUVELLE TERREUR. — NOUVELLE CHOUANNERIE (mars 1798).

La Constitution de l'an III établissait le Conseil des Cinq Cents et celui des Anciens, avec un Directoire de cinq membres.

Elle maintenait une administration départementale, en créait une par canton, et supprimait les districts et les municipalités communales.

Celles-ci étaient remplacées (sauf en ce qui concerne la ville où la nouvelle administration comprenait cinq membres) [Note : Le premier président de l'administration de Fougères fut Sulpice Martin ; après lui, fut nommé en 1797 : Loysel jeune] simplement par un agent municipal et un adjoint, élus dans la commune.

Dans chaque canton était constituée, une « municipalité », formée des « agents » de chaque commune du canton, assistés d'un « commissaire du pouvoir exécutif » [Note : A Fougères, il y eut d'abord un Commissaire « provisoire », M. Julien-Noël Le Beschu ; puis, à partir du 12 mars 1796, le Commissaire fut Julien-J.-F. Loysel (né en 1752 à Fougères, décédé rue de l'Horloge en 1829), ex-maire de Fougères (de février à juin 1790), ex-administrateur du département (juin 1790), ex-juge au tribunal de Fougères (15 décembre 1790) (dont il fut président de 1800 à 1815), ex-directeur de l'hospice du Salut public (St-Nicolas) (fin de 1795). Elu au Conseil des Anciens, il fut remplacé, comme commissaire, le 18 août 1798, par son frère J.-François-Marie Loysel, ex-administrateur du district (juin 1793) et du département (30 octobre 1793 au 16 août 1794). Le commissaire près le canton rural de Fougères, ou canton de Romagné, fut d'abord Baron, puis Lebouc, ancien maire de Fougères. Celui du canton de Parcé : Paturel, notaire. Celui du canton de Billé : Lecoq. Celui du canton de Saint-Marc-le-Blanc : Letellier, juge de paix ; puis, à partir d'avril 1796, Collin, notaire. Celui-ci, convaincu de crimes odieux fut remplacé, en mars 1798, par l'abbé Bégasse du Flégés. Le commissaire du canton de Fleurigné fut Lottin, ex-maire du Loroux. Celui de Louvigné : Gautier, puis Lenglet, prêtre marié, agent municipal de Bazouges, et enfin Hantraye ex-percepteur. Celui de Saint-Georges : Rébillon. Celui de Saint-Brice : Deroyer. Celui de Saint-Aubin : Coutard, ex-curé jureur de St-Marc-sur-Couesnon. Celui d'Antrain : Perrin, frère du juge de paix. Celui de Bazouges-la-Pérouse : François-Anne Gautier, ancien procureur de la commune et ancien administrateur du district de Dol. — Celui de Sens : Rimasson. — Le commissaire général à Rennes fut d'abord Beaujard, qui, nommé membre du Conseil des Cinq-Cents, fut remplacé par Pontallier Jules. — Ces divers personnages tirèrent une influence, plus ou moins grande, souvent néfaste, des relations qu'ils étaient tenus d'entretenir, très fréquemment, avec le département. La correspondance des Loysel, notamment, est très volumineuse. (Arch. départ.). On le voit, certains de ces commissaires étaient ecclésiastiques. On retrouve dans les registres cantonaux quelques-uns de leurs discours ; certains sont indignes d'un prêtre et font peine à lire], nommé par le département avec lequel il entretenait une correspondance suivie.

Soumise à l'approbation des assemblées primaires, le 6 septembre 1795, la nouvelle Constitution fut mise en application à la suite d'un arrêté départemental du 18 novembre 1795. La formation des municipalités cantonales fut parfois pénible. Une Commission provisoire du district de Fougères expédia les affaires jusqu'au 26 décembre 1796.

***

CULTE RÉTABLI ET SUPPRIMÉ.

La situation religieuse passa par toutes les alternatives.

Les églises, ouvertes en avril 1795, étaient fermées dès le 20 septembre de la même année, le décret du 20 fructidor an III (6 septembre 1795) prescrivant le bannissement des prêtres déportés rentrés, et interdisant les réserves tolérées, depuis quelque temps, dans les serments.

Réglementant l'exercice du culte, le 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795), la Convention préparait une nouvelle formule de serment, et ordonnait à nouveau la suppression de tout signe extérieur de religion.

Enfin, les 3-4 brumaire an IV (25-26 octobre 1795), à la veille même de sa disparition, la Convention remettait en vigueur les lois de proscription de 1792 et de 1793, provoquant ainsi la poursuite des prêtres insermentés, cachés depuis le 20 septembre 1795.

Arrive le 4 décembre 1796 (14 frimaire an V). La loi précédente (3-4 brumaire) était rapportée. Les prêtres détenus ne tardèrent pas à être mis en liberté ; ceux qui s'étaient cachés purent reparaître et les églises se rouvrirent [Note : On put croire un instant que l'église de Saint-Sulpice de Fougères allait être rendue au culte pour la seconde fois. A la suite d'une pétition, l'administration municipale en autorisa la réouverture (4 janvier 1797). Mais les prêtres, sur lesquels les pétitionnaires avaient compté, refusèrent de prêter le nouveau serment du 29 septembre 1795. (Voir LE BOUTEILLER, Révolution, feuilleton 117). L'église de Louvigné fut rouverte le 6 juin 1797 (Fête-Dieu). Depuis plusieurs mois, les prêtres officiaient dans les villages de la commune. A Parcé, il semble que l'église était restée ouverte depuis 1795. (Voir LE BOUTEILLER, Révolution, 118)] assez nombreuses.

Le culte ne fut pas partout rétabli aussitôt, les autorités subalternes étant, le plus souvent, plus sectaires que les autres. C'est ainsi que le 17 décembre 1796, les habitants de Bazouges-la-Pérouse durent réclamer du département la liberté des cultes, que refusaient les autorités locales, alors que dans les communes voisines les prêtres insermentés officiaient dans les églises [Note : A Bazouges, le culte se faisait alors à la Boudonnière et à Martigné (lettre de Gautier, commissaire du canton, du 1er janvier 1797)].

Une nouvelle loi (7 fructidor an V — 24 août 1797), vint bientôt abolir toutes celles antérieures, qui étaient hostiles au clergé. Elle supprimait toute espèce de serment.

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DÉPORTATION DES PRÊTRES FIDÈLES (1797).

Mais onze jours plus tard se produisait le Coup d'Etat du 18 Fructidor (4 septembre 1797).

Une nouvelle Terreur s'en suivit, différant de la première, en ce que la guillotine était remplacée par la déportation. Le 19 fructidor an V (5 septembre 1797) parut une nouvelle formule de serment.

Les dénonciations, les perquisitions, recommencèrent comme en 1794. Les ecclésiastiques, dont on découvrait le refuge, étaient jetés en prison et déportés à Cayenne ou à l'île de Ré, lorsqu'ils n'étaient pas sexagénaires.

En vertu d'ordres du département, il fut procédé le 7 décembre 1797, à une recherche des royalistes ; mais les plus notoires purent échapper aux poursuites.

Le 15 décembre 1797, on procéda au désarmement des anciens chouans.

La colère, peu à peu, gagna ceux-ci, qui avaient déjà eu quelques velléités de révolte lors de l'arrestation de Bois-Cuy.

Une nouvelle chouannerie était fatale.

 

LES FAUX-CHOUANS ET LES ABRIGANDÉS.

Les hommes de la Révolution, dans leur chasse aux prêtres et aux royalistes, avaient non seulement provoqué des dénonciations, payé des espions et recruté des traîtres, mais encore ils mirent à exécution un plan, vraiment diabolique, pour faciliter les arrestations, perdre les chouans dans l'opinion publique, et légitimer de prétendues représailles.

Ils inventèrent les « faux chouans » [Note : Ne pas confondre avec les « contre chouans »], soldats républicains ou même repris de justice, souvent galériens échappés du bagne, déguisés en chouans, portant leur costume et la cocarde blanche, se mêlant aux royalistes pour les trahir : « Ils prendront le costume et le langage des royalistes. » (Loysel, lettre du 4 avril 1799).

L'institution des faux chouans remonte pour le moins à septembre 1794. Le général Rey en organisa à cette époque dans l'arrondissement de Saint-Malo (POMMERET, L'Esprit public dans les Côtes-du-Nord, p. 295).

Le 15 novembre 1794, le général Rossignol écrivait : « ... ils (les faux chouans) me disent qu'ils ont été démasqués... On pourrait les utiliser ailleurs ; ils ont fait leur coup ici : ils ont fait abhorer les chouans, nous n'en demandions pas davantage... » (Voir CRÉTINEAU-JOLY, t. III).

Au début de 1795, le général Krieg écrivait de son côté au représentant Bollet, à Rennes : « Sauf le cas de guerre, il n'y a pas, de leur part (des chouans), tous les crimes qu'on leur attribue. Ce sont de bons soldats et de braves gens... Ce qui fait le mal dans ces contrées, c'est le galérien qui y fourmille et dont on a fait de véritables chouans de contrebande... ; on les appelle les faux chouans » (DE PONTBRIAND, Général Bois-Guy, p. 94).

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En 1798, la tactique du commissaire François Loysel contre les chouans renaissants, peut se résumer en ces deux mots tirés de sa correspondance avec le département : « la ruse et l'argent » (lettre du 13 novembre 1798).

C'est dire qu'il chercha à recruter des espions et à constituer des bandes de faux chouans. Le gouvernement lui accorda, comma première avance, la misérable somme de 150 livres. Il estimait qu'il fallait accorder cent livres pour chaque prise de contre-révolutionnaire, ainsi qu'il était promis pour la capture d'un émigré. Cependant, on le voit distribuer, un jour, douze livres seulement à chacun des deux traîtres qui venaient de préparer un guet-apens mortel, à deux de leurs anciens camarades !

A ses espions, Loysel promet 20 sous par jour, solde qu'il n'estime pas « excessive ! ! ». En plus, il accorde « part aux prises ». (Lettre du 4 avril 1799).

Le procédé était, du reste, expressément recommandé en haut lieu. Le ministre de la police, Sotin, ne craignait pas d'écrire, le 13 mars 1798 : « ... Il faut que la chouannerie soit déshonorée... Je vous envoie des jacobins... ; laissez-les faire, et ils iront plus loin que les insurgés..., qu'ils compromettent par de bons excès, tous ces gens... ; qu'ils soient barbares en criant : Vive le roi, et en priant le ci-devant bon Dieu. Faites dresser des procès-verbaux par les compères de l'administration... ; qu'on m'adresse tout cela avec des détails horribles... ; le reste me regarde... » (CRÉTINEAU-JOLY, II, 591 — Edition illustrée).

C'est épouvantable ; mais cela explique les calomnies et les mensonges de certains rapports officiels, et aussi certaines atrocités mises au compte des royalistes.

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Il faut dire, cependant, qu'à côté de ces « faux chouans », il y eut de vrais chouans, très peu nombreux, mais très vindicatifs, qui, malgré les ordres de Bois-Guy, n'avaient pas voulu se soumettre en 1796, avaient continué la lutte sans chef, comme sans mandat, et s'étaient abrigandés.

Les documents de 1797 et 1799, mentionnant leurs exploits, rappellent toujours les mêmes noms : ce sont les deux frères Bobon, Maziau dit Roch, Macé dit le Prince, Royer dit Grand-Pierre... ; une dizaine tout au plus, mais terriblement audacieux.

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C'est sans doute le souvenir lugubre de ces deux catégories d'hommes, faux chouans et abrigandés, peu recommandables, mais à des titres divers ; souvenir joint, il faut le dire encore, à la tactique des royalistes qui, pour paraître redoutables, effrayer leurs hôtes quand ils en étaient peu sûrs, et éviter les délations, affectaient de multiplier les menaces, et ne craignaient pas même, à l'occasion, de se vanter de crimes qu'ils n'avaient pas commis ; c'est le souvenir de tout cela, qui fait que, de nos jours encore, le nom de chouan est trop souvent pris en mauvaise part, bien à tort, du reste, car, en dehors des traîtres et des brigands dont nous venons de parler, les vrais chouans qui, pour la plupart, étaient des jeunes gens appartenant aux meilleures familles du pays, furent, dans l'ensemble, de bons et loyaux soldats, et, pour reprendre l'expression du général républicain Krieg, « de braves gens ». Parmi eux, il est vrai, se trouvaient de nombreux déserteurs de l'armée régulière, et si certains de ceux-ci étaient d'honnêtes républicains désabusés, d'autres pouvaient être des indisciplinés. Les documents nous montrent ces deux catégories [Note : Dans la première catégorie, on peut citer, d'après les archives du district, le capitaine Heurtier, car les officiers de l'armée passaient eux-mêmes chez les chouans. Dans la catégorie des déserteurs peu recommandables, on peut citer un certain Colliau, convaincu de crimes, qui, après avoir déserté et être resté peu de temps avec les chouans, retourna chez les bleus et accusa faussement ses anciens camarades. (Voir mémoires de Billard de Vaux)].

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INDISCIPLINE DES CHOUANS ET DES BLEUS.

Sans doute, Bois-Guy n'avait pu obtenir de ses troupes, non soldées, mal équipées et mal nourries, une discipline rigoureuse ; discipline qui, du reste, n'existait pas, plus dans l'armée républicaine, de l'aveu des généraux et des membres de l'administration, et moins encore dans les gardes nationales.

Les plaintes contre l'indiscipline, la férocité et l'impiété des soldats républicains, et même de leurs chefs, abondent dans les archives. On pourrait en composer un gros dossier, qui serait édifiant. Lemas, lui-même, est forcé d'en convenir.

Le 20 septembre 1795, le district de Fougères écrivait au Comité de Salut public que le pillage des bleus était un « fléau encore plus effrayant » que celui des chouans.

« La terreur, ajoute-t-il, précède l'entrée des détachements (de troupes républicaines) dans chaque hameau ; et, après leur retraite, les cris du désespoir et de la vengeance sont les seuls qui s'y font entendre. Tous nos jours sont marqués par des dénonciations et des plaintes... » (contre)... « la conduite affreuse du soldat... ».

Le district avait dû avouer, le 23 juillet 1795, qu'après les battues républicaines il était possible que « le nombre des chouans ait été plus grand qu'il n'avait été la veille ».

Le 1er juillet 1795, des reproches étaient adressés par le district au fameux Simon Champrobert, commandant la garde nationale du canton de Saint-Marc-le-Blanc, à cause, écrivait-on, « des fouilles et des pillages, que ne cessent de faire les individus faisant partie de la garde nationale qui est sous tes ordres... ».

On pourrait multiplier ces citations. Les registres cantonaux ou communaux contiennent les mêmes plaintes. On trouve, par exemple, dans ceux de Saint-Brice mention des crimes et méfaits des troupes cantonnées, en 1795, à Saint-Marc-le-Blanc, et des gardes nationaux de cette commune. On y lit que « ces hommes armés, et surtout les habitants de Saint-Marc-le-Blanc..., depuis longtemps répandent la terreur dans les environs... ». On cite notamment ce fait : le 26 juillet 1795, six habitants de Saint-Brice furent saisis, lors d'une incursion de ceux de Saint-Marc ; ceux-ci se mirent en devoir de conduire leurs prisonniers à Fougères. Avant le départ, prisonniers et conducteurs burent ensemble et même s'embrassèrent. Cela n'empêche qu'a un quart de lieue de Saint-Brice, l'escorte fusilla les prisonniers, les dépouilla de leurs vêtements et naturellement de leurs portefeuilles, et les enterra les uns sur les autres. Il serait facile de citer de nombreux actes de ce genre.

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VOCABULAIRE FRELATÉ DES RÉVOLUTIONNAIRES.

Le noble idéal et les fortes croyances des chouans, l'exemple des chefs, maintenaient, en somme, un ordre relatif chez eux. Il y eut chez ces jeunes gens des défaillances, des pillages, des actes de cruautés, des vengeances particulières : c'était inévitable, nous ne prétendons ni les nier, ni toujours les excuser. Nous disons seulement que ce fut l'exception, et que les pièces officielles montrent que les excès des chouans ne furent souvent que des représailles.

Il ne faut pas oublier qu'un bon nombre des exécutions sanglantes que Lemas, dans son District breton, reproche aux chouans, d'après les rapports des fonctionnaires, ou, pour dire comme Sotin, des compères de l'administration, en les présentant comme de vulgaires assassinats, furent le prix de trahisons ou de dénonciations.

Contraitement aux militaires qui, la plupart du temps, étrangers au pays, pillaient et molestaient indifféremment royalistes et républicains, ainsi que le montrent les documents [Note : En septembre 1795, une propriété (à Lanjuet, en Poilley), appartenant à M. Le Beschu, commissaire national, fut pillée par des militaires. (Arch. du tribunal)], les chouans, même les abrigandés, ne s'attaquaient qu'à leurs adversaires : fonctionnaires, curés intrus, « patriotes » [Note : On sait que l'on désignait ainsi les politiciens de village, dévoués à la révolution. On sait aussi qu'il se forma alors tout un vocabulaire spécial, qui rend assez pénible, au début, la lecture des documents officiels. Il faut un certain temps pour s'habituer, ainsi que firent les chouans eux-mêmes, paraît-il, à ces mots de « brigands », de « monstres », de « scélérats », d'« égorgeurs », de « fanatiques », de « superstitions », d'« erreurs ou d'ignorance », de « préjugés », de « discours incendiaires », etc., qu'on retrouve à chaque ligne, lorsqu'il s'agit de désigner les prêtres, les royalistes, leurs actions, leurs propos ou leurs idées. D'autre part, les révolutionnaires se désignaient modestement eux-mêmes sous les noms de « braves citoyens », de « dignes fonctionnaires ou de dignes pasteurs », de « gens éclairés », de « patriotes », de « braves sans-culottes », de « défenseurs de la patrie », de « citoyens intègres », etc. Lorsqu'on songe que l'histoire des victimes de la révolution n'est connue, pour sa plus grande partie, que par les textes de leurs adversaires, on conçoit que le lecteur non prévenu peut facilement être trompé, et la vérité souvent offensée. Les détracteurs des chouans et des prêtres fidèles ont vraiment beau jeu, avec ce langage frelaté. Dans leurs propos courants, les royalistes appelaient « bleus » les militaires républicains, « patauds » les gardes nationaux ou les paysans favorables à la révolution, et « cent sous » les gardes territoriaux], acquéreurs ou fermiers de biens nationaux, espions, gardes nationales, etc.

Rencontrant dans les campagnes tant de sympathie, ouverte ou secrète, les chouans, qui avaient tant besoin de l'appui des paysans, la plupart parents et amis, ne pouvaient, on le comprend facilement, leur montrer de l'hostilité, sans motifs sérieux.

 

JOLI-CŒUR. — PÉRIODE TROUBLE (1798-1799). — MEURTRES.

Les défaillances, tant reprochées aux chouans, se produisirent surtout en 1798 et dans les premiers mois de 1799, alors que la seconde chouannerie, chez nous, se reformait sans chef et sans directive.

Le mécontentement fut certes extrême, dans les milieux catholiques et royalistes, après le 18 fructidor (4 septembre 1797) ; mais les avis furent partagés, quant à la conduite à tenir. Les uns, les abrigandés surtout, voulaient, sans attendre, faire des recrues et recommencer la guerre. D'autres, au contraire, même parmi les plus braves, même parmi les prêtres persécutés [Note : Ceci résulte d'une lettre de Hamon à Pontallié, commissaire du département, du 12 janvier 1799], ne voyant, dans nos régions, aucun chef en vue (Bois-Guy était toujours prisonnier), étaient pour la temporisation, craignant que sans un chef désigné et reconnu, la lutte ne dégénérât en brigandage.

De la fin de 1797 au début de 1799, ce fut une époque trouble, où aux persécutions se joignirent les rancœurs, les représailles, les divergences de conduite, les froissements, les menaces et les délations.

Rarement la vie humaine parut si peu estimée et fut moins respectée. De part et d'autre, les attentats furent nombreux.

Il arriva que les patrouilles républicaines tirèrent sur les prêtres et sur les royalistes, comme sur de vils animaux, sans autre procédure ; que des abrigandés, entraînant de petites bandes de 5 à 6 hommes, non seulement exercèrent des représailles parfois sanglantes, mais, imitant les bleus, ne craignirent pas de se livrer au pillage. On vit des royalistes dénoncer quelques-uns de ces pillards ou même les tuer.

Un prêtre schismatique défroqué, Hamon [Note : Michel Augustin Hamon, natif de Saint-Remy-du-Plein, vicaire à Dol, prêta serment ; fut élu à la cure de Saint-Brolade ; devint maire de sa commune ; puis administrateur du district de Dol. En cette qualité, il vint à Fougères, conduire des convois de ravitaillement, à la veille de l'entrée des Vendéens dans cette ville. Plusieurs fois poursuivi pour concussion, terrorisme et indécences, il fut longtemps en prison. En 1797, il devint attaché au ministère de la police à Paris ; à ce titre, il fut délégué dans les départements de l'Ouest, de décembre 1797 à 1800. Après quoi il s'associa, avec deux individus du pays, pour l'exploitation du bois, dans la forêt de Villecartier. Il mourut subitement à Trans le 17 décembre 1812, sans avoir vu un prêtre. (Voir notice de M. Delarue)], entré dans la police républicaine, osa inviter, en termes formels et précis non seulement à la délation, comme le firent d'autres fonctionnaires, mais aussi à l'assassinat direct de ses compagnons, abrigandés comme lui, un ancien capitaine de chouans, le trop fameux Joli-Cœur.

L'immonde policier eut même l'audace de faire connaître, dès le lendemain, son affreuse proposition au commissaire central du département, dans sa lettre du 23 nivôse an VII (12 janvier 1799). Dans cette lettre (Arch. départem. Série L. — Correspondance du ministre de la sûreté générale), Hamon déclare qu'il eut peine, en raison de sa haine des chouans, à ne pas poignarder lui-même Joli-Cœur, dans son entrevue avec lui.

Joseph Boismartel, dit Joli-Cœur, chevalier de Saint-Louis (paroissien de Parigné), était entré, le 20 décembre 1798, en relations avec le commissaire François Loysel, par l'entremise d'un ancien chef de chouans de la Mayenne, nommé Mathurin de Valloys [Note : Mathurin de Valloys, né en 1732, émigré rentré, mort à Fougères en 1811, était le frère de la mère Saint-Augustin, supérieure des Augustines de l'Hôtel-Dieu Saint-Nicolas de Fougères, et l'oncle de Henri-Mathurin de Valloys qui fut maire de Fougères de 1824 à 1830], connu sous le nom de Maurice.

Joli-Cœur était sous le coup de poursuites judiciaires, pour plusieurs motifs [Note : Il avait eu, entr'autres méfaits, la vilenie, à la suite d'une contestation, de tirer traîtreusement sur un célèbre chef chouan, Louis de Saint-Hilaire, qui se rendait au bourg de Saint-Sauveur pour la fête patronale (la Transfiguration — 6 août 1797)], et notamment pour la part qu'il avait prise à l'affaire de Louvigné (12 décembre 1798), où les chouans avaient désarmé les patriotes, et au cours de laquelle périrent deux habitants du bourg [Note : Détail assez curieux, un des deux habitants de Louvigné mis à mort ce jour-là (Jean Payen), par sentence des chouans, on ne sait pour quel motif, invoquait Notre-Dame des Marais à haute voix, pendant qu'on le conduisait au supplice. (Déposition d'un témoin. Archives du tribunal)], et deux chouans. Il s'attendait à être surpris et arrêté un jour ou l'autre ; pour parer le coup, sur le conseil de M. de Vallois ; et même de Larcher Louvière dit Hoche, il accepta, moyennant la cessation des poursuites [Note : On trouve aux archives du tribunal de Fougères, en original, les lettres (5 mars et 19 mars 1799) du ministre de la Police générale (Duval) et de celui de la Justice (Lambrech), ordonnant la cessation des poursuites. (Dossier de la procédure relative à l'affaire de Louvigné)] en cours, d'user de son influence pour empêcher, dans la région, le mouvement insurrectionnel qui menaçait de s'étendre.

Mais l'administration républicaine exigea davantage.

Loysel et Hamon firent pression sur lui et réussirent, à force d'insistances (27 décembre 1798), à le décider à vendre ses camarades, ou même à en tuer quelques-uns s'il était nécessaire.

Ce n'est pas tant, comme l'a cru Lemas, l'or qui en fit un traître, que le désir de l'amnistie et les conseils perfides et éhontés qu'il reçut. Peut-être s'excusait-il en lui-même et calmait-il sa conscience (peu délicate sans doute), en se disant qu'il ne livrerait que les « abrigandés » incorrigibles. Il avoua en avoir déjà fait fusiller un [Note : Pierre, dit Bordeaux, de Saint-Aubin-du-Cormier] de sa propre autorité.

Quoi qu'il en soit, quinze à dix-huit chouans suivirent Joli-Cœur dans sa trahison et obtinrent des cartes de sûreté.

Le 12 janvier 1799, Joli-Cœur remit à Loysel une liste noire, comprenant douze noms de chouans, voués ainsi à la mort. Presque tous furent tués par les bleus, dans des guet-apens tendus par les traîtres, sans autre forme de procès (Lettre de Loysel du 13 février 1799).

Naturellement, il y eut des représailles.

Et Joli-Cœur lui-même, le 19 février 1799, de grand matin, fut fusillé par ses anciens camarades, dans sa maison de la Terrouas, en Parigné (près de la Villegontier), étant encore couché.

***

ASSASSINAT DES ABBÉS SORETTE ET DUVAL.

Il avait trahi un mois et quelques jours, selon toute apparence.

On l'a accusé, à tort, sumble-t-il d'avoir causé, par une dénonciation, la mort de l'abbé Sorette (5 décembre 1798) [Note : Quinze jours avant l'entrevue de Loysel et de Joli-Cœur], ancien professeur au collège de Rennes, dont la mère habitait Parigné. Ce digne prêtre, martyr de la foi, avait été arrêté, près du vieux presbytère du Châtellier, alors qu'il se rendait au Haut-Villier, pour y accomplir un acte de son ministère, par une patrouille ou plutôt une bande de faux chouans conduite, d'après la tradition, par ce même Gabriel Deshayes, que nous allons voir tuer l'abbé Duval. Or, une lettre du ministre de la police générale, du 26 décembre 1798, conservée aux archives du tribunal de Fougères, dit positivement que ce sont des républicains qui firent connaître la retraite de M. Sorette.

D'après le procès-verbal de son arrestation (archives du tribunal), la sainte victime appelait Joli-Cœur à son secours pendant qu'on l'emmenait. Si ce détail est exact, et si Joli-Cœur avait déjà été un traître, il serait navrant de voir M. Sorette abusé à ce point. Mais, on l'a vu, la trahison de Joli-Cœur semble postérieure à l'assassinat.

On a accusé encore Joli-Cœur d'avoir lui-même tué d'un coup de fusil, un autre martyr de la foi, l'abbé Duval, recteur de Laignelet, si bassement insulté par les fonctionnaires républicains [Note : Obéissant à un ordre du 13 mars 1798 du ministre de la Justice, qui prescrivait aux « compères de l'administration » d'établir, à la charge des chouans, des rapports pleins de « détails horribles » et « saupoudrés de larmes », le Commissaire du pouvoir exécutif, pour excuser les assassins de l'abbé Duval, présenta la victime comme un féroce « égorgeur », coupable « d'un grand nombre de forfaits ». Dans son « District de Fougères », le sous-préfet Lemas, s'appuyant sur ces documents, dont un peu de bon sens suffisait pour établir la vanité, renchérit encore sur les termes de ces rapports tendancieux. M. le Vicomte Le Bouteiller, qui publiait alors, dans le Journal de Fougères, sa « Révolution », vengea la mémoire du saint prêtre, par une vigoureuse et victorieuse réfutation. (Voir LE BOUTEILLER, Révolution, feuilletons 124 et 125.) Malheureusement, l'ouvrage de M. Le Bouteiller ne fut pas édité en volume, et il est aujourd'hui introuvable, alors que le livre de Lemas se trouve dans toutes les bibliothèques. Il en résulte que les calomnies sont aujourd'hui sans réfutation et donnent lieu à des méprises regrettables. Ceci explique la présente note. Puisse-t-elle aider à réparer une injustice !] (voir l'ouvrage de Lemas, Un District breton), ou tout au moins d'avoir provoqué sa mort. M. Duval reçut le coup fatal dans la forêt, un soir qu'il allait faire un baptême à la Fieffe (10 février 1799). Une lettre de Loysel, du 13 février, apprend que l'assassin fut Gabriel Deshayes, garde général de la forêt, qui lui en avait fait l'aveu secrètement.

Joli-Cœur trempa-t-il dans cet abominable forfait ?

Deshayes eut l'audace de déclarer que Joli-Cœur seul, avait tiré. La rumeur publique les accusa tous les deux.

Loysel (lettre du 21 février 1799) dit que, quelques jours avant l'attentat, une altercation s'était élevée entre le recteur de Laignelet et Joli-Cœur, le prêtre reprochant à l'autre de dénoncer ses camarades, ensuite de quoi il y aurait eu des menaces.

Toutefois, il n'existe aucune preuve positive à ce sujet contre Joli-Cœur, dont la mémoire est assez chargée par ailleurs.

***

La mort de Joli-cœur priva les républicains d'un précieux auxiliaire. Loysel écrivait, le 13 mars 1799 : « ... aucun renseignement ne nous parvient plus... Ceux qui servaient d'espions du temps de Joli-Cœur... se sont éloignés de nous... ; ils appréhendent le sort de leur chef... ».

Cependant, dès le 4 avril 1799, Loysel avait réussi à reconstituer une bande de « faux chouans » ; mais, avoue-t-il, « les royalistes, ces coquins, sont d'une méfiance extrême... ».

Pas encore assez, car, le 25 mai 1799, l'abbé Gavard, de Parcé, était dénoncé et arrêté à la Rue, près de Mué. Il fut assassiné par les soldats chargés de le conduire à Rennes. On raconte que le cœur de ce prêtre fut apprêté et mangé par les assassins devenus cannibales (Guillotin de Corson, Confesseur de la foi, p. 148).

 

RETOUR DE BOIS-GUY (novembre 1799).

Pour exciter à la surveillance et à la délation des chouans, le tribunal criminel du département infligeait des amendes aux communes dans lesquelles les auteurs d'attentats habitaient et restaient insaisissables.

C'est ainsi que le 1er mai 1799, Mellé, Laignelet, Landéan, Saint-Germain et Tremblay se virent condamner solidairement à une amende de 25.000 francs ; que le 22 septembre 1799 une nouvelle amende de 6.000 francs fut infligée à Landéan ; en attendant le paiement de cette dernière somme, il fut procédé à une saisie de grains et de bestiaux, qui furent enfermés à Fougères, dans l'enclos des Urbanistes. Le 30 septembre 1799, une autre amende de 6.000 francs fut encore infligée à Landéan, et une nouvelle saisie pratiquée.

Mais, malgré tout, la chouannerie, peu à peu, reprenait corps dans l'Ouest.

A Fougères, un chef manquait, Bois-Guy étant toujours en prison, à Saumur.

Vers la fin de mai 1799, un chef provisoire fut désigné : le marquis de la Prévalaye ; la division de Fougères était confiée, sous sa direction, à un Méridional, ancien émigré, du nom de La Nougarède, qui avait en sous-ordre un paroissien de Saint-Georges de Reintembault, Louis Cochet, lequel fut arrêté le 25 juin 1799, à la Morihonnais, en Romagné (près de Larchapt), et fusillé le 13 juillet suivant.

La Nougarède nomma, à la place de ce dernier, Picot de Limoléan, celui-là même qui, plus tard (24 décembre 1800), fut compromis dans l'affaire de la machine infernale, et passa en Amérique où il se fit prêtre [Note : Picot de Limoléan était frère du R. P. Picot de Clorivière, restaurateur de la Compagnie de Jésus en France, dont le procès de béatification se poursuit à Rome].

Ces chefs, peu connus chez nous, eurent peu d'autorité.

Les chouans de la division de Fougères, à cette époque, pouvaient atteindre le nombre de 1.800 à 2.000 ; ils étaient mal armés. Les engagements avec les troupes républicaines furent peu fréquents et peu importants.

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PROGRÈS DE LA NOUVELLE CHOUANNERIE.

En septembre 1799 (le 22, dit Lemas, p. 309), Bois-Guy réussit à s'évader ; mais il se fractura une jambe dans une chute de cinquante pieds de haut [Note : Quoiqu'en dise Lemas, p. 309. — Voir Pontbriand (Général du Bois-Guy, p. 411) qui en fournit la preuve en publiant une lettre même de Bois-Guy]. Après sa guérison, il guerroya quelque temps entre la Vilaine et la Loire, et selon une lettre du général Taponnier au général Hédouville, il y remporta beaucoup de succès (voir Crétineau-Joly, illustré, IV-66).

M. Le Bouteiller (IXème siècle, feuilleton n° 9 du Journal de Fougères) paraît avoir démontré que Aimé du Bois-Guy ne revint au pays que vers la fin de novembre 1799, bien qu'on l'y ait cru présent quelques semaines plus tôt [Note : Lottin, commissaire du canton de Fleurigné, écrivait, le 13 novembre 1799, que, « dit-on », Bois-Guy était, depuis 8 à 10 jours, à la tête des chouans. Les commissaires de Louvigné et de Saint-Brice croyaient eux aussi Bois-Guy revenu. Déjà, en février 1798, le bruit du retour de Bois-Guy s'était répandu à Fougères (Lemas, p. 288)], la municipalité de Fougères ayant été avisée de son évasion de Saumur, dans les premiers jours d'octobre (Lemas, p. 310).

C'est donc à tort, semble-t-il, qu'on l'a rendu responsable de la mort cruelle de l'abbé de Lesquen, curé schismatique de la Bazouges-du-Désert, enlevé brutalement de son presbytère, qui servait aussi de corps de garde, dans la soirée du 15 au 16 novembre 1799, et tué à la Basse-Mellerais, en Villamée, par une bande de chouans sous les ordres de Maziau, dit Saint-Roch [Note : Le procès-verbal de déclaration de décès, dressé deux ans plus tard, mentionne bien, à la vérité, le nom de Bois-Guy, mais le témoin qu'on avait envoyé parler à Bois-Guy, déclare qu'il trouva Saint-Roch et non Bois-Guy. (Arch. du Tribunal de Fougères)].

Aussitôt revenu à la tête de sa division, Aimé du Bois-Guy montra, selon son habitude, une grande activité.

Le 21 janvier 1800, aux environs de Saint-James, eut lieu un grand combat : 2.200 chouans, conduits par Bois-Guy, mirent en fuite 4.000 républicains. Peu après, le chef royaliste était battu à son tour, près de la Vieuxville.

On sait qu'à cette époque, les royalistes obtinrent presque partout, de notables succès. Le 14 octobre 1799, Bourmont s'empara du Mans ; le 19, Châtillon et d'Andigné pénétrèrent dans Nantes ; le 25 octobre 1799, Mercier entra à Saint-Brieuc, etc.

Quant à l'intensité de l'offensive des chouans dans le Fougerais, elle est révélée par cette lettre adressée, le 4 novembre 1799, par le juge de paix de Bazouges-la-Pérouse, au directeur du jury de Fougères.

« ....... Ils (les gendarmes) m'ont répondu que si on voulait leur donner 4 à 500 hommes (d'escorte), ils conduiraient les prisonniers (à Fougères) ; sans cela ils ne le peuvent. Sinon, ils veulent bien les conduire à Rennes où la route n'est pas encore interceptée. ...On ne peut voyager en sûreté.., » Signé : « Marguerite ».

 

FIN DE LA GUERRE CIVILE (février 1800).

Après l'établissement du Consulat (9 novembre 1799), sur l'ordre de Bonaparte qui voulait la paix intérieure, le général Hédouville ouvrit, à Pouancé, du 12 au 18 décembre 1799, des négociations avec les chefs royalistes quelques jours, dit Pontbriand, après le retour à Fougères de Bois-Guy, lequel se rendit à ces conférences.

Elles n 'aboutirent pas.

Bonaparte menaça.

Le mois suivant les résultats furent plus heureux.

Dans l'Anjou, les royalistes signèrent la paix, les 18 et 20 janvier 1800 ; en Vendée, le 18 janvier ; Bois-Guy, Frotté, Cadoudal, chacun dans leur pays, continuèrent quelques semaines à lutter.

Frotté, muni d'un sauf conduit pour Alençon, se rendit près du général Chambarlac pour discuter de sa reddition. Il fut arrêté à Verneuil, au mépris de la foi jurée, condamné à mort par une Commission militaire, et fusillé (18 février 1800).

***

Le 17 février 1800, Pontbriand, beau-frère de Bois-Guy, qui avait signé la paix les 11-13 février 1800, vint lui faire part d'une entrevue qu'il avait eue avec le général Brune [Note : Successeur depuis le 14 janvier 1800 du général Hédouville au commandement de l'armée de l'Ouest], et le décida à l'accompagner, dès le lendemain [Note : Lemas dit le 27 janvier, mais il se trompe. (Voir Pontbriand, p. 441, et Le Bouteiller, feuilleton 140)], chez cet officier pour conclure la paix.

Brune fit le meilleur accueil aux deux chefs royalistes. Au nom du Premier Consul, il offrit à Bois-Guy le grade de général de brigade, et à Pontbriand celui de colonel.

Le « Vieux Chercheur » (Lemas), dans son feuilleton de la Chronique de Fougères, où parut d'abord le « District breton » sous cette signature, a nié la réalité de ces propositions. Ces négations ont disparu dans le volume « Un District breton » ; c'était prudent, car Chassin (Pacification, III, 557) a publié une lettre qui établit la vérité de l'offre à Bois-Guy d'un poste honorable dans l'armée. Il ne s'agit, il est vrai, que du grade de chef de bataillon ; mais il est fort possible que, après cette lettre, le général Brune ait offert un grade supérieur, pour enlever le consentement de Aimé et de son beau-frère, lequel, peut-être aussi, a pu se rendre coupable d'une légère exagération.

En tout cas, l'un et l'autre refusèrent, ne voulant pas paraître changer de parti. Le général n'insista pas ; il les retint à déjeuner et leur accorda, sur leur désir, la liberté de leurs camarades détenus à Rennes, Vitré et Fougères.

La guerre était finie.

***

LES BOBON.

Seuls, quelques rares « abrigandés » continuèrent, pendant quelques mois, leurs désordres, ne craignant pas d'exercer des représailles, parfois sanglantes. Pour en avoir raison, le sous-préfet de Fougères, Baron, ancien secrétaire du district, réorganisa, d'accord avec le préfet, une nouvelle bande de faux chouans, dirigée par ce Deshayes, dont nous avons parlé, à propos de l'assassinat des abbés Sorette et Duval ; pour faire ce triste métier, il avait pris le nom de chevalier du Bois.

Les plus redoutables des « abrigandés » étaient Maziau, dit Saint-Roch, de Mellé (qui mourut des suites d'une blessure au début de mai 1800), et les frères Bobon, fils d'un aubergiste de Tremblay. Ces derniers étaient d'une violence et d'une audace extraordinaires. Deux d'entre eux étaient chouans : André fut tué le 25 mai 1800, au bourg de Saint-Etienne ; Michel, qui avait six pieds de haut, fut tué à son tour, le 2 juin 1800, au Bois-Joli, en Luitré. Un troisième, Julien-François Bobon, était Capucin, du couvent de Nantes. Ayant prêté serment, il se maria. Aussi violent que ses frères, il se porta à de tels excès contre des adversaires de la Révolution qu'il fut condamné aux galères, le 4 janvier 1796.

Il mourut à la Tour Le Bast, à Rennes, le 16 décembre 1812.

Son mariage, comme plusieurs autres du même genre, avait été validé en 1807, en vertu de dispensés spéciales (Delarue).

 

FIN DE L'HISTOIRE DE BOIS-GUY.

Aimé du Bois-Guy alla se fixer à Paris.

Lors des conspirations contre le Premier Consul, il reçut l'ordre de se retirer à Reims, et son frère à Chartres, bien que tous deux fussent étrangers à ces complots.

En 1805, à l'occasion de son mariage avec Mlle Charton, de Paris, Aimé obtint de Fouché l'autorisation de rentrer dans la capitale. Fouché lui offrit encore, de la part de l'Empereur, une situation enviable dans l'armée. Bois-Guy refusa.

Sous la Restauration, il fut nommé maréchal de camp (général de brigade), le 30 décembre 1814.

Le roi le fit alors entrer dans une Commission chargée de secourir les anciens chouans devenus invalides, à la suite de leurs blessures. Cette Commission étant venue à Rennes, en janvier 1815, les anciens révolutionnaires firent une manifestation contre ses membres et particulièrement contre Bois-Guy, avec la complicité des autorités civiles et militaires qui, mal épurées, étaient restées, secrètement, favorables à la Révolution ou à l'Empereur [Note : Le préfet d'Ille-et-Vilaine, à la suite de cette affaire, fut destitué, et le Général-Commandant à Rennes, déplacé].

Lors du retour de l'île d'Elbe, Bois-Guy alla offrir ses services au comte d'Artois. Surpris à Paris, en attendant une réponse, il fut arrêté et emprisonné pendant les Cent jours (20 mars-8 juillet 1815), ce qui paralysa, dans notre pays, le soulèvement qui se préparait en Bretagne.

Bois-Guy reçut ensuite, de Louis XVIII, le commandement du département des Ardennes. Il eut l'honneur de commander la place de Reims, lors du sacre de Charles X. Après la Révolution de 1830, il rentra dans la vie privée. Le général Aimé du Bois-Guy, chevalier de Saint-Louis, commandeur de la Légion d'honneur, mourut à Paris, le 25 octobre 1839, à 63 ans.

On a essayé de ternir sa mémoire ; on l'a accusé de cruauté. Mais les rares faits qu'on lui reproche. sont ou controuvés, ou exagérés, ou en partie excusables. On en verra la preuve dans les ouvrages de MM. Le Bouteiller et de Pontbriand. Et l'on pourrait, par contre, citer nombre de traits de sa générosité.

La vérité est qu'il fut un héros. On sait le portrait qu'en a fait Lenôtre dans son beau livre sur La Rouërie. A l'âge où souvent l'on n'est encore qu'un enfant, il était déjà chef d'une troupe nombreuse, qu'il commandait merveilleusement. Il vaut Charette et tous les grands chefs de la Vendée, cependant plus célèbres que lui.

Notre pays se doit de réparer cette injustice, et les descendants ; de ses anciens soldats doivent conserver sa mémoire.

 

RÉFLEXIONS SUR LA CHOUANNERIE.

Une question s'impose avant de terminer l'histoire de la Révolution : les chouans et les Vendéens eurent-ils tort ou raison ?

Il est incontestable que le fait de la révolte était légitime. On peut s'en rapporter, sur ce point, à L'opinion d'un juge non suspect : « Vous avez très bien fait, dit Bonaparte à d'Andigné, le 27 août 1799, de vous défendre contre un gouvernement oppresseur…. » (Mémoires d'Andigné, I, 417).

A diverses reprises, Bonaparte a exprimé son admiration pour les soldats royalistes de l'Ouest [Note : Mémoires d'Hyde de Neuville. Voir aussi la conversation de Bonaparte et de Bourmont dans Crétineau-Joli illustré, II, 591 et suiv ; Lettre de Bernier, même ouvrage, II, 565, etc...].

Si La. Rouërie avait vécu, si seulement l'armée vendéenne, au lieu d'aller à Granville avait marché sur Paris, seul lieu où révolutions ou contre-révolutions aient chance d'aboutir ; si un prince s'était mis à la tête des royalistes pour réaliser l'unité de commandement, un heureux résultat eût été possible.

Le mouvement du début manqué, l'espoir du succès disparaissait en grande partie ; du moins cela nous semble maintenant. Les royalistes, alors, ne jugèrent pas de même ; longtemps encore ils conservèrent leurs espérances, qu'en 1795 ils se crurent à la veille de réaliser.

En tout cas, il est souvent plus difficile de remettre l'épée au fourreau que de l'en sortir. En se révoltant. les chouans risquaient leur vie ; ils durent la défendre ensuite.

L'œuvre des chouans contre la Révolution ne fut pas inutile. Ils châtièrent des crimes, et par la crainte qu'ils inspiraient, ils en empêchèrent d'autres. Si leur levée put provoquer des mesures de rigueur, on peut assurer qu'elle fut elle-même provoquée ; en tout cas, elle constitua une protestation nécessaire contre la folie de la Révolution : une acceptation unanime, des faux dogmes de 1789, eût compromis l'honneur de l'intelligence française. Peut-être aussi la révolte hâta-t-elle la fin de la tourmente plus qu'on ne se l'imagine.

***

Mais, dira-t-on : Et les crimes des chouans ?
On peut répondre : Et ceux des révolutionnaires ?

M. le vicomte Le Bouteiller qui, depuis si longtemps, étudie la Révolution dans notre pays, qui a recueilli tant de traditions, dont quelques-unes à une époque où elles étaient encore fraîches ; qui a réuni et compulsé tant de documents, dont beaucoup jusque-là inédits ; qui a lu tant d'ouvrages, de nuances diverses concernant la Révolution, s'est livré, avec sa haute conscience et sa compétence indéniable, à un examen des plus sérieux et des plus scrupuleux, des méfaits des deux partis chez nous.

Ecartant les victimes tombées sur les champs de bataille, d'un côté et de l'autre, il arrive à ce résultat, consigné à la fin d'une vaste étude restée manuscrite :

Morts violentes causées, dans la région, par les révolutionnaires : 300.

Morts violentes causées par les chouans : 219.

Il fournit les noms des victimes et les circonstances des crimes.

Examinant ensuite la gravité des attentats, il reconnaît que, si dans beaucoup de cas, elle peut être équivalente dans les deux camps, une trentaine ou une quarantaine de crimes, particulièrement odieux, n'ont pas leur équivalent chez les chouans.

En sorte que, non seulement les victimes des révolutionnaires sont plus nombreuses que celles des chouans, mais les violences des premiers sont plus graves.

Quant aux concussions, vols, maraudages, actes d'indiscipline et autres méfaits, il y a certainement plus à reprendre chez les révolutionnaires que chez les royalistes.

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RÉFLEXIONS SUR LA RÉVOLUTION.

Si maintenant on réfléchit au grand nombre d'hommes mobilisés, soit comme chouans, soit comme gardés nationaux, soit comme soldats républicains, — si l'on songe aux victimes sans nombre ; péries par les armes ou la guillotine, dans les prisons, sur les champs de bataille, ou en exil, — on devine la tristesse du temps, les inquiétudes perpétuelles, les deuils renouvelés, et aussi les divisions, les haines et les rancunes, qui prirent naissance et ne s'effacèrent que tardivement.

Que devinrent, pendant ces années lugubres, l'agriculture, le commerce, l'industrie, les arts, l'instruction, la religion ?

D'incessantes perquisitions et l'excès des réquisitions pour les besoins de l'armée, réquisitions que l'on ne pouvait payer qu'en mauvais papier, et que l'on ne payait que tardivement, avaient en partie ruiné les campagnes, surtout les paroisses royalistes, et aigri les esprits.

La situation économique était, du reste, devenue angoissante. Si le mot « inflation » est récent, la chose qu'il représente ne l'est pas. On en souffrit alors étrangement.

Qu'on songe qu'en décembre 1795, le quintal de froment valait, chez nous, 3.512 l. 17 s. 4 d., ce qui mettait la livre de pain à 29 l. 7 s. 3 d. (délibération du district du 12 janvier 1796).

La corde de bois valait 2.600 l. ; un peloton de ficelle, 65 l.

Le président du tribunal recevait un traitement de 360.000 l. par an ; il en était de même du commissaire du pouvoir exécutif. Le greffier du tribunal touchait 60.000 l. (archives du tribunal).

Malgré les scrupules de quelques royalistes, ecclésiastiques ou non, les chouans crurent de bonne guerre, de fabriquer et de répandre de faux assignats, qui aidèrent à la dépréciation des vrais. D'autre part, pour faire face à leurs dépenses, les chouans exigeaient le versement, entre leurs mains, des fermages des biens nationaux. Ils en délivraient des reçus, qui était acceptés en paiement par l'administration. Les chouans remettaient aussi, en guise de paiement, des « bons » déclarés remboursables à la paix par le roi.

De tout cela, il résulta des complications et des difficultés inouïes.

Pour quelques malins qui s'enrichirent, que de fortunes disparurent, que de carrières furent brisées ! que de misères cachées !

Par ailleurs, que de monuments (églises, châteaux, etc.) ou d'œuvres d'art, détruits ou mutilés ! Que de sacrilèges accomplis ! Que de vies sacrifiées ! Que de santés ruinées ! Que de douleurs subies ! Et pour quel résultat ? !

***

Quelques-unes des réformes, envisagées par les hommes de la Révolution, étaient urgentes ; mais elles furent entreprises avec une méthode défectueuse, et surtout d'après des principes néfastes, en sorte que l'oeuvre fut mauvaise. On pouvait améliorer ce qui en avait besoin, supprimer ce qui n'avait plus raison d'être, instituer ce qui faisait défaut, sans prétendre tout détruire et faire table rase de tout le passé ; on devait respecter les principes directeurs, qui étaient excellents et avaient subi l'épreuve du temps. Inconstestablement, ils étaient préférables à ceux que l'on adopta à leur place.

En somme, l'œuvre nouvelle ne valait pas l'ancienne.

On peut en juger par ce fait qu'aucune des Constitutions de la France contemporaine n'a pu durer, à peine étaient-elles établies qu'on songeait à les changer ; on en parle toujours ; les malheurs des temps révolutionnaires n'ont pas été compensés par le progrès des institutions.

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Il y eut, au cours de la Révolution, des épisodes tragiques et des scènes grotesques, des moments de profonde désolation et de grands espoirs, des actions d'éclat et des erreurs ou des accidents lamentables : qu'on en juge !

Des balles traversèrent les parois d'une « loge » où l'on ignorait que des jeunes gens fussent couchés, et les blessèrent à mort (à la Chénardrie en La Chapelle-Janson, 29 mars 1799). Il arriva qu'en fouillant des tas de foin dans un grenier, des gardes nationaux transpercèrent un jeune enfant endormi (à la Basse-Chaîne en Saint-Brice, procès-verbal du 22 septembre 1793).

En dépit du calendrier républicain, et malgré le malheur des temps, on jouait, à Noël 1797, une « pastorale », au Teil, en Saint-Hilaire-des-Landes ; cette séance paisible à laquelle assistaient des fonctionnaires, fut troublée par l'intervention violente d'un sinistre tyranneau de village (Archives du Tribunal).

Dans les fêtes officielles, fêtes, hélas ! sacrilèges, ou odieuses, ou simplement ridicules, les politiciens, des prêtres parfois, avec des gestes théâtraux, prononçaient des discours pleins d'emphase, qu'on ne peut lire, sans souffrir, dans les registres qui les ont recueillis.

Il ne faut pas croire que les hommes de ce temps étaient des hommes d'une seule pièce : la peur et l'intérêt firent changer les attitudes et modifier les convictions.

Si beaucoup furent ruinés, d'autres s'enrichirent par le jeu, l'agiotage, la spéculation ou l'achat de biens nationaux, et cependant faisaient figure de gens intègres. Certains qui, pourtant, faisaient parade de courage civique, tremblaient devant les hommes au pouvoir, ou devant un Comité de surveillance, ou devant une menace populaire. Des prêtres jurèrent, se rétractèrent et jurèrent à nouveau pour se rétracter encore. Des fonctionnaires, nombreux, prêtèrent serinent à tous les régimes.

Beaucoup de prêtres jureurs apostasièrent positivement, et se repentirent ensuite ; quoique tardivement. Quelques jureurs, même, devinrent confesseurs de la foi !

Un bon nombre d'hommes et même de femmes répudièrent leurs noms de baptême, pour prendre ceux de républicains célèbres, ou même ceux de principes républicains [Note : Le 12 juin 1794, Julien-Marie Quantin et Jeanne-Marie Le Harivel déclarèrent devant la municipalité, « pour le triomphe de la raison et l'anéantissement des préjugés », vouloir s'appeler désormais Quantin Marat et Egalité Le Harivel. (Registres de la municipalité. Voir Le Bouteiller, manuscrit, p. 385-386)], et la tourmente passée reprirent ceux de leurs saints patrons.

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Dans les deux camps, s'il y eut des excès et des faiblesses, il y eut aussi des traits de générosité : on n'est pas Français ni Breton pour rien ! Des fonctionnaires établirent de faux rapports, ou acceptèrent des explications qu'ils savaient inexactes, pour sauver des royalistes ou éviter la confiscation de leurs biens. Des terroristes, intentionnellement, se rendirent acquéreurs de biens nationaux pour les rendre plus tard à une famille noble. Des chefs de patrouilles favorisèrent la fuite de prêtres, qu'ils étaient chargés de rechercher. De farouches sans-culottes feignirent de ne pas voir, ou de ne pas reconnaître des hommes proscrits, cachés sous les déguisements les plus divers, parfois sous des habits féminins.

Par contre, les dénonciateurs furent nombreux, même, et peut-être surtout, parmi les prêtres jureurs, qui envoyèrent ainsi des prêtres fidèles à la prison, à la déportation ou à la guillotine. Des chouans aussi vendirent leurs camarades, ou tirèrent sur eux. A différentes reprises, des soldats ou des gardes nationaux tuèrent les prisonniers qu'ils conduisaient en prison, uniquement pour s'épargner une longue marche. Fréquemment bleus ou chouans, avant d'exécuter une victime ou de la dévaliser, s'attablaient chez elle et partageaient son repas, sans cependant oublier et négliger leur mission, ou leur vengeance. Dans les deux partis encore, après avoir tué on dépouillait parfois la victime et on s'appropriait ses vêtements...

***

Après une telle variété de faits, il ne faut pas se presser de porter un jugement péremptoire sur un parti, sur certains personnages, sur certains événements. Il convient souvent de nuancer.

Par contre, on peut juger les principes.

Les idées mènent les hommes et guident leurs bras. Ni Rousseau, ni les philosophes du XVIIIème siècle n'avaient prévu les horreurs de la Révolution. Ils en sont pourtant responsables. C'est ce qu'il importe de mettre en évidence.

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Bien qu'à proprement parler, la Révolution, à l'époque où nous sommes arrivés, ne soit pas terminée, nous arrêterons ici la partie, plus développée, de notre travail, qui concerne la période révolutionnaire. Nous comprendrons dans la période contemporaine les faits subséquents, et nous leur donnerons un développement moins étendu.

(Emile Pautrel).

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