Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LE DOYENNÉ DE LAMBALLE

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Lamballe   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Les débuts de la Révolution à Lamballe.

En 1788, le Général de Lamballe envoya aux Etats Généraux un cahier d’observations que nous ne pouvons transcrire ici, à cause de sa longueur, mais dont nous allons donner un court aperçu qui suffira pour montrer à nos lecteurs dans quel état d’esprit se trouvaient alors les notables lamballais.

Il n’est pas besoin d’une longue observation pour voir que ceux-là mêmes qui devaient être bientôt les victimes de la Révolution, en étaient au début les zélés partisans. Plusieurs durent certainement le signer d’une manière consciente et sans avoir réfléchi aux conséquences fatales que devaient avoir leurs demandes.

D’autres, imbus des erreurs de Jean-Jacques Rousseau et le Rédacteur du cahier, tout le premier, le signèrent en pleine connaissance de cause.

Ils ne prévoyaient pas, du moins beaucoup d’entre eux, que pour détruire les nombreux abus dont ils réclamaient la suppression, on allait renverser de fond en comble tout l’édifice social.

Ils avaient en vue, disaient-ils, les intérêts du peuple, dont en effet, il était temps d’améliorer le sort, mais pour y arriver, ils dépouillaient la royauté de tout ce qui pouvait alors en faire le soutien, et tout en s’engageant à prier pour le roi, ils sapaient son autorité dans ses fondements.

Les auteurs de cette délibération se disaient inviolablement attachés à la Monarchie, et cependant ce qu’ils demandaient conduisait tout droit à la Souveraineté du peuple et par suite à la République.

En effet, accorder autant de suffrages au Tiers tout seul, qu’aux deux ordres du clergé et de la noblesse réunis, ce n’était pas seulement, comme ils le disaient, l’égaler aux deux autres ordres, mais lui donner sur eux la prépondérance pour plusieurs raisons qui sautent aux yeux.

Premièrement, les intérêts du clergé et de la noblesse n’étant pas en tout absolument identiques, leurs suffrages ne devaient pas être unanimes.

Deuxièmement, une grande partie du clergé du second ordre, tenant plus par sa naissance et par son humble position au Tiers qu’à la noblesse, ne devait pas voter avec celle-ci, et c’est ce que l’on vit.

De cette manière, le tiers devait nécessairement avoir la majorité des voix dans l'Assemblée des Etats généraux.

Afin qu’il eût tout à fait la souveraineté, il ne s’agissait plus que d’enlever au roi son droit de veto ; ce qui arriva en effet, et l’on eut alors la République.

C’est ainsi que nos compatriotes, pour obtenir l’égalité entre les trois ordres de l'Etat, posaient un principe qui accordait tout pouvoir à la démocratie et assujettissait par là-même les ordres du clergé et de la noblesse au Tiers-Etat.

C’était le but des révolutionnaires, et tout le monde sait avec quelle rigueur ils tirèrent les conséquences de ce principe faux.

D’après ce que nous venons de voir..., il est facile de comprendre que la Révolution eut un funeste retentissement à Lamballe.

Il y avait dans cette ville et dans les environs un grand nombre de familles nobles qui possédaient la plupart des terres du pays.

Leurs biens et leurs richesses, beaucoup plus que l’amour de la liberté et la crainte de la servitude, excitèrent le zèle révolutionnaire et les convoitises de quelques lamballais qui n’avaient pas de sou et qui bridaient de s’enrichir à quelque prix que ce fût.

La proie qu’ils avaient sous les yeux était grasse, aussi n’hésitèrent-ils pas à employer tous les moyens les plus inavouables et les plus infâmes pour la dévorer. La résistance qu’on leur opposa quelquefois ne fit qu’augmenter davantage leur fureur.

En outre de cette haine sauvage qui les animait contre les riches, ils avaient à coeur une haine encore plus féroce contre la religion, qu’ils avaient puisée dans la lecture assidue des libelles et des pamphlets de Voltaire et de Rousseau.

Tous étaient affiliés à la Franc-Maçonnerie ; nous avons vu les insignes maçonniques de plusieurs d’entre eux qui appartenaient à la loge de Saint-Brieuc. Il n’y eut peut-être pas dans toute la Bretagne d’hommes plus exaltés qu’eux, ni de plus dociles instruments de la secte impie qui tyrannisa si cruellement notre infortunée patrie.

C’est ce qui explique les excès de tous genres qui se commirent dans la ville et dans le voisinage pendant cette période de la Révolution où la Terreur tenait la place des lois. Nous en ferons la triste et lamentable histoire avec toute la prudence et les ménagements que nous impose la pitié pour les parents de ces hommes sinistres, qui déplorent les crimes de leurs ancêtres, et n’ont cessé de travailler à les faire oublier par toutes sortes de réparations et de bonnes oeuvres.

Mais, que l’on se garde bien de croire que la masse du peuple lamballais prit part à ces excès ou les approuvât. Bien loin de là : il était alors, comme aujourd’hui, simple et bon, inébranlablement attaché à la religion de ses pères, et il ne voyait qu’en gémissant ces scènes de désordre contre lesquelles il ne pouvait rien à cause de la présence des troupes qui paralysaient toute résistance.

Les descendants de ces braves qui se battirent corps à corps avec les troupes du prince de Dombes en 1589 sur nos remparts, et préféreront mourir glorieusement, pour la défense de leur foi, plutôt que de tomber vivants entre les mains des lansquenets allemands d'Henri IV, se montrèrent dignes de leurs aïeuls.

Un certain nombre de lamballais, indignés de la persécution que les révolutionnaires firent subir à notre sainte religion, s’empressèrent de prendre les armes pour la défendre en s’enrôlant dans l’armée catholique.

C’est avec un sensible plaisir que nous avons vu, dans le livre que M. de Pontbriand vient de faire paraître, sur La Chouannerie dans notre pays (Mémoires du colonel de Pontbriand sur les guerres de la Chouannerie, chez Plon, 1897), le nom de Laurent Vivier, notre compatriote, comme chef de bataillon.

Ceux qui ne purent suivre ces nobles coeurs, manifestèrent leur dévouement à l'Eglise catholique, en cachant des prêtres fidèles, au prix de leur vie, pendant toute la Révolution.

Mais, il faut bien l’avouer, à Lamballe, comme partout ailleurs, l’épouvante et la peur avaient singulièrement affaibli l’énergie des plus honnêtes citoyens.

Les meneurs, bien qu’en très petit nombre, avec quelques étrangers pires qu’eux, mitraillèrent malheureusement les faibles par la terreur à des actions dont ils avaient intérieurement horreur.

C’est donc sur quelques énergumènes seulement, et non sur la Majorité des habitants de Lamballe, qu’il faut faire retomber les crimes et les folies que cette ville eut à déplorer sous le règne de l’anarchie.

Avant de parler du clergé lamballais, nous croyons nécessaire de montrer la fausseté, de la calomnie portée contre le clergé en général par ses ennemis qui l’accusaient d’être hostile à la liberté.

A l’époque qui nous occupe, la haine contre la religion s’était hypocritement parée du prétexte de restaurer les finances de l'Etat et de réformer les abus.

Avec ces grandes phrases, on avait fait appel aux passions et aux convoitises populaires ; mais en réalité, on ne s’inquiète pas du tout des finances de l'Etat, pas plus que de l’intérêt général.

L’on pouvait très facilement restaurer les finances, si on l’avait voulu, détruire les abus, établir les rapports de l'Église et de l'Etat sur une base solide et acceptée des deux côtés ; c’était une oeuvre magnifique à entreprendre ; les révolutionnaires n’en ont même pas soupçonné la grandeur ! ! !

Que dis-je ? Ils n’ont songé qu’à une seule chose, enlever son argent à l'Eglise, sans en faire bénéficier l'Etat, exciter contre elle les passions populaires, asservir et avilir le clergé pour détruire le catholicisme.

Pour savoir réellement ce que pensait le clergé sur la Constitution politique du royaume, sur les abus à corriger, il faut prendre ses cahiers qui contiennent ses voeux et ses désirs. « Combien de gens, dit M. Sciout (La Constitution civile du clergé, 1 vol.), autour de nous exaltent les conquêtes de 89, déclament contre l’esprit illibéral du clergé et ne donnent pas les libertés que le clergé réclamait et réclame encore. Le clergé seul, avec son programme, pouvait renouveler la France. Pourquoi loin de s’associer à son oeuvre, l'a-t-on persécuté ? C’est qu’il était condamné à l’avance ».

« Je ne sais, dit le libéral M. de Tocqueville (Voir L'Ancien régime et la Révolution, p. 169) si à tout prendre, et malgré les vices éclatants de quelques-uns de ses membres, il y eut jamais dans le monde un clergé plus remarquable que le clergé catholique de France, au moment où la Révolution l’a surpris, plus éclairé, plus national, moins retranché dans les seules vertus privées, mieux pourvu des vertus publiques et en même temps de plus de foi. La persécution l’a bien montré. Il faut relire les cahiers de l’ordre du clergé en 1789. Le clergé s’y montre aussi ennemi du despotisme, aussi favorable à la liberté civile et aussi amoureux de la liberté politique que le Tiers-Etat ».

A l’époque de la Révolution, il y avait à Lamballe vingt-trois prêtres dont voici les noms : Messieurs Millet, recteur de Saint-Jean ; Méheust, sacriste (il n’y avait pas encore de vicaire à cette paroisse) ; Mahé, Besnard, Michel Gallet-Duclos, Jean-Baptiste Briosne, Grolleau-Kervat, Marbaut, tous attachés à l’église Saint-Jean, comme prêtres habitués.

Il y avait en plus les cinq chanoines de Notre-Dame : Micaut de Soulleville, doyen ; Metris de la Salette ; François Le Moine ; Millet,  recteur de Saint-Jean, et Sorgniard ; M. Duchemin desservait le grand hôpital, comme aumônier ; Henri Briosne, le petit hôpital un Hôtel-Dieu ; Bichemin, la chapelle de Saint-Barthélemy dont relevaient les rues de Maroué ; M. Brault était recteur de Saint-Martin et avait M. Hervé, comme vicaire ; M. René-Gilles Abgral était chapelain des Ursulines. A la communauté des Augustins, se trouvaient le P. Jean Verne, prieur ; Jacques Jannerod, sous-prieur ; Théodore Bernard, procureur ; Julien-Armel Echelard, sacriste, puis les frères René-Nicolas Le Vavasseur et Alexandre Le Brun.

Au commencement de 1790, comme tout le monde le sait, la Révolution lança son programme et donna à la France une première Constitution qui fut acceptée avec une réelle bonne foi et même avec empressement dans beaucoup d’endroits.

Si, à Saint-Brieuc, le clergé et tous les corps constitués prirent part à la grande fête du 14 février et y prêtèrent le serment civique, aux applaudissements de la foule, il n’en fut pas ainsi à Lamballe : elle se fit, comme nous le verrons tout à l’heure, sans enthousiasme et avec un calme extraordinaire.

Dans cette année de 1790, l’on installa le nouveau système d’administration par département, par district et par commune. Les citoyens actifs n’étaient pas seulement appelés à nommer des représentants à tous les degrés de la hiérarchie administrative, mais ils pouvaient encore se réunir et rédiger des pétitions en toute liberté.

Ce système consacrait le principe des assemblées populaires permanentes, clubs ou autres, avec leurs émotions, leurs entraînements et leurs dangers de toute sorte : en un mot, c’était l’intervention directe de chaque individualité dans les affaires publiques, c’était l’anarchie.

Une commission de trois membres nommés par le Roi, fut chargée de procéder à la formation des cantons, des districts et du département.

Le nôtre fut divisé en neuf districts, à savoir : Saint-Brieuc, Dinan, Lamballe, Guingamp, Loudéac, Lannion, Broons, Pontrieux et Rostrenen.

Les électeurs choisis par les assemblées primaires se réunirent à Saint-Brieuc sous la présidence de l’abbé Cormaux, recteur de Plaintel, de cet apôtre si populaire dont la parole ardente enthousiasmait nos populations et les continuait solidement dans la foi.

Comme beaucoup d’autres, il avait cru arrivée l’ère du redressement des abus, des réformes attendues et demandées par toutes les classes, l’ère de la justice et de la vraie liberté.

Son attachement aux idées nouvelles et ses illusions furent de courte durée, et il eut l’insigne honneur de donner son sang pour la foi de Jésus-Christ, en mourant courageusement sur l’échafaud.

Les électeurs, de retour dans leurs districts, en nommèrent la nouvelle administration qui fut soumise à celle du département.

C’est dans l’église de Notre-Dame que les lamballais tinrent leurs premières assemblées pour l’élection des membres des nouvelles administrations.

Le 14 juin 1790, après trois sons de cloche, on vit les électeurs entrer dans l’église et M. l’abbé Minet, recteur de Plédéliac, choisi pour la circonstance, entonna le Veni Creator, fit un discours — peu éloquent, d’après les témoins — et chanta les prières pour le Roi.

La persécution contre le clergé n’était pas encore commencée ; l’on se servait même alors très volontiers du prêtre, à condition qu’il fût souple et pas gênant : autrement, le parti révolutionnaire, qui cachait hypocritement son but, se montrait peu tolérant.

Malgré l’arrivée de la garde nationale, avec son colonel M. Bellanger, qui fit appel au patriotisme de ses concitoyens, malgré le troisième discours du maire d’alors, l'honorable M. Micault de Mainville, qui fut très applaudi, d’après le procès-verbal, aucun résultat ne fut obtenu.

L’électeur se montrait revêche et il en fut ainsi les deux jours suivants.

Enfin, au bout de trois jours d’héroïques efforts et d’incessantes prières près des citoyens électeurs, l’on put, quoique péniblement, arriver à un résultat.

Le 17 Juin, après lecture d’une adresse au Roi et aux membres de l'Assemblée, M. l’abbé Minet., assisté de M. Baudouard, recteur de Hénansal, administrateur du département, entonna de sa belle voix, un Te Deum, en action de grâces.

C’était vraiment le moins qu’ils pussent faire, après un succès si difficilement obtenu.

Pour achever de célébrer dignement, cette mémorable journée, M, Bouëtard, recteur de Pléhérel, plus tard curé-constitutionnel de Moncontour et dans la suite l’orateur du conciliabule de Paris, adressa un discours à l’assemblée qui se composait des officiers de la Garde nationale, du régiment de Poitou, des membres de la municipalité et d’un certain nombre d’électeurs.

Les auditeurs sérieux qui, comme bien ailleurs, s’étaient laissé entraîner, un moment, par le mirage des idées nouvelles, s’en allèrent de la cérémonie très mécontents de l’orateur dont le bavardage trivial et absolument dénué de bon sens, les avait écoeurés. Nos compatriotes l’avaient bien jugé, s’il faut en croire ce qu’en dit M. Le Sage dans ses mémoires.

« Le plus hardi des frères jureurs, écrit le spirituel chanoine, c’était Bouëtard aîné, prétendu savant universel, bavard et présomptueux, aussi repoussant par son extérieur plat et ignoble que par son langage qui n’était qu’un mauvais patois ». Si au chef-lieu du département, l’enthousiasme de cette fête fut tel que les dames elles-mêmes eurent leur manifestation et un registre pour recevoir leur serment civique, il n’en fut pas de même de la population lamballaise qui s’y montra en grande partie très indifférente.

Nous voyons quelques prêtres et quelques citoyens venir les uns un jour, les autres un autre, prêter le serment civique devant l'autorité municipale. Le 9 juillet, les prêtres, Charles Méheust, Jean Besnard et César Grolleau le prêtèrent en compagnie de quelques citoyens.

Le 12 juillet, ce fut le tour de MM. Abgral, Duchemin, Hervé, Sorgniard et Le Moine. Charles-Marie Damar, religieux bernardin, prieur de l’abbaye de Saint-Aubin-des-Bois, le prêta aussi en son nom et au nom des cinq religieux de sa maison.

La fête du 14 juillet, dite de la Fédération nationale, fut célébrée avec plus de pompe et un peu plus d’enthousiasme.

Le Conseil municipal décida de prendre les délégués qui devaient assister à la fête de Paris, le 14, parmi ceux qui se pourvoiraient, à leurs frais, d’uniformes, d’armes et accoutrements ordinaires, et qu’ils recevraient le même traitement que les délégués de Saint-Brieuc.

Les Commissaires nommés pour organiser la fête, présentèrent, un projet d’obélisque à élever en souvenir de la fête mémorable qui intéressait, à un si haut degré, tous les Français, et dont les frais étaient évalués à 360 francs.

Nous avons eu beau consulter toutes les délibérations ultérieures de notre assemblée municipale, nous n’avons rien pu trouver qui indique qu’il ait jamais été élevé sur l’une de nos places publiques ; comme tant d’autres, ce projet resta en chemin et ne vit jamais le jour.

La seconde partie du programme de la fête fut plus heureuse et surtout plus pratique.

« Considérant qu’un moment aussi intéressant que celui de la Fédération du 14 juillet, ne peut être plus dignement décoré que par des actes de bienfaisance envers les pauvres, mais considérant que la Caisse municipale est chargée d’une multitude de dépenses urgentes et qu’il est indispensable d’administrer ses fonds avec économie, l'assemblée a arrêté qu’il sera ouvert une souscription en faveur des pauvres et qu’il sera donné sur la Caisse de la municipalité, un baril de riz (Séance du 3 juillet 1790).

Chacun des membres de l'Assemblée ont présentement souscrit et se sont chargés de demander aux particuliers riches des secours pour les pauvres.

Le produit de cette souscription sera remis le jour de la fête patriotique, au bureau des dames de la charité.

En 1790, à Lamballe, comme dans toute la Bretagne, les goûts étaient simples. Vêtu d’étoffes grossières, le bourgeois lamballais n’avait qu’un seul habit fin confectionné à l’occasion de son mariage et servant successivement à plusieurs générations. On n’allumait du feu que dans la cuisine qui, en hiver, tenait lieu de salle à manger et de salon. Un pot de terre contenant de la braise réchauffait les commerçants et les gens d'affaires, lorsque le froid se faisait sentir. On ignorait généralement l’usage des vitres que remplaçait du papier huilé.

La frugalité des repas était si grande que les gens désireux de faire bonne chère, prenaient le parti d’aller au cabaret, où ils se régalaient d’une bouteille ou deux de cidre et d’un morceau de fromage blanc » (Tableau historique des départements).

Dans un rapport sur les vingt volontaires qui partirent pour la frontière en 1792, nous avons lu dans nos archives municipales que leur taille était de six pieds et plus, qu’ils étaient tous d'une vigoureuse constitution.

Dans la séance du 9 juillet, il fut décidé que pour célébrer dignement la fête du 14 juillet, l’on chanterait à l’église Notre-Dame une messe solennelle à laquelle furent convoqués tous les corps constitués, avec les officiers de la Garde nationale et du régiment de Poitou.

M. l’abbé Micault de Souleville, doyen des chanoines de Notre-Dame, chanta la messe, ayant pour diacre Michel Gallet Duclos et pour sous-diacre, M. Louis Bichemin.

Ce premier pas fait dans la voie des concessions devait les entraîner bien plus loin, et les conduire tous les trois peu à peu à la plus honteuse défection, comme nous le verrons tout à l’heure.

L’enthousiasme fut assez grand ; tous prêtèrent le serment civique aux cris de la foule qu’impressionnaient vivement ces fêtes nouvelles rehaussées par les pompes de la religion et le son du canon.

C’était l’enfance de la Révolution, et parmi les enthousiastes, bien peu devinaient alors l’abîme que couvraient ces fleurs ; bien peu prévoyaient le sang, les ruines et les souffrances qui allaient suivre cette universelle allégresse. Le désenchantement ne tarda pas à venir pour plusieurs.

Si les événements prirent la tournure que nous savons, c’est que la franc-maçonnerie avait réussi à faire nommer membres du Tiers-Etat, un très grand nombre d’hommes pervertis par les erreurs des philosophes du XVIIIème siècle et déjà affiliés aux loges.

Ecoutons à ce sujet un savant qui a étudié à fond la question dans les documents officiels et les plus authentiques.

« Dans les assemblées primaires, dit M. Claudio-Jannet (Voir La Franc-Maçonnerie et la Révolution, p. 197), le Tiers-Etat avait rivalisé avec la noblesse et le clergé, pour affirmer sa foi catholique et son attachement au gouvernement monarchique ; il  en avait consigné l’expression authentique dans les cahiers, véritables mandats impératifs, en dehors desquels les députés étaient absolument sans pouvoir. D’où vient donc que ces députés aient déchiré les cahiers et trahi, avec leurs serments, la confiance de leurs mandants ?

Le voici : les loges n’avaient pas osé affronter une discussion publique lors de la rédaction des cahiers ; mais elles avaient fait prendre, à leurs affiliés, des engagements secrets, en cas d’élection. Les membres, une fois élus, furent placés entre les engagements vis-à-vis de la nation mandataire et la soumission aux ordres de la franc-maçonnerie ».

On trouve la preuve de ces ordres dans la circulaire envoyée en juin 1788, par le comité central du Grand-Orient aux vénérables des loges de province.

« Aussitôt, était-il dit, que vous aurez reçu le paquet ci-joint vous en accuserez la réception, vous y joindrez le serment d’exécuter fidèlement et ponctuellement, tous les ordres qui vous arriveront sous la même forme, sans vous mettre en peine de savoir de quelle main ils partent, ni comment ils vous arrivent. Si vous refusez ce serment, ou si vous y manquez, vous serez regardés comme ayant violé celui que vous avez fait à votre entrée dans l’ordre des Frères. Souvenez-vous de l'Aqua Tophana ; souvenez-vous des poignards qui attendent les traitres ».

Voilà ce qui explique toutes les lois liberticides et les abominables forfaits dont la France va être la victime. La Révolution approchait. Elle s’annonçait par l’agitation des esprits et l’on sentait fermenter ces idées qui préparent les grands bouleversements et enfantent les catastrophes.

Les Etats généraux s’assemblèrent à Versailles le 4 mai. Le 17 juin suivant, le Tiers-Etat s’érigeait en Assemblée nationale, méconnaissant la volonté des électeurs qui n’avaient pas donné à leurs mandataires la mission de changer la constitution politique du royaume, mais celle d’opérer des réformes définies d’avance. Une partie des députés de l’ordre du clergé, en se réunissant au Tiers-Etat, favorisa cette usurpation de pouvoir dont l'Église ne tarda pas à subir les premières conséquences.

Cinq mois plus tard, l'Assemblée nationale confisquait purement et simplement les biens du clergé dont elle récompensait ainsi les concessions.

Oter au clergé sa considération, son influence politique et sociale, son indépendance et sa liberté, en le réduisant, de la condition de grand propriétaire à celle de simple salarié, tel était le but de la franc-maçonnerie. L’Assemblée s’empressa de réaliser ces voeux de la secte, en décrétant, dans sa séance du 6 août, que les biens ecclésiastiques appartenaient à la nation. Ainsi, on foulait aux pieds les fondations les plus sacrées et le droit de propriété était solennellement violé.

« Mais, comme le dit justement M. Sciout, ce n’était pas assez d’enlever à l'Eglise ses plus fidèles serviteurs et aux ministres des autels le moyen de partager leurs revenus avec les pauvres ; les impies savaient que les pasteurs, dépouillés des biens de ce monde, pouvaient n’en acquérir que plus de ces vertus et de cette autorité qui font l’admiration des peuples et les sanctifient. Il fallait donc encore, pour tromper les français attachés à leurs dogmes et à leur culte, effacer de leur esprit toutes les idées de respect, d’estime et de vénération pour leurs pasteurs. Le patriarche des sectaires avait dit à ceux qui tenaient avec lui la plume de l’impiété, pour écraser la Religion : " Mentez, mentez toujours, il en restera quelque chose ". Les adeptes de son infamie, plus libres et plus forts que le maître, eurent recours, pour mentir, au langage plus expressif et plus simple de la caricature et du mauvais exemple.

Sans respect pour les moeurs, comme pour la vérité, ils tapissèrent les quais et les boutiques des caricatures les plus outrageantes pour les ministres de la religion.

Ici, le burin représentait sous les emblèmes de l'avarice et sous les formes les plus bizarres, des prêtres pleurant sur des trésors que le peuple s’empressait de leur enlever ; là, sous les images les plus lascives, on produisait les prêtres comme des hommes perdus de débauche, dissipant dans les plaisirs le patrimoine des pauvres ; ailleurs, ceux dont la réputation était le mieux établie et les vertus les plus connues, étaient représentés sous les emblèmes des animaux les plus vils et les plus dégoûtants.

La calomnie n’avait cependant pas renoncé à l’action corrosive du langage ; c’étaient tantôt des brochures écrites dans le style des halles, où l’on prêchait à la populace des sentiments ignobles, et tantôt des scènes de théâtre où l’on mêlait à des paroles dépravées, les spectacles les plus indécents sur la doctrine et les mœurs du clergé. La Révolution est là tout entière avec ses violences, ses convoitises, son écume, sa bave sanglante et ses obscénités.

Il suffit de lire quelques passages de l'Ami du peuple, de l'Affreux Marat, du Père Duchesne d'Hébert et de tant d’autres journaux du temps, pour voir que les fumées du sang leur montent à la tête.

Tous ces pièges dressés à la bonne foi française avaient réussi, dans la plupart des villes, à soulever les fureurs de la populace, mais ils n’atteignaient pas assez promptement les résultats que leurs auteurs étaient en droit d'attendre. Ils décidèrent que, pour décatholiciser la France, il fallait la tromper encore, en mêlant l’hypocrisie au mensonge » (La Constitution civile du clergé, par Ludovic Sciout, vol. 1).

C’est alors qu’ils imaginèrent de soumettre le clergé à une nouvelle épreuve, qui amènerait ses membres à l'apostasie ou à la rébellion.

L’Assemblée fabriqua elle-même une Eglise officielle qu’elle associa à l'État. Dès lors on se donnait le droit d’assimiler ses chefs à de hauts fonctionnaires, de faire intervenir officiellement les pouvoirs publics dans ses moindres arrangements, de lui donner une subvention, et de persécuter ceux qui refuseraient de la reconnaître, c’est-à-dire d’apostasier.

Un projet de constitution ecclésiastique avait été élaboré dans les loges des francs-maçons et le comité secret des Jacobins. Le janséniste Camus et les avocats Lanjuinais, Treillard et Martineau furent désignés par l'Assemblée pour étudier ce projet de loi ecclésiastique qui devint la Constitution civile du clergé.

Par ce code impie, on ne semblait demander qu’une simple adhésion à une forme gouvernementale, mais en réalité c’était une véritable abjuration de la foi, comme nous allons le voir.

La création des assignats avait suivi de près la confiscation des biens du clergé. Chacun des actes de la Révolution faisait mesurer ses progrès.

Tandis que l’on attentait aux droits de la propriété, on violait ceux de la conscience. Le 13 février 1790, les voeux monastiques avaient été abolis et cette mesure indiquait assez clairement le but et l’esprit de la Constitution civile du clergé, votée le 12 juillet et appliquée dès le 27 octobre suivant.

Par son article premier, cette constitution usurpait un pouvoir qui n’appartient qu’aux Papes, successeurs de Saint Pierre. En effet, elle réduisait les 135 évêchés et archevêchés à 83 évêchés qui prenaient le nom des départements où ils étaient situés, supprimait toutes les paroisses et s’arrogeait le droit d’en ériger de nouvelles.

Par son article deuxième, les évêques et les curés étaient nommés par l’élection et parmi leurs électeurs pouvaient figurer des protestants, des libres-penseurs, aussi bien que des catholiques. De plus, défense leur était faite de demander l’institution canonique au Pape, auquel l’élu écrivait seulement en signe de communion.

Par là-même, il n’y avait plus de mission divine dans l'Eglise de France : sa mission venait entièrement du peuple, la foi était violée, le lien divin qui la rattachait à tête de l'Église et à Jésus-Christ était rompu.

Il serait inutile d’entrer dans de plus grands détails sur cette constitution « qui contenait, dit Pie VI, un amas et le suc de plusieurs hérésies, et dont les auteurs, ajoutait-il, n’avaient eu, sous le prétexte de réforme, d’autre but que de renverser la religion catholique par ses fondements ».

Il paraissait difficile, après cela, de soutenir et d’admettre que le serment, prêté à cette constitution schismatique et hérétique, pût se concilier avec le serment par lequel tout prêtre catholique s’est irrévocablement lié à l'Eglise. Et cependant l’on osa le prétendre pour entraîne ceux qui, dans les temps troublés, veulent couvrir d'une apparence de raison leur désertion et leur lâcheté.

Pie VI, qui avait attendu longtemps avant de frapper espérant que la douceur pourrait ramener les esprits égarés, condamna solennellement la Constitution civile de législateurs francs-maçons par son Bref du 13 avril 1791.

Nous sommes arrivés à l’une des époques les plus critiques que l'Eglise de France ait eu à traverser.

Le clergé tant régulier que séculier qui se ressentait des erreurs du jansénisme, du gallicanisme et de la philosophie du XVIIIème siècle, et qui comptait dans son sein de nombreux adhérents aux idées nouvelles, allait-il se laisse engager dans le schisme que venait de proclamer l'Assemblée constituante ? Trouverait-il la force de rompre avec cette révolution d’abord si séduisante et qui, tout à coup démasque ses batteries et se montre ce qu’elle était au fond, ennemie irréconciliable de toute religion positive ? Ou bien était-il au moment de se séparer du Vicaire de Jésus-Christ ? Si ce dernier parti eût prévalu, la foi était perdue en France et la nation, fille aînée de l'Eglise, n’eût pas tardé à s’égarer, comme l'Angleterre, dans les voies stériles de l’hérésie et du schisme. Dieu ne permit pas ce malheur et cette honte : il mit au coeur des évêques français d’alors un attachement et une fidélité à la foi catholique qui la sauvèrent du naufrage dont elle était menacée.

Si la lâcheté des évêques anglais sous Henri VIII entraîna dans l’hérésie ce royaume autrefois si catholique, il n’en fut pas ainsi de la France, grâce à Dieu.

Tant il sera toujours vrai de dire que quand l’exemple part de haut, il a toujours une force d'entraînement irrésistible.

Le haut clergé français voyant le danger, n’avait pas attendu le blâme solennel du Pape pour faire connaître ses véritables sentiments aux prêtres et aux fidèles. Les évêques députés à l'Assemblée nationale avaient publié une exposition des principes qui résumait avec une irréfutable logique, une grande modération et une indiscutable autorité la doctrine de l'Eglise.

Tous les prélats français la signèrent à l’exception de quatre. L’intrépide abbé Maury, dont l’éloquence réduisait au silence et couvrait de confusion tous les partisans du schisme et de l’hérésie, terminait son discours de fin de novembre, par cette énergique apostrophe : « Nous périrons s’il le faut, pour nos devoirs ; et en périssant, nous montrerons à l’univers entier que si nous n’avons pu obtenir votre bienveillance, nous avons du moins mérité votre estime » (Moniteur du 29 novembre 1790).

D’un bout à l’autre de la France, les évêques par leurs instructions pastorales éclairèrent les peuples que l’on s’efforçait de séduire et de tromper.

Aussi, au jour fixé pour la prestation de serment à la Constitution schismatique et hérétique du clergé, tous les évêques députés moins deux, et tous les prêtres, moins trente-six sur trois cents environ, le refusèrent malgré les vociférations et les menaces de mort que poussaient autour d’eux des scélérats que l’on avait soudoyés pour les intimider.

Ils firent entendre de si nobles et si dignes protestations qu’ils arrachèrent ce cri d’admiration au célèbre Mirabeau :

« Nous leur avons pris leur argent, mais ils ont gardé leur honneur ».

Sur 135 archevêques et évêques, quatre seulement prêtèrent serment à la Constitution civile du clergé, au grand étonnement des législateurs francs-maçons, qui avaient décidé d’abaisser le clergé et de détruire l'Eglise envers et contre tout.

A la suite des courageux prélats catholiques, cinquante mille prêtres se levèrent, prêts à tous les sacrifices, pour défendre notre sainte religion.

Les mandements des évêques que provoqua la lutte entreprise, à cette époque, sont pour la plupart remarquables par les sentiments les plus énergiques et les plus fiers.

L’épiscopat de l’ancien régime s’y montre avec une incomparable grandeur. Les prélats aux habitudes de cour et aux allures mondaines sont devenus d’intrépides défendeurs de la foi, prêts à souffrir l’exil ou à subir le martyre. Cet épiscopat avait eu les défauts de l’aristocratie ; il en possédait aussi les qualités : la vaillance, l’élévation de coeur et d’esprit. Il était fidèle à Dieu comme au roi, joignant à la foi religieuse, cette seconde religion qu’on appelait l'honneur.

On avait vu des gentilshommes-évêques sous l’ancien régime. On vit pendant la Révolution des évêques-gentilshommes. A d’autres époques, l'épiscopat français a montré de grands et nobles caractères. Mais jamais il n’offrit avec une telle unanimité l’image de cette fière indépendance qui ne se courbe jamais devant la tyrannie.

Dés ce jour, la Révolution était vaincue dans le défi qu’elle avait osé jeter à l'Eglise catholique ; ce n’était plus qu’une question de temps.

La persécution allait s’ouvrir, mais la foi était sauvée.

Dans notre diocèse, la lâche conduite de ce qu’on appelait le bas clergé acheva de tracer la ligne que tous les prêtres, dignes de ce nom, devaient suivre.

En effet, à partir de ce moment, le clergé de notre diocèse se scinda en deux parts : d’un côté, les prêtres révoltés, infidèles à leurs serments les plus sacrés, parjures dans toute l’acception du mot, sans science théologique, et, pour la plupart, dévorés par l’ambition la plus effrénée, sans vocation, faisant trop souvent de leur lecture favorite les oeuvres des écrivains les plus connus par leur incrédulité, en grand nombre timides et lâches, imbus des erreurs du jansénisme et du gallicanisme, qui, malgré les avertissements de leurs supérieurs ecclésiastiques, consentirent à prêter serment à la Constitution civile du clergé, ce qui les fit désigner dans nos villes et nos campagnes sous le nom de jureurs ou juroux ; de l’autre, les prêtres fidèles bien résolus de sacrifier leur repos, leur bien-être, leur vie même, plutôt que de donner la main aux usurpations sacrilèges de l’autorité civile.

A ceux-ci vinrent bientôt se joindre un assez grand nombre d’autres qui, sans trop savoir ce qu’ils faisaient, avaient tout d’abord consenti à prêter le serment, mais qui, lorsqu’ils furent mieux informés, s’empressèrent de se rétracter et de reconnaître leur faute.

L’Assemblée, après avoir constaté avec stupeur le nombre considérable d’évêques et de curés qui avaient refusé le serment à la Constitution civile du clergé, s’occupa de presser l’exécution de ses décrets en ordonnant qu’il fût procédé à l’élection de nouveaux évêques et de nouveaux curés.

Partout, les élections se ressentirent de l’esprit qui régnait alors et de la composition des assemblées ; il n’y eut à obtenir les suffrages que des prêtres sans caractère et dont l’opinion avait fait justice depuis longtemps, des moines scandaleux, habitués à violer leurs règles, des hommes, en un mot, qui n’avaient d’autre mérite que d’avoir embrassé la Révolution avec démence et d’être des prédicateurs forcenés des idées nouvelles.

Nulle part, on ne vit parmi eux de ces prêtres réunissant la droiture à la science et dont la conduite sacerdotale ne fût pas suspecte de vues mondaines.

C’est alors que l’ordre fût donné de publier la fameuse Constitution civile du clergé jusque dans la plus humble paroisse de France. On ne se contenta pas de sa publication dans la forme ordinaire, comme pour les autres décrets, mais afin de vexer davantage les prêtres fidèles, on leur imposa l’obligation de la lire eux-même, dans les chaires chrétiennes, et de l’afficher à la porte des sanctuaires.

Les membres du district ayant donné l’ordre à M. le Maire de Lamballe, M. Micault de Mainville, d’obliger les recteurs de Saint-Jean et de Saint-Martin de la publier au prône de la grand'messe du 31 octobre ou du 1er novembre, il répondit à cette injonction par sa démission de Maire, le 6 novembre, avec une noble et courageuse protestation qui lui fait le plus grand honneur.

M. le chanoine Jean-Baptiste Sorgniard signa cette belle protestation et se démit, le même jour, de ses fonctions d’officier municipal qu’il avait acceptées, comme tant d’autres, dans le but de diriger le mouvement des esprits : son illusion avait été de courte durée.

Malgré l’opposition du maire démissionnaire, l’ordre de publier la Constitution civile du clergé fut donné à M. Milet, curé de Saint-Jean et à M. Brault, curé de Saint-Martin, qui n’en tinrent aucun compte.

MM. les Recteurs répondirent tout d’abord que cette lecture allongeait trop l’office, et qu’ils avaient appris qu’un décret devant désormais les dispenser de pareilles publications allait paraître incessamment.

En présence de ce refus si catégorique, le 8 novembre, le procureur-syndic de la commune formula contre eux un long réquisitoire qui se terminait ainsi :

« Considérant qu’il y a mauvaise volonté dans la conduite que les Recteurs de Lamballe et de Saint-Martin tiennent en refusant de publier le décret du 24 août, sur la Constitution civile du clergé, déclare qu’ils seront dénoncés au Directoire du district pour être statué ultérieurement ce qui sera vu appartenir. Montrons-nous, ajoutait-il, partisans d’une Constitution qui nous rend hommes, en nous rétablissant dans nos droits ».

A cette époque, comme aujourd’hui, on aimait beaucoup à parler de ses droits et à oublier ses devoirs. M. l’abbé Milet, né à Saint-Alban en 1736, était recteur de Bréhand-Moncontour lorsqu’il obtint, au concours en 1779, la cure de Saint-Jean de Lamballe.

M. l’abbé François-Alexis Brault était originaire de Louvigné-du-Désert, en Ille-et-Vilaine, et né le 19 octobre 1751. Selon toutes les apparences, sa famille jouissait d’une certaine fortune : les titres de propriétés lui ayant appartenu, qui existent encore, en font foi. Il fut ordonné sous-diacre à titre de patrimoine (sub titulo patrimonii) le 17 décembre 1774, et il reçut la prêtrise le 21 septembre 1776, des mains de Mgr. de Girac, évêque de Rennes. Après avoir été pendant, quelque temps, vicaire à Betton, près de Rennes, il fut nommé en 1789 curé de la paroisse de Saint-Martin de Lamballe.

La présentation des titulaires à cette cure appartenait à Mgr. le duc de Penthièvre, seigneur de Lamballe.

Ces deux pasteurs modèles, non moins distingués par leur science que par leur zèle pour le salut des âmes et leur inébranlable attachement aux principes catholiques, joignaient à toutes ces qualités précieuses une rare énergie.

Ils étaient faits l’un et l’autre pour se comprendre ; aussi, ne tardèrent-ils pas à se lier de la plus étroite amitié.

Que pouvaient faire à de tels hommes les menaces d’un Procureur-Syndic de la commune de Lamballe ? Rien, absolument rien.

Les révolutionnaires lamballais avaient tenté de les intimider, car le propre des libéraux de tous les temps, c’est d’essayer de faire du prêtre un vil esclave qu’ils puissent commander à leur gré ; mais ils comprirent bien vite qu’ils avaient perdu leur temps.

MM. Milet et Brault essayèrent de faire comprendre aux maîtres du jour qu’ils n’étaient nullement tenus de faire la publication qu’on leur demandait ; puis, voyant qu’il était impossible de persuader leurs juges, ils déclarèrent nettement que les lois de l'Église catholique le leur défendaient de la manière la plus formelle.

Forts du témoignage de leur conscience, ils persistèrent dans leur refus, avec une entente et une fermeté qui ne se démentirent pas un seul instant.

Les exécuteurs des hautes oeuvres des francs-maçons de l'Assemblée, à Lamballe, prirent le parti de temporiser et d'attendre un nouveau décret qui leur servirait à arriver plus promptement à leur but.

Il ne se fit pas attendre en effet. Sur la présentation de Noidel, le terrible président du Comité des recherches, un décret prononça le 27 novembre : « Que tous les évêques et curés qui n’auraient pas fait, sous huit jours, le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, seraient censés avoir renoncé à leurs fonctions, et que tout titulaire supprimé, continuant les fonctions attachées à son titre, serait puni comme perturbateur du repos public » (Moniteur du 28 décembre 1790).

La Révolution montait comme les flots de la mer. A partir de l’application de cette loi du 27 novembre 1790, la persécution fut solennellement décrétée et s’étendit à toute la France. Jusqu’au Concordat, ce fatal serment créera en France une classe de parias dont un grand nombre subira la mort, et les autres seront plus ou moins traqués, internés, déportés, suivant que la frénésie révolutionnaire exercera plus ou moins d’empire sur la nation.

Le jour de la prestation de serment fut fixé au 4 janvier 1791, pour Paris, mais un sursis fut accordé pour la province. Partout, néanmoins, avant la fin du mois de février de la même année, tout le clergé fidèle devait être mis en demeure de se parjurer ou d’être persécuté.

Les sectaires lamballais apprirent cette nouvelle avec une joie facile à comprendre : ils revinrent donc à la charge près de MM. Milet et Brault, car leur conduite était d’un mauvais exemple et semblait condamner aux yeux de tous « cette belle révolution qui s’opérait ».

Ordre fut donc intimé de publier les décrets et la constitution au prône de la grand'messe ; et, pour s’assurer de l’exécution de la sentence, des délégués municipaux furent envoyés à la grand'messe du dimanche 6 février à Saint-Jean et à Saint-Martin.

La présence de ces mouchards qui étalaient avec complaisance leur belle écharpe tricolore ne fit aucune impression sur les courageux pasteurs qui, ce jour-là, comme toujours, parlèrent avec la fière indépendance de vrais apôtres du Christ.

S’étant concertés à l’avance, ils firent leur prône sur la Constitution civile du clergé, en démontrèrent le schisme et l’hérésie, tout en traçant à leurs ouailles les devoirs que le malheur des temps leur imposait non seulement à l’égard de cet acte impie, mais encore vis-à-vis des intrus qui s’en feraient les fauteurs et les propagateurs.

Les commissaires se retirèrent furieux, mais la tête basse et humiliée d’avoir ainsi manqué leur coup.

Le jour même, le citoyen-maire Loncle leur envoya une lettre pour leur demander compte de leur conduite.

Le rapport du Procureur de la commune, le citoyen Paulmier, à ce sujet, fait trop honneur aux recteurs de Saint-Jean et de Saint-Martin, pour que nous n’en donnions pas quelques extraits.

« Constatant que la lettre écrite à MM. Milet et Brault ayant été remise, à chacun d’eux, par la femme du héraut de ville, elle a rapporté à la municipalité que ces Messieurs, après l’avoir lue, déclarèrent, qu’ils ne se cachaient pas d’avoir tenu les propos qu’on leur imputait, qu’ils les avaient tenus en chaire et qu’ils étaient prêts à les répéter, que la municipalité pouvait le prendre comme elle le voudrait, qu’ils s’en moquaient et qu’ils ne feraient point de réponse, ils ont même ajouté à la porteuse de reprendre la lettre ou qu’ils la jetteraient dehors.

Nous, Sébastien-Pierre Paulmier, Procureur de la commune de Lamballe, considérant qu’il est du devoir de la municipalité de veiller à la tranquillité publique, de dénoncer ceux qui chercheraient à y porter atteinte, non seulement par leurs actions, mais encore par des discours séditieux, par des calomnies contre l'Assemblée nationale et ses décrets acceptés par le roi : considérant le refus des sieurs Milet, recteur de Saint-Jean, et Brault, recteur de Saint-Martin, de répondre à la lettre de la municipalité comme un aveu formel des propos incendiaires que le public les accuse d’avoir tenus, notamment au prône qu’ils firent hier, 6 février, à leurs paroissiens ; considérant que par l’article 18 de son décret du 27 novembre 1790, l'assemblée nationale a ordonné de poursuivre, comme perturbateurs du repos public, ceux qui tenteraient d’exciter des oppositions à l’exécution de ses décrets ; considérant que les discours séditieux, calomnieux et incendiaires, que l’on attribue aux sieurs Milet et Brault, peuvent mettre le trouble dans la ville, alarmer les consciences et faire couler le sang des citoyens :

Nous recquérons pour la commune que les sieurs Milet et Brault soient dénoncés à l’administration du district de Lamballe et à l’accusateur public près le tribunal du même district, pour être poursuivis conformément aux lois de l'Etat. A la maison commune, le 7 février 1791, à 5 heures du soir. PAULMIER ».

Dès le lendemain, MM. Milet et Brault furent appelés à comparaître devant la municipalité pour s’expliquer. Les courageux recteurs renouvelèrent leurs précédentes déclarations avec une si grande dignité et une telle indépendance qu’ils déconcertèrent leurs juges.

Le maire Loncle, Lainé, Mouésan et Méheust donnèrent l’ordre de les dénoncer et de les poursuivre, par délibération du 8 février 1791 à 11 heures du matin.

Voici la copie textuelle de l’audience extraordinaire où nos intrépides confesseurs de la foi furent condamnés.

« Audience extraordinaire tenue par MM. Delaporte, Hardy, Le Dissez de Pénanrun et Henry, juges du tribunal, M. Houdu, commissaire du roi, demandeur et accusateur de son office s’expédiant contre :

Pierre Milet, recteur de Saint-Jean et François-Alexis Brault, recteur de Saint-Martin, défendeurs et accusés, assistés de Méheust, homme de loi, leur conseil, l’un des juges ayant fait son rapport, l’accusateur public a prononcé ses conclusions et les a déposées sur le bureau, le dit Méheust, pour les dits Milet et Brault, a dit qu’il persistait dans les conclusions de sa dernière requête ; Houdu, homme de loi, commissaire du Roy, a prononcé ses conclusions qu’il a également déposées sur le bureau.

Le tribunal a ordonné qu’il en serait délibéré à la chambre du Conseil ; et, rentré, il a dit : Vu que les dits Milet et Brault ont reconnu dans leurs interrogatoires qu’ils ont déclaré à leurs paroissiens, à l’occasion d’un de leurs prônes, à propos de l’invitation à eux faite par la municipalité de prêter serment et en parlant de la nouvelle constitution, que nous devons nous soumettre à la loi, seulement quand elle est juste, c’est-à-dire, lorsqu’elle repose sur les principes éternels de la justice et de la liberté et qu’elle émane d’une puissance légitime ; que les savants du royaume disaient que la nouvelle Constitution civile du clergé était entachée de schisme et d'hérésie ; qu’elle dépouillait le Pape et les Evêques de leur autorité et juridiction qu’ils avaient de droit divin et qu’aucune puissance temporelle ne pouvait leur ôter ; qu’elle supprimait les voeux solennels, qu’elle enlevait à l'Eglise ses propriétés les plus sacrées, qu’eux et les autres recteurs condamnaient et désapprouvaient hautement de pareilles impiétés, qu’on les menaçait de nommer d’autres pasteurs à leurs places, mais que ceux qui les remplaceraient seraient des intrus, des hommes sans pouvoirs légitimes et sans juridiction, des irréguliers, dont il faudrait s’éloigner comme de la peste ; que les fidèles ne pourraient recevoir d’eux les secours nécessaires au salut qu’à la dernière extrémité, en ayant soin de leur déclarer auparavant qu’ils désapprouvaient leur conduite et qu’enfin ils ne prêteraient pas le serment demandé jusqu’à ce que leurs supérieurs légitimes n’eussent parlé.

Le tribunal considérant que la manifestation de pareils sentiments, faite (sic) en chaire par des recteurs est une rébellion à la loi de nature à produire les suites les plus fâcheuses et qu’il serait dangereux de laisser les dits Milet et Brault dans le cas de récidiver, faisant droit aux conclusions de l’accusateur public, ledit Houdu, faisant fonction de commissaire du Roy dans cette affaire, sans qu’il soit nécessaire de s’arrêter au surplus des charges, ni par conséquent de passer au règlement à l'extraordinaire ; jugeant définitivement les interrogatoires des dits Milet et Brault, les déclare incapables d’aucune fonction publique, et, comme tels, déchus de celles qui leur avaient été attribuées en qualité de recteurs ou curés de Saint-Jean et de Saint-Martin de Lamballe et les a condamnés aux dépens liquidés à soixante-sept livres, six sols, sept deniers, sur le mémoire fourny par l’accusateur public, y compris les avances déjà prises sur les fonds nationaux, retrait et signification en outre ordonnés, de plus qu’à la diligence dudit Houdu, faisant les fonctions de commissaire du Roy dans cette affaire, il soit imprimé et affiché aux frais des dits Milet et Brault, où besoin sera, cinquante exemplaires du présent jugement, sans néanmoins que le tribunal ait entendu préjuger que lesdits Milet et Brault soient privés du traitement que la nation accorderait aux curés qui n’auraient pas prêté serment. LE DISSEZ DE PENARUN, HARDY, HENRY, DELAPORTE. Ce 26 février 1791 ». Les novateurs, pour briser toute résistance à leurs projets impies, excitèrent contre les prêtres fidèles les immorales et brutales associations révolutionnaires qu’ils avaient partout formées sous le titre d'amis de la Constitution. Lamballe en fut dotée, comme toutes les autres villes de France ; les juges qui condamnèrent MM. Milet et Brault en faisaient tous partie. La nécessité d’employer les vexations et les procédés les plus tyranniques était loin de les effrayer.

Voilà pourquoi les membres du District de Lamballe, parmi lesquels nous avons la douleur de voir figurer l’abbé Michel Gallet-Duclos, s’empressèrent d’exécuter cet ordre, « en déclarant les deux recteurs de Lamballe incapables de remplir aucune fonction de citoyen actif, tout en s’apitoyant sur le malheur qu’ils avaient de perdre cette faculté précieuse ».

MM. Milet et Brault n’avaient pas attendu que l’orage révolutionnaire eût éclaté pour éclairer leurs ouailles et les mettre à l’abri du danger qui menaçait leur foi.

Ils firent imprimer à leurs frais une petite brochure sous le titre de Lettre à M. X., sur le serment à la Constitution civile du clergé, où les principes de la Foi catholique étaient exposés avec un rare talent en même temps que les devoirs que la situation critique du pays imposait à chaque fidèle. Elle fut répandue à profusion par leurs soins dans les paroisses de Saint-Jean et de Saint-Martin.

Quand nos édiles l’apprirent, grande fut leur fureur, comme l’indique la délibération qu’ils prirent à cet égard le 5 février 1791 et que voici dans toute sa teneur.

« Samedi, cinq février, mil-sept-cent quatre-vingt-onze. Assemblée du Conseil général de la commune de Lamballe, convoquée en la manière accoutumée ; M. le Procureur de la Commune a dénoncé un libelle intitulé : Lettre à M. X., sur le serment, etc. Le conseil, après avoir entendu M. le Procureur sur ce sujet, a défendu et défend, sous peine d’être poursuivis suivant toute la rigueur des lois, à tous marchands, colporteurs et autres, de vendre et distribuer le dit ouvrage dans l’étendue de ce ressort. De plus, arrêté qu’il sera fait une proclamation dans cette ville, et des copies seront envoyées dans les campagnes pour prévenir les citoyens de ce district contre une fausse Bulle du Pape dont les exemplaires se répandent avec une scandaleuse profusion. Loncle, Maire, Riallan, Le Bot, Cadet, Levavasseur, Le Dasfeur, Méheust, Chanoine ».

Ici, nous éprouvons le besoin de rendre hommage au courage si sacerdotal avec lequel MM. Milet et Brault luttèrent contre l’impiété triomphante pour conserver la foi catholique à leurs peuples.

Les condamnations qu’ils subirent les trouvèrent d’un calme imperturbable, parce que ces vaillants apôtres de Jésus-Christ étaient avant tout attachés à leurs devoirs plutôt qu’à leurs places. Aussi, s’en allèrent-ils, tranquilles et joyeux d’avoir été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Jésus-Christ.

Nous allons montrer combien nous grandissent la force d’âme et la constance inébranlable dont les deux pasteurs lamballais et les prêtres qui les imitèrent nous donnent de si beaux exemples.

MM. Milet et Brault furent avant tout des hommes de caractère dans toute l’acception du mot : or, le caractère, voilà le  trait distinctif de l’homme ici-bas, parce que l’homme dans ce bas monde est constitué dans l’épreuve et que l’épreuve est le criterium souverain du caractère. Le caractère est donc de faire face à la bonne comme à la mauvaise fortune ; le caractère est le ressort qui, selon sa force naturelle ou acquise, lance notre âme vers les hauteurs ou la laisse retomber et ramper tristement à terre ; le caractère est la trempe même de l’âme, trempe solide comme l’acier, ou molle comme le plomb, qui la rend propre ou impropre à soutenir les combats de la justice et de la vérité ; que dirai-je ? le caractère exprime la virilité, ou bien, si je puis m’exprimer ainsi, la féminilité de notre nature : « Esto vir, » sois homme, dit la Sainte Ecriture, et elle sait que rien n’est à la fois plus difficile et plus grand, plus rare et plus magnifique. Or, le caractère se compose de deux éléments essentiels : la dignité et la fermeté que MM. Milet et Brault possédèrent à un degré éminent.

Leur attitude devant leurs persécuteurs nous l’a déjà amplement démontré.

La dignité est une chose noble et rare : ce n’est pas la fierté, ce n’est pas la vanité, ce n’est pas le dédain la dignité est un juste sentiment de soi-même, une haute conscience de ce que l’on est, ou par nature, ou par grâce : « Homme ! nom sublime, dit Tertullien ; chrétien ! nom divin ! ». « Ah ! s’écriait un poète, ne laissez pas tomber à terre cette parcelle du souffle divin qui est en vous, que vous êtes ! ». Un autre célébrait cette même vertu en vers enthousiastes !.

Mais, qu’eussent-ils dit de l’homme régénéré, de l’homme racheté par le sang d’un Dieu, de l’homme chrétien, du prêtre, ministre de Jésus-Christ ?

Ah ! sa grandeur et sa beauté les eussent éblouis, et leur muse n’eût pas eu d’assez sublimes accents pour la célébrer ! Eh bien, cette grandeur et cette beauté naturelles, transfigurées par le christianisme et le sacerdoce, voilà les sources de ce sentiment, de cette conscience de soi-même que nous appelons dignité, dont les recteurs de Saint-Jean et de Saint-Martin nous ont donné un splendide exemple.

Leur fermeté fut égale à leur dignité. Pas l’ombre d’une faiblesse, de la plus petite hésitation chez eux. Dès la première heure de l’orage déchaîné contre eux, leur détermination fut irrévocablement arrêtée ; ni les menaces, ni les flatteries ne purent les en faire dévier un instant. La fermeté est une rare et belle vertu. Ce n’est point la dureté ni la violence ; c’est la force dans le droit et le calme dans la force. Les anciens nous l’ont peinte sous les traits de ce juste qui résiste aux menaces d’un tyran, aux fureurs populaires et reçoit, sans sourciller, sans fléchir, les éclats d’un monde brisé. Mais ce juste n’est qu’une fiction ou n’est qu’une exception. C’est le stoïcisme théorique et non pratique. La fermeté n’a point pour type un Epictète, un Zénon, un Brutus, un Caton ou un Sénèque ; mais elle a pour expression achevée, incomparable, sublime, divine, Jésus-Christ qui sait souffrir et se taire ; qui, dans le Lion de Juda, nous offre l'Agneau de Dieu et qui, succombant sous les coups de ses ennemis, prie pour eux ; et après Jésus-Christ, elle éclate, dans ces premiers chrétiens, dans ces apôtres qui répondent tranquillement : « Il nous faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes », dans ces martyrs qui, sans s’émouvoir, sans s’irriter, doux autant qu’intrépides, s’écrient : « Nous ne pouvons pas ! non possumus ! » et qui, avec ce simple mot, sauvegardent la conscience humaine, vengent le droit des atteintes de la force brutale !.

A la suite des deux pasteurs, modèles de fidélité à l'Eglise catholique, MM. Mettris de la Salette, François-Henri Le Moine, Sorgniard, chanoines de Notre-Dame ; Jean Hervé, vicaire de Saint-Martin ; Duchemin, aumônier du Grand Hôpital ; Jean-Baptiste Briosne, aumônier de l'Hôtel-Dieu ; René-Gilles Abgral, chapelain des Ursulines ; Henri Briosne, directeur de la Congrégation des hommes qui se réunissait dans la chapelle Sainte-Anne, tous de ces caractères qui ne connurent point de défaillance, préférèrent l’exil avec toutes ses souffrances à la honte du serment à la Constitution civile du clergé.

Les Clérivet, curé constitutionnel de Saint-Jean, les Dépagne, curé constitutionnel de Coëtmieux, et leurs acolytes, Louis Bichemin, chapelain de Saint-Barthélemy ; Michel-Gallet-Duclos, Jérôme Noël, chapelain de Saint-Fiacre, en Maroué ; Corbel, n’étaient pas les représentants de l'Eglise dont ils s’étaient séparés par leur serment schismatique et hérétique, mais les simples esclaves de leur profond et misérable orgueil et les plats valets des persécuteurs de l'Eglise.

Le 6 février 1791, à onze heures du matin, le Conseil général de la commune de Lamballe, réuni en vertu d’une décision prise la veille, se rendit précédé de son héraut et escorté de la Garde nationale à l’église Notre-Dame où des sièges avaient été préparés.

Il était triste et comique en même temps, m’a raconté un vieillard, témoin oculaire du fait, de voir M. Micault de Soullevile, doyen des chanoines de Notre-Dame, s’avancer, avec une énorme cocarde de rubans tricolores à son tricorne, entre deux tambours, couverts eux aussi de rubans aux mêmes couleurs, avec tous les autres prêtres renégats.

La cérémonie commença par le discours que prononça, avant la messe, M. le chanoine Micault, aumônier de la Garde nationale.

Voici ce discours tel qu’il a été inscrit au procès-verbal de la cérémonie, conservé aux Archives municipales :

« MESSIEURS,

Tout préambule me paraît ici assez inutile et serait peut-être taxé de prétention, d’affectation et d’ostentation : la démarche, l’action si grave dont vous allez être les témoins légaux et si respectables parlera d’elle-même et manifestera, mieux que les discours les plus éloquents, combien je suis persuadé qu’un prêtre doit singulièrement l’exemple du patriotisme, de la prompte soumission aux lois de l'Etat, de l’empressement à contribuer par tous les moyens au repos et à la tranquillité publique.

Oui, la circonstance de ce lieu sacré où nous sommes réunis, de la présence sacramentelle du Dieu de vérité et de sainteté, du moment redoutable où, revêtu des ornements sacerdotaux, je vais monter à l’autel pour y offrir la victime sans tache ; cette circonstance, dis-je, atteste le plus hautement que c’est après l’examen le plus sérieux, le plus mûr, que c’est dans la conviction la plus intime de ma conscience, en un mot, que c’est par religion même ! ! ! que, comme l’ont déjà fait plusieurs évêques (sur 135 évêques, il n’y en avait eu que quatre à prêter serment), curés et vicaires et des plus sages, je vais prêter le serment prescrit par le décret de l'Assemblée nationale du 27 novembre dernier ».

En ce moment, levant la main vers l’autel, il prononça le serment suivant :

« Je jure de remplir mes fonctions avec exactitude, d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du royaume décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. Maintenant, Messieurs, j’ose dire avec le saint roi David, prenant à témoin de la droiture et de la pureté de mes intentions le Dieu scrutateur des coeurs et qui sonde les reins : feci Judicium et Justitiam, non tradas me calumniantibus me ! ! ! ».

M. Micault descendit de la chaire au milieu des applaudissements des révolutionnaires présents, mais non de la portion saine de l’auditoire qui resta froide et indignée d’un pareil langage, monta à l’autel et entonna le verset : Domine, salvam fac gentem, Domine, salvam fac legem, Domine, salvum fac regem.

Le discours que nous venons de citer suffit à lui seul pour donner une idée du trouble et de la confusion qui régnaient dans la tête de ce pauvre doyen dévoyé.

Selon lui, ce sont les évêques et les prêtres parjures, infidèles à leurs engagements les plus sacrés qui, seuls, ont le don de la plus haute sagesse !

Puis, il affirme que ceux-là seulement qui se soumettent aux lois impies de l'Etat, en reniant leur foi, ont le monopole du patriotisme.

En cela, il se faisait l’écho des énergumènes jacobins de cette époque. En effet, les jacobins répandus sur toute la surface du royaume représentaient les prêtres insermentés, qu’ils appelaient réfractaires, comme fomentant les troubles religieux, empêchant le peuple de payer les impôts, encourageant l’aristocratie à accaparer les grains nécessaires à la vie.

L’Assemblée accueillait avec transport ces accusations perpétuelles, et les journaux distribués à la populace qui savait un peu lire et ne doute jamais de ce qu’elle lit, répandaient partout les accusations portées contre les prêtres fidèles, comme l’objet saillant de chaque séance.

Des commissaires furent envoyés dans les provinces pour constater quelques-uns de ces prétendus crimes : mais aucun fait ne vint confirmer les délations.

Les rapports des commissaires, accordant quelque chose à la philosophie du jour, traitaient les prêtres non assermentés de superstitieux, de fanatiques attachés à leurs idées, mais ils disaient aussi expressément qu’ils n’avaient pas trouvé un seul coupable parmi eux.

Malgré ces déclarations, l’on n’en continua pas moins de représenter, mais toujours sans pouvoir nommer aucun coupable, les prêtres non-jureurs comme des séditieux, des rebelles et comme les plus grands ennemis de la patrie.

L’un des jacobins les plus exaltés, François de Neufchâteau, alla jusqu’à dire dans sa haine de sectaire : « que les prêtres réfractaires étaient tous essentiellement ennemis de la patrie parce qu’ils croyaient à la confession, à la sainteté du célibat religieux, à l’autorité spirituelle du Saint-Siège et à celle de l'Eglise ». En un mot, ce prêtrophobe attaquait le clergé catholique par ce qui devait être sa splendide justification.

Voilà les idées dont M. Micault se faisait l’écho, sans doute, d’une manière inconsciente.

Il ne savait pas davantage ce qu’il disait quand il ajoutait : « que c’était après l’examen le plus sérieux, le plus mûr et par religion même qu’il prêtait le serment schismatique et hérétique ».

En effet, pour peu qu’il eût réfléchi, il eût vu de suite qu’en agissant ainsi, il niait l’autorité doctrinale, infaillible de l'Eglise catholique et tombait dans l’hérésie du libre examen, base du rationalisme protestant.

Il n’a cure de savoir ce que le Chef suprême de l'Eglise, le Vicaire de Jésus-Christ, son Evêque légitime, Mgr. Regnault de Bellescize et leurs représentants attitrés pensent du serment qu’il prête avec une incroyable légèreté.

Il semble n’en avoir nullement besoin ; sa réflexion, sa manière de voir, à lui, Micault infaillible, lui suffit ! Quelle aberration ! ! !

Je ne m’étonne plus qu’un vénérable prêtre me rapportant le jugement que portaient sur lui ses contemporains, m’en faisait le portrait suivant : « Le chanoine Micault, bien que doué d’une certaine faconde, manquait absolument du plus vulgaire bon sens. C’était un cerveau déséquilibré avec une imagination dévergondée. Imbu des idées jansénistes poussées à l’extrême, il disait tout haut que l’on allait revenir au temps de la primitive Eglise. Bref, il était dépourvu de jugement et de toute vraie science ecclésiastique » (Paroles du chanoine Le Breton La Touche, mort recteur de Saint-Martin).

Il le prouva d’autant mieux, qu’il ne voyait pas, le pauvre insensé, que sous prétexte de revenir à un christianisme plus pur, plus évangélique, il devenait hérétique du même coup, puisqu’il répudiait par là-même le catholicisme.

Il y avait chez lui une grande faiblesse intellectuelle qui le rendait incapable de discerner la limite qui sépare l'erreur de la vérité, et de suivre un raisonnement dans toutes ses déductions et ses conséquences.

Il nous rappelle ce personnage de comédie qui, dans une veine de bon sens admirable, s’écrie :

« Raisonner est l’emploi de toute ma maison, Et le raisonnement en bannit la raison ».

Eh bien ! voilà le fait du chanoine Micault : il était raisonneur et point du tout raisonnable ; mais, en revanche, doué d'une forte dose d'orgueil, comme tous les hérésiarques.

Malgré les avertissements de ses charitables confrères et les appels réitérés qu'ils firent à sa conscience de prêtre, malgré les avanies qu'il reçut partout où il alla comme curé constitutionnel, il persista dans le schisme avec un entêtement vraiment incompréhensible.

Comme nous le verrons plus tard, les religieux Augustins donnèrent le même scandale. M. Méheust, sacriste de Saint-Jean, Mahé Bernard et Grolleau-Kervot, s'ils ne prêtèrent, pas serment, parce que la loi n'y obligeait alors que les prêtres titulaires de bénéfices, ne s'en adjoignirent pas moins aux assermentés en assistant à leurs offices et leur prêtant tout leur concours comme prêtres. En agissant ainsi, ils se faisaient leurs complices et leurs approbateurs.

Le 6 février 1791, jour de triste mémoire, les prêtres demeurés fidèles s'absentèrent de Lamballe pour n'être pas témoins de la chute lamentable de leurs lâches confrères. Nous avons dit plus haut que les prêtres-jureurs n'avaient aucune dignité, aucun respect d'eux-mêmes. Louis Bichemin, ancien chapelain de Saint-Barthélemy, et le célèbre Micault ne tardèrent pas à en donner une preuve éclatante. La honteuse servilité qui les animait les poussait jusqu'à déférer à la censure de la commune l'Ordo diocésain de 1791 ! Cet acte de sotte platitude n'a pas besoin de commentaires.

Ces nouveaux docteurs avaient besoin d'être tranquilles dans leur révolte contre l'Église. Vers la fin d'avril ils se montrèrent fort inquiets de la publication d'une fausse Bulle (sic) du Pape Pie VI dont, disaient-ils, « les exemplaires se répandaient avec une scandaleuse profusion ».

Cette Bulle, comme tout le monde le sait, était bien réellement authentique. Tant d'iniquités commises avaient mis le comble à la longanimité du Père commun de toutes les églises. Après un sérieux examen, le Souverain Pontife avait adressé deux bulles aux évêques de France : l'une en date du 10 mars, l'autre du 13 avril de cette même année 1791.

La première était spécialement destinée aux évêques députés à l'Assemblée. Le Pape y discutait plusieurs articles de la Constitution civile du clergé, et déclarait qu'elle était un chaos de schisme et d'hérésie.

La seconde était adressée aux évêques, au clergé et aux fidèles de France. Pie VI y cite avec éloge « l'exposition des principes sur la Constitution du clergé ; déplore vivement la défection des quatre évêques et surtout de celui qui a livré ses mains pour la consécration des constitutionnels. Il ordonne à tous les ecclésiastiques qui ont prêté le serment de le rétracter dans quarante jours, sous peine d'être suspens de l'exercice de tous ordres et soumis à l'irrégularité, s'ils en font les fonctions. Il déclare les élections des nouveaux évêques illégitimes, sacrilèges et contraires aux canons, aussi bien que l'érection des nouveaux sièges. Il prononce enfin que les consécrations sont criminelles, illicites et sacrilèges, et que les consacrés sont privés de toute juridiction et suspens de toutes fonctions ».

Les jacobins essayèrent de contester la valeur de ces deux Bulles pontificales, parce qu'elles n'étaient pas adressées aux évêques de France dans les formes ordinaires, mais il n'en resta pas moins évident que le Souverain Pontife avait parlé. Malgré les négations et les contestations de ces sectaires, la condamnation solennelle du Chef de l'Église et l'excommunication qui l'accompagnait n'en frappèrent pas moins tous les évêques et prêtres sacrilèges.

Mgr. de Bellescize, évêque de Saint-Brieuc, qui habitait Paris depuis un certain temps et allait y être bientôt emprisonné et y mourir en 1796, avait été l'un des premiers à souscrire l'admirable Exposition des principes, rédigée par Mgr. de Boisgelin, archevêque d'Aix, et dont Pie VI fit un si bel éloge dans sa Bulle du 13 avril 1791. Nous ne pouvons nous dispenser de citer le portrait que fait de notre saint évêque le chanoine Le Sage, dans ses Mémoires : « Si les saints Canons, dit-il, le trouvèrent en faute sur le devoir de la résidence, la religion n'eut qu'à se glorifier de son courage dans la tempête dont elle se voyait agitée. Sa conduite fut digne des premiers défenseurs de la foi. Il la confessa jusque dans les cachots où il contribua puissamment à la conversion du Quintilien français, le célèbre littérateur Laharpe. Il est donc inutile de dire que Mgr. de Bellescize refusa le serment ».

L'application de la Constitution civile, les prestations et les refus de serment, les élections des évêques et des curés schismatiques avaient jeté un trouble profond dans tous les diocèses et dans le nôtre en particulier. La guerre religieuse était commencée et allait se poursuivre avec fureur. Mgr. de Bellescize, avant de mourir, eut la tristesse de voir le scandale d'une élection schismatique dans sa cathédrale. Ici, nous allons laisser la parole à M. le chanoine Le Sage qui fut témoin des faits :

« On s'occupa bientôt, nous dit-il dans ses Mémoires, de nomination à la place de l'évêque insermenté de Saint-Brieuc, d'un successeur constitutionnel, qui, selon les lois nouvelles, devait être faite par l'assemblée des électeurs du département composée de 600 membres environ. Elle se tint dans la cathédrale, au commencement de mai 1791, et l'on remarqua qu'il y manqua prés du tiers de ceux qui étaient appelés à voter... L'assemblée qui devait l'élire vit dans son sein un certain nombre de prêtres assermentés ; et, à sa tête, l'un d'entre eux procureur général, syndic du département, le sieur Arme, qui fit plus tard l'abjuration publique de son état …. Ce mécréant en soutane ne demandait pas mieux que de se voir évêque, mais il n'était pas éligible, n'ayant pas cinq ans de prêtrise. Il se crut du moins assez d'influence pour faire tomber le choix sur l'homme qu'il jugerait lui convenir. La classe des assermentés avait ses gros bonnets, qui tous aspiraient à la mitre constitutionnelle. Les plus marquants étaient : Hillion, recteur de Saint-Michel à Saint-Brieuc ; Corbel, recteur de Langueux, qui obtint plus de 60 voix ; Baschamp, religieux de Beauport et prieur, curé de Pordic ; Mauffray, prieur-conventuel de l'abbaye de Bégard. Mais ces flatteuses espérances furent déçues et le résultat du scrutin fut, à une grande majorité, en faveur de Jacob, recteur de Lannebert, petite paroisse près de Lanvollon. Muni de son procès-verbal d'élection, il se mit en route pour Paris, afin d'y recevoir la consécration épiscopale. C'était, ajoute-t-il, un vrai rustre, mais il avait du bon sens, de la probité et des moeurs sans reproches ».

Ce que ne dit pas le spirituel chanoine et qui se racontait alors, c'est qu'une étude de huit heures dans sa théologie lui avait suffi pour le convaincre qu'il pouvait accepter la crosse et la mitre. C'est avec une légèreté coupable qu'il accepta de jouer un des rôles les plus criminels.

Dès le 7 mai, la municipalité de notre ville se réunit en délibération et décida qu'elle irait en corps au-devant de lui pour le recevoir à son passage à Lamballe, qu'un détachement de la garde nationale se rendrait à Saint-Brieuc pour assister à son installation et que tous ses membres se feraient un devoir de partager cet honneur avec les municipalités voisines. Rennes avait donné l'exemple, on devait le suivre.

D'après M. Le Sage, « il revint de Paris et consomma son intrusion, le jour de la Pentecôte, le 12 juin 1791, par une pluie torrentielle qui n'empêcha point une manifestation patriotique, une honteuse procession ou plutôt mascarade où figura le nouveau prélat en soutane violette et ceinture tricolore pendant que deux personnages, Syncelles d'un nouveau genre, lui donnaient le bras pour voiturer plus aisément la quantité de matière qui servait d'enveloppe à son intelligence ».

A peine arrivé, Jacob choisit ses vicaires, il appela près de lui, en cette qualité, Louis Bichemin, ex-chapelain de Saint-Barthélemy, et Michel Gallet-Duclos, pour lors officier municipal. Leur zèle ardent pour les idées révolutionnaires l'avait sans doute frappé lors de son passage à Lamballe. Leurs flagorneries, à défaut de science et d'aptitude, les avaient désignés à son choix.

Sur cent prêtres qui avaient fait défection dans notre diocèse, 75 assermentés seulement avaient assisté à sa prise de possession ; il s'empressa de les envoyer dans les paroisses avec un faux semblant d'institution canonique.

Charles Micault de Soutteville fut nommé curé de Meslin ; Jean Verne, dépouillé de son prieuré des Augustins, accepta Saint-Martin ; Jean-Francois Clérivet, né à Erquy, prêtre assermenté de Cohiniac, vint à Saint-Jean de Lamballe ; le 19 juin il fut installé dans l'église Notre-Dame en présence des corps constitués et prêta serment pour la seconde fois. Il y fut fidèle, et, en âme basse et servile, il souscrivit dans la suite à toutes les demandes les plus insensées et les plus odieuses que l'administration civile lui adressa. Ce fut alors que le vicaire épiscopal Bichemin pria la municipalité de choisir une église paroissiale ; le dépouillement du scrutin, car tout se faisait d'après le suffrage universel ou restreint, désigna l'église Notre-Dame ; celle de Saint-Jean fut reconnue comme oratoire national.

Lors de la fête nationale du 14 juillet, Clérivet ne craignit pas de célébrer la messe sur l'autel de la patrie, toutefois après avoir consulté son évêque. Il eut beau faire du prosélytisme, il n'obtint jamais le plus petit succès ; nous devons le dire à l'honneur des paroissiens de Saint-Jean, pendant tout le temps que dura le schisme constitutionnel, l'église demeura vide la plupart du temps.

On n'y vit, m'a raconté un vieillard, témoin oculaire, que quelques curieux, des salariés de l'État et des gens sans aveu, mais la masse de la population ne voulut jamais prendre la plus petite part aux cérémonies de l'intrus qui fut constamment l'objet du mépris public.

Clérivet pouvait lire, en pleine rue, sur la figure des catholiques lamballais, le mépris qu'il leur inspirait, car jamais personne ne le salua, et il les voyait avec dépit éviter sa messe, comme ils auraient évité celle d'un pope russe.

L'on supplia l'évêque de circonscrire les limites de la paroisse, d'établir une succursale à Saint-Martin et de donner l'autorisation au sieur Clérivet de choisir un vicaire pour la desservir : « C'était, écrivait-on, le moyen le plus sûr de ramener l'ordre, l'union et la concorde que l'on ne peut d'ici longtemps voir renaître sans cela » (Archives municipales).

L'évêque Jacob agréa leur demande ; mais, comme bien on le pense, sa décision ne put aucunement faire renaître la paix et l'union tant désirées.

Si Mgr. de Bellescize, l'évêque légitime de Saint-Brieuc, ne pouvait plus correspondre avec son clergé, il avait laissé pour le suppléer, au milieu de ses ouailles, une sentinelle vigilante, M. Manoir, vicaire général, l'homme très actif, d'une doctrine sûre, très versé dans la science ecclésiastique. Sa fidélité au devoir était à toute épreuve ; son courage, sa sagesse et sa prudence en faisaient un prêtre du plus grand mérite qui se dépensa pendant toute la tourmente révolutionnaire à encourager prêtres et fidèles dans leur attachement à la foi catholique.

Le zèle des constitutionnels en souffrait singulièrement et le sieur Clérivel, lui-même s'en plaignait amèrement.

La municipalité révolutionnaire, en vue d'arrêter et d'emprisonner plus facilement les suspects lorsque le moment sera venu, décida de désarmer tous les citoyens « d'un caractère faible », c'est-à-dire, tous ceux qui étaient soupçonnés de ne pas voir favorablement le nouvel ordre de choses : les lettres furent interceptées et tout un système d'espionnage et de tracasseries fut organisé.

S'il faut en croire ce qu'ont raconté à ce sujet des vieillards contemporains de cette triste époque, certains édiles révolutionnaires de notre petite ville rivalisèrent de zèle pour le vil et honteux métier de mouchards. Le fait suivant, que nous avons entendu raconter par des personnes absolument dignes de foi, le prouverait amplement.

Un adjoint était, tellement possédé de cet esprit de délation que, chaque jour, à l'arrivée de la malle-poste et des diligences, il s'empressait de se rendre à l'Hôtel de la Grand'Maison, rue Saint-Lazare, pour demander leurs passeports aux citoyens voyageurs.

Un jour d'hiver donc, cet enragé inquisiteur, ceint de son écharpe tricolore, arrive à l'hôtel du citoyen Revel et trouve un voyageur, les pieds sur les chenets du foyer où brillait un bon feu, et absorbé par l'examen de papiers qu'il compulsait avec la plus grande attention.

A son costume, à son air distingué, il se disait, déjà : « Voilà une bonne prise, car ce doit être un aristo ». Arrivé près de l'étranger, il lui dit d'un ton arrogant : « Citoyen, tes papiers ? ». « Mes papiers, reprit vivement le voyageur, sache que je m'appelle Jean-Bon-Saint-André (Note : Le représentant du peuple se rendait à Brest), représentant du peuple ! si tu ne files pas immédiatement, je te vais mettre mon pied quelque part ». Le lâche mouchard ne se le fit pas dire deux fois ; il s'enfuit prestement et devint moins zélé dans la suite pour cette sale besogne. Nous pourrions en nommer un autre qui se fit tellement honnir à cause des nombreuses victimes de ses dénonciations, qu'après la Révolution il était hué dans nos rues et poursuivi à coups de pierres, chaque fois qu'il se montrait.

Le 18 juin 1791, le Directoire lança un arrêté qui obligea « tous les prêtres non assermentés sans distinction à s'éloigner de 6 lieues de la paroisse où ils résidaient, si un prêtre constitutionnel y arrivait. Ils étaient passibles de six années d'emprisonnement pour administrer un sacrement, et celui qui les cachait encourait six mois de la même peine. La prison atteignait aussi quiconque aurait fait connaître la Bulle du Saint-Père contre la Constitution civile du clergé, ou qui aurait mal parlé de cette constitution ».

Après cela, nous le demandons, que pouvait faire au peuple la bénédiction, sur l'autel de la patrie, du drapeau tricolore qui venait de remplacer le drapeau blanc ? L'irritation publique et les désordres allaient croissant de tous côtés.

Dans le mois de septembre, on enferma au château de Dinan quarante prêtres fidèles qui y restèrent jusqu'à l'année suivante, époque à laquelle ils furent déportés ; cent autres furent emprisonnés à Saint-Brieuc, dans la communauté des sœurs de la Croix, transformée en maison d'arrêt ; et cela, quelques jours seulement après une amnistie publiée en faveur des prêtres non assermentés qui semble bien n'avoir été qu'un piège pour mieux s'emparer de ces derniers. Voilà comment on comprenait et comme l'on pratiquait la liberté et la loyauté.

La commune de Lamballe s'empressa avec joie de publier la nouvelle loi oppressive du 19 juin, et mit à l'appliquer un zèle digne d'une meilleure cause.

MM. Milet, Brault et tous les autres prêtres fidèles de notre ville ne se crurent pas obligés d'obtempérer à cette mesure draconienne. Malgré les plus grands dangers qu'ils couraient à chaque heure du jour et de la nuit, ils demeurèrent cachés çà et là, près de leurs ouailles, pour les encourager.

La loi que nous avons citée avait pour but de laisser le champ libre à la propagande des constitutionnels. Mais les auteurs de l'arrêté furent trompés dans leur attente ; ils ajoutèrent un nouveau ferment parmi les âmes chrétiennes qu'ils blessaient au vif, dans la plus chère des libertés, la liberté de conscience.

Aussi, il y eut dans notre catholique population une sainte émulation pour offrir un asile sûr à leurs pasteurs persécutés. C'était à qui leur eût donné la plus gracieuse hospitalité et les eût consolés au milieu de leurs épreuves. Ces vaillants prêtres comptaient pour rien leurs souffrances personnelles qu'ils étaient heureux d'offrir à Dieu pour le salut de la France, mais les crimes de leurs persécuteurs dont ils avaient guidé les premiers pas dans la vie leur arrachaient des larmes bien amères.

Leur tristesse redoublait quand ils les voyaient unir sacrilègement les prières de l'Eglise aux fêtes civiques, comme dans la fête pour la proclamation de la constitution au mois de novembre 1791, sur la place de la Croix-aux-Fèves, devant l'autel de la patrie et dans l'église Notre-Dame.

Le zèle à poursuivre les prêtres insermentés ne connaissait plus de bornes. L'abbé de la Goublaye de Nantois ayant été rencontré dans les rues de Lamballe, fut arrêté et, sur l'avis du conseil de la Commune, conduit par un gendarme à Saint-Brieuc.

Tout son crime était de n'avoir point de passeport, ni de certificat d'identité. L'on était inexorable pour tout homme simplement soupçonné d'être peu sympathique à la Constitution civile du clergé.

Les congréganistes des divers quartiers de la ville ayant demandé la permission de se réunir pour leurs exercices de piété dans leurs chapelles respectives, voici ce qui fut voté à cet égard, à la requête des citoyens Jérôme R… et Copin : « La présente demande est accordée aux conditions suivantes : 1° un prêtre assermenté présidera les réunions des dits congréganistes ; 2° la porte des chapelles où se feront ces réunions sera laissée ouverte tout le temps qu'elles dureront ; 3° les clefs des chapelles seront ensuite reportées à la municipalité » (Archives municipales).

Les congréganistes étaient trop bons catholiques pour accepter des conditions qui les eussent rendus complices du schisme, aussi s'empressèrent-ils de les refuser avec indignation. Mais ils ne renoncèrent pas pour cela à leurs pieuses réunions qu'ils firent quand même en secret dans des maisons particulières, pendant toute la Révolution.

En vertu d'un arrêté du Directoire départemental, daté du 18 juin 1791, l'on avait fermé, et pattefiché les chapelles de Saint-Barthélemy, de Saint-Sauveur et de l'Ave Maria qui s'appelait aussi Notre-Dame des Anges. Ce ne fut pas assez : le salut de la patrie exigeait beaucoup plus.

Aussi, un nouvel appel parti de Saint-Brieuc fut fait au zèle de l'administration lamballaise et à son amour du bien public. On lui imposa l'ordre de fermer encore les chapelles de Saint-Eutrope de la Moguelais, de Saint-Yves de Trémilia, de Saint-René de Launay, de la Guévière, de Notre-Dame de Maroué, et autres des environs qui n'étaient, d'après l'arrêté, « que des foyers permanents de fanatisme dans ce pays ». Il est triste, mais il est vrai de dire que les prêtres assermentés ne furent pas étrangers à ces odieuses mesures et que, d'ordinaire, ils furent les plus ardents instigateurs de la persécution contre leurs frères orthodoxes.

Cette fermeture de la chapelle fut suivie d'une dénonciation contre M. Henri Briosne, qui fut accusé « d'avoir excité les citoyens les uns contre les autres, surtout contre les prêtres soumis à la loi (sic), et d'avoir fomenté par ses dangereuses suggestions un soulèvement dans la rue du Bout du Val ».

Le citoyen Jacques Guillard lui reprochait d'avoir empêché sa fille de se marier devant le prêtre constitutionnel en lui disant, ce qui était vrai, que son mariage serait nul. Les femmes de la rue prirent parti pour l'abbé Briosne ; et, comme elles ont dans ce quartier la main aussi prompte que la langue vive, le pauvre Guillard reçut à cette occasion maints horions qui le rendirent plus prudent à l'avenir. Il savait ce qui l'attendait, au cas où leur voisin et ami fût molesté.

Malgré ce secours inattendu, M. Briosne n'en fut pas moins arrêté et conduit à Saint-Brieuc devant le Directoire du département. L'affreux crime qu'on lui reprochait n'était autre que ces paroles : « L'Eglise ne consiste pas dans des murailles, elle se trouve là où est le vrai pasteur ; si M. l'abbé Milet élevait un autel dans un champ, ce serait là que se trouverait la véritable Eglise : ceux qui suivent les prêtres-jureurs sur la terre, ne les suivront pas au ciel où ils n'entreront jamais, s'ils ne se rétractent pas » (Archives municipales).

Loin de nier ce propos, le généreux prêtre l'affirma avec courage devant ses juges qui, à son grand étonnement, se contentèrent de le blâmer et le renvoyèrent comme saint Paul en lui disant : « Ne prêchez plus cette doctrine, ou bien gare à vous ».

Le dimanche 29 avril 1792, une messe solennelle fut célébrée à Saint-Jean, pour demander à Dieu le succès de nos armes. Des musiciens, venus tout exprès de Saint-Brieuc, y exécutèrent plusieurs morceaux et l'office divin fut suivi de la prestation du serment : à ce moment, l'église retentit des cris mille fois répétés, comme à Lyon, devenu la Commune affranchie : vivre libres ou mourir.

Pouvait-on entendre, sans frémir d'indignation, ces paroles dans un temps où, pour vivre libres, les plus honnêtes citoyens étaient forcés de prendre le chemin de l'exil ?

Pour briser des résistances qu'ils n'ont pas su prévoir, ces inventeurs d'un culte auquel ils ne croient pas usent d'abord des procédés astucieux et violents que les Ariens employaient autrefois contre les orthodoxes, et ils en viennent bientôt à des persécutions sanglantes dignes des Dioclétien et des Néron.

L'Assemblée que nulle impiété, nulle contradiction et nulle extravagance n'arrêtaient quand il était question de persécuter les prêtres insermentés, prononça un décret terrible par lequel commença la série des plus affreuses lois de la Terreur. Voici quelques-unes des dispositions qu'il contenait :

1° La déportation, c'est-à-dire l'exil, l'exportation forcée des prêtres insermentés, aura lieu, comme mesure de police.

2° Seront considérés comme prêtres insermentés, tous ceux qui, assujettis au serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, c'est-à-dire tous les évêques, curés, vicaires et prêtres enseignants, ne l'auraient pas prêté ; ceux aussi qui n'étant pas soumis à cette loi, n'ont pas prêté le serment civique, postérieurement au 3 septembre ; ceux enfin qui auraient rétracté l'un ou l'autre serment.

3° Lorsque vingt citoyens actifs du même canton se réuniront pour demander la déportation d'un prêtre non assermenté, le directoire du département sera tenu de prononcer la déportation.

4° Dans le cas où les citoyens actifs formant la pétition ne sauraient pas écrire, elle sera reçue en présence du procureur-syndic par le secrétaire du district.

5° Le département ordonnera aux prêtres sujets à la déportation de se retirer, dans les 24 heures, hors des limites du district de leur résidence ; dans trois jours, hors des limites du département, et dans le mois, hors du royaume.

6° S'ils n'obéissent pas, les gendarmes seront requis pour les transporter de brigade en brigade.

7° Ceux qui resteraient ou rentreraient dans le royaume, après l'exportation prononcée, seront condamnés à la détention de dix ans (Moniteur des 26 et 27 mai 1792).

La progression de l'Assemblée dans les voies de la persécution était manifeste : les peines comminatoires du fameux serment du 27 décembre 1790 semblent tempérées à côté de celles qu'évoquait le nouveau décret. Alors l'on se bornait à chasser de leurs sièges et de leurs églises les évêques et les autres pasteurs ; en ce moment, l'on abandonne au caprice de leurs ennemis le soin de les chasser du royaume ; et cela, sans qu'ils aient besoin de fournir l'ambre de preuves contre les accusés.

Il suffit qu'un prêtre, non assermenté, ait déplu à vingt hommes haineux et ignares pour qu'il soit condamné à l'exil. Ce décret enhardissait tous les misérables qui, pleins de haine contre la justice et la vertu, se réjouissaient à la pensée de pouvoir commettre une mauvaise action.

Louis XVI s'étant affermi dans la résolution de ne plus rien sanctionner contre la religion, les agitateurs des provinces, excités par les meneurs de la capitale, poursuivirent plus que jamais les prêtres catholiques de leur fureur.

Toute leur ressource pour échapper à un danger imminent, était de recourir à quelques honnêtes citoyens qui, pendant les ténèbres, favorisaient leur fuite, leur trouvaient quelque barque sur la mer et les conduisaient à travers mille périls sur quelque terre hospitalière.

Les braves pêcheurs de nos côtes, de Saint-Quay-Portrieux, du Légué, d'Erquy, etc., rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver nos confesseurs de la foi, en les conduisant à Jersey, au péril de leur vie.

La difficulté de se cacher et d'échapper aux poursuites incessantes des sbires révolutionnaires augmentait chaque jour pour les prêtres fidèles et rendait leur séjour dans le pays de plus en plus impossible.

Aussi traqués que des bêtes fauves, accablés par les veilles, les privations et les fatigues que leur imposaient leurs continuels déplacements de jour et de nuit, sans parler des terribles émotions que leur faisaient éprouver à chaque instant les alertes, ils se virent forcés de prendre le chemin de l'exil.

Le 11 juin 1792, M. Milet quitta son troupeau qu'une aveugle et farouche persécution lui arrachait ; le soir, à 10 heures, il se confiait avec MM. Jean-Baptiste Sorgniard, chanoine, et Jean Hervé, vicaire, ses fidèles amis, aux dangers d'une mer moins agitée que la foule abusée.

Tous trois quittèrent le port de l'Erquy en jetant un regard voilé de larmes sur leur infortunée patrie, sans espoir fondé de la revoir. Une frêle barque de pêcheurs les reçut et les transporta loin de la ville chérie où ils laissaient tant de coeurs amis.

Quelques jours plus tard, MM. Mettris de la Salette, François-Louis Le Moine, chanoines de Notre-Dame ; Henri et Jean-Baptiste Briosne ; Alexis Brault, recteur de Saint-Martin, et Mathurin Duchemin, aumônier du Grand Hôpital, allèrent les rejoindre sur la terre étrangère, à Jersey, avec MM. Pincemin et Barbedienne, le 17 juin 1792.

M. l'abbé Brault avait quitté Lamballe dès le mois de novembre 1791 pour se réfugier en Ille-et-Vilaine, son pays d'origine, où il espérait échapper plus facilement aux recherches des révolutionnaires.

Après avoir bravé longtemps les bleus dans le pays de Fougères, exerçant partout où il le pouvait son ministère apostolique, il revint au pays de Lamballe, au mois d'avril 1792, et se rendit à Jersey comme nous venons de le voir.

De là, il partit pour Londres avec ses compagnon d'exil, et y vécut avec eux tout le temps de la Révolution. Son grand savoir et sa distinction lui valurent d'être accepté, comme précepteur, dans plusieurs familles appartenant à la meilleure aristocratie française que la Révolution avait jetées, elles aussi, sur la terre d'exil. Les ressources que l'abbé Brault put se procurer ainsi, il ne les employa pas seulement à sa propre subsistance, mais il se fit un bonheur de les partager avec plusieurs autres prêtres qui se plaisaient, après la période révolutionnaire, à redire sa générosité sans mesure.

M. Milet, son ami de coeur, qui l'avait éprouvée, aimait à rendre témoignage à sa charité fraternelle et lui en garda jusqu'à sa mort, la plus vive reconnaissance.

C'est dans cet exil que M. l'abbé Brault fit la connaissance de M. le duc de Montmorency dont il resta depuis le fidèle ami, et dont il recueillit même le dernier soupir sous la Restauration [Note : Notes que le savant auteur du Pouillé de l'Archidiocèse de Rennes, M. le chanoine Guillotin de Corson, a gracieusement mises à notre disposition]. La persécution s'accentuait de jour en jour. L'abbé de Nantois fut encore appelé à la barre du district ; mais,  pour éviter la déportation ou plutôt la mort, il s'enfuit en Angleterre. Sa noble et généreuse famille ayant semé ses bienfaits pendant plus d'un siècle dans le pays de Lamballe et de Maroué, nous devons un spécial souvenir à l'un de ses membres les plus illustres qui, du reste, était chanoine de Saint-Brieuc. C'était un véritable abbé gentilhomme, plein d'esprit et d'amabilité, homme du monde, et, avec cela, tout à ses devoirs de prêtre. Au commencement de la Révolution, il avait été un des notables envoyés par le clergé, de concert avec la noblesse et le Tiers-Etat, pour faire des représentations à Versailles, sur la marche du gouvernement, en ce qui concernait les privilèges de la province tout à fait mis de côté. Plusieurs se montrèrent tenaces dans leurs voeux et leurs remontrances et furent, pour ce motif, emprisonnés à la Bastille ; et, de ce nombre, fut l'abbé de Nantois.

Doué d'une grande intelligence et d'une élocution facile, il s'était montré, ainsi que tous nos bretons de ce temps, très énergique dans l'accomplissement de sa mission. Il partagea le sort de ses collègues, fut traité en factieux et ne s'en revint en Bretagne qu'après avoir fait un mois de prison à la Bastille. Quand vinrent les mauvais jours de la Terreur, il émigra à Jersey, revint de l'exil et mourut vicaire général de Saint-Brieuc.

Nous ne pouvons nous dispenser aussi de rendre hommage à l'un de ses contemporains, M. l'abbé de la Motte-Rouge, qui restaura la paroisse de Saint-Martin en 1829 et consacra la plus grande partie de sa fortune à créer des ressources à la fabrique. Il y mourut, et sa tombe se trouve vis-à-vis le portail sud de la plus vieille église de Lamballe (Souvenirs des campagnes du général de la Motte-Rouge, Tome 1).

Profitant du décret d'amnistie, il rentra à Lamballe dès la fin de 1801. Quoique n'ayant pas eu pendant ses longues années d'exil la vie dure et agitée de plusieurs de ses confrères dans le sacerdoce, il s'était vu dans la nécessité d'employer toutes les ressources de l'instruction solide qu'il avait reçue dans sa jeunesse pour pouvoir vivre.

Après un court séjour à Guernesey, il s'était fait adopter par quelques familles riches de l'île pour donner des leçons de français et de latin à leurs enfants. Il y joignait des leçons d'escrime qu'il avait beaucoup pratiquée pendant le cours de ses études, malgré sa qualité d'abbé, et sur laquelle il était d'une force supérieure. Il le prouva à plusieurs officiers de ses amis qui avaient voulu jouter avec lui et qui, à chaque fois, étaient boutonnés plus qu'ils ne l'eussent voulu.

Pendant tout son exil, menant une vie des plus austères, il avait voulu vivre de son travail, sans être à charge à personne. Il était chanoine de la cathédrale de Tréguier. Un des officiers les plus renommés de la marine anglaise de cette époque, le vice-amiral Saumarez dont il avait élevé les enfants, l'avait pris pendant son exil en telle amitié, que jusqu'à la fin de sa vie, il lui en donna les preuves les plus touchantes, en lui envoyant en France chaque année un cadeau qui attestait son sympathique souvenir.

Quand MM. Milet et Brault quittèrent leurs paroisses, ils emportèrent avec eux la douce consolation de les laisser admirablement préparées à la lutte. Quelques jours seulement avant leur départ pour l'Angleterre, ils avaient eu soin de faire distribuer dans toutes les familles chrétiennes de Lamballe, un excellent opuscule intitulé : Exercices à l'usage des catholiques qui sont privés des saints Offices. Vers le milieu du XIXème siècle, plusieurs exemplaires existaient encore dans notre ville. Nous sommes heureux de pouvoir donner quelques extraits de ces exercices à nos lecteurs : « Le jour du dimanche, y était-il dit, vous vous assemblerez en famille dans la matinée ; vous réciterez en commun les prières du saint sacrifice de la messe et vous terminerez par la lecture d'un chapitre du Journal des Saints, de l'évangile et de l'épître du jour. Au Dominus vobiscum, vous direz : Mon Dieu ! quand entendrons-nous votre ministre nous annoncer que vous êtes avec nous ? Quand le verrons-nous baiser l'autel ? Au Credo, vous direz : 0 sainte Eglise Romaine, je le crois, hors de vous l'on ne peut être sauvé. Les persécutions que vous endurez ne me scandalisent point ; elles affermissent au contraire ma foi puisque votre Divin Epoux vous les a prédites. Vous chanterez avant les vêpres, le cantique suivant : Seigneur, notre plus douce étude - Etait d'honorer ces grands jours. - Nos temples seront-ils pour toujours - Changés en une solitude ? (bis). Enfin vous terminerez la sanctification de ce saint jour par la récitation du chapelet pour le triomphe de l'Église Romaine et le salut de la France, et par des œuvres de charité chrétienne ».

Nous pouvons dire dès maintenant que les catholiques lamballais suivirent fidèlement les conseils de cet excellent petit livre ; nous en donnerons les preuves bientôt. Pour relever en quelque sorte le culte officiel, le parti révolutionnaire, loin d'interdire les solennités de la Fête-Dieu, avait envoyé partout des ordres pour qu'on lui donnât le plus grand éclat. L'on affectait et l'on ordonnait au besoin le respect qu'elle devait inspirer. L'habileté révolutionnaire avait ses desseins en encourageant des manifestations dont s'irritaient les jacobins ardents à cause de leur caractère religieux. L'heure de l'abolition de tous les cultes n'était pas venue, et Camille Desmoulins pouvait dire avec cynique franchise à Manuel, procureur de la Commune de Paris : « Les rois sont mûrs, mais le bon Dieu ne l'est pas encore ». Pour se conformer aux ordres reçus, le bureau municipal invita tous les corps administratifs, judiciaires et militaires à assister à la procession de la Fête-Dieu du 7 juin 1792 à laquelle la population de la ville ne prit aucune part.

Cette abstention générale étonna les révolutionnaires, qui étaient loin de s'y attendre, et en furent très irrités. Plus les prêtres fidèles s'éloignaient, plus les prêtres jureurs s'enhardissaient, quoique le mépris public les poursuivît sans trêve, ni merci. Le courage et la noble conduite de tant de prêtres catholiques en exil ou enfermés dans les maisons d'arrêt de Lamballe, de Saint-Brieuc, de Guingamp, de Dinan, faisaient contraste avec la lâcheté et le manque absolu de toute dignité des nouveaux pasteurs mercenaires. On les vit même, en plats valets des tyrans d'alors, associer aux cérémonies les plus saintes les plus odieuses parodies.

Clérivet nous en donne une nouvelle preuve en allant, le 7 juin, après la procession de la Fête-Dieu, prendre une bêche en compagnie du maire, du juge de paix, du président du tribunal, des commandants de la garde nationale et de la gendarmerie et de la société des amis de la Constitution, et cimenter d'une pelletée de terre la base de l'arbre de la liberté planté sur la place du Martray. Pendant cette cérémonie d'un ridicule achevé, des décharges réitérées d'artillerie se firent, entendre, et mille cris de : Vive la nation ! Vive la loi ! Vive le roi ! Vive la liberté ! Vivre libres ou mourir ! retentirent jusqu'aux extrémités de la ville.

Le Dissez, maire d'alors, qui s'était empressé de rogner son titre de Penanrun pour les besoins de son ambition de franc-maçon et de révolutionnaire, prononça le discours patriotique d'usage qui fut suivi, nous dit le procès-verbal de la séance du 7 juin, de nouveaux cris d'allégresse (Archives municipales).

A peine M. Milet et ses compagnons d'exil avaient-ils quitté la France, oublieux de leur devoir, disait le procureur de la commune, qu'on se hâta de mettre à exécution les lois portées contre les prêtres insermentés ; on les déclara traîtres à la patrie ; leurs biens furent placés sous le séquestre et on les traita comme émigrés.

Voici la copie textuelle de l'acte officiel par lequel les biens des prêtres lamballais en exil furent séquestrés.

« Lamballe 23 messidor, an II de la République une et indivisible :

Liberté. Égalité. Union.

L'administration du district de Lamballe au comité de surveillance révolutionnaire du chef-lieu.

CITOYENS,

Par délibération du 23 prairial, nous avons nommé des commissaires pour séquestrer les meubles et immeubles de Jean Hervé, ex-curé de Martin. S'ils n'ont pas rempli leur commission, ce n'est pas faute qu'on ne les en ait pressés. La loi est pour tous, on ne doit faire acception de personne. Les biens de Mettris et des deux Briosne sont saisis. La délibération pour le séquestre de ceux de Duchemin et d'Abgral, a été prise le 25 prairial ; les citoyens Pinault et Farault en sont chargés. Il reste encore plusieurs biens de prêtres à saisir ; on s'en occupera sans relâche, malgré les travaux multipliés de l'administration, mais le défaut des commissaires est un obstacle qui ralentira nécessairement la vivacité de notre marche.

Vive la Montagne !

Salut et fraternité.

GROLLEAU ».

Pendant que les révolutionnaires dépouillaient les prêtres fidèles de leurs biens patrimoniaux, en haine de la religion et de la manière la plus arbitraire et la plus injuste, les prêtres intrus Clérivet et Charles Micault, mus par la plus sacrilège cupidité, ne craignaient pas d'acheter des biens d'église.

Dans l'état des biens ecclésiastiques vendus dans le district de Lamballe depuis le 14 février 1791 jusqu'au 25 brumaire de l'an 4 inclusivement, que nous a prêté un ami de Saint-Brieuc, nous trouvons parmi les acquéreurs de ces biens : 1° au numéro 102, Clérivet, curé constitutionnel de Lamballe achète, le 13 juin 1791, deux pièces de terre, en Erquy, données pour fondation de messes au prix de 2.005 francs.

2° Au numéro 33, Charles Micault, de Lamballe, achète, le 21 décembre 1791, au prix de 1.500 francs, deux pièces de terre données pour fondation de messe à l'église de Maroué ; et, le 11 janvier 1792, il achète au prix de 895 francs, trois pièces de terre, données en fondation à l'église de Meslin.

Nous vous le demandons, chers lecteurs, où se trouvaient la noblesse de caractère, la dignité sacerdotale, le véritable amour de Jésus-Christ et de son Eglise qui va jusqu'au mépris de soi ? Etait-ce dans ces vils apostats, dans ces parjures qui, après avoir promis de défendre l'Église, foulent aux pieds leurs serments les plus solennels, pour devenir ses spoliateurs et ses ennemis acharnés, dans ces hommes, en un mot, qui, méprisant les intérêts de Dieu et des âmes pour lesquels ils ont reçu le caractère auguste du sacerdoce, se déshonorent en cherchant avant tout, malgré les terribles censures qu'ils encourent, les intérêts matériels et les satisfactions du plus dégoûtant égoïsme, ou bien dans ces excellents prêtres qui, pour rester fidèles à leurs engagements les plus sacrés, n'hésitent pas un instant non seulement à se laisser dépouiller de tout, mais encore acceptent généreusement de se voir arracher à l'affection de leurs père et mère, de leurs soeurs et frères, à leur patrie si chère pour se vouer à une vie toute de sacrifice et d'immolation ? La réponse est trop évidente et trop claire pour que nous insistions.

Après cela, il n'est pas étonnant que le citoyen Clérivet, voyant le vide se continuer autour de lui, eût éprouvé le besoin de s'attacher à ses nouveaux paroissiens pour lesquels il était un objet de répulsion.

Il crut qu'une visite de son évêque Jacob suffirait pour obtenir la réalisation de son désir : il la sollicita et il l'obtint, elle fut fixée au 9 octobre.

Etait-ce à dessein, un grand concours de peuple devant se trouver à Lamballe ce jour-là pour la foire saint Denis ? On peut le croire. Dès la veille, un membre de la municipalité annonça cette heureuse nouvelle à ses collègues et il fut décidé sur le champ qu'une garde d'honneur irait à la rencontre du prélat constitutionnel, que le conseil en corps lui ferait visite, que les curés de Saint-Jean et de Saint-Martin feraient de leur côté toutes les cérémonies en usage et avec la solennité accoutumée.

Malgré toutes ces précautions, l'enthousiasme fit absolument défaut. L'évêque Jacob eut beau étaler sa ceinture tricolore sur son large abdomen et distribuer ses bénédictions ; les chevaux, les vaches, les cochons et les moutons absorbèrent toute l'attention de la foule. Il n'eut pas même le succès des saltimbanques de la foire. Sa visite passa complètement inaperçue, au grand désespoir du sieur Clérivet.

Nous avons vu jusqu'ici avec quelle persévérante frénésie les révolutionnaires francs-maçons ont poursuivi eux-mêmes légalement l'abolition du clergé catholique. Délivrés des obstacles du veto royal, ils renouvelèrent d'abord le décret contre l'habit des prêtres ; ensuite, ils s'occupèrent de leurs personnes. Dès le 23 août, la commission extraordinaire législative proposa un nouveau décret sur le mode de déportation des prêtres, déclarant que tous les ecclésiastiques rebelles au serment devaient sortir du territoire français sous quinze jours.

La déportation n'était pas du goût de certains révolutionnaires qui désiraient un moyen plus expéditif pour se défaire du clergé ! Mais avant que la loi de mort fût portée, l'Assemblée nationale rendit, le 26 août 1792, un décret aussi barbare qu'impie (Moniteur du 25 et 28 août 1792).

En vil et plat serviteur du pouvoir persécuteur de notre sainte religion, le citoyen-curé Clérivet n'eut pas honte de publier, à la messe paroissiale de Saint-Jean, cette loi infime relative aux ecclésiastiques qui n'avaient pas prêté serment à la Constitution ou l'avaient rétracté, et énumérant les peines édictées contre eux. Il eut l'impudeur, tant il était aveuglé par un orgueil et une haine inconcevables, d'attester, par sa signature, la publication de cette loi draconienne.

Ce décret de l'Assemblée peut être regardé comme son premier acte d'homicide légal qui va être suivi sans tarder des massacres les plus horribles, comme pour montrer à l'univers que le coeur des impies recèle la cruauté des cannibales.

Du fond de leur terrible comité de surveillance, ces êtres, à figure humaine mais au coeur de tigre, déclarèrent que le décret porté par l'Assemblée contre les prêtres était trop doux ; ils lui substituèrent la mort. Marat avait proposé de déblayer d'une manière prompte les prisons en y mettant le feu. Le bourreau fut mandé ; interrogé combien il pourrait faire tomber de têtes en un jour sous la guillotine, il répondit : « cinq à six cents ». « En ce cas, lui dirent les municipes, nous n'avons pas besoin de toi ».

Ce service de mort leur parut trop lent, et ils choisirent dans chaque section les sujets les plus féroces pour égorger de pauvres prêtres auxquels l'on ne pouvait reprocher que leur attachement à la véritable Eglise de Jésus-Christ.

M. Edgar Quinet, a rendu toute l'horreur de ces égorgements dans une rapide esquisse, que nous sommes obligé d'abréger : « Ainsi préparés, dit-il, les massacres s'exécutèrent administrativement. Ce fut partout la même discipline dans le carnage. Le 2 septembre, les quatre voitures remplies de prêtres, parties de la mairie et laissées tout ouvertes, servirent à allécher les égorgeurs. Quand ce premier sang fut versé, la soif s'alluma. Les portes des prisons s'ouvrent d'elles-mêmes, nul besoin de les forcer. Les guichetiers avertis s'empressent, ils allument des torches, ils conduisent eux-mêmes une poignée de meurtriers ; ceux-ci se jettent sur les prisonniers qu'ils rencontrent d'abord. Cela fut accordé à la première fureur, à l'Abbaye et aux Carmes. Mais, presque aussitôt, un simulacre de tribunal se forme aux vestibules des prisons, les registres d'écrou sont apportés. Un homme en écharpe préside ; il se trouve autour de lui des inconnus qui se disent les juges. Maillard, de Versailles, reparaît pour présider à l'Abbaye. Les prisonniers sont amenés l'un après l'autre, escortés par des gardes. Ils comparaissent un moment ; les tueurs, les bras retroussés, à côté des juges, attendent, pressant la sentence. Sur un signe de M. le Président, suivi de ces mots : " A la Force ou à l'Abbaye ", les prisonniers sont livrés aux égorgeurs qui s'entassent à la porte. Ils se croient sauvés, ils tombent massacrés. D'abord, ils tuèrent d'un seul coup de sabre, de coutelas, de pique ou de hache ; puis ils voulurent savourer le meurtre et il y eut entre les bourreaux et les victimes une certaine émulation. Les premiers cherchaient les moyens de tuer lentement et de faire sentir la mort ; les autres cherchaient, par l'exemple, les moyens de s'attirer la mort la plus rapide. Cependant on avait apporté des bancs pour assister en spectateurs au carnage. Quand la fatigue commença, les meurtriers se reposèrent. Ils eurent faim, ils mangèrent tranquillement. Ils se firent fournir du vin qu'ils burent avec sobriété, craignant par dessus tout de ne pouvoir continuer leur tâche. Le nom qu'ils se donnaient était celui d'ouvriers, et ils savaient le nombre de victimes qu'ils avaient à livrer. A deux pas des égorgeurs, au milieu de la vapeur du sang, siégeaient quelquefois des administrateurs ; ils continuaient à expédier les affaires civiles dans ces bureaux d'égorgements. Tels furent les massacres à l'Abbaye, aux Carmes, à la Force, à la Conciergerie, à Bicêtre, dans les huit prisons de Paris. Après ce que l'on pouvait appeler la surprise de la première heure, ils recommencent le lendemain avec plus de sécurité, puis le surlendemain, pendant quatre jours. Ou plutôt, il n'y eut aucun intervalle ; la seule différence du jour à la nuit, c'est qu'on illuminait les cours pendant la nuit, pour voir clair dans cet abattoir. Car jamais les égorgeurs ne cherchèrent à se cacher dans les ténèbres ; au contraire, ils allumaient des lampions près des cadavres, pour que l'on vit à la fois l'ouvrage et l'ouvrier » (La Révolution, par Edgar Quinet, tome 1, page 382 à 383).

« Ce qu'il y a de monstrueux dans ces massacres, dit M. H. Wallon, c'est qu'on n'y voit pas une fureur qui enivre et qui emporte, c'est une besogne qui s'exécute, c'est un égorgement à froid, régulier, méthodique, exécuté sous l'oeil de l'administration » (La Terreur, tome I, page 46).

Cela s'explique, car nous savons aujourd'hui par les savantes recherches qui ont été faites sur la Révolution dans notre siècle, que les vrais coupables, Marat, Danton, Robespierre, Manuel, Billaud-Varennes, Panis, Sergent, Fabre d'Eglantine, Camille Desmoulins étaient non seulement dévoués à la franc-maçonnerie, mais y possédaient les plus hauts grades. C'est des loges maçonniques que partit le signal de ces affreuses hécatombes. L'exemple de la capitale gagna bientôt les départements où des émissaires, envoyés de Paris par la municipalité avec des ordres signés par Danton, provoquaient les mêmes barbaries.

« Il serait impossible de compter le nombre de prêtres immolés, dit Ludovic Sciout, pendant ces jours à jamais néfastes ; il a été incalculable à Paris, il l'a été davantage dans les provinces par les troubles longs et cruels, par les vengeances privées qui, ayant présidé à ces assassinats, ont empêché d'en suivre les traces. A peine y eut-il quelques villes où l'on ne vit pas des scènes de barbarie analogues à celles de Paris. C'était partout des exécutions atroces, des feux allumés où l'on précipitait les victimes, des cortèges hideux où la populace promenait en triomphe leurs restes sanglants, des jeux épouvantables où leurs cadavres palpitants servaient d'amusement et de spectacle à leurs bourreaux. On eût dit que ces malheureux proscrits n'étaient plus des hommes, tant leurs assassins avaient perdu les traits de l'humanité. On eût pris les amis de Dieu pour des criminels, tant les fauteurs de l'impiété s'efforçaient de les faire disparaître. Mais la Révolution consacrait les principes qui l'avaient fait naître : elle avait commencé par être impie, elle devait s'accroître en devenant sanguinaire ; car, lorsque l'homme n'admet plus de frein, ni dans les cieux, ni aux enfers, en un mot, quand il ne croit plus à un Dieu infiniment juste, vengeur du crime et rémunérateur de la vertu, il s'adore lui-même et son orgueil dégénère en cruauté. N'était-ce pas dans le temps que les Romains élevaient à Néron ses apothéoses qu'ils brûlaient tout vifs de pauvres chrétiens, enduits de poix et de bitume, dont ils faisaient des torches vivantes tout autour du Colysée ? » (La Constitution civile du clergé, tome II).

Les prêtres fidèles de Lamballe auraient sans aucun doute été victimes de cette haine farouche, s'ils n'avaient gagné à temps, comme tant d'autres, la terre hospitalière de l'Angleterre qui, en présence de leur si affligeante infortune, fit taire la voix de ses préjugés pour ne laisser entendre que celles de son admiration et de sa bienfaisance en faveur de la vertu et de la piété opprimées.

A l'occasion d'une victoire remportée par l'armée française sur l'ennemi, il y eut à Lamballe une fête des plus bruyantes. Le citoyen-curé de Lamballe (style officiel) fut prié de chanter un Te Deum ; et, pour la première fois, bien des voix avinées chantèrent et répétèrent à l'envi l'hymne devenu célèbre de Rouget de l'Isle, la Marseillaise, des illuminations générales furent commandées. De nouveaux succès amenèrent de nouvelles fêtes ; le 18 novembre une messe fut célébrée à Saint-Jean vers sept heures ; une seconde plus solennelle fut chantée à 10 heures, à Notre-Dame, en présence des corps constitués et de toute la troupe ; enfin, un feu de joie fut allumé sur l'esplanade du château, avec accompagnement de la Marseillaise chantée en choeur : c'était, comme aujourd'hui, l'hymne obligatoire. Quand il fallut payer les frais de toutes ces fêtes, la municipalité se vit dans la nécessité de déclarer que cela lui était impossible, la caisse de la ville étant à sec ; alors, avec une désinvolture vraiment charmante, elle laissa le soin de payer au district et au département qui, paraît-il, se montrèrent bons enfants pour la circonstance.

(le diocèse de Saint-Brieuc durant la période révolutionnaire).

 © Copyright - Tous droits réservés.