Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

DU GUE-TROUIN, homme de mer et de guerre.

  Retour page d'accueil       Retour " Ville de Saint-Malo "   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Nous ne pouvons résister au noble orgueil de citer avec une juste ostentation celui de tous nos concitoyens qui s'est fait le plus de réputation par sa science nautique ; cet homme à grand caractère, comme parle Horace (Odar. lib. 4, od. 8), qui s'est toujours montré prêt à s'immoler pour ses amis et pour sa patrie ; M. René Trouin, sieur du Gué enfin, plus communément appelé Du Guay-Trouin, lieutenant-général des armées navales du roi, et commandeur de l'ordre de Saint-Louis ?

René Du Gué-Trouin ou Du Guay-Trouin, navigateur.

Un tel héros suffirait seul pour illustrer toute une nation. Bon matelot, excellent général, citoyen aimable, le plus doux des hommes sur terre, le plus terrible sur mer ; il a su vaincre et écrire le récit de ses victoires dans des Mémoires qui sont un modèle de simplicité et de clarté.

Aussi rempli de modestie que prodigue de valeur, il parlait peu de son art, et jamais de lui-même. Peu de personnes sont parvenues à une si haute renommée par un enchaînement d'actions plus étonnantes ; et ce qui met le comble à sa gloire, vu la manière dont est composée notre faible humanité, il se montra constamment l'ami de ceux qui, ayant fait avec lui leurs premières armes, n'avaient pu le suivre que de très-loin dans le chemin des honneurs et de la fortune.

La maison de la Flourie, en Saint-Servan, lui a servi de maison de campagne ; et ce qui paraîtra peut-être dans notre relation une minutie, la petite élévation au nord du jardin, où était encore naguères un gros ormeau, se nommait le Berceau de du Gué-Trouin.

Né et ondoyé dans nos murs [de Saint-Malo] le 10 juin 1673, il ne reçut les onctions saintes que le 13 août suivant.

Son père, riche négociant, et fort bon marin lui-même, l'envoya d'abord étudier au collège de Rennes ; et, le fit ensuite tonsurer, dans le dessein de le faire passer en Espagne auprès de l'évêque de Malaga, frère naturel du roi, qui désirait de lui faire beaucoup de bien : mais la Providence ne le voulait point dans l'état ecclésiastique.

Après quelques écarts d'une débauche outrée, ses passions un peu rallenties firent place à la raison, et honteux d'un genre de vie aussi indigne, il s'embarqua au commencement de l'an 1689, en qualité de volontaire, sur une frégate de dix-huit canons, nommée la Trinité, que sa mère équipait pour la course. On eût dit que la nature voulait l'éprouver : pendant cette campagne, où il s'empara d'un navire anglais chargé de sucre et d'indigo, il fut continuellement incommodé du mal de mer ; une tempête lui montra de près le naufrage ; bientôt il fut témoin d'un abordage sanglant, où la cervelle d'un de ses malheureux compatriotes, écrasé entre le vaisseau flessinguois qu'il combattait et le sien, vint rejaillir sur lui. Enfin, presque dans le même temps, le feu prit avec violence à la poupe du navire ennemi, qui fut enlevé l'épée à la main, après avoir soutenu trois assauts consécutifs. Mais ces spectacles d'horreur, loin de le détourner de la guerre, ne firent que redoubler son courage.

Il, se rembarqua, en 1690, encore en qualité de volontaire, sur une autre frégate de vingt-huit canons, nommée le Grénédan ; et il s'y distingua tellement dans la rencontre qu'il eut de quinze vaisseaux anglais, dont il aida puissamment à capturer les trois plus forts, que cet avantage lui valut l'année suivante le commandement d'une flûte de quatorze canons, qui fut jetée par la tempête dans la rivière de Limerick, en Irlande. Il y descendit, s'empara d'un château, appartenant an comte de Clare ; et brûla deux navires qui étaient échoués sur les vases, malgré les efforts d'un détachement de la garnison de Limerick, qui voulut s'y opposer.

Ayant remis en mer sur la frégate le Coëtquen, de dix-huit canons, et accompagné d'un autre corsaire de même force, il attaqua, en 1692, sur la côte d'Angleterre, une flotte de trente voiles, escortée par deux frégates de seize canons chacune. Il les combattit seul ; se rendit maître de l'une et de l'autre en une heure de temps, tandis que son camarade prenait douze vaisseaux marchands : et après avoir fait encore deux autres captures anglaises considérables, il vint désarmer à Saint-Malo. Ce fut par ces coups d'essai, et quelques autres encore, que M. du Gué préludait aux exploits incomparablement plus grands qu'on va lire.

Pourvu, vers la fin de l'an 1693, du commandement de la frégate royale l'Hercule, de vingt-huit canons, il prit dix vaisseaux anglais et hollandais, dont deux surtout considérables par leur force et par leurs richesses.

Passé delà, en 1694, sur la frégate la Diligente, de quarante canons, il s'empara de trois vaisseaux anglais et hollandais, et d'un autre riche navire de Flessingue, de vingt à trente pièces. Rencontré et enveloppé par une escadre de six vaisseaux de guerre anglais, de cinquante à soixante-dix canons, il se défendit pendant près de quatre heures contre eux tous à la fois ; mais à la fin, abandonné par ses gens, et frappé d'un boulet amorti qui le mit pendant près d'un quart d'heure sans connaissance, il fallut céder au nombre, et se rendre prisonnier.

Le capitaine anglais, touché de sa bravoure, le fit traiter avec autant de soin que s'il eût été son fils ; et le conduisit à Plimouth, où il eut d'abord la ville pour prison : mais bientôt après il fut arrêté par les ordres de l'amirauté, pour avoir tiré sur un vaisseau anglais trois coups de canon, avant d'avoir arboré pavillon blanc, délit contre les lois de la guerre. Sa prison ne fut pas longue : une jeune Anglaise, à qui il avait su plaire, l'aida à briser ses fers, et à rendre, sous un déguisement suédois, un héros à la France.

Peu de jours après son retour, il monte sur le vaisseau le François, de quarante-huit canons, et s'empare de six vaisseaux marchands. Il apprend par le dernier l'arrivée d'une flotte de soixante voiles, escortée par deux navires de guerre anglais, l'un de cinquante pièces, l'autre de trente-huit. Il court au-devant de cette flotte ; la rencontre ; attaque sans hésiter les deux vaisseaux convoyeurs, et s'en rend maître. L'un d'eux était commandé par un des plus braves capitaines de toute l'Angleterre ; le même qui, avec ce vaisseau, avait pris à l'abordage, en 1686, le fameux Jean Bart et le chevalier de Forbin.

Du Gué-Trouin n'avait encore alors que vingt et un ans, et déjà il commençait à fixer l'attention de la cour, et même celle de l'Europe. Après la dernière action que nous venons de rapporter, Louis XIV, toujours attentif à récompenser la vertu militaire, honora notre jeune héros d'une épée.

En 1695, à la tête de deux vaisseaux seulement, notre intrépide marin en prit à la fois aux Anglais trois de force très-majeure, et d'une richesse immense, qui donnèrent plus de vingt et un pour un de profit.

Présenté à son souverain, dont il reçoit l'accueil le plus gracieux, il se rembarque en 1696 sur le Sans-Pareil, vaisseau anglais de quarante-deux canons, qu'il avait pris ; et va croiser sur les côtes d'Espagne. Il s'y rend maître, par stratagême, de deux vaisseaux hollandais : mais à la pointe du jour il ne se trouve qu'à trois lieues de l'armée navale. Dans cette circonstance critique, il prend son parti sans balancer ; ordonne à ses deux prises d'arborer pavillon hollandais, et de le venir joindre par derrière, après l'avoir salué de sept coups de canon ; ensuite il fait voile vers l'armée des ennemis, avec autant d'assurance et de tranquillité que s'il eût été un des leurs. Les Anglais, trompés par sa manoeuvre, et par la fabrique de son vaisseau, crurent que c'était quelque navire ami qui venait rejoindre la flotte ; cependant ils ne tardèrent pas à revenir de leur erreur, quand ils virent ce prétendu ami faire feu de toutes pièces sur une frégate qui l'avait approché de trop près, et qui eut bien de la peine à lui échapper. Un autre hollandais et un flessinguois n'eurent pas quelque temps après autant de bonheur, et furent forcés de faire route avec lui vers la France.

Du Gué-Trouin avait un jeune frère, à qui il avait donné une frégate de seize canons à commander. Comme ils croisaient ensemble sur les côtes d'Espagne, ils firent une descente auprès de Vigo ; et forcèrent, l'épée à la main, des retranchemens d'où l'on avait tiré sur eux. De là ils marchèrent à un gros bourg défendu par des milices espagnoles. Le jeune Trouin, ardent, impétueux, brûlant de se signaler, vole à l'attaque, et force le premier les retranchemens du bourg : mais en les forçant, il est atteint d'une balle qui lui traverse l'estomac. Cet accident redouble la furie de M. du Gué : il fond sur les ennemis ; en fait un grand carnage ; et vient ensuite relever le corps du mourant, à qui, après son décès, il fit rendre, dans une petite ville de Portugal, nommée Viana, les derniers devoirs, avec toute la pompe due à sa valeur.

Le 25 mars 1697, ou selon d'autres relations le 25 avril, à la tête de trois corsaires de cinquante, trente-six, et seize pièces de canon, il rencontre sur les côtes de la Biscaye le baron de Wassenaër, depuis vice-amiral de Hollande ; qui escortait une flotte marchande venant de Bilbao, avec trois vaisseaux de guerre, dont un de cinquante-quatre canons, l'autre de cinquante-deux, et le troisième de trente-deux. Il le combat ; enlève douze navires de la flotte et deux des convoyeurs ; et finit, après deux abordages, par se rendre maître du vaisseau commandant. Il faut tout dire néanmoins, M. de Belle-Isle Pépin, et Dessaudrais-Dufresne qui périt en cette occasion, l'avaient joint quelque temps auparavant, l'un avec une frégate de trente canons, et l'autre avec une frégate de trente-huit. En arrivant au Port-Louis, le premier soin du vainqueur fut de s'informer de l'état du baron de Wassenaër, qui avait reçu dans l'action quatre coups de mousquet ; de lui procurer tous les secours qu'il était en état de lui donner ; et dès qu'il fut guéri de ses blessures, il le présenta lui-même à Louis XIV.

Ce monarque se plaisait à entendre de sa bouche le récit de ses exploits. Un jour qu'il racontait au prince un combat dans lequel il commandait le vaisseau nommé la Gloire : « J'ordonnai, dit-il, à la Gloire de me suivre ». Elle vous fut fidèle, reprit finement le roi.

En cette même année 1697, du Gué-Trouin, digne émule des Jean Bart, des Tourville, et du chevalier Paul, passa de la marine marchande à la marine royale. Ce fut à l'occasion du fameux combat dont nous venons de parler. Il eut d'abord le titre de capitaine de frégate légère, avec le commandement de quatre vaisseaux : mais la paix qui fut alors rendue à l'Europe, enchaîna pendant quatre ans son courage.

La guerre pour la succession d'Espagne s'étant allumée, notre intrépide marin arma à Brest, en 1702, les frégates du roi la Bellone, de trente-huit canons, et la Railleuse, de vingt-quatre. Il partit, accompagné d'un autre navire de Saint-Malo, de quarante pièces, monté par M. Porée, qui avait déjà acquis la réputation d'un homme très-brave. Ils prirent ensemble, vers les Orcades, trois vaisseaux hollandais venant du Spitzberg ; et lui en particulier, s'empara à l'abordage, en une demi-heure de temps, d'un autre vaisseau hollandais de trente-huit canons, sans compter quelques autres prises.

En 1703, ces victoires brusques et consécutives lui obtinrent de sa majesté le commandement des vaisseaux l'Eclatant, de soixante-six canons, le Furieux, de soixante-deux, et le Bien-Venu, de trente. Il fit joindre à ces trois vaisseaux deux frégates de Saint-Malo, de trente pièces chacune ; et partit pour détruire la pêche des Hollandais dans le nord. Après un combat très-opiniâtre soutenu seul contre-partie d'une flotte ennemie de quinze vaisseaux de guerre, il prit ou brûla plus de quarante navires baleiniers ; et ramassa, en s'en revenant, une prise anglaise chargée de sucre.

Dans cette expédition, dit M. Thomas, notre héros fut exposé à un très-grand danger : car il survint tout à coup un grand calme, pendant lequel ses vaisseaux furent poussés, par l’impétuosité des courans, à quatre-vingt-un degrés de latitude nord, et contre un banc de glace qui s'étendait à perte de vue. Peu s'en fallut que ses navires ne fussent brisés, et que le tombeau de du Gué-Trouin ne fut caché dans les déserts qui bornent le monde.

L'année 1704 fut marquée par la capture d'un vaisseau anglais de cinquante-quatre canons, nommé le Conventry, qui fut amariné en moins de trois quarts d'heure ; de douze navires marchands qu'il convoyait, et de plusieurs autres. En cette même année, il prit encore le vaisseau anglais l'Elisabeth, de soixante-douze canons, quoique le Jason qui le portait n'en eut que cinquante-quatre ; et le corsaire flessinguois l'Amazone, de quarante pièces.

En 1705, échappé comme par miracle du milieu de quinze vaisseaux ennemis dont il avait été canonné toute une nuit, il ne tarda pas à faire sa proie d'un corsaire de Flessingue, de quarante canons ; de deux navires hollandais chargés de cacao et de quelque argent ; d'un troisième flessinguois, de vingt ; de trois autres navires anglais encombrés de marchandises ; et de deux frégates de la même nation, de vingt-six et trente canons chaque. Mais dans cette même année il eut la douleur de perdre un second frère, qui, après avoir fait deux prises, et dans le moment qu'il faisait taire le feu d'un corsaire de vingt-six pièces, fut mortellement blessé d'un coup de fusil.

Nommé capitaine de vaisseau au commencement de 1706, il s'empara d'un navire flessinguois (le Marlbourough), de trente-six canons ; fit pendant deux jours, à la tête de trois vaisseaux seulement d'une moyenne force, des prodiges de valeur contre la flotte portugaise du Brésil, composée de deux cents voiles, et escortée par six vaisseaux de cinquante à quatre-vingts pièces ; et finit par prendre douze navires d'une autre flotte anglaise, avec la frégate de trente-six canons qui les convoyait ; ce qui lui valut la croix de Saint-Louis.

En 1707, après s'être emparé de six navires anglais assez riches, il eut ordre de la cour de joindre les six vaisseaux qu'il commandait à l'escadre du chevalier de Forbin, fait comme notre héros pour régner sur les mers, mais qui ne sut pas s'élever au-dessus de ce supplice qu'on nomme envie [Note : « Ce n'est en effet qu'à une jalousie secrète, dit M. de Sacy (Honneur français, tome 10, page 390), qu'on peut attribuer l'inaction dans laquelle Forbin resta d'abord, pour contraindre son collègue à y rester lui-même. Du Guay, forcé à l'obéissance par l'infériorité de son rang, et par les ordres de la cour, imita quelque temps son chef : mais voyant que la nuit approchait, et que le convoi était dissipé, il prit le parti de combattre »]. Ils sortirent ensemble du port de Brest le 9 octobre, formant en tout douze à treize voiles, y compris le Maure, de cinquante canons, commandé par M. Miniac de La Moinerie, de Saint-Malo.

Après avoir croisé trois jours à l'entrée de la Manche, ils découvrirent enfin, le 21, à la hauteur du cap Lézard, la flotte anglaise, composée de près de deux cents navires, remplie de troupes et de munitions de guerre qu'on portait à Lisbonne, et escortée de cinq gros vaisseaux ; le Cumberland, de quatre-vingt-deux canons ; le Devonshire, de quatre-vingt-douze ; le Royal-Oak, de soixante-seize ; le Chester et le Ruby, de cinquante-six chacun, tous aux ordres du chef-d'escadre Richard Edwars.

Personne n'ignore les circonstances de ce fameux combat, qui rassura la couronne d'Espagne sur la tête de Philippe V. Du Gué-Trouin attendait à chaque instant que le comte de Forbin donnât le signal : voyant enfin qu'il était près de midi, et que l'on perdait des momens précieux, il commanda à son escadre d'attaquer. D'abord il se rend maitre du Cumberland, qui était le vaisseau commandant. Le Chester et le Ruby furent pris de même par deux capitaines de son escadre. Le Royal-Oak était sur le point d'être enlevé à l'abordage, lorsque le feu prit dans le vaisseau qui allait s'en rendre maître ; il profita de cet accident, et se sauva par la fuite. Restait le Devonshire, défendu par plus de mille hommes : du Gué-Trouin, qui aurait pu courir sur le Royal-Oak, et s'en emparer aisément, préféra le bien de l'Etat à l'intérêt de sa propre gloire ; et s'avança sur le Devonshire. Le feu qui y prit, de se tenir à une certaine distance, et de ne se battre qu'à la portée de pistolet. Bientôt l'incendie se communiqua partout avec violence ; et ce grand vaisseau, semblable à un volcan allumé, fut consumé en moins d'un quart d'heure. Les deux escadres prirent soixante bâtimens de transport. Plusieurs armateurs profitèrent de la déroute du reste de la flotte ; et firent aussi des prises considérables. On prétend qu'à l'entrée des vaisseaux capturés dans le port de Brest, on entendit quelques voix s'écrier : Place aux maîtres de la mer ! Trait ironique dont les affaires de la Hogue et de Gibraltar étaient de nature à réprimer la sotte vanité ; mais du reste propre aussi à rabattre un peu de l'excessive fierté anglaise, à une époque surtout où l'on peut assurer que les forces des deux puissances rivalisaient de gloire.

En cette même année 1707, notre brave compatriote fit encore plusieurs autres captures ; surtout celles de deux vaisseaux portugais assez riches, venant du détroit, et de quatre vaisseaux anglais chargés de tabac ; ce qui lui valut de la part du monarque une pension de mille livres : mais ce digne Malouin eut la générosité de faire reporter ce bienfait sur M. de Saint-Auban, son capitaine en second, qui avait eu une cuisse emportée dans l'affaire du Cumberland. « Je serai trop récompensé, écrivit-il au ministre, si j'obtiens l'avancement de mes officiers ».

En 1708 et 1709, il court à l'attaque de la flotte du Brésil ; et n'en rencontre que deux traîneurs, qu'il ramasse. Il tombe de là sur la flotte anglaise de Kingsale, dont il amarine une certaine partie. Il coule ensuite le vaisseau anglais le Bristol, de soixante canons ; prend une frégate de la même nation, avec une partie de la flotte de Virginie et quantité d'autres navires petits et gros. On eut dit qu'il n'avait qu'à se montrer pour vaincre.

Le roi récompensa tant d'exploits par des lettres de noblesse pour lui et M. Trouin de la Barbinais, son frère. Ces lettres leur furent expédiées au mois de juin de ladite année 1709. Le monarque y disait « que depuis 1689 jusqu'à cette époque, M. du Gué avait pris plus de trois cents navires marchands, et plus de vingt vaisseaux de guerre » [Note : C'en était bien assez ; ce nous semble, pour mériter aussi à notre marin le surnom de Tapissier de Notre-Dame, que Vadé, dans son style poissard, avait donné au maréchal de Saxe, par allusion aux nombreux drapeaux ennemis dont ce grand guerrier avait fait hommage à la basilique de Paris]. L'on y voyait en sus que l'aïeul et le père de notre héros avaient été pendant longues années consuls de la nation française à Malaga, ou Malgues comme on disait alors. Ses armoiries furent un écu d'argent, à une ancre de sable, et un chef d'azur chargé de deux fleurs de lis d'or : cet écu timbré d'un casque de profil, orné de ses lambrequins d'or, d'azur, d'argent et de sable ; et au-dessus, en cimier, pour devise, ces mots : Dedit hœc insigna virtus (ces armes sont le prix du courage).

Armes de René Du Gué-Trouin ou Du Guay-Trouin, navigateur.

En 1710, il attaqua, sur les côtes d'Irlande, le Glocester, vaisseau anglais de soixante-six canons ; et s'en rendit maître en moins d'une heure. Il s'empara ensuite d'une prise chargée de tabac. Mais de toutes ses expéditions, celle qui lui a fait le plus d'honneur, ce fut la conquête de Rio-Janéiro. En onze jours il subjugua cette colonie, la plus riche du Brésil ; et la perte des Portugais y fut de plus de 25.000.000.

Au retour de cette entreprise, qui fit beaucoup de bruit dans toute l'Europe, tout le monde s'empressait de le voir. Il reçut du souverain et des ministres les lettres les plus flatteuses ; et une pension de 2.000 francs fut la moindre récompense de sa valeur.

La paix qui ne tarda pas à se faire, n'enchaîna point l'activité du zèle de M. du Gué pour sa patrie. Tandis qu'il séjourna dans les ports, il donna tous ses soins au perfectionnement de la construction des vaisseaux, et au rétablissement de la discipline dans nos troupes. Il la regardait avec raison comme l'âme de la guerre, et comme le gage assuré des victoires.

Il fut nommé chef-d'escadre au commencement d'août 1715 ; et prouva que, même sous l'ancien régime, le mérite n'avait pas toujours besoin d'aïeux.

Après la mort de Louis XIV, le duc d'Orléans et le cardinal Dubois, qui s'intéressaient vivement à la compagnie des Indes, crurent ne pouvoir mieux en assurer le succès, qu'en se réglant par les avis de M. du Gué-Trouin. Ils lui accordèrent en conséquence, en 1723, une place, honorable dans le conseil de cette compagnie. Le guerrier donna de très-bonnes instructions au prince, tant sur l'administration générale, que sur les détails, qu'il ne faut jamais négliger.

Louis XV, instruit des services de notre Malouin, le fit, le 1er  mars 1728, commandeur de l'ordre de Saint-Louis ; et lieutenant-général de ses armées navales, le 17 du même mois.

Il lui confia, en 1731, le commandement d'une escadre destinée à soutenir l'éclat de la nation française dans le Levant, et dans toute la Méditerranée. Elle partit le 3 juin avec le marquis d'Antin, maître de du Gué par son rang ; et son élève par son inexpérience ; força le dey d'Alger de rendre plusieurs esclaves italiens qu'il avait pris sur nos côtes ; fit rentrer les corsaires de Tunis dans le devoir ; raffermit la bonne intelligence entre notre gouvernement et le dey de Tripoli ; régla à notre avantage les intérêts du commerce à Alexandrie, Saint-Jean-d'Acre, Seyde, Alexandrette, Tripoli de Syrie, Smyrne, et autres lieux ; et rentra enfin dans le port de Toulon le 1er novembre.

En 1733, la guerre s'alluma entre la France et l'Empire. Comme l'Angleterre faisait des armemens considérables, la cour fit aussi armer à Brest, et donna le commandement de cette escadre à du Gué-Trouin, dont la santé était déjà depuis douze ans fort affaiblie ; mais la paix s'étant faite avec l'Empire, les vaisseaux, sans être sortis de la rade, rentrèrent dans le port. Notre héros profita de cette circonstance pour venir se faire traiter à Paris, où les médecins jugèrent que tout leur art ne pouvait plus lui être d'aucun secours.

René Du Gué-Trouin ou Du Guay-Trouin, homme de mer et de guerre

Le 17 septembre 1736, comme il sentait approcher sa fin, il écrivit au cardinal de Fleury, pour recommander sa famille aux bontés du roi : car il est à remarquer qu'il n'avait jamais changé la guerre en un trafic honteux, ni cherché à se tirer d'une honnête médiocrité. Il s'occupa ensuite de mettre ordre aux affaires de son âme ; et d'appeler au soutien de sa faiblesse la religion sainte qu'il avait constamment pratiquée : après quoi il termina paisiblement sa glorieuse carrière le 27 du même mois, à l'âge de soixante-trois ans trois mois dix-sept jours.

La nation entière le regretta ; le roi et son ministre lui donnèrent quelques larmes ; et ses ennemis même convinrent que c'était un grand homme. La communauté de la ville de Saint-Malo en particulier, en reconnaissance de son mérite et de sa valeur, lui fit faire, le 8 octobre de la même année, des deniers publics, un service solennel dans l'église des bénédictins ; service où tous les principaux habitans se firent un devoir d'assister.

Doué d'une physionomie noble, d'une taille avantageuse, et de beaucoup d'adresse pour tous les exercices du corps, M. du Gué-Trouin était naturellement porté à la mélancolie, et aux grands projets, dont la méditation continuelle ne lui permettait pas de laisser paraître dans la société toute l'étendue de son génie. Souvent, après lui avoir parlé longtemps, on s'apercevait qu'il n'avait ni écouté, ni entendu. Son esprit était pourtant vif et juste : il voyait de loin, et voyait bien. Lorsqu'il formait quelque dessein, il semblait ne compter pour rien sa valeur, tant il combinait avec sagesse ; et lorsqu'il exécutait, on aurait dit qu'il avait oublié sa prudence, tant il agissait avec hardiesse et même avec témérité.

Un individu nommé Villepontoux, avait donné une édition très-infidèle de ses Mémoires, in-12, à Amsterdam ; et avait osé la lui dédier. Du Gué la désavoua, et en obtint la suppression. M. de la Garde, son neveu, qui les avait continués depuis 1715, où son oncle les avait finis, les fit, dit-on, rédiger par M. Godart de Beauchamps, connu déjà par d'autres ouvrages, et imprimer à Paris en 1740, en un volume in-4°. Ils furent traduits en anglais par Georges Schœlwocke, secrétaire du bureau de la poste à Londres, et imprimés dans la même ville, en 1742, in-12. Sa vie a été écrite depuis par divers auteurs.

On peut dire de cet homme à jamais célèbre, que son existence toute entière ne fut qu'une puissante exhortation à bien servir le roi et l'Etat. « Il prouva (pour me servir des propres termes de sa préface), qu'une véritable ardeur à s'acquitter de ses devoirs, mène souvent bien plus loin qu'on n'aurait osé le prétendre ; que l'honneur redouble le courage dans les dangers pressans ; qu'il inspire l'adresse et la force de les surmonter ; que le plus sûr moyen de conserver la vie et l'honneur, c'est de ne compter pour rien la vie quand l'honneur parle ; qu'enfin le souverain, plus attentif que bien des gens ne le croyent à démêler la conduite des particuliers, sait les récompenser quand leur zèle est aussi grand, qu'il doit être désintéressé et fidèle ».

On sait que M. Thomas, de l'Académie française, a fait une peinture aussi vraie que flatteuse de ce brave Malouin, dans le discours qu'il a composé à sa louange, et qui remporta le prix de l'Académie, en 1761 ; mais, qu'il nous soit permis de le dire, il est bien étonnant que la ville de Saint-Malo n'ait pas mis le sceau à cet éloge mérité, en sollicitant plus vivement qu'elle n'a fait jusqu'ici l'érection de quelque monument public à la mémoire de l'homme immortel qui lui a acquis tant de lustre ! Cet hommage rendu à un guerrier aussi vertueux qu'il fut patriote, honorerait également la ville et le héros. « Ce serait d'ailleurs, comme le dit fort sensément M. Ogée (Dictionnaire de Bretagne, tome 4, page 311), un sujet d'émulation pour tous les habitans de Saint-Malo. Quel jeune homme surtout pourrait, sans enthousiasme, sans concevoir un noble désir de l'imiter, contempler l'image de cette âme intrépide ? L'Histoire d'Alexandre et César (Germanicus ne partait point pour la guerre, sans avoir été retremper son courage au tombeau du grand Scipion) ; la statue de Richelieu remplit d'admiration le législateur de la Russie (Pierre‑le-Grand) ; et pourquoi celle d'un héros malouin ne ferait-elle pas également une impression favorable sur ses compatriotes ? ».

Au reste, consolons-nous de cet oubli, par l'espoir de voir se réaliser bientôt dans la capitale même le voeu que nous avons formé mille fois. « Le pont de Louis XVI, dit la Gazette de France du 11 janvier 1819, sera décoré de douze statues en marbre de Carrare. Depuis le mois de janvier 1818, des artistes sont occupés, sur le quai des Invalides, à sculpter les cinq premières, savoir : celles de Duguesclin, de Turenne, de Sully, de Colbert et de l'abbé Suger. On va commencer celle de du Gué-Trouin, qui sera exécutée par Dupaty. Les cinq premières de ces statues doivent être achevées dans deux ans, et la sixième dans trois. Les marbres pour les six autres ne sont pas encore arrivés » : elles représenteront Bayard, Condé, le cardinal de Richelieu, Tourville, Duquesne et Suffren.

N'ajoutons plus qu'un mot à la gloire de M. du Gué ; mais un mot qui le peint d'un seul trait. Un jour qu'il était à Versailles, dans l'antichambre du roi, où il s'entretenait avec plusieurs courtisans, il aperçut tout à coup dans un coin un homme seul, dont l'extérieur annonçait la misère : c'était le célèbre Jacques Cassard, de Nantes, qui avait choqué le ministère, et que le ministère avait laissé à l'écart. Du Gué quitte aussitôt les seigneurs dont, il était entouré, et va causer près de trois quarts d'heure avec cet officier digne d'un meilleur sort. A son retour, les courtisans lui demandent le nom de l'individu avec lequel il était. Comment, s'écria notre Malouin, avec qui j'étais ? Avec le plus grand homme de mer que la France ait aujourd'hui. Réponse sublime dans toutes les circonstances ; mais, principalement à la cour, pays où l'on oublie tout, jusqu'à l'amitié même, pour s'occuper exclusivement de soi ; et où l'on se garde bien surtout de reconnaître le mérite malheureux.

Le 31 décembre 1767, notre assemblée municipale pria un de ses représentans à Paris, de faire tirer une copie exacte du portrait au naturel de M. du Gué, qu'on conservait dans la capitale. Cette peinture fut placée dans notre hôtel-commun le 2 novembre 1769.

Le 7 juin 1774, M. Ozanne fit hommage à notre cité de vingt-quatre exemplaires des estampes retraçant les combats de cet intrépide marin ; et le 19 novembre 1781, son portrait encore, gravé sur l'original, fut dédié à la même communauté par M. Bradel.

Enfin, M. Turpin en 1776, M. Richard en 1784, M. le comte de la Plâtière en 1788 ; M. Guys et plusieurs autres écrivains, ont à l'envi célébré ses louanges, et mentionné honorablement son nom dans la Galerie universelle des grands hommes, depuis Léon X, et autres ouvrages.

Qu'il nous soit permis à nous-mêmes d'ajouter la moindre des fleurs aux lis sans nombre qui ont été versés sur sa tombe à pleines mains, en insérant ici l'épitaphe que nous ont inspirée tout ensemble le souvenir de ses bonnes-œuvres en nos murs, et la lecture de ses glorieux exploits. La voici :

De l'immortel Trouin ci-git l'humble poussière, - Jusqu'au jour où viendra le monarque des rois, - Sur les débris des temps, à la nature entière, - Imposer d'éternelles lois. - Non moins rempli de foi qu'il l'était de courage ; - Ce grand homme n'eut point l'orgueil du faux savoir : - Il crut toujours que Dieu peut faire davantage - Que notre faible esprit ne saurait concevoir. - Répandez des pleurs sur sa cendre, - Jeunes concitoyens ! mais n'oubliez jamais - Que lorsque chez les morts il vous faudra descendre, - Vos vertus vous loueront bien plus que vos hauts faits. (Uti œvum duxerat - per annos 63, menses 3, et dies 17, - sic obiit - die 27 septembris anni 1736, - bonorum omnium amor - et desiderium ; - in cœlo cum angelis - ob virtutum decora, - in terra nobiscum - ob prœclare gesta, - œternum victurus). (F. G. P. Manet).

 © Copyright - Tous droits réservés.