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LES FAMILLES LIMON DU TIMEUR ET LA TOUR D'AUVERGNE-CORRET.

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Théophile-Malo de La Tour d'Auvergne-Corret (1743-1800) affirmait descendre du fils naturel (nommé Henri Corret) d'Adèle Corret et d'Henri de La Tour d'Auvergne (1555-1623), le père du Maréchal de Turenne, revendication reconnue par la famille de La Tour d'Auvergne à la fin de l'Ancien Régime. Il ajouta donc à son nom celui de La Tour d'Auvergne en 1777, après avoir obtenu d'un descendant du duc de Bouillon un courrier attestant d'une souche commune, le 23 octobre de cette même année. Le 20 mai 1785, un diplôme autorisa Théophile-Malo Corret à faire précéder son nom de naissance de celui de La Tour d'Auvergne. Engagé dans les armées révolutionnaires, il se signala par sa bravoure, et Napoléon Bonaparte, Premier consul, par arrêté du 26 messidor an XI, l'honora du titre de Premier Grenadier de France. Il n'a pas laissé de descendance.

S’étonnera-t-on de trouver ici, à propos de la famille de La Tour d' Auvergne-Corret, des renseignements sur la famille Limon dans laquelle le mariage avait fait entrer Mlle Corret ? Voici la cause et, j'espère, l'excuse de cette digression : c'est que Buhot de Kersers n'a rien dit de la famille Limon. Or personne ne pouvait être mieux renseigné que lui.

Né en 1784, il avait connu sa grand'mère Catherine Limon, morte en 1791 ; il a vécu longtemps auprès de son grand-oncle Limon, mort en 1810 ; auprès de sa fille Madame de Kersauzic, morte en 1836 ; enfin de la fille de celle-ci, Madame du Pontavice, morte un mois avant Buhot lui-même, en 1858.

Un souvenir respectueux de M. Limon père, des renseignements très intéressants sur les relations de La Tour d'Auvergne avec son beau-frère, et c'est tout ! Comment se composait la famille ? Quelle fut-elle pour La Tour d'Auvergne ? Buhot n'en dit rien. Ces renseignements avaient pourtant quelque intérêt dans une biographie de La Tour d'Auvergne. Pourquoi ? Buhot lui-même va le dire.

« Vers la fin de 1779, (écrit-il, p. 73) La Tour d'Auvergne obtint un congé qu'il alla passer chez son beau-frère à Guingamp, charmante petite ville, ou demeurait M. du Timeur et qui, par conséquent, était devenue pour La Tour d'Auvergne une seconde patrie ».

« Seconde patrie » est peut-être un terme un peu exagéré ; mais passons. Le congé de 1779, ce n'est pas chez son beau-frère que La Tour d'Auvergne allait le passer, c'était chez sa mère, qui demeurait à Guingamp depuis 1772, qui se sentait mourir et que son fils n'allait pas quitter jusqu'à sa mort, le 18 février 1780.

Voilà ce que Buhot n'a pas su ou du moins n'a pas dit ; et voilà pourquoi Corret, après avoir été en relations suivies avec la famille Limon de 1762 à 1771, devint l'hôte assidu de Guingamp, de 1772 à 1780.

Dans les pages qui suivent à propos de la famille Limon le nom de la Tour d'Auvergne reviendra souvent.

***

Nous avons dit le mariage célébré à Carhaix de Marie-Anne Corret épousant « noble maître Yves Limon du Timeur, avocat à la Cour, procureur fiscal du duché de Penthièvre, pairie de France, au siège de Guingamp » [Note : J'ai dit, par erreur, que le mariage avait été célébré à Saint-Hernin. Je copie l'acte de mariage dressé à Carhaix. Les noms de Timeur et Kersimon surajoutés aux noms patronymiques de M. et Mme Limon sont les noms de deux terres ou métairies non nobles et dont, nous ne trouvons pas la situation. Ces terres n'ont rien de commun avec les seigneuries bien connues du Timeur et de Kersimon. Le Timeur en Poullaouen (canton de Carhaix) avec titre de marquisat a passé par alliance (1662) des Plœuc aux Percin de Montgaillard, puis (9 novembre 1685 ), par acquêt à Jean-Charles Ferret, conseiller au Parlement, puis par alliance (1713) aux La Bourdonnaye de Blossac qui l'ont vendu en 1829, quelque peu démembré, au Marquis de Kergariou-Coatiliou. Kersimon en Plouguin (canton de Plouguerneau-Brest) appartenait à la maison du Chastel. Timeur et Kersimon sont historiques. C'est au Timeur que se livra le sanglant combat qui mit fin à la révolte du papier timbré (septembre 1675). En 1558, Guillaume du Chastel, seigneur de Kersimon, que l'histoire nomme seulement par son titre, rassemblait les paysans et les nobles du voisinage et obligeait à se rembarquer les Anglais et Hollandais descendus au Conquet et menaçant Brest].

Yves Limon était fils de « noble maître Toussaint Limon du Timeur, avocat à la Cour, doyen des maires de Guingamp, et de deffunte dame Louise-Catherine-Philippe de Kersimon, dame du Timeur ». Comme député de Guingamp, il avait siégé aux Etats de Bretagne tenus à Rennes en octobre 1740. Enfin l'acte de sépulture de M. Limon (Guingamp, 26 avril 1776). ajoutera à ces titres celui de sénéchal en plusieurs juridictions.

Yves Limon avait le titre de procureur fiscal depuis le octobre 1758 [Note : Reg. de la juridiction de la prévôté de Guingamp. Arch. des Côtes-du-Nord, comm. de M. Tempier, archiviste. Lettres de provisions de l'état et office de procureur fiscal de la Cour ducale et prévôté de Guingamp octroyées à Me Yves Limon, avocat au Parlement. « Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, de Châteauvillain et de Rambouillet, etc., gouverneur et lieutenant général pour S. M. en la province de Bretagne, admiral de France, etc., faisons savoir que sur le bon et louable rapport qui nous a été fait de Me Yves Limon, avocat en Parlement.... lui avons octroyé.., l'état et office de procureur fiscal de notre terre, seigneurie et juridiction de Guingamp, l'un des membres de notre duché de Penthièvre, vacant par le décès de M. Joseph Bobouy, sieur de Kergrée, dernier paisible possesseur d'icelui. Fait à la Rivière, ce quatre octobre 1758. Signé : L.-J.-M. de BOURBON. ». Après vingt-six années d'exercice, Limon se démit, en faveur de M. Le Normant de Kergrée (janvier 1784)], et il allait le garder jusqu'en 1784. Peu après son mariage, il fut honoré, comme son père, de la mairie de sa ville natale ; il prend le titre de maire de Guingamp dans les actes de baptêmes de ses enfants nés entre 1762 et 1767.

La famille Limon était ancienne et honorée. Comme beaucoup de familles bourgeoises [Note : Prenait des armoiries qui voulait... à la condition, sous peine d'amende, de les faire inscrire à l'armorial général et d'en retirer le brevet qui coûtait 20 livres (équivalent à 65 à 70 francs vers 1906). Edit de novembre 1696 créant l'armorial général : « Les brevets d'enregistrement d'armoiries ne pourront en aucun cas être tirés à conséquence pour preuve de noblesse. » Courcy, III., 528], elle avait des armoiries qu'elle avait fait inscrire à l'armorial de 1696 ; mais, mieux instruits que beaucoup de nos contemporains, les Limon savaient bien que l'inscription à l'armorial n'était pas preuve de noblesse ; et ils se reconnaissaient bourgeois en prenant ou acceptant dans leurs actes le titre de Noble homme, titre purement bourgeois au XVIIIème siècle.

M. et Mme Limon avaient eu sept enfants :
1° Leur fils Yves, né en 1730, était l'aîné ;
2° Catherine-Rose, née en 1733 fut mariée en 1756, à noble homme Alexandre-Marie Buhot de Kersers, demeurant au Ménez, paroisse de Plougras [Note : Plougras commune, canton de Plouaret, arr. de Lannion. Ses deux trèves Loguivy et Lohuec sont devenues communes. — Le Ménez et Kersers aujourd'hui métairies], dont postérité [Note : Ils eurent huit enfants vivants le 25 avril 1795 (partage des biens de leurs père et mère). L'aîné Yves-Toussaint, épousa Olive Le Douaren ; père de Alexandre-Marie-Toussaint, né à Guingamp, le 21 octobre 1784, y décédé, le 21 janvier 1859 ; c'est le biographe de La Tour d'Auvergne]. Elle mourut le 19 mars 1791.
3° Marie-Augustine-Louise [Note : Elle fut baptisée le 7, et son père « gouverneur actuel de l’Hôtel-Dieu » lui donna un parrain et une marraine « du nombre des pauvres de l’Hôtel-Dieu, qui déclarent ne savoir signer ». C'est l'usage que nous avons mentionné plus haut à propos du baptême du fils aîné de Mme de Penandreff (depuis Mme Corret)], née le 6 septembre 1735, fut mariée en 1756, à Messire Yves-Gabriel Couffon de Kerdellec'h, demeurant à Pontrieux ; elle mourut à Guingamp le 26 novembre 1775 ; — dont postérité [Note : Entr'autres enfants ils eurent : Gabriel-Marie, né à Pontrieux, le 25 avril 1771, qui épousa à Lamballe, le 27 juin 1804, Rose-Sévere-Joséphine Halna de Boisquilly ; — 2° Alexandre-Marie, né le 7 septembre 1773, qui épousa Marie-Claire Baudouin de la Hubinière, dont Alexandre-François-Marie décédé à Brest, le 25 septembre 1893, à 79 ans et 7 mois. C'est l'érudit, auteur des Recherches sur la Chevalerie du duché de Bretagne. 2 vol. in-8°, 1877].
4° Françoise-Marie, née le 19 septembre 1737, ne se maria pas et mourut à Guingamp, le 22 juillet 1790.
5° Pauline-Jeanne, née le 15 mai 1739, entra aux Ursulines de Guingamp, à la fin de 1765, décédée à Guingamp, le 13 août 1802.
6° Pierre-Toussaint, né le 2 octobre 1740. Baptême du 4. Le père n'y assista pas « maire actuel, il est en députation aux Etats de Bretagne ». Pierre mourut enfant ou du moins sans alliance avant 1761.
7° Marguerite-Yvonne, née le 9 août 1746, carmélite à Guingamp, le 10 février 1767, faisait profession le 11 février 1768 ; elle mourut selon toute apparence vers 1800.

Telle était la famille dans laquelle Mlle Corret entrait en fille et sœur chérie.

Depuis le mariage de ses filles aînées et son veuvage avant 1761, Limon père vivait avec son fils et ses trois plus jeunes filles, dont l'aînée, Françoise, gouvernait le ménage. On a dit que les jeunes époux demeurèrent dans la maison paternelle. Y firent-ils ménage commun avec le père ? Et Françoise, de deux ans l'aînée de sa belle-sœur, continua-t-elle à être la maîtresse de la maison ? Question. Il se peut en effet qu'il n'y ait eu qu'un seul ménage par raison d'économie.

Buhot de Kersers a écrit (p. 56) : « Limon resta de bonne heure à la tête d'une fortune assez considérable pour le pays qu'il habitait ; et il sut l'augmenter encore par l'ordre et l'intelligence qu'il apporta dans la direction des ses affaires ».

Sur le premier point, Buhot est mal informé. En effet, Limon avait quarante-six ans et était marié depuis quinze ans, quand il recueillit l'héritage de ses parents. J'ai sous les yeux une note du partage fait (le 18 juin 1776), après la mort de Limon père, des successions confondues de M. et Mme Limon. Les copartageants sont au nombre de quatre : Limon, ses deux sœurs mariées et Françoise. Pierre n'est plus et les deux jeunes sœurs religieuses n'héritent pas. Les biens immeubles, dont il est seulement question, sont évalués 100.000 livres, plus de 203.000 francs de notre monnaie vers 1906. Chacun prend un quart de cette valeur, soit 25.000 livres.

Mais, au temps du mariage de Limon, qui aurait prévu que les deux jeunes soeurs se feraient religieuses ? La part de chaque héritier était alors présumée d'un sixième de 100.000 livres, ou  16.666 livres.

J'ajoute que par acte authentique du 13 septembre 1766, Limon père constitua en dot à sa fille Pauline, alors novice aux Ursulines, une pension viagère de 200 livres seulement (environ 400 francs, valeur en 1906).

Les biographes ont mentionné, j'allais presque dire célébré « la pauvreté » « la grande pauvreté » (Michelet, p. 48, 61, 63) de Corret même devenu La Tour d'Auvergne ; or Corret, son frère et sa sœur avaient, au temps du mariage de Mme Limon, chacun une part égale supérieure à l'avoir de Limon [Note : Nous verrons cela plus loin. — Buhot dit (p. 28) : « A la mort d'Olivier les partages eurent lieu selon les formes usitées dans la noblesse ». Ce n'est pas la forme, c'est le fond qui distingue le partage noble du partage roturier. La preuve que le partage se fit roturièrement, c'est-à-dire en parts égales, c'est que Joseph, l'aîné des enfants, ne reçut pas Lampoul, principal manoir que le partage noble lui aurait attribué par préciput].

Ons voit qu'en réalité, la fortune était du côté de Mme Limon. Nul doute que Mme Corret, dont les enfants mineurs avaient été condamnés à payer le droit roturier de franc-fief, n'ait, au moins pour un temps, renoncé pour eux à ses prétentions nobiliaires ; et qu'elle n'ait accueilli la demande de Limon en considération de sa situation de bourgeoisie supérieure à celle des Corret, et aussi des aimables qualités de Limon et des sérieuses garanties qu'il offrait à sa fille.

Buhot de Kersers, qui connaissait bien son grand-oncle, a dit la droiture, la sagesse et la Piété de Limon ; mais il n'a pas appris, ce que nous a révélé Limon lui-même, que sa gravité naturelle savait sourire, et que, comme beaucoup d'avocats de son temps, il avait courtisé la Muse.

Je puis même dire que son goût éclairé inspirait toute confiance. Un jour, le sénéchal de Corlay, Georgelin, fondateur avec le comte de Sérent de la Société patriotique de Bretagne, le prie de corriger une épître en vers, que la comtesse de Nantois écrit à Mme de Beauharnais. Limon remercie Georgelin de sa communication ; « relève une faute d'inattention dans l'épitre de cette charmante muse » ; et joint à son envoi une épitre en vers à Mme de Nantois « afin qu'elle voie qu'il y a d'autres que ses amis à l'admirer, que son exemple gagne, et qu'elle réveille jusqu'aux vieilles muses endormies depuis longtemps » [Note : Mme de Nantois rimait avec une aimable facilité des vers applaudis par Vergniaud, Saint-Ange et autres. Il semble, que s'adressant à Mme de Beauharnais, elle avait peur de sa critique. De là les corrections sollicitées. Sur cette historiette, voir Un Sénéchal de Corlay (Côtes-du-Nord), correspondant de Voltaire par J. Trévédy (1887) p. 44 ; et la Comtesse de Nantois dite la Muse bretonne par le même (1895), p. 27].

Avocat désintéressé, Limon se faisait-il, comme d'autres avocats que j'ai connus dans ma carrière de magistrat, arbitre entre les parties et avait-il l'art heureux de les accorder ? Je le crois, quand je lis une petite pièce que Georgelin adresse à « Limon, habile avocat et conciliateur » pièce dans laquelle se trouve ce vers :

Je te vois invoqué comme un ange de paix [Note : Un sénéchal de Corlay.... p. 44. J'ai donné cette petite pièce dans La Tour d'Auvergne fut-il noble ? Appendice VIII, p. 53].

Limon était, d'ailleurs, l'homme le plus simple et le plus étranger aux illusions aristocratiques de son beau-frère. Malgré leur différence d'humeur et d'âge, — Limon avait douze ans de plus que Corret, — ils furent intimement unis. Limon fut le conseil, le confident, l'homme d'affaires, disons même le bailleur de fonds de La Tour d'Auvergne. Durant quarante ans, un seul nuage passa sur leur amitié, mais passa vite et sans laisser de trace. En décembre 1792, après avoir perdu tous ses proches [Note : Depuis la mot de sa mère (18 février 1780) il avait perdu son vieil oncle Thomas Corret le jésuite, par lui vénéré comme un père (17 octobre 1782), son frère cadet Thomas (5 février 1784), enfin sa sœur Mme Limon (26 décembre 1785)], La Tour d'Auvergne annonçant à Limon la mort du duc de Bouillon (3 décembre) lui écrivait :

« Le seul bien, le seul besoin de ma vie serait de retrouver dans votre amitié celle qui avait contribué pendant plus de douze ans au bonheur de mon existence » [Note : Notice historique sur la Tour d'Auvergne (p. 38) (1848) par Me J. Gaudry, avocat à Paris, qui plaida dans l'affaire du cœur de La Tour d'Auvergne. A la suite de ses pages, il donne le jugement de Castelnaudary (9 juin 1839), et l'arrêt confirmatif de Montpellier (1er décembre 1840)].

Plusieurs lettres de Corret à Limon ont, été publiées. Les lettres de Limon n'auraient pas manqué d'intérêt. J'en ai pu lire plusieurs adressées à sa belle-mère. Selon l'usage des ecclésiastiques, Limon trace une croix en tête de ses lettres. Il témoigne à Mme Corret-Billonnois un respect dont l'expression semblerait aujourd'hui un peu cérémonieuse : il lui écrit « Madame, ma très chère mère ; » et, quand il parle de son beau-frère, il le nomme « Monsieur Corret ». Ses lettres sont pleines de tendresse.pour sa femme et ses jeunes enfants [Note : Une lettre du 3 juin 1769 finit ainsi : « Notre Rose-Anne (elle avait trois ans et demi) est grande causeuse en breton et fait de son mieux pour dire en français ; je rougirais de pareils contes si je ne les faisais à une grand'mère aussi tendre. Adieu, ma très-chère mère. Ne doutez jamais des sentiments sincères et respectueux avec lesquels je serai toujours, Ma très-chère mère, Votre très humble et très obéissant Y. LIMON »].

De 1762 à 1767, Mme Limon mit au monde deux fils et deux filles. Voici leurs noms :
1° Jeanne-Marie-Sainte, née le 16 mai 176. Baptême le 17 Parrain, Toussaint Limon du Tymeur. Marraine, Jeanne-Lucrèce Salaün, dame de Billonnois, aïeule maternelle.
2° Philippe-Paul-Toussaint, né le 4 septembre 1763. Baptême le 5. Parrain, noble homme Philippe-Marie Billonnois. Marraine, Pauline-Jeanne Limon, demoiselle de Pradelan (4ème sœur du père). Mort enfant avant 1771.
3° Rose-Anne, née le 26 janvier 1766. Baptême même jour. Parrain, Guillaume Blanchard. Marraine, Françoise Bourtat « qui ne signent pas ». Ce sont deux pauvres de l'hôpital. Elle mourut le 6 juin 1781.
4° Théophile-François Olivier, né et baptisé le 17 juin 1767. Parrain, Théophile-Malo Corret de Kerbeauffret, mousquetaire de la garde ordinaire du roi. Marraine, Françoise-Josèphe Limon, demoiselle du Tymeur. Mort enfant avant 1771.

Sorti du collège en 1761 ou 1762, Corret passa deux ou trois années chez sa mère : il visitait souvent sa sœur et recevait le meilleur accueil de M. Limon. Mlles Françoise et Pauline, plus âgées que lui, le traitaient en ami ; Marquise plus jeune était tenue à plus de réserve. Ces relations aimables lui faisaient aimer cet intérieur simple et paisible d'où l'esprit et la gaîté n'étaient pas exclus.

Aux premiers mois de 1765, Corret vint faire à Guingamp une visite d'adieu. Aux derniers jours de mars, il partit pour Paris où il arrivait le 3 avril 1765 [Note : Lettre de Corret, du 10 mai 1768. Dans Quelques légendes, l'École de La Flèche, p. 28, il a été imprimé par erreur août au lieu de avril, mot imprimé, p. 29]. Il allait y chercher et trouver le moyen de réaliser son rêve : l'entrée dans l'armée comme officier.

Il ne reverra la Bretagne que près de deux ans plus tard. Au mois de mai 1767, devenu mousquetaire du roi, il reviendra pour tenir sur les fonts avec Françoise Limon le second fils de sa sœur. Mais quel changement il trouve dans la maison de M. Limon ! Françoise est seule ; les deux jeunes sœurs, l'une après l'autre, sont entrées au couvent.

La Tour d'Auvergne, premier grenadier de la République Française.

Pauline, l'aînée des deux, entra aux Ursulines de Guingamp à la fin de 1765, quand elle avait vingt-six ans. Un an après, elle faisait profession. L'année suivante, le 10 février 1667, Marquise s'enfermait au Carmel de Guingamp, et elle était professe le 11 février 1768, à vingt et un ans [Note : Ces renseignements, ainsi que ceux qui suivront concernant les sœurs Limon, sont officiels. Ils sont extraits des dossiers concernant les religieux en 1791 et années suivantes. Arch. des Côtes-du-Nord. Je dois ces renseignements à M. Tempier, archiviste].

Mais derrière la grille, les religieuses ne devinrent pas étrangères à Corret. Après leur entrée en religion, s'il écrit à son beau-frère, il ne manque pas de lui dire : « Je me recommande aux prières de vos sœurs, y ayant une confiance sans réserve » [Note : Me Gaudry, p. 35-36. Buhot croit aux sentiments religieux de La Tour d'Auvergne, mais il n'en fournit pas la preuve. Écrivant, les yeux sur la correspondance entre les deux beaux-frères, comment ne cite-t-il pas cette phrase significative ? Calohar (Notice historique (1844) cite la même phrase]. Cette requête « aux sœurs » de Limon ne s'adresse pas seulement à Françoise restée seule dans le monde.

Vers le même temps, Mme Limon avait vu mourir ses deux fils enfants.

En 1771, sa mère Mme Billonnois devint veuve. Rien ne la retenait à Carhaix ; pour se rapprocher de Mme Limon, elle vint se fixer à Guingamp avec sa fille Henriette Billonnois alors dans sa douzième année. La venue de sa mère et de sa jeune sœur fut une consolation pour Mme Limon ; mais d'autres tristesses allaient bientôt venir.

Mme Couffon de Kerdellec'h mourut prématurément à Guingamp, le 26 novembre 1775, âgée de quarante ans. Son père, M. Limon, s'éteignit à 75 ans, le 26 avril 1776. Le 22 mars 1778, Henriette Billonnois allait mourir à dix-huit ans. Sa mère Mme Billonnois la suivit le 18 février 1780. Mme Limon portait encore le deuil de sa mère, quand il lui fallut fermer les yeux de sa plus jeune fille Rose-Anne, mourant à quinze ans, le 6 juin 1781. Enfin elle-même succomba, le 26 décembre 1785, à quarante-cinq ans.

Je n'ai pas voulu interrompre cette liste nécrologique, mais il nous faut revenir un peu en arrière.

***

Des quatre enfants de M. et Mme Limon, l’aînée Marie-Sainte restait seule. Après la mort de Mme Billonnois, elle fut demandée en mariage. M. et Mme Limon agréaient l'union projetée ; mais leur fille n'ayant que dix-huit ans, « ils s'étaient réservé un an pour prendre un parti ».

Ils demandèrent « l'agrément » de Corret. Celui-ci ne méconnaissait pas les avantages qu'offrait à sa nièce l'union projetée ; pourtant il la repoussa, et par cet unique motif que le prétendant n'était pas noble. (Lettre du 6 août 1780. Buhot, p. 84-88).

Paré du nom de La Tour d'Auvergne, il se croit noble et il entend que toute sa proche parenté soit noble comme lui-même. Le nom de La Tour d'Auvergne a été concédé à lui seul. Chose curieuse : il va étendre cette concession à sa sœur et à son frère. Mme Limon, aussi entichée de noblesse que lui, va se parer du nom de La Tour d'Auvergne, croyant se donner la noblesse [Note : Dans un acte de baptême à Plévin, le 17 juillet 1782, Mme Limon signe « De La Tour d'Auvergne-Corret du Timeur ». Le nom de Limon est omis] ; mais son frère Thomas, qui vit étranger au monde et solitaire à Paris, prétendra rester Corret. Il meurt, et, de par son frère, il deviendra dans son acte de sépulture « Thomas de La Tour d'Auvergne, chevalier de Corret » [Note : Après d'autres, j'ai daté plusieurs fois cet acte du 3 ou 4 janvier 1784. Je puis aujourd'hui donner la date certaine. L'acte (Saint-Roch de Paris est du 5 février. En voici la note relevée par le comte de Chastellux) (Notes prises à l’Etat-Civil de Paris, p. 595 (1875). « La Tour d'Auvergne (Thomas-Louis), chevalier de Corret »]. — Voilà affirmée la noblesse des Corret !.

On peut croire que Mme Limon accepta sans peine l'avis de son frère ; mais ce, ne fut pas sans regret que Limon renonça au mariage projeté. Il s'ensuivit quelque froideur entre les deux beaux-frères ; mais ce nuage passa ; et en gage de paix, La Tour d'Auvergne envoya « à sa sœur une croix en cristal renfermant une parcelle de la Vraie-Croix, legs précieux de sa mère qu'il destinait à sa nièce, pour que cette auguste relique restât à jamais dans la famille » (Buhot, p. 92).

Cinq ans plus tard, Mlle Limon était de nouveau demandée en mariage. Le prétendant était un gentilhomme, Joachim-René-Mathias Guillard de Kersauzic [Note : Fils de Mathias-Alexandre Guillard de Kersauzic et de Renée-Marie Angélique Tronson de Keryergat. Né, vers 1753, à Paule (canton de Maël-Carhaix, arr. de Guingamp), il était l'aîné de Claude-François-Marie-Vincent, né vers 1757, qui, en 1827, habitait Morlaix, colonel en retraite, chevalier de Saint-Louis ; Renée-Marie-Françoise, née vers 1766, à Berrien, célibataire, décédée à Locmaria, le 6 février 1833 ; Jeanne-Marie-Renée, née à Berrien vers 1769, célibataire, décédée à Locmaria le 29 janvier 1827. — Rens. de M. Le Maire de Locmaria-Berrien].

Les Guillard n'avaient pas produit à la réformation de de 1668-70 ; mais leur noblesse avait été reconnue au conseil en 1698, et ils en faisaient preuve par des réformations et montres de 1448 à 1562.

Aux derniers siècles comme aujourd'hui, beaucoup de familles quittaient leurs noms et n'étaient plus connues dans le monde que par le nom d'une terre noble, s'il se pouvait, ou au besoin roturière. Les Guillard avaient suivi l'usage et s'appelaient de Kersauzic, du nom d'une terre située en la paroisse de Carnoët [Note : Carnoët canton de Callac, Guingamp, Côtes-du-Nord. Kersauzic aujourd'hui métairie garde encore une belle avenue, marque d'une gentilhommière. — Étymologiquement le mot veut dire village ou maison du petit anglais. Il se prononçait apparemment Kersauzi sans que l'usage fit sentir le c final. De là la forme Kersauzie (avec un e final). Le nom ainsi écrit devrait en breton être prononcé Kersauzié. Il est surprenant que la famille l'ait écrit ainsi. La carte du cadastre et celle de l'Etat-Major écrivent Guerzosic, forme encore plus défectueuse]. Kersauzic était terre noble, non titrée ; mais les Guillard vont se qualifier « comtes de Kersauzic ».

La Tour d'Auvergne n'avait plus d'objection à faire. Il se montra très heureux des fiançailles de sa nièce. Il demanda pour sa sœur au duc de Bouillon le nom de La Tour d'Auvergne dont elle se parait à l'avance, enfin il annonça que le duc signerait au contrat [Note : Buhot a écrit, (p. 130-131) — « Il fut prié par M. du Timeur de faire auprès du duc les démarches nécessaires pour obtenir que sa sœur fût autorisée à prendre le nom de La Tour d'Auvergne ». Et un biographe qui accorde trop de confiance à Buhot, copie cette phrase et dit « M. du Timeur avait fini, comme son beau-frère, par attacher une grande importance aux titres et à la naissance ». M. Déroulède, Le Premier Grenadier, p. (137-138). — Si la prière de Limon était démontrée par une preuve écrite, nous croirions que Limon en faisant cette demande a cédé aux obsessions de sa femme].

Toutefois un grave sujet d'inquiétude trouble la joie de La Tour d'Auvergne. L'année précédente, Limon a quitté son office de procureur fiscal ; il est resté avocat. Ne s'avisera-t-il pas de prendre ce titre dans le contrat qui sera signé par Son Altesse « Godefroid, par la grâce de Dieu duc de Bouillon » ? Etrange disparate ! Voilà ce qui inquiète La Tour d'Auvergne. Il demande à sa sœur — (l'intermédiaire est bien choisi) — de « prier son beau-frère de ne prendre d'autre titre que celui de noble sieur » imaginé par lui [Note : Lettre du 2 août 1785, Buhot, p. (326-327). Nous ne savons si Limon accepta ce conseil. Nous n'avons pu voir le contrat de mariage].

Le nom de La Tour d'Auvergne accordé à Mme Limon apparut seulement dans son acte de sépulture. Le mariage de sa fille, décidé avant le mois d'août 1785, retardé par la maladie et la mort de Mme Limon, ne fut célébré que le 8 mai 1786.

Le mariage de sa fille unique ne condamna pas Limon à l'isolement : sa sœur Françoise demeurant avec lui tenait son ménage.

Quelques années avant son mariage, M. Guillard de Kersauzic avait acquis en la paroisse de Locmaria-Berrien une terre avec une modeste gentilhommière nommée La Haye-Touronce. Il y avait fixé sa résidence principale, et il se livrait à la culture de ce domaine [Note : La paroisse de Berrien, évêché de Cornouaille, avait alors pour trèves Le Huelgoat et Locmaria. Aujourd'hui ces trois lieux forment trois communes, canton du Huelgoat, arr. de Châteaulin. La Haye était nommée La Haye-Touronce, du nom de ses anciens possesseurs les Touronce (10 gén. Réf. de 1669), successeurs à la Haye des Kerneguez (1620). La Haye passa par alliance aux Postec, srs des Isles (1711) puis aux Poulmic (1726), enfin par acquêt (11 février 1779) aux Guillard. Vers 1906 La Haye appartient par acquêt à la famille de Parcevaux].

A vol d'oiseau, La Haye était à peine 50 kilomètres de Guingamp ; mais la difficulté des routes mettait Mme de Kersauzic bien loin de son père. Les jeunes époux résidèrent alternativement à La Haye et chez Limon.

En 1787, M. Limon reçut la visite de son beau-frère. De ses proches, il ne restait plus à La Tour d'Auvergne que Limon et sa nièce de Kersauzic, à laquelle il avait voué une affection presque paternelle. Il put la voir chez son père, où, le 21 juin 1787, elle mit au monde un premier enfant qui fut nommé Alexandre-Godefroid (Voir extrait de l'acte de baptême).

En 1789, La Tour d'Auvergne revint en Bretagne. En octobre, il était à Carhaix, et il reçut de sa ville natale une marque de confiance qu'il allait justifier. Brest avait acheté des grains à Lannion ; des émeutiers s'opposèrent au départ du convoi. Deux mille volontaires armés partirent de Brest et marchèrent sur Lannion. D'autres villes s'armèrent pour la défense de cette ville. C'était un commencement de guerre civile. Plus sages, des villes s'interposèrent et nommèrent des commissaires chargés de ménager un accommodement. Carhaix députa La Tour d'Auvergne dont l'intervention fut très utile.

Lors de ces premiers troubles, que beaucoup d'autres allaient suivre, M. de Kersauzic se résolut à ne plus quitter La Haye : il voulait que sa présence y fut chaque jour constatée.

Limon ne pouvait qu'approuver la résidence constante de ses enfants à La Haye. En un temps où Guerre aux châteaux ! allait devenir un mot d'ordre trop bien obéi, il était prudent de rester dans sa maison pour la sauver du pillage, s'il était possible. Mais l'absence de Mme de Kersauzic fut d'autant plus pénible à son père, que, le 22 juillet 1790, il allait voir mourir sa sœur Françoise.

***

Il avait d'ailleurs d'autres sujets de tristesse. La sœur Ursuline et l'autre carmélite avaient refusé le serment. A la fin de 1790, leurs couvents étaient fermés et les religieuses dites « calotinocrates, fanatisées, infectées de fanatisme, pestes publiques » [Note : Expressions empruntées au vocabulaire du comité révolutionnaire de Quimper. Il n'avait pas inventé le premier mot. A Nantes, dès 1790, les beaux esprits disaient Calotinocratinettes en parlant des carmélites des Couets. Certains journaux de nos jours ne sont que des plagiaires quant ils disent pestes publiques], étaient incarcérées. En l'an III (1794-95) ursulines et carmélites étaient réunies au couvent de Monbareil transformé en maison de détention pour les ex-religieuses et suspects, hommes et femmes.

L'année suivante (1791), Mme de Kersauzic vint faire ses couches chez son père ; elle y venait seule puisque c'est Limon qui déclara la naissance de sa fille Léocadie-Théophile, dont son grand-oncle, le capitaine La Tour d'Auvergne sera le parrain par procuration (27 juin 1791) (Voir extrait de l’acte de baptême). Quel temps que celui où un citoyen ne peut quitter sa maison pour quelques jours sans l'exposer au pillage et encourir le soupçon d'émigration ;!

Le 21 décembre 1793, La Tour d'Auvergne écrivait qu'il aurait un congé d'hiver en janvier et qu'il viendrait le passer dans « sa chaumière de Lampoul et chez sa nièce », c'est-à-dire à la Haye. Mais son attente fut trompée : l’hiver n'amena pas une suspension absolue des hostilités. Au printemps, la guerre devint plus active ; La Tour d'Auvergne y prit une part glorieuse, et c'est seulement en novembre 1794 qu'il obtint une retraite que « l'épuisement de ses forces rendait nécessaire. » (Bayonne, 9 décembre).

Il partit aussitôt, et, le 4 janvier 1795, de la rade de Pauillac, il écrivait à M. de Kersauzic qu'il s'embarquait pour Brest, et qu'il le priait de lui envoyer un cheval pour se rendre à la Haye. Vain espoir ! En mer, presque en vue des côtes du Finistère, il est fait prisonnier ; amené en Angleterre, il sera échangé seulement le 7 janvier 1796, et débarquera au Hâvre, le 12 de ce mois.

Si, au commencement de 1795, La Tour d'Auvergne était revenu en Bretagne, il y aurait appris d'étranges nouvelles : M. de Kersauzic prend le titre de cultivateur et le doux et modeste Limon est suspect et emprisonné !

En 1782, M. de Kersauzic était dit (par un singulier pléonasme) « noble écuyer » ; il prenait le titre de comte au baptême de son premier enfant, en 1787 ; son père étant mort apparemment vers ce temps, en 1788, il est dit « chef de nom et d'armes » et seigneur de Keryergat et autres seigneuries [Note : Renseignements de la mairie de Berrie]. En 1794, il se dit, « cultivateur ».

Il exprime une vérité, puisque en effet il cultive ses terres .. Mais pourquoi prendre officiellement cette qualité ? Pour échapper, si possible, aux rigueurs du décret du 27 germinal an II (16 avril 1794) qui présume tous les nobles conspirateurs et les soumet à une sorte d'exil à l'intérieur, ne faisant d'exception qu'en faveur de ceux qui sont « marchands en détail et pour les ouvriers vivants de leur travail » [Note : Le décret sur « l'éloignement des nobles el assimilés » (ceux qui n'étant pas nobles ont usurpé, ou acheté titres et privilèges de noblesse). — « Ceux. qui habitent Paris, villes fortes ou frontières doivent, en être partis avant dix jours sous peine d'être mis hors la loi. Un ordre de passe leur intime une résidence ». Duvergier. Lois et décrets T. II. p. 171 et suivantes. Des comités révolutionnaires trouvèrent ces rigueurs insuffisantes et frappèrent tous les nobles d'ordres de passe dans des villes ouvertes et non frontières. Ex. Quimper. Hist. du Comité Révolutionnaire, par J. Trévédy, p. 114 et suivantes].

Est-ce le titre de cultivateur qui permit à M. de Kersauzic de résider à La Haye ? Toujours est-il que plus heureux que d'autres, il resta chez lui. [Note : Le comité de Quimper n'admettait pas l'exception pour les « cultivateurs à épée ». Il y avait pourtant à cette époque, comme il y a aujourd'hui, des nobles labourant le sol].

Le 20 germinal an III (9 avril 1795), il est nommé officier public de la commune de Locmaria ; le 17 frimaire an IV (8 décembre 1795) il est président de l'administration municipale du canton du Huelgoat, et garde cette qualité pendant les années V, VI, VII (1797-98-99. En thermidor an VIII (juillet-août 1800), il est maire de Locmaria [Note : Il a gardé la mairie jusqu'en 1835 et est mort à La Haye le 1er octobre 1836].

Nous verrons bientôt que ses précautions et, tous ces titres administratifs ne lui seront pas une sauvegarde.

***

Au mois de mars 1794, Limon devenu suspect avait été incarcéré à Montbareil. Quelle avait été la cause, ou mieux le prétexte de son arrestation ? Est-ce son titre ancien de procureur fiscal du duché de Penthièvre ? Ce n'est pas probable. Le duc n'a pas émigré. Il a vécu tranquille jusqu'au 4 mars 1793 dans son palais de Sceaux, quoique Bourbon. Sa bonté et sa bienfaisance ont été sa sauvegarde. Est-ce le refus de serment des sœurs de Limon ? Peut-être. Mais ne serait-ce pas plutôt sa correspondance avec son beau-frère La Tour d'Auvergne ? Depuis deux ans, pendant que chaque jour le futur Premier Grenadier exposait sa vie à l'armée des Pyrénées-Occidentales, il était présumé émigré, et inscrit à ce titre dans les départements du Finistère et des Côtes-du-Nord : les certificats des représentants à l'armée, les bulletins publiés au Moniteur constatant ses actes de bravoure étaient des chiffons aux yeux des administrateurs, qui maintenaient son nom sur les listes, et le séquestre sur ses biens. C'est ainsi que Limon pouvait être suspect « comme agent d'émigré »

Le séquestre frappait les biens de Limon, et il devait être fait inventaire de son mobilier [Note : Arch. des Côtes-du-Nord, Série Q. Domaines nationaux — Dossier Limon]. Deux commissaires, Penven et Loysel, nommés par le district et la municipalité, procédèrent à cette opération, les 17 et 19 mars 1794, dans la maison de ville de Limon et dans une autre maison dite de Kersallic, « en la rue Saint-Michel-lès-Guingamp ». Limon n'est pas présent ; mais il « est représenté par sa sœur Marquise, ex-religieuse » [Note : On ne peut supposer qu'elle eût recouvré la liberté. Peut-être Limon malade n'aura pu sortir de sa chambre, et sa sœur détenue dans la même maison aura été admise comme mandataire de son frère ?].

Le 25 mars, les commissaires Penven et Salpin, remplaçant Loysel, viennent inventorier les meubles apportés par Limon à la maison d'arrêt. Cette fois lui-même est présent avec sa sœur Marquise.

Les commissaires donnent lecture des procès-verbaux précédents et annoncent qu'ils viennent faire inventaire. Limon répond « qu’il n'y met pas opposition, étant toujours prêt à obéir aux lois ».

Cet inventaire nous montre-que Limon s'attendait à une longue détention puisqu'il a apporté soixante volumes de sa bibliothèque ; il nous montre aussi que Limon gardait à cette époque un usage qui passait de mode et qui aurait pu le signaler comme aristocrate : l'usage habituel de la poudre à cheveux ; il a apporté en prison deux boites de pôudre [Note : « Un lit garni, deux petites tables, deux chaises, deux mauvais morceaux de tapisserie de haute lisse, 60 volumes reliés, linge de corps, serviettes, une théière, deux boîtes à poudre, plat à barbe, rasoirs, une petite glace, une chancelière rembourrée, montre en argent »].

L'inventaire fait, Limon déclare qu'il y a chez lui plusieurs objets appartenant « à son beau-frère le citoyen La Tour d'Auvergne-Corret, actuellement commandant de la 148ème demi-brigade aux avant-postes de l'armée aux Pyrénées-Occidentales... ». Les commissaires ont inexactement rapporté le dire de. Limon. Son beau-frère n'était que capitaine à la 148ème.

Nous n'avons pu savoir combien de temps se prolongea l'incarcération de Limon [Note : Nous le retrouverons libre en 1798 ; mais sa détention avait sans doute cessé depuis quelque temps].

Quand il entrait en prison, il ne se doutait pas que l'incarcération menaçait aussi son gendre et sa fille, Mme de Kersauzic.

Chose à peine croyable, mais certaine : pendant les années IV, V et VI, Kersauzic, président de l'administration cantonale du Huelgoat, était inscrit sur la liste des émigrés ; et il ne sera radié que le 13 germinal an VII, (3 avril 1798) [Note : J'emprunte ce renseignement et ceux qui suivent à un mémoire de M. l'abbé Guirriec très curieux à lire, intitulé Démarches de La Tour d'Auvergne-Corret pour la radiation de sa nièce Mme de Kersauzic sur la liste des émigrés. Bulletin de la Société Archéologique du Finistère. T. XXIX _ (1902) p. 38 à 53].

Toutes ses précautions ont donc été inutiles !

Mais ce n'est pas tout. Au commencement de 1797, La Tour d'Auvergne apprend que les biens de sa nièce, « la citoyenne Kersauzic », situés dans le Morbihan, sont séquestrés comme biens d'émigrée. Elle est donc inscrite sur une liste d'émigrés ; mais où ? La Tour d'Auvergne s'adresse directement au Ministre de la police, auquel il a révélé une situation qu'il fallait taire. Jamais dévoûment plus sincère ne fut plus compromettant !

Après beaucoup de recherches on apprend que Mme de Kersauzic a été inscrite dans le Morbihan, où ne fut jamais sa résidence. Le 17 frimaire an VI (26 novembre 1797), les administrateurs du Finistère délivrent un certificat attestant que, « depuis avant 1789, les époux Kersauzic ont constamment résidé à Locmaria et que le mari y exerce depuis plusieurs années des fonctions publiques ».

Dans une autre délibération, l'administration du Finistère déclare que « l'inscription de la citoyenne Kersauzic présente une irrégularité qui peut tenir de fort prés à la malveillance… ».

Non c'est autre chose c'est l'œuvre de la cupidité qui, sans y prendre garde, deviendra peut-être homicide. Il y a là quelque « pur », quelque « patriote enragé » aspirant à la mise en vente des biens de Mme de Kersauzic comme biens d'émigrée. Il se sera fait délateur auprès d'un comité de surveillance que l'administration aura écouté sans demander de preuve. Non informée de son inscription, Mme Kersauzic n'aura pas pu, comme le veut la circulaire du ministre de la police du 18 vendémiaire an VI, (9 octobre 1797), prendre la précaution de se faire mettre en surveillance ; et pour ce fait, « elle court le danger d'être arrêtée et jugée par une commission militaire » [Note : C'est l'effrayante réponse du représentant Roujoux à La Tour d'Auvergne (fin de 1797)] ; et on sait comme elles jugeaient !

Le 42 ventôse an VII (2 mars 1799) la radiation n'est pas encore obtenue ; et il y a plus de treize mois que La Tour d'Auvergne a fait sa première et compromettante démarche [Note : Le Gogal-Toulgoët, fils de Vincente Le Roux, se montre très inquiet du résultat des démarches de La Tour d'Auvergne, « qu'il ne peut concevoir ». Lettre du 12 ventôse au VII, 9 mars 1799. — Se taire était le plus sage].

***

La Tour d'Auvergne était revenu de sa prison d'Angleterre en janvier 1796. Il reprit du service en 1797 ; et l'année suivante (1798), il vint à Guingamp. Ce fut sa dernière visite. En 1799, il faisait encore une campagne, et le Premier Grenadier allait tomber, le 27 juin 1800, à la tête de la compagnie qu'il commandait comme capitaine.

Deux ans plus tard, le 25 thermidor, an X (13 août 1802) mourait la dernière des sœurs de Limon, Pauline, l'ancienne ursuline.

Limon avait vu mourir après sa mère et son père, sa femme, trois de ses quatre enfants, son frère, ses cinq sœurs, toutes plus jeunes que lui, son beau-frère La Tour d'Auvergne. Il vieillissait tristement. Les jeux même de ses petits-enfants ne l'égayaient que par moments. Une dame respectable, née à Guingamp quelques mois avant Léocadie de Kersauzic, se rappelait qu'allant jouer avec elle, elle avait vu Limon maigre et chauve, couvert d'une grande redingote, immobile dans son fauteuil, fumant silencieusement la pipe, souriant un instant aux jeux des enfants, puis retombant dans ses tristes pensées.

L'ordre était revenu et les citoyens pouvaient quitter leurs demeures sans encourir le soupçon d'émigration. Limon visitait souvent sa fille à La Haye ; il y voyait grandir les enfants nés chez lui à Guingamp : ils étaient trois.

Nous avons nommé plus haut les deux aînés :

Alexandre-Godefroy-Joachim-Yves-Toussaint, né à Guingamp, le 21 juin 1787 ;

Léocadie-Théophile-Marie, née à Guingamp, le 27 juin 1791.

Auxquels il faut ajouter :
Joachim-René-Théophile, né à Guingamp. le 13 novembre 1798 [Note : Voici les actes de baptême des deux premiers. 1° Alexandre…. baptisé le 21 juin 1787. Parrain, Yves Limon du Tymeur, avocat ; marraine, Marie-Alexandrine Guillard de Kersauzic. 2° Léocadie…. baptisée le 28 juin 1791. Parrain, Théophile-Malo de la Tour-d'Auvergne Corret, Capitaine au régiment d'Angoumois, chevalier des ordres de Saint Louis (de France) et de Charles III (d'Espagne) représenté par Guillaume Ialou ; Marraine, Léocadie de Lagadec veuve, de Pierre de Roquefeuil de Montpeyroux. 3° J'ai le regret de ne pouvoir donner ici un extrait de l’acte de naissance de Joachim. J'avais instamment sollicité de M. le Maire de Guingamp une note de cet acte. Je n'ai pas obtenu de réponse. Joachim est d'ordinaire appelé Théophile du nom de son oncle. Un biographe le dit neveu par sa mère de La Tour-d'Auvergne (petit neveu)].

Alexandre entra clans l'armée ; à vingt-deux ans, il était lieutenant au 46ème régiment d'infanterie, quand il fut tué au combat d'Enzersdorff, le 5 juillet 1809, veille de la bataille de Wagram.

Le grand-père, âgé alors de soixante-dix-huit ans, pleura son petit-fils et mourut à La Haye, le 34 janvier 1810.

Mlle de Kersauzic, épousa le 15 juillet 1813, à Locmaria, Marie-Hyacinthe-Olivier du Pontavice de Heussey. C'est elle qui, après la mort de sa mère, le 19 mars 1832, reprit, suivit et put voir finir après une longue instance, le procès relatif au cœur de La Tour d'Auvergne. Mme du Pontavice mourut à Saint-Germain-en-Cogles-(Ille-et-Vilaine) le 18 décembre 1858. Dont postérité gardant le nom de du Pontavice.

Son frère Théophile lui survécut. il entra au service en 1815 dans le 4ème hussard. Il était sous-lieutenant en 1823. Déjà carbonaro, il fut de l'expédition d'Espagne, où il se distingua.

Il en revint capitaine et décoré. En 1830, en garnison à Pontivy, il se prononça pour le nouveau gouvernement. Il avait cru à l'avènement de la République. Détrompé, il donna sa démission et, de 1830 à 1834, fut impliqué dans les procès politiques du temps. En avril 1834, condamné à la déportation, il fut interné à Doullens, puis au château de Brest. Il y était encore lors de l'érection de la statue de la Tour d'Auvergne à Carhaix. A cette occasion, M. du Chatellier, « au nom de La Tour d'Auvergne » sollicita sa grâce qui fut refusée [Note : Les biographes ne mentionnent pas ce fait. Il est certain, puisque M. du Chatellier l'affirme dans sa brochure : La Tour d'Auvergne, sa statue et sa correspondance (1856), p. 14 et 15]. Peu après, compris dans une amnistie, il quitta la France. Rentré en 1848, il prit part aux insurrections de juin 1848 et 1849. Condamné par contumace, il passa à l'étranger où il est mort, le 24 août 1874.

Kersauzic ne comprit pas que l'épée d'honneur du Premier Grenadier devait rester en France ; et il l'offrit à Garibaldi retiré à Caprera, en lui adressant une lettre pleine d'emphase signée Comte de Kersauzic. Garilbaldi l'accepta par une lettre du même style « comme un signe de sympathie de la France humanitaire aux nationalités opprimées » [Note : Lettre du 2 janvier 1864. — On peut lire ces deux lettres dont la boursouflure prête à rire, dans le livre du commandant Simond (2ème éd.). Appendice, p. 246].

La France, si elle eût été consultée, aurait retenu l'épée. Les héritiers de Garibaldi l'ont renvoyée à la ville de Paris qui l'a gardée [Note : Les armes d'honneur devaient être remises aux familles. Décret du 27 octobre 1804 (5 brumaire an XIII)].

(J. Trévédy).

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