JEAN CONAN, écrivain et tisserand

  Retour page d'accueil      Retour page Saint-Michel      Retour page Ecrivains  

Jean CONAN (1765 – 1834) dont le père se nomme Guillaume Conan et la mère Marie Moalou, est né le 3 septembre 1765 à Sainte-Croix de Guingamp. Il a deux frères, l’un, marin, mort en mer, l’autre, soldat, tué en Italie. Dès l’âge de 12 ans, Jean Conan rentre comme petit domestique à l’abbaye de Beauport, en Kerity-Paimpol. Se proposait-on de faire de lui un moine ou un frère convers ? Il se peut. En tout cas, le peu d’argent qu’il gagne à l’époque en tant que domestique « lequel était court et mince » est utilisé tout entier à des achats de livres « pour se mettre l’esprit à la torture ». Les Pères Prémontés admirent en lui sa fringale de savoir et lui apprennent à lire et à écrire. Ils lui ouvrent complaisamment leur riche bibliothèque et Jean Conan passe des nuits entières à lire : « Ce fut pour moi un bonheur, dit-il, d’entrer dans ce couvent ; j’y demeurai six ans et là j’étudiai. J’avais un goût extrême pour la lecture. Nuit et jour, je lisais des histoires. Je ne prenais ni repos ni divertissement. Dans la bibliothèque était mon seul plaisir. Je lisais l’Ancien et le Nouveau Testament ; en peu de temps, je les sus par cœur, ainsi que l’Apocalypse, les Actes des Apôtres, les Epîtres de Saint Paul et l’Histoire de l’Eglise». Après avoir lu les livres de la Loi , il commence ensuite à lire l’écriture des diables. A la fin, il découvre le livre de l’Alibardon : c’est dans celui-là qu’il puise d’un bout à l’autre sa science.

En 1785, après tirage au sort, Jean Conan est affecté comme tambour dans une compagnie de chasseurs provinciaux casernée à Guingamp : « quand j’étais le plus absorbé dans les Ecritures, m’arriva l’ordre d’aller à Guingamp, tirer au sort pour la milice ». Grâce aux archives du Ministère de la guerre (soldats de l’an II), nous avons une description de Jean Conan (matricule 2158) : « taille 5 pieds 5 lignes ; cheveux et sourcils bruns ; yeux gris ; nez pointu ; menton fourchu et large ; visage ovale et uni ».

Il s’éprend d’une jeune fille qu’il ne peut épouser car les parents de la belle s’y opposent, le jugeant trop gueux et sans avenir. Depuis lors, raconte-t-il, « lorsqu’il passait devant la maison qu’elle habitait, il ôtait tristement son chapeau, comme pour saluer le fantôme de leur amour défunt ». Passant une dernière fois devant la maison de sa bien-aimée, il l’aperçoit sur le pas de la porte et s’éloigne sans dire un mot en la saluant, tandis que la fille s’affaisse évanouie…Ainsi finit son unique idylle. Le chagrin le pousse à s’engager en 1786 pour la pêche à la morue à Terre Neuve. Il embarque à Paimpol sur un bateau de 300 tonneaux nommé « Sauvage ». Il est alors confronté à des situations qui vont le marquer à vie (océan déchaîné, naufrage, froid, faim,..) et qui vont le dégoûter de la navigation. Il s’empresse d’ailleurs de rentrer rapidement en France pour retourner à l’abbaye de Beauport où il se replonge à nouveau dans sa chère bibliothèque.

Le 24 janvier 1789, il épouse, à Sainte-Croix, Marguerite-Jacquette Menguy avec qui il a deux enfants.

Le 24 février 1792, Jean Conan est enrôlé dans l’armée. Il a 27 ans. Il participe à la prise des Tuileries, le 10 août 1792. On lui demandera ensuite de rejoindre le régiment d’Aujou dans l’est de la France. Blessé d’un coup de sabre, il est soigné à Nancy. Remis sur pied, Conan rejoint l’armée dans le Palatinat et prend part au siège de Mayence le 21 octobre 1792. Puis on le retrouve dans le nord de la France (Dunkerque, Lille). Durant la bataille de Wattignies, il est blessé le 16 octobre 1793 d’une balle dans la cuisse puis réformé en 1794 suite à un accident (une maison en effet s’écroule sur la compagnie et blesse Conan « échine froissée et le reste du corps tout massacré ») et renvoyé chez lui.

Marguerite-Jacquette Menguy, son épouse, décède le 25 janvier 1797. Jean Conan, tisserand et âgé de 32 ans, se remarie le 2 vendémiaire an 6 à Guingamp avec Marie Jeanne Le Thomet (fileuse) avec qui il a quatre enfants.

Il se retire ensuite à Trédrez, au hameau de Kernevez (convenant de Kerautret) près de Saint-Michel-en-Grève, en bordure de la voie romaine. Un des voisins de Jean Conan s’appelle Pierre Ollivier (laboureur). Tisserand, Conan circule dans les fermes de Trédrez et Saint-Michel-en-Grève pour travailler à domicile chez les paysans. Le hameau de Kernevez est rattaché à Saint-Michel-en-Grève le 23 juillet 1828 par ordonnance royale. N’ayant que son métier pour vivre et nourrir sa famille, pendant la journée il tisse de la toile et la nuit venue, il s’installe pour écrire « à la lueur de la chandelle ». « Mon père ne dormait pas », disait son fils à Luzel. A le voir écrire de la sorte sans relâche, au lieu de se reposer comme tout le monde, sa journée finie, les voisins le prennent pour un fou : « beaucoup prétendent que je suis fou, mais je ne les crois point ; car c’est Dieu qui, par sa grâce, m’a inspiré de renouveler les vieilles histoires de ses serviteurs. S’il n’y avait des fous de mon espèce, on ne parlerait jamais de ces vieux saints, et moi j’ai toujours été jalousement épris de l’Ecriture, des patriarches, des prophètes, gens savants et sages. Libre à chacun d’agir à sa guise…Tant que Dieu m’accordera vie et santé, je continuerai comme j’ai commencé. J’aurai la consolation, en quittant ce monde, que mon nom me survivra plus de cent ans ! ».

A 75 ans révolus, il s’indigne qu’on ne veuille pas de lui dans la Garde Nationale : « je suis toujours homme, s’écrie-t-il, à coucher par terre plus jeune que moi ! ». Et il se promet d’aller trouver le maire et le recteur pour obtenir d’être enrôlé : « je leur dirai que, si je ne leur parais pas bon à faire un général, ils me donnent du moins le grade de caporal, de capitaine ou de porte-enseigne ; au besoin je me contenterai d’être tambour. Le moment venu pour les autres de partir, si l’on ne m’admet pas dans la Garde nationale, je ferai ma pacotille pour m’en aller aussi…Je lèverai un régiment des plus beaux corps qui soient, faussaires, déplanteurs de croix, larrons et voleurs de filles, blasphémateurs, ivrognes, toute la séquelle des gens exécrables ; je serai leur chef et les paierai bien ; et, pour finir, j’embaucherai comme officiers les vieux gentilshommes et les prêtres ».

A 76 ans, « les cheveux blancs comme le lin et la main tremblante », il écrit encore, en se jurant toutefois qu’il est entrain d’accomplir sa dernière tâche et qu’il « n’emploierait plus ni encre ni papier ». « Mon Dieu ! Mon Dieu ! que ferai-je maintenant ? Comme je vais m’ennuyer quand je ne pourrai plus écrire ! L’âge m’a si affaibli que mes doigts ne m’obéissent plus. J’en ai le cœur navré de regret ».

Il décède le 18 décembre 1834 à sept heures du matin « pauvre toujours, mais sans avoir connu le besoin, Dieu merci ». En mourant Jean Conan lègue à ses enfants, outre son métier à tisser, un bahut plein de manuscrits. L’écriture et les livres furent l’unique passion de sa vie et tout ce qui lui tombait sous les yeux avait été traduit irrésistiblement en vers bretons. Marie-Jeanne Le Thomet, veuve de Jean Conan, décède le 14 avril 1850 à Trédrez.

François-Marie Luzel (collecteur des traditions populaires) intervient trop tard pour sauver l’ensemble des manuscrits de Jean Conan. A Plufur, Luzel apprend, un jour, du sacristain que la débitante de tabac du lieu (il pourrait s’agir de « Marjobig-ar-butun ») s’est longtemps servie pour envelopper sa marchandise, de feuilles arrachées à de vieux manuscrits qu’un paysan lui avait vendus. Etant de passage à Ploumilliau, Luzel rendra visite « aux enfants du père Conan, un brave homme de tisserand. La fille de la maison qui, lors d’un voyage antérieur, lui a procuré une Vie de Sainte Geneviève, lui confesse que, poussée par le besoin, ses frères et elle se sont dépouillés des papiers du bonhomme. Il y en avait tout un sac : ils les ont cédés pour un écu de trois francs. Et à qui ? A la marchande de tabac de Plufur » (Le Théâtre celtique de Anatole Le Braz).

Au dire de Luzel, lui-même, certains autres cahiers qui ont appartenu à Conan, sont parvenus entre les mains d’un certain Jean Thomas de Saint-Michel-en-Grève, qui en fit don à l’imprimeur Le Goffic de Lannion.

Son œuvre

Manuscrits :

Les manuscrits connus sont au nombre de sept. Trois d’entre eux n’ont pas été retrouvés à ce jour. Il s’agit de « Jérusalem délivrée », l’« Ecriture Sainte » et de « Ann Tad Boucher ».

Dans le cas de l’ «Ecriture Sainte », une grande partie de la Bible aurait été traduite en breton par Jean Conan. « An Tad Boucher » est une traduction en breton d’un des livres qu’il avait trouvés à la bibliothèque de l’abbaye de Beauport . « Jérusalem délivrée » est une adaptation en breton d’après l’œuvre du Tasse.

- La « vie de Louis Eunius » (manuscrit de la Bibliothèque Nationale, fonds celtique n° 45, daté du 20 mai 1847/Trédrez).

- « La inosans reconnu a Santes Jenovefa » (manuscrit de la Bibliothèque Nationale, fonds celtique n° 24, daté du 16 décembre 1825/Trédrez). C’est, semble-t-il, d’après l’histoire d’Hirlande et de Geneviève de Brabant, que Jean Conan composa et remania la vie dramatique de Sainte Geneviève.

- « Avanturio ar Citoien Jean Conan a Voengamb » - les aventures du citoyen Jean Conan à Guingamp (manuscrit à la bibliothèque du château de Lesquiffiou en Pleyber-Christ et une copie à la Bibliothèque Municipale de Rennes).

Il s’agit d’une autobiographie en vers bretons, où l’auteur raconte sa jeunesse, son voyage à Terre-Neuve, ses campagnes dans l’armée républicaine : « au nom du Dieu qui m’a créé, au nom de Jésus-Christ qui m’a racheté, au nom du Saint-Esprit, je demande la grâce d’écrire mon histoire de façon que chacun puisse la comprendre facilement ».

- « Ar vue a Sant ar voan » - la vie de Saint Yves (bibliographie versifiée de Saint Yves se trouvant à la bibliothèque du château de Lesquiffiou en Pleyber-Christ, commencée semble-t-il en 1827).

Dessins :

On dénombre 14 dessins répartis entre les manuscrits de « Louis Eunius », « Santes Jenovefa » et « Avanturio ar Citoien Jean Conan a Voengamb ». Jean Conan démontre un goût certain pour le dessin. C’est principalement dans le manuscrit de « Santes Jenovefa » que Conan a montré son talon d’illustrateur. Dans ce manuscrit tout lui est matière à dessins. Il ne recule même pas devant les illustrations hors texte.

 

Ses enfants :

De son mariage avec Marguerite-Jacquette Menguy :

- Jean Marie Conan (1789 – 1792).

- Renée Conan (1791 - ?) qui épouse Milliau Guyomar (domestique laboureur à Ploumilliau) en 1833 à Trédrez.

De son mariage avec Marie Jeanne Le Thomet :

- Pierre Louis Conan (1797 - ?) qui épouse Anne Keraudren (aide ménagère) en 1830 à Trédrez.

- François Conan (1805 – 1874) qui épouse Françoise Goasdoué (filandière) en 1832 à Trédrez.

- Anne Conan (1808 - ?) qui épouse Charles-Marie Toudic (tisserand de Perros Guirec) en 1842 à Trédrez.

- Joseph Conan (1811 – 1812).

 

Remarque : Michela an Alan, a vécu pendant plusieurs années au hameau de Kerautret, en Trédrez, et elle avait bien connu les fils Conan. Elle a fourni certains renseignements à son petit-fils, le linguiste Jules Gros, qui lui aussi nous a laissé des cahiers illustrés de dessins décrivant ses campagnes militaires (imitant en cela Jean Conan).