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M. ANDRE DESILLES

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L'immortel André-Joseph-Marc Desilles, ce nouveau d'Assas, qui, étant alors sur son lit, de mort, reçut du directoire du département d'Ille et Vilaine, le 29 septembre 1790, la lettre que voici :

« Brave concitoyen, il était réservé à un Français, à un Breton, de donner à l'Europe l'exemple du plus généreux dévouement dont à peine trouve-t-on quelques traits dans l'histoire de ce peuple fameux qui a fourni à notre admiration tant d'actes d'héroïsme. Rome décernait une couronne civique au citoyen qui s'était exposé pour sauver un citoyen ; que n'eût-elle pas fait pour celui qui se serait exposé à une mort certaine, pour épargner à ses frères égarés par l'erreur, le crime affreux de verser le sang de leurs frères ? Quelle fureur barbare, que celle qui a pu résister à tant de vertus ! Brave et généreux citoyen, faut-il que la patrie n'ait à vous offrir qu'une couronne teinte de votre propre sang, et de celui des braves citoyens dont vous voulûtes sauver la vie au prix de la vôtre ! …. Tandis que la France entière vous décerne, par les mains de ses augustes représentans, le prix le plus flatteur de l'héroïsme, le département d'Ille et Vilaine, qui a le bonheur de posséder le berceau du Héros de Nancy, s'empresse de vous marquer combien il se sent honoré de cet avantage. Les administrateurs composant son directoire, interprètes en ce moment des sentimens de tous vos concitoyens bretons, vous prient d'accepter, outre le tribut de leur admiration et l'hommage dû à vos vertus, l'arrêté consigné sur leurs registres, dont nous avons l'honneur de vous faire passer une expédition authentique … Puisse le Ciel, désarmé par le sang d'une victime si précieuse, rendre à la patrie la paix, la tranquillité ; et à vos concitoyens le héros dont les blessures les font encore trembler pour des jours qu'ils voudraient pouvoir prolonger aux dépens des leurs ! ».

Entre autres tableaux précieux qui décorent l'intérieur du temple des Invalides, à Paris, se fait remarquer celui de M. Le Barbier, représentant l'action sublime que rappelle l'épître qu'on vient de lire ; et dont nous allons donner le précis.

Dès le mois de juillet 1790 ; de violens troubles avaient éclaté dans la garnison de Nancy, capitale de la Lorraine ; et l'Assemblée nationale s'était vainement flattée d'y rétablir l'ordre, par les décrets qu'elle avait rendus les 6 et 16 août suivant contre les rebelles du régiment du Roi infanterie, Mestre de Camp cavalerie, et Châteauvieux, Suisse … Ces mutins ayant rallié à eux la populace, forcèrent l'arsenal, pillèrent le magasin à poudre, enlevèrent la caisse militaire, s'emparèrent de dix-huit canons, et sommèrent même les officiers municipaux et les membres du département de leur donner de l'argent, sous peine d'être pendus en cas de refus... M. de Malseigne, officier-général, ayant été chargé par le roi de ramener le calme parmi ces révoltés, employa inutilement tous les moyens de douceur et de fermeté pour les faire rentrer dans le devoir : il n'en reçut que des injures et des menaces ; et se trouva même heureux de s'être fait jour, l'épée à la main, à travers les différens groupes dont il était entouré.

Echappé au danger, il part pour Lunéville, où étaient huit escadrons de carabiniers que l'esprit d'insurrection n'avait pas encore gagnés. Il y est poursuivi par une partie des factieux, qui, après un léger échec, parviennent à se faire remettre cet officier, qu'ils ramènent triomphans prisonnier à Nancy.

Cependant M. de Bouillé, commandant dans la province, informé de tout ce qui se passait, rassemble le peu de troupes restées fidèles, qui étaient le plus à sa portée. Il y réunit six cents grenadiers de la garde nationale de Metz, et un train d'artillerie composé seulement de huit pièces de canon ; et avec cette petite armée, consistant en trois mille hommes d'infanterie et quatorze cents de cavalerie, il marche sur Nancy, dont la garnison, renforcée elle-même par deux mille gardés-nationales des départemens voisins, montait à dix mille hommes.

Arrivé à une lieue et demie de la ville, M. de Bouillé s'arrête, et y fait parvenir, le 31 août, une proclamation portant en substance, qu'étant autorisé par un décret de l'Assemblée nationale à employer la force armée pour réprimer les excès commis, il désire éviter l'effusion du sang innocent, et accorde au repentir un délai de vingt-quatre heures. Sur les onze heures et demie du matin du même jour, les révoltés lui envoyent en réponse une députation composée d'habitans choisis parmi la plus basse classe du peuple, et de soldats de différens régimens, ayant à leur tête les principaux membres du département et de la municipalité, qu'ils avaient forcés de les suivre sous peine de la vie.

M. le commandant, après avoir entendu tous ces gens-là, en exige, pour condition de paix, que les trois régimens sortiront de la place, et livreront les chefs de l'insurrection, conformément au décret de l'Assemblée nationale : il requiert de plus la mise en liberté de M. de Malseigne ; que les portes de la ville soient ouvertes à l'armée qui s'avance ; enfin, que les canons des mutins soient remis à sa disposition. Mais les députés rejettent hautement cette demande ; et sur leur refus, les troupes fidèles s'approchent jusqu'à une demi-lieue des remparts. Là, une seconde députation se présente pour parler au général. Elle en reçoit les mêmes injonctions que la première fois ; et elle n'a qu'une heure pour délibérer. Ce délai expiré sans qu'on eût donné la satisfaction demandée ; M. de Bouillé fait pousser son avant-garde jusqu'à la principale porte de la place, dite la porte de Stainville, qu'il trouve défendue par des troupes, des habitans armés, et plusieurs pièces d'artillerie. Il était alors quatre heures de l'après-midi. Dans cet état de choses, une troisième députation de la municipalité et du régiment du Roi, sortie par une autre issue, vient annoncer au commandant que ses ordres vont être exécutés : et en effet, quelques minutes après, on voit arriver M. de Malseigne, et la colonne des régimens insurgés défiler hors de la place. Mais presque aussitôt la populace, jointe à un grand nombre de soldats qui n'avaient pas suivi leurs drapeaux, engage à la porte même qu'elle défend une querelle avec l'avant-garde ci-dessus composée de volontaires nationaux et de Suisses ; et se dispose à faire feu sur elle avec plusieurs canons chargés à mitraille.

A cet instant critique, le jeune Desilles, officier au régiment du Roi, et à jamais la gloire de Saint-Malo, sa patrie (où il était né le 7 mars 1767, de M. Marc-Pierre-François Desilles et de dame Jeanne-Rose-Michelle Picot), se précipite devant la bouche d'une pièce de vingt-quatre livres de balles, qu'on s'apprêtait à tirer. Il y reçoit trois blessures ; et il n'en est arraché que pour aller s'asseoir sur la lumière même du canon fatal, où un quatrième coup de fusil l'étend presque sans vie. Alors rien n'entrave plus les révoltés : ils font sur l'avant-garde de l'armée fidèle une décharge d'artillerie et de mousqueterie, qui lui tue ou blesse cinquante à soixante hommes. De leur côté, les gens de M. de Bouillé ripostent par un feu terrible, enfoncent la porte, tuent tout ce qu'ils rencontrent, et s'avancent pour gagner l'arsenal et les divers quartiers.

Ce combat furieux dura jusque vers les sept heures du soir, que les soldats du régiment de Châteauvieux étant presque tous tués blessés ou prisonniers, et ceux de Mestre de Camp s'étant retirés, le régiment du Roi, qui n'avait heureusement point pris de part à l'action, fit dire au commandant qu'il était prêt à se rendre, et se rendit en effet. Le général lui ordonna aussitôt de sortir de la place, avec les débris des deux autres ; ce qui fut exécuté sans résistance. Pour lui, il se rendit à l'hôtel-de-ville, où il rétablit dans leurs fonctions le département et la municipalité.

L'Assemblée nationale, non moins satisfaite que le roi de la sagesse et du courage de M. de Bouillé, lui en témoigna sa reconnaissance par le décret que voici, en date du 3 septembre suivant : « L'Assemblée, etc., décrète que les gardes nationales qui ont marché sous les ordres de M. de Bouillé, sont remerciées du patriotisme et de la bravoure civique qu'elles ont montrés pour le rétablissement de l'ordre à Nancy ; que M. Desilles est remercié aussi pour son dévouement héroïque ; que la nation se charge de pourvoir au sort des femmes et enfans des gardes, nationales qui ont péri en cette occasion, etc. ».

Le monarque, de son côté, écrivit au vainqueur une lettre de félicitation ; et envoya en particulier la croix de Saint-Louis à notre Malouin, dont il voulut avoir le buste après sa mort.

Dès que le récit de ce dévouement du jeune Desilles parvint à la connaissance du directoire de notre district, ce corps arrêta, à l'unanimité, et par acclamation, que cette belle action serait inscrite sur ses registres, afin d'en conserver la mémoire à la postérité. Tous les journaux eux-mêmes s'empressèrent de lui donner les éloges, dont elle est digne.

Pour nous borner ici à ce qui regarde la personne de notre jeune officier, il nous suffira d'apprendre que, malgré tous les soins qui lui furent prodigués, il mourut de ses blessures, entre les bras de son père, le dimanche 17 octobre de la même année, plein des sentimens de religion qui l'avaient toujours animé, et âgé de vingt-deux ans seulement. Son corps fut déposé le 19 dans le caveau destiné aux primats et évêques de Nancy ; à côté du cardinal prince de Lorraine, fils au grand duc Charles III, fondateur de la primatiale, et le seul qui jusqu'alors y eut été inhumé.

Toutes les autorités constituées, et toutes les troupes du département de la Meurthe, assistèrent à ses funérailles, qui furent magnifiques, et l'évêque diocésain prononça l'éloge funèbre, dont le texte fut pris du Ier livre des Rois, chap. 14 : Ergo ne Jonathas morietur, qui fecit salutem hanc in Israël (il sera donc perdu pour nous, ce Jonathas dont la valeur a sauvé Israël d'une manière si merveilleuse) !... La veille de l'enterrement, le corps avait été placé dans le péristyle du grand escalier de l'hôtel-de-ville, comme le lieu le plus convenable pour recueillir, et présenter à la vénération des citoyens, ce vrai enfant de la patrie, qui s'était si généreusement dévoué pour elle. Entre autres décorations lugubres qui ornaient ce local, on remarquait à droite ce passage des Machabées (lib. 2, chap. 6) : Vita decessit, non solum juvenibus, sed et universœ genti, memoriam mortis suœ, ad exemplum virtutis et fortitudinis, derelinquens (il meurt! et le souvenir qu'il laisse de sa mort, sera dans tous les siècles un des plus grands exemples de courage et de vertu que l'on puisse proposer non seulement à la jeunesse, mais à la nation entière) ; et à gauche, cet autre texte de l'Evangile selon saint Jean (chap. 15) : Majorem hac dilectionem nemo habet, ut animam suam ponat quis pro amicis suis (il n'y a point de plus grande charité, que celle de celui qui donne sa vie pour ses amis). Sur la façade extérieure, on lisait ces paroles : Vir amator civitatis, eligens nobiliter mori, dedit se ut liberaret populum suum, et acquireret sibi nomen œternum (1 Mach., 6, 44, et 2 Mach., 14, v. 37, 42), (héros, ami de cette cité, plein du désir d'une mort glorieuse ; il s'est sacrifié pour délivrer un peuple qu'il aima comme le sien ; et il a par-là immortalisé son nom). Au frontispice de l'église était un invitatoire avec cette inscription (2 Esdr. 5, v. 19) : Memento mei, Deus, in bonum, secundum omnia quœ feci populo huic (souvenez-vous de moi, ô mon Dieu, dans vos miséricordes, selon tout le bien que j'ai fait à ce peuple) ! Enfin, sur la porte de la chapelle mortuaire qui devait recevoir le dépôt, on lisait ce passage de saint Paul (2 Tim. 4) : Bonum certamen certavi, fidem servavi ; in reliquo reposita est mihi corona justitiœ (j'ai soutenu un combat utile et honorable, j'ai gardé jusqu'à mon dernier soupir la foi que j'avais jurée ; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice).

A Toul, et en plusieurs autres villes, on s'empressa de rendre à la mémoire de M. Desilles une grande partie des honneurs qu'on venait de lui rendre à Nancy. Les poètes et les peintres rivalisèrent en quelque façon à qui retracerait plus vivement, chacun à sa manière, la sanglante catastrophe qui avait enlevé ce jeune héros à la France. Le graveur Bance, entre autres, burina l'estampe commémorative du 31 août 1790 ; et MM. Martel, sculpteur du prince de Condé, et Le Barbier, peintre du roi, firent de la personne du défunt des images très-ressemblantes, dont notre ville accepta la dédicace les 18 janvier et 7 avril 1791.

Le roi et la reine, aussitôt après la mort de notre jeune compatriote, et en mémoire de lui, envoyèrent leur portrait à M. Desilles, père, avec une lettre extrêmement flatteuse, qui, deux ans et demi après, fut brûlée publiquement en nos murs, à la suite d'une orgie patriotique.

Le 3 novembre, la ville natale de ce brave officier lui fit un service des plus solennels ; et le 29 janvier 1791, son buste, présenté par six cents hommes de la garde de Paris à l'Assemblée nationale, y fut décoré d'une couronne civique, espèce d'apothéose où l'abbé Grégoire, alors président, mêla un discours passablement virulent contre les tyrans foudroyés qui ne devaient plus jamais, selon lui, souiller la terre de la liberté. (F.-G.-P. Manet).

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