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FOUGÈRES DURANT LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

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LES PRINCIPES RÉVOLUTIONNAIRES EN BRETAGNE.

 

LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION EN BRETAGNE.

Le Contrat social de Rousseau, dont la répercussion fut si grande, parut en 1760, et c'est en 1775 que commencèrent en Bretagne les premiers conflits entre la Noblesse et le Tiers, dans l'Assemblée des Etat s; ils sont relatifs à la répartition de l'impôt appelé « Capitation ».

Ces conflits se renouvelèrent l'année suivante et en 1778, où le Tiers déclara « qu'il représentait le peuple », ce à quoi la Noblesse riposta « qu'il ne représentait qu'une oligarchie bourgeoise », et ajouta que « c'étaient les seigneurs et les possesseurs de fiefs qui représentaient les habitants des campagnes ».

En 1788, le Tiers réclama (comme à Versailles en 1789) l'augmentation, dans la composition des Etats de Bretagne, du nombre de ses membres, qu'il voulait égal à celui des deux autres ordres réunis. Il réclama aussi (toujours comme à Versailles l'année suivante) le vote par tête, et l'égale répartition des impôts.

On comprend de suite sous quelle inspiration les membres du Tiers formulaient ces demandes : les idées de Rousseau d'égalité et d'individualisme étaient fort répandues chez les riches bourgeois qui composaient le Tiers.

L'accord ne put se faire.

Des troubles éclatèrent à Rennes : Moreau (le futur général), alors prévôt des étudiants en droit de Rennes, suivi de ses camarades, entra en lutte contre les jeunes gentilshommes. Il y eut, à Rennes, des scènes sanglantes. Les Etats de Bretagne furent suspendus.

 

LA PROPAGANDE DE LA FRANC-MAÇONNERIE.

Masquée sous l'équivoque des formules, l'opposition entre les idées nouvelles (qui bientôt furent codifiées dans la Déclaration des Droits de l'Homme (26 août 1789) et les maximes traditionnelles, n'apparut pas tout d'abord ; et bien peu de personnes envisagèrent les conséquences qui devaient en résulter.

Les dogmes de la philosophie politico-sociale moderne, qui naquit en conséquence des ouvrages des encyclopédistes (1752-1776) et de Rousseau (+ 1778), furent acceptés dans tous les milieux.

Une propagande très vive, en faveur de ces dogmes, fut menée par une société mystérieuse : la franc-maçonnerie, qui paraît s'être développée d'abord en Grande-Bretagne.

La grande loge d'Angleterre remonte à 1717. La première loge de Paris date de 1725. En Bretagne, la franc-maçonnerie apparaît dès 1745 [Note : Voir Bulletin Soc. Arch. de Rennes, tome LI, p. VII. — M. de la Borderie a présenté à cette Société (tome 29, p. II) une lettre maçonnique de 1712 ; on ne dit pas si elle concernait un breton]. A la veille de la Révolution on comptait, en France, près de 800 loges, dont 80 pour les régiments [Note : D'après M. Gautherot (la Constituante). M. Bord donne le chiffre de 44]. Il y en avait dans 282 villes de France. Dès 1771 il y avait 154 loges à Paris, d'après M. Bord.

La loge de Rennes s'intitulait « la parfaite union ». Le Grand-Orient en avait constitué une à Fougères [Note : Communication de M. Bord. M. Delarue signale, au moment de la Révolution, la présence d'un vénérable à Antrain (M. François Le Hérissé), sans dire quelle loge il présidait. M. Bord n'a pas connaissance d'une loge dans cette localité], le 1er novembre 1776, sous le nom d'« aimable concorde ». Elle comprenait 33 membres en 1777. En 1788, elle était en sommeil (Communication de M. Bord).

Dans ces loges se coudoyaient des gens de toutes conditions. Les officiers y étaient nombreux [Note : C'était un ancien officier (M. Moreau de la Melletière) qui était vénérable de la Loge de Fougères en 1785. (Communication de M. G. Bord)] ; la noblesse s'y rencontrait avec la bourgeoisie [Note : En 1776, le vénérable à Fougères était un gentilhomme (M. Hay de Bonteville). Le secrétaire était un négociant (M. Binel de la Jannière). (G. Bord)]. Il y avait des ecclésiastiques, bien que dès 1738 le pape Clément XII leur eût fait défense d'entrer dans la franc-maçonnerie, prescription renouvelée en 1751 par Benoît XIV.

A partir de la création du Grand-Orient (1772-1774) la propagande devint très agissante en faveur des principes nouveaux. On constate, dans cette propagande, l'action de l'Angleterre, désireuse de se venger du secours prêté par Louis XVI à ses colonies américaines insurgées.

Indépendamment des loges, pullulaient en France des groupements connus sous les noms de « société de pensée », « société de lecture », « cercle littéraire », etc. Là aussi se développa l'esprit des philosophes [Note : Voir Augustin COCHIN : les Sociétés de pensée et la Démocratie. Voir aussi : G. MARTIN, la Franc-Maçonnerie et la préparation de la Révolution (1926), et P. DUDON, Etudes, 20 octobre 1926].

 

CENTRES RÉVOLUTIONNAIRES.

Il existait à Fougères, lors de la Révolution, deux sociétés de lecture [Note : Il existait à Rennes une « chambre littéraire » (règlement du 4 décembre 1775) composée de cent personnes « d'un état honnête et considéré ». Plusieurs prêtres en faisaient partie. Le local était fermé le dimanche aux heures des offices]. L'une d'elles, qui avait à sa tête un « doyen », ne devait pas être très favorable à la Révolution, car en 1790 l'administration du district voulut l'expulser de ses locaux (près la « rue Derrière ») pour s'y installer (Archives du district) ; et le 31 août 1790 un notable, M. Mille, très ardent pour les idées nouvelles, demanda sa dissolution [Note : LE BOUTEILLER, Révolution feuilleton 7. — A chaque instant, nous aurons recours à cette publication qui a paru dans le Journal de Fougères en 1892. Ajoutons que M. Le Bouteiller vient de refondre et de compléter cette étude, qui avait déjà été très remarquée lors de sa publication. Malheureusement, le nouveau travail, considérablement augmenté, est resté manuscrit. Il est déposé à la Bibliothèque municipale de Fougères, et ne comprend pas moins de onze volumes]. Quoique cela, il est à craindre que cette société de lecture n'ait été quelque peu contaminée, tant était grand l'engouement pour les philosophes [Note : L'exemple suivant montrera la profondeur et la persistance de cet engouement : Après la révolution, une nouvelle société de lecture se constitua à Fougères, réunissant les membres de la bourgeoisie et de la noblesse locales. Il est à la fois curieux et triste de constater que ces personnages, dont beaucoup avaient souffert persécution pendant la Révolution, n'eurent rien de plus pressé que d'acheter « l'encyclopédie ». La tourmente n'avait pas été suffisante pour ouvrir les yeux ! ! Si tel était alors l'état des esprits, que devait-il être auparavant ?].

De l'autre société on ne sait rien. On peut simplement soupçonner qu'elle devint [Note : M. Lemas (district breton, p. 5) dit, d'après Aulard, que la « société populaire » de Fougères s'affilia en mars 1791 à la société des Jacobins. Il ne faut peut-être pas confondre la société des amis de la Constitution de Fougères avec la « société populaire » dont on trouve mention plus tard] une filiale de la fameuse société des « amis de la Constitution », ou « Club des Jacobins », société qui fut la grande faiseuse de l'opinion sous la Constituante [Note : La Société des Amis de la Constitution (développement du Club des Jacobins, lequel avait d'abord été le club breton, fondé à Versailles en juin 1789) avait suscité, dans les provinces, la création de nombreuses succursales. A la fin de la Constituante, on en comptait 406. (MADELIN, La Révolution, p. 103). A Antrain, il y eut aussi, dès 1791, une société des amis de la Constitution. Le président était un huissier, et le secrétaire était le chef de la garde nationale, (Delarue, notes manuscrites)].

Les bourgeois de demi-culture, les gens de loi surtout, quelques membres du clergé et de la noblesse furent les premières victimes des idées nouvelles. Le Roi lui-même se prit à douter de la légitimité de ses droits souverains. Ce fut un grand malheur.

***

A Fougères et dans la région la plupart des médecins, juges, avocats et procureurs (et ils étaient très nombreux) furent plus ou moins contaminés.

Dans les campagnes, certains centres se créèrent où se préparaient de futurs révolutionnaires ; notamment au Pont dom Guérin, en la Bazouge-du-Désert, avec le concours des moines de Savigny, de quelques prêtres du voisinage et de personnages notables.

 

ÉLECTIONS DES DÉPUTÉS AUX ÉTATS GÉNÉRAUX.

Certaines de nos paroisses rurales adoptèrent facilement les idées nouvelles ; d'autres s'y montrèrent vite réfractaires. Souvent l'attitude de la paroisse dépendit de celle du recteur dont l'influence était grande.

Parmi les paroissesle venin révolutionnaire se développa le plus amplement, citons : Saint-Marc-le-Blanc, Baillé, Saint-Christophe-de-Valens, le Tiercent, Mézières, Saint-Hilaire-des-Landes, Saint-Georges-de-Reintembault. Nous verrons pourquoi.

Parmi celles qui demeurèrent fidèles à nos vieilles et saines traditions, on peut citer : Fleurigné, Beaucé, la Chapelle-Janson, Laignelet, Landéan, la Celle-en-Luitré, Dompierre, etc.

 

CAHIERS DE DOLÉANCES ET DÉPUTÉS AUX ETATS-GÉNÉRAUX.

La Bretagne étant « pays d'Etat », les députés de Bretagne aux Etats-Généraux de France devaient, régulièrement, être désignés par les Etats de Bretagne. Mais ceux-ci étant suspendus, le Roi indiqua un autre mode d'élection.

La noblesse et le haut clergé furent invités à se réunir, à Saint-Brieuc, le 16 avril 1789, pour rédiger, en leurs assemblées respectives, un cahier de doléances et élire leurs députés. La Noblesse pouvait en élire 22, et l'Eglise le même nombre, à répartir entre haut et bas clergé.

On sait que la noblesse et le haut clergé décidèrent de ne pas se faire représenter à Versailles. Les 22 députés de l'Eglise furent donc fournis uniquement par le bas clergé.

Celui-ci, convoqué dans chaque ville épiscopale pour le 2 avril 1789, rédigea un cahier et nomma des « électeurs » qui, à leur tour, désignèrent, le 20 du même mois, 22 députés d'Eglise aux Etats-Généraux. Parmi ceux-ci, citons M. Haunault, doyen de Billé.

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Le Tiers avait à élire 44 députés, soit, selon ses désirs, un nombre égal à celui des deux autres ordres réunis. La sénéchaussée fut choisie comme circonscription électorale. Il y avait en Bretagne 25 sénéchaussées. Les six plus importantes nommèrent à elles seules leurs députés ; celle de Rennes en eut sept à désigner (elle en aurait désiré davantage). Pour les 19 autres sénéchaussées, elles durent se réunir à plusieurs pour choisir des députés en commun.

C'est ainsi que les délégués de la sénéchaussée de Fougères (au nombre de 18), élus le 7 avril 1789 ; ceux de la sénéchaussée de Hédé (au nombre de 4), et ceux de la sénéchaussée de Saint-Aubin-du-Cormier (au nombre de 4 aussi), réunis à Fougères, les 8, 9 on 10 avril 1789, adoptèrent un cahier de doléances unique, et élirent deux députés aux Etats-Généraux : MM. Lemoine de la Giraudais, avocat, et Fournier de la Pommerais [Note : M. Fournier de la Pommerais fut arrêté, par mesure de sûreté, en mars 1793, à la suite de la révolte de la Saint-Joseph. Il avait, paraît-il, protesté contre la suppression de la dîme et autres décisions de la Constituante. Il mourut le 30 juin 1794, avant d'avoir comparu devant le tribunal criminel], procureur, avec, comme agrégés, MM. Fournel, huissier, et Pichon de Vau-levier, médecin ; tous les quatre Fougerais.

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Ces députés eurent, à Versailles, une attitude assez effacée. Pour la rédaction des cahiers de doléances, plusieurs opérations préalables avaient été nécessaires : chaque corporation, chaque paroisse et chaque commune avaient dû s'assembler et rédiger un cahier particulier. C'est de l'étude et de la confrontation de ces divers cahiers que devait, en principe, sortir le cahier définitif de la sénéchaussée, qui seul fut porté à Versailles.

Le cahier particulier de la ville de Fougères, rédigé par M. Poirier de la Gautrais, second lieutenant du maire ; Lemoine de la Giraudais, assesseur de la communauté ; Putod, médecin, et Binel, receveur de la maîtrise des eaux et forêts, avait été adopté le 6 avril 1789.

Le lendemain, 7 avril, eut lieu la réunion des délégués de la ville avec ceux des campagnes, d'où sortit le cahier de la sénéchaussée de Fougères, et les jours suivants, comme nous venons de le dire, les délégués des trois sénéchaussées de Fougères, Hédé et Saint-Aubin, se réunirent pour l'établissement du cahier définitif et la nomination des députés.

MM. Lesort et Sée ont publié les cahiers des paroisses de la sénéchaussée de Rennes. Parmi ces paroisses il s'en trouve plusieurs de nos environs : Sens, notamment. On y trouve aussi les paroisses de l'arrondissement qui, jadis, faisaient partie de la baronnie de Vitré : Luitré, la Celle, Billé, Combourtillé, Dompierre, Javené, Vendel. On en trouve d'autres encore qui, on ne sait pourquoi, se joignirent à la sénéchaussée de Rennes : Noyal-sous-Bazouges, Mézières et Saint-Georges-de-Chesné.

D'autre part, les cahiers d'Antrain, de Sougeal et de Saint-Georges-de-Reintembault sont connus. Celui de Saint-Ouen-la-Rouerie est aux archives départementales (Archives, C. 2515).

On n'a pas retrouvé ceux des autres paroisses de la sénéchaussée de Fougères. Le cahier définitif de cette sénéchaussée doit être à Paris ; il n'a pas été publié. Mais on peut juger de leur esprit par celui des cahiers connus.

Etant donnée l'agitation de la Bretagne, lors de la rédaction des cahiers de doléances, on ne peut que s'étonner de n'en pas voir le ton plus violent.

Certes, les critiques ne manquent pas ; outre que les cahiers étaient destinés à recevoir des doléances, il est inévitable que, dans ces consultations populaires, l'intérêt immédiat et personnel ne l'emporte sur les considérations plus élevées (mais qui échappent souvent) de l'ordre social et du bien général. Les rédacteurs des cahiers n'ont pas toujours compris le but et le mérite de certaines dispositions de l'ancien régime ; ils n'en ont vu parfois que les petits inconvénients journaliers.

On aurait tort, du reste, de croire à l'entière spontanéité des cahiers ; des modèles provenant de Rennes, de Nantes, de Paris même, circulèrent partout, et parfois on s'est contenté de les copier. Un de ces modèles, surtout, intitulé « Charges d'un bon citoyen de campagne » eut un succès énorme dans notre pays. Comme il était inévitable, les cahiers sont remplis d'exagérations et de contradictions.

***

Les cahiers contiennent des plaintes fréquentes et amères contre les officiers seigneuriaux, juges, notaires, procureurs, etc. ; on se plaint beaucoup moins des seigneurs eux-mêmes, à la bienfaisance de quelques-uns plusieurs cahiers rendent hommage ; tandis que d'autres se livrent à des diatribes d'une ridicule exagération.

On ne proteste pas contre l'existence d'une classe noble ; d'après certains cahiers même on ne semble pas imaginer une nation sans noblesse.

Si l'on réclame contre les anoblissements, c'est pour un motif pécuniaire, à cause des exemptions d'impôts. On proteste contre la concurrence des nobles, notamment dans la prise à ferme des dîmes. Quelques pratiques du régime seigneurial, devenues désuettes, n'étaient pas défendables ; mais il est visible que nombre de doléances procèdent des maximes égalitaires à la mode.

D'une façon générale, on demande la réforme du mode de propriété alors en usage : la « tenure ». On lui préfère le « franc alleu » qui représente à peu près le mode actuel. On réclame le droit de racheter les redevances et les droits seigneuriaux. On proteste contre les privilèges fiscaux des gentilshommes. On s'élève très fort contre le droit de chasse, contre les banalités, etc. On réclame, avec raison, l'abrogation de certains droits féodaux devenus sans objet.

Une question préoccupait beaucoup alors : celle des « communs », terrains vagues, dont les riverains jouissaient, soit en vertu d'un titre, soit par simple tolérance.

Au XVIIIème siècle, de grands efforts, encouragés par le roi (arch. dép., C 3243) et les Etats de Bretagne, furent tentés en faveur de l'agriculture [Note : Une société d'agriculture (la première en France) fut créée en Bretagne en 1757. (Sée et Lesort, 414-422)]. Pour augmenter la surface cultivée et aussi pour se procurer des ressources, l'Etat et les autres propriétaires de communs résolurent de les afféager, par parcelles, à qui voudrait les défricher.

Les riverains firent opposition ; il y eut des procès [Note : Les Etats de Bretagne et le Pouvoir royal avaient essayé, sans grand résultat, de résoudre la difficulté. La question était complexe ; il fallait d'abord savoir à qui appartenaient les communs. En 1736 et 1776, le Parlement les avait déclarés, en général, partie intégrante du domaine proche des seigneurs ; mais il pouvait y avoir des exceptions. Il fallait ensuite examiner les titres des riverains. Chaque cas pouvait comporter une solution particulière. L'Etat afféagea de grandes quantités de landes du domaine royal, notamment en Saint-Aubin, Gosné, Liffré, Saint-Ouen-des-Alleux. Les particuliers en tirent autant un peu partout (dans la lande de Parigné, dans le marais du Pont-Freulin en Parigné, dans le marais de la Folie en Antrain, dans la lande de la Haute-Bergerie, en Rimou. L'étendue des terrains incultes avait été, par suite, considérablement réduite, et les riverains s'en plaignaient fort] et des mécontents.

Les cahiers se firent l'écho des réclamations en protestant contre les morcellements.

Beaucoup de cahiers toléraient les « justices seigneuriales » parce qu'elles étaient à proximité des justiciables et moins couteuses que les justices royales ; mais tous protestaient contre la multiplicité des degrés d'appel.

Naturellement on se plaint des charges seigneuriales, provinciales et royales, que l'on exagère, du reste (à toute époque on a déclaré payer trop d'impôts). On manifeste une sainte horreur de la gabelle, impôt que les Bretons ne payaient pas !

On crie beaucoup — et non sans raison — contre la corvée des grands chemins, parfois lourde, et tout autant, quoiqu'à tort, contre la milice.

On accepte de payer la dîme, mais on souhaite que son produit soit exclusivement utilisé dans la paroisse même ce qui était excessif, mais qui était une réaction contre d'autres excès.

Il y a unanimité pour la conservation des privilèges de la province. Les paysans demandaient à être représentés aux Etats de Bretagne. On réclame l'augmentation du nombre des membres du Tiers, et le vote démocratique par tête.

Les manifestations de confiance et d'amour envers le Roi, et de fidélité à la Monarchie, sont nombreuses et touchantes ; mais elles voisinent avec des vœux, dont la portée échappe aux rédacteurs, et n'en sont pas moins destructeurs de la royauté.

Il est curieux de constater que certaines paroisses déléguèrent, à l'assemblée de la sénéchaussée, de futurs contre-révolutionnaires: notoires, comme J.-B. Gavard, de Parcé, l'un des premiers auxiliaires de La Rouërie.

Un des cahiers les plus révolutionnaires est celui de Mézières, Il fut sans doute rédigé par le président de l'assemblée de cette paroisse, M. Marie-Jean Gaultraye [Note : Il ne serait pas impossible cependant que le Cahier de Mézières n'eût été rédigé par Gaultraye fils (Eugène-Pierre) qui devint administrateur du district de Fougères], avocat à la Cour, sénéchal de la seigneurie du Bordage, de la Belinaye et d'Orange, qui devint maire de Mézières.

Le président de l'assemblée de Noyal-sous-Bazouges fut M. Louis-Charles Collin de la Contrie, qui entra dans la conjuration de la Rouërie.

Les paroissiens de Sens se plaignirent de ce que M. Poussin de la Villemané, ancien sénéchal, avait voulu les influencer, et ils rédigèrent un autre cahier.

 

LA NUIT DU 4 AOUT ET LES PRIVILÈGES DE LA BRETAGNE.

La Bretagne était très fière (à l'excès même) de ses privilèges, qui pourtant ne pouvaient être, dans leur totalité, intangibles.

Elle possédait une Cour souveraine, le Parlement. Elle s'administrait elle-même, par le moyen de ses Etats. Elle percevait et répartissait elle-même et à sa guise les impôts, dont elle discutait l'importance avec une énergie et une ténacité toutes bretonnes (et parfois exagérées), au point que cette province payait au Roi moins d'impôts que les autres.

Nous avons vu les cahiers, imposant aux députés bretons le soin de défendre les privilèges de la Bretagne. Cependant, au 4 août, en présence des gentilshommes renonçant à leurs prérogatives, les députés du Tiers voulurent, à leur tour, faire « un sacrifice sur l'autel de la patrie ». N'ayant personnellement rien à abandonner, les Bretons du Tiers ne trouvèrent rien de mieux, dans l'enivrement général, que d'offrir les privilèges de la province.

Comme le dit, avec raison, M. B. Pocquet (Origines de la Révolution en Bretagne), l'enthousiasme est une belle chose, mais il ne doit pas aller jusqu'à offrir généreusement ce qui ne vous appartient pas !

Les représentants du clergé, plus prudents, se considérèrent comme liés par leurs mandats et ne suivirent pas leurs collègues laïques.

Quand l'enthousiasme fut refroidi, continue M. Pocquet, les députés bretons furent embarrassés, ils durent écrire à leurs commettants des lettres assez piteuses. Les événements, en se précipitant, empêchèrent les protestations des électeurs, mais non celle du Parlement de Bretagne, gardien légal de la Constitution bretonne.

La résistance énergique du Parlement fit citer ses membres devant l'Assemblée nationale. Ils comparurent, au nombre de 10, ayant à leur tête leur président, M. de la Houssaye, le 8 janvier 1790.

Leurs explications, appuyées sur les termes mêmes du Contrat d'union de la Bretagne à la France, produisirent une vive impression et surtout une profonde surprise. La discussion dura trois jours. Les orateurs les plus en renom y prirent part.

Chapelier, député de Rennes, s'expliqua ainsi en substance : « Nous avons chéri les franchises bretonnes tant que les Français ont été endormis sous les chaînes du despotisme [Note : Chapellier s'élevait contre le despotisme des rois. La révolution ne tarda pas à lui montrer des chaînes plus lourdes et un despotisme plus cruel ; car, peu reconnaissante envers un de ses promoteurs, elle le fit arrêter, et, le 22 avril 1794, l'envoyait à l'échafaud. C'est le même Chapellier, abusé, qui, à la Constituante, nia dans son rapport contre les Corporations l'existence de « prétendus intérêts communs des hommes du même métier »]. Quand le peuple abandonne ses privilèges, est-ce aux Parlements à réclamer ? ».

L'Assemblée nationale finit par déclarer les magistrats bretons inhabiles à remplir aucune fonction, jusqu'à ce qu'ils n'eussent prêté serment à la Constitution : cette condamnation leur fut un titre d'honneur parmi les Bretons.

Le Parlement opposa la force d'inertie aux décrets de l'Assemblée ; mais bientôt une Cour provinciale fut instituée pour le remplacer.

Ainsi finit le célèbre Parlement de Bretagne, en même temps que les libertés bretonnes dont il avait assumé la défense. Il s'y était appliqué parfois avec exagération, et à l'encontre des volontés royales, le souci de la légalité et le respect des textes lui ayant fait oublier qu'aucune constitution n'est immuable.

(Emile Pautrel).

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