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LE PAYS DE DOL DURANT LA REVOLUTION DE 1789.

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LOI DU 2 NOVEMBRE. — SUPPRESSION DU CHAPITRE DE DOL. — ÉTABLISSEMENT DU DISTRICT.

Les États-Généraux s'étaient ouverts à Versailles, le 4 mai 1789, Déjà nous avons dit que le Tiers-État seulement y envoya ses mandataires, le haut clergé et la noblesse ayant refusé d'y envoyer leurs députés. Les trois ordres ne tardèrent pas à se réunir en une assemblée nationale, qui commença par mettre à néant toutes les institutions vermoulues de l'antique monarchie, et se donna la mission de mettre tout à neuf. Un décret du 2 novembre 1789 déclara propriété nationale tous les biens du clergé. Un autre, du commencement de l'année 1790, ordonna la prestation du serment à la nation, à la loi, au roi. Chez nous, cette cérémonie eut lieu le 21 mars, dans la cathédrale, en présence de toutes les corporations civiles et religieuses de Dol. Après un discours fort révolutionnaire du maire Thomas-Jacques Corbinais [Note : Thomas Corbinais, né à Miniac-Morvan, où son père était cabaretier, mourut à Dol, en mars 1822, dans la rue Ceinte, où il habitait une ancienne maison canoniale], le seigneur évêque prit la parole et prononça une allocution qui suscita des murmures, à cause des restrictions que le prélat faisait à l'endroit des nouvelles lois sur le clergé (Registre municipal, 1790).

Si d'un côté ce nouvel ordre de choses était mal accueilli, d'un autre il l'était très-favorablement par la jeunesse, qui aima toujours les innovations. Ainsi, quinze volontaires ayant été demandés au tirage de la milice, trente-deux s'inscrivirent sur le registre municipal, qui a conservé leur engagement et leur signature. Parmi ces noms, que nous recueillons avec respect, car ils sont ceux de défenseurs de la patrie, nous lisons ceux de François-Pierre Hamelin — Basillé — François Fatus, Olivier Maufrais, etc.

1790. — L'Assemblée nationale ayant divisé la France en quatre-vingt-trois départements, partagea celui d'Ille-et-Vilaine en neuf districts. Dol devint le chef-lieu de l'un d'eux. L'élection des administrateurs eut lieu le 6 août, dans l'église des Carmes, et donna pour résultat les noms suivants : Louis-François Gaultier, procureur-syndic ; Laurent Chevetel, président ; Hodouin, vice-président ; Rapinel, Gesbert, Canet, Garnier, Herbert, Plainfossé, Macé, secrétaire.

Après avoir tenu quelque temps leurs séances dans l'auditoire de l'ancienne juridiction royale, située sur le Dos-d'Ane, vis-à-vis la maison des Pallets, les administrateurs allèrent s'établir au palais épiscopal. Le prélat dolois l'avait abandonné de lui-même pour se retirer au séminaire de l'Abbaye ; mais il n'en avait pas été chassé, comme le suppose gratuitement M. Tresvaux, inexact en cette circonstance. Nous ne sommes nullement le champion des administrateurs ; mais l'assertion de M. Tresvaux est si peu vraie, que Mgr de Hercé, en quittant son palais, avait invité l'administration à venir s'y installer ; ce dont elle s'excusa jusqu'à ce qu'elle en eût obtenu la permission du directoire du département (Abbé Tresvaux. — Histoire de la Révolution en Bretagne, t. I. — Registres du district).

La nouvelle division de la France n'admettant qu'un évêché par département, celui de Dol avait été déclaré supprimé : le district avait reçu ordre de procéder à la suppression du chapitre [Note : Cette opération eut lieu le 19 novembre, aux trois heures de l'après-midi. Les administrateurs Thomas Corbinais, Joseph Hodouin, Augustin-Henry de la Bigne, se transportèrent pour cet effet à la cathédrale, en compagnie du procureur-syndic, Louis-François Gaultier, et du secrétaire, Gilles-Jean Macé. — Le procès-verbal de la suppression existe aux archives départementales], et cette suppression avait été exécutée par une commission présidée par Thomas Corbinais, naguère procureur et notaire « de la juridiction du vénérable chapitre » [Note : Venu à Dol vers 1770, Thomas Corbinais avait été fort heureux d'y trouver la protection du chapitre, pour sortir de l'obscurité, où il aurait dû toujours rester]. Bien plus, la cathédrale avait été fermée le 20 novembre ; tout office avait été interdit.

Ainsi se terminait l'année 1790, qui avait vu supprimer l'antique évêché de Dol, établi depuis plus de 1500 ans.

 

SERMENT CONSTITUTIONNEL. — LE COZ. — GUILLOT. — CONSPIRATION LA ROUAIRIE. — ÉLECTIONS A DOL.

Depuis longtemps, une loi du 12 juillet 1790 avait imposé au clergé le serment à la constitution civile, mais ce n'est qu'au commencement de 1791, que nous voyons prêter les premiers serments. Il y eut peu de prêtres séculiers du diocèse de Dol à prêter le serment : il n'en fut pas de même du clergé régulier, et les archives du district de Dol nous apprennent que quatre religieux de la Vieuxville [Note : Dom Louis Flour. Prieur. — D. J. B. Delfosse. — D. François Asséré. - Dom Gabriel Gilbert], et deux du Couvent des Carmes (Les PP. François Berte, d'Angers, prieur, et Pierre Martin de Rennes) se soumirent à cette formalité, qui, de nos jours, est devenue une risible banalité. A vrai dire, il n'y eut à prêter le serment que de mauvais moines défroqués, des prêtres interdits ou mal avec leurs évêques, et auxquels il tardait de se soustraire au joug de l'obéissance. Du reste, les quelques curés qui consentirent à prêter le serment furent tous plus on moins abreuvés d'amertume. A Mont-Dol, le 31 janvier 1791, le curé L.-C. Lesénechal ayant prêté serment au prône de la messe paroissiale, le maire, Julien Desmots l'insulta publiquement, en lui disant « qu'il est indigne de confesser ....., qu'on pourra bien le chasser de la paroisse ». A Carfantin-le-Noble, le sacristain monte dans la chaire après le recteur, et déblatère contre le serment. A Baguer-Morvan, dit Coblentz, une troupe de femmes en furie viennent assiéger le district, hurlant qu'elles ne veulent pas de l'intrus Mauger, et qu'elles ne reconnaîtront jamais que la religion catholique (Registres des délibérations du district, folio 107).

Au reste, cette résistance du clergé était alimentée par la résistance de l'évêque de Dol, conseillé dans sa conduite par le supérieur du séminaire, l'Eudiste Pierre Delaunay, de Miniac-Morvan. Tout récemment il avait publié un mandement dans lequel il protestait contre la suppression de son siège et de son chapitre ; ce mandement avait fait bruit et avait été déféré au district par le procureur-syndic, Gaultier, qui avait conclu à ce que M. De Hercé fut dénoncé au tribunal « comme réfractaire aux lois ».

Malgré cette petite guerre du clergé, le district de Dol n'en continuait pas moins le cours de ses opérations. Dès le commencement de 1790, les inventaires avaient été dressés : à la Vieuxville, par le maire d'Epiniac, Jean Flaux ; au séminaire, par le maire de l'Abbaye, Blandin de Mutelien ; aux Bénédictines, par les administrateurs du district, Joseph Hodouin, Malhurin Garnier, Thomas Corbinais.

Depuis quelque temps déjà, ces établissements avaient été évacués par leurs anciens possesseurs. Seul, le séminaire résistait toujours, ayant à sa tête l'Eudiste Delaunay, déjà cité, homme d'une force de caractère peu commune, et qui jouait plaisamment les administrateurs. Toutefois, cet état de choses allait avoir un terme.

Le 11 juin, les administrateurs Pinson, Delabigne, Fristel, Gaultier et Macé, s'étant rendus au séminaire, les scellés furent apposés, et le 21 du même mois l'abbé Delaunay, ses quatre confrères « recevaient ce que la loi leur accordait, » avec ordre de vuider le local.

Peu après (2 août), on faisait la vente du mobilier et des récoltes de la maison (Registres des délibérations du district, folio 107). Le 12 juillet 1791, Dol, qui n'avait plus d'évêque, vit arriver dans ses murs Claude Lecoz, le métropolitain du Nord-Ouest ; il fut patriotiquement accueilli par les diverses administrations, et reçu au presbytère de Notre-Dame par le curé constitutionnel, Pierre-Gabriel Guyot de Folleville (1792) (Archives départementales).

Quoique tout récent, le nouvel ordre de choses avait néanmoins ses ennemis. En effet, au mois de mai 1792, le district de Dol recevait avis d'une conspiration, dont le siège était au château de la Rouairie, près d'Antrain. Des détachements de gardes nationaux y furent envoyés ; mais le chef du complot était évadé. Alors le district ordonna au juge de paix J.-B. Lemonnier de procédera une enquête, qui dura plusieurs jours.

1792. — Le 19 octobre de cette même année, l'officier municipal Jean-Charles Tallon faisait transporter à la Maison commune les registres de l'état civil, dont la constatation devait désormais appartenir aux municipalités.

L'année 1792 se terminait à Dol par des élections qui eurent lieu pour le Conseil du Département, et où furent élus les citoyens Rever et Demeaux (Biographie bretonne, verbo Rever). Commencées le 11 novembre, ces opérations se continuèrent jusqu'au 16 inclusivement. La clôture fut solennisée par la plantation, sur le Champ-de-Mars, d'un chêne de la Liberté, envoyé de Saint-Malo par le maire de cette ville, Tréhouart de Beaulieu. A ce sujet, eurent lieu des réjouissances, des illuminations et des danses dans les rues, auxquelles prirent part un grand nombre de jeunes citoyennes (Archives départementales, Fonds I, I. 31).

Cependant, au milieu de ces bals, les événements prenaient une tournure tragique, et le dernier représentant de la monarchie paraissait devant ses juges.

 

FORCE DÉPARTEMENTALE. — GIRONDINS A DOL. — COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE.

Le premier mois de l'année 1793 avait vu monter sur l'échafaud le malheureux Louis XVI, victime innocente, et dont le sang était une expiation des iniquités du pouvoir royal. Presque en même temps, une partie de la Convention, désignée sous le nom de Girondins, essayait de se soustraire à la tyrannie de la commune de Paris, et pour cet effet elle cherchait du renfort dans les départements. La municipalité de Dol prit parti pour la force départementale, et, le premier de tous, le maire, Louis-Céleste Greffier, s'était inscrit sur le registre des enrôlements. Mais la Gironde ne tarda pas à succomber sous les coups de la Montagne, et la force départementale se vit furieusement persécutée dans les individus qui y avaient adhéré. Pour éviter de porter sa tête sur l'échafaud, Louis Greffier s'administra un poison subtil, et mourut de cette manière, le 1er floréal an II, à l'âge de 57 ans.

Avant de nous avancer dans le récit des événements, il nous faut parler du Comité révolutionnaire, superfétation administrative, créé par décret du 23 mars 1793. Ces comités étaient investis du droit de dénoncer les suspects, et la dénonciation d'un seul de leurs membres suffisait pour faire passer de la rue dans la prison le plus honnête citoyen. Les municipalités elles-mêmes étaient soumises à leur contrôle. Ainsi, à Dol, nous voyons, le président du Comité, Jean-Charles Tallon, menacer de dénoncer la municipalité de cette ville, comme « contre-révolutionnaire et en voulant aux patriotes, » et celle-ci, dès le lendemain, formuler par l'organe du maire, René Jouquan, et du municipal Gilles Lair, une déclaration, de laquelle il résulte que la commune de Dol « a toujours marché d'un pas ferme dans la route révolutionnaire » (Registre municipal. An II).

Il semble que le Comité de Dol n'existait pas encore au mois de juin 1793, puisque nous voyons, le 10 de ce mois, le directoire du district ordonner l'incarcération de l'avocat Valentin Renoul de Baschamp, l'inoffensif auteur du poëme héroïque de la Cancallade (Biographie Bretonne, verbo Renoul). L'arrêt est signé des administrateurs Corbinais, Anger, Rimasson, Portal, Plainfossé, Lepoitevin et Macé, secrétaire. C'est au mois de septembre que nous voyons se signaler notre Comité de surveillance. Le président était alors Juhel de la Plesse, autrefois trésorier de N.-D. Plus tard, germinal an II, c'était Louis Greffier, chirurgien. Enfin, le dernier fut le parisien J.-Ch. Tallon, docteur en médecine, mort à Dol, dans les premières années de la Restauration.

Au mois de germinal an II, le Comité de surveillance était ainsi constitué : en outre du président Greffier, on trouve le savetier Hautière, l'huissier Le Day, le barbier Moutier, le sabotier Lebret, le tripier Lossandière, Picard, etc.

A la date du même mois de germinal, le Comité avait déjà fait une razzia considérable de personnes qu'il avait fait incarcérer à la maison des Sœurs de Saint-Benoît. En voici le relevé dressé par les membres du Comité : Ce sont « les nommés Caradeuc, Rouault, Samson, Cudenet, Juhel, Dubreil-Herpedais, Durocher, Ferron-Thérèze, Lepoitevin-Thérèze, Saint-Gilles, Perrine Lecarlatte, Marie Raux, César Legallois, Mathieu Chesnel, Pierre Travigné, Coudé, La Branchu, René Besrier, Delaunay, ex-dominicain, Pasquier, Merdrignac, Pierre Bertrand, Roquet, Guillaume Houeslard, et les ci-devant Sœurs de la Sagesse, personnes suspectées d'aristocratie ».
« Fait en bureau, le 12 germinal an II de la République, une, indivisible, impérissable. Greffier, président ; Hautière, Le Day, Picard, Moutier, Lossandière » (Registre du Comité révolutionnaire).

Au Comité de surveillance, appartenait le droit de faire apposer et lever les scellés, ainsi qu'il appert par les deux pièces suivantes que nous copions sur les originaux que nous avons sous les yeux, à l'instant où nous écrivons.

« LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ OU LA MORT !

Le citoyen juge de paix est prié de se transporter avec son greffier en la demeure de Guillaume Douet, en la commune de Dol, rue de Dinan, pour apposer les scellés sur les papiers dudit Douet. Dol, ce 27 prairial, 2 année républicaine (sic). Les membres composant le comité révolutionnaire régénéré de Dol : TALLON, président ; PICARD, LEBRET, DAY, BARBE, secrétaire ».

« LIBERTÉ, ÉGALITÉ OU LA MORT !
Les membres composant le comité révolutionnaire régénéré de Dol, au juge de paix de cette commune.

Républicain, Nous t'envoyons copie de l'arrêt d'écrou du représentant du peuple Lecarpentier, relevé contre la citoyenne Marie Raux, veuve Mancel, détenue en la maison d'arrêt de Port-Malo. Nous t'invitons à relever les scellés, afin de la mettre en possession de ses effets. Salut et fraternité. TALLON, président. DENOUAL ».

Le document suivant prouve que les citoyens membres ne se piquaient point toujours d'une grande déférence pour les règles de la grammaire : Nous copions textuellement :

« LIBERTÉ, ÉGALITÉ.
Nous, membres du Comité révolutionnaire de Dol, requierons le citoyen juge de pai de Dol de se transporter chez le citoyen Carmant, maître de poste, pour mettre les cellés sur les objets et papiés appartenant à la citoyenne De Jean, femme prétendue du citoyen Humber, commandant du 19e régiment de chasseurs. Dol, sept germinal, an II de la République, une indivisible. GREFFIER, président ; DAY, TALLON, LEPOITEVIN, HAUTIÈRE »
(Archives du Comité révolutionnaire).

Une autre attribution du Comité était de faire appliquer la terrible loi du maximum. Les populations se soumettaient difficilement à cette mesure d'économie politique, qu'il nous est impossible d'apprécier à la distance où nous en sommes aujourd'hui ; aussi, dans l'exercice de cette attribution, les membres étaient-ils exposés à des sans-façons du genre de celui que nous allons rapporter.

Le 14 prairial an II, les citoyens Hautière et Lossandière étaient au Poids national à faire peser du beurre saisi sur un marchand de Bonnemain, dépourvu de passeport, et qui leur avait été amené par Antoine Fillieux. Pour récompense de son civisme, Fillieux s'imagina qu'il avait qualité pour solliciter quelque faveur : il requit donc les citoyens membres de lui donner un pot de beurre au prix du maximum.

Sur la réponse de Pierre Hautière, qu'il fallait en référer aux frères du Comité, mon Fillieux s'emporta en invectives contre Hautière et Lossandière, les traitant de « jean f…, d'accapareurs, ainsi que le Comité entier ». Beaucoup de gens se seraient trouvés satisfaits de ce premier déluge d'insolences, mais pour Fillieux il n'en était pas ainsi.

« Non content de cela, dit une pièce signée Hamelin, il s'était transporté au bureau dudit Comité, où il répéta les mêmes invectives, menaçant de dénoncer les membres. Il avait dit particulièrement audit Hautière qu'il était indigne d'être membre du Comité, en ce qu'il avait des parents émigrés ; il avait sauté sur ledit Hautière, qui tenait la porte du Comité fermée, en attendant qu'une garde fût arrivée pour le mettre en arrestation ; il lui avait tiré aux cheveux de manière à lui en arracher plusieurs pincées (sic), et l'avait frappé d'un coup de pied ; il avait de plus traité le Comité (infandum !) d'un tas de couill… et de jean f… » (Archives du Comité révolutionnaire).

Pour en finir avec cette grotesque affaire, nous dirons qu'elle fut soumise à la police.

Presque toujours, un ou plusieurs membres du comité accompagnaient le magistrat chargé d'apposer les scellés. Souvent aussi c'était au milieu de la nuit que les citoyens membres quittaient Dol pour aller faire leurs visites domiciliaires. Le 8 thermidor an II, heure de minuit, Jean-Charles Tallon, Pierre Hautière, Hippolyte Day, Théophile Denoual, membres du Comité révolutionnaire, font mander le juge de paix, et, accompagés d'un détachement de gardes nationaux, ils partent tous pour le château de Villouet, situé en Léonard [Note : Saint-Léonard est une succursale réunie à Epiniac ou Spiniac. L'église est du XVIème siècle, moins la tour, qui est de 1788. Au côté gauche de cette tour, on a construit tout récemment un appentis de l'effet le plus disgracieux, et où sont logés les fonts de baptême], commune d'Epiniac. Et, rendus là, ils apposent le sceau de la nation sur les meubles et effets appartenant à la citoyenne Lesaige-Ville-ès-Brune.

La municipalité avait aussi son droit d'inquisition. Ayant appris qu'il existait un souterrain dans une maison située rue Marat (aujourd'hui, rue Etroite. - Voir Deric, t. I) et appartenant à Marie Raux, veuve Mancel, détenue à Port-Malo, le 16 prairial, aux huit heures du soir, Gilles Lair, Jean Guelé, officiers municipaux, et Jus, notable, « revêtus de leurs écharpes tricolores, » se rendent à ladite maison. Mais, arrivés là, pas moyen de descendre dans le souterrain dénoncé, parce qu'il est obstrué par l'eau. Les magistrats inquisiteurs se bornent donc à examiner les scellés déjà apposés le 15 pluviôse précédent, et le procès-verbal est clos aux neuf heures du soir.

Le Comité de surveillance ne craignait pas du tout sa peine, et, pour des vétilles, il répétait deux fois ses visites domiciliaires. Une vieille fille, Jeanne Lemordant, avait recuilli dans sa demeure, sise rue de la Révolution (des Carmes), une malle contenant quelques effets du père Laurent Legoff, autrefois procureur du couvent des Carmes. Le 30 germinal an II, Tallon, président du Comité, et Cousin, officier municipal, étant en cours de visites domiciliaires, étaient entrés chez cette vieille, et avaient apposé le scellé sur la malle en question. Puis, quelque temps après, le comité se ravise et ordonne que les scellés seront mis sur tous les appartements de Jeanne Lemordant, ce qui est exécuté le 2 messidor.

Ce même jour, la même mesure est prise chez Casimir Blanchard de la Buharaye, rue de la Raison ; le 4 brumaire, chez Jacques-Jean Merdrignac, ancien juge an district ; le 26 vendémiaire, chez César Legallois, qui fut plus tard une célébrité médicale de l'empire ; le 27 même mois , chez Marc Pasquier, ancien sénéchal de Dol, en présence de Modeste Meuger, son épouse, et des citoyens Jean Portal et Gilles-Henri Lair, le premier membre du district, le second de la municipalité (Archives du Comité révolutionnaire).

Après la chute de Robespierre (thermidor an II), les Comités de surveillance furent « épurés ». Au premier nivôse an III, nous trouvons, comme membres du nouveau Comité : Antoine Meunier, Pierre Arundel, Jacques-Marie Dufeu, Pierre Gautier et François Lizé. On les voit, à la date de ce jour, se transporter place du Champ-de-Mars, chez Françoise Lodin, veuve Blondel, pour assister à la vérification d'assignats soupçonnés de fabrication clandestine faite par le citoyen Vilalard, caissier du district (Archives du Comité révolutionnaire) et vérificatcur du papier-monnaie [Note : Vilalard était maire de Dol, en l'an IX, lorqu'eut lieu à Montdol l'affaire de demoiselles, où deux gendarmes furent tués].

 

MARIAGE DES PRÊTRES CONSTITUTIONELS. — INCARCÉRATION DES RELIGIEUSES. — DÉVASTATION DES ÉGLISES. — CULTE DE LA RAISON.

Après le siège de Granville, le représentant Jean Lecarpentier (Le Carpentier) était allé s'installer à Saint-Malo, d'où il allait exercer sa fureur sur toutes les villes circonvoisines. Lecarpentier vint souvent à Dol, pendant son séjour dans nos contrées. Il descendait à l'hôtel Guelé, situé au lieu où est aujourd'hui la maison de M. Mancel fils. La première fois qu'il arriva, il fit d'abord visite à la société populaire et montagnarde, où il fut adulatoirement harangué par le sieur Th. Corbinais qui, quelques jours avant, avait été élu président. Arrivé à Port-Malo, Lecarpentier adressa aux administrations du département d'Ille-et-Vilaine une circulaire furibonde, qui commençait ainsi: « Les rois ont crié à l'anarchie ; les prêtres ont crié à la persecution ». Continuant toujours dans ce style déclamatoire, il concluait, en ordonnant que tous les prêtres eussent à remettre leurs lettres de prêtrise, sous peine d'incarcération [Note : Le clergé était chansonné sur tous les tons : Monsieur c'est une folie, - D'être abbé sans abbaye. Plus loin, on disait : Il a soutenu le clergé, C'est qu'il était abbé, etc.]. Nous avons eu en mains l'original de l'état des prêtres du district de Dol, qui remirent leurs lettres, état certifié le 29 fructidor, an II, par les administrateurs Plainfossé, Lepoitevin, Corbinais et Lecompte. Nous y trouvons plus de 30 noms, et parmi eux les suivants : René-Michel Gilbert, vicaire à Dol, marié ; Guillaume Lochet, curé de La Fresnaye, marié ; François Asseré, curé de Hirel ; Guillaume Ridé, curé de Cherrueix ; François-Louis Pissis, vicaire à Saint-Broladre ; François Bobon, curé de Baguer-Pican, marié ; Joseph Bigarré, recteur d'Épiniac.

Le curé de Dol, remit aussi ses lettres de prêtrise. Il se nommait François Penaut, et était né à Semmeredent. D'abord curé de Saint-Georges de-Gréhaigne, il avait remplacé Guillot de Folleville, comme curé constitutionnel de Dol, en 1792. Faute de presbytère, ou pour toute autre raison, à nous inconnue, il s'était logé chez la citoyenne Louise Talvatz, veuve du feu maire Louis-Céleste Greffier. Il vivait avec elle dans une charmante intimité, qui néanmoins faisait le sujet de sanglantes plaisanteries. Les patriotes voyaient le fait allègrement ; il n'en était pas ainsi des royalistes, gens à conscience timorée. Ils faisaient entendre les plus grandes plaintes, et peut-être n'était-ce pas à tort, ainsi que le prouva certain accident, sur lequel nous étendons fraternellement le voile de la charité. Au demeurant, Penaut ne paraît pas s'être considérablement ému de ces criailleries. En effet, il est appris, de bonne source, qu'il décéda chez sa bien-aimée Louise, le 15 floréal, an VI, à l'âge de 61 ans ; il était alors administrateur des hospices.

Dom Jean-Baptiste Delfosse, religieux bernardin de la Vieuxville, remit également ses lettres. Il fit plus ; car nous le voyons, en 1793, se marier devant sa municipalité, avec une jeune bâtarde de la Boussac qu'il avait pour domestique à Baguer-Morvan, dont il était recteur. Mais bientôt l'intolérance des gens de sa paroisse l'obligea de se retirer à Dol. C'est en cette ville qu'il mourut, le 12 nivose an XIII, à l'âge de 55 ans.

Comme réparation à ces scandales du sanctuaire, citons l'exemple du professeur Louis-Isaac Jaume, de Saint-Coulomb, qui refusa la remise de ses lettres, et pour ce fait, fut successivement enfermé à Port-Solidor, à Rennes et au Mont-Libre. En 1791, il avait prêté serment à la constitution civile du clergé : jusqu'à son dernier jour, il resta fidèle à son serment, et mourut dans ces sentiments le 5 décembre 1829, à 84 ans. Le clergé de Dol n'assista pas à ses obsèques, parce qu'il n'avait pas voulu se rétracter.

Après avoir dit un mot du clergé, parlons des religieuses.

Un arrêté du représentant Lecarpentier, du 21 pluviôse 1793, avait ordonné leur prompte réclusion. En conséquence, la municipalité de Dol, sur la remontrance du citoyen maire, Louis Greffier, arrêta, le 23, que la supérieure de l'hôpital, dame Angélique Jouquan, ainsi que ses compagnes, seraient amenées à la maison d'arrêt et confiées à la garde du concierge Nicolas Emard. On mit à leur place les citoyennes patriotes, Marescal, veuve Quesnel, Angélique Quesnel, Marguerite Gire, veuve Douet, Marie Billot, la Pestel (Registre municipal, 1793). Mais l'asile des pauvres ne tarda pas à dépérir entre les mains de ces citoyennes, qui, occupées de leurs plaisirs et de leurs festins, se farcissaient l'estomac de mets succulents, tandis que les malheureux malades mouraient littéralement de faim. Aussi ne tarda-t-on pas à rendre les bonnes religieuses à leurs occupations.

Le 23 prairial, an II, le citoyen René Jouquan, maire, remontrait au conseil, « que sur la pierre du Champ-Dolent, en la ci-devant commune de Carfantin, se voyait encore un indice de fanatisme, une croix de pierre qu'il était instant de faire disparaître à la vue des républicains ». Après avoir entendu l'agent-national, Juhel de La Plesse, le conseil arrêtait que cette croix serait abattue, ou au moins que les deux bras seraient brisés, attendu la difficulté de la faire disparaître entièrement. Puis le citoyen Bourdais, notable, était chargé de cette commission, lequel « a accepté » porte le registre (Registre municipal, an II).

D'un autre côté, le 15 ventôse, an II, le district de Dol avait adressé la lettre suivante aux cinquante-deux municipalités de son ressort (Registre du district, folio 27).

« Citoyens, Nous vous engageons à faire disparaître en entier tous les vestiges de la superstition qui se trouvent dans votre commune, tels que croix, statues de ci-devant saints. La vue de pareils objets ne peut que choquer l’œil. Faites-nous aussi passer votre argenterie, les besoins de l'Etat vous le commandent impérieusement. Salut et fraternité. PORTAL, PLAINFOSSÉ, LEPOITEVIN, LECOMPTE, GAUTIER, REVER, CORBINAIS, agent national ».

Cette dernière recommandation des administrateurs ne concernait pas la municipalité de Dol. En effet, dès le 18 octobre 1792, en vertu d'une délibération du conseil général de la commune, le maire, François-Ange Lemercier, et le procureur de la commune, René Juhel de la Plesse, s'étaient rendus à la cathédrale, aux deux heures de l'après-midi, et là, en présence du curé François Penaut et des orfèvres François Fillieux et Antoine Meunié, dit la Roche, ils avaient fait inventaire estimatif des vases d'or et d'argent, des reliquaires, etc. ; puis le tout, dit un procès-verbal de cinq grandes pages in-folio, avait été soigneusement enfermé jusqu'au moment de l'envoyer à Paris (Archives départementales).

C'est à cette époque (nivôse an II) qu'il faut rapporter les dévastations commises dans la cathédrale, la destructien des armoiries et des statues des anciens évêques, en un mot de tout ce qui pouvait rappeler le souvenir du passé, « comme si, — dit fort sensément un historien, — le passé pouvait jamais insulter au présent ». Les statues des saints, qui peuplaient les nombreux autels de la cathédrale, furent violemment descendues de leurs piédestaux ; le tout fut ensuite centralisé dans l'église de Notre-Dame, mis en monceaux, et l'on en fit un joyeux auto-da-fé ; sans oublier le portrait « du dernier des tyrans, » accessoire obligé, ainsi que de vieux titres historiques.

Cette exécution, tout-à-fait dans le goût de l'époque, est longuement racontée dans une lettre des administrateurs, Lodin, Portal, Plainfossé et Corbinais, adressée au Néron de la Bretagne, à l'ignoble Carrier, de si hideuse mémoire, et qui alors résidait passagèrement à Rennes (Voir Monographie de la cathédrale de Dol. M. Brune, Cours d'Archéologie, passim.).

Au moins, au milieu du récit de toutes ces démolitions qui déchirent le cœur, nous avons un bon témoignage à rendre, c'est que la sépulture des morts ne fut pas violée. Le fait est d'autant plus à remarquer, qu'il existait à Dol un atelier national de salpêtre en pleine activité, sous la direction d'un nommé Cousin, pharmacien, qui nous était tombé de Normandie, et du tailleur Jean Desoindre, commissaire de la municipalité et juge du tribunal de police (Archives du tribunal de police, an II). Il y a même plus : un misérable digne de la corde, nommé Jean B…, ayant pénétré nuitamment dans la cathédrale, pour y voler le cercueil en plomb de l'évêque Th. James, inhumé dans le magnifique mausolée de la chapelle Sainte-Anne, il fut immédiatement appréhendé et envoyé en détention au Mont-Libre, où il put rencontrer le curé de Baguer-Pican, François Bobon, qui lui-même y était renfermé pour délit d'escroquerie.

Après ces préliminaires, le culte burlesque de la Raison s'établit dans nos contrées. On vit des femmes à demi-nues ou entièrement, comme à Paris, étaler leurs charmes secrets aux yeux de leurs lascifs adorateurs.

A Dol, les administrateurs choisirent pour déesse de la Raison et de la Liberté une jeune et vigoureuse citoyenne de 22 ans, assez jolie, quoique d'un embonpoint extraordinaire, mais dont il convient de ne pas révéler le nom. Ce fut au haut de la grande nef de la cathédrale que la Raison, à demi-nue, s'assit sur l'autel patriotique. On a dit, mais sans aucune preuve, que ç'avait été dans le chœur de la cathédrale. Le fait était possible, mais il n'est pas exact. Félicitons donc les administrateurs de Dol de n'avoir pas permis que la prostitution déifiée envahit l'autel où le Saint des Saints avait été tant de fois offert, par nos vieux évêques, pour attirer les bénédictions du Ciel sur les populations du pays [Note : Le culte catholique fut rétabli dans notre ancienne cathédrale, au commencement de l'année 1804. — Dès l'année précédente, on l'avait exercé dans l'anciennc église des Carmes, qui fut démolie peu après. Un réquisitoire de l'agent national du district nous apprend qu'en 1795, dans un petit moment de calme, un cultivateur de la Chaussée, nommé Pierre Lécarlate, avait prêté sa grange pour la célébration du culte. Mais ce calme ne fut que de peu de durée. (Archives départementales, I. I. 31)]. Pendant la durée de ces bacchanales, qui insultaient au bon sens, on chantait des airs accommodés à la cérémonie. Nous en possédons quelques-uns, remarquables par leur platitude et leur banalité [Note : Nous remarquons ce passage : Et quand nos vignes et nos moissons seront en fleur, Nous dirons que tout cela vient bien sans prêtres].

 

PASSAGE DES VENDÉENS A DOL. — COMBAT DES BÉGAUDS ; SUITES ET RÉSULTATS.

Entrée en Bretagne par Nantes, l'armée catholique et royale, comme elle s'appelait, avait successivement passé à Cholet, Saumur et Laval. Elle prenait la route de Fougères, pour pouvoir pénétrer ensuite jusqu'à un port de mer, selon sa première intention. Prévenu de la direction prise par les Vendéens, le district de Dol envoya des courriers sur cette route, afin de pouvoir être averti à temps du moment de leur approche. Le 14 brumaire an II, un des courriers, le citoyen Hamon, entrait à Dol, et annonçait aux administrateurs de notre district que, la veille, Fougères était tombé au pouvoir des « brigands ». Aussitôt, l'administration écrivait à Rennes, Dinan, Saint-Malo, pour demander du secours. Le lendemain 15, les administrateurs, réunis en permanence, délibéraient sur les moyens d'envoyer à Saint-Malo « les denrées et les armes qui sont confiées à leurs soins, » lorsque, sur les dix heures du soir, un courrier, entrant dans la salle du district, annonça que les brigands avaient envahi Antrain, situé seulement à six lieues de Dol. A cette terrible nouvelle, les administrateurs arrêtent de nouveau d'écrire à Saint-Malo et Dinan, et « de les engager à secourir leurs frères de Dol ». Réunis ensuite aux autorités constituées de la malheureuse cité, considérant que la ville était hors d'état de soutenir un siège en forme, tous arrêtent d'envoyer à Port-Malo leurs armes et leurs archives, pour les soustraire à « cette horde infâme » et d'aller eux-mêmes chercher un refuge dans ses murs. Incontinent, cette délibération, rédigée par le secrétaire Gilles Macé, est signée des administrateurs Plainfossé, Portal. Lepoitevin ; puis tous prennent le chemin de la fuite, abandonnant la ville à la merci des étrangers (Registre du district de Dol). Maintenant, qu'allait-il s'y passer ?

Le lendemain, 16 brumaire, vers l'heure de midi, l'armée vendéenne arrivait à Dol, ayant Henri de la Rochejacquelein à sa tête, et précédée par trois immenses drapeaux, sur l'un desquels était peint le signe de la Rédemption. Elle entrait dans les murs de la cité aux cris de : Vivent nos libérateurs ! poussés par quelques rares habitants, tous partisans de la cause royaliste, et dont plusieurs venaient de sortir de la maison d'arrêt, où ils étaient détenus.

Parmi ceux-ci, se trouvait le sieur M.-J. P..... qui, aussitôt l'arrivée des Vendéens, avait escaladé, au moyen d'une échelle, la maison du citoyen Gautier Bidan [Note : Noël Gautier, né à Dol, en 1761, était fils de N. Gautier, négociant, trésorier de l'église N.-D., et de Jeanne-Thérèse Bidan, sœur de M. J.-Laurent Bidan, procureur de la juridiction du chapître de Dol. Successivement notaire de la juridiction de la Mancelière, greffier de la justice de paix de Dol, membre du conseil de fabrique, il mourut le 11 octobre 1826, dans un âge encore peu avancé, laissant à ses enfants une mémoire honorable et un nom respecté], greffier de la justice de paix et avait jeté par les fenêtres, avec l'aide d'un de ses codétenus, le sieur Jean P…, les papiers et les clés des émigrés déposés dans la demeure (située dans la rue Etroite) de ce paisible citoyen, qui, comme tous les autres fonctionnaires, avait dû chercher son salut dans la fuite, emmenant avec lui sa nouvelle épouse, à peine âgée de 19 ans.

Six jours Durant, l'armée vendéenne séjourna à Dol, qui ne fut plus dès lors qu'un immense bivouac. Mais nous devons à la vérité de dire que tous les pillages commis dans la ville ne doivent pas retomber à la charge des Vendéens, qui, pressés par la famine et en proie à une épouvantable dyssenterie, ne cherchaient que les moyens d'assouvir d'une nourriture quelconque la faim affreuse qui les dévorait. Une plus grande responsabilité doit retomber de tout son poids sur certains habitants restés dans la ville, et aussi sur les paysans des environs, qui à la nouvelle de l'arrivée des Vendéens tombèrent sur Dol, comme une nuée de vautours affamés, et y pillèrent les habitations des fonctionnaires fugitifs, dont ils emportèrent jusqu'aux ustensiles de cuisine et au bois de chauffage (Mémoire du citoyen Gautier Bidan).

Après s'être reposée à Dol, l'armée catholique et royale prit la route de Granville, où elle essuya un échec si terrible qui la força de se replier sur la Bretagne. Rebroussant donc chemin, comme un lion chassé de sa tanière, elle repassa par Avranches et Pontorson et regagnait la ville de Dol, en suivant le chemin qu'une fois déjà elle avait parcouru, lorsqu'elle fut rencontrée par les armées de la République, sur une hauteur située à moitié chemin de Baguer-Pican à Dol, et nommée les Rolandières ou les Bégauds (Déric. Histoire de Bretagne. Tom 1er. Passim.). C'est-là, et dans les campagnes environnantes, que se livra la bataille de Dol, « le plus sanglant combat qui se soit jamais livré entre Français, » dit l'illustre Chateaubriand, dans son mémoire de la Vendée.

Il y périt 14.000 républicains, et pour le moins, un pareil nombre de royalistes. Cependant la victoire resta aux mains de l'armée vendéenne [Note : Voir : Mémoires de la Rochejacquelein, passim.Histoire des Vendéens et des chouans, t. V]. En parcourant ces lieux si riants aujourd'hui, qui penserait qu'ils ont été témoins de cette boucherie et engraissés de tant de sang français ! Sur ce théâtre de nos guerres civiles, grandissent maintenant de blondes et riches moissons, douce et agréable récompense du paysan laborieux. Quelquefois le laboureur, en cultivant son champ, rencontre des débris d'armes et des restes humains. Ainsi se vérifient ces paroles du cygne de Mantoue.

Scilicet et tempus veniet cum finibus illis.
Agricola, incurvo terram molitus aratro.
Exesa inveniet scabra rubigine pila.
Aut gravibus rostris galeas pulsabit inanes
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.
(VIRGILE, Georgiques).

« Un jour, le laboureur dans ces mêmes sillons,
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,
Trouvera plein d'effroi des dards rongés de rouille,
Verra de vieux tombeaux sous ses pas s'écrouler
Et de vaillants soldats les ossements rouler »
.

Le lendemain du départ des Vendéens, les administrateurs revinrent de Saint-Malo à Dol. Aussitôt arrivé, le directoire s'occupa de relever « l'arbre sacré de la liberté » que « les brigands » avaient abattu. Il fallut aussi songer à faire inhumer les cadavres qui emplissaient les chemins, les rues et les habitations tant publiques que particulières. Ceux d'entre les mourants auxquels il restait un léger souffle de vie gisaient à terre, sans que personne songeât à leur procurer les consolations si nécessaires à l'homme dans tous les moments de sa vie, mais surtout au terrible moment qui précède le passage du temps à l'éternité.

Ils attendaient le trépas dans les angoisses de l'isolement, heureux encore, lorsqu'un soldat, harassé des fatigues de la bataille et ennuyé d'entendre le râle de leur agonie, leur enfonçait au cœur un fer homicide ! — Pour en revenir à l'inhumation, les citoyens Estiennoul, officier municipal et Jean-Charles Tallon, président du comité de surveillance, furent nommés commissaires à cet effet. Jetés pêle-mêle dans des tombereaux, hommes, femmes, enfants, furent charriés près du cimetière de la Pépinière. Le nombre en fut si grand, que les chevaux refusaient d'approcher de ces monceaux de cadavres entièrement nus, offrant un spectacle que le pinceau ne saurait dépeindre ni la plume exprimer. Lorsque tous furent amenés, on les transporta au bas du cimetière, où ils furent jetés dans de grandes excavations qui furent ensuite recouvertes de chaux. Pendant de longues années, ces charniers humains n'ont été remués, et jusque dans ces derniers temps la tradition populaire désigna ces monticules par le nom de Fosses aux Brigands.

Nous avons dit que les portes de la maison d'arrêt avaient été ouvertes aux prisonniers lors de l'arrivée des Vendéens. Le directoire du district, une fois rétabli dans son palais délabré pendant l'invasion, s'occupa de rechercher les noms de ceux qui s'étaient rendus coupables de cette effraction. Dans sa délibération du 10 ventôse (Registre du district, an II), nous trouvons les nommés Cherbonnet, Hamelin, Delamaire, Besnard et Jean Painguen, comme étant du nombre. Peut-être c'était pour la même raison que le directoire avait fait rechercher les sieurs Deminiac, Guillaume Lemarié, J.-B. Lemonnier, et qu'il écrivait, le 2 pluviôse an II, aux administrateurs de Dinan, de s'employer à leur recherche, « afin de rendre au rasoir national des hommes qui l'ont trop mérité » (Registre de la Correspondance, an II). Le directoire de Dol fut heureux dans ses perquisitions. En effet, les ci-dessus dénommés, Julien-Pierre Deminiac, Lemarié et Lemonnier furent livrés au rasoir national, ainsi qu'il est appris par l'Etat des condamnés à mort dans l'étendue du district de Dol, document dont nous avons eu l'original entre les mains, et dont nous donnons ci-après copie :

« P.-G. Guillot, prêtre ; P.-J.-B. Lemonnier, cultivateur ; J.-P. Deminiac, J.-L. Houeslard, Perruchot, Desisle, Baude-la-Vieuxville, G. Lemarié, Ch. Saint-Pez, prêtre ; Luc, Gouyon de Beaufort, capitaine de dragons ; Cotizac-Magon, Besnard, prêtre ; J. Coupel, J. Thomas, J. Josset, J. Pouvrel, L. Cormenil, J. Legendre, prêtre ; J.-B. Châteaubriand, noble ; comtesse de Polignac, noble ; Herbert, prêtre ; Berié, dit Fleur-d'Epine ». Fait, en directoire, le 2 thermidor an II. PLAINFOSSÉ, GAUTIER, LEPOITEVIN, PORTAL, REVER, CORBINAIS, agent national. (Archives départementales, fonds, district de Dol).

Les sœurs de la Sagesse furent aussi inquiétées pour avoir donné asile et secours à des religieuses de leur congrégation, qui avaient suivi l'armée des Vendéens, « ces vils satellites du despotisme et de la calotinocratie, » disaient les administrateurs de Port-Malo. Deux délégués de la commission militaire de cette ville vinrent à Dol procéder à leur interrogatoire, puis elles parurent devant cette même commission, qui, chose à noter, les renvoya en liberté, en stipulant toutefois qu'elles resteraient « sous la surveillance des autorités constituées de Dol ». En conséquence, le 10 nivôse, Perrine Delimagne et Marie-Thérèse Séjourné se présentèrent devant la municipalité de Dol (Registre municipal, an II).

Dès le 17 novembre 1793, Jean-Bon Saint-André, en mission à Port-Malo, avait créé une commission militaire chargée de juger les Vendéens pris à Dol et à Pontorson. Dès ce jour même, elle commença à condamner. C'est par jugement de cette commission que furent condamnés Charles Saint-Pez de Roslandrieux, recteur d'Aucaleuc, et René Berié, dit Fleur-d'Epine, tisserand à Dol, rue de la Liberté (du Moulin). Il faut y joindre Jean Pitoys, de Hédé, recteur de Vildé-Bidon, qui mourut en prison avant d'être condamné. Jean-Louis-Guillanme Houeslard, cabaretier à Dol, fut condamné par la commission militaire et révolutionnaire de Rennes, le 25 frimaire an II (Registre municipal, an II). Quant aux autres condamnés mentionnés dans l'Etat que nous avons donné plus haut, ils furent pour la plupart envoyés à Paris, et exécutés dans cette ville, le 21 juin 1794 (Manet, Biographie Malouine, page 294).

Plus heureuse que beaucoup d'autres localités, notre ville ne vit point le spectacle terrible de l'instrument du supplice. Il n'y eut à Dol que quelques fusillades, qui encore se firent la nuit. Parmi ceux ainsi mis à mort, nous trouvons le nommé Pellerin-Duverger. Cet homme, armurier au faubourg de la Chaussée, était soupçonné de correspondre avec les chouans et de réparer leurs armes. Sur cette prévention, son procès lui est fait secrètement. Puis, dans les ténèbres de la nuit, sur un ordre du commandant de place, Etienne Georges, le malheureux est arraché des bras de son épouse, près de laquelle il reposait. Incontinent et sans lui donner le temps de se reconnaître, il est conduit dans les fossés de la ville (côté sud), et là il tombe, frappé d'un plomb mortel.

La confiscation, on le sait, était une conséquence de la condamnation à mort. C'est vers la fin de l'an II que nous voyous le district s'occuper de cette opération. Voici à ce sujet un extrait de ses délibérations, à la date du 22 fructidor.

« Séance du 22 fructidor, 2 année de la République. Sur la représentation faite par un membre qu'il reste encore plusieurs effets mobiliers, dépendant des émigrés et condamnés, à vendre ; qu'il est d'autant plus urgent d'en accélérer la vente, que plusieurs maisons ou partie de ces meubles sont affermés pour le 8 vendémiaire prochain.

Arrestent :

— 1° de faire procéder aux inventaires estimatifs des meubles de François Glemot, prêtre déporté ; de Jean Dubois, brigand de la Vendée, situés dans la commune de Baguer-Morvan ; de feu Beaude, condamné, situés au ci-devant château de Trémigon ; de François Collet, situés à Bellande, en Combourg ; des planches et plusieurs mauvais bois et autres effets dépendant de l'émigration de Desmot, en la commune de Mont-Dol ; de Guillaume Lemarié de Mont-Dol ; de Louis-Charles-René Collin, émigré, en la commune de Bâzouges ; même des effets de Leroy, ci-devant homme d'affaires de la Mancelière, situés aux Landes, à la Vieuxville, en Epiniac…

Art. 2. — De faire procéder à la vente des meubles et effets mobiliers desdits Glemot, Dubois, Baude, Collet, Desmot, Guillaume Lemarié, Deminiac, Haute-Dibois, Collin et Leroy, à la prochaine décade, aux jours qui seront indiqués par des bannies, qui seront faites pour chaque vente, à la diligence des commissaires ci-après, dans la commune des lieux et autres environnantes, le jour de décadi prochain…

Art. 6. — Nommons pour commissaires et officiers publics, pour les opérations ci-dessus, savoir :

Pour les inventaires et ventes de François Glemot et Jean Dubois de la commune de Baguer-Morvan, le citoyen Jouquan, commissaire, et le citoyen Pinoul, officier public ; pour l'inventaire de Lemarié, et les ventes desdits Lemarié, Morel et Deminiac, le citoyen Perrin, commissaire et le citoyen Day, officier public ; pour les inventaires et vente de Desmot, en la commune de Mont-Dol, et de Leroy, en celle d'Epiniac, le citoyen Fontan, commissaire, et le citoyen Gautier le jeune, greffier du juge de paix, officier public…

Pour les inventaires et vente de Baude, condamné, et de François Collet, émigré, dans la commune de Combourg, le citoyen Ramard, agent national, à Combourg, pour commissaire, et le citoyen Labbé, notaire, officier public…

Et pour l'inventaire et vente de Collin, de la commune de Bâzouges, le citoyen Julien Even, commissaire, et le citoyen Jean-Baptiste Aubré, notaire, officier public…. ».
En directoire à Dol, les jours et an que dessus. LEPOITEVIN, PORTAL, PLAINFOSSÉ, CORBINAIS, agent national, près le district (Archives départementales, fonds 4 m. 3. District de Dol. — Registres des délibérations, an II).

 

CHOUANNERIE, — RÉVÉLATIONS ET DÉTAILS INÉDITS.

L'armée vendéenne, dont nous avons parlé plus haut, était allée s'anéantir dans les marais de Montoir, près de Savenay (Loire-Inférieure), vers la fin de 1793 ; mais dès l'année suivante perçaient les premiers germes d'une nouvelle guerre civile, la hideuse chouannerie, guerre atroce, guerre sanglante, digne des cannibales, et dont le pays de Dol ne fut pas le moins accablé. Il est un fait que nous ne pouvons omettre de signaler, fait qui est pour nous définitivement acquis à l'histoire, par suite des recherches scrupuleuses que nous avons faites à ce sujet (Archives départementales, fonds 4, m. 3) ; c'est qu'il y eut des membres du clergé non assermenté qui prirent une part active aux atrocités de la chouannerie. On nous montre, à Baguer-Morvan un abbé Levrette, qui faisait, dans le conseil des chouans, les fonctions d'accusateur public. Un peu plus loin, nous dirons le meurtre inouï du curé Louis Lésénéchal. Eh bien ! les contemporains nous parlent d'un prêtre B… qui y aurait pris part, et se serait livré sur le corps inanimé de son confrère à des actes de mutilation monstrueuse, qui rappellent les cruautés des Huguenots, et dont la pensée seule fait monter la rougeur au front.

Nous entendons des gens qui nous crient : « Mais ces hommes défendaient la cause sacrée de la religion ! ». Ah ! oui, sans doute : en voici deux curieux exemples :

Un certain soir, un chouan, chargé d'un pesant fardeau, fruit de ses rapines, s'était assis sur une borne placée à l'entrée du cimetière de Carfantin. Après un peu de repos, il se mit en devoir de le reprendre, en s'écriant : « Y faut avouer que j'avons ben du mal à rétablir notre sainte religion !... ».

A Mont-Dol, le trésorier des chouans, Jean T., avait, comme tel, recueilli les valeurs que la bande avait pillées. Après bien des dilapidations, le trésorier convint avec sa troupe du jour où l'on en ferait le partage. Mais, au jour convenu, l'ami trésorier matelasse ses portes et ses fenêtres, remplit son grenier de projectiles, et, armé d'un coutelas à couper le marc de cidre, il attend les copartageants. Après de longues et inutiles tentatives, les chouans furent obligés de battre eu retraite à l'approche d'une colonne mobile de Dol, que le trésorier avait mandée à son secours. Après cette escapade, il vint à Dol avec des sommes considérables, et il y parut aussi grand républicain qu'il s'était montré fervent royaliste. Voilà comment les chouans entendaient combattre pour la défense de la religion.

..... et ab uno Disce omnes ..... (VIRGILE)

dirons-nous avec le poète. Pillages, vols, brigandages, égorgements, assassinats, fusillades, tels furent les résultats de la chouannerie, pour le district de Dol. S'enrichir per fas et nefas, tel fut le but des chouans.

De ces douloureux événements de la chouannerie, nous dirons quelques-uns, en nous étayant des actes et des correspondances de l'administration du temps, actes et correspondances que nous reproduirons textuellement.

C'était dans la paroisse de Carfantin-le-Noble [Note : Ainsi appelé de la grande quantité de noblesse dont fourmillait ce petit hameau. Carfantin est situé à 1 kilom. de Dol, auquel il est réuni. Son église, qui n'est d'aucun genre d'architecture, s'en va croulante sans qu'on songe à la relever. A l'intérieur, on remarque plusieurs pierres tombales armoiriées avec inscription] que se retiraient les chouans qui inquiétaient le plus souvent la ville de Dol. Leur repaire était une maison située sur le bord de la route, nommée Belle-ès-Vents. Pour parvenir à arrêter leurs excursions, l'administration municipale de Dol décida d'établir des fortifications à l'entrée de la route de Rennes, entre les deux douves, et écrivit à ce sujet au département la lettre suivante :

LIBERTÉ. — ÉGALITÉ. — SURETÉ.
« Dol, 14 octobre, an IV. Citoyens, Entourés de différentes bandes de chouans, qui volent, pillent, égorgent les paisibles habitants patriotes de nos campagnes, nous allons vous communiquer les moyens de sûreté que nous regardons comme indispensables pour notre ville, dans cette circonstance affligeante où nous sommes réduits à une très-faible garnison. Nous désirons barricader notre ville, afin d'en rendre l'accès sinon impénétrable, du moins très-difficile pour nos ennemis. Il nous manque du bois ; veuillez nous autoriser à en faire abattre sur-le-champ, contradictoirement avec l'administration de notre district, sur les biens des émigrés de notre commune. La vie et les propriétés des citoyens français vous sont assez chères pour seconder nos vues. Salut et fraternité. LEMERCIER, maire ; FRISTEL, procureur de la commune ; DELOZE, DESOINDRE, LAIR, officiers municipaux ; BIENVENU, secretaire-greffier » (Archives départementales, fonds 4. m. 3).

Une autre lettre des administrateurs du district de Dol vient confirmer ce que les officiers municipaux de notre cité nous font connaître de la misérable situation du pays. Voici ce qu'ils écrivent aux administrateurs d'Ille-et-Vilaine, à la date du 13 vendémiaire an IV :

« Citoyens, Nous ne vous parlerons point des causes des assassinats qui se continuent sans cesse dans notre district ; elles vous sont connues. Mais nous vous dirons que plus les assassinats se multiplient, plus nos ennemis s'augmentent en nombre. Les républicains, terrifiés, se taisent, ou, s'ils sont fortunés, se réfugient dans les communes républicaines. Dans cet état de choses, les patriotes faibles, croyant mettre leur vie et leur fortune à couvert, protègent les chouans [Note: Voici quelques noms de guerre de chouans que nous avons recueillis. Nous possédons en manuscrit les noms de famille ; mais on comprend que nous les gardions pour nous : Carfantin : Saigne-Partout, le Capitaine, Frappe-à-Mort. Baguer-Morvan : Quatre-Vingt-Dix-Neuf. Mont-Dol : Rantanplan, Le Trésorier. Antrain : Branche-d'Or]. La terreur ferme toutes les bouches, et les scélérats s'assurent par là l'impunité. Deux nouveaux meurtres viennent encore d'être commis sur de vrais citoyens : l'un, nommé Maubon, de la commune de Hirel, et l'autre, Pierre Greslan, de celle de la Fresnaie. Nous avons fait tout ce qui était de nous pour découvrir les scélérats qui en sont les auteurs ; nous n'avons pu nous procurer que des indices trop faibles, nous ne pouvons avoir que des soupçons. Salut et fraternité. MORAULT, LEPOITEVIN » (Archives départementales, fonds 4, m. 3).

Ce que disent les administrateurs se vérifiait tous les soirs. A l'Abbaye, près de Dol, un nommé Jean Martin est fusillé en plein jour, dans le champ qu'il cultivait, et son cadavre abandonné, sans sépulture, devient la proie des chiens et des animaux féroces. A la Fresnaie, le curé constitutionnel Guillaume Lochet, âgé de 58 ans, est arraché de ses appartements et assommé au pied de son escalier (Voir registre paroissial de la Fresnaie, rédigé par M. le curé J.-M. Lécarlatte). A Mont-Dol, le maire Etienne Blémus est percé d'un coup de baïonnette, puis fusillé sur le seuil de son foyer (Registre des décès de Mont-Dol). A Combourg et à Baguer-Morvan, les notaires Jean Guelé et Jean Costard sont saignés à la gorge et leurs études livrées aux flammes. A Trans, tout frémit et tout tremble sous la pression sanglante de deux infâmes scélérats, dont l'un surnommé la Houlée Jean B..., fils d'un chiffonnier, autrefois meneur d'ours. Ils se repandent dans les fermes, qu'ils pillent et saccagent, volent et égorgent les habitants, leur enlèvent leur argent, leur linge, leur denrées, en un mot tout ce qu'ils possèdent [Note : La Houlée et son compagnon furent saisis par les Républicains de Trans et enfermés dans la tour de l'église ; mais la Houlée parvint à s'échapper, et son compagnon seul subit la peine due à ses forfaits. On appelle Houle, dans le pays, de grands vases à deux anses, qui sont très-larges par le milieu. On y recueille divers objets, tels que beurre, miel. C'était dans des vases de ce genre que la Houlée avait recueilli le fruit de ses rapines ; de là son surnom].

Nos yeux se remplissent de larmes et notre plume demeure interdite au récit navrant de ces faits lamentables, et cependant notre rôle d'historien consciencieux nous oblige de poursuivre le récit que nous avons commencé. Tout-à-l'heure, nous représentions la commune de Mont-Dol comme le théâtre de l'une de ces atrocités, et voilà que nous y sommes rappelés pour dire un crime commis dans des circonstances si horribles qu'elles désespèrent l'imagination.

Lonis-Charles Lesénéchal, curé du Vivier, avait été nommé recteur à Mont-Dol en 1783. En 1791, il avait prêté le serment, et le 10 ventôse 1793, il avait déclaré renoncer au caractère sacerdotal, ainsi qu'en témoignent les livres municipaux de Mont-Dol que nous avons, par nous-même, consultés. Retiré dans l'ancien presbytère, l'ex-curé y vivait en paix, lorsque dans la nuit du 10 au 11 messidor an III, sa maison est envahie par une troupe de chouans, parmi lesquels se trouvent ses neveux, les sieurs B… [Note : Le premier de ces monstres, le sieur Bl…d, était prêtre insermenté, et sous la Restauration est mort curé de Mont-Dol. Il avait été vicaire de M. Lesénéchal], D… et F.... Les malfaiteurs pillent d'abord la maison et enlèvent tout ce qui est à leur convenance, puis se saisissant de leur ancien pasteur, lui attachent une corde aux parties sensibles, et que la pudeur nous interdit de nommer. S'acharnant sur le malheureux, ils le traînent le long des chemins, dans les essais, les fossés, au travers des ronces, parmi les épines. Vainement le martyr les supplie-t-il, au nom du Dieu miséricordieux, de mettre un terme à ses tourments, ils demeurent sans réponse et continuent leur course effrénée comme les chevaux indomptés du char d'Hippolyte. Ils ne s'arrêtent enfin que lorsqu'ils sont arrivés sous les murs de Dol, auprès de la métairie de la Fontaine-Roux, située en Kercou. Là, ils achèvent leur victime à coups de crosse de fusil, laissant son corps dans un état de nudité complète et cruellement défiguré…

Le lendemain, la justice de Dol fait la levée du corps qui, transporté à Mont-Dol, est inhumé, sans honneur, dans le cimetière paroissial, en présence de Julien Lechien et de Nicolas Fleury, dit le registre des décédés.

Que le lecteur n'aille pas s'imaginer que ces faits soient par nous inventés à plaisir et qu'ils soient le fruit d'une frivole imagination. Non, ces faits sont conservés dans les registres et correspondances des administrations du temps ; les noms de leurs auteurs y sont consignés pour leur opprobre, de telle sorte qu'il n'eût tenu qu'à nous de les mentionner, n'était que la prudence humaine nous l'interdit de peur d'attirer sur nous l'animadversion et la haine, disons plus la basse vengeance de leurs descendants, qui énorgueillis et le cœur enflé des richesses que leurs pères ont acquises dans ces jours néfastes, marchent au milieu de nous la tête haute et le front levé. Du reste, tous ces hommes sont morts, et ont comparu devant celui qui juge les justices des hommes et pèse leurs actions. Quelques uns seulement n'ont fini leur carrière que dans ces dernières années, après de cruelles souffrances et des langueurs inouies, tant il est vrai de dire que l'œil de l'Eternel ne sommeille jamais, que tôt ou tard sa main toute-puissante et vengeresse atteint l'homicide qui a trempé ses mains dans le sang de son frère, et dont l'historien honnête peut et même doit dire avec le prophète-roi : « lnimici.... Domine, perfecto odio oderam illos : Tes ennemis, Seigneur, je les ai exécrés de la haine la plus parfaite ».

Outre les meurtres particuliers qu'ils commettaient, lorsqu'ils étaient en petit nombre, les chouans se réunissaient souvent par troupes, pour faire des invasions. C'est ainsi que le 10 prairial an III, nous les voyons en entreprendre une à Lanhelin, sous la conduite d'un nommé Lemonnier, de Dol (Archives départementales, fonds, district de Dol). A Trans, le 13 du même mois, l'arbre de la liberté est abattu par les nommés Toussaint Esnoul, Robert, Gilles Lambert, François Aumont, Etienne Rose et Lamaire (Archives départementales, fonds, district de Dol). Baguer-Morvan, surnommé Coblentz [Note : L'église de Baguer-Morvan est de diverses époques. Sous la tour, on remarque le tombeau du recteur Pierre Even, mort « en odeur de sainteté » (1675), et dont la tradition a fait un thaumalurge, Le mot Baguer ou plutôt Baguar signifie troupe, et Morvan, de mer], fut un théâtre sur lequel s'exercèrent à l'envi les chouans et les républicains. Nous trouvons le récit de l'une de leurs escarmouches, dans une lettre adressée au district de Dol. Voici cette lettre dans toute sa teneur :

« Citoyen, Je vous envoie la liste de ceux qu'on a tués ; je crois qu'elle est juste, voicy : Texié, maréchal de l'Abbaye de Dol ; Dubreil, ci-devant noble, même district ; un de la commune de La Boussac qui avait un passe-port de la même commune, en date du 11 prairial, dont je vous fais l'envoy, et les autres que je ne connais pas. Voicy la liste de ceux qu'on a reconnus : René Samson, de Ros-Landrieux ; Julien Lucas, de Carfantin ; Jean Riaux, de la Touche, en Plerguer ; Jean Raux, de Baguer-Morvan, garde de Châteaudassy ; Gilles Quemerais, de idem ; Pierre Jourdan, de idem ; De Cigonière, de Dol ; Monnier, de Dol, et le généralissime de Châteaudassy [Note : Les Loquet de Châteaudassy étaient seigneurs de Baguer-Morvan, avant la révolution] fils ; mais je crois qu'il a eu une balle qui lui a traversé la cuisse. Il y en a en quantité qui sont blessés. Il sont actuellement assemblés au Bourg-Neuf ; mais j'alons (sic) tomber viron 400 grenadiers et allons en finir. Et vive la République ! salut et fraternité : J. Lierre, commandant la force armée de Plesguen ».

Vers la même époque, la commune de Baguer-Morvan était désolée par un misérable. Il se nommait L. G…, de Miniac-Morvan. Son rôle était de prononcer les sentences de mort. Monstre de férocité, il était la terreur des paroisses circonvoisines. On ne le désignait que sous le nom de Babine de lièvre.

Pour éviter d'être saisi par les autorités, il se couchait dans les barges de paille et de fagot ; mais enfin il fut appréhendé à Vildé-Bidon, chez les filles M. qui l'avaient caché dans un double plancher. Il fut enfin livré au glaive de la justice, qu'il méritait depuis longtemps (an II) (Documents, penès nos. Archives départementales, fonds du district de Dol. — Registres de Baguer-Morvan, ans II, III, IV, V et VI).

Nos révélations sur la chouannerie dans le pays de Dol seraient incomplètes, si nous ne reproduisions ici l'extrait suivant d'une lettre adressée par l'administration cantonnale de Dol, à l'administration du département, à la date du 30 thermidor, an VI.

Après avoir parlé de choses indifférentes à notre sujet, les administrateurs ajoutent :

« Il nous reste à vous annoncer que le nommé Tehel fils, de la commune du Vivier, chez lequel on a saisi des fusils de munition, est un chouan qui n'a pas remis les armes. Son surnom était Charlemagne. Entre autres horreurs qu'il a commises, nous apprenons qu'il a égorgé son parrain, nommé Bouteiller, secrétaire de l'administration municipale du Vivier. Cette scène sanglante se passa au village Es-Dupay, en la commune de Hirel, en présence des citoyens Mury frères, qui se jetèrent aux pieds de Charlemagne pour solliciter la grâce de l'infortuné Bouteiller. Leurs prières et leurs larmes ne purent amollir le coeur du féroce Tehel ; elles ne firent au contraire que redoubler sa rage ; et, pour, l’assouvir, il plongea sa baïonnette à diverses reprises dans le corps de sa victime. Joseph Havard et Elisabeth Belero sa femme, du village Ès-Dupay, ont aussi connaissance de ce fait, ainsi que la citoyenne Plisson, veuve La Vergée. Nous désirons que ces renseignements puissent vous être de quelque utilité. » (Archives départementales, fonds 2/q). Salut et fraternité. P- R. DUPIN, président [Note : Dupin avait succédé, en l'an VI, au sieur Thomas Corbinais, comme président de l'administration du canton de Dol. Dès l'an V, il était président intérimaire, ainsi qu'il est appris par une lettre signée de lui en cette qualité, et dans laquelle il informait l'autorité compétente d'insultes adressées au président Th. Corbinais, par le sieur Jean-Baptiste Cudnet, qui, entre autres pasquinades, avait dit publiquement au citoyen Corbinais, qui passait dans la rue de la Poissonnerie « Je me f… des conseils de M. de la Corbinais. » (Archives municipales, passim.)] ; MACÉ [Note : Gilles-Jean-François Macé, dont nous avons rappelé le nom déjà plusieurs fois, était, par sa mère, neveu de l'historien Gilles Déric, chanoine et official de Dol. De son union avec Emilie Lebret, morte en l'an IX, il avait eu un fils, M. Alcide Macé, ancien maire de la ville de Dol], T-A. LEPOITEVIN ; LEPOITEVIN, adjoint.

 

Depuis ces événements, et à part l'affaire des Demoiselles [Note : Les Demoiselles étaient une douzaine de malfaiteurs déguisés en femmes (d'où vint leur surnom), qui infestaient la commune de Mont-Dol. La gendarmerie de Dol ayant reçu ordre de faire des perquisitions dans la localité, deux de ses hommes y périrent victimes des brigands. Le maire de Mont-Dol, Provôt, publia à cette occasion un mémoire qu'on pourra consulter avec intérêt. Il est composé de 27 pages in-4°, intitulé : Provôt, maire de Dol, à ses concitoyens, an IX. S. L. S. D. S. N. d'impression. A la fin, on trouve une consultation en date du 15 vendémiaire, signée : ROCHER, F. MICHEL-MORVONNAIS, GORET], qui peut être considérée comme une suite de la chouannerie, il ne s'est passé aucun fait qui puisse être comparé à ceux que nous venons de raconter. Nous mentionnerons, comme détails tout-à-fait locaux, les mutations municipales exécutées pendant le Consulat et l'Empire ; le passage et le séjour des Prussiens à deux reprises différentes, en 1815 ; les réactions politiques de cette époque, en 1819 ; la visite presque furtive de la duchesse d'Angoulême ; les mutations municipales produites par la révolution de 1830 ; une émeute androgyne pour la cherté du grain, en octobre 1839 ; enfin l'inauguration solennelle de la République, en 1848 .... Aujourd'hui, au point de vue de l'importance administrative, Dol n'est plus que l'ombre de ce qu'il était autrefois ; et nous pouvons dire, encore avec plus de raison que l'historien de Morlaix ne le disait de sa ville, qu'il « pèse beaucoup moins qu'au temps des ducs et de l'ancien régime ».

Nous n'avons pas qualité à examiner si ce temps est ou n'est pas à regretter ; ce que nous ponvons affirmer, c'est que Dol ne peut attendre de prospérité que de l'augmentation de son commerce et de son industrie. Qu'il puisse l'y trouver, c'est le vœu de l'un de ses enfants les plus dévoués !
(T. Gautier, 1854).

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