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CONGRÉGATION SAINT-THOMAS-DE-VILLENEUVE

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La Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve (ses origines et ses oeuvres)

Fondée à Lamballe, en 1662, par le Père Ange Le Proust, l'héroïque apôtre de la Bretagne, pour le soulagement des pauvres et l'instruction des enfants suivant la règle de Saint-Augustin, la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve est à la fois hospitalière et enseignante. Elle comprend à ce double titre un grand nombre d'oeuvres de miséricorde et d'enseignement dont chacune mériterait une histoire à part, tellement leur influence a été salutaire à la France et tellement, en 1920 encore, elles offrent d'intérêt au point de vue religieux comme au point de vue social : hôpitaux et hospices, crèches, asiles, refuges, dispensaires, maisons de santé, de repos, de convalescence, de retraites spirituelles, orphelinats, ouvroirs, écoles, pensionnats.

Cette diversité des oeuvres, qui répond aux attraits les plus divers et qui est elle-même une bénédiction du ciel, donne à la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve sa physionomie particulière. Mais ce n'est là que l'aspect extérieur. Si l'on cherche à pénétrer l'esprit qui l'anime, le trait saillant et distinctif qui résume son caractère et qui partout se retrouve, dans ses constitutions, dans sa vie intime, dans son gouvernement, dans ses oeuvres, on reconnaîtra bien vite l'esprit de charité du Maître qui a présidé, sous sa forme la plus haute et la plus douce, à la naissance, puis au rapide développement de l'Institut et qui, pour les grandes choses auxquelles il les conviait, semble avoir pétri les coeurs de générosité et de dévouement.

Rien de beau, rien de grand ne se fait sans la charité. C'est le soleil des âmes. Partout où elle rayonne, elle répand la lumière, la chaleur, la vie. Elle sème le monde de ses bienfaits ; elle l'inonde de ses splendeurs. Plus haut que toutes les sciences et les philosophies, plus haut que le génie même des arts et de la poésie, elle resplendit aux profondeurs du ciel. Et son éclat est doux. Il n'éblouit, ni ne brûle ; il réconforte et il réjouit. Sa douceur voile sa force. Mais sa puissance est infinie ; car son foyer s'allume, intarissable source de bénédictions et de prodiges, au coeur même de la divinité.

La Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve a toujours vécu, au cours de son histoire, de cette ardente et merveilleuse vertu, flamme divine qui est l'âme de son âme et le sceau de ses oeuvres. On peut dire qu'elle est née de l'esprit de sacrifice et d'immolation. Quand, le 2 mars 1661, les trois jeunes filles de Lamballe que le Père Ange avait conquises à son généreux dessein, Gillette de la Pommerays, Laurence du Breuil et Anne du Canton, toutes trois de noble et riche famille, remarquablement belles et gracieuses, narrent les chroniques, brisèrent avec la vie mondaine et les radieuses espérances pour prendre à elles seules la direction et l'administration de ce bouge infect qu'était alors l'hôpital de la ville, personne ne se méprit sur l'héroïsme de cet acte si simplement accompli ; et sur leurs pas se joignirent aussitôt les magistrats de la cité, le clergé des paroisses au milieu d'un immense concours de peuple, tous chantant des hymnes de gloire à Dieu et invoquant sur ces saintes filles la protection et l'aide du ciel. On savait quelles rebutantes maladies elles allaient soigner de leurs mains délicates et dans quelles conditions désastreuses ; surtout à quelle race de pauvres gens elles allaient se heurter.

Mais leur cœur n'était point de ceux qui calculent. Le sacrifice attire les grandes âmes ; or, toutes trois avaient soif de sacrifice. Quand une fois on a entendu dans l'intime de son être l'appel divin, l'émouvant appel qui éblouit et subjugue et inonde de joie, quand on a entrevu les magnifiques horizons de la vie religieuse que ceux–là seuls comprennent qui en ont réjoui leurs yeux, il n'est plus rien qui puisse encore séduire des fascinations du monde et l'âme est, toute entière au Maître qui la veut pour lui. Le seul rêve qui entraîne alors comme un charme auquel rien ne résiste, est d'être à lui sans partage, d'être à lui de toutes ses puissances, d'être à lui pour jamais, comme lui-même se donne à nous sans réserve et pour toujours, de toute la force, de toute la grandeur et la douceur de son amour.

Ce mystérieux appel qui parle au coeur et qui, en peu de mots, dit tant de choses, les trois jeunes fondatrices de l'Institut naissant l'avaient entendu distinctement chacune, et chacune de même façon. C'était le complet holocauste qui leur était demandé, suivant l'exemple du Sauveur, au service des pauvres et des petits. Elles en eurent l'âme pleine de joie ; et simplement, mais irrévocablement, elles répondirent, souriantes, au don de Dieu par le don de soi.

Leur vœu formé d'abord dans l'intimité de leur dévotion allait devenir le voeu d'un grand nombre. Peu à peu, en même temps que se précisent les desseins de Dieu et l'orientation de leur vie, d'autres âmes se groupent autour d'elles, des âmes d'élite attirées par le même idéal d'amour et de sacrifice, jeunes filles ou jeunes veuves du même monde et de la même trempe, toutes de la ville ou des environs, toutes, ne formant qu'un seul esprit, un même coeur. La Congrégation était établie. Elle se met sous le patronage de l'une des plus pures gloires de l'ordre des Augustins, saint Thomas de Villeneuve, tout récemment canonisé, en 1659. C'était pendant les fêtes de cette canonisation magnifiquement célébrées à Lamballe, que le Père Ange Le Proust, prieur du couvent des Augustins, avait conçu, en effet, le premier dessein de cette association : en la mettant sous le vocable du saint, il en rapportait l'honneur à celui qui l'avait inspiré et qui était lui-même un modèle de charité.

C'est dans cet esprit que les règles sont tracées par les soins du Père Ange et de Mère du Canton, au nom de toutes. En tête de ces constitutions, la société inscrit son absolu dévouement aux œuvres de miséricorde et d'apostolat. Sans nul souci de ce qu'il en pourra coûter aux forces ou aux répugnances de la nature, revendiquant pour son partage le domaine des pires misères, des plus tristes abandons, elle se porte tout d'un élan là où il y a le plus de bien à faire et le moins d'âmes généreuses pour le faire, là aussi où l'on est plus sûr de trouver le Maître divin et de répondre à sa pensée ardente, vers tous ces déshérités de la terre auxquels il est venu promettre le royaume des cieux, vers les malades qu'il guérissait, vers les pauvres qu'il consolait, vers les enfants qu'il instruisait en les attirant sur son cœur, vers tous ceux qui souffrent et qui pleurent, qui ont besoin d'une aide, d'un réconfort, d'un appui, et plus encore d'un peu d'affection et de pitié.

Et ce sont les plus déshérités qui ont eu dès l'origine et qui ont toujours gardé les préférences. Si, plus tard, dans leurs pensionnats royaux de Saint-Germain ou de Paris, elles ont eu le privilège d'élever les pupilles des rois, en revanche elles ont réservé dans leurs hôpitaux, leurs refuges ou leurs asiles, le meilleur et le plus tendre de leurs soins aux infirmes les plus répugnants, aux cancéreux, aux typhiques, aux varioleux, aux incurables, aux miséreux de toute sorte, aux filles perdues, aux pauvres fous.

Ce caractère particulier de la mission hospitalière des Filles de Saint-Thomas, qui résume si vivement, si véritablement leur esprit, nous le voyons fixé dans leurs constitutions avec une simplicité qui pénètre de respect et qui a de quoi confondre d'admiration quand on songe à ce qu'elle suppose d'héroïsme chez celles qui ont à soigner ces horreurs ou à supporter ces misères, « Ce qui nous distingue des religieuses hospitalières qui, comme nous, se proposent le soulagement corporel et spirituel des malades, est-il dit tout au début, c'est que nous prétendons nous attacher spécialement aux hôpitaux les plus petits, les plus pauvres et les plus abandonnés... Notre grande étude doit être de vaincre nos répugnances et notre délicatesse. Ne marquons jamais, s'il est possible, aucune horreur des plaies les plus dégoûtantes. Il faut qu'il y ait parmi nous une sainte et douce émulation à qui servira les malades auprès desquels il y a davantage à souffrir, soit à cause de l'humeur, soit à cause de la nature du mal. Témoignons d'autant plus d'ardeur et de zèle pour aider les pauvres que leur mal est plus grand et plus rebutant ; ne perdons jamais de vue Jésus-Christ que nous servons dans leurs personnes » (Const. art. 1, § 5, 6 ; art. 2, § 7, 9). Est-il possible de témoigner au service des pauvres plus d'abnégation, plus de vaillance dans le don de soi-même, une plus triomphante immolation de la nature rebelle, et plus de grandeur aussi dans la conception que l'on se fait, avec l'esprit même du Christ, de la mission toute céleste, toute divine, de la religieuse hospitalière ?

Sans doute l'héroïsme ne s'impose pas. Le don de soi est volontaire. Il est parfaitement libre. C'est là ce qui en fait le prix de tous les instants et, aux heures dures, aux heures de lutte ardente, la sublimité. Aussi la charité et la prudence des supérieures veilleront-elles délicatement à n'imposer à personne une tache qui dépasserait ses forces. Dans cette vue, l'esprit de sage modération qui marque de son empreinte toutes les pages de l'Institut, vient tempérer aussitôt ce que ces prescriptions pourraient laisser paraître d'austère et de surhumain. « Si cependant une Soeur ne pouvait surmonter sa répugnance pour certains malades, il ne faut pas l'obliger à les servir ; cette contrainte n'aboutirait souvent qu'à révolter davantage son imagination ; qu'une autre Soeur prenne sa place avec joie et charité, et que celle qui n'a pu se surmonter s'en humilie devant Dieu, le conjurant de lui ôter sa répugnance » (Ibid., art. 5, § 6). L'histoire est là pour attester que, dans la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve, jamais le dévouement n'a reculé devant la tâche ardue ou rebutante, et depuis le jour où Mère de la Villemillant (Ville-Millant) ouvrait à Lamballe, en 1668, le martyrologe de la charité, innombrables sont celles qui ont offert généreusement leur vie pour le salut de leurs malades ou qui se sont offertes en sacrifice pour l'âme de leurs chers pauvres. Et l'on ne manquerait pas de trouver dans les écoles et dans les pensionnats, dans toutes les oeuvres de jeunesse, le même esprit de dévouement.

Cette vive et sainte charité qui est toute ardeur au service de ceux qui souffrent ou qui sont confiés à leurs soins maternels, sera toute douceur dans la paix des relations quotidiennes des membres de la grande famille religieuse, comme dans le gouvernement qui assure le maintien de l'ordre et veille au bien de tous.

La congrégation comprend deux catégories distinctes de religieuses : les Soeurs de choeur chargées des divers offices et les Soeurs converses chargées de les aider dans ces mêmes offices.

Le costume n'est pas rigoureusement identique. Les Soeurs de choeur revêtent, avec la robe d'étamine noire à queue, un long voile de même étoffe sur un autre voile de linon plus petit. Pour le service des pauvres, le tablier blanc est de rigueur ; les dimanches et fêtes, ainsi que les jours ouvrables à la chapelle, on porte le tablier d'étamine noire. Telle était, au XVIIème siècle, le costume des veuves dans la bonne société bretonne, réduit du moins à une religieuse simplicité, car les constitutions proscrivent tout ornement, toute parure de mousseline ou de soie. L'habit des Soeurs converses reste l'habit de travail de jadis, ample et modeste robe de serge noire ou d'étamine buratée, coiffe de linon, mouchoir de cou de couleur blanche, tablier bleu. Pour la communion, le voile noir, et, pour les sorties, la grande cape noire à capuche, que revêtent aussi les Soeurs de chœur.

Ce costume est très populaire dans toutes les villes où les Filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve ont établi leurs oeuvres de charité, mais tout particulièrement en Bretagne, berceau de la Congrégation. Lorsque, dans les premiers jours d'août 1914, les longs convois militaires se succédaient à intervalles rapides sur les lignes du Nord, transportant fiévreusement aux frontières nos héroïques régiments, quelques religieuses de l'hôpital de Soissons se trouvèrent à proximité d'un de ces trains parés de fleurs, qui roulait, semblablement à tous les autres, vers les horizons déjà sanglants. En un clin d'œil, toutes les portières furent garnies de visages souriants, émus toutefois, qui se penchaient vers elles, emportant dans la sombre tourmente cette dernière vision qui évoquait avec elle tant de chers souvenirs, tandis que, de ces males poitrines, comme un appel bientôt disparu, montait ce cri : « Mes Soeurs ! Mes Sœurs !... C'est la Bretagne qui passe !... Priez pour nous ! ». Et quelle consolation, quelle joie plus tard, pour ces héroïques gars bretons, comme pour tant de nos braves soldats, de le retrouver dans les salles des hôpitaux, ce costume austère et cependant gracieux, symbole de tous les dévouements !

Entre les Soeurs de chœur et les Sœurs converses, la différence est presque toute entière dans le costume. Celles-ci aident celles-là dans leur emploi et n'ont point part à l'administration. Mais pour tout le reste, c'est la même vie de piété, de travail, de charité. Aux Soeurs converses, on recommande spécialement l'humilité et la docilité ; aux Soeurs de chœur, le renoncement à soi-même et l'exemple du dévouement dans les choses pénibles et rebutantes.

Une sainte et profonde affection doit les unir toutes, Sœurs converses et Soeurs de choeur, d'un lien très doux et très fort. Car de même que le dévouement au dehors, la vie intime de la grande famille religieuse n'a d'autre loi que celle de la plus pure charité, loi céleste qui régit, dans ces maisons bénies de Dieu, les intelligences et les coeurs et, de toutes les âmes, ne fait qu'une seule âme fondue dans l'âme ardente du Maître. « Le noeud de notre Institut, proclament les constitutions, c'est la charité ». Malheur à qui voudrait le rompre, à qui troublerait le délice de cette paix, à qui fomenterait les partis, favoriserait les dissensions et les discordes. Elles seraient bien les pires ennemies de la Congrégation, ces destructrices criminelles qui travailleraient à sa ruine, et les solennels avertissements ne leur sont pas ménagés. « Notre Institut surtout, qui doit son origine à la charité, tombera de lui-même, si celles qui le composent ne conservent entre elles une union et une intelligence parfaites ». Telle est la loi de conservation ; et le modèle qui leur est donné à toutes, de cette « sincère, cordiale et mutuelle affection », n'est autre que l'amour du Christ pour celles qui sont à lui. Il resplendit à toutes les pages, le nom de cette belle vertu. Et l'on voit bien que dans la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve, la charité est accueillie comme une reine : une loi sainte lui soumet tous les coeurs.

Ce même caractère de douceur dans la force devra marquer l'union étroite des supérieures et des inférieures et donner au gouvernement l'onction qui en assure le paisible exercice.

Quel que soit leur rang dans la hiérarchie, l'obéissance la plus entière est requise de toutes les religieuses ; aux plus élevées en charge, il appartient d'être aussi les plus parfaits modèles de soumission et d'accomplissement exact de toutes les prescriptions de la règle comme de toutes les directions reçues. L'autorité doit être le point de ralliement de tous les efforts, de toutes les pensées ; qui s'en écarte, qui se rebelle trahit sa vocation et porte sur l'arche sainte sa main impie. Une vraie religieuse de Saint-Thomas s'interdira « les répliques, les murmures et les représentations que l'amour-propre suggère ». Sa règle lui demande d'être « souple en tout sous la main des supérieures » jusqu'à se détacher de sa manière de voir, de son jugement propre. « C'est en faisant à Dieu le sacrifice de noire esprit et de nos lumières que nous avons sujet d'espérer qu'il nous conduira sûrement par le moyen des personnes qui nous tiennent sa place et que nous devons regarder comme les interprètes de sa volonté à notre égard » (Const. VIII, § 5). Et c'est bien cette parfaite discipline, ce sens surnaturel de l'obéissance qui a permis à la Congrégation de s'étendre si rapidement, de surmonter toutes les difficultés du dehors, souvent redoutables, et de se reconstituer avec une singulière vitalité après les effroyables désastres de la Révolution.

Aussi le premier devoir des supérieures est-il de veiller avec le plus grand soin au maintien de la règle et au bon ordre des maisons. Il est rappelé aux supérieures locales qu'elles n'ont d'autorité que « pour faire fleurir la régularité » ; elles ne doivent « rien prescrire qui ne tende à la maintenir, ni rien permettre qui puisse introduire le relâchement » (Const. II, art. 6, § 2). Ces injonctions sont promulguées avec plus d'insistance encore dans les règles particulières de la supérieure générale. Une fois de plus il est spécifié que toutes les maisons ainsi que toutes les Soeurs sont soumises à son autorité et que « son principal devoir est de maintenir l'observation exacte et entière des constitutions et des règlements de l'Institut ». La qualité première de son gouvernement, préservatrice et réparatrice de l'ordre, sera dès lors « la fermeté » (Const. II, art. 4, § 4). Le Père Ange Le Proust, qui jeta les solides fondements de ces constitutions, n'avait-il pas une haute idée et un fier sentiment de la vertu de ses filles ?

Mais, pour imprescriptible qu'elle soit, cette vaillante abnégation de la volonté propre, n'implique rien de morose, ni de triste ; elle porte ses joies avec elle. Rien de dur dans cette fermeté du commandement ; rien de pénible dans cette plénitude de la soumission. Il est dans l'ordre que l'autorité, comme la providence qui veille au bien de toutes, soit l'expression de la plus prévenante et inépuisable bonté.

L'obéissance, à son tour, comme tous les holocaustes agréables au Seigneur, exhalera son parfum de suavité. L'une aura le caractère d'un abandon tout filial ; l'autre, d'une sollicitude toute maternelle. « Obéissez à votre supérieure comme à votre mère, recommande la règle augustinienne, et portez-lui le respect qui lui est dû » (Const. Part. IV, chap. X, § 1). Quant à la supérieure, si quelque sujet de consolation peut lui être offert dans sa lourde charge, ce doit être « par la charité qui la rend la servante de toutes les autres, plutôt que par l'autorité qui la rend en quelque façon maîtresse » (Ibid., 3). Aux termes des constitutions du Père Ange, il lui est non moins instamment recommandé de se montrer « toujours également douce, affable et prévenante envers toutes les Sœurs pour leur rendre aimable la dépendance » (Const. II, art. 6, § 2).

Exemple qui sera donné de plus haut encore par la supérieure générale, dont le soin doit être de pétrir son âme d'exquise et maternelle charité. Les mots se font pressants et touchants pour lui inspirer cette infinie tendresse du dévouement. Il faut qu'elle ait « pour toutes les Soeurs qui composent l'Institut un coeur et des entrailles de mère, comme elle en porte le nom, entrant dans toutes leurs peines et les partageant avec elles, compatissant, à leurs faiblesses, se montrant surtout très zélée pour leur avancement dans la vertu et le procurant par tous les moyens qui dépendent d'elle » (Const. art. 4, § 1). La dernière recommandation qui lui est faite comme le mémorial de ses devoirs, — car, à vrai dire, ce n'est pas tant une recommandation qu'une obligation formelle, — a trait encore à cette insigne bonté qui ne rayonne que dans le cœur des mères et qui est l'auguste privilège de sa charge. « Il faut enfin qu'elle se regarde à la tête de l'Institut comme une bonne mère chargée d'une nombreuse famille, qui donne toute son application pour la bien gouverner » (Const. II, art. 4, § 19).

Une famille, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus doux sur la terre ? Mais n'était-ce pas, de la part du Père Ange, le plus beau des rêves, un rêve du ciel, de vouloir la transplanter sous le cloître, en y faisant régner cette infinie douceur de vivre qui donne toutes les forces et qui console de tout quand on sent que l'on a près de soi une véritable mère pour vous aider et, autour de soi, de vraies soeurs pour vous aimer ?

Prier en commun, souffrir en commun, travailler en commun à la même œuvre et de la même âme, fondre sa vie dans celle des autres pour la transfigurer dans les divins resplendissements de la charité du Maître, principe et fin de toute vie qui vaut d'être vécue, voila l'idéal splendide et doux offert à toutes les congrégations religieuses, dont le modèle sera toujours l'aimable famille de Nazareth. Mais il semble que le secret désir du saint fondateur des Filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve fût de donner à sa chère famille religieuse vouée dans les hôpitaux à toutes les rudes besognes, parfois aux héroïsmes dont s'effraie le plus la nature, une plus intime fusion des âmes qui vivent de la même vie, un cœur à coeur plus étroit entre celles qui commandent et celles qui obéissent, quelque chose de cette harmonie céleste qui relie entre eux les choeurs des anges et qui fait de leur société bienheureuse la plus unie des communautés, de leur hiérarchie sainte le plus ordonné des gouvernements, et de toute leur vie ardente et pure le plus bel hymne d'amour et de gloire qui puisse être chanté à la divinité.

Mais il est vrai que, toutes les âmes ne sont point faites pour gravir ces sommets. Seules, par une grâce de choix, les natures d'élite pourront avoir, avec l'intuition puissante et limpide qui pénètre le mystère des choses, l'inspiration généreuse qui trouve dans le don sans réserve de soi l'énergie de s'immoler et l'enivrant délice d'être tout à Dieu.

Et c'est bien d'une élite que le Père Ange entendait s'entourer pour le succès de sa vaste entreprise. Il veille jalousement à ne recruter les premiers membres de sa congrégation que dans la meilleure société bretonne, que dans ces vieilles familles du terroir où la noblesse du nom ne fait que rehausser la noblesse des sentiments, où, du moins, les antiques vertus de la race fécondées par toute l'ardeur de la foi, s'associent au culte de l'honneur et aux plus riches élans de la vaillance chrétienne. Elles se nomment Gillette de la Pommerays, Laurence du Breuil, Anne du Canton, Jeanne de la Ville-Millant, Charlotte des Rues, Anne de Vauvert, Anne le Voyer, Catherine de Gelëau, Gillette de Bellevue, Catherine de la Motte, les héroïnes de cette oeuvre de régénération sociale. Tous ces noms étaient l'honneur du pays ; ils resteront dans les annales religieuses de la Bretagne, avec celui des Mères du Cheinay, de la Ville-Danne, des Landelles, de Montvoisin, Peuguilly, Betthe, de Poulfantan, Paris du Châtel, Ménard, comme les plus pures illustrations du dévouement.

Il est remarquable que le Père Ange n'ait point songé tout d'abord à faire appel à l'élément populaire. Certes, il ne manquait pas alors, sous les humbles toits de chaume, de braves filles, simples de mœurs, mais robustes de bras et dévouées de coeur, dont les services auraient bien eu leur prix dans le soin des pauvres et des malades, au milieu de tant de misères et de si durs labeurs. Sans doute le prudent fondateur craignait-il d'imposer à ces natures incultes, si désireuses qu'elles fussent de travailler au bien des autres et de se dépenser pour Dieu, une charge trop lourde pour leur piété rustique et pour la naïveté de leur foi. En quoi se décèle bien l'idée qu'il s'était formée d'abord pour la conduite de son oeuvre. Plus tard, il se reprit de son erreur, et la vaillante phalange des bonnes Soeurs converses n'a pas cessé un instant, à l'exemple des Olive Poirier, des Jeanne Dufroc, des Jacquette Clément et des Jeanne Le Bescou, de rendre à la Congrégation, sous toutes les formes du dévouement et, dans les occasions suprêmes, avec toute la simplicité de l'héroïsme qui s'ignore, les plus précieux services. Car, là aussi, dans le milieu peu raffiné sans doute et trop souvent méconnu de ces braves cœurs, parfois exquis, il y a, en dépit de la rudesse des manières qui se polit bien vite avec l'effort, tous les éléments d'une élite. Il s'agit seulement de les reconnaître et de les dégager.

C'est à quoi les constitutions invitent les supérieures à s'appliquer, soit pour les Soeurs de choeur, soit pour les Soeurs converses. Pour les unes comme pour les autres, il faut un choix, et que ce choix soit sévère. Défense est faite, préalablement, à tous les membres de solliciter personne à entrer dans la congrégation. L'appel ne doit venir que de Dieu ; la réponse ne doit venir que de l'élue du ciel.

Même prudence à l'égard des personnes qui ont le désir de servir Notre-Seigneur parmi les Filles de Saint-Thomas, et qui se présentent à l'admission. La troisième constitution enjoint de ne pas les admettre « indifféremment et sans choix », mais de s'enquérir tout d'abord si leur désir est bien d'accord avec les conditions requises pour faire une bonne religieuse selon l'esprit de l'Institut. « Il faut, prescrit le texte, que celles que l'on admet parmi nous soient d'honnêtes familles, d'une réputation saine, d'une humeur douce et sociable, et d'une bonne santé. Il faut de plus qu'elles aient de la vertu ou au moins un vrai désir d'en acquérir ; il faut surtout qu'elles soient déterminées à s'employer toute leur vie au service du prochain dans les oeuvres de charité dont se charge l'Institut » (Const. III, Art. 2, § 2). Le plus grand soin doit être apporté à l'examen de la vocation, et si la conclusion est favorable, tout aussitôt, sans remettre à des temps plus opportuns peut-être, explication est donnée à la future religieuse des engagements sacrés qu'elle devra prendre et tenir jusqu'à la mort ; et pour que nulle illusion ne vienne éblouir à ce moment son esprit, il faut, ordonnent sagement les constitutions, « lui faire connaître combien notre manière de vivre est contraire aux inclinations de la nature » (Ibid., § 3). Cette façon de prendre contact dès le début avec les âmes qui viennent frapper à la porte du noviciat, ne peut être taxée, assurément, de mollesse. C'est bien la manière forte, celle qui convient à une élite avide de tous les genres de sacrifices et que l'Institut veut pouvoir, dès l'instant, ouvrer complaisamment, comme un métal précieux et déjà éprouvé, pour en faire un joyau digne des autels du Seigneur.

Le temps d'épreuve, qui est aussi un temps de formation spirituelle, commence alors. D'abord le postulat, dont la durée est fixée à six mois, et qui peut se faire en partie dans une maison quelconque de l'institut ; les derniers mois se passent toujours dans une maison de noviciat, soit à Neuilly-sur-Seine pour les Soeurs de choeur, soit à Rennes ou Moncontour pour les Sieurs converses. La prise d'habit, précédée d'une retraite de dix jours et de l'examen canonique, ouvre le temps du noviciat qui est d'une année entière et qui sert à acquérir, dans la prière, le travail et les exercices du perfectionnement de soi-même, toutes les vertus essentielles à une religieuse hospitalière suivant l'esprit propre de la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve, et notamment, avec l'humilité pour base, « la douceur et la charité envers le prochain ». A cette marque, se reconnaît partout la vraie religieuse de Saint-Thomas.

Ce qu'on requiert de la novice au terme de sa probation, comme résumé de tous ces exercices de renoncement à sa propre volonté et à ses goûts, c'est l'absolue indifférence à l'égard soit des emplois qui pourront lui être confiés, soit des villes et des maisons où la supérieure générale jugera bon de l'envoyer. Ce qu'on lui demande encore, c'est, même dans les cas difficiles, non seulement l'énergie, mais la joie d'obéir. Ainsi disposée avec l'aide d'en-haut, la novice est admise à la profession des vœux annuels avec les cérémonies habituelles qui en font l'épouse du Seigneur.

Durant cinq nouvelles années, la jeune religieuse s'étudiera sans relâche à se dégager de plus en plus d'elle-même et de ses défauts, à gravir avec un zèle croissant le chemin de la perfection, à se plier à tous les détails de la règle, à se pénétrer jusque dans l'intime de la conscience des conseils et de l'esprit de l'institut. Pendant tout ce temps, il faut qu'elle ait donné, sans défaillance aucune, des garanties certaines que « son caractère, ses progrès dans les vertus religieuses et son esprit de régularité » sont bien tels qu'on est en droit de l'exiger, au nom du divin Maître, de celle qui aspire à se consacrer à lui sans retour, à lui appartenir comme une céleste fiancée, non seulement pour tous les jours de ce monde qui passe, mais pour les fêtes sans fin de l'éternité, alors que les Vierges suivront partout l'Agneau dans l'éblouissement de sa gloire et l'infinie douceur de son amour. C'est la cérémonie si belle, aux inépuisables délices, de la profession solennelle dont les lendemains, si loin qu'ils se prolongent, ne sont que l'achèvement. Mais avant d'en être arrivée à ce terme, entrevu dès le premier jour, de tous ses désirs, de toutes ses aspirations brûlantes, la religieuse à dû revenir, dans la solitude et dans la paix du noviciat, embaumer et fortifier son âme de prière et de bonnes résolutions, et se remettre avec une application nouvelle, si elle en était sortie quelque peu, à l'école de sa sainteté. Elle n'en sortira plus. Attentive aux enseignements du Maître, dans le jardin clos de sa virginité et de ses vertus, toute sa vie sera le noviciat du ciel. 

« Vertu trop haute, vertu trop belle, et qui n'est pas de ce monde, argue à ce propos un sceptique. On peut s'y complaire par la pensée ; mais que peut-on en retirer qui tienne dans la pratique de la vie ? L'humanité a beau faire ; non, elle ne portera jamais son effort jusque-là, sinon dans ses rêves ».

C'est pourtant la vie même, la palpable réalité de la vie ; il n'y a qu'a regarder et à voir. Cet idéal de vertu, dont les constitutions fixent si nettement les traits, pour sublime qu'il puisse être, n'est-il pas proposé à toutes et l'objet des ambitions de toutes ? L'effort pour l'atteindre peut, il est vrai, se restreindre jusqu'aux défaillances ou s'étendre jusqu'aux prodiges éclatants de la sainteté, et les résultats seront divers infiniment dans la mesure même de l'effort. Mais, à travers toutes les divergences et dissemblances, cet exemplaire de haute perfection reste la norme de qui relève, même pour la plus humble des converses, tout le détail de l'existence quotidienne. Loin d'être perdu à l'infini dans la splendeur de son isolement, il rayonne à tous les yeux, vivante expression de la règle commune : à lui de mouvoir et d'orienter, dans le va-et-vient des occupations diverses, toutes les pensées, tous les désirs, tous les actes. Au fond, il n'en saurait être autrement. N'est-ce point là, pour chaque religieuse fidèle à sa vocation, l'âme même de sa vie, son bien le plus cher ?

Pourraient-elles tenir sans lui ? Qui donc les soutiendrait dans leur rude tâche, ces intrépides ouvrières de la charité, qui les ranimerait dans leurs lassitudes ou les armerait contre les difficultés de chaque jour, si ce n'est cette vertu même ? Qui leur donnerait la force d'être souriantes toujours, douces, aimables, compatissantes, secourables, quelles que soient leurs peines ? Non, jamais, pour tout ce qu'elles ont à faire et tout ce qu'elles ont à souffrir, elles n'élèveront trop haut leur regard, et jamais la vertu ne sera trop belle pour prendre leur coeur ou en adoucir les croix sous le charme de sa beauté. Si parfois, comme en tout ce qui est humain, il y a des fléchissements dans le devoir, des reculs attristants, n'est-ce pas que les yeux se sont baissés vers la terre et que le coeur s'est clos devant la beauté qui l'avait séduit ?

Tout ordre religieux a ainsi son exemplaire de perfection qui est sa loi de vie et dont il faut qu'il se pénètre jusqu'aux moelles s'il ne veut pas chanceler et mourir. Précisément, la vitalité d'un Institut se mesure à la fidélité qui l'attache à son idéal ; et si l'on veut savoir avec quel attachement la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve, au cours de ces deux cent soixante ans, est restée fidèle à sa grande pensée de charité, jusqu'à quel point son idéal de dévoue­ment est entré dans sa vie pour la rendre féconde, il n'est que de le demander aux faits, témoins irrécusables : on jugera de la sève de l'arbre à ses fruits.

Ce que peuvent, pour les oeuvres de Dieu, des âmes naturellement généreuses et résolues, choisies parmi les meilleures, l'histoire de la Congrégation est là, en effet, pour le mettre en pleine lumière : histoire si vaste et si remplie, si complexe en même temps par la multiplicité des entreprises et des travaux que la vie d'un Bénédictin suffirait à peine à en rassembler les documents et à l'écrire.

Dans l'immense désarroi matériel, moral et religieux où se trouvait la Bretagne au milieu du dix-septième siècle, rien qui soit plus frappant, pour un observateur des faits, que la rapide diffusion de la petite société fondée par le Père Ange. C'est, dès sa naissance, la bénédiction d'en-haut. A peine les trois vaillantes jeunes filles de Lamballe avaient-elles fixé leur séjour à l'Hôtel-Dieu et entrepris la restauration de ces ruines habitées par la misère, que le spectacle si nouveau, si touchant de cette active et ingénieuse charité qui remettait partout, comme sous un coup de baguette magique, la décence, la propreté, la blancheur, presque le confort dans la maison et, sur tous les visages, l'épanouissement de la reconnaissance et de la joie, attira au loin l'attention des foules et suscita, dans l'afflux des visites ou curieuses ou émues, de vifs désirs soit d'imiter ce magnifique exemple, soit d'en profiter.

De tous les châteaux des environs, accouraient de jeunes compagnes résolues à joindre leur effort à cette entreprise secourable, à vivre, elles aussi, de cette vie de renoncement et de bienfaits, vouées au service des pauvres de Jésus-Christ. La ruche se trouva bientôt débordante. Mais les Conseils de ville veillaient à leurs intérêts. D'instantes demandes furent adressées à ces admirables hospitalières, car la misère dans les hôpitaux était alors partout et les charitables initiatives ne se rencontraient nulle part. L'ère des fondations commence : Moncontour, dès le six avril 1662 ; presque en même temps Saint-Brieuc. à l'Hôpital général comme à l'Hôtel-Dieu ; puis bien vite Concarneau, Ploërmel, Buzançois, Malestroit, Dol, Morlaix, Quimper, Chateaubriant, Rennes, Brest, Dinan, Saint-Malo, Vannes, Saint-Pol-de-Léon, Bécherel. Toute la Bretagne appelle au secours de la souffrance celles qu'on nomme des anges de charité. Bientôt les diocèses voisins supplient à leur tour. Les voici à Loudun, Thouars, Saint-James, Poissy, La Ferté-Milon, Le Havre, Paris, où s'établit la maison mère en 1698, sous la protection royale. Les fondations iront se succédant ainsi dans tout le cours du dix-huitième siècle jusqu'à la Révolution. Elles s'étendaient alors dans tout l'Ouest de la France, et déjà l'archevêque d'Aix, Mgr de Boisgelin, appelait dans le Midi les Filles de Saint-Thomas pour leur confier le pensionnat de Lambesc.

Les efforts s'étendent ; le zèle se multiplie. Ne faut-il pas répondre à tous les besoins ? courir, du moins, au plus pressé ? Nous voyons les orphelinats se fonder, les écoles populaires s'ouvrir, les grands pensionnats se créer, les ouvroirs ou les ateliers s'établir. Crèches, asiles, refuges, maisons de santé ou de convalescence, dispensaires s'adjoignent aux hospices. Des oeuvres extraordinairement fécondes, comme l'oeuvre des retraites spirituelles, s'épanouissent, à peine nées, en fruits merveilleux de salut. La Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve est la première qui joignit ses efforts aux efforts du célèbre Père Huby pour renouveler l'esprit chrétien en Bretagne par la pratique populaire des Exercices de saint Ignace : page glorieuse, la plus glorieuse peut être de son histoire. L'activité, l'endurance, la prudence consommée, le savoir-faire, l'inaltérable patience et le dévouement surhumain de ces saintes filles suffisent à tout, viennent à bout de tout.

Car les difficultés sont grandes et, comme il arrive dans toutes les oeuvres de Dieu, dans celles surtout qui sont vouées à durer et à faire plus de bien, ces difficultés surgissent de partout. Elles viennent des administrations hospitalières qui cherchent à exploiter, inconsciemment peut-être, le dévouement des religieuses. Après avoir passé avec elles des contrats qui ne leur concèdent en échange de leur labeur que la nourriture et le logement, plus une modique somme de cent francs à se partager entre elles toutes pour leurs autres dépenses de l'année, il faut encore qu'on leur dispute comme une richesse cette misère. Des procès s'engagent, des luttes se déroulent, parce que les pauvres Soeurs ont travaillé de leurs mains en leur temps libre ou durant les veilles de la nuit, pour elles-mêmes. Ailleurs les voici aux prises avec la calomnie qui se venge du bien reçu par la morsure de la haine, avec la jalousie qui se croit lésée par le succès ou simplement par les bons offices rendus aux autres et frappera dans l'ombre, traîtreusement. Ou encore ce seront les détenteurs du bien des pauvres qui se retourneront contre celles dont la vue seule est une protestation contre l'injustice. Ce sont, du même coup, les esprits chagrins ou irréfléchis, qui n'approuvent que le bien qu'ils font ou qui ont vite porté leur sommaire jugement sur des apparences dont ils sont les dupes. Tout cela est humain, et toujours l'histoire de la bienfaisance aura pour contrepartie l'histoire de l'ingratitude. Mais jamais non plus ne se démentit le courage de ces braves filles ; jamais ne fléchit, devant la persécution ouverte ou sournoise, leur inébranlable volonté de servir la cause de Dieu ou des pauvres en dépit de toutes les tracasseries et de toutes les injustices ; et il faut reconnaître que le bon droit, grâce à leur sage conduite, s'est déclaré pour elles dans la plupart des cas et qu'elles sont parvenues presque toujours à désarmer leurs ennemis par leur esprit de conciliation et leur douceur. Pour qui connaît les difficultés inhérentes à l'administration d'un grand hôpital, et souvent inextricables, il y a là un singulier témoignage rendu au mérite des Soeurs non moins qu'à l'esprit de l'Institut, et qui serait éclatant si les archives des hôpitaux n'en gardaient jalousement le secret.

Pas plus que la mesquinerie des choses humaines, il n'apparaît que les menaces des évènements aient jamais eu de prise sur ces âmes droites et vaillantes qui n'ont en vue que le bien des pauvres et l'honneur de Dieu. En quoi le reste les toucherait-il ? Viennent les rudes épreuves, les grands cataclysmes, elles n'en poursuivront pas moins ardemment, avec cette belle sérénité que rien n'émeut et qui est pour les autres un si puissant réconfort, leurs oeuvres de miséricordieuse et compatissante charité.

La révolution française s'est acharnée sur elles et sur leurs chers hôpitaux comme sur toutes les congrégations et toutes les œuvres religieuses. Elles ont défendu jusqu'au bout leurs pauvres malades que leur disputait un sectarisme haineux. Dispersées par la force brutale, elles sont revenues au premier jour, bravant tous les risques. Les unes réussissaient à rester comme pauvres dans leurs chères maisons qu'elles ne pouvaient se résigner à abandonner ; d'autres y reprenaient leurs fonctions à titre de « citoyennes » ; il en est qui se donnèrent comme revendeuses et en firent métier ; usant de mille ruses innocentes, mais héroïques à deux pas de l'échafaud, elles arrivaient encore à reparaître, sous un déguisement quelconque, dans les salles des hôpitaux ou à forcer la porte des prisons.

Avant même que la tourmente fût passée, aussitôt connue la chute de Robespierre, elles rentraient comme chez elles partout on s'ouvrait une issue. Les premières religieuses que l'on revit en costume dans les hôpitaux ou dans les rues de Paris, c'étaient les Filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve, et cet acte de courage leur valut les vives félicitations de Pie VI. Cela montre, d'autre part, à quel point, les bonnes religieuses, avenantes et charitables, étaient alors populaires. Mais sans chercher en rien la popularité ni le succès au dehors, elles se remirent silencieusement, de leur zèle le plus résolu, à la tâche pour réparer les désastres de la Terreur, car de toutes leurs belles fondations rien ne restait debout. Comme au temps du Père Ange, tout était à créer, mais avec des moyens moindres et quelles difficultés accrues ! et non plus successivement, mais pour ainsi dire tout à la fois. OEuvre de géant que cette reconstruction universelle. S'il est vrai qu'il n'est pas de miracle que ne puisse accomplir la charité, des mains célestes ont dû mettre en mouvement les pierres ou enfler les bourses vides pour que cet étonnant prodige ait pu, en si peu de temps, s'accomplir.

En 1920, la plupart des maisons et des œuvres fondées au cours du dix-septième et du dix-huitième siècles sont maintenues ; quelques autres ont été créées pour remplacer ce que le temps, dans sa course impitoyable ; emporte avec lui. L'ensemble est une éloquente affirmation de ce que peut la charité chrétienne dans le monde de la souffrance et de la misère, quand elle est servie par l'esprit d'initiative, le souci de la perfection dans le devoir et une habile formation. La Congrégation dessert en 1920 : 

19 hôpitaux civils ou militaires : Brest, Landerneau, Morlaix, Saint-Brieuc, Quintin, Lamballe (Hôpital général et Hôtel-Dieu), Dinan, Saint-Malo, Redon, Châteaubriant, Granville, Avranches, Laigle, Le Havre, Gisors, Noyon, Soissons, Clermont ;

7 hospices : Plougastel, Moncontour, Saint-Servan, Rennes, Bain, Bayeux, Saint-James ;

7 asiles d'incurables : Morlaix, Saint-Servan, Rennes, Bruz, Avranches, Châteaubriant, Laigle ;

2 asiles d'aliénés : Saint-Brieuc, Morlaix ;

20 orphelinats : Paris (Enfant-Jésus), Saint-Germain, Chaville, Noyon, Soissons, Clermont, Le Havre, Bayeux, Saint-James, Granville, Redon, Bain, Rennes (Saint-Louis), Lamballe, Quintin, Saint-Brieuc, Landerneau, Plougastel, Brest, Maubourguet ;

12 établissements d'enfants assistés : Soissons, Clermont, Le Havre, Granville, Avranches, Bayeux, Rennes, Redon, Dinan, Saint-Servan, Saint-Brieuc, Brest ;

2 maisons de refuge : Paris (Bon-Pasteur), Sauvie ;

2 maisons de convalescence : Rome, Issy-les-Moulineaux ;

2 dispensaires privés : Neuilly, Brest ;

2 cliniques médicales ou établissements privés pour le traitement des maladies : Saint-Laurent (Rennes) et Lustin-sur-Meuse (Belgique) ;

3 maisons de retraites spirituelles : Moncontour, Bécherel, Saint-James.

La persécution religieuse a supprimé, en 1902, les pensionnats de Saint-Germain, Draveil, Noyon, Saint-Laurent, Bain, Baguer, Marcillé et de nombreuses écoles. 

Toutes les oeuvres hospitalières sont florissantes. Quand on parcourt un de ces grands hôpitaux civils ou militaires dont quelques-uns renferment jusqu'à douze et quinze cents malades et dont la multiplicité comme la complexité des services est bien autre que sur un grand vaisseau de guerre ou dans les cantonnements d'un de nos régiments, Le Havre, Saint-Brieuc, Dinan, Saint-Malo, comment n'être pas surpris et charmé du bon ordre qui règne partout, de cette propreté luisante, étincelante, qui est dans les maisons religieuses la parure de la pauvreté. On ne se lasse point d'admirer la tenue parfaite des salles, sur le ton mat des boiseries minutieusement lavées le reflet des parquets cirés à outrance, l'éclatante blancheur des rideaux, des literies, la transparence des vitres ouvrant leurs échappées sur le ciel et sur les grands arbres qui semblent promettre la santé, et, pour réjouir les cœurs en même temps que les yeux, la grâce de ces fleurs toujours fraîches qui décorent, à la place d'honneur, le petit autel de Marie, consolatrice des affligés, et s'épanouissent comme une prière et comme une espérance.

Que l'on parcoure tous les divers services, pharmacie, magasins, celliers, vastes cuisines sablées et claires où, sous les rutilantes flambées de l'immense fourneau noir, bouillonnent, dans des scintillements d'or, les vastes jarres de cuivre, partout règne le même ordre dans le même silence de l'activité qui se dépense et n'a pas une minute à perdre ; partout le même sourire gracieux de la pauvreté qui se fait avenante et qui cherche à mettre tout ce qu'elle peut de joie dans les yeux. Les palais des rois, dans tout le luxe de leur opulence, ne sont certes pas tenus avec plus de soin ; et si le bon Père Ange revenait au milieu de ses filles se rendre compte de leur zèle à servir les déshérités du siècle, il se dirait que rien n'a été perdu de ses prescriptions ni de ses recommandations, et que le Christ, en passant lui-même dans ces salles si claires, si nettes, se trouverait vraiment honoré dans ses pauvres et bénirait ces asiles ouverts à tous les maux comme le sanctuaire de sa divine charité.

Car il faut aimer pour servir avec ce dévouement, et non pas d'un amour voulu, commandé, austère et froid, mais avec les suprêmes tendresses ; il faut aimer comme seules les mères savent aimer. Tous ces soins extérieurs ne sont que peu de chose, en effet. L'âme qui se donne est vouée au sacrifices elle s'y complaît. Car c'est la vie même, le sang vermeil de l'amour. Et sa joie profonde, sa joie tressaillante, qui n'a plus rien de ce monde, est de s'offrir en holocauste pour ceux qu'elle aime, d'un élan perpétuel. Voilà ce que demande aux Filles de Saint-Thomas le Dieu qu'elles servent dans ses membres souffrants, et voilà ce qu'elles donnent quand elles répondent de toute la sainteté de leurs engagements à leur angélique vocation.

C'est bien aussi de cette sorte qu'elles y répondirent, d'un élan spontané et soutenu, dès les premiers temps.

Temps héroïques. Tous ces pauvres qu'elles avaient recueillis dès la naissance de leur petite société, il fallait les nourrir et les vêtir : souci plus dur que de les loger. Elles n'avaient pour cela que leurs modiques ressources en face de cette tâche immense. Tout ce qu'elles possédaient des biens du monde, elles l'avaient apporté avec elles en entrant : lingot modique bien vite fondu entre leurs mains. il ne leur convient guère de quêter : elles le font pourtant ; la nuit et dans les loisirs du jour, elles travaillent de leurs mains, tant qu'elles peuvent. L'économie, qui est chez elles une science innée, une grande et précieuse science, fait des merveilles. Elles-mêmes ne vivent que de privations, et c'est là le grand acte de charité qui bien des fois renouvellera, dans leurs pauvres maisons, le miracle de la multiplication des pains.

Il ne faut pas que leurs chers pauvres manquent de rien. Elles sont empressées à les servir, à prévenir leurs désirs, à les gâter un peu au besoin, quand il y a de quoi ; et il est rare que ce léger surplus leur manque. Elles ont pour eux des mots de tendresse qu'ils comprennent toujours, d'infinies délicatesses dont le charme leur est doux. Aux heures des grands périls, elles seront là encore, héroïques, et toutes leurs énergies tendues. Si c'est l'incendie qui éclate et dévore, elles trouveront la force de transporter sur leur dos les pauvres infirmes et de descendre avec leur fardeau les échelles ; elles resteront, s'il le faut, dans les flammes, comme les Mères Lefort, Boisbilly, Dumont, Dupré, dans le grand incendie du Refuge de Brest, en 1782, mais il ne tiendra pas à elles que tous leurs malades ou leurs enfants ne soient sauvés. Si c'est l'épidémie qui se déclare, on ne les verra plus, ni jour ni nuit, prendre un instant de repos. A Dinan, en 1704, elles font des prodiges. A Quimper, en 1725, elles donnent leurs chambres, leurs lits. Toutes les religieuses succombent les unes après les autres, et quand accoururent de nouveaux renforts pour remplacer les mourantes, ce fut pour ensevelir les Soeurs : elles dormaient toutes de leur dernier sommeil. Le nécrologe des hôpitaux du Hâvre, de Brest, de Dinan, de Rennes, de Lamballe, et combien d'autres, retiennent pieusement les noms de ces martyres de la charité. En 1757, on en relève jusqu'à dix-huit en quelques mois ; en 1779, plus de trente-cinq.

De nos jours (début du XXème siècle), cette flamme sacrée ne s'est point refroidie. Jamais la ville de Saint-Brieuc n'oubliera l'héroïsme des Filles de Saint-Thomas restées presque seules dans leur hôpital envahi par la contagion, durant l'hiver de 1917, ni les funérailles imposantes qui furent faites aux trois religieuses. victimes de leur dévouement. Combien d'autres suivirent, du même zèle, non moins magnanimes ! Sous le fracas des bombes qui crevaient les toitures, éclataient dans les couloirs ou dans les salles des blessés, pas une minute ne se démentit le courage, non plus que la charité, dans les hôpitaux de Soissons. de Noyon, de Drélincourt, de Clermont, de Chauny, au plus fort de la guerre. Les croix d'honneur épinglées sur les poitrines ne prétendaient point récompenser simplement le mérite individuel : c'était l'hommage de la France au dévouement de toutes.

Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner si la vénération des foules s'est attachée de si bonne heure, et si profondément, aux chères Sœurs de Saint-Thomas dont la présence était regardée dès l'origine, dans les villes de Bretagne, comme une bénédiction dont on remerciait le ciel. Les difficultés qu'elles rencontraient sur leur route n'échappaient à personne. Mais leur douceur dans l'adversité, mais leurs vertus souriantes dans les pires calamités, mais le bien qu'elles faisaient malgré tout ne gagnaient que plus vivement les sympathies en suscitant l'admiration, et ceux qui les connaissaient bien ne s'étonnaient plus que leur vertu vint à bout de tous les obstacles.

Les villes, après les avoir vues à l'oeuvre, demandaient à refaire leurs contrats pour y ajouter cette clause que les Soeurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve s'obligeraient à rester à leur poste à perpétuité. Il n'est question dans les annales des premiers temps que des obsèques solennelles décrétées par les Conseils de ville ou par le clergé pour rendre à ces saintes filles l'honneur qui leur revient sans doute, mais dont leur sagesse, qui vit toute en Dieu, faisait si peu de cas et dont leur modestie s'inquiétait. Il fallut engager la lutte pour obtenir enfin que les funérailles des religieuses fussent faites avec toute la simplicité qui s'attachait à leur vie et qu'elles voulaient conserver, à plus forte raison, dans la mort. Et n'est-ce pas mieux ainsi ? L'ombre qui enveloppe la bonne action, la rend meilleure ; elle lui infuse un parfum qui s'évapore au grand soleil.

Ce qui les touchait d'autre sorte, c'était l'affection de leurs pauvres, à qui elles tenaient lieu de mères et qui se comportaient envers elles comme des enfants. Maintes fois le Père Ange les avait mises en garde contre l'illusion en leur rappelant que c'est chose très ingrate de servir les pauvres. Mais cela dépend comme on sait les servir. La vraie charité, celle dont parle Saint Paul, qui se fait toute à tous, qui est patiente et douce et bienfaisante, qui n'est point envieuse ni dédaigneuse et ne cherche pas ses intérêts, qui ne se pique et ne s'aigrit de rien, qui ne pense mal de personne et ne se réjouit point de l'injustice, mais se réjouit de la vérité, qui est tolérante, vivifiée par la foi et l'espérance, et qui sait souffrir, cette charité-là s'ouvrira toujours tous les coeurs.

C'est bien aussi cette charité effective, attentive, sans calcul, sans retour sur elle-même, faite de ce qu'il y a de plus profond dans l'humilité et de plus doux dans la bonté, celle qui se met aux pieds des malheureux pour les servir comme ne sont pas servis les heureux du siècle, et qui se glorifie de ce nom étrange, mais combien sublime, de « servante des pauvres », c'est cette même charité que les constitutions proposent aux filles de Saint-Thomas comme la règle de toute leur vie, de toutes leurs actions, et dont l'histoire, autant qu'il lui est donné de pénétrer le secret de ces vies cachées au monde, ne fait qu'enregistrer les bienfaits.

Les pauvres, quelle que soit la rudesse de leurs sentiments ou l'aigreur dont l'infortune empoisonne parfois leur jugement, ne s'y sont jamais trompés. Leurs larmes, leurs lamentations à la mort d'un grand nombre de leurs bienfaitrices, le souvenir vivant et attendri qu'ils en conservaient entre eux jusqu'au terme de leur carrière, les prières qu'ils faisaient chaque jour et les bénédictions dont ils accompagnaient leur mémoire, ne sont-ils pas le plus éloquent comme le plus véridique témoignage de leur reconnaissance ?. Il ne leur est pas donné toujours d'exprimer comme il conviendrait ce qu'ils sentent et leur reconnaissance est souvent un peu fruste. Mais ils ont aussi parfois de ces inspirations du coeur qui étonnent, des attentions spontanées et touchantes, de singulières mais justes réflexions qui en disent long sur le fond de leur pensée et sur la vive impression que leur fait le spectacle de tant de douceur et de tant de bonté. Leurs bonnes Mères, ils les appellent des saintes, et combien de fois n'a–t-on pas eu toutes les peines du monde pour les empêcher, lorsqu'ils priaient ou veillaient près de leur lit funèbre, de couper des morceaux du voile ou de la robe comme autant de reliques dont ils savaient le prix. Ce qu'il est dit de Mère de Quervain, la fondatrice de Landerneau, que les pauvres se jetaient à genoux dès qu'elle entrait dans une salle, pour lui demander sa bénédiction, s'est renouvelé à maintes reprises dans ces siècles de foi, et ce n'est pas sans peine qu'il a été possible d'arrêter ces manifestations d'affection et de respect dont s'alarmait à bon droit l'humilité des religieuses. Elles n'ont pas besoin d'ailleurs de ces témoignages extraordinaires pour se sentir aimées. Il suffit de les voir au milieu de leurs pauvres, comme des anges de paix, pour sentir la puissance du lien qui les unit, vrai lien de famille dont le charme est bien fort, à en juger par la douleur des séparations ou seulement par la docilité d'enfants que mettent malades ou vieillards, non moins que les orphelins, à faire tout ce qui leur est demandé.

Telle est leur récompense, la seule qu'elles ambitionnent ici-bas. Mais, dans ces emplois si rudes à la nature, au milieu de ce lamentable cortège de souffrances et de maux où elles passent toute leur vie en remplissant ce rôle de douce providence qui console et qui guérit, leur coeur surabonde de joie. Elles sont heureuses, et on le voit. Le naturel et l'aisance du monde, elles le gardent sous leur habit religieux. Elles n'ont point perdu leur sourire, qui rayonne jusqu'au fond des âmes et qui rend le courage et la paix. La sérénité de leur visage ne se trouble de rien ; elles ont en elles une force qu'elles sentent infinie, qui les rend capables de tout supporter et de tout entreprendre de ce que le devoir imposé ou de ce que la charité suggère. Au fond de leur âme, une source de joies pures jaillit, que rien n'égale : ce sont les joies célestes du sacrifice de soi que ressentent, dans tous les cloîtres et dans tous les Instituts, les vraies épouses du Christ, mais plus profondément et plus vivement, plus ineffablement, là où le sacrifice est plus complet, où l'on donne plus de soi-même aux autres et à Dieu.

Il est dit que dans les premiers temps, à Lamballe, à Moncontour et ailleurs, les jeunes filles du monde venaient à la dérobée sur le passage des religieuses pour contempler de près ce rayonnement extraordinaire qui transfigurait leur visage, et que cette seule vision d'un bonheur que le monde avec tous ses plaisirs ne donne pas, dont il n'a pas même le soupçon, entraîna sur les pas de ces vaillantes un grand nombre d'autres âmes, riches aussi des plus beaux dons et non moins heureuses à leur tour de se donner au Maître divin en consacrant leur vie au service royal des pauvres. Combien de vocations se sont éveillées de même dans cette gracieuse chapelle de la rue de Sèvres, aux pieds de Notre-Dame-de-Bonne-Délivrance, où il faisait si bon s'agenouiller et où la vue des religieuses en prière suscitait, comme par une grâce d'en-haut, chez les coeurs que la croix ne rebute point mais attire, le désir de les imiter !

Dieu les aide. Dieu qu'elles servent si bien ! Qu'il leur donne cette joie, en récompense de leurs ardents travaux, de guider vers leurs belles et grandes oeuvres, vers les portes accueillantes de leur cité sainte, des âmes, de ces âmes véritablement éprises de sacrifice, désireuses de faire de grandes choses au service du Seigneur, de sauver les hôpitaux menacés, les orphelinats où le personnel ne suffit, plus, de relever, s'il se peut, les pensionnats et les écoles, de conduire à Dieu ceux qui lui sont chers à double titre, les pauvres et les petits, et de travailler ainsi, dans le coeur à coeur avec le Maître, au plus humble, mais au plus fécond des apostolats.

Il se peut que cette vie semble austère, hérissée de ronces, à qui regarde de loin, à qui n'en connaît point les chemins. Qu'on s'approche seulement, qu'on observe, qu'on pense, et l'on ne s'étonnera plus que sur cette voie du sacrifice se rencontre un si pur bonheur et qu'au milieu de tant d'épines puissent fleurir tant de roses.

Un mot l'explique, un seul, et qui résume pour l'historien cette étude ; c'est que la charité du Christ, entrée avec la règle Augustinienne dans les constitutions, s'est diffusée jusque dans l'intime des âmes. « Aimez-vous bien ; aimez les pauvres », recommandait encore à ses filles groupées autour d'elle Mère du Canton mourante, en les adjurant de dilater leur coeur toujours plus, de vivre de la grande vie du dévouement, celle, précisément, qui met en oeuvre au service du Christ toutes les puissances d'aimer. Testament solennel, qui contenait l'abrégé de toutes les règles écrites de sa main, le principe et la fin de l'Institut, et que ses chères filles n'ont eu garde de laisser tomber dans l'oubli.

Or, tout est là. Le plus haut et le plus beau de tous les dons, le meilleur sans contredit, n'est-ce pas le don d'aimer ? Et n'est-ce pas en même temps la science souveraine, celle qui passe de loin toutes les sciences humaines et ne s'enseigne en toute profondeur que dans les cloîtres, celle que le Maître divin est venu révéler au monde et que le monde n'a pas comprise, mais dont le zèle ardent d'Augustin s'est épris et dont il a légué heureusement à ses filles spirituelles le secret sublime dans ces simples règles des hospitalières encore pratiquées aujourd'hui et dignes à la fois de son génie et de sa grande âme ? Ama et fac quod vis. Aimez, et rien ne sera que vous ne puissiez faire. 

Paul Bernard

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