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L'abbé missionnaire Cormeaux François-Georges (1746-1794).

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L'abbé Cormeaux est une des plus vénérables et des plus attachantes figures du martyrologe révolutionnaire de Bretagne ; sa mémoire est encore entourée du respect universel du clergé et des populations ; mais, dans la génération présente, bien peu connaissent les détails des travaux apostoliques et du martyre de ce saint prêtre. Notre époque est si fiévreuse et si agitée, qu'une histoire, vieille de cinquante années à peine, n'est plus qu'une vague réminiscence aussi difficile à fixer qu'une légende du moyen-âge ; nous avons perdu l'esprit provincial et l'esprit de famille, nous n'avons plus de tradition orale.

En 1796 parut un petit volume de format in-12. devenu rare aujourd'hui, et qui a pour titre : Vie de M. Cormeaux, curé en Bretagne et zélé missionnaire, décapité à Paris en 1794. L'auteur était un prêtre, de la congrégation de Saint-Sulpice, dit-on, compagnon de captivité et ami intime de l'abbé Cormeaux. Le biographe, qui ne manque pas de mérite, s'est proposé surtout un but de piété et d'édification ; son récit, simple et touchant, est interrompu à chaque phrase par des réflexions dévotes et instructives, fort profitables assurément pour les âmes pieuses, mais qui nuisent un peu à l'intérêt de la narration elle-même.

Ai-je besoin de dire maintenant pourquoi et comment j'ai écrit à mon tour la présente notice ?

François-Georges Cormeaux naquit à Lamballe, le 10 novembre 1746. Son père était notaire et s'était acquis l'estime de tous par sa capacité et par son intégrité. La pratique sincère des devoirs du chrétien garantissait chez lui la loyauté et la délicatesse de l'honnête homme. La mère était un ange de piété et de vertu : tous les hommes prédestinés ont été bercés par des saintes. Madame Cormeaux eut pour son François d'ineffables dévotions ; tandis qu'elle l'avait encore dans son sein, elle le consacra à Dieu ; et peu de temps après sa naissance, elle le voua à la Vierge sous les voûtes bénies de l'antique chapelle de Notre-Dame. Ainsi, pour me servir de l'expression mystique d'un vieil hagiographe, elle fut deux fois la mère de son fils : elle enfanta son corps à la vie et son âme à la grâce. Le fils voulut bientôt ratifier lui-même le vœu maternel ; il allait prier tous les jours devant l'autel de Marie, et son grand bonheur était d'étudier à l'ombre des murs de la Collégiale, sur cette pittoresque montagne où la chapelle de Notre-Dame s'assied comme pour garder la cité qui s'abrite au pied.

Le jeune Cormeaux était une délicate et frêle nature, qui n'eut pas d'enfance. A l'âge de huit ou neuf ans, ses parents le confièrent à un pédagogue hypocrite qui cachait sous des dehors austères les phis mauvais instincts. La vertu de son petit élève était pour ce maître indigne un reproche tacite qu'il ne pouvait endurer ; il prit l'écolier en haine, le tracassa et le persécuta de toutes les manières, et alla même jusqu'à le maltraiter. Le pauvre enfant souffrit tout avec patience, et il fallut que ses parents s'aperçussent eux-mêmes de ce qui se passait pour le retirer des mains de ce coquin.

François fit sa première communion à l'âge de onze ans, avec la maturité d'un homme fait et la piété d'un ange.

Il alla ensuite au collége de Saint-Brieuc, qui était alors très-florissant et que dirigeaient des ecclésiastiques du diocèse. Il y fit ses classes avec de grands succès, qui marquaient à la fois l'heureuse aptitude dont il était doué, et un précoce amour de l'étude. En rhétorique, il remporta tous les premiers prix ; son triomphe le laissa simple et modeste.

Le temps était venu de faire choix d'un état. Le jeune rhétoricien aurait senti un grand goût pour la compagnie de Jésus, à cause de saint Louis de Gonzague et de saint Stanislas Kostka qu'il s'était donnés pour patrons et pour modèles, dès le jour de sa première communion; mais il n'y pouvait plus songer désormais : le premier succès des incrédules dans leur œuvre de destruction sociale, avait été le bannissement des Jésuites.

Cormeaux se décida pour l'état ecclésiastique et prit la soutane. Sa famille avait obtenu pour lui une bourse dans je ne sais quel collège de Paris. Il s'y rendit pour achever ses études ; il avait alors seize ans. Le petit abbé était venu à Paris plein de zèle et d'ardeur pour profiter des moyens que lui offrait la première université du monde, de compléter une éducation dont les bases étaient si fortes et si solides. Il fut bientôt désenchanté. Le collège où il était tombé lui offrit, dès les premiers jours, les tristes symptômes d'une société corrompue : incrédulité chez les maîtres, libertinage chez les écoliers. Le pauvre enfant en éprouva un chagrin si profond, un dégoût si amer, qu'il tomba sérieusement malade. Il fallut revenir bien vite ; l'air natal, le spectacle de la piété et de la foi bretonnes lui rendirent bientôt la joie de l'âme et la santé du corps, et il rentra au collège de Saint-Brieuc, qu'il eût voulu n'avoir jamais quitté, pour faire son cours de philosophie. « Il s'y distingua parmi ses compagnons d'étude, dit notre biographe anonyme, par la beauté de son esprit et l'aménité de son caractère, par la grande innocence de ses mœurs et sa singulière piété ».

« Dans le temps des vacances que Cormeaux passait dans sa famille, poursuit le dévot auteur que j'abrège, il y menoit la vie d'un solitaire, ce qui donnoit occasion à ses parents de lui reprocher d'être sauvage. Il ne connaissoit presque que sa chambre, l'église, la chapelle de la sainte Vierge, la maison d'un chrétien d'une rare piété chez qui il mangeoit quelquefois, et celle d'une religieuse âgée qu'il appeloit sa mère. Il allait la voir fréquemment pour se procurer le délicieux plaisir de parler de Dieu. Lorsqu'il paraissoit seul, il n'étoit point seul : il étoit avec Dieu, à qui il rendoit successivement toute sorte d'hommages et qui parloit à son cœur. Il étoit en société avec son saint Ange, qu'il voyoit des yeux de la foi et à qui il ne cessoit de se recommander ».

M. Cormeaux entra au grand séminaire. Il fit paraître dès-lors la vocation spéciale qu'il avait reçue du ciel pour la prédication. C'était un usage, au séminaire de Saint-Brieuc, de préparer les jeunes clercs à la chaire, en les faisant prêcher en présence des superieurs et des élèves assemblés. L'abbé Cormeaux prononça sur ce texte : Ave, gratiâ plena, un discours qui nous a été conservé. « Tous furent dans l'admiration de ce qu'il dit et de la manière dont il le dit ». Les populaires triomphes du missionnaire vinrent plus tard sanctionner le précoce et difficile succès du séminariste.

L'abbé Cormeaux, déjà diacre, fut pris d'une telle terreur des obligations du sacerdoce séculier, qu'il eut l'idée de se faire Chartreux ; il y renonça bientôt, et, pour obéir à l'ordre de ses supérieurs, il entreprit le voyage de Tréguier pour se faire ordonner prêtre, parce qu'il n'y eut pas d'ordination à Saint-Brieuc, à cette époque. Il était alors extrêmement souffrant : les violentes inquiétudes de son âme avaient altéré une santé peu robuste ; on crut plusieurs fois qu'il allait expirer dans la route, et il se traîna mourant à l'autel. Mais le sacrement eut pour lui un effet prodigieux : sous l'imposition des mains du pontife, le jeune prêtre se sentit guéri et plein d'une force qu'il ne s'était jamais connue.

Immédiatement après son ordination, il se retira à Lamballe, au milieu de sa famille. Il commença aussitôt à prêcher toutes les fois que l'occasion s'en présenta : c'était une vocation spéciale, presqu'une passion : il en convenait et disait que c'était sa folie. Mais autant il avait de goût pour la chaire, autant il avait d'éloignement pour le confessionnal. Il fallut des ordres formels de ses supérieurs pour vaincre ses répugnances, ou plutôt ses craintes.

Dans les premiers temps de son séjour à Lamballe, M. Cormeaux se livrant tout entier à son goût pour la retraite, s'isola complètement ; mais la vieille religieuse, qui était toujours sa mère spirituelle, lui reprocha de donner ainsi à sa vertu et à sa piété un air d'austérité bizarre. La fête de saint François de Sales approchait ; ils convinrent tous deux, la religieuse et le prêtre, de faire une neuvaine, pour obtenir à l'abbé Cormeaux, l'amabilité et l'affabilité délicieuses de l'immortel évêque de Genève. Leur vœu fut pleinement exaucé, et le lendemain du neuvième jour, M. Cormeaux n'était plus ce sombre solitaire, que l'on vénérait de loin, peut être, mais qu'on n'osait aborder, et qui ne savait pas sourire.

L'abbé Cormeaux ne demeura pas longtemps à Lamballe : il fut nommé vicaire de Meslin. Le recteur de cette paroisse était un vieillard vénérable, le doyen et le modèle du clergé de la contrée. Il y eut dès le premier jour entre le recteur et le vicaire une de ces amitiés saintes, dont il faut aller chercher la tradition aux premiers jours de l'Eglise. Sous l'humble toit du presbytère de Meslin, les anges entendirent des entretiens semblables à ceux des pères de la vie monastique avec leurs disciples. Le vieillard enseignait au jeune homme les divins secrets de la contemplation intérieure et les difficiles devoirs des fonctions ecclésiastiques, et le jeune homme, laissant à son vieux maître de pieux loisirs, achetés par toute une vie de travail, se chargeait seul du ministère extérieur. Les paroissiens de Meslin, reportèrent sur leur nouveau vicaire tout le respect et tout l'amour qu'ils avaient pour leur pasteur. Le recteur inspiré et par son amitié pour M. Cormeaux, et par son désir du salut de ses ouailles, résolut de résigner son bénéfice en faveur du jeune prêtre ; mais toutes ses instances pour déterminer ce dernier à accepter, vinrent échouer devant une humilité effrayée de l'étendue des obligations du saint ministère, et lorsque le vieux recteur eut rendu le dernier soupir, l'abbé Cormeaux quitta la paroisse de Meslin et se retira de nouveau à Lamballe.

Son désir était de se consacrer tout entier aux missions. Déjà, la petite paroisse de Meslin ne suffisant pas à son zèle, il était entré dans la société des missionnaires diocésains, et avait dirigé plusieurs exercices de retraite dans les communautés voisines. Mais il pensait que le travail des missions n'est possible, qu'à la condition, pour le missionnaire, d'appartenir à un ordre monastique, ou du moins à une congrégation régulière. Il faut à l'apôtre, fatigué de ses courses et de ses labeurs, un asile silencieux pour se refaire et se retremper dans la méditation, au milieu des exemples et des conseils que peut seule donner la vie commune. L'abbé Cormeaux songeait donc à quitter le diocèse de Saint-Brieuc et à se faire admettre dans la Société des Sulpiciens, qui avaient à Nantes une maison de missionnaires. L'évêque de Saint-Brieuc eut connaissance des projets de l'ancien vicaire de Meslin, et regardant l'éloignement d'un pareil sujet, comme une perte pour le diocèse, le prélat laissa voir son étonnement et son mécontentement à quelques personnes qui en prévinrent M. Cormeaux. Celui-ci se hala d'aller se justifier, exposer ses motifs et demander l'autorisation qui lui était nécessaire : non-seulement l'exeat lui fut refusé, mais on lui ordonna de se présenter immédiatement au concours pour deux cures alors vacantes [Note : Lorsqu'en 1516, un Concordat intervint entre Léon X et François 1er, la Bretagne qui gardait encore ses institutions propres, malgré la consommation de l'Union, ne fut pas comprise dans les stipulations de ce Concordat. Rome conserva selon l'ancien droit, la nomination des bénéfices vacant en Bretagne, pendant huit mois de l'année. Cette réserve de la souveraine autorité pontificale donna ouverture à de graves abus, surtout lorsque l'absorption progressive des priviléges bretons par la France eut rompu toute relation directe de la Bretagne avec le Saint-Siége. Nos ducs avaient souvent leur ambassadeur prés du Pape ; souvent le Pape avait un légat à la cour des ducs ; désormais cette double garantie avait disparu. On vit d'indignes solliciteurs encombrer les anti-chambres romaines. La franchise bretonne les flétrit du nom de Romipètes ; ou vit en Basse-Bretagne des curés qui ne savaient pas un mot de la langue de leurs ouailles. Benoît XIV fit cesser ces abus en instituant par sa bulle du 1er octobre 1740, les Concours, c'est-à-dire en chargeant les évêques de mettre au concours les bénéfices vacants pendant les mois du Pape. Cette mesure, abolie en 1791, fit du clergé breton le premier clergé de France]. Cet ordre le surprit beaucoup ; il obéit, persuadé que c'était une humiliation que Dieu lui ménageait, car le nombre des concurrents était considérable, on comptait parmi eux des ecclésiastiques dont le mérite était connu ; il n'était pas possible qu'un jeune homme de trente-deux ans, pris à l'improviste, pût lutter avec avantage. L'épreuve eut lieu, et l'unanimité des suffrages proclamant l'abbé Cormeaux supérieur à tous ses rivaux, lui laissa le choix des deux cures. L'une était Plaintel, vaste et populeuse paroisse, dont le revenu était réduit à la portion congrue ; l'autre était un riche bénéfice, facile à desservir et situé aux portes mêmes de Lamballe. Au point de vue humain, il n'y avait pas à hésiter ; l'abbé Cormeaux n'hésita pas ; mais, obéissant à des motifs de zèle et de foi, il opta pour Plaintel. C'était dans le courant de l'année 1779.

Le nouveau recteur eut le bonheur d'avoir pour vicaire un de ses anciens condisciples, l'abbé Basset, homme vertueux et dévoué, fait pour comprendre une nature d'élite. Il se forma entre eux une complete et intime amitié. L'abbé Basset fut chargé de l'administration du faible revenu de la cure et de tous les soins extérieurs ; le recteur, délivré de ces soucis pour lesquels il se sentait une antipathie profonde, put se livrer tout entier à son zèle apostolique et à son attrait pour la vie contemplative. Il pratiqua ainsi, dans le sacerdoce séculier, les grands préceptes de la vie monastique : la pauvreté et l'obéissance. Le vicaire était à la fois l'économe et le supérieur. L'abbé Cormeaux n'avait pas un sou, pas même pour ses larges et intarissables aumônes, qui ne lui eût été donné par l'abbé Basset, et jamais il n'entreprenait une œuvre quelconque, une mission, une retraite, sans avoir pris l'avis de son ami. Jamais un nuage ne vint assombrir la sérénité de cette affection si rare qui faisait le bonheur des deux prêtres et l'admiration de leurs confrères.

En arrivant à Plaintel, le recteur avait choisi pour se loger un réduit étroit et incommode mais qui était sous le même toit que l'église et qui donnait libre accès dans le sanctuaire. Il tapissa tous les murs de cette chambrette avec de grossières images de piété, semblables à celles que les paysans bretons veulent avoir à leur chevet, comme un talisman et une sauvegarde. On le trouvait presque toujours à genoux en méditation ou en prière, dans ce pauvre et dévot oratoire. C'était ainsi qu'il se préparait aux travaux du ministère pastoral et des missions, et qu'il attirait sur ses œuvres le succès et les bénédictions d'en haut.

Déjà, lorsqu'il était encore vicaire de Meslin, il avait eu occasion d'apprécier, dans une mission qu'il donna à Plaintel, toute la foi, toute la docilité des habitants de cette paroisse. Le champ était fertile, le cultivateur dévoré de zèle, la moisson fut surabondante. L'abbé Cormeaux se prodigua pour ses ouailles ; le jour, la nuit, il était toujours prêt au premier appel de la souffrance ou du repentir. Tous les dimanches il adressait à ses bons paysans de paternelles et affectueuses instructions ; dans la semaine il saisissait toutes les occasions de leur parler et de les instruire, toujours avec le même zèle, avec la même onction ; la rhétorique n'avait rien à revoir à ces improvisations que le cœur seul dictait et qui savaient merveilleusement trouver le chemin de tous les cœurs. Comme saint Yves, l'admirable patron du clergé des paroisses, « quand il allait par les champs, il s'arrestoit a catéchizer les villageois, et leur apprendre leur créance, à dire leur chapelet, examiner leur conscience, et autres pieux et dévots exercices que tout bon chrétien doit sçavoir. Ses prédications n'estoient pas infructueuses ni ses travaux vains, car il faisoit de grandes conversions ». Ainsi en fut-il de l'abbé Cormeaux ; bientôt la paroisse de Plaintel fut un modèle de régularité et de piété, et quand vinrent les jours terribles de la révolution, Plaintel encore donna l'exemple de la plus inébranlable et de la plus courageuse fidélité.

Plaintel avait une trêve, Saint-Brandan, desservie par un vicaire résidant ; l'abbé Cormeaux s'y rendait tous les quinze jours pour faire le prône ; il allait assez ordinairement de là à Quintin, où il prêchait dans quelque communauté ; c'était pour la troisième fois dans ce même dimanche. On ne comprenait pas qu'il pût soutenir un genre de vie si laborieux avec une santé chétive et délabrée par les macérations et les privations de nature qu'il se plaisait à s'imposer. Il falait bien que la maladie elle-même cédât à ce zèle ardent et infatigable. Il disait en souriant : « Prêcher du matin au soir, c'est le meilleur remède contre la fièvre ; la fièvre est comme le diable, qui s'en va, quand on se moque de lui ».

Le prosélytisme du recteur de Plaintel ne s'arrétait pas aux limites de sa vaste paroisse ; il avait repris cette vie de missionnaire pour laquelle il eut toujours une vocation spéciale. On peut encore écrire de lui, ce que notre hagiographe breton, Albert de Morlaix, écrivait de l'illustre recteur de Lohannec (Louannec) : « Il ne se contentoit pas de prescher ses paroissiens, il preschoit les autres circonvoisins, faisant par trois fois, voire quatre prédications par jour. Il alloit de paroisse en autre, avec un rare exemple et édification de ceux qui le voyoient. Il s'addonnoit avec telle ferveur et attention d'esprit à ce sainct et apostolique office, que souvent il en oublioit le boire et le manger, et estant de retour au logis le soir, après avoir presché tout le jour, ne se pouvoir presque tenir sur bout, tant ii estoit foible ». L'évêque de Saint-Brieuc permit même à l'abbé Cormeaux d'exercer son apostolat dans les évêchés voisins, jusqu'à l'époque où le recteur de Plaintel fut nommé chef et directeur des retraites et missions annuelles du diocèse. L'institution de ces missions populaires remontait à l'illustre évêque Denis de La Barde, qui avait appelé dans son diocèse le célèbre P. Maunoir et ses compagnons. Disciple du P. Maunoir, l'abbé Leuduger avait continué, pour l'évêché de Saint-Brieuc, cette œuvre régénératrice, avec un zèle et un succès que devait rappeler son digne successeur, l'abbé Cormeaux.

Sermons de l'abbé Cormeaux (missionnaire breton).

Chargé du soin de diriger les exercices, l'abbé Cormeaux se réservait tout ce qu'il y avait de plus pénible et de moins propre à flatter l'amour- propre ; mais il avait une éloquence si vraie, si bien appropriée à son auditoire, qu'il lui arriva souvent d'être obligé de s'interrompre, parce que la foule éclatait en sanglots et couvrait la voix de l'orateur. La parole des rhéteurs ne connaît pas de pareils triomphes et ce n'est pas aux artifices du langage qu'il faut demander le secret de ces commotions électriques auxquelles rien ne résiste, ni l'esprit, ni le cœur ; le secret de cet ascendant étrange, c'est que, quand le missionnaire monte en chaire, toute une vie de prières, de bonnes œuvres, de renoncement, de sacrifices, y monte avec lui ; c'est que le missionnaire parle avec la double autorité de son Dieu et de sa propre vertu.

On sait du recteur de Plaintel des traits merveilleux de zèle évangélique. Une fois, à la tombée de la nuit, revenant d'une mission laborieuse, il aperçoit la chapelle d'un village ouverte et le peuple réuni peur la prière du soir. Aussitôt, le saint prêtre met pied à terre, attache son cheval à la porte de la chapelle, et commence à prêcher avec une chaleur, avec une onction qui remplirent de joie et de piété le cœur de tous ces braves gens. Le sermon fut long, Dieu inspirait le missionnaire ; puis, il y avait dans cet apostolat imprévu quelque chose qui rappelait les temps primitifs. Quand l'abbé Cormeaux remonta à cheval, la nuit était tout à fait close et il avait encore quatre grandes lieues de chemins détestables et dangereux. Il l'avait oublié.

L'autre exemple de zèle que je veux rapporter, est véritablement héroïque. La mère de M. Cormeaux était venue demeurer chez lui, pour finir ses jours entre les bras d'un fils aimé par-dessus tout. Elle tomba dangereusement malade et il était certain que sa mort était très-prochaine. Mais une mission, où l'abbé Cormeaux jugeait sa présence nécessaire, s'ouvrait dans le même temps : le saint prêtre n'hésita pas ; il détermina sa vieille mère à se résigner elle-même, par des motifs de foi, à cette séparation suprême, à cette mort anticipée, et il partit. La douleur de ce cœur d'élite, où l'amour divin n'avait fait que doubler l'amour filial, était immense ; l'apôtre imposa silence à l'homme ; M. Cormeaux s'acquitta de tous ses devoirs de missionnaire avec le même zèle, avec la même présence d'esprit, et l'on ne devinait l'étendue de sa peine, que lorsqu'il recommandait, avec des larmes dans la voix, sa mère aux prières des fidèles.

Un si généreux sacrifice reçut une double récompense. Madame Cormeaux s'endormit dans le Seigneur avec d'ineffables et mystérieuses consolations, et le succès de cette mission dépassa toutes les espérances.

Lorsque l'abbé Cormeaux était de retour de ses courses évangéliques, il se livrait tout entier à sa paroisse « où il donnoit, dit son biographe, comme une mission perpétuelle ». Cependant il trouvait encore le temps d'écrire un grand nombre de lettres à des personnes de piété qui s'étaient mises sous sa direction, et de composer de petits traités de dévotion courts et substantiels, qui résumaient son enseignement et étaient destinés à en garder le souvenir. On en faisait d'innombrables copies qui se répandaient dans tout le pays et que les familles chrétiennes conservaient religieusement. On a imprimé à Paris, après la mort de l'auteur, un certain nombre de ces opuscules.

M. Cormeaux n'aurait point été véritablement un apôtre, s'il n'avait eu ses jours d'épreuves et de tribulations. Nous avons déjà écrit que la vie du saint prêtre, usé avant l'heure par le travail et les austérités, ne fut à vrai dire, qu'une longue et continuelle maladie. Le courage avec lequel il bravait le mal, tant qu'il lui restait quelque force, fut égalé par la patience qu'il montrait lorsque la douleur avait complètement abattu la nature : « Les personnes qui prenoient soin de lui disoient qu'il ne pouvoit y avoir un malade plus commode et plus docile. Il prenoit tout ce qu'on lui donnoit d'un air riant, comme un bon pauvre à qui des personnes charitables font l'aumône ». La douleur physique n'etait rien pour un homme si profondément mortifié. Il etait destiné à subir la plus atroce des tortures morales, la calomnie. Il n'avait pas parcouru sa laborieuse carrière de missionnaire, sans heurter bien des amours-propres, sans rouvrir des plaies honteuses, sans stigmatiser, par son exemple encore plus que par sa parole, des vies tièdes et lâches, sans éveiller des haines et des jalousies ; on le dénonça traitreusement, et l'autorité ecclésiastique ne ferma pas toujours l'oreille. Le missionnaire endura les reproches comme s'il les eût mérités, vit ses œuvres entravées pour un temps sans murmurer, et courba la tête. Il ne se vengea jamais de ses calomniateurs, qu'en leur faisant à l'occasion tout le bien possible, et si l'occasion ne se présentait pas, il trouvait moyen de la provoquer.

Cependant dix ans s'étaient écoulés depuis que l'abbé Cormeaux avait été nommé recteur de Plaintel. On était en 1789, année fatale qui semblait devoir inaugurer une ère de régénération sociale et qui fut la première date d'une sinistre et lugubre période de ruines et de sang.

L'âme généreuse et candide de M. Cormeaux se laissa séduire par les mots magiques qui bourdonnaient dans l'air. Il eut foi en l’œuvre immense que tentait si témérairement l'Assemblée Constituante ; il crut que la religion elle-même ne pouvait que gagner aux changements radicaux qui se préparaient. Il communiqua ces idées à une réunion d'ecclésiastiques, où il ne rencontra qu'une approbation unanime ; il ne craignit plus dès lors de répandre ses opinions. Cette adhésion aux doctrines nouvelles de la part d'un homme que l'on considérait à la fois comme un esprit supérieur et comme un saint, déplut extraordinairement à des personnes qui avaient eu jusque-là pour M. Cormeaux une estime sans limite, mais qui ne pouvaient voir, sans une terreur profonde, les ardentes théories et les audacieuses entreprises des novateurs. La manière d'agir du curé de Plaintel fut pour ces personnes un véritable scandale ; elles ne gardèrent aucune mesure. L'abbé Cormeaux se vit en plusieurs circonstances humilié, dénigré, calomnié même. Il en fut grandement affligé, mais il garda toutes ses illusions politiques, dont la sincérité même faisait la force.

Les comices électoraux étaient convoqués ; on allait nommer pour la première fois ces conseils de département qui devaient effacer la dernière trace de l'ancienne administration et de l'ancienne division provinciale de la France. L'abbé Cormeaux fut chargé de prêcher dans la cathédrale de Saint-Brieuc, le 9 juin 1790, à l'occasion de ces élections. Il le fit avec un grand succès; son discours n'avait que des éloges pour le présent, et c'était comme malgré lui qu'il envisageait l'avenir avec une terreur prophétique [Note : L'abbé Basset, le vicaire de M. Cormeaux, eut une de ces illuminations qui firent les prophètes. Une année au moins avant que rien annoncât qu'une Révolution radicale allait bouleverser la France, M. Basset disait la messe dans la chapelle de Saint-Quihouët, en Plaintel. Il devait à la fin de la messe, suivant la coutume, faire le catéchisme aux fidèles ; mais, ce dimanche-là, au lieu de se borner au catéchisme, il se mit avec une animation étrange, et qui terrifia l'auditoire, à prédire la destruction du culte, l'exil et le massacre des prêtres, la désolation des églises et toutes les sanglantes horreurs de la Terreur. Les assistants à l'issue du service divin, attendirent M. Basset pour lui demander des explications : le vicaire achevait son action de grâces. Il sortit de l'église aussi calme qu'il était animé en parlant. Il témoigna un grand étonnement quand on lui rapporta ce qu'il avait dit, et affirma ne plus s'en souvenir. Comme c'était un très-saint prêtre, cet évènement fit sensation dans tout le pays]. Les patriotes n'entendirent que les éloges, et le recteur de Plaintel fut nommé d'enthousiasme président de l'administration du district de St-Brieuc. M. Cormeaux vit là du bien à faire et il accepta. Le premier acte qu'il eut à accomplir, en mettant le pied dans un monde si nouveau pour lui, était un serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Un serment était pour le religieux prêtre quelque chose de si grave, qu'il crut devoir faire connaître publiquement, dans un discours qui fut imprimé, la manière dont il comprenait ce serment, et dans quelles limites il entendait lier sa conscience. Dès ce jour, ses illusions tombèrent ; les évènements marchaient et marchaient vite. Le président du district de Saint-Brieuc se vit tout-à-coup séparé de ses meilleurs amis, dont l'éloignement significatif était pour lui un avertissement perpétuel. Entouré d'hommes dont les vœux et les tendances n'étaient plus un mystère, il fut pris d'un découragement douloureux et il se demandait avec effroi quelle serait pour lui l'issue de la mission étrange qu'il avait fatalement acceptée, quand l'Assemblée nationale publia cette œuvre infernale d'iniquité révolutionnaire qui s'appela la Constitution civile du clergé. Dès ce moment, M. Cormeaux n'eut plus d'hésitation ; il ne pouvait y avoir rien de commun entre lui et une révolution qui commençait par le schisme, pour aboutir bientôt au régicide. A la troisième réunion du district, il déclara solennellement qu'il se démettait d'une place qu'il n'avait acceptée que parce qu'il espérait pouvoir être utile à la religion et au pays. Il fit en même temps imprimer à Rennes un écrit dans lequel il rendait compte de sa conduite et combattait avec une grande énergie les doctrines pernicieuses qui triomphaient alors.

Telle fut la courte apparition de l'abbé Cormeaux sur la scène politique, et le noble rôle qu'il eut le courage de remplir ; il se retira avec l'approbation et l'estime du clergé et de tous les gens de bien ; mais avec la haine des patriotes qui avaient compté sur la popularité de sa vertu pour semer facilement dans les campagnes les principes révolutionnaires.

Le jour de la persécution n'était pas loin. M. Cormeaux le prévit, et il employa le temps qui lui restait pour bien préparer ses chers paroissiens de Plaintel à subir courageusement la terrible épreuve. Il fit des neuvaines, des prières, des processions expiatoires ; il planta dans chaque village des croix bénites, il dit et répéta ce que chacun devait faire quand le pays serait privé de ses pasteurs légitimes et envahi par les intrus. Dieu bénit le zèle du saint recteur, et la paroisse de Plaintel fut signalée entre toutes par sa fidélité religieuse et sa résistance énergique au schisme. L'abbé Le Fevre, ancien eudiste, curé assermenté de Plaintel, n'eut jamais que deux ou trois adhérents ; ce fut en vain qu'on employa les menaces, les violences mêmes ; les paysans résistèrent à tout, et refusèrent de communiquer avec le schismatique. Ils se réunissaient pour prier dans les chapelles isolées, et, tandis que l'église où officiait l'intrus était vide et déserte, on entendait, la nuit, dans les chemins creux, de longues processions qui se rendaient aux chapelles en chantant ces étranges litanies : Des habits bleus et des juroux, 0 saint Cormeaux, délivrez-nous !

Ce fut la veille de la Pentecôte, au mois de juin 1791, que M. Cormeaux reçut brutalement l'ordre de cesser ses fonctions et de céder la place au curé constitutionnel. L'office était commencé, M. Cormeaux acheva la messe, avec une tranquillité parfaite ; il fit en quelques mots, partis du cœur, ses derniers adieux et ses dernières recommandations à son peuple qui fondait en larmes ; puis il se retira et se réfugia chez un ami dévoué. Le lendemain, il se rendit secrètement à sa succursale, où il comptait administrer la première communion à un certain nombre d'enfants ; mais les patriotes en voulaient d'une manière toute spéciale au saint prêtre, à cause de la conduite qu'il avait tenue au district ; ils avaient juré de ne lui laisser ni paix, ni trêve, et comme il se disposait à monter à l'autel, la maréchaussée arriva pour se saisir de lui. Il n'eut que le temps de prendre la fuite et demeura pendant tout le jour caché dans les blés. C'était ce jour-là même que Jacob, évêque intrus des Côtes-du-Nord, venait s'asseoir sur le siège souillé de saint Brieuc et de saint Guillaume, au milieu d'un orage épouvantable [Note : Une personne très-familiarisée arec les archives de la préfecture des Côtes-du-Nord, postérieures à 1789, a bien voulu, malgré les difficultés qu'offre encore pour les recherches le classement incomplet de ces documents, relever la trace officielle du passage de M. Cormeaux aux affaires du district. M. Cormeaux fut nommé président de l'administration du district de Saint-Brieuc, par 9 voix sur 12, dans la première séance de cette administration, le 12 juillet 1790 ; à la deuxième séance, le 24 du même mois, M. Cormeaux est absent ; à la troisième, le 18 septembre, on lit au registre ce qui suit : « Je soussigné François-Georges Cormeaux, recteur de Plaintel, ai prié Messieurs les administrateurs du district de recevoir ma démission pure et simple de la place d'administrateur et président dont ils avaient bien voulu m'honorer ; je leur fais mes très-humbles remerciments, je le fais pour des motifs à moi connus, etc. » (Jusque-là l'écriture n'est point de M. Cormeaux, puis on lit écrit de sa main : ) « Plein d'estime pour tous Messieurs mes anciens collègues, ai signé F. Cormeaux, recteur de Plaintel ». A la suite se trouve le procès-verbal de la séance comme suit : Etaient présents : MM. Resmon, prêtre ; Botrel, recteur ; Gourlay, procureur syndic. M. le Syndic a dit : Messieurs, Vous aviez honoré M. Cormeaux en l'élevant à la dignité de président de votre district. Des raisons que je ne dois ni ne veux approfondir, l'ont déterminé à renoncer à cette marque de confiance et à abandonner la défense des intérês dont Messieurs les électeurs l'avaient chargé. Sa démission nécessite la nomination d'un autre président, et le choix que vous allez faire nous fera peut-être oublier la perte que nous venons d'essuyer. L'assemblée nomme M. Botrel, recteur de Plerneuf, président. Le 25 septembre 1790, MM. Botrel et Resmon figurent au registre pour la dernière fois. A la date du 11 juin 1791 , le sieur Guillaume Le Fevre, prêtre de la Congrégation des Eudistes, ancien principal du collège de Valognes, principal actuel du collège du département des Côtes-du-Nord, élu curé de Plaintel, dénonce au district de Saint-Brieuc, le sieur Cormeaux, ci-devant curé de Plaintel, qui, disait-il, aurait mérité par ses inconsidérations et sa conduite fanatique d'être, en vertu de l'arrêté du département, éloigné de la paroisse de Plaintel à la distance de 6 lieues, etc. ; il ajoutait que les habitants de Plaintel étaient disposés à faire un mauvais parti à lui sieur Le Fevre, s'il se rendait dans la paroisse, etc.,.... que depuis l'époque du serment prescrit aux fonctionnaires publics, le fanatisme aurait occasionné à Plaintel les scènes les plus scandaleuses. Le directoire, par arrêté du même jour, enjoignit au sieur Cormeaux de se retirer dès le samedi du presbytère et de la commune de Plaintel, et de s'en éloigner à 6 lieues, si mieux n'aime se retirer à Saint-Brieuc, etc. Cet arrêté motiva la lettre suivante de M. Cormeaux : Messieurs, Est-il possible que la noire calomnie continue de poursuivre à votre tribunal un homme qui se fera toujours un devoir et un plaisir de vous rendre un compte exact de sa conduite et de ses sentiments ! Que ne vous avais-je pour auditeurs tous les jours où j'exhortais au saint autel, et non en chaire, mes paroissiens à la soumission, au silence, à la patience, à la douceur…... Je venais encore de leur protester en présence de Jésus-Christ, que si l'on me souffrait dans la paroisse, mon intention était de ne jamais traverser M. Le Fevre. ....... Qu'il est accablant d'apprendre en descendant de l'autel que celui-là même dont je voulais rendre l'entrée paisible et tranquille, vous a écrit une lettre où il m'accuse de tramer sourdement et de fomenter des coalitions. ........ Non, Messieurs, je ne me suis jamais proposé de faire les fonctions curiales, du moment où M. Le Fevre sera installé ...... Je m'en étais expliqué et comme je suis, ces jours, occupé de la première communion des enfants de la trêve de Plaintel, qui avait été différée par le curé de cette succursale jusqu'à ce jour, je me proposais de faire en sorte que la cérémonie fut terminée au moment où Monsieur le Principal du collége pourrait être installé ....... c'est-à-dire environ dix heures ..... Je n'ai jamais cru que l'esprit du décret de l'Assemblée fût de laisser, même un seul jour, une paroisse sans curé, une cure sans pasteur ; j'ai donc cru devoir remplir les fonctions jusqu'à ce moment où il s'agissait surtout de calmer un peuple alarmé et de le retenir par les motifs de religion ; je crois y avoir réussi. J'avais déjà, suivant l'ordre qui m'en fut notifié jeudi, vuidé le presbytère ....... Je me préparais ce soir à quitter la paroisse, et demain matin, après avoir donné la sainte communion aux enfants de Saint-Brandan, je serais sorti de la trêve. Votre ordonnance déconcerte ce projet et accélère mon départ. Je me dispose à y obéir, je vais même ce soir me rendre à Saint-Brieuc. Ce lieu ne peut être suspect ...... Cependant Messieurs, permettez-moi de vous représenter que mon départ précipité va jeter dans un grand embarras les enfants qui m'ont commencé leur confession pour faire leur première communion demain.... Pesez cet inconvénient dans votre sagesse, j'envoie un exprès pour savoir votre réponse, elle décidera mes démarches ; si elle est favorable à une jeunesse qui a des droits à votre protection, j'en bénirai Dieu ...... et demain avant midi, je sortirai de Saint-Brandan. Si au contraire vous voulez mon départ de ce moment, je ferai comme j'ai déjà fait autrefois, j'abandonnerai le tout à la divine Providence et je me retirerai ....... Veuillez bien, Messieurs, rendre une entière justice à mes sentiments que plusieurs d'entre vous connaissent depuis longtemps, et agréer le respect avec lequel je ne cesserai d'être, Messieurs, votre très-humble et très-obéissant serviteur. F.-C. CORMEAUX.
Plaintel, 11 Juin 1791. Le 13 Juin, Le Fevre écrit qu'à Plaintel on a eu de la peine à le recevoir et qu'il a été insulté à Saint-Brandan ; il demande de la troupe qui fut effectivement envoyée avec un commissaire de département qui procéda inutilement le 15, à son arrivée, à la recherche du sieur Cormeaux et notamment chez les Sœurs du Saint-Esprit qui avaient elles-mêmes pris la fuite ; on s'occupa ensuite des élections municipales qui ne se firent pas sans trouble ; les processions nocturnes commencèrent peu à près. Le 17 Juillet 1793, le sieur Cormeaux, ex-recteur de Plaintel était encore dénoncé comme ayant été vu à la Ville-Mainguy ; le comité révolutionnaire de Saint-Brieuc, pria un de ses membres en mission pour arrêter les prêtres réfractaires, de ne rien négliger pour saisir ce scélérat ; il ajoute que « Cormeaux est signalé comme l'auteur de ce bienheureux saint Marc [Note : C'est saus doute saint Marc de Merléac] qui s'est laissé brûler et dont l'aubergiste qui était dépositaire des offrandes qui y pleuvaient de toute part a été conduit en prison ». Le 18 Juillet, envoi du procès-verbal des recherches faites à la Ville-Maingny ; on y parle de brimborions trouvés. A la même époque, la sœur et la domestique de M. Cormeaux étaient mises en état d'arrestation à Lamballe].

L'abbé Cormeaux passa une partie de la nuit à Quintin, occupé à mettre ordre à ses affaires les plus pressantes, et il vint, avant le jour demander asile à un gentilhomme du voisinage, chez lequel il vécut pendant cinq mois, dans une solitude si absolue que les recherches haineuses de ses ennemis ne purent découvrir sa retraite. Les jours et les nuits du pieux missionnaire se passaient dans une oraison continuelle, et il offrait sans cesse à Dieu ses prières et ses macérations pour le salut de la France, mais cette inaction pesait à son zèle, et il était réservé à d'autres destinées.

Dans le dernier mois de 1790, il s'était formé une association d'ecclésiastiques dévoués, dans le but, de suppléer aux vides laissés par la suppression des ordres monastiques, et par l'obligation imposée à tous les prêtres, réputés fonctionnaires, de prêter le serment schismatique de la constitution, ou de renoncer à leur ministère. Les associés devaient donner des retraites, des missions, dans les chapelles et dans les communautés non supprimées, et tâcher, en ranimant l'esprit catholique dans les masses, d'opposer une digue au torrent révolutionnaire.

La congrégation avait son siége principal à Paris même, mais elle comptait des affiliés dans les provinces, et, de ce nombre, était l'abbé Cormeaux. Les membres de l'association étaient liés par les trois vœux monastiques. Ils voulaient rappeler par leurs mœurs, les merveilleuses traditions de la primitive Eglise ; pour que la ressemblance fût parfaite, presque tous, dans cette nouvelle persécution, plus atroce que celles du paganisme, reçurent aussi la palme du martyre.

Lorsque le ministère de l'abbé Cormeaux fut devenu impossible en Bretagne, où il était, de la part des patriotes, l'objet d'une haine toute spéciale, le supérieur de l'association lui donna ordre de venir à Paris. Ce supérieur était un Breton, le P. Picot de Clorivière, ancien jésuite et recteur de Paramé [Note : Voyez sur cette Congrégation, et notamment sur le P. de Clorivière, un volume in-12, publié en 1854, par le P. A. Guidée, sous ce titre : Vie du R. P. Varin, etc., suivie de notices sur quelques-uns de ses confrères. — Librairie de Ve Poussielgue]. L'abbé Cormeaux obéit et quitta sa retraite. Il s'arrêta à Rennes, chez un prêtre fidèle qui conservait le Saint-Sacrement dans un oratoire privé, et put emporter six hosties consacrées, avec lesquelles il communia secrètement tout le temps qu'il fut en route. Il arrivait à Paris le 6 novembre 1791.

Son apostolat commença aussitôt. Il donna, pour les prêtres, au collège des Lombards, conjointement avec le célèbre abbé Teissier, des retraites publiques qui eurent alors un grand retentissement et un immense succès. Le missionnaire breton était infatigable : il disait qu'il avait du temps perdu à retrouver, et il prévoyait que le mot de liberté, inscrit en tête des lois révolutionnaires, ne serait pas longtemps respecté à l'endroit de la religion. Il prêchait deux ou trois fois tous les jours, et il confessait sans relâche, de sorte qu'il était toujours obligé de prendre sur son sommeil pour dire son bréviaire et faire une longue méditation, dont il ne se dispensa jamais. On raconte de son zèle des choses incroyables. Les travaux avaient redoublé durant le carême de l'année 1792. Il terminait, le Mercredi-Saint, une retraite extrêmement pénible aux Annonciades de Saint-Denis ; après le sermon de clôture, il vint à Paris, où il prêcha, ce même jour, deux fois la Passion ; ses discours furent chacun de deux heures.

Enfin, la nature faillit. M. Cormeaux tomba dans un état d'épuisement tel, que l'on craignit pour ses jours. Le repos le plus absolu lui fut ordonné, et il se retira chez les Annonciades de Saint-Denis.

Pendant sa convalescence, dont l'oisiveté forcée lui était excessivement pénible, et qu'il avait su se rendre utile, en faisant, durant quarante jours, les admirables exercices de saint Ignace, l'abbé Cormeaux obtint la permission d'aller quelquefois à Paris. Un jour, en revenant de Paris, il fit un pèlerinage à Montmartre, en compagnie de l'abbé Desprez, grand vicaire, qui était son ami intime. Ils dirent tous deux la messe, et passèrent ensuite un long temps à prier devant la porte de la chapelle souterraine des martyrs, qu'ils n'avaient pu se faire ouvrir. Ils se séparèrent. C'était vers la mi-juillet. M. Desprez fut arrêté quelques jours après et fut massacré aux Carmes dans la journée du deux Septembre. Lorsque M. Cormeaux apprit la mort de son ami, il se jeta à genoux et s'écria : « Ah ! mon ami ! vous aviez mieux prié que moi, vous avez été exaucé ! ».

La persécution contre les prêtres fidèles devenait de jour en jour plus violente et plus acharnée ; M. Cormeaux, dont le nom et la personne étaient très-connus, à raison de son talent et de ses succès comme missionnaire, reçut ordre de se cacher. Il n'obéit pas sans chagrin ; il eût voulu, au contraire, faire quelqu'action d'éclat, afin de mériter, aussi lui, d'être emprisonné et mis à mort pour sa foi et pour son Dieu. Il fut recueilli par de pieuses femmes dont nous ignorons le nom, parce que le biographe de 1796 ne jugea pas qu'il fût encore prudent de le révéler.

Dans sa retraite, l'abbé Cormeaux put dire tous les jours la sainte messe et se rendre utile à un certain nombre de fidèles. Tous les dimanches, il faisait une instruction aux personnes qui lui donnaient asile ; il leur donna même une retraite et mit, pour les dix ou douze assistants qui pouvaient se réunir sans inspirer des soupçons, le même zèle qu'il mettait autrefois à évangéliser les foules. Il entretenait une correspondance immense, et comme ses bons paroissiens de Plaintel étaient toujours présents à son cœur, il leur écrivait à chaque grande fête une sorte de lettre pastorale, où il leur disait toute la joie dont son âme était comblée, quand il apprenait leur inébranlable fermeté dans la foi. La Providence lui ménagea toujours une occasion sûre pour faire parvenir ces épîtres à leur destination.

Il quittait parfois sa retraite pour aller faire quelque bonne œuvre à Paris ; mais ce n'était jamais sans inquiétude qu'on le voyait partir, car son zèle oubliait souvent la prudence.

Un jour qu'il était entré dans l'église de Saint-Sulpice, parce que la personne qui l'accompagnait voulait visiter ce monument, il vit un jeune ecclésiastique en surplis qui causait et riait avec un laïque, tout près d'un autel où se disait la messe ; l'abbé Cormeaux fut pris d'indignation et dit assez haut pour être entendu : « Le nouveau culte permet donc de parler et de rire dans l'Eglise. Plaisante religion, qui n'a de respect ni pour le temple, ni pour le sacrifice ! ». Ces paroles firent honte à l'abbé constitutionnel, qui se sauva dans la sacristie ; mais une dénonciation de cet amour propre froissé pouvait perdre le prêtre fidèle. En sortant de l'Eglise, M. Cormeaux se retourna vers deux femmes qui l'avaient suivi, pendant qu'il montrait à son compagnon les richesses artistiques qui décoraient encore Saint-Sulpice, et leur dit : « Ne soyez point mal édifiées de ce que nous ne nous sommes pas mis à genoux ; c'est que nous ne voulons communiquer en rien avec les intrus ». Et comme son compagnon lui reprochait cette double et si grande imprudence, le saint missionnaire répondit en souriant : « Est-ce que vous ne savez pas qu'il y a des grâces d'état ; vous voyez que j'ai toujours la grâce pour prêcher ».

Une autre fois il fut reconnu par la femme d'un député breton très-exalté, avec laquelle il avait eu en Bretagne de bonnes et cordiales relations. Cette femme l'accosta et l'invita même à l'aller voir. L'abbé Cormeaux savait qu'il avait à se défier, d'une manière toute spéciale, de ses compatriotes, qui ne lui pardonnaient pas la noble conduite qu'il avait tenue au commencement de la Révolution. Cependant il vit qu'il y avait là peut-être le salut d'une âme, et il se rendit sans hésiter à l'étrange invitation qui lui était faite.

On raconte encore qu'il trouva près de la Convention, un pauvre qui lui demanda l'aumône pour l'amour de Dieu : - « Pour l'amour de Dieu ! oh ! oui, s'écria le saint prêtre dans un transport de joie ; ô mon cher frère, souffrons pour l'amour de Dieu, mourons pour l'amour de Dieu ! ». Alors, c'était un crime de prononcer le nom de Dieu, sans l'accompagner d'un blasphème.

On ne saurait dire combien le cœur si profondément religieux de M. Cormeaux était déchiré par les horribles fanfaronnades d'impiété et de cynisme qui souillèrent cette époque sans nom. Lorsque le récit de ces turpitudes et de ces orgies sauvages d'un peuple qui avait été le peuple très-chrétien, arrivait jusqu'à l'asile où se cachait le pieux missionnaire, l'âme du saint prêtre en ressentait un chagrin si amer, que sa santé en était altérée. Un jour enfin, l'impiété dépassa les limites du possible ; dans un accès de délire infernal, on osa mettre en parallèle le cœur de l'infâme Marat, et le cœur divin de Jésus même. A cette épouvantable nouvelle, la douleur de l'abbé Cormeaux ne connut plus de bornes. Pendant trois jours il fut comme hors de lui ; rien ne pouvait le tirer de son accablement ; il passait toute la journée et toute la nuit, prosterné la face contre terre, inondé de larmes, et il fallait lui faire violence pour le décider à prendre quelque nourriture. Le premier vendredi du mois suivant fut choisi pour une solennelle expiation. Toutes les personnes de la maison passèrent presque tout ce jour-là devant le Saint-Sacrement, et dans les exercices de la pénitence ; on jeûna rigoureusement; on garda un complet silence ; la prière fut continuelle ; vers le soir, l'abbé Cormeaux, en habits de deuil, une corde au cou, donnant libre carrière à la douleur dont son âme était inondée, fit à haute voix l'amende honorable, et demanda au ciel, avec transport, de ne pas survivre à ces horribles abominations. Il supplia Dieu de l'accepter comme une victime réparatrice. Il offrit son sang et sa vie pour que le châtiment ne retombât pas sur le peuple et sur la France. Le Seigneur exauça cette ardente prière, à laquelle l'auditoire s'unissait en poussant des sanglots.

Une ancienne religieuse, retirée dans sa famille, à Pontoise, était dangereusement malade, et manquait de tous les secours religieux. M. Cormeaux quitta sa retraite pour aller administrer à cette pauvre fille les derniers sacrements. Un pressentiment étrange lui disait qu'il ne reviendrait plus dans l'asile où il s'était dérobé jusque là à la persécution. Les recommandations, les avis qu'il donna à ses hôtes au moment de les quitter, furent véritablement des paroles d'adieu. Il arriva sans encombre à Pontoise, le mercredi 7 août 1793. La malade fut administrée. Le lendemain, il confessa un grand nombre de fidèles qui profitaient avec empressement de la présence d'un prêtre catholique. Le vendredi 9 août, il se mettait en route, à cinq heures du matin, pour regagner sa retraite, quand il fut arrêté à Franconville. On avait reçu, deux heures auparavant, l'ordre de saisir tous les voyageurs qui viendraient par la route de Normandie et n'auraient point de passeport. M. Cormeaux n'en avait point. On l'emmena devant le maire, qui lui demanda doit il venait ; on ne lui faisait pas d'autres questions ; mais lui, craignant qu'on ne le relâcha, se hâta de déclarer qu'il était prêtre et curé de Plaintel en Bretagne. Le maire lui dit tout bas : « Pourquoi m'avez-vous dit ce que je ne vous demandais pas ? Je voyais bien que vous étiez prêtre, mais je voulais vous sauver ».

Le prisonnier fut reconduit par les gendarmes à Pontoise, chef-lieu du district. Il y arriva à onze heures du matin et il attendit jusqu'à quatre heures de l'après-midi pour subir un interrogatoire qui ne dura pas moins de deux heures. L'énergie et la fermeté qu'il montra dans ses réponses lui attirèrent les plus grossiers outrages et on l'envoya en prison, avec ordre de le traiter comme le dernier des scélérats et de ne lui donner que du pain sec et de l'eau. Cependant il était six heures, et l'abbé Cormeaux était encore à jeûn ; il tombait de besoin et de fatigue, quand la femme du concierge, touchée de pitié, lui donna un peu de nourriture ; quelques heures après, un curé assermenté de la ville trouva moyen de faire arriver au captif une bouteille de vin et un plat d'œufs.

M. Cormeaux n'avait pas la bourse bien garnie, les ordres qu'on avait donnés à son égard étaient plus sévères que pour aucun malfaiteur ; le geôlier le traita d'abord en conséquence ; on le renferma dans un cachot humide, en compagnie d'un scélérat qui ne parlait que pour blasphémer et on lui donna pour se coucher la moitié d'une botte de paille ; mais bientôt le concierge et sa femme, qui étaient de braves gens, furent touchés des vertus que faisait briller le saint prêtre, et, pour le dédommager de la manière dont ils avaient exécuté, le premier jour, un ordre sauvage, ils eurent pour M. Cormeaux tous les égards et toutes les complaisances imaginables. Non-seulement le prisonnier eut une chambre saine et un bon lit ; mais on lui fit faire furtivement une promenade de quelques heures dans le jardin. Cependant un commissaire venait chaque matin pour s'informer si l'on observait bien les mesures rigoureuses prescrites envers le détenu dont il disait des horreurs ; heureusement il n'eut jamais l'idée de vérifier le fait par lui-même.

L'abbé Cormeaux, après avoir été privé pendant deux jours de son bréviaire, s'en était procuré un par le moyen de la charitable femme du concierge ; la veille de l'Assomption, il écrivit au district pour demander la permission de dire la messe dans la chapelle de la prison. Il ne reçut pas de réponse ; mais le commissaire ordonna de nouvelles rigueurs, et l'on apprit ainsi la fureur qu'avait occasionnée parmi les membres du district, la pieuse requête du prêtre. Le prisonnier pour tromper en quelque sorte sa piété, commença à chanter à haute voix toutes les parties de la messe que l'on a coutume de chanter ; le soir, il chanta de même les vêpres et le salut ; les patriotes en conclurent qu'ils n'avait pas la tête à lui ; et le dédain remplaça chez eux la colère. C'était le jour de l'Assomption que M. Cormeaux avait choisi pour s'attacher par des vœux définitifs à la congrégation dont il faisait partie. Il prononça ses vœux dans la solitude de sa prison, et le fit savoir à son supérieur par un billet qu'il signa : Vinctus Christi.

M. Cormeaux ne demeura que quinze jours dans la prison de Pontoise ; ce court séjour fut un bonheur pour ses compagnons de détention, dont il confessa un grand nombre ; le 22 août, arriva l'ordre de le transférer à Versailles. En passant à Saint-Germain, le missionnaire vit plusieurs personnes réunies autour de lui, et leur adressa quelques chaleureuses paroles d'édification. Les assistants profondément émus, dirent au prisonnier les voeux qu'ils faisaient pour sa délivrance. Cette marque d'intérêt fut transformée en un crime capital, et lorsqu'on eut besoin d'un prétexte pour faire tomber la tête d'un prêtre fidèle, il fut dit que l'abbé Cormeaux avait cherché à exciter une sédition dans la ville de Saint-Germain !

L'escorte qui conduisait le recteur de Plaintel et deux autres prisonniers arriva à Versailles à quatre heures de l'après-midi. La charrette s'arrêta devant l'église de Notre-Dame. C'était un dimanche. Le culte n'était pas encore aboli ; la porte de l'église était ouverte, et une grande foule remplissait la place. L'abbé Cormeaux se tournant vers l'église, fit dévotement le signe de la croix, et dit au peuple : « Je suis prêtre ; on me conduit en prison parce que je n'ai pas fait le serment impie qu'on exige. Plutôt mourir que d'offenser Dieu ! ». On admira cette courageuse fermeté, et l'aventure fit du bruit dans la ville.

Le généreux confesseur montra la même supériorité d'âme dans le long interrogatoire qu'on lui fit subir. Ses réponses étonnèrent les juges eux-mêmes. Comme on lui objectait qu'il n'avait plus le droit de se dire curé, puisqu'il avait un successeur dans sa paroisse, il prit de là occasion d'improviser une magnifique exposition de la doctrine et de la hiérarchie catholique ; il démontra les erreurs épouvantables contenues dans la constitution civile du clergé, et les atteintes portées à la religion et à la liberté de conscience par les lois révolutionnaires. On l'interrompit pour lui demander ce qu'il portait sous ses habits à l'endroit du cœur. C'était un grand crucifix qu'il ne quittait jamais. Il prit en main la sainte image, et la montrant à tous, il commença une profession de foi ardente, pleine d'énergie et d'amour. Les magistrats surpris de cette éloquence si naïve et si vraie, le laissèrent parler, et ne lui ôtèrent pas son crucifix : on l'envoya, comme prêtre réfractaire, au couvent des Récollets, transformé en maison de détention, et où l'on entassait pêle mêle tous les suspects.

Quelque temps après l'incarcération de l'abbé Cormeaux aux Récollets, arriva dans la même prison le prêtre qui devait être l'historien du recteur de Plaintel. Nous avons dit que cet ecclésiastique appartenait à la compagnie de Saint-Sulpice ; il se nommait l'abbé La Sausse. Il fut arrêté à Versailles, le 6 octobre 1793, à la suite d'une visite domiciliaire. Un membre du comité, lui dit : « Tu as donc été prêtre ? » L'abbé La Sausse lui fit cette énergique réponse : « J'ai été prêtre, je le suis, et je le serai pendant l'éternité ; sais-tu le latin ? Sacerdos in œternum ». Il fut détenu successivement aux Récollets de Versailles et au Luxembourg, et ne dut la vie qu'à la chute de Robespierre.

L'abbé La Sausse raconte avec une grande simplicité qui n'est pas sans charme, sa première entrevue avec M. Cormeaux dans la prison. « Arrivé dans cette lugubre maison, et placé dans un corridor très-obscur, où il y avait de chaque côté des cellules, on me fit entendre que c'était à moi à chercher quelqu'un qui voulût me recevoir. Une cellule, quoique très-petite, devait, selon que le concierge l'avait décrété, renfermer deux ou trois détenus. Je demandai à la première personne que j'aperçus, si M. Cormeaux était logé dans ce corridor, et à l'instant même, un prêtre vertueux, concluant de là que je ne n'étais pas un prêtre assermenté, me pria, me pressa de venir demeurer avec lui. Il me dit pour m'y engager : Ma cellule est presque vis-à-vis celle du saint M. Cormeaux, et puisque vous le connaissez, allez le voir, il ne doit pas être encore couché ; » c'était près de dix heures, je traverse le corridor, et je vois l'homme de Dieu.

« Il est impossible d'exprimer ce qui se passa dans son cœur et dans le mien lorsque nous nous vîmes. Antoine ne fut pas plus content que moi quand il eut le bonheur de voir Paul l'Hermite dans sa grotte. Nous nous donnâmes le saint baiser, et il m'offrit à faire collation, me disant qu'il avait un morceau de pain blanc et un peu de vin que la Providence lui avait envoyés. J'avais besoin de me rafraîchir, j'acceptai. Après ce repas frugal, je me retirai le cœur rempli de joie ; le sommeil que je pris pendant la nuit fut très-paisible. Je reconnus alors par expérience, combien un homme plein de l'esprit de Dieu est propre à consoler, dans les peines par lesquelles il plait au Seigneur d'éprouver ceux qui veulent le servir ».

Les relations de M. Cormeaux avec M. La Sausse avaient été très-rares avant l'arrestation de ce dernier. Elles devinrent intimes dans la prison. M. La Sausse eut le bonheur de procurer à son saint ami le trésor qu'il souhaitait par-dessus tout, des hosties consacrées. Le ciel qui avait favorisé les vœux si ardents des confesseurs de la foi, préserva d'une manière presque miraculeuse le dépôt divin. Les prisonniers étaient soumis à des visites, à des fouilles rigoureuses et journalières ; on ne découvrit jamais la petite boite qui servait de ciboire, non plus qu'un reliquaire où était renfermée une précieuse parcelle de la couronne d'épines.

Ainsi, tandis que l'impiété et la cruauté révolutionnaires dépassaient les abominations qui souillèrent les derniers jours du paganisme expirant dans le sang et dans la boue, les prisons rappelaient les catacombes et les héroïques vertus des premiers chrétiens.

La vie de M. Cormeaux dans la maison de détention fut encore celle d'un apôtre et d'un missionnaire ; c'était là sa vocation spéciale, et il l'accomplit fidèlement jusqu'au pied même de l'échafaud. A Versailles, raconte l'abbé La Sausse, le recteur de Plaintel se levait avec le jour. Il consacrait plusieurs heures à la méditation et à la prière. Il récitait les prières de la messe et communiait. Après son action de grâces, il confessait jusqu'à onze heures. A onze heures avait lieu une conférence d'Ecriture Sainte, à laquelle se rendaient dix ou douze détenus. Pendant la récréation qui suivait le dîner, le saint prêtre recherchait surtout les ecclésiastiques qui avaient eu la faiblesse de prêter le serment, et que la Révolution, qui les avait d'abord applaudis, persécutait à leur tour. Il en ramena un grand nombre qui se rétractèrent dans la prison, en présence des prêtres fidèles assemblés pour la conférence. Dans le courant de l'après-midi, l'abbé Cormeaux réunissait encore ses compagnons. On lisait les Actes des martyrs, et, après la lecture, le missionnaire, dans quelques paroles brûlantes, exhortait les prisonniers à gravir avec joie les marches sanglantes de l'échafaud qui leur était destiné et qui serait pour eux, comme pour les premiers martyrs, le chemin radieux du ciel. Il consacrait le reste de la soirée à réciter son bréviaire et à écouter les confessions. Le dimanche, les membres de la conférence s'assemblaient à huit heures du matin : on disait en commun les prières de la messe ; le soir, il y avait ordinairement sermon. Ce n'était pas assez pour l'abbé Cormeaux ; il s'occupait de former aux travaux des missions plusieurs jeunes prêtres détenus ; il leur dictait des plans de sermons et les exerçait, comme dans une maison de noviciat, au ministère de la parole. Enfin, pour couronner toutes ses œuvres et pour terminer sa carrière apostolique, dont la récompense était désormais prochaine, l'infatigable missionnaire donna, dans la prison de Versailles, deux retraites auxquelles assistèrent quinze personnes. Aucun exercice ne fut supprimé, et malgré le plus actif espionnage, rien ne transpira, ou, peut-être, on ferma les yeux. Cet apostolat des prisons auquel une foule de gens du monde, arrêtés pour des motifs politique, et jusque-là fort insoucieux des choses du ciel, durent leur conversion, comme La Harpe, n'était pas, en effet, ignoré des persécuteurs ; mais ils étaient les premiers à le favoriser, et Robespierre en donnait cyniquement la raison. Un jour qu'un délateur à gages lui dénonçait un prêtre qui, à la conciergerie, avait, dans une seule journée, confessé je ne sais combien de personnes : « Laisse-le faire, répondit le monstre, il ne faut même pas qu'on le juge de sitôt ; c'est un homme qui nous est utile ; il fait qu'on va à la mort sans se plaindre : son tour viendra ».

La dernière retraite que M. Cormeaux dirigea dans la maison des Récollets, épuisa tellement le saint prêtre, qu'il ne pouvait plus parler qu'à voix basse et avec une fatigue extrême. Il regarda cette indisposition comme un pronostic de sa fin prochaine et se prépara à la mort par un redoublement de ferveur. Ces pressentiments ne le trompaient pas. Un jour auquel nous ne nous attendions à rien d'extraordinaire, raconte l'abbé La Sausse, il entre dans ma cellule à neuf heures du matin, avec une sorte de précipitation. Voyant qu'il avait ôté la clef de la porte après l'avoir ouverte et l'avoir refermée très-promptement, « Qu'y a-t-il donc de nouveau ? lui dis-je ». Il se prosterne à mes genoux et me dit : « Je viens vous faire mes adieux, donnez-moi pour la dernière fois l'absolution. On m'appelle au greffe ; c'est sans doute pour être conduit à Paris, et de là au tribunal. Que le Seigneur soit béni ! ».

« J'entends presqu'à l'instant même des portes-clefs criant de toutes leurs forces : Cormeaux, Cormeaux, où est Cormeaux ? On l'attend. Je l'embrasse, il sort et, dès qu'il paraît, tous les détenus qui étaient dans le corridor lui disent du fond du cœur les choses les plus touchantes ; il les salue à droite et à gauche avec un air de sainteté et de joie, et disparait bientôt ».

Pendant plusieurs jours, la prison retentit d'éloges et de regrets ; chaque détenu, en perdant le saint prêtre, perdait un guide, un modèle, un consolateur, un père. Le geôlier lui-même, qui se piquait d'être zélé patriote et de ne pas aimer les prêtres réfractaires, se plaisait à dire du bien de son ancien prisonnier ; ce fut par lui que les détenus des Récollets apprirent avec quelle fermeté, digne des temps antiques, l'abbé Cormeaux avait subi son nouvel interrogatoire, et comment on l'avait laissé parler et profiter de l'occasion qui lui était donnée de confesser généreusement et éloquemment sa foi et sa religion.

De la maison de détention, le recteur de Plaintel avait été transféré dans une autre prison de Versailles que l'on appelait la maison d'arrêt. C'est de là qu'il écrivit, le lendemain de son interrogatoire, ce billet sublime que l'abbé La Sausse compare avec raison aux lettres de saint Ignace le martyr : « A. M. D. G. Je vous remercie de tout mon cœur, très-cher C...., de votre charité. Je n'ai besoin de rien, attendant à chaque instant avec paix et joie mon départ pour Paris, et de là un prompt acheminement à la céleste patrie : Cupio dissolvi et esse cum Christo. Je ne vous oublierai, ni aucun de nos chers amis, non aucun ; dites-le de vive voix et par écrit à tous. Priez beaucoup, et faites prier pour celui qui vous est plus que jamais à tous cordialement dévoué dans les sacrés Cœurs de Jésus et de Marie notre bonne mère. — F. C. Vinctus Christi ».

M. Cormeaux ne demeura pas longtemps dans la maison d'arrêt ; on l'écroua d'abord dans une prison située sur l'avenue de Saint-Cloud, puis à Chaillot. Cependant, pour que personne ne pût avoir de relations avec le prisonnier, on avait ordonné de dire qu'il était à Paris. Dans la prison de l'avenue de Saint-Cloud, M. Cormeaux donna une nouvelle preuve de son zèle pour la gloire de Dieu. Le guichetier avait l'habitude d'accompagner chacune de ses paroles d'un horrible juron ; le saint prêtre le pria, le conjura d'abord de ne point blasphémer ainsi, et, comme il ne pouvait le corriger, il se jeta un jour à ses pieds et les embrassa, en le suppliant de ne plus maudire un Dieu qui était son père ; cet homme brutal et grossier fut tellement touché de cette action, qu'il n'osa plus jurer en présence de M. Cormeaux, et qu'il disait sans cesse : « Je n'oublierai jamais que j'ai vu ce brave homme de prêtre à mes genoux ! ».

L'heure du suprême sacrifice était venue. M. Cormeaux, extrêmement malade, avait passé quelques jours à la prison du Plessis ; on l'en retira pour l'écrouer à la Conciergerie. C'était la dernière étape, avant l'échafaud. Enfin, le 9 Juin 1794, le saint confesseur comparut devant le tribunal révolutionnaire. Il fut guillotiné le même jour. Trois heures suffisaient alors pour le jugement, la condamnation et l'exécution.

« M. Cormeaux, que nous avons eu l'occasion de voir et d'entendre, écrit l'abbé Tresvaux, était un prêtre fort remarquable et qui a laissé de son mérite et de sa vertu une très-haute idée dans l'esprit de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître. Il était d'une taille médiocre, maigre et paraissait d'une faible complexion. Son visage austère exprimait la mortification et le recueillement. Il avait la voix peu forte, mais claire, se faisait très-distinctement entendre et parlait purement ».

Ainsi que je l'ai dit, l'abbé La Sausse fit paraître, dès l'année 1796, une vie anonyme de M. Cormeaux. Il parut en même temps deux volumes in-12 de sermons et d'opuscules, attribués au saint prêtre. On dit que le recteur de Plaintel s'était aussi occupé d'écrire la vie de M. Leuduger ; mais qu'il n'eut pas le loisir de mener à fin ce travail [Note : Une pieuse et vénérable famille de Quintin, avec laquelle M. Cormeaux avait eu des rapports et chez laquelle il paraît qu'il demeura caché pendant quelque temps, était dépositaire des manuscrits du recteur de Plaintel : M. l'abbé Moy, aujourd'hui curé de Paimpol, qui a vu souvent ces manuscrits, a lu de nombreux fragments de la vie de M. Leuduger. Depuis un petit nombre d'années ces papiers ont été égarés, et malgré d'actives recherches, je n'ai pu en retrouver la trace].

Il serait à désirer qu'une main pieuse et discrète fit un choix parmi les dévots opuscules de l'abbé Cormeaux et qu'on en publiât une édition populaire. Quand toutes les choses humaines s'usent et disparaissent en un jour au milieu du tourbillon fatal qui nous entraîne, sauvons du moins, nous qui avons encore la religion du passé, sauvons la mémoire féconde de nos martyrs et de nos saints.

La note suivante, inscrite sur les registres de baptême de Saint-Pôtan, nous fait connaître les noms des derniers collaborateurs de M. Cormeaux.

« Je soussigné Recteur de Plaintel, directeur des Missions du diocèse, certifie à tous qu'il appartiendra que le 21 mai de l'année 1789, fête de l'Ascension de Notre-Seigneur, j'ai solennellement béni la croix située dans le Croix-Chemin, entre l'église et le presbytère, avec les instruments de la passion et lui ai, de plus, appliqué une indulgence plénière, applicable aux défunts, qui se peut gagner une fois chaque année, par tout fidèle qui, après s'être confessé et avoir communié, priera devant cette croix, suivant l'intention du Souverain Pontife. De plus, une indulgence de cent jours, pour chaque fidèle au moins contrit qui priera devant ladite croix. Le tout en vertu d'un bref m'accordé par le Souverain Pontife Pie VI, le 27 août 1785, approuvé par M. l'abbé de Robien, vicaire-général de ce diocèse, le 1er décembre de la même année. En foi de quoi, j'ai soussigné le présent acte authentique avec ceux qui ont travaillé à la Mission de Saint-Pôtan, finie le 25 mai 1789. Ladite indulgence cessera quand la croix perdra sa forme de croix ».
(Signé) J. OLIVIER. J. TROTET, prêtre de Plancoët. Y. DEMOY, curé de Hénansal. F.-E, Heurtant, recteur de Pléboulle. CHAPELAIN, recteur de Plouguenast. NAIS, recteur de Ruca. ROUXEL, recteur de St-Cast. F. ORHAN, prêtre. DE LAUNAY, recteur de Saint-Pôtan, et CORMEAUX, recteur de Plaintel, directeur des Missions.

(M. S. Ropartz).

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