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LA CONVOCATION DU BAS-CLERGÉ DE CORNOUAILLE AUX ÉTATS-GÉNÉRAUX DE 1789

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LA CONVOCATION DU BAS-CLERGÉ DE CORNOUAILLE.

Essai d'entente entre le Tiers et le Bas-Clergé. — Ainsi, par ses origines et sa condition sociale, le Bas-Clergé cornouaillais se trouvait avoir bien des intérêts communs avec le Tiers-Etat et aucun conflit ne devait, à priori, l'en séparer. D'ailleurs, le Tiers s'était toujours efforcé de se tenir en communion d'idées et de sentiments avec les prêtres des campagnes. Les députés du Tiers aux Etats de Bretagne avaient demandé, en décembre 1788 « que les recteurs des villes et campagnes soient admis aux Etats par députés élus par leurs pairs » [Note : Délibérations du Tiers de Rennes, 22-27 décembre 1788, parag. 6] que « les portions congrues des recteurs et curés ou vicaires soient augmentées » [Note : Lettre des députés du Tiers, 5 janvier 1789. art. 11].

De très nombreux cahiers de paroisses demandent l'amélioration du sort des recteurs et vicaires et « que tous les membres du clergé aient une part raisonnable de tous les biens ecclésiastiques ». A l'encontre de la règle inique récemment préconisée par la Cour, en vertu de laquelle « tous les biens ecclésiastiques, depuis le plus modeste prieuré jusqu’aux plus riches abbayes, seraient l'apanage de la noblesse » [Note : Paroles de Mme Campan], le Tiers veut qu'à l'avenir les talents et les vertus soient les titres nécessaires et suffisants pour parvenir à toutes les dignités ecclésiastiques. Les bourgeois de Pont-l'Abbé « s'affligent de constater que de 100 places de prélats vacantes, il n'advienne pas une seule à la foule immense du peuple et qu'elles se réunissent toutes dans le petit nombre des nobles ».

D'autre part, il est certain qu'en quelques paroisses rurales, le clergé participa discrètement à la rédaction des cahiers. Le cahier de Locamand est l'œuvre du recteur Vidal. Parfois, les recteurs assistent aux assemblées électorales comme s'il ne s'agissait que d'une délibération ordinaire du général de la paroisse. A Plonéour-Lanvern, le recteur Morvan, le vicaire Follic et le prêtre Mével approuvent les demandes du Tiers-Etat. Ils n'omettent pas de réclamer l'augmentation de la portion congrue, mais, en revanche, ils reconnaissent qu'à l'avenir, « les ecclésiastiques, particulièrement les recteurs, doivent payer la capitation, comme le reste du royaume ».

A Locmaria-Quimper, le recteur Lalau, à Penhars, le recteur Laurent Quilleroux, à Pouldreuzic, le recteur Dieuleveut et son vicaire Kerdreach, à Beuzec-Conq, le recteur Le Goff, à Baye, le recteur Boezedan, au Trévoux, le recteur Laurens participent aux délibérations du Tiers et signent le cahier de leur paroisse. A Riec, le recteur David et ses deux vicaires, Le Beux et Gurudec, assistent à l'assemblée du Tiers qui se tient dans la nef de l'église, sous la présidence de Le Breton de Villeblanche, avocat et sénéchal de Pont-Aven. La paroisse de Riec demande l'amélioration du sort de son recteur. Avant de lever la séance, « l'assemblée vote, par acclamation, un Te Deum, en action de grâces des vues bienfaisantes de Sa Majesté et prie M. le Recteur de vouloir bien le chanter tout de suite en y joignant des prières pour l'heureux succès des Etats généraux, à laquelle prière, M. David recteur et les prêtres de Riec ont, sur-le-champ, accédé » [Note : Arch. du Finistère. Cahiers de doléances des paroisses citées].

Cette collaboration du Tiers et du clergé paroissial que nous constatons, dans la partie méridionale de la Cornouaille, eut lieu aussi, vraisemblablement, dans la sénéchaussée de Châteaulin et dans la Haute-Cornouaille. Il arriva même, fait assez curieux, qu'un recteur, messire Jean-Guillaume Le Bris de Landeleau, représenta sa paroisse à l'assemblée de la sénéchaussée de Chàteauneuf-du-Faou [Note : Ibid. Procès-verbal de l'assemblée de la sénéchaussée de Châteauneuf].

Il semblait donc qu'une union étroite fût toute naturelle entre le Tiers et le clergé de second ordre. Le Tiers comptait bien sur l'appui de ce clergé qu'il sollicita ouvertement. Nous verrons que, le 20 avril, une « adresse des députés des campagnes » sera portée par une délégation officielle à l'assemblée diocésaine réunie en ce moment à Quimper. Cette adresse, souscrite par les députés paysans, mais depuis longtemps concertée par les bourgeois, résumait les revendications essentielles du Tiers, revendications susceptibles, pour la plupart, de recevoir l'approbation du bas-clergé.

Attitude de Mgr de Saint-Luc. — Mgr de Saint-Luc ne se montra pas hostile aux revendications du Tiers. Quelles qu'aient pu être ses convictions intimes, — et nul doute que, dans l'ensemble, elles concordaient avec celles de l'immense majorité de la Noblesse et du Haut-Clergé, — il ne prit pas, comme les évêques de Léon et de Tréguier, contre le Tiers, une attitude combative. Sans doute, comme son frère et son ami Du Rosel, l'évêque considérait-il que Necker « donnait prise à des soupçons de sa balance pour le Tiers dont il sentait mieux que personne les ridicules et insatiables réclamations pour des prérogatives insolites depuis que la monarchie est monarchie » [Note : Arch. nationales. W. 423, Lettre de Du Rosel, 5 février 1789]. Mais, plus soucieux de religion que de politique, l’évêque entendait faire abstraction de ses préjugés de classe et demeurer loyaliste à l'égard du roi. Or, à ce moment, le roi, en soutenant Necker, paraissait vouloir de profondes réformes.

D'autre part, l'évêque et son frère le Président de Saint-Luc, l'un des Ifs du Parlement, n'avaient pas eu à se louer de la Noblesse bretonne. Gilles de Saint-Luc avait subi à Rennes de telles vexations qu'il s'était résigné à une retraite prématurée. De son côté, et vraisemblablement pour les mêmes motifs, aux Etats de 1786, Mgr de Saint-Luc avait reçu quelques « désagréments ». La famille de Saint-Luc n'était donc guère disposée à s'associer aux manifestations de la Noblesse. Ni l'évêque ni le Président n'assistèrent à la dernière session des Etats de Bretagne et tous deux également s'abstinrent de paraître aux réunions de la Noblesse et du Haut-Clergé à Saint-Brieuc. Mgr de Saint-Luc, il est vrai, était assez gravement malade, en avril 1789 ; mais même bien portant, il est probable qu'il se fût abstenu. Ce qui permet de le croire, ce sont les conseils et les sollicitations qui lui furent adressés, en cette circonstance, par des amis et des membres de sa famille. Le 7 avril 1789, Du Rosel écrivait, de La Palue, au Président de Saint-Luc :

« J'ai été autant surpris que peiné d'apprendre que M. l'évêque de Cornouaille se refuse, malgré les conseils de ses parents et de ses amis, d'aller à Saint-Brieuc pour la convocation du Haut-Clergé et de la Noblesse. Si j'avais été à sa place, j'aurais méprisé les désagréments qu'on a voulu lui faire, il y a deux ans, et j'aurais été aux derniers Etats, quand ce n'eût été que pour montrer que lui, prêtre, homme de Dieu et évêque, n'est pas susceptible de rancune ni d'humeur. Je lui conserve la plus haute estime et vénération. Soyez auprès de lui caution que, s'il fait bande à part de son ordre et de celui de la Noblesse à Saint-Brieuc, aucun de ses neveux ne trouvera place au parterre. Vous pouvez même me citer devant lui. Si je ne lui étais pas attaché, je ne lui parlerais pas et à vous si franchement... La Noblesse, molestée, va à Saint-Brieuc ; et le Clergé, fait pour lui montrer l'exemple, se refuserait à le suivre ? J'espère que vous ramènerez votre frère » [Note : Arch. nat. W. 423].

Un mois plus tard, le 7 mai, M. Du Rosel revenait sur le même sujet : « Ne parlons plus des raisons qui vous ont empêché et M. l’évêque d’aller à Saint-Brieuc. Malheureusement les siennes n'étaient que trop fondées. Quant aux vôtres, je ne les admets pas de même. Je vous suis trop dévoué pour ne pas vous répéter que votre place y était, quand ce n'eût pour vos enfants. J'y aurais plutôt été à pied que d'y manquer. Bien d'autres de l'ancien Parlement y ont été et je vous assure qu'on vous y aurait vu avec le même plaisir qu'on les y a vus » [Note : Arch. nat. W. 423].

A l'égard du Tiers, l'attitude de l'évêque de Quimper parut toujours conciliante en 1789. Il se prêta de banne grâce à tous les accommodements possibles en vue des élections tant des députés du Tiers que de ceux du clergé du second ordre. Nulle pression ne fut par lui exercée sur ce clergé. Il voulut demeurer au-dessus de la mêlée. Peut-être espérait-il que, par des concessions mutuelles, les trois ordres finiraient par s'entendre. Du moins, son attitude ne fut pas incriminée par les dirigeants du Tiers et cette attitude contrastait singulièrement avec celle de Mgr de La Marche, évêque de Léon. Tout concilier, si possible, tel devait être le vœu de l'évêque de Quimper ; et nous trouvons, sans doute, un reflet de cette pensée dans la lettre amicale que, le 27 juillet, au moment où se déclenchaient les mouvements populaires, lui adressait M. Du Rosel :

« Eh ! bien, Monseigneur, n'êtes-vous pas émerveillé de tout ce qui se passe aujourd'hui à la suite de la bonne intelligence régnante dans les trois ordres du royaume ?. En ma qualité de Normand bretonnisé, je n'en avais jamais douté, en cas qu'on n'eût pas pu parvenir à se voir, se parler et s'écouter. Vous conviendrez que c'est l'unique moyen de s'entendre. J'attribue, en partie, tous les malheurs qui viennent de désoler la France à ce qu'on a négligé de le faire, de part et d'autre » [Note : Arch. nat. W. 423].

Modéré et conciliant, tel est bien, en 1789, l'évêque de Quimper, et il ne variera pas jusqu'à sa mort. Au cours des évènements ultérieurs, certains de ses familiers, entrainés par l'ardeur de la lutte, lui prêteront, de bonne foi, leurs propres sentiments et ainsi sa mémoire sera mise au service de la contre-révolution. La vérité est que Mgr de Saint-Luc ne fut pas un ennemi irréductible du nouveau régime. Certes, il sentait vivement le conflit entre le principe catholique et les principes révolutionnaires, mais il espérait une conciliation possible.

Il accepta la nouvelle organisation politique du royaume. Le 25 juin 1790, à l'occasion de l'élection des premiers administrateurs du département du Finistère, l'évêque ordonna qu'un Te Deum serait chanté à la cathédrale. Tous les électeurs du département, à ce moment réunis à Quimper, se rendirent à la cathédrale, entre deux files de gardes nationaux. « Le son des cloches, Le bruit de l'artillerie, une mélodie patriotique répétaient les accents de l'allégresse dont tous les cœurs étaient pénétrés. Parvenus à la cathédrale, M. l'évêque assisté de son Chapitre, a chanté le Te Deum ». Ensuite, un feu de joie fut allumé sur la Place Saint-Corentin « M. l'évêque, Jean Robin, président provisoire, Le Guillou de Kerincuff, président, Le Breton de Villeblanche officier municipal, et Carné de Carnavalet, commissaire du roi, ont allumé le bûcher » [Note : Arch. du Finistère. F, n°s 2 et 3 (fonds Hémon). Procès-verbal de l’assemblée électorale du Finistère, tenue à Quimper le 7 juin 1790 et jours suivants. Ce furent les mêmes électeurs qui s’assemblèrent, à la cathédrale, le 34 octobre 1790, pour l'élection du successeur de Mgr de Saint-Luc, le premier évêque constitutionnel, Expilly].

Cependant, à ce moment même, l'Assemblée constituante s'occupait de l'élaboration de la constitution civile du clergé. Le décret du 12 juillet 1790 causa à Mgr de Saint-Luc une cruelle déception. Toutefois, il ne songea pas tout d'abord à y opposer un refus absolu. Il écrivait le 14 juillet : « Quimper est conservé, mais on m'assure qu'il faudra faire un serment. J'espère, avec la grâce du bon Dieu, que je n'en ferai pas, au moins d'absolu, et j'ai dans la tête un projet de serment qui sera une bonne et ferme protestation contre tous les décrets destructifs de la religion » [Note : Arch. nationales, W. 423. Lettre de Mgr de Saint-Luc, 14 juillet 1790].

Le 19 juillet, connaissant le texte du décret relatif à la constitution civile il ajoutait : « L'auguste Assemblée a décrété que les évêques et curés conservés seront tenus de faire le serment pour jouir du traitement qu'on leur promet. J'espère que je ne ferai pas le serment, à moins d'y mettre des protestations et des réservations qu'on a déclaré ne vouloir point admettre » [Note : Arch. nationales, W. 423. Lettre de Mgr de Saint-Luc, 14 juillet 1790].

La sanction royale ayant été accordée, le 28 juillet, l'évêque, vieux et malade, tenta encore de concilier son devoir sacerdotal avec son loyalisme impénitent. Il écrivit au pape pour lui demander l'extension de ses pouvoirs sur l'évêché de Saint-Pol et les parties des diocèses de Tréguier et de Vannes annexées au nouvel évêché de Quimper [Note : L'évêque de Quimper avait, par courtoisie, communiqué cette lettre à l'évêque de Léon. Le 22 novembre 1790, Mgr de Le Marche ignorait encore la réponse du pape, car, à cette date, il écrivait à l'abbé Boissière : « Le cher défunt m'avait envoyé copie de la lettre par laquelle il demandait au pape une extension de pouvoirs. Je vous serais bien obligé de me faire savoir s'il a reçu une réponse ». Arch. nat. Ibid 22 novembre 1790]. Il mourut, le 30 septembre 1790, sans avoir reçu la réponse du pape et sans avoir formellement protesté contre la constitution civile.

Illusions de la Noblesse et du Haut-Clergé. — La Noblesse et le Haut-Clergé se flattaient de gagner à leur cause les recteurs de Basse-Bretagne. Au milieu d'avril encore, alors qu'en maintes régions, le bas clergé avait déjà manifesté son indépendance ou son hostilité à l'égard des privilégiés, à Rennes et à Paris, on se faisait illusion sur les dispositions des recteurs bas-bretons.

Le 20 avril, le jour même où les électeurs du clergé s'assemblaient à Quimper, le comte de Quélen [Note : Le comte J.-C.-L. de Quélen, brigadier des armées navales, fils d'un procureur-général syndic des Etats de Bretagne et père de Mgr de Quélen, archevêque de Paris, sous la Restauration] écrivait, de Paris, au Président de Saint-Luc : « Nous venons d'éprouver que l'évangile est en mauvaises mains dans celles de la plupart des curés du royaume qui se sont bien mal comportés envers leurs évêques... On peut dire que, presque partout, ils ont commis des indignités.

« On répand, ici, que ceux de Quimper, de Léon et de Tréguier ont déclaré que n'étant immiscés que dans l'administration des sacrements, ils ne voulaient pas être députés aux Etats généraux, à moins qu'ils ne soient requis pour leur administrer la confirmation ou autre sacrement, suivant les besoins de chacun d'eux. J'ai encore oui dire que les curés de votre capitale (Rennes), avaient déclaré vouloir être toujours réunis au Haut-Clergé. En cela, je les approuve autant que ceux de Basse-Bretagne, si toutefois ils pensent comme on veut les faire penser à Paris » [Note : Arch. nationales, W. 423].

La convocation du clergé. — Tout d'abord, des difficultés particulières se présentèrent pour la convocation même de l'assemblée diocésaine de Cornouaille. La lettre et règlement du roi, du 16 mars, parvenus à Quimper, le 23, avaient fixé cette assemblée au 2 avril à Quimper [Note : Lettre et règlement du roi pour la convocation de la province de Bretagne, art. 12]. L'évêché était très étendu, le délai extrêmement court. Qui adresserait les lettres de convocation ? Qui présiderait l'assemblée ? Le Goazre, subdélégué de l'Entendant, conféra à ce sujet avec Mgr de Saint Luc. Rendant compte de ses démarches à l'Intendant, il écrit le 23 mars : « L'évêché de Cornouaille n'a ni dignitaire, ni doyen électif, ni doyen rural. Il diffère en cela des diocèses des autres provinces et même de ceux de la Bretagne, tels que Rennes et Vannes. La ville épiscopale est éloignée de plus de 20 lieues des extrémités N.-E. du diocèse. Il existe une impossibilité physique de réunir les recteurs le 3 avril, surtout si un des recteurs de la ville épiscopale se trouvait seul chargé de la convocation. Le 6 avril serait un jour plus commode ; c'est le lundi de la semaine sainte et les recteurs peuvent encore s'absenter. Les subdélégués, chacun dans son district, feraient parvenir plus sûrement les lettres de convocation ».

L'évêque de Quimper et Le Goazre étaient d'avis de désigner, pour présider l'assemblée, le recteur de Plogonnec, l'abbé Leissègues de Rozaven. Celui-ci, dit Le Goazre, « licencié en théologie, est d'une famille très ancienne. Son neveu est procureur du roi à Châteaulin. Agé de 54 ans, c'est un homme de vertu, plein d'esprit et de connaissances et de beaucoup supérieur à ses confrères » [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1808]. M. de Leissègues consulté, accepta. Néanmoins, l'Intendant estima plus convenable de confier la convocation et la présidence « au recteur de la plus ancienne paroisse » de la cité épiscopale, à M. Bourbria, recteur de Saint-Sauveur.

L'assemblée diocésaine. — La date du 2 avril, le jeudi avant les Rameaux, ayant été maintenue pour l'assemblée diocésaine, environ cent recteurs se rendirent à Quimper, ce jour-là, représentant un peu plus de la moitié des paroisses de Cornouaille. Bien des prêtres convoqués tardivement furent retenus dans leurs paroisses par les devoirs de leurs fonctions ou les difficultés du voyage. Toutefois, certains durent s'abstenir volontairement ; sollicités, tiraillés en sens divers, ils ne surent à quoi se résoudre.

Une ardente campagne, en effet, avait été menée par la Noblesse et le Haut-Clergé pour dissuader le Bas-Clergé de se faire représenter aux Etats généraux, en dehors des formes usitées, formes « antiques et essentielles » consacrées par la constitution bretonne.

Le 3 avril, le sénéchal Kervélégan écrit au Garde des Sceaux : « Le clergé du second ordre est assemblé depuis hier. Il a perdu du temps à interpréter le règlement des 24 janvier et 16 mars et cela provient de quelques intrigues du Haut-Clergé et de la Noblesse » [Note : Archives nationales, B. III 39].

Le même jour, Le Goazre écrit à l'Intendant : « Je ne saurais vous dire encore quel sera le résultat de l'assemblée de MM. nos Recteurs. Ils ne sont brin d'accord, parce que la Noblesse et le Haut-Clergé ont pris soin de répandre au milieu d'eux l'esprit de faction, en protégeant et en recommandant à des pasteurs vertueux, mais peu défiants, une tête chaude et qui depuis longtemps porte le trouble dans tous les ordres.

M. l'abbé de Reymond s'est fait donner une procuration par l'abbesse de Kerlot et, de concert avec MM. de Kermorvan, chanoine, Quéré, l'un des vicaires de Quimper, et Coroller, resteur de Saint-Mathieu, il a d'abord essayé d'empêcher que l'assemblée se formât au lieu indiqué par le recteur de la plus ancienne paroisse.

On s'était répandu dans les campagnes, on s'était emparé des recteurs, à leur débotté, et on leur avait indiqué le séminaire pour le lieu de l'assemblée, tandis que le recteur de Saint-Sauveur ou de la Cité l'avait indiquée au Collège qui est dans l'étendue de sa paroisse.

Il est arrivé, de cette manière, que hier, 50 recteurs ou environ se rendirent au séminaire, tandis que 49 autres se réunirent au collège. M. de Reymond pérora les recteurs qui s'étaient rendus au séminaire, les menaça de la Noblesse et du Haut-Clergé et du Parlement surtout. « Vous aller voir le Parlement s'élever sur les débris du Tiers et, si vous ne vous joignez à lui, vous ne serez point épargnés, etc.. ».

Cependant M. Bourbria, recteur de Saint-Sauveur, fit part aux 49 qui l'entouraient de toutes ses instructions et, sur-le-champ, il leur offrit la démission de sa présidence, afin qu'il fût élu un président qui serait du choix de tout le monde. L'offre de cet homme généreux n'a point été acceptée et les 49 recteurs présents l'on prié de conserver la présidence.

On apprit alors au Collège ce qui se passait au Séminaire et l'on y envoya des députés pour inviter les autres recteurs à se rendre à L'assemblée qui les attendait pour délibérer. Ces députés étaient porteurs des instructions données au président. Leur lecture détrompa tout le monde et, de suite, on fut d'accord de se rendre au Collège. Malgré les efforts de M. de Reymond, le recteur de Saint-Sauveur a été proclamé, une seconde fois, par tout le monde. Il est donc président nommé par le roi et élu par ses pairs.

La Noblesse et le Haut-Clergé ont distribué dans les paroisses de campagne des charges qui tendent à réclamer l'exécution et la pleine observance du contrat de la Duchesse Anne. Il est apparent que ces bonnes gens sont assez instruits pour déchirer ce vieux parchemin » |Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1808].

L'assemblée adopta un cahier de charges et doléances comprenant 14 articles. Elle donna pouvoir aux électeurs qu'elle allait choisir « d'ajouter aux dites charges et doléances ce qui serait par eux jugé convenable, suivant les circonstances et événements qui pourraient avoir lieu » jusqu'au jour de l'élection des députés aux Etats généraux, « comme aussi de prescrire à ces députés la marche qu'ils auraient à tenir, soit pour la réunion du cahier des charges au cahier qui serait dressé par l'ordre de l'Eglise à Saint-Brieuc, soit à ceux qui seraient dressés par les assemblées ecclésiastiques des autres diocèses de la Province ».

Puis, conformément aux prescriptions de l'art. 13 de la lettre et règlement du roi du 16 mars et de l'état y annexé, l'assemblée, avant de se séparer, le 4 avril, désigna les 32 électeurs qui devaient se réunir le 20 du même mois.

Les électeurs diocésains.

Note : Arch. nationales, B. III 39, Procès-verbal de l'assemblée des électeurs du diocèse, du 20 au 23 avril 1789. Nous donnons quelques renseignements sur chacun de ces électeurs du 2ème degré, renseignements puisés à des sources très diverses, Arch. du Finistère, Arch. municipales de Douarnenez et d'Audierne ; — Bull. diocésain d'histoire et d'archéologie 1924, Manuscrit Boissière, passim. Au point de vue de leur situation matérielle, les électeurs du second degré peuvent être rangés en 4 catégories, 10 recteurs jouissaient d'une large aisance, ayant, en moyenne, 2.731 l. de revenus ; 9 recteurs avaient une bonne aisance, en moyenne, 1,658 l. de revenus. La 3° catégorie comprend 8 recteurs ayant, en moyenne, 1.200 l. Enfin, 5 ecclésiastiques : le supérieur du grand séminaire, le secrétaire de révêque et 3 prieurs occupaient une situation spéciale assez enviable].

1. HERVÉ Guillaume, recteur de Guiscriff. Agé de 60 ans en 1789, élu premier député, refusa ce mandat. Réfractaire, passa à Jersey et devint plus tard curé du Faouët.

2. LE CLERC Charles-César, recteur de Ploaré. En arrestation à Audierne en 1792, à Quimper, en 1793, et aux Capucins de Landerneau, en 1794. Déporté en rade de l'Ile d'Aix, il y mourut en 1794, à l'âge de 61 ans.

3. GUINO Jacques-Louis, recteur d'Elliant. Né à Guingamp en 1734, recteur de Plouézoch, de 1775 à 1778, puis chanoine et official de Tréguier, devint recteur d'Elliant, par permutation avec Laënnec, oncle du célèbre médecin. Elu 3ème député, siégea aux Etats généraux et, après la Constituante, demeura curé constitutionnel d'Elliant. Au Concordat, fut nommé à Recouvrance (Brest) où il mourut en 1808.

4. LOËDON (dit de Keromen) Nicolas-Joseph, recteur de Gourin. Né à Quimper vers 1738, fils d'un procureur au présidial. Elu député suppléant, siégea en remplacement de Hervé. Il prêta le serment, puis se rétracta en 1791. Un procès-verbal dressé en 1793, après une émeute à Roudouallec, porte que 4 prêtres, dont Loëdon, ex-constituant et ci-devant curé de Gourin, ont été reconnus déguisés en paysans. Loëdon mourut en Espagne en 1794.

5. DE PERRIEN Louis-Corentin, recteur de Plouhinec. Ancien recteur de Bannalec, docteur en théologie ; émigra en Espagne. Au Concordat, devint chanoine de Quimper.

6. DUMOULIN Alain, recteur d'Ergué-Gabéric. Né à Lanvéoc (Crozon) en 1748, frère du sénéchal de Crozon, en 1789. oncle de Mgr Graveran ancien évêque de Quimper. Emigra à Prague (Bohême) ; mort en 1811, vicaire général et curé de la cathédrale de Quimper.

7. LOËDON Jérôme, recteur de Beuzec-Cap-Gaval. Ancien jésuite, recteur à Landudec, puis à Beuzec-Cap-Caval. Prononça, le 12 novembre 1790, l'oraison funèbre de Mgr de Saint-Luc. Il prêta le serment, se rétracta, puis prêta encore le serment et devint curé constitutionnel de Plomeur. Il exerça les fonctions de commissaire du directoire exécutif au canton de Plomeur. En 1801, Loëdon était ministre du culte à Saint-Jean-Trolimon et figurait sur la liste des notabilités départementales du Finistère.

8. DE LEISSÈGUES-ROZAVEN Jean-Marie, recteur de Plogonnec. Né à Locronan en 1732, fils d'un procureur et notaire de la juridiction de Névet. Ancien jésuite, ex-professeur de philosophie à Caen, il prêta le serment, « avec la restriction expresse de tout ce qui peut regarder le spirituel », puis se rétracta. A la fin de la Constituante, il reprit sa cure de Plogonnec. Mais, insermenté, les patriotes lui créérent de nombreuses difficultés : ils l'accusèrent de ne pas publier, au prône, les décrets de l'Assemblée législative et de s'approprier l'argent de l'église et des chapelles [Note : Arch. du Finistère, Lv. clergé, district de Quimper. Lettre du 30 mars 1792], Leissègues émigra au début de l'été de 1792. Il mourut près de Vienne, en Autriche, en 1801.

9. LE PENNEC Pierre, recteur de Melgven. Son frère, François Le Pennec, était notaire royal et apostolique de la sénéchaussée de Concarneau et greffier du corps politique de Nizon. Réfugié en Espagne.

10. JOHANNIC Mathurin, prieur des Carmes de Pont-l'Abbé.

11. DÉMÉZIT Jean-Baptiste, recteur de Clohars-Fouesnant. Originaire de Douarnenez où il naquit vers 1755. En 1789, son père, ancien maire de Quimper était le doyen des avocats de cette ville. Démézit prêta le serment, puis se retira à Douarnenez, sous la Terreur. En 1795, il acquit le presbytère de Poullan, vendu comme bien national. En 1797, il jouissait d'une pension de 800 l.[Note : Arch. municipales de Douarnenez, Reg. des délibérations, an II et an III].

12. LE SINER Guillaume-Marie-Pierre, recteur de Plomeur. Né à Saint-Mathieu de Quimper, en 1748, fils d'un procureur au présidial. Réfugié en Espagne, devint recteur de Fouesnant, au Concordat [Note : Son frère Jérôme-René Le Siner était procureur à Quimper, rue du Chapeau-Rouge. Menacés d'arrestation par un arrêté du département du Finistère, en date du 1er juillet 1792, les recteurs Le Siner, De Perrien, Guenno et Le Bescond de Coatpont, ainsi qu'une trentaine d'autres prêtres, descendirent l'Odet sur des barques de pêcheurs, dans la nuit du 1er au 2 Juillet. Un petit navire qui les attendait au large de Bénodet les transporta à Bilbao où ils arrivèrent le 5 juillet].

13. L'HARIDON François-Marie, recteur de Châteaulin. L'Haridon, dit de Penguilly, bachelier de Sorbonne, devint, en 1789, recteur de Châteauneuf-du-Faou. En 1782, il logea, paraît-il, à Châteaulin, le tsarevitch (Paul Ier). Il émigra en Russie où il devint précepteur des enfants du tsar. Il mourut en exil, Il ne faut pas le confondre avec L'Haridon (Guillaume) originaire de Douarnenez où il naquit en 1739, recteur de Scaër en 1789. Guillaume L'Haridon prêta le serment et se retira à Douarnenez, sous la Terreur.

14. TRANVOËZ Jean, recteur de Pleyben. Il avait 49 ans en 1789. En arrestation aux Carmes de Brest en 1791, puis aux Capucins de Landerneau en 1794. Il est dit goutteux à cette époque ; transporté à l'île d'Aix en 1794.

15. DU LAURENS Alexandre-Hyacinthe, recteur de Trégunc. Du Laurens de La Barre, originaire de Concarneau et, sans doute, parent du sénéchal de cette ville ; neveu du chanoine et vicaire-général du même nom. Ancien recteur de Plonéour-Lanvern ; il se réfugia, en 1792, à Orléans où il passa la Terreur, gérant un petit bureau de tabacs. Recteur de Trégunc, au Concordat, puis peu après, chanoine de Quimper. Il mourut en 1818 [Note : Abbé Théphany, La persécution religieuse, op. cit. p. 253].

16. DE COATPONT (Le Bescond), Rolland-Michel, recteur de Poullan. Fils d'un procureur et notaire de Quimper. Succéda, en 1786, à son oncle Raoulin comme recteur de Poullan. Raoulin, âgé de 75 ans, démissionna en sa faveur, moyennant une pension viagère de 500 l. Le Bescond de Coatpont, réfugié en Espagne, dut rentrer, sous le Directoire, car en 1798, il fut déporté à l'île de Ré. Il devint curé de Saint-Louis de Brest après le Concordat.

17. BERNETZ Louis, recteur de Querrien. Agé de 83 ans en 1789, présida, comme doyen, l'assemblée des électeurs du clergé. Réfractaire ; en arrestation en 1793.

18. LE BIHAN Guillaume, recteur de Brasparts. Refusa le serment et provoqua des troubles à Brasparts en 1791. Le 22 novembre 1791, le conseil général du Finistère, réuni à ce moment, ordonna l'arrestation de Le Bihan et celle de son vicaire Le Page. Le vicaire seul put être appréhendé [Note : Procès-verbal des séances du département du Finistère, in-4° Derrien, Quimper, 1792, p. 14].

19. LE GUENNO Hervé, recteur de Pouldergat. Arrêté le 2 mai 1792 ; réfugié à Bilbao, en Espagne.

20. DE MAUDUIT Antoine-Adrien, recteur de Plovan. De Mauduit du Plessis émigra en Espagne ; devint, au Concordat, curé de Plogastel-Saint-Germain puis de Crozon et enfin vicaire-général à Quimper.

21 LISCOAT François, supérieur du séminaire de Quimper, Réfugié en Espagne.

22. BOISSIÈRE Dominique-Henri-Alexandre, prieur commendataire du Moustoir, (en Elliant). Né à Rennes, vers 1744, il était, en 1789, secrétaire de Mgr de Saint-Luc à l'évêché de Quimper et vice-promoteur du diocèse. Au Concordat, devint chanoine de Quimper ; mourut en 1805.

23. GRASCŒUR René, recteur d'Esquibien. Il avait 41 ans en 1789. Demeura curé constitutionnel d'Esquibien. En l’an V, il prêta le serment de haine à la royauté.

24. KERLEN Pierre-Joseph, prieur-recteur de Daoulas. Né à Quimper vers 1743. Réfractaire ; en arrestation à Landerneau en 1794 ; déporté à l'île d'Aix où il mourut la même année.

25. LE BAUT Guillaume, recteur de Cast. Assermenté ; fut l'un des 9 recteurs du Finistère qui participèrent à l'élection de l'évêque constitutionnel Expilly, en 1790.

26. LE COÉDIC Joseph, recteur de Plomodiern. Dut prêter le serment car il y avait deux prêtres assermentés à Plomodiern, au début de 1791.

27. BERTHO Mathurin, recteur du Faouët. Né vers 1743, ancien recteur de Motreff. Dut prêter le serinent. En l'an IX, il était ministre du culte à Quimperlé, (paroisse Saint-Michel). La même année, il fut élu sur la liste des notabilités départementales [Note : Arch. du Finistère, F. (fonds Hémon), n° 2. Liste des notabilités].

28. COLLET Jean-Paul-François, doyen de Rostrenen. Originaire de Rennes, âgé de 35 ans en 1789. Comme doyen de la collégiale de Rostrenen, il était recteur-décimateur de la paroisse de Kergrist-Moellou.

29. HUET Gabriel, prieur de l'abbaye de Bon-Repos. Prêta le serment. En 1797, l'ex-bernardin Huet était commissaire du directoire exécutif au canton de Broons (Côtes-du-Nord) [Note : H. Pommeret, L'esprit public dans les Côtes-du-Nord pendant la Révolution, p. 376].

30. BLANCHARD Mathurin, chanoine-recteur de Carhaix. Il avait 58 ans en 1789. Ancien professeur au collège de Quimper, puis recteur de Plouguer et chanoine de l'église Saint-Trémeur. Révolutionnaire ardent, il sera, en l'an II, avec Allain-Launay, un des agents les plus actifs du parti montagnard, à Carhaix [Note : P. Hémon, Carhaix et le district de Carhaix pendant la Révolution, passim].

31. LE BIHAN Jean-Bénigne, recteur de Plonéis. Né à Saint-Martin, en 1731, ancien vicaire de Crozon et de Kergrist-Moellou, recteur de Plonéis depuis 1780.

32. RIOU Jean-Etienne, recteur de Lababan, Né en 1735, au village de Hellez en Dinéault, recteur de Lababan depuis 1775. Avant refusé le serment, il se tint caché dans sa paroisse, déguisé en paysan. Arrêté en 1794, il fut condamné à mort par le tribunal criminel du Finistère et guillotiné à Quimper [Note : Bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie, op. cit. 1918, p. 63].

L'assemblée des électeurs du diocèse. — L'assemblée des électeurs siégea, du lundi de la Quasimodo, 20 avril, au jeudi 23, dans une salle du Séminaire de Quimper (Hospice actuel). Tous les électeurs furent présents, à l'exception de Tranvœz, recteur de Pleyben, qui donna procuration « en bonne et due forme » à son voisin Lharidon recteur de Châteaulin [Note : L'appel des électeurs ayant été fait, l'assemblée, « de suite, sortit pour aller assister à la messe qui a été célébrée par M. l'abbé Bernetz, doyen de MM. les recteurs du diocèse », après laquelle on chanta « les Prières accoutumées pour le roi ». Procés-verbal, op. cit. 10 avril]. L'assemblée élut, pour président, son doyen d'âge, l'abbé Louis Bernetz, recteur de Querrien, et, pour secrétaire, Dominique-Henri-Alexandre Boissière, prieur commendataire du Moustoir et secrétaire de l'évêché de Quimper.

Le nombre des députés à élire par le clergé du second ordre n'avait pas encore été fixé. Par une lettre datée de Saint-Brieuc, le 17 avril, le Commandant en chef et l'Intendant avisaient l'assemblée que le nombre de ces députés serait fixé incessamment, « d'après les résultats qui auront été pris à Saint-Brieuc ». En attendant de nouveaux ordres de Sa Majesté, les électeurs étaient priés « de suspendre l'élection des députés aux Etats généraux et de rester réunis dans la ville épiscopale ».

Intervention du Tiers. — A la même époque, du 16 au 22 avril, les électeurs des paroisses de la sénéchaussée de Quimper se trouvaient réunis à Quimper pour l'élection des députés du Tiers. Ils siégeaient au Collège, dans la salle dite « des actes publics », l'auditoire du présidial étant trop exigu.

Le bruit s'était répandu que l'assemblée diocésaine avait subi trop passivement l'influence du Haut-Clergé et de la Noblesse et que par suite les résultats de cette assemblée n'étaient pas de nature à satisfaire les paysans. Peut-être serait-il à propos, par une démarche courtoise auprès des électeurs du corps pastoral de contrebalancer les ingérences indiscrètes et autoritaires des ordres privilégiés Les députés des campagnes résolurent donc de présenter une adresse aux recteurs réunis, en ce moment, à Quimper. Le 20 avril, au matin, leur porte-parole, un bourgeois, sans doute, justifia la démarche en ces termes :

« Messieurs, la voix publique nous apprend qu'en leur assemblée des 2 et 3 de ce mois, nos pasteurs n'ont pas osé tous suivre la douce inclination qui les porte ordinairement à s'occuper de nos maux. Des hommes ennemis de notre bonheur ont cherché et trouvé les moyens de devenir membres d'une assemblée à laquelle les règlements ne les avaient point appelés et dont ils auraient dû se défendre eux-mêmes l'entrée, puisqu'ils ne renonçaient pas à ce serment affreux par lequel les nobles et le clergé du premier ordre ont prétendu enchaîner le corps national et rendre inutiles pour nous les projets bienfaisants de notre souverain.

Nous savons encore que quelques ecclésiastiques qui ne sont pas du corps pastoral et qui ne sont pas dignes de partager les sentiments de nos pasteurs ont essayé de les intimider en les menaçant du crédit du Haut-Clergé.

On nous a même assuré, et c'est là notre douleur, que quelques membres du corps pastoral se sont laissés séduire par le Haut-Clergé et les insinuations de la Noblesse. Ces honnêtes pasteurs ont oublié, un moment, que les habitants des campagnes sont aussi leurs frères et, s'ils ont usé de la prépondérance toujours accordée à l'âge, qui suppose avec l'expérience une habitude plus longue de la vertu, ce n'a été que pour retarder et empêcher même les réclamations des généreux et utiles pasteurs qui demandaient à s'occuper de nos maux.

Alors que le peuple est instruit qu'on trahit sa cause, il est naturel qu'il se réveille pour aller la défendre et je crois, mes chers concitoyens, que la raison nous commande la démarche que je vous propose.

Notre vue rappellera à tous les membres de cette assemblée qu'ils vivent sans cesse au milieu de nous et que c'est de nous qu'ils tiennent leur existence. Ceux dont nous avons à nous plaindre reviendront aux sentiments qu'ils ont quittés sans s'en apercevoir, et ceux qui ont cessé de vouloir qu'on s'occupe de nous reprendront, en nous voyant, l'énergie qu'ils n'auraient jamais perdue si le Haut-Clergé, moins impérieux, avait pu se persuader qu'un simple prêtre est aussi revêtu du caractère sacré de ministre des autels » [Note : Archives du Finistère. Procès-verbal de l'assemblée de la sénéchaussée de Quimper, 20 avril 1789].

L'assemblée, après avoir « admis d'une voix unanime l'adresse proposée » désigna neuf de ses membres pour la présenter à l'assemblée des électeurs diocésains. Cette délégation comprenait : Souché de la Brémaudière, de Plomelin ; Le Baron de Boisjaffray, de Kerfeunteun ; Le Pape, de Loctudy ; Le Brun, de Peumerit ; David, de Laz ; Tymen, de Briec ; Le Pape, de Plonéour ; Guitot, de Plomelin ; Le Bot, de Plougastel-Daoulas.

Une adresse des députés des campagnes.« L'adresse des députés des campagnes de la sénéchaussée de Quimper à MM. les électeurs du corps pastoral », très habilement rédigée par des bourgeois, résume avec une netteté vigoureuse les plaintes des paysans. Louanges discrètes au clergé paroissial, amertume des plaintes, véhémence des revendications, tout y est exprimé de la manière la plus judicieuse et la plus propre à persuader.

On y disait :
« Messieurs, les bons et utiles pasteurs qui s'occupent de près et journellement de l'indigence et de l'assistance du peuple connaissent plus intimement ses maux et ses appréhensions et c'est pour mieux connaître elle-même les maux de ses peuples que Sa Majesté vous appelle avec nous aux Etats généraux du royaume.

Peu capables d'indiquer, avec la source de nos maux, les moyens qui restent encore pour les adoucir nous avons besoin que votre justice s'accorde avec l'affection dont vous ne cessez de nous donner des preuves et nous sommes persuadés d'avance qu'en accomplissant le plus saint comme le plus doux de leurs devoirs, nos généreux pasteurs, qui sont nos amis, se feront notre appui le plus ferme pour noue délivrer de l'humiliante oppression où nous sommes réduits…

Vous êtes les témoins de nos souffrances. Dites donc au meilleur des souverains combien de fois vous nous avez vu arracher à la culture de nos moissons pour aller rendre plus facile la course rapide des chars d'honneur riches et souvent inutiles à l'Etat.

Les milices dépeuplent nos campagnes. Dites donc à notre roi que vous avez vu nous arracher nos enfants... Il est nécessaire, sans doute, que l'Etat ait des soldats ; il est nécessaire qu'il ait des marins. Mais si la guerre est un mal général, si elle ne se fait que pour protéger les propriétés des citoyens, tous les citoyens ne doivent-ils pas en partager les maux ?

Vous savez aussi, nos chers pasteurs, que le Tiers-Etat en général et les habitants des campagnes surtout sont infiniment maltraités dans la répartition actuelle des impôts... Pour éviter les effets trop funestes de l'accord qui règne entre la Noblesse et le Clergé du premier ordre, demandez que partout où la nation s'occupera, par elle-même ou par ses représentants, des intérêts communs de la société, le Tiers ait, à lui seul, autant de députés que les deux autres ordres réunis.

Le Tiers, qui rend justice à votre dévouement pour la chose publique, réclame partout votre assistance. Demandez donc à prendre part à toutes les délibérations...

La banalité des moulins nous retient dans une sorte de servage. Vous savez combien la nature du domaine congéable nuit au progrès de l'agriculture et à la propagation des bois. Vous savez combien les droits des seigneurs de rembourser les colons ruinent chaque année de familles. Dites un mot de cette manière de posséder qui nous laisse toujours dans l'incertitude de savoir si nous pourrons reposer demain sous le toit que nous fîmes élever hier...

Pour alléger le joug qui nous est imposé, dites encore un mot des corvées et des aides coutumières auxquelles nous sommes assujettis. Quelle est donc la loi d'équité qui peut contraindre le simple laboureur à porter, à ses frais, les pierres et les bois destinés à rebâtir la maison de son seigneur ? Eclairez enfin, nos chers pasteurs, éclairez la nation et le roi sur nos vrais besoins. Elevez la voix en notre faveur ! » [Note : Archives du Finistère, cahiers de doléances].

Dans l'après-midi du 20 avril, en réponse à la démarche faite le matin, une députation des électeurs diocésains se présenta à l'assemblée du Tiers, Les délégués du clergé, Loëdon, recteur de Beuzec-Cap-Caval, Guino, recteur d'Elliant, Dumoulin, recteur d'Ergué-Gabéric, et Huet, prieur de Bon-Repos, déclarèrent qu'ils avaient « le plus vif désir de contribuer au bonheur de leurs concitoyens et assurèrent qu'ils allaient s'occuper de l'adresse des députés des campagnes dont ils connaissaient les besoins » [Note : Procès-verbal de la sénéchaussée, op. cit.].

La rédaction du cahier. — En vue de compléter le cahier de doléances, différents mémoires avaient été adressés par des membres du clergé. Lecture en fut donnée à l'assemblée qui désigna une commission de 8 membres « pour refondre les différents mémoires dans les charges déjà arrêtées, pour en former un seul et même cahier ». Cette commission comprenait : MM. Hervé, recteur de Guiscriff, De Perrien, recteur de Plouhinec, le R. P. Johannic, prieur des Carmes de Pont-l'Abbé, Liscoat, supérieur du séminaire de Quimper. Loëdon, recteur de Gourin, Blanchard, recteur de Carhaix. Le Guenno, recteur de Pouldergat, et Guino, recteur d'Elliant [Note : Procès-verbal de l'assemblée des électeurs du diocèse, op. cit., 20 avril].

La rédaction des charges dut être laborieuse car, en ce qui concernait les doléances du Tiers, l'unité de vues était loin d'être complète. Tandis que certains recteurs estimaient d'une nécessité primordiale la réduction des privilèges de la Noblesse et du Haut-Clergé, d'autres se montraient plus soucieux de préserver leurs propres privilèges, à l'encontre des revendications égalitaires du Tiers. Les plus âgés étaient les plus conservateurs et, sans doute, les plus clairvoyants. Ennemis des nouveautés, par tempérament et par tradition d'église, ils jugeaient que des réformes profondes auraient infailliblement pour rançon le sacrifice de tous les privilèges d'impôts. C'était, à leur avis, pour un bénéfice aléatoire, courir des risques certains.

Dans la matinée du 21 avril, pendant que cette commission, « dans un appartement séparé », s'occupait de la rédaction définitive des charges, un courrier extraordinaire, venant de Saint-Brieuc, apporta au subdélégué de Quimper les ordres attendus. Aussitôt, Le Goazre remit au président une lettre datée du 19 avril, « portant que l'intention de Sa Majesté était que l'assemblée nommât 3 députés et que cette élection eût lieu incessamment, afin que les députés pussent être rendus à Versailles, le 27 de ce mois ».

Le même jour, des correspondances particulières firent connaître les résolutions prises à Saint-Brieuc par les ordres privilégiés qui persistaient à ne pas députer aux Etats généraux et, d'avance, désavouaient tous ceux qui « prétendraient représenter aux Etats généraux la Province ou quelqu'un des ordres qui la composent ». En continuant leurs opérations électorales, les électeurs du Bas-Clergé savaient donc, officieusement, mais pertinemment, qu'ils encouraient le blâme du Haut-Clergé qui les accusait « d'opérer dans le clergé une division sans exemple, aussi funeste à la religion qu'au bien de la Province ».

MM. les commissaires de la rédaction furent priés « de presser leur travail le plus qu'il leur serait possible ». Dans l’après-midi, l'assemblée adopta « le cahier des charges et doléances, au nombre de 26 articles ».

Les vœux et doléances du clergé. — Il eût été fort intéressant de connaître ce cahier dans sa teneur exacte. Malheureusement toutes les recherches que nous avons faites pour le retrouver sont demeurées infructueuses. Le procès-verbal qui a été conservé ne nous renseigne qu'imparfaitement sur les charges et doléances de l'assemblée diocésaine.

MM. Sée et Lesort qui ont étudié les cahiers du Bas-Clergé des diocèses de Rennes, Dol, Saint-Malo et Tréguier y trouvent d'assez grandes analogies avec les doléances du Tiers. « Tous ces cahiers, modérés dans leur forme, demandent l'égalité de tous les citoyens devant la loi et devant l'impôt, le rétablissement de l'ordre et de l'économie dans les finances, la périodicité des Etats généraux et la création de commissions intermédiaires entre leurs sessions, la reconstitution des synodes diocésains et l'extension de leurs attributions, la restitution des dîmes aux pasteurs des paroisses, la préférence en faveur des recteurs âgés pour la nomination aux canonicats, etc... » [Note : H. Sée et A. Lesort, Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Rennes, t. I., p. CX].

Au dire de M. Kerviler, le cahier du diocèse de Quimper mérite cependant une mention spéciale. « Il se sépare de ceux des autres diocèses, au sujet des privilèges de l'ordre, et ne consent aux impôts que sous forme d'abonnement ».

« Les députés, déclare-t-il, demanderont la conservation des privilèges du clergé et le droit de s'imposer lui-même, de n'offrir au roi que des dons gratuits, les seuls qui soient analogues à la nature des biens dont il jouit et dont chaque individu n'est que l’usufruitier ».

« Puis, il ajoutait deux articles spéciaux pour demander, l'un, que les catholiques fussent appelés aux charges et offices publics à l'exclusion des a-catholiques, l'autre, que les Jésuites, le cas échéant, fussent rappelés et, sinon, qu'aucun corps ne reçut la charge de l'instruction publique s'il ne dépendait de l'ordinaire » [Note : R. Kerviler, La Bretagne pendant la Révolution, Société des Bibliophiles bretons, 1912, p. 13].

Ainsi, sur deux points essentiels, tout au moins, l'égalité des citoyens et la laïcité de l'Etat, le Bas-Clergé cornouaillais se séparait du Tiers.

Refus du clergé de Léon. — Seul, en Bretagne, le clergé du Léon se soumit aux injonctions des ordres privilégiés et refusa de députer aux Etats généraux. Cependant la convocation du second ordre du clergé y fut, à la fin de mars 1789, favorablement accueillie par la majorité des recteurs. Ceux-ci réunis à Saint-Pol, le 2 avril, désignèrent leurs 20 électeurs du second degré. Les suffrages se portèrent en majorité sur des ecclésiastiques qui jouissaient d'une large aisance. La plupart des recteurs élus étaient titulaires d'importants bénéfices-cures et profitaient des gros fruits de leur paroisse. Douze de ces bénéfices pouvaient être comptés au nombre des 24 meilleurs bénéfices attribués, en Léon, au clergé de second ordre. Huit d'entre eux (Cléder, Ploudaniel, Ploudiry, Plouvorn, Ploudalmézeau, Guimiliau et Sizun), pouvaient même être rangés parmi les 12 meilleurs. Deux recteurs seulement se trouvaient à la portion congrue : ceux du Minihy-Saint-Pol et de Saint-Martin. Mais, à Saint-Pol et à Saint-Martin, l'importance du casuel suppléait aux dîmes. Les 3 recteurs les moins favorisés étaient à la tête de paroisses de moyenne importance : Sibiril, La Forêt et Landunvez qui comptaient chacune environ 1.200 habitants.

A l'instigation des privilégiés, quelques recteurs recommandèrent l'abstention. Néanmoins, les électeurs du second degré, résolus à poursuivre leur mission, s'assemblèrent, le 20 avril, à Saint-Pol, en vue de choisir leurs députés aux Etats généraux. Le 21 avril, au cours de leurs travaux, les électeurs eurent connaissance des décisions prises à Saint-Brieuc, les 19 et 20 avril, par la Noblesse et le Haut-Clergé qui déclaraient « désavouer formellement tous ceux qui, n'avant pas été nommés par les Etats de Bretagne, prétendraient représenter, aux Etats généraux, la Province ou quelqu'un des ordres qui la composent ». Par 12 voix contre 8, l'assemblée décida de suivre l'exemple du Haut-Clergé [Note : Abbé J. Tanguy, Une ville bretonne sous la Révolution (Saint-Pol-de-Léon), Brest, 1903, p. 27 et sqq.].

L'élection des députés. — Le 22 avril on procède aux élections. Les 3 scrutateurs furent les recteurs Bernetz, Hervé et Leissègues de Rozaven. Successivement furent proclamés : 1er député, Guillaume Hervé, recteur de Guiscriff, supérieur des missions du diocèse ; second député, Jean-Marie de Leissègues-Rozaven, recteur de Plogonnec ; troisième député, Jacques-Louis Guino, recteur d'Elliant. « Sur l'observation qu'il serait à propos de nommer un suppléant, en cas de maladie, refus ou autre empêchement de la part des sus-dits députés », on désigna, par la voie du scrutin, pour député suppléant, Nicolas-Joseph Loëdon de Keromen, recteur de Gourin.

Le 23 avril, et peut-être, la veille au soir, on apprit à Quimper que les électeurs du clergé de Léon, instruits de la décision prise par les deux ordres convoqués à Saint-Brieuc, avaient, dès le mardi 21 avril, à la majorité de 4 voix, décidé de se ranger à l'avis des privilégiés et de ne point nommer de députés. Ces nouvelles n'ébranlèrent pas la volonté de la majorité mais il est permis de croire que quelques membres de l'assemblée virent croître leurs hésitations et leurs scrupules.

A l'ouverture de la séance du 23, le 1er député, Hervé « déclara que son âge, sa mauvaise santé et ses infirmités ne lui permettaient pas de répondre à la confiance de l'assemblée ». En conséquence, il fut décidé que le suppléant, Loëdon de Keromen, se rendrait aux Etats généraux.

Charges supplémentaires et conditionnelles. — Sur ces entrefaites aussi, on connut à Quimper la « Protestation de la Noblesse » et la « Déclaration et protestation de l'ordre de l'Eglise assemblé à Saint-Brieuc ». Le bruit se répandait que le Bas-Clergé breton suivrait l'exemple des ordres privilégiés et que, tout au moins, « plusieurs diocèses de la Province ne députeraient pas aux Etats généraux ».

Envisageant diverses éventualités, l'assemblée compléta ainsi ses charges : « Nous, électeurs, enjoignant à nos députés de se rendre à Versailles, leur avons donné charge de ne se présenter aux dits Etats que dans le cas ou 4 diocèses de Bretagne, non compris celui de Quimper, y auraient envoyé des députés, à moins toutefois qu'ils ne reçussent des ordres du roi, auxquels ils se conformeront. Qu'avenant que nos députés n'assisteraient pas aux Etats généraux ou qu'ils ne reçussent pas des ordres du roi, nous déclarons adhérer à la délibération prise par le premier et le second ordre de l'Eglise assemblés à Saint-Brieuc, le 17 du présent mois, et nous en rapporter, en ce qui concerne la répartition des impositions, à celle qui sera consentie par le clergé de France ».

***

Les résultats des assemblées du clergé cornouaillais furent considérés comme un succès pour le Tiers. « Malgré les insinuations du clergé de premier ordre, dit le subdélégué Le Goazre, nos recteurs ont nommé pour députés aux États généraux MM. Leissègues de Rozavcn, Guino et Loëdon. Ils préparent leur voyage et partiront » [Note : Arch. d'I.-et-V. C. 1808. Au moment de leur départ pour Versailles, « Guino et Loëdon prirent sur leur compte de puiser dans la caisse du receveur des décimes une somme de 1.200 l. pour frais de route ». L'insouciant Laënnec négligea de réclamer le remboursement de cette avance. A la fin de 1792, l'administration du Finistère s'aperçut de l'irrégularité commise et demanda la restitution des 1.200 l. Mais à ce moment, Loëdon et Leissègues étaient déjà fugitifs. - Cf. Rapport des opérations du Directoire du Finistère, in-4° Brest, Gauchlet, 1793, p. 16]. Succès relatif cependant puisque sur un point capital, la question des impôts, le clergé réclamait le maintien de ses privilèges. Mais le choix des députés paraissait d'un bon augure. On savait ces députés « désireux de s'occuper des besoins du peuple ». L'un d'entre eux, Guino avait même été chargé, le 20 avril, d'en donner l'assurance aux représentants du Tiers.

Les Députés à Versailles. — On sait qu'à Versailles. « les Bretons prirent une place à part et une situation prépondérante, soit qu'ils eussent acquis dans les États de la province une plus grande expérience de la vie publique et des débats parlementaires, soit qu'ils apportassent dans leurs motions une énergie et une ténacité toutes bretonnes » [Note : B. Pocquet, Les origines de la Révolution en Bretagne, t. II, p. 372].

L'expérience leur avait appris « à régler entre eux une marche uniforme » et à concerter toujours leurs votes. Or, à Versailles, comme à Rennes, ils étaient résolus, selon l'expression de l'un d'entre eux à « marcher du même pied ». Aussi, dès leur arrivée à Versailles, les députés bretons s'occupèrent-ils de trouver un local où ils pourraient s'assembler tous les soirs. Ce local ayant été retenu dès le 30 avril, la « Chambre de Bretagne » qui deviendra bientôt le « club breton » y tint des séances régulières. L'entente fut tout de suite parfaite entre les députés des diverses sénéchaussées et l'on espérait bien que les recteurs bretons ne manqueraient pas de lier leur cause à celle du Tiers.

De leur côté, les 20 députés du clergé breton entendaient agir de concert. De part et d'autre, on estimait que toute dissidence dans la députation bretonne serait pernicieuse et qu'au contraire l'unité de vues serait un gage de succès. Des conférences entre les Députés des deux ordres préparèrent l'harmonie désirée et, dès le 3 mai, d'un commun accord, on « décida de travailler à établir la concordance entre tous les cahiers des sénéchaussées et ceux du clergé du deuxième ordre et, le surlendemain, 12 commissaires furent désignés pour commencer ce travail ».

Ainsi, l'unité de la représentation bretonne était réalisée en fait, six semaines avant l'unité de la représentation nationale.

Le 10 juin, les recteurs bretons déclarèrent nettement, à la Chambre du clergé vouloir la fusion des trois ordres et, par suite, la délibération en commun et le vote par tête. Ils entendaient donner au Tiers, non seulement une adhésion individuelle, mais l'adhésion collective de la majorité de l'ordre de l'Église. C'est pour obtenir cette majorité qu'ils demeurèrent provisoirement à la Chambre du clergé.

On sait que, las d'attendre, 3 curés du Poitou se joignirent au Tiers, le 13 juin, Le lendemain, 2 recteurs bretons suivirent leur exemple. Quand, le 17 juin, le Tiers État se constitua en Assemblée nationale, 3 recteurs bretons s'étaient déjà ralliés aux députés des communes. Dès lors, les événements se précipitèrent. Le 19 juin, il se trouva, à la Chambre de l'Église, une faible majorité en faveur de la vérification des pouvoirs en commun. Cette décision assurait désormais le triomphe du Tiers. Les privilégiés et la Cour sentirent douloureusement le coup qui leur était porté ; alors leur apparut la nécessité d'un coup d'État auquel répondit par avance le serment du Jeu de Paume.

Les premières défections des curés avaient provoqué une violente colère dans la Noblesse bretonne. Le comte de Quélen écrivait, le 15 juin, au Président de Saint-Luc. « Samedi, 3 curés ont déserté la Chambre ecclésiastique et se sont jetés à celle du Tiers. MM. du Tiers s'attendent à une recrue de la Noblesse. Mais je ne crois pas qu'aucun membre ose faire une pareille lâcheté. L'indignation suivrait de près dette démarche et on ne s'y exposera pas. Les choses sont au point qu'il faudra que Sa Majesté montre son autorité pour contenir l'ordre du Tiers qui est si insubordonné ». Le 24 juin, le même correspondant ajoutait : « Les députés bretons sont les plus fougueux. Lundi dernier, le Tiers s'assembla dans l'église Saint-Louis de Versailles et y prit un arrêté violent. Sept évêques ont abandonné la Chambre de l'Église pour se joindre à lui, ainsi que la plupart des curés. Voilà une salade bien deshonorante pour eux, si toutefois on peut deshonorer ceux qui sont sans honneur » [Note : Arch. nationales, W. 423].

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On sait qu'à la fin de juillet 1789, le clergé de Léon se ravisa. Convoqué à nouveau, le 3 août, cette fois, avec l'assentiment de Mgr de La Marche, les électeurs choisirent enfin 2 députés : Dom Claude Verguet, prieur de l'abbaye du Relecq et Louis-Alexandre Expilly, recteur de la paroisse de Saint-Martin de Morlaix. L'attitude résolue de la majorité de la Constituante et les récents mouvements populaires avaient fait fléchir l'opiniâtreté de beaucoup de privilégiés, en Bretagne. Certes, le clergé du Léon éprouva quelque gêne à s'excuser de ses hésitations et de son retard : « Les soussignés électeurs, dans leur assemblée du 21 avril dernier, par la fatalité des circonstances, s'étant trouvés incertains sur les moyens de coopérer au bien public et de remplir les vœux du roi de la nation et de leurs commettants, se virent avec douleur obligés d'arrêter l'ardeur de leur zêle, en différant la députation dont ils s'étaient chargés…

... Aujourd'hui que l'auguste Assemblée des États généraux qui par sa sagesse, son courage et sa fermeté remplit l'Europe d'admiration et annonce le bonheur du monarque et du peuple, leur permet de faire usage de leurs pouvoirs et de la confiance de leurs commettants, ils saisissent avec empressement l'heureux moment de devenir les témoins et les admirateurs présents des merveilles qui assurent à jamais la félicité de l'Empire français et s'ils n'ont pas pu partager jusqu'à présent ses glorieux travaux et les dangers qu'elle a courus, ils se feront, au moins, gloire d'imiter ses grands exemples de générosité, d'énergie et de patriotisme et de les suivre constamment, pendant le reste de la carrière qu'elle a ouverte d'une manière si éclatante » [Note : Abbé J. Tanguy, Une ville bretonne sous la Révolution, op. cit. p. 29 et sq.].

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L'attitude résolue des députés bretons et la cohésion spontanément établie entre eux durent frapper d'étonnement les contemporains. Dès le mois de mai 1789, le « Hérault de la Nation » disait : « Les curés de Bretagne sont appelés dans leur chambre la phalange macédonienne et les représentants du peuple breton, les grenadiers des États généraux ».

Les trois députés du clergé de Cornouaille, Leissègues, Guino et Loëdon, ne parlèrent point à l'Assemblée constituante. « Ce trumvirat de recteurs semble avoir fait une ligue de silence », disait, en parlant d'eux, l'Almanach des Députés de l'Assemblée nationale. Tous trois votèrent à peu près constamment, avec la gauche de l'Assemblée et prêtèrent le serment. Toutefois, Leissègues et Loëdon se rétractèrent et moururent en exil [Note : Parmi les 28 députés du clergé breton qui siégèrent à l'Asssemblée constituante, « 17 prêtèrent le serment à la constitution civile du clergé, mais 7 d'entre eux le rétractèrent officiellement et se résignèrent à l'exil », R. Kerviler, op. cit, p. 14]. Quant à Guino, il demeura toujours un ferme partisan de la constitution civile. Rentré dans sa paroisse d'Elliant, à l'expiration de son mandat à la Constituante, il fut l'auxiliaire le plus dévoué de l'évêque Expilly pour l'organisation de l'église constitutionnelle. A la mort de ce dernier, Guino présida le presbytère ou collège de prêtres assermentés chargé d'administrer provisoirement le diocèse. Il fut le véritable remplaçant de l'évêque, de 1794 jusqu'à l'élection de l'évêque Audrein, en 1798. Nomme curé de Recouvrance à Brest, au Concordat, il mourut, en 1808, sans avoir rien renié de son passé révolutionnaire.

(Jean Savina).

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