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LE DOYENNÉ DE LA ROCHE-DERRIEN

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POMMERIT-JAUDY.

Pommerit-Jaudy était l'une des cures les plus remarquées du pays de Tréguier. Il en existait une dizaine dans ce diocèse, depuis cent louis jusqu'à 4.000 livres. Aussi étaient-elles réputées places de faveur, et communément remplies par des nobles. On les nommait, avant la Révolution, paroisses d'abbés. Ses principales étaient Pommerit-Jaudy, Pomment-le-Vicomte, Quemper-Guézennec, Plouégat-Guéran, Louargat et Plougean.

Celle dont il s'agit ici avait pour recteur, en 1789 M. Jean-Marie Noblet, qui y fut nommé en juin 1783, lors du baptême conféré par Mgr. Le Mintier, dans l'église de Pommerit, à un enfant du seigneur de Chef-du-Bois. Il mourut le 1er janvier 1791, à l'âge de 59 ans. Les chagrins occasionnés par les malheurs de cette époque auraient, dit-on, contribué à abréger ses jours.

A son enterrement assistaient plusieurs prêtres des environs, parmi lesquels nous trouvons : Yves Gallon, recteur de Pleumeur-Gautier ; G. Joannet, recteur de Quemperven ; F. Nayrod, recteur de Prat ; 0l. Paris, recteur de Langoat ; Y. Savidan, prêtre principal ; P. Larchantec, recteur de Hengoat ; Y. Prigent, recteur de Mantallot ; Bourgneuf, prêtre, professeur de rhétorique ; Y. Laviec, recteur de La Roche-Derrien ; et Homo, curé de Pommerit-Jaudy. Ce dernier était, depuis 1784, vicaire de la paroisse, dont il devint curé d'office à la mort de M. Le Noblet. Il émigra à la fin de 1792 ou au commencement de 1793, en compagnie de son confrère et collègue M. Geffroy. — Nous trouverons plus tard M. Homo, qui prêta serment à la Constitution le 26 thermidor, an IX.

M. Noblet eut pour successeur, en avril 1792, Sébastien Le Saint, précédemment vicaire de Troguéry. Celui-ci ne signa jamais recteur, mais toujours curé de Pommerit-Jaudy. Il prêta serment en ces termes, le 14 octobre de la même année, devant le conseil municipal, réuni sous la présidence de Yves Loyer, maire : « Je jure d'être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à la défendre ». En 1793, il fut choisi par la municipalité officier ou maire. Il signa ainsi une seule fois, puis il disparaît. Il fut sans doute mis en arrestation, comme les autres prêtres sermentaires, qui ne voulurent pas déposer au district leurs lettres de prêtrise, afin de se marier, ou d'entrer dans un régiment, car nous trouvons dans les archives de Pommerit-Jaudy une délibération du conseil municipal, datée du 8 floréal, an II de la République, à l'effet de nommer un commissaire pour séquestrer les biens des prêtres qui ont continué les exercices de leur ministère. Le citoyen Antoine Trébéden est désigné pour descendre dans la demeure de Sébastien Le Saint, et dresser procès-verbal des meubles et effets y trouvés. — Ce prêtre revint à Pommerit après l'exécution du trop fameux Robespierre, et y resta jusqu'en 1804. Il fut alors nommé recteur de Camlez et plus tard de Ploumagoar, où il est mort en 1827. Les événements nous feront connaître l'époque de sa rétractation. — S'il fut un moment faible, il sut aimer ses paroissiens et leur pardonner. Lors du soulèvement des campagnes contre les villes, en 1795, il fut sur le point d'être égorgé par des femmes qu'il ne voulut pas dénoncer. Il agit avec la même charité à l'égard des habitants qui coururent en masse sur Pontrieux.

Quelques-uns furent guillotinés, entre autres, Yves Brizot, Yves Brouster, et Charles Duret. Mais si M. Le Saint avait fait les aveux que le district sollicitait de lui, le nombre des victimes eût été plus grand. — Par testament il laissa une forte rente à distribuer tous les ans entre les pauvres de Pommerit-Jaudy. Mais le gouvernement ayant réduit son legs, il ne reste plus que trente francs par an sur Parc-ar-Bley.

C'est à son départ de Pommerit, en 1793, que nous voyons arriver un prêtre constitutionnel, selon que nous l'apprend un compte-rendu du conseil municipal, conçu en ces termes :

« Le 21 avril 1793, l'an II de la République française, le Conseil général, réuni au lieu ordinaire de ses séances, le citoyen Yves Corlouer, maire, a été présentée à l'assemblée une missive du citoyen Jean-Marie Jacob, évêque du diocèse des Côtes-du-Nord, par laquelle il donne pouvoir au citoyen Le Callennec, prêtre constitutionnel, de baptiser, d'administrer les Sacrements et de vicarier en la paroisse de Pommerit-Jaudy. Les membres du Conseil, instruits d'autre part, déclarent que ledit Callennec a toujours donné des preuves non équivoques d'un vrai patriote, qu'il joint à cette excellente qualité la régularité des mœurs ; enfin, qu'il a pour lui l'estime des honnêtes gens, quoi qu'il ne soit pas noble. L'ont confirmé et installé en ses fonctions et le reconnaissent pour leur vicaire dans toute l'étendue de leur territoire. Ainsi signé dans la missive : t J. M. JACOB, episcopus dioecesis, orarum septentrionalium. Contresigné : J. ERNAUT, vicarius episcopalis. Fait et arrêté en la chambre ordinaire de nos assemblées, le même jour et an ci-dessus. Maurice ROBIN, Yves GOURIOU, Officiers municipaux. CORLOUER, Maire ».

Le 10 juin de la même année, ce prêtre mourut en son domicile, au bourg de Pleumeur-Gautier, selon que le constate son acte de décès, rédigé par un de ses compatriotes, Vincent L'Hostellier, prêtre assermenté comme lui. Cet acte est dans la forme légale ; mais de l'âme du malheureux, pas un mot.

Il eut pour successeur M. Douarin, prêtre du culte catholique, qui demande à louer la moitié du presbytère le 1er fructidor, an III de la République. L'autre moitié est donnée au greffier public. Nous trouvons consigné dans le cahier des délibérations le serment prêté par ce prêtre, le 4 brumaire, an IV. Il est conçu en ces termes :

« Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République. Signé : Jacques-Louis-Joseph LE DOUARIN, Ministre du culte catholique ».

A côté de ces derniers nous pourrions placer un autre prêtre, natif de Pommerit-Jaudy, qui se soumit également à la Constitution. C'est Yves Gallon, curé dans sa paroisse en 1779, et qui devint plus tard recteur de Pleumeur-Gautier dont il fut aussi maire. — Le deuxième, Pierre-Jean Loyer, né à Minihy-Tréguier, nommé en 1784 curé de Pluzunet, devint de là recteur de Moustéru. Il se rétracta à la fin de la Révolution, et fit à ce sujet une complainte remarquable, recueillie par M. Durand, et connue encore des habitants de Pluzunet. Au rétablissement du culte, il fut nommé vicaire à La Roche, où il mourut d'une attaque d'apoplexie, en revenant de Hengoat.

Deux autres se montrèrent fidèles. Le premier, Jean Le Goff, ex-curé de Trévérec, partit pour Jersey au commencement de la Révolution. Ses biens furent séquestrés le 5 pluviôse, an II de la République. Ils furent rendus à son frère Pierre, le 17 frimaire, an IV.

Le deuxième, c'est M. Maurice-Joseph-Marie de Kermel, décédé à Langoat en 1793, où il dut se cacher à son retour de l'émigration.

En vertu d'un arrêté du ministre de la justice, tendant à faire droit à la réclamation des biens dudit prêtre, faite par Mme de Kermel, Marie-Jeanne-Claire, femme Bellefond, les mêmes biens sont déclarés revenir à la famille, sauf ceux qui ont été vendus, ou exceptés par l'article 17 du Sénatus-Consulte. Le souvenir de ce prêtre est encore vivant aujourd'hui dans la famille de Kermel, qui habite Pommerit-Jaudy.

Celui que nous désignerons en dernier lieu, parce qu'il n'a exercé son ministère à Pommerit-Jaudy qu'à la fin de la Révolution, et dont la vie est remplie d'épreuves et de tribulations, c'est Messire Pierre-Louis Briant, né en l'année 1750, à Plounévez-Moëdec, diocèse de Tréguier. Doué d'une belle intelligence, il fit de grands progrès dans l'étude du latin, commencée chez M. Le Flochmoan, recteur de Tréduder, où ses parents l'avaient placé. Devenu prêtre, il fut nommé pour desservir une chapelle de Pluzunet. Mais son caractère jovial ne devant pas cadrer avec la gravité de M. Godest, alors recteur de cette paroisse, et mort plus tard en Angleterre, pendant l'émigration, il devint chapelain de Bot-Faou, en Bourbriac. Quelques mois après il fut transféré à Pomment-le-Vicomte, où il était vicaire peu avant la tourmente révolutionnaire. Là encore sa pétulance naturelle lui nuisit beaucoup et fit qu'il n'y put tenir. Il était chez l'abbé de Rocancourt, au Roudouren, près de Guingamp, quand éclata la Révolution. Le saint abbé qui lui donna l'hospitalité, recueillait les prêtres que, pour une cause ou une autre, l'évêque retirait momentanément du ministère. Il refusa courageusement le serment à la Constitution civile et ce noble exemple fut suivi par son hôte, qui préféra le pain de l'exil aux honneurs que la nation semblait prodiguer aux prêtres sermentaires.

M. Briant partit donc pour Jersey où il demeura peu de temps, car sa nature bouillante ne pouvait se faire au climat du pays. Il demanda et obtint de son évêque la permission de rentrer dans le diocèse de Tréguier, où il se cacha comme il put. Vers la fin de la Terreur il se trouvait à Morlaix. Sa présence fut signalée au district, et un matin, il apprit qu'une perquisition allait se faire chez les bonnes âmes qui lui avaient donné refuge. Un seul moyen d’échapper lui restait et il ne balança pas. Il découpa ses draps de lit et en fit une corde à l'aide de laquelle il se laisse couler du troisième étage dans un jardin situé sur les derrières de la maison. Pendu au bout de cette corde improvisée, il était encore à 15 pieds du sol ; il se laisse tomber et se cache sous un groseillier. Les soldats pénètrent dans l'appartement qu'il venait de quitter, et ses moyens de sauvetage le font découvrir. On fouille le jardin et on le trouve tapi sous cet arbrisseau. Quelques coups de crosse de fusil l'en délogent bien vite. Aux questions de la soldatesque, qui voulait tirer de sa bouche son arrêt de mort et celui de ses généreux hôtes, il répond résolument : « Citoyens, je n'ai pas à vous dire d'où je viens, vous voyez où je suis, faites de moi ce qu'il vous plaira ». De Morlaix il fut conduit au château de Brest, où il attendait de jour en jour à comparaître devant le tribunal révolutionnaire et à voir finir par le martyre une vie si longtemps agitée. Sur les entrefaites, le trop fameux Robespierre paya sous le couperet de la guillotine une partie de ses forfaits, et la vie du héros de la Foi fut sauvée pour le moment. Malade et souffrant de la chute dans le jardin de Morlaix, il fut transféré à l'hôpital où, par les soins des dignes religieuses qui, malgré la Terreur, y soignaient encore les malades, il se trouva assez fort pour profiter d’un moment de répit que la tourmente laissait aux confesseurs, et revint dans son pays du Vieux-Marché. Traqué bientôt comme prêtre insermenté, il fut pris une seconde fois et condamné à la déportation. Conduit de brigades en brigades jusqu'à Rochefort, il est embarqué avec plusieurs autres confesseurs et un grand nombre de condamnés politiques. Une frégate anglaise attaque le navire : de part et d'autre il y a des morts et des blessés, les Français sont cependant vaincus et transportés à Plymouth.

Après un court séjour en Angleterre, l'abbé Briant, deux fois décoré des chaînes du martyre, revint en France, où les tribulations l'attendaient encore. Car sous peu il fut repris, garrotté de nouveau et conduit à la prison de Saint-Brieuc. Il était là, lorsque les chouans forcèrent les portes pour délivrer Madame Le Frother et quelques royalistes, qui devaient être exécutés le matin même, le 25 octobre 1799. Plusieurs prisonniers profitèrent du bris des portes pour recouvrer la liberté ; mais notre abbé ne voulut pas profiter de l'occasion, las qu'il était, nous dit-il, de la vie errante qu'il menait et des dangers qu'il avait courus. Il parut de nouveau devant le tribunal de Saint-Brieuc, qui le condamna à la prison. Il fut transporté à l'île de Ré, où il passa 21 mois et 17 jours. Ennuyé dans cette île, sans passeport, sans carte de sûreté, il s'esquiva un bon matin sur un chasse-marée et débarqua sur les côtes de Bretagne. Il gagne en fugitif son pays natal et vient sans encombre jusqu'à Châtelaudren.

Arrivé dans cette capitale de l'ancien Goëlo, il entre dans une auberge pour prendre une soutée de pain et une chopine de cidre. Pendant qu'il déchirait à belles dents cette nourriture du voyageur malheureux, il est accosté par un révolutionnaire de son pays qui l'apostrophe ainsi : « Te voilà donc, Briant ; on nous avait assuré qu'on avait mis fin à ta vie vagabonde ». — Il répond avec sang-froid : « Qui t'a dit, citoyen, que je m'appelle Briant ; ne suis-je pas ici aux mêmes conditions que toi, c'est-à-dire, pour mon argent, à moins que tu ne sois un pauvre manant qui n'aies pas un sou en poche ». L'autre lui réplique : « Tu as beau faire l'hypocrite et porter l'habit d'un marin, je saurai te faire décliner tes noms et qualités ».

Là-dessus notre fugitif sort et traverse paisiblement la ville. Une fois sur la grand'route, persuadé de la mauvaise intention de son compatriote, il monte à pas précipités la côte de Plouagat. Non loin du bourg il se détourne et voit deux gendarmes à cheval qui le poursuivent. Au même instant il rejoint un marchand qui conduisait vers Guingamp deux chevaux chargés de beurre ; il lui propose d'échanger son habit de marin contre son pourpoint graisseux, et le marchand y voyant son avantage consent au troc. Notre persécuté poursuit son chemin, et à la sortie du bourg de Plouagat, il voit une belle voiture dans laquelle se trouvait une belle dame à lui inconnue. Il se présente à la portière et parle ainsi : « Madame, je suis un prêtre que la maréchaussée poursuit ; veuillez sauver un malheureux ».

Celle-ci, qui n'était autre que Madame de Locmaria, en Ploumagoar, le reçoit dans sa voiture et le conduit dans son château où il passa huit jours.

Les gendarmes rejoignirent le marchand de beurre, et, au nom de la loi, l'arrêtent au bourg de Plouagat même, comme prêtre réfractaire. Celui-ci jure, hurle et prouve devant l'agent municipal dont il était connu, qu'il n'était qu'un père de famille, vivant de son commerce. Tous ces retards sauvèrent une fois encore l'abbé Briant, qui était pour lors hors de danger. Ceci dut se passer en l'année 1799. Du château de Locmaria il revint dans les parages du Vieux-Marché, disant la sainte messe, tantôt dans les fermes, tantôt dans les chapelles particulières. Le calme qui commençait à poindre devait lui faire espérer une vie moins orageuse. Mais il devait, pour la quatrième fois, porter les chaînes honorables des confesseurs. Dans le mois de septembre 1800, pour utiliser ses loisirs, il vint faire le pardon de Saint-Gildas, en Tonquédec. Cette annonce réjouit beaucoup les bonnes âmes de la paroisse, comme elle déplut fort à certaines queues de Robespierre de la localité. Il arrive, déploie sa belle voix et chante la grand'messe avec toute la solennité possible. Ce fait fut signalé au district de Lannion qui députa deux gendarmes pour le saisir, le conduire devant les juges et rendre compte de cette messe illégale. Ils arrivent à la fin de la messe et lui exhibent le mandat d'amener. Il leur répond : « Messieurs, vous voyez quelle affluence de monde se trouve ici, je crains que si vous me touchiez on ne vous fasse un mauvais parti. Laissez-moi donc enterrer la synagogue avec honneur, et, foi de prêtre, pour que votre responsabilité soit à couvert, je vous promets de vous suivre à la fin des offices ». D'autres personnes, et surtout un appelé L'Héréec, gouverneur de la chapelle, se mirent de la partie. Prêtres et gendarmes dînèrent chez le gouverneur ; on chanta vêpres très solennellement et, à la procession de la Sainte Vierge, les gendarmes, pour donner plus d'éclat à la fête, accompagnèrent le célébrant, sabre dégainés. Tout étant terminé, on revint chez L'Héréec, et, après la collation, les gendarmes montèrent comme ils purent à cheval, et le pauvre pardonneur, placé comme un vil criminel entre ces agents de la force publique, se dirigea vers Lannion, où un nouveau crève-cœur l'attendait. Comme il arrivait dans la rue des Capucins, un de ses condisciples, prêtre marié, l'accoste et lui dit avec hauteur : « Si Briant avait eu une tête moins évaporée, il ne serait pas aujourd'hui entre deux gendarmes ». Il sentit ses nerfs se crisper, demanda à ses conducteurs la permission de rouler cet insolent apostat. Mais ceux-ci le calment en lui disant : « Citoyen prêtre, ne souille pas tes mains ».

Déposé à la geôle, il écrit à Mme de Coativy, grand'tante du républicain Pontavice, de 1848, et lui fait part de sa situation. Celle-ci, qui l'affectionnait et qui, sans doute, lui avait plusieurs fois donné refuge pendant les mauvais jours, vint de Tréguier à Lannion et s'interposa entre lui et ses juges, qui rendirent un arrêt de non lieu. Cette dame le fait monter dans sa voiture pour le conduire à Tréguier. Auprès de la chapelle de saint Marc, en Buhulien, notre gracié aperçoit sur la banquette, et se tenant mal sur ses pieds, l'apostat qui l'avait insulté quelques jours auparavant. A cette vue la nature de Briant se réveille. Il demande à Mme de Coativy la permission de donner une leçon à l'apostat. Il dit alors au postillon : « Vois-tu cet homme qui cloche ? approche de lui et si tu sais appliquer un coup de fouet, fais-le de manière que l'individu dégringole dans la douve ; c'est une petite vengeance que je me crois permise ». Tout se passa au grand contentement de notre abbé, et, pendant que le malheureux se relève, le cocher lance ses chevaux qui le mettent bientôt hors de la portée des imprécations du ci-devant prêtre.

Il est à présumer que M. Briant resta à Tréguier après sa sortie de la prison de Lannion, et voici ce qui porte à le croire. M. Homo, curé d'office de Pommerit-Jaudy depuis 1791, vint à son retour se fixer dans son ancienne paroisse. Il disait la messe à la chapelle Saint-Antoine et y donna la Pâque en 1800. Un extrait du registre des déclarations de la sous-préfecture de Lannion nous apprend que le 26 thermidor, an IX de la République, éclairé par le journal officiel du 10 nivôse, an VIII, n° 100, sur le sens de la promesse de fidélité à la Constitution, il fit le serment de lui être fidèle. Etant tombé malade quelque temps après, il se retira à Tréguier et délégua M. Briant, son ami, pour le remplacer à Pommerit-Jaudy. Celui-ci remplit donc son ministère dans cette paroisse dans les derniers mois de 1800 et les huit premiers mois de 1801. Il habitait Kieuff, y faisait le catéchisme deux fois par semaine, disait la messe le dimanche à Saint-Antoine où il donna la Pâque en 1801. Survint le Concordat. M. le Saint, mort en 1827 recteur de Ploumagoar, recteur constitutionnel de Pommerit-Jaudy depuis 1792, fit sa rétractation, et le jour du pardon de Saint-Antoine, 2ème dimanche de septembre, il vint chanter la grand'messe à la chapelle même.

L'abbé Briant, qui avait dit la messe matinale, monta à l'autel et parla ainsi au peuple : « Mes frères, un précipice a longtemps séparé M. le Saint et moi, aujourd'hui nous sommes frères, enfants de la même Mère, la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine. Tout le passé est oublié et, pour preuve de notre réconciliation, je l'embrasse publiquement devant vous tous... ». Ce fait est rapporté par Yves-Marie Le Galès, qui faisait cette année sa première communion.

Quoiqu'il eût combattu le bon combat pendant si longtemps, M. Briant fut plusieurs mois sans place. Ses supérieurs ecclésiastiques le nommèrent plus tard vicaire de Mellionnec, paroisse qui n'était pas de son diocèse. De là il devint recteur de Saint-Laurent en 1805. Il y resta 10 ans. Au mois de juin 1815, il fut nommé à Pluzunet, qu'il desservit seul, malgré son âge et ses infirmités, jusqu'en 1824, époque à laquelle il eut pour vicaire M. Pasco, ancien supérieur du Petit Séminaire de Plouguernével.

Après une vie de sacrifices, continuellement abreuvée d'amertume, le saint confesseur mourut dans un voyage qu'il fit à Loguivy-lès-Lannion, pour bénir une maison neuve construite à Kerfon, par le Juge de Paix de Vieux-Marché. Il se fit transporter chez M. Nayrod, son médecin, et rendit à Dieu sa belle âme dans la ville de Lannion, au mois de novembre 1828 [Note : Notice consignée dans le cahier de paroisse par M. Ménager, ancien recteur de Pommerit-Jaudy et ancien élève de M. Briant].

Si plusieurs prêtres comme MM. Homo, Jeffroy, vicaires de Pommerit-Jaudy, et M. Briant dont nous venons de raconter la vie si orageuse et si pleine de luttes, ont eu le courage d'écouter la voix de l'Eglise, nous remarquons que plusieurs autres ont malheureusement failli et préféré les honneurs du monde au titre si auguste de confesseurs de la Foi. La raison de ces apostasies temporaires, nous n'avons pas à la chercher. Ce que nous devons constater, c'est la vivacité de la lutte, principalement dans le district de Pontrieux où les administrateurs du Directoire ne laissèrent échapper aucune occasion d'opprimer les consciences catholiques, de détruire tout ce qui pouvait les attacher à leur religion comme vont nous l'apprendre les différents faits relatés dans les registres, tant de cette commune que de la plupart des autres.

Le premier, daté du 14 pluviôse, an II de la République une et indivisible, est ainsi conçu :

« Assemblée du conseil général de la commune de Pommerit-Jaudy, tenue au lieu ordinaire de ses séances, à l'exécution d'une lettre à nous envoyée par les administrateurs du district de Pontrieux, en date du 4 du présent mois, à l'effet de nommer des commissaires pour... visiter les armoiries et autres marques de royauté et de noblesse qui pourraient exister, soit sur les chapelles et croix ou châteaux situés en cette commune, et procédant à la nomination des dits commissaires avons nommé savoir : en la section de l'Isleloy, le citoyen Yves Huonic, en celle de Guerniou, Isaac Le Breton, en celle de Kermaïs, Yves Le Fichant, en celle de Lezonum, Yves Conan..., etc. ».

Quelques jours après nous lisons :

« Ce 17 pluviôse, an deuxième de la République une et indivisible, assemblée du conseil général de Pommerit-Jaudy, tenue au lieu ordinaire de ses séances, l'agent national a dit, qu'en vertu du décret de la Convention nationale, en date du 13 septembre dernier, relatif à l'enlèvement des figures de royauté et de féodalité dans les églises et autres monuments publics du culte, d'un autre décret de la nationale, en date du septième jour du deuxième mois de l'an II le la République, aussi relatif à l'enlèvement des figures de royauté dans les églises et monuments publics, il est urgent de procéder à l'enlèvement des dits signes, pourquoi il requiert que la séance soit tenue publiquement et qu'il soit procédé à l'adjudication au rabais. Signé : OMNÈS ».

Après plusieurs propositions, le travail dont il s'agit est adjugé au citoyen Jean Riou pour la somme de 19 livres.. 

C'est maintenant le tour de l'Eglise. Le 28 du même mois, on nomme les citoyens Yves Gouriou et Jean Quément commissaires, pour faire l'inventaire des vases, calices, boîte des saintes huiles et de toutes espèces d'or, vermeil ou argent de l'église et chapelles de la dite commune.

Le 25 floréal an II de la République française, une et indivisible, le corps municipal assemblé et en permanence au lieu ordinaire de ses séances, l'agent national près de la commune a donné communication d'une lettre datée du vingt-deux présent mois et reçue le vingt-trois, et a demandé l'enregistrement de la dite lettre dont voici la teneur : « Pontrieux, le 22 floréal, 2ème année républicaine. L’agent national du district de Pontrieux à l'agent national de la commune de Pommerit-Jaudy. Dans plusieurs communes du district les croix ont disparu il y a quelque temps. S'il existait encore de ces hochets de fanatisme dans la tienne, je t'invite à les détruire à la réception de la présente. Si leur existence était plus longtemps prolongée, tu pourrais te trouver compromis ; tu apprendras avec plaisir que le représentant du peuple Carpentier doit arriver dans moins de deux jours dans ce district, suivant ce qui a été dit hier au Directoire. Salut et fraternité : POUHAER.

Requiers en conséquence que la municipalité fasse généralement disparaître de la commune tous ces hochets de fanatisme, comme statues, croix, etc., et ce, sous sa responsabilité et dans le plus bref délai. OMNÈS, agent national.

Le corps municipal charge les ouvriers maçons et charpentiers de cette odieuse besogne. Signé : Y. CONAN, offic. mun., J.-M. LE COZ, secrét., Jean LE QUÉMENT, Jean LE GEAZ, Yves GOURIOU, offic. munic. ».

Mais cela ne suffit pas. Les églises sont dépouillées et leurs biens, les objets sacrés vendus, les signes de la religion détruits, il faut encore que tout sentiment chrétien disparaisse, que l'on ferme aux chrétiens la maison de leur Dieu. Tel est l'objet de la délibération suivante : « Nous, agent national de la commune de Pommerit-Jaudy, vu une missive du directoire du district de Pontrieux qui défend les feux de joie à la vénération des saints et les rassemblements d'hommes, hors les jours décadaire ; qui seront strictement observés, ordonnons la fermeture de toutes les églises, autres que celle dédiée à l'Etre-Suprême, requérons que la municipalité mette tous ses soins pour que tous les articles énoncés en la dite missive aient leur entière et pleine exécution. Ce jour décadi messidor, 2ème année républicaine. OMNÈS jeune, agent national ».

 

LA ROCHE-DERRIEN.

La Roche-Derrien, chef-lieu de canton, avait pour recteur en 1790 M. Laviec, qui l'administrait depuis 1774. M. Bidamant y était vicaire depuis 1789.

Le 10 février 1791, M. Laviec, accompagné de son vicaire, se rendit au greffe de la municipalité. Ils promirent tous deux de prêter le serment exigé par la loi. Mais deux jours plus tard ils retournèrent au greffe, refusant leur serment et réprouvant la Constitution civile du clergé. Le 13, la municipalité se réunit pour délibérer sur la conduite de ces Messieurs. On leur envoie par un héraut une formule de serment à prêter à la grand'messe de ce jour devant tous les notables et officiers de la ville. Sommé d'obéir à la loi, M. Laviec monta en chaire après la Post-communion et fit la déclaration qui suit : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le roi, sans préjudice toutefois de l'obéissance et de la subordination dues à l'autorité de notre Mère la sainte Eglise catholique apostolique et romaine. En l'église de la Roche-Derrien, en l'endroit du prône, 13 février. — Yves LAVIEC, recteur ».

M. Bidamant, ne voulant pas prêter serment, n'assista pas à la cérémonie. Il alla plus loin, à la fin de la messe il fit déposer sur le bureau de la municipalité la lettre suivante : « Je soussigné, déclare être content d'exercer mes fonctions curiales à la Roche, jusqu'à mon remplacement ».

C'était indiquer l'intention formelle de quitter le pays. Il le quitta en effet quelques jours après pour se rendre à Jersey.

C'est probablement à la même époque que M. Guillaume, prêtre de la Roche, chercha un refuge ailleurs pour venir se cacher plus tard chez Madame Taupin, avec MM. Le Gall et Lageat.

Confus sans doute de sa faiblesse, en présence surtout de l'héroïque détermination de son vicaire, le recteur ne tarda pas à rétracter son erreur, et si l'âge ne l'eût obligé à demeurer à la Roche, il eût probablement accompagné M. Bidamant. Il envoya donc une lettre au maire, écrite sur timbre, pour le prier de regarder comme nulle la prestation de fidélité faite par lui précédemment. Les conseillers municipaux en furent prévenus sur le champ, et l'on fut d'avis qu'il fallait en informer le district de Pontrieux.

Malgré cette rétractation, M. Laviec fut appelé le 4 mai par la municipalité à donner la communion aux enfants, avec la solennité en usage jusqu'alors. Le bon recteur assura qu'il n'avait jamais eu d'autre intention. Il eut pour vicaire, à la fin de juin, M. Tinévez, que nous savons avoir prêté serment, par les plaintes faites par lui au district de Pontrieux, pour réclamer contre les insultes qu'il recevait comme curé constitutionnel. Il vécut donc plusieurs mois avec M. Laviec, qui résida à la Roche jusqu'au 8 février 1792. La municipalité, interrogée sur sa conduite à cette époque, répondit qu'il n'y avait aucun reproche à lui faire jusqu'à ce moment. Mais lui, fatigué de tant de persécutions, quitta sa paroisse et se retira à Plougasnou, où il est mort entre les mains des bleus, qui voulaient l'emmener après quelques jours passés chez lui. C'était un fervent ultramontain et un saint prêtre.

Quinze jours après, le sieur Tinévez meurt à la Roche, laissant la paroisse au sieur Calennec, prêtre constitutionnel, qui signe alors vicaire d'office.

Le 28 avril 1792, M. le maire fait connaître à la municipalité la nomination de M. Claude Le Guen, comme curé constitutionnel de la Roche-Derrien.

Voici l'acte de l'institution canonique : « Département des Côtes-du-Nord. — District de Pontrieux. — Paroisse de la Roche-Derrien. Jean-Marie Jacob, par la miséricorde divine et l'élection du peuple, dans la communion du Saint-Siège apostolique, évêque du département des Côtes-du-Nord, à notre cher frère Claude Le Guen, vicaire de la paroisse de Lannebert, salut et bénédiction en Notre-Seigneur. Vu le procès-verbal de l'assemblée électorale du district de Pontrieux, en date du 15 de ce mois 1792, signé : MM. le NY, curé de Plouézec, président ; ROPARTZ, POUHAER, le PROVOST, scrutateurs ; LAMBERT, secrétaire, par lequel il appert que le sieur Claude Le Guen, vicaire de Lannebert, a été élu et proclamé curé de la Roche-Derrien, vacant par la mort de François le Tinévez, curé constitutionnel. Après avoir, en présence de notre conseil, examiné l'élu sur sa doctrine et ses moeurs, l'avons jugé capable de remplir dignement la place de curé de la dite paroisse ; en conséquence, ayant requis son serment, qu'il fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine, déférant à la demande qu'il nous en fait et sur la connaissance que nous avons des moeurs, des vertus chrétiennes et de la doctrine dudit sieur Claude Le Guen, nous déclarons lui donner et donnons par ces présentes de notre autorité épiscopale l'institution canonique et la confirmation de l'élection faite de sa personne en la paroisse de la Roche-Derrien. Auparavant d'exercer ses fonctions curiales, il fera le serment prescrit par l'article 38 de la loi civile du 24 août 1790. Donné à Saint-Brieuc, sous le seing de l'un de nos vicaires généraux, l'apposition de notre sceau et le contre­seing de notre prosecrétaire, le 23 avril 1792. Signé sur la dite institution canonique : MAUFFRAY, vic. prosecret. Vidi, le 28 avril 1792, à la Roche-Derrien. Guyomar, maire ».

Le premier acte que nous connaissons de cet intrus, c'est la réclamation du traitement qui lui est dû et la demande d'un certificat de civisme ; ce qui lui fut accordé le 25 ventôse. A la même époque, son collègue le sieur Le Callennec déclare devant l'assemblée du conseil municipal que son intention est de quitter le vicariat de la Roche pour se rendre à Pommerit-Jaudy, où il doit fixer sa demeure.

Aucune délibération ne parle après cela des prêtres de la paroisse. Le dernier que nous pouvons citer, c'est Vincent Pacé, vicaire à Plouaret en 1780, curé constitutionnel à Quemperven, puis à la Roche où il est mort prêtre habitué le 17 mai 1818, après avoir rétracté ses erreurs. Alain Jacob, frère de l'évêque intrus des Côtes-du-Nord, n'arriva à la Roche qu'en 1803 ; il y mourut le 21 juin de même année, âgé de 48 ans.

Ici, comme à Pommerit-Jaudy, les faits religieux sont un témoignage de la persécution la plus odieuse et la plus révoltante.

Le 26 juin 1790, l'assemblée municipale, voulant faire un état des biens et revenus possédés par MM. les curés et chapelains et autres bénéficiers de la Roche-Derrien, décréta qu'il sera fait un inventaire général de ces biens, de tous les meubles et effets appartenant à l'église, à l'hôtel-dieu et au prieuré de Saint-Jean. — Le Mindu et Homo furent délégués pour procéder contradictoirement avec M. le recteur et le procureur de la commune.

Le 5 novembre suivant, la municipalité s'adresse au district de Pontrieux pour prouver sa soumission à la nouvelle Constitution et exposer la misère des habitants, dont le chiffre montait alors à 1.094. Elle demande l'église de l'hôpital pour en faire un atelier de secours, afin de procurer de l'ouvrage aux enfants à charge à leurs parents, manquant de travail et devenant par suite vagabonds et sans conduite. Dans la même adresse, elle demande un secours pour M. Pierre Le Gac, prêtre, plus que septuagénaire, né à Kermaria-Sulard, et qui avait rempli les fonctions curiales à Quemper, à Saint-Clet, à Saint-Eutrope,  près de Morlaix, et à la Roche, où il avait toujours été respecté et vénéré. Depuis 17 mois la paralysie le mettait dans l'impossibilité de remuer ni bras, ni jambes. C'est à son sujet que la municipalité fut chargée, l'année suivante, 25 avril, par le directoire de Pontrieux, de remettre aux mains des sieurs recteurs et vicaires, la somme de 32 livres, laissée en dépôt pour fondations que le sieur Le Gac n'avait pu acquitter à cause de ses infirmités. On serait tenté de croire, à cette démarche, que les officiers municipaux étaient les hommes les plus honnêtes et les plus désintéressés, qu'ils n'avaient en vue que le droit et la justice. Leur attitude même dans les cérémonies religieuses n'est-elle pas la plus respectueuse, lorsqu'ils se font accompagner de la garde nationale, le 14 juillet, pour venir assister à la messe, chantée par le recteur, et faire les prières ordinaires pour la nation, la loi et le roi ? Mais leur hypocrisie est dévoilée, quand on voit leur empressement dès le 27 novembre suivant (1791), à retirer aux mains des fabriciens la recette des biens de l'église, des confréries et de l'Hôtel-Dieu. M. Lambert, fabricien, saisi des rentiers, titres et papiers concernant ladite régie, fut obligé de se dessaisir de cette charge dans les huit jours.

C'est donc l'autocratie la plus outrageante qui présidera désormais à tous les actes d'administration. Un arrêté obligera le recteur et le vicaire à chanter, le 4 décembre 1791, un Te Deum à l'issue des vêpres, en l'honneur de la loi constitutionnelle. C'est ainsi que les prêtres qui avaient fait le serment, étaient les esclaves des maires et agents nationaux.

Le 8 février 1792, la municipalité fixe pour pateficher les portes de la chapelle Saint-Jean le vendredi suivant, à 2 heures de l'après-midi. Le dimanche, le maire Guyomar fit fermer cette chapelle. Il emporta les trois clefs que lui avait remises le maire de Pommerit-Jaudy ; puis, par son ordre, le maréchal Le Corre pateficha la porte. Le citoyen maire fit ensuite remarquer que, d'après les lettres reçues du district de Pontrieux, il fallait se transporter à la chapelle de Pitié, faire l'inventaire des ornements et vases sacrés qui s'y trouvaient et fermer la chapelle, ce qui fut fait à l'instant par l'assemblée sur l'ordre du maire.

Après cela le calme semble régner ; quelques mois se passent sans aucune démonstration extraordinaire. Ce n'est que le 22 septembre que la municipalité, reprenant son rôle, ordonne au curé de chanter un Te Deum, à l'issue des vêpres, d'après lettres du district de Pontrieux, concernant une fête civique à célébrer en mémoire des armes françaises. On prépara à cet effet un feu de joie et de grandes illuminations le soir, en déclarant une amende de dix sols à tous abstenants.

Ce sont donc des ordres qu'on apporte aux prêtres intrus et nous avions raison de faire remarquer que ces apostats n'étaient que les esclaves d'un gouvernement persécuteur. Indépendamment d'eux, il réglait le temps des cérémonies, selon son bon plaisir et ses caprices. C'est ce que nous apprend une délibération du conseil municipal, en date du 1er novembre 1792, où il est arrêté que la messe matinale aura lieu à huit heures depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, et à sept heures depuis Pâques jusqu'à la Toussaint. Le recteur en est averti pour en faire la publication au prône de la grand'messe. Trois jours après, le même conseil fait publier de la même façon que tous les biens des Français émigrés devaient être vendus au profit de la nation. L'ordre en est affiché à la porte principale de l'église.

De là nous passons au temple de Dieu. Dès le 7 pluviôse 1793, pour se conformer à l'ordre émané du district de Pontrieux, la municipalité met en adjudication la descente des cloches et de leur transport à Pontrieux. Guillaume Plounévez fut adjudicataire pour la somme de 100 livres. Elle arrête également que la descente des croix sera faite par les habitants de la commune le 26 courant. La veille (25 pluviôse), René Stéphan présente un ordre du district de faire l'inventaire de tous les vases et de toutes les pièces en argent, en or, en vermeil se trouvant à l'église, et d'en envoyer une copie à Pontrieux. Cet ordre fut exécuté si ponctuellement, que le 25 ventôse, la municipalité, considérant que tous les vases sacrés de l'église ont été pris par le citoyen commissaire et transportés à Pontrieux, arrête de prier le citoyen évêque de Saint-Brieuc de procurer à la Roche les vases sacrés nécessaires à l'usage du culte, pareils à ceux qu'il avait fait faire pour l'église de Saint-Brieuc.

Le même jour, l'assemblée délivre un certificat de civisme à Claude Le Guen, curé constitutionnel de la Roche. Ce malheureux resta donc témoin impassible de toutes ces menées infernales. Il vit le 19 prairial, an II de la République, le citoyen Le Corre, en l'absence de Conan, agent national, demander à l'assemblée de solenniser la fête de l'Etre-Suprême, dont l'organisation fut ainsi réglée : A 9 heures, le cortège se rendra au temple avec le conseil, la musique et la garde nationale. Là on prononcera un discours analogue à celui de l'immortalité de l'âme. Pendant qu'on sera dans le temple on tirera le coup de perrier. Le soir, à 9 heures, la ville sera illuminée, les maisons seront décorées de branches de chêne.

Telle est la religion des briseurs de croix, des spoliateurs de l'église. Ils ne reconnaissent plus le vrai Dieu, et, dans leur délire, ils se rendent le 26 messidor 1794 (14 juillet), au temple de l'Etre-Suprême qu'ils blasphèment, qu'ils haïssent, pour jurer d'exterminer tous les tyrans et les ennemis de la République, de défendre et de soutenir le gouvernement démocratique. Le cortège était accompagné de la garde nationale sous les armes. A l'église le citoyen Conan monte à la tribune, lit le décret de la Convention nationale instituant les fêtes des décades et les fêtes nationales du 14 juillet, 21 janvier, 31 mai. Chacun des officiers municipaux, l'agent national, le secrétaire, décorés de leurs écharpes et rubans tricolores, prêtent serment individuellement. Le citoyen Le Corre monte ensuite à la tribune, fait l'appel nominal de tous les parents des défenseurs de la patrie qui reçoivent des pensions, et les oblige à prêter le serment à la face du peuple. Les citoyens et citoyennes présents au temple ont demandé eux-mêmes à prêter le serment. L'agent national monte de nouveau à la tribune, appelle jusqu'à trois fois Anne-Marie-Yvonne Le Gall et Anne Prat, ex-religieuses, qui ne se présentent pas. Le soir, la fête se termina par des danses publiques et des illuminations.

Les archives de la Roche ne possèdent rien sur la dernière période de la Révolution. Mais nous croyons ces faits suffisants pour montrer la marche toujours ascendante du torrent dévastateur qui ne laissa après lui que désolation et ruines.

 

POULDOURAN.

Une délibération du conseil municipal, en date du 22 septembre 1791, cite M. Le Tinévez, François, curé de la Roche-Derrien, comme vicaire de l'église tréviale de Pouldouran, en la paroisse de Hengoat. Nous avons dit qu'il prêta serment et qu'il mourut à la Roche au mois de février 1792. La paroisse de Pouldouran resta-t-elle sans prêtre depuis cette époque ? Nous n'avons aucun document pour nous éclairer à ce sujet. Ce que nous savons, c'est que la lutte fut vive dans cette commune. Nous pouvons le constater par une razzia opérée sur les ornements de l'église et dont la liste est encore conservée à la mairie. Elle est signée des citoyens Le Gorrec, Paranthoën, Thierry, Guiot, Pouhaër, et conçue en ces termes : « La commune de Pouldouran a fait déposer ce jour au district de Pontrieux : trois chapes, une bannière, sept chasubles, neuf manipules, sept voiles, huit tuniques, huit custodes de la pale, neuf étoles, trois écharpes, une garniture et sept vieux morceaux pour le dais, un drap mortuaire, trois devants d'autel, deux oreillers, un bonnet carré, une boîte de fer-blanc, cinq aubes, deux surplis, cinq nappes, cinq amicts, huit corporaux, quatorze essuie-mains, vingt-huit purificatoires, trois cordons. Fait en Directoire à Pontrieux, ce 22 messidor de l'an II de la République française ».

Mais où l'hypocrisie la plus raffinée et la haine de la religion éclatent surtout, c'est dans la pièce suivante adressé à la municipalité de cette commune, comme sans doute à toutes les autres, quoique nous n'en ayons pas trouvé copie ailleurs. Nous en donnons la teneur :

LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ. « Pontrieux le 4 pluviôse, deuxième année de la République française, une et indivisible. Les administrateurs du Directoire du district de Pontrieux à la municipalité de Pouldouran.

La Convention nationale a décrété, le 4 frimaire dernier que désormais il n'y aurait vacances pour les fonctionnaires et les agents publics que trois fois par mois ; c'est-à-dire le dernier jour de chaque décade. Il serait bien désirable que tout le monde se conformât à cette nouvelle division qui n'est obligatoire que pour les fonctionnaires publics. L'agriculture et les travaux de la campagne, qui exigent des soins assidus et qui ont tant souffert de la multiplicité des fêtes, y gagneraient infiniment. Et il n'y a pas de père de famille qui ne dût être content de voir la suppression de ces jours perdus pour le travail et souvent pour les moeurs et la raison.

Mais indépendamment de ces motifs, qui doivent être sentis par tous ceux qui aiment la vérité et leurs intérêts, il en est de plus puissants encore fondés sur le texte de la loi du 14 frimaire.

Elle porte, article 10 de la section première, que, indépendamment de la proclamation dans chaque commune, les lois seront lues aux citoyens dans un lieu public, chaque décadi, soit par le maire, soit par un officier municipal.

Cette disposition que vous devez exécuter sous peine de forfaiture, annonce assez que l'intention du législateur a été que tout le monde se conforme pour les jours de repos à la nouvelle division. S'il en était autrement, il s'introduirait dans chaque mois trois fêtes de plus qu'à l'ordinaire ou si ces trois fêtes par mois n'étaient pas exécutées, vous prêcheriez dans le désert, et l'instruction publique, qui est le but de loi, serait manquée.

C'est à vous, magistrats du peuple, immédiatement chargés de l'application des lois et des mesures de félicité publique, c'est à vous à l'éclairer sur ses redoutables intérêts. Vous lui prouverez facilement qu'il lui est aussi loisible de s'acquitter de ses devoirs religieux le jour de la décade, que le jour de dimanche. Vous lui exposerez surtout que les nouveaux jours de repos s'accordent parfaitement avec ses intérêts et son instruction, puisque, d'un côté, il y aura moins de jours perdus pour le travail, et que, de l'autre, vous ne pouvez l'instruire des lois et de ses obligations prescrites que le jour de décade.

Et vous, curés patriotes, qui avez préféré les principes de la liberté et de la raison aux insinuations du mensonge et de l'ambition théocratique, vous ne serez pas sans doute les derniers à régler sur le nouveau calendrier l'ordre de vos dédicaces et de vos commémorations. Vous aiderez par des instructions lumineuses les efforts des magistrats pour le bien public. Le temple consacré pour la religion ne sera pas profané en devenant celui de l'instruction publique de la vérité et de la raison. Nous comptons sur votre zèle dans l'exécution du plan admirable que nous voulons réaliser dans cet arrondissement. C'est ainsi seulement que vous acquerrez de justes droits à la reconnaissance publique et à l'estime de l'administration. Salut et fraternité. THIERRY, PARANTHOEN, LE GORREC, GUIOT, POUHAER ».

M. Charles Riou, chanoine honoraire de Tonquédec naquit à Pouldouran en 1747. Il était fils de Pierre Riou et de Marie Even. Il refusa le serment, émigra d'abord à Jersey, rentra en France, se réfugia chez son frère à Pleudaniel, au village de Crec'h-ar Stang, près du moulin de Kermarquer, y resta tout le temps que les prêtres durent se cacher. Tout le monde connaissait sa retraite, et le maire en particulier. Ce dernier s'appelait Jouan le Troadec Loin de le dénoncer, il lui donnait l'éveil et le mettait au courant des perquisitions.

Après la Révolution, M. Riou devint curé de la cathédrale de Tréguier et vicaire général de Saint-Brieuc. Il mourut le 2 mai 1830, à l'âge de 83 ans.

 

HENGOAT.

Le recteur de Hengoat en 1789 était M. Claude Le Moing remplacé la même année par M. Pierre Larchantec, qui devint plus tard prêtre constitutionnel. Prêta-t-il serment dès le commencement de la tourmente révolutionnaire Nous n'avons pu nous en assurer. Mais en l'an IX nous trouvons la délibération suivante consignée dans les cahiers le la commune :

« Devant nous, maire et adjoint de la commune de Hengoat, s'est présenté le citoyen Pierre Larchantec, ministre du culte, lequel, éclairé par la gazette officielle " Le Moniteur ", a promis fidélité à la Constitution de l'an VIII. Signé : Pierre LARCHANTEC, prêtre catholique. LE GOFF, maire. — CATHOU, adjoint ».

M. Le Vaillant, vicaire de M. Le Moing, resta dans cette paroisse jusqu'en 1792, époque à laquelle il partit pour Jersey. Il eut pour successeur le sieur Le Chaffotec, prêtre intrus qui signait, en 1793, officier public, curé de Hengoat.

Les documents nous manquent pour faire connaître le genre de mort de ces prêtres constitutionnels. Ce n'est qu'a l'aide des registres que nous avons pu constater leur présence dans cette paroisse, vu que les huit premières années de la Révolution ne sont mentionnées dans aucun cahier de délibérations. La tradition elle-même consultée reste muette à leur sujet et ne les connaît même pas de nom.

M. Larchantec, recteur de Hengoat, avait M. J.-B. Henry pour vicaire. Tous deux s'éloignèrent du pays au commencement de la tourmente révolutionnaire. P. Larchantec y retourna plus tard et prêta le serment de l'an VIII. — La dernière signature de M. Henry est du 9 juin 1791. — L'intrus Le Chaffotec apparaît dès le 17 juin de la même année et signe curé constitutionnel. A la fin de 1792 il signe officier public. A l'exemple de beaucoup d'autres prêtres, il fut élu membre de la commune et officier public « pour rédiger les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès des citoyens... ».

Quand parut l'arrêté du 13 avril 1794, il épousa sa domestique, Marie-Jeanne Jouanjan, de Plounez. Elle n'avait que vingt ans et quelques mois. L'année suivante, une fille naquit de cette union sacrilège. Elle fut enregistrée le 13 avril 1795, 14 germinal, an III, à la mairie, sous le nom de Marie-Joseph Le Chaffotec. — Signé : Y. LE GUÉRIN, Y. LE COZANNET, off. publ.

Marie-Jeanne mourut quelques jours après la naissance de sa fille. Le Chaffotec fut obligé de quitter Hengoat et se retira dans le bois de Boloï, qui lui appartenait. Il y mena une vie débauchée. A la fin de ses jours, il fit de larges aumônes et se réconcilia avec l'Eglise. Il mourut le 21 mars 1810, à l'âge de 53 ans, et reçut les honneurs de la sépulture.

Acte de décès copié sur les registres de Pleudaniel : « J.-M. Le Chaffotec, prêtre, âgé de 53 ans, décédé dans la communion de l'Eglise, le 21 mars 1810, a été le jour suivant, d'après le permis de M. le Maire, inhumé dans le cimetière de la paroisse, en présence de F. Le Chaffotec, son frère, et de Y. Leas, son beau-frère. Signé : F. LE GALL, desservant à Pleudaniel ».

M. Riou, prêtre, natif de Hengoat, se cacha à Pleudaniel pendant la Révolution.

 

TROGUÉRY.

Pour cette paroisse, nous ne trouvons absolument que les registres, à l'aide desquels nous avons pu établir la liste des prêtres qui y ont exercé le ministère à l'époque de la Révolution.

M. Le Borgne, recteur depuis 1783, y mourut le 4 avril 1791 ; il fut enterré au cimetière de Troguéry. A sa mort, M. Le Vaillant devint curé d'office.

M. Le Vaillant, fils de Charles et de Gabrielle Tanguy, né à Pleudaniel le 17 juillet 1749, reçut la prêtrise en 1774, vicaire à Plougrescant en 1775, à Louannec en 1781, à Pommerit-le-Vicomte en 1783, à Hengoat en 1786, à Moustéru en 1789, il fut nominé à Troguéry en 1791. C'est de là qu'il dut passer en Angleterre. Il mourut à Londres. Disons à son honneur qu'il ne prêta jamais le serment.

M. Parquion était matinalier et garda son poste jusqu'au 12 juillet de la même année. Le Bars arrive au mois d'août et quitte en octobre pour se rendre à Jersey. Il eut pour successeur Sébastien Le Saint, plus tard curé constitutionnel de Pommerit-Jaudy. Le 3 juin 1792, il est remplacé par le sieur Le Chaffotec, curé intrus de Hengoat, qui dut desservir les deux paroisses à la fois.

Ici encore, la tradition ne nous fournit aucun document ; c'est donc tout ce que nous pouvons dire de la commune.

 

MANTALLOT.

Mantallot était du district de Lannion et avait pour recteur en 1789 M. François Prigent, qui prêta serment à la Constitution devant le conseil municipal assemblé à cet effet le 13 février 1791. Sa vie, paraît-il, ne fut pas plus en sûreté pour cela, aussi émigra-t-il à Jersey en 1792. Il revint dans son ancienne paroisse après le Concordat, et, le 26 thermidor, an X de la République, il se présenta à la mairie pour faire la déclaration suivante : « Je déclare que je suis de la communion des évêques de France nommés par suite de la Convention passée entre le Gouvernement et Pie VII, que je serai fidèle au gouvernement établi par la Constitution et que je n'entretiendrai aucune liaison avec les ennemis de l'Etat. Signé : PRIGENT, ex-recteur de Mantallot ».

Il fut enterré dans sa paroisse le 4 juillet 1805.

A son départ, en 1792, Mantallot resta sans prêtre jusqu'à la mort de Robespierre, époque à laquelle M. Maurice-Nicolas le Pennec, profitant sans doute d'un moment de répit, vint jusqu'à Mantallot où il chanta la grand'messe le 15 fructidor an III de la République. Cette messe est mentionnée dans une délibération du conseil municipal, datée du même jour. Il est probable qu'il resta dans le pays jusqu'au 22 brumaire. A cette date, l'agent national ordonne à la municipalité de chercher un prêtre réfractaire, évadé de la garde nationale de Ploubezre. Les documents ne donnent pas le nom de ce prêtre. Mais comme M. Le Pennec n'avait point prêté le serment, sa présence fut sans aucun doute signalée à Lannion. Tout porte donc à croire que c'est de lui qu'il s'agit dans cet ordre du Directoire, bien que nous ne puissions le certifier absolument.

Aucune délibération ne fait mention de ce confesseur dans la suite ; ce qui prouve qu'il s'évada ou qu'il trouva une retraite assurée dans le pays. Le 27 du même mois, on procède à la vente des biens des déportés et des condamnés.

 

COATASCORN.

Cette paroisse, du même district que la précédente, était administrée depuis 1776 par M. Jégou, qui devint recteur de Plouëc en 1791. Il avait comme vicaire en 1789 M. Raoul et en 1790 M. Loarer.

M. Raoul quitta Coatascorn pour se rendre chez son oncle, recteur de Plouagat, près de Châtelaudren. Il y resta caché pendant longtemps, peut-être après avoir passé quelque temps en exil à Jersey, en 1793. Il mourut subitement en 1797, en mettant ses bas.

La retraite du second nous reste complètement inconnue ; car, ni le cahier de paroisse, ni le cahier des délibérations de la mairie, ni la tradition elle-même n'en font mention. Nous sommes donc obligés de garder à son sujet le silence le plus absolu.

Au départ de M. Jégou, M. Le Huérou devint vicaire de Coatascorn. Les procès-verbaux du conseil municipal nous le font connaître, en désignant leurs réunions tenues à la maison commune tel et tel jour après la messe chantée par M. Louis Le Huérou, vicaire. Ce titre est changé en celui de fonctionnaire public du culte après le mois de juillet 1792. Il mourut en arrestation à Guingamp, à la fin de cette même année.

Le peuple de Coatascorn, profondément affligé de la guerre faite à la religion et craignant de voir disparaître le seul prêtre qui lui restait, adressa, au mois de juillet, une demande motivée au directoire de Lannion, pour le maintien d'un vicaire au moins, lui faisant connaître l'éloignement de toute église et de toute chapelle où il pourrait recourir facilement aux sacrements. Mais le directoire, au lieu de répondre au désir de la commune, envoie, comme par ironie, une lettre à la municipalité, le 4 novembre 1792, ordonnant de procéder à l'inventaire des vases sacrés de l'église. Le procès-verbal mentionne à cette occasion une croix pesant 11 livres, tant bois que argent, un encensoir avec la navette et la cuiller, pesant 2 livres 3/4. Par ailleurs les vases sacrés seuls étaient en argent.

La tradition nous apprend aussi que M. Jaguin, prêtre constitutionnel, exerça son ministère pendant plusieurs années dans cette paroisse. Il devait y être à la fin de 1793 lorsque naquit Marie Le Roux, que nous aurons occasion de citer en parlant de la commune de Prat. Elle-même nous dit avoir été présentée par son père à cet intrus pour recevoir le sacrement de baptême, pendant que les prêtres de sa paroisse avaient pris la fuite, ou restaient cachés dans le pays.

 

PRAT.

M. François Nayrod, arrivé à Prat en 1785, était recteur de cette paroisse quand éclata la Révolution. C'était un bel homme, nous rapporte la tradition ; il était prédicateur distingué et avait une voix remarquable. Son ministère cesse officiellement à Prat le 25 août 1792, c'est du moins la date de sa dernière signature. Je dis officiellement, car on assure qu'il se cacha pendant plusieurs années dans la paroisse, et nous trouvons un baptême fait par lui secrètement en 1794. La tradition nous apprend d'ailleurs que plusieurs enfants ont reçu ce sacrement dans la grange de Mont-Joa, où était caché un prêtre catholique. Obligé de quitter le pays, il se retira en Espagne, accompagné, disent ses petites nièces, de M. Le Teurnier, recteur de Ploulec'h, de M. Le Foll, recteur de Guerlesquin, de M. Querneau, recteur de Plouézec. Plus tard il revient sur le sol de France et habite Saint-Aignan, paroisse de la Loire-Inférieure, selon que nous l'apprennent ses cartes de sûreté, dont voici la teneur :

« CARTE DE SURETÉ DU CURÉ FRANÇOIS NAYROD. Armée de l'Ouest. Au quartier général de Nantes, le 26 floréal, an VIII de la République française, une et indivisible. Le général de division Sahuguet, commandant de la 12ème division militaire.

Les autorités civile et militaire accorderont protection et sûreté au citoyen François Nayrod, prêtre catholique de Nantes. Il exercera librement son culte. Le général de division. Signé : SAHUGUET ».

Et plus bas il écrit :

« Vu et enregistré à la sous-préfecture de Lannion. Ce jour 17 thermidor, an VIII de la République, le dit Nayrod a déclaré se retirer à Prat, arrondissement de Lannion. Signé : LE GRONTEC ».

Deux jours après, une carte de sûreté lui est délivrée de Rennes, par Bernadotte, conseiller d'Etat, général en chef de toutes les administrations civile et militaire.

De plus nous trouvons dans les registres de Prat le passeport, n° 4644, accordé au même :

« MAIRIE DE NANTES (Loire-Inférieure).

Laissez passer le citoyen François Nayrod, ministre du culte catholique, natif de Plufur (Côtes-du-Nord), domicilié de Saint-Aignan (Loire-Inférieure), âgé de 53 ans, allant à Lannion. Et prêtez lui aide et assistance en cas de besoin. Délivré à la maison commune de Nantes, le 2 thermidor, an VIII de la République française. Signé : P. BRUNE, Adjoint ».

L'année suivante le Gouvernement lui demande de prêter serment à la Constitution, et voici ce que nous trouvons à ce sujet dans le compte-rendu du conseil municipal :

« Le 10 messidor, l'an IX de la République, s'est présenté à la mairie le citoyen François Nayrod, prêtre catholique, demeurant en la commune de Prat, lequel, appelé à la mairie, pour se conformer à la lettre du sous-préfet du 29 floréal dernier, a déclaré devant nous, maire et adjoint, n'avoir moyen opposant de se rendre au voeu du Gouvernement relativement à la promesse de fidélité exigée par l'arrêté du 7 nivôse an VIII. Mais qu'il attend pour s'exprimer la décision du chef de l'Eglise, qui doit prononcer incessamment sur cette matière. Prie les autorités constituées de vouloir bien lui accorder entre temps le libre exercice de son culte, leur donnant pour certain qu'il sera, comme toujours il l'a été, soumis à l'ordre, l'ami de la tranquillité et l'ennemi de tout ce qui pourrait y porter atteinte. Signé : NAYROD, François ».

Le même jour, M. Le Guen, prêtre catholique de la paroisse, fait la même déclaration.

Après quelques mois la décision de l'évêque parvient sans doute au conseil municipal. Et c'est devant lui réuni que M. Nayrod émet, le 21 thermidor, la promesse de fidélité exigée des ministres du culte par l'arrêté du Gouvernement du 7 nivôse an VIII. Il prononce ces simples paroles : « Je promets fidélité à la Constitution ».

Copie fut immédiatement donnée de cette déclaration au sous-préfet de Lannion, Le Grontec.

Il n'est fait aucune mention au contraire de la promesse de M. Le Guen, ce qui porte à croire qu'il ne prêta pas serment.

A son départ de Prat, M. Nayrod devint curé de Plestin et mourut dans cette paroisse, après avoir rétracté ses erreurs.

Il eut quelque temps comme paroissien le sieur Isaac Le Roux, natif de Prat, au sujet duquel nous extrayons le passage suivant tiré des registres de cette commune :

« Le 29 vendémiaire, an IX de la République, s'est présenté Isaac Le Roux, prêtre, lequel, en exécution de la lettre du préfet de ce département, en date du 15 fructidor dernier, énonciative de l'autorisation donnée par le ministre de la police générale, de le mettre en surveillance dans la commune de Berhet, en cet arrondissement, et par laquelle il prescrit de recevoir le renouvellement de la promesse de fidélité à la Constitution, a fait la dite promesse en ces termes : " Je promets fidélité à la Constitution ". Signé : Isaac LE ROUX ».

Par cet acte, le sous-préfet lui donne le droit de résider sous la surveillance du maire de Prat, attendu que ses parents demeurent en la dite commune. Ce prêtre était d'abord précepteur dans une famille noble des environs de Lannion. Il émigra avec elle en Amérique au commencement de la Révolution et revint en France à l'époque dont nous venons de faire mention. C'est sans doute parce qu'il avait suivi les nobles, qu'on le surveille de si près et qu'on lui demande immédiatement de prêter serment. Il devint recteur de Brélidy et plus tard de Pleubian, où il est mort en odeur de sainteté.

Pendant son séjour à Prat, il allait dire la messe tantôt à Quemperven, tantôt à Cavan. Ce détail nous est fourni par sa propre nièce, la fille de son frère, mère de M. Riou, ancien curé de Pontrieux. Nous pouvons donc supposer que c'est de ce M. Le Roux qu'il s'agit dans une délibération du conseil municipal de Cavan, qui déclare dans sa séance du 7 thermidor, an X, que M. Le Roux possède un calice, un ciboire et deux aubes dans l'église de cette paroisse.

M. Nayrod avait eu pour vicaires, pendant la tourmente révolutionnaire, MM. Biez et Teffany ou Stephany. Le premier desservait Trévoazan, où il resta caché quelques mois. Le frère de Marie Le Roux, citée plus haut, était chargé de le tenir au courant des besoins du ministère et le conduisait, de nuit, comme de jour, aux endroits indiqués. Plus tard il partit pour Jersey. — 1792.

Le second a dû également émigrer, mais plus tôt, selon toute probabilité ; car il n'est nullement fait mention de lui pendant la Révolution.

Un autre, le sieur François Le Corre, signe aux registres prêtre de la commune. — Les trois habitaient le presbytère.

M. Le Corre, natif de Plougonver, prêta le serment et se rétracta peu après, avant de prendre le chemin de l'exil. Recteur de Pleubian en 1804, il fut transféré à Rospez en 1808. M. Isaac Le Roux, dont nous avons parlé plus haut, devint son successeur.

Tous ont cessé leur ministère public à peu près à la même époque, c'est-à-dire à la fin de 1792, époque à laquelle plusieurs prêtres des environs furent autorisés par l'évêque Jacob à administrer les sacrements dans la paroisse de Prat. Parmi eux l'on rencontre Yves Louédec, curé de Trézélan ; Vincent Guézou, curé de Brélidy ; Guillaume Berthou, vicaire de Runan ; Jean-Marie Jeannic, curé de Cavan.

Charles Vincent, qui signe en 1791 curé de Prat, passe inaperçu à partir de cette époque.

La tradition nous apprend que la municipalité de cette commune était très adroite et très entendue dans les affaires. Aussi ne mentionne-t-on aucun acte de rigueur contre l'église et les choses saintes.

 

QUEMPERVEN.

Quemperven, commune du district de Lannion, avait pour recteur M. Jouannet qui refusa formellement de prêter le serment à la Constitution civile du clergé. Il se rendit à Jersey en compagnie de 17 autres prêtres, parmi lesquels était Charles Boga, son vicaire. Celui-ci avait suivi le bel exemple de son recteur en refusant toujours le serment.

M. Jouannet revint après le Concordat dans son ancienne paroisse, d'où d'incessantes tracasseries l'obligèrent à partir en 1803. Il est mort quelques années après recteur de Gommenec'h.

M. Vincent Pacé, originaire de la Roche-Derrien, succéda à ces deux confesseurs de la Foi. Il fut successivement vicaire de Plouaret en 1780 ; de Pleumeur-Gautier, de 1787 à 1791 ; recteur de Plounéour-Ménez, de mai 1791 à octobre 1792. Son ministère ne fut donc pas de longue durée à Quemperven. D'après un procès-verbal du conseil municipal, il se présenta le 9 floréal, an II, devant l'assemblée de la commune et y déclara renoncer à ses fonctions curiales.

Aucun document ne fait mention, dans la suite, de ces trois prêtres, avant le retour de M. Jouannet. Nous savons seulement que le sieur Vincent Pacé avait prêté serment et qu'il mourut prêtre habitué de sa paroisse natale le 17 mai 1818, après s'être rétracté.

A Quemperven, comme ailleurs, la persécution ne tarda pas à sévir. Le 21 messidor, an II, Mathurin Maufray, juge de paix du canton de Tréguier, et son secrétaire se présentent à la mairie de Quemperven, lui communiquant un arrêté du Directoire de Lannion, à l'effet de séquestrer les biens des personnes dénoncées comme ennemies de la Révolution, de laquelle classe se trouvent les prêtres constitués en arrestation. Les cahiers de délibération ne donnent pas les noms de ces prêtres ; mais il s'agit sans doute de ceux que nous avons cités plus haut.

Ce fut sur le territoire de cette commune, nous dit la tradition, que fut cachée la croix d'or de Langoat, dans un champ appelé Parc-ar-hoz-Castel. Elle était d'une richesse remarquable, ce qui faisait dire : Na devou quet he far, Nemet an Plouaret, Elec'h ma voar he hoar.

Un nommé Yves Bodiou la trouva en labourant la terre et l'exposa auprès d'un fossé après l'avoir un peu nettoyée. Il en causa à son voisin Briant, qui s'empressa de la venir voir. Celui-ci, plus rusé que le premier, offrit quelques sous à l'heureux inventeur et acheta ainsi presque pour rien le précieux objet, qu'il vendit à un prix très élevé à Lannion. On le vit s'enrichir tout d'un coup, acheter des champs et des maisons et prêter encore de l'argent.

 

LANVÉZÉAC.

Du canton de la Roche-Derrien dépend aussi la commune de Lanvézéac, attachée pour le spirituel à la paroisse de Caouennec. M. Callec y était recteur au commencement de la Révolution. Il émigra à Jersey (en 1792) avec MM. Jouannet et Boga, prêtres de Quemperven.

Il n'est nullement question de prêtre dans cette commune à partir de cette époque. Aussi, lorsque le conseil municipal délibère l'année suivante sur les travaux de restauration de l'église, sur la dorure de l'autel, les décorations à donner à certaines parties du chœur, une robe neuve à la Sainte Vierge, ne fait-on mention ni de recteur, ni de vicaire.

Quelques mois après cette assemblée du conseil, le 21 juillet 1793, le presbytère devient en partie maison communale ; le reste est livré à un cultivateur du bourg.

C'est tout ce que nous avons pu recueillir de documents sur ces deux communes qui ne possèdent qu'une partie des procès-verbaux de l'époque.

 

BERHET.

Cette paroisse, autrefois du canton de Prat, était desservie par M. Pastol en 1790. Les registres de la commune ne donnent d'autre signature que celle de ce prêtre, qui y resta jusqu'en 1793. Nous avons consulté les archives de la mairie, sans pouvoir trouver d'autres renseignements. La tradition rapporte bien qu'il y a eu là, comme dans la plupart de nos paroisses, des prêtres cachés pendant la Révolution, mais leurs noms ne sont plus conservés. On ne dit pas non plus que M. Pastol ait prêté serment, bien que la chose soit probable.

Confort, qui n'est aujourd'hui qu'une chapelle dépendant de Berhet, avait comme recteur, en 1790, M. 0llivier, qui émigra à Jersey en 1792. Ici encore, les documents font complètement défaut. Tous les papiers ont disparu, à l'exception de quelques registres conservés à la mairie de Berhet.

 

CAVAN.

M. Jean-Marie Jannic, recteur de cette paroisse au commencement de la tourmente révolutionnaire, y exerça le ministère jusqu'en 1793. Les cahiers de délibérations gardent le plus profond silence à son sujet. Mais la tradition nous rapporte que ce prêtre, après avoir résisté longtemps aux tracasseries des ennemis de Dieu, prêta enfin le serment chez un nommé Bonniec, aubergiste au bourg de cette commune. Et de plus, les bleus le prièrent de verser la somme de 1.500 livres s'il voulait avoir la vie sauve. Il répondit que la chose lui était impossible. Mais devant de nouvelles menaces, Bonniec lui fournit la somme demandée.

A côté de ce recteur assermenté, dont aucun écrit ne fait mention, pas même le tableau où sont inscrits, depuis un temps immémorial, les noms des prêtres de Cavan, nous trouvons l'une des plus belles figures de l'époque. Celle de M. André Le Gall, vicaire, émigré d'abord à Jersey et rentré plus tard pour recevoir la palme du martyre et devenir l'un des plus grands confesseurs de la foi catholique.

Nous laissons en ce moment la parole à M. Ernest Rivière, qui, dans un article du Journal de Lannion, paru le 1er novembre 1891, décrit d'une manière si saisissante le martyre de ce saint prêtre accompagné de son confrère Lageat et de leur bienfaitrice Madame Taupin.

« Que peut-on trouver de plus inepte et partant de plus digne de l'admiration de ceux qui aiment la Révolution ! Elle est féroce !

Nous ne rappellerons qu'un fait passé à Lannion. Tous les prêtres, sauf quelques rares exceptions, avaient refusé le serment schismatique et avaient pris le chemin de l'exil. De ce nombre étaient MM. Lageat et Le Gall.

M. François Lageat, natif de Langoat, était vicaire à Pleubian, quand le serment fut exigé. Il le refusa et se retira à Jersey.

M. André Le Gall, natif de Pleudaniel, était vicaire à Cavan, et il l'avait été à Penvénan. Il se trouva en exil avec M. Lageat.

Songeant à la détresse dans laquelle se trouvaient les malheureuses populations du pays, privées de tout secours religieux, ils résolurent de venir se fixer au milieu d'elles. Ils débarquèrent à Tréguier, où ils demeurèrent cachés pendant quelque temps chez une femme Taupin, dont le mari, valet de chambre de Mgr. Le Mintier, avait suivi ce prélat en Angleterre.

Les deux prêtres exerçaient clandestinement leurs saintes fonctions. Un révolutionnaire de Brélévenez, M. Guillaume Salaün, résolut de les perdre. Il s'insinua auprès d'un jeune homme qui pratiquait encore la vieille religion des aïeux, et, à force d'artifice, il fit avouer qu'il avait fait célébrer son mariage par un prêtre insermenté dont il lui indiqua la cachette.

Fort de cet aveu, notre traître va trouver les représentants du gouvernement révolutionnaire qui fait opérer une fouille minutieuse chez la femme Taupin. Et, le 30 avril 1794, cette femme était arrêtée ainsi que les vertueux prêtres qu'elle avait cachés chez elle. Un des soldats républicains prit pitié pour la femme Taupin, lui conseilla, pour sauver sa tête, de dire qu'elle ignorait que les hommes qu'on avait trouvés chez elle étaient des prêtres. (Ils étaient habillés en civils). " A Dieu ne plaise, répondit-elle, que je laisse à mes enfants une mère qui leur donnerait l'exemple du mensonge. Je connaissais ces Messieurs pour être de vertueux ecclésiastiques et ma maison leur était ouverte, ainsi qu'à ceux qui leur ressemblaient " ».

Nous avons jugé à propos d'intercaler ici l'interrogatoire de cette femme. On dirait une scène des premiers martyrs, devant le tribunal de quelque proconsul. Même simplicité, même force, même ardeur pour obtenir la palme du triomphe. Qu'on en juge par le fragment suivant :

« — Ton mari n'est-il pas émigré ?

— Oui, il est avec Monseigneur (Le Mintier).

— Quel est ce seigneur dont tu parles ?

— L'évêque de Tréguier.

—  N'as-tu pas recélé chez toi deux prêtres ?

— Oui, Monsieur.

— Les connaissais-tu auparavant, et à quelle intention les recelais-tu ?

— Je n'avais pas l'honneur de les connaître, je les recelais pour le bien.

— As-tu dit que tu étais contente de mourir pour ton roi et ta religion ; où as-tu tenu ces propos et devant qui ?

— J'avoue avoir tenu ces propos et je crois que ce fut à la municipalité, après mon arrestation.

—  Persistes-tu dans les mêmes sentiments ?

— Toujours, Monsieur.

— Tu aimais donc bien ton roi ; désirerais-tu en avoir un autre ?

— Je l'aimais comme je devais le faire, et je désire en avoir un autre.

— Tu abhorres donc le régime républicain ?

— Absolument.

— Est-ce le désir de revoir ton mari qui te fait parler ainsi ?

— Ma religion est la première et la seule cause de mon opinion.

Après avoir subi à Tréguier même un premier interrogatoire, ils furent tous les trois conduits à Lannion pour y être jugés, ou plutôt condamnés. Ils le furent en effet. Et ils devaient être exécutés le jour même, le 3 mai 1794. MM. Lageat et Le Gall furent exécutés à Lannion, la femme Taupin fut réservée pour Tréguier.

Les vertueux prêtres se rendirent à l'échafaud en récitant le " Miserere ". Ils voulurent adresser à la foule quelques paroles, mais le roulement du tambour couvrit leur voix.

Ils se donnèrent l'absolution l'un à l'autre et s'embrassèrent. Quelques instants après, la religion comptait deux martyrs de plus.

Quant à la femme Taupin, on la fit assister à cette odieuse scène ; après quoi, l'ayant liée, garrottée sur un cheval, on la conduisit à Tréguier. La guillotine, encore toute fumante du sang des deux prêtres, la précédait.

A une lieue de Tréguier, au lieu appelé Pont-Losquet (d'autres disent Locrist), le père de l'abbé Lageat, homme vénérable par son âge, tenait auberge. Le sinistre cortège fit halte devant sa maison, et l'on obligea le pauvre vieillard à donner à boire aux bourreaux qui avaient fait périr son fils. La guillotine, encore humide de sang, fut placée sur le seuil de sa maison. Le pauvre homme et l'un de ses fils devinrent fous de douleur.

Peut-on imaginer quelque chose de plus tendre et de plus doux pour ceux qui aiment la Révolution ?

Le soir, la femme Taupin fut enfermée à la prison de Tréguier, et, le lendemain, conduite à l'échafaud.

— Songez à vos enfants, jurez fidélité à la République et vous serez sauvée, lui dit-on.

— Jamais, répondit-elle.

Vous êtes une mère dénaturée, vos enfants vont mourir de faim, et ils seront orphelins, puisque leur père est émigré.

— Mes enfants ont au ciel un père qui ne les abandonnera pas, puisque je meurs pour la religion.

Enfin, elle mourut en criant : vive la religion, vive le roi ! On avait eu la cruauté de faire assister les pauvres enfants au supplice de leur mère. Néron et Dioclétien n'étaient pas plus cruels ».

Aussi ce jour, dit l'abbé Tresvaux, fut un jour de deuil pour tout Tréguier qui chérissait et vénérait cette jeune femme.

A la nouvelle de ce meurtre (nous rapportons ce fait, parce qu'il se passa dans le canton de la Roche-Derrien), Taupin jura de se venger et repassa en France. Un an après, le malheureux qui avait dénoncé la femme chrétienne venait de prendre possession de la terre de Pen-an-hoat (Penhoat) [Note : Le Roux, c'est le nom de celui que poursuivait Taupin, fut délégué par le tribunal de Saint-Brieuc pour juger Ursule Terrier et les deux prêtres qu'elle avait cachés] qu'il avait achetée à vil prix, dans la commune de Pommerit-Jaudy. Au milieu de la nuit il fut éveillé par un homme qui, au bord de son lit, demandait au dénonciateur s'il le reconnaissait. — « Vous êtes Taupin, dit le misérable terrifié. Prenez ma fortune et laissez-moi la vie ». — « Rends-moi ma femme, reprit Taupin, ou recommande ton âme à Dieu, car dans deux minutes tu seras mort ». — « Pitié pour mes enfants, dit le lâche ». — « Tu n'as pas eu pitié ni de ma femme, ni de mes enfants ». En prononçant ces paroles, Taupin lui tira dans la tête un coup de pistolet. Puis il leva une troupe de chouans et continua sa vengeance. Son nom est compté parmi ceux des chefs de bande les plus redoutés. Il mourut à Tréglamus, tué sur le cimetière dans un combat contre les bleus, après avoir délivré un instant auparavant son ami de collège, le sieur Godest, recteur de cette paroisse.

Tels sont les faits que nous avons cru bon de ne pas séparer, parce qu'ils font naturellement suite au martyre de M. Le Gall, vicaire à Cavan.

Nous revenons à cette paroisse où nous voyons le démon, terrassé pour un moment, apparaître de nouveau et attiser la haine des méchants pour mieux accomplir ses desseins. Les croix sont brisées, les vases sacrés sont enlevés, et les ornements de l'église vendus. Ces sacrilèges ne suffisaient pas à la rage infernale des révolutionnaires. Ils craignaient sans doute qu'un jour, les cloches, instruments bénits qui éveillent tant de joie dans le coeur du chrétien lorsqu'elles l'appellent à l'église, ne servissent encore au culte du vrai Dieu. Ils cherchent donc un homme assez audacieux pour oser briser la plus grande partie d'entre elles. Comme toujours le démon eut ses suppôts, on offrit la somme de trois livres, comme prix du forfait, et cette somme fut acceptée. Mais Dieu, qui voit tout, voulut montrer une fois de plus sa puissance et sa justice. Le malheureux mourut subitement le soir même du jour où il commit son crime, sans qu'on eût le temps de lui chercher le moindre secours.

Ce fait nous est rapporté par la tradition dont le souvenir est encore vivant dans l'esprit des gens de Cavan qui regardent cette mort comme le châtiment des profanateurs et des sacrilèges.

(le diocèse de Saint-Brieuc durant la période révolutionnaire).

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