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LE CHÂTEAU DE KERAZAN et les FAMILLES TRÉANNA - TRÉMARIA

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Le château de Kerazan est situé dans la paroisse de Cleden-Cap-Sizun, canton de Pont-Croix, au diocèse de Quimper, et sert actuellement de maison de ferme ; la partie la plus ancienne dont il ne reste que les murs est ornée d'une porte ogivale du XIVème siècle. La cour rectangulaire qui fait face au bâtiment devait être autrefois cernée d'une épaisse muraille à en juger par le pan de mur encore subsistant et dans la largeur duquel un escalier permet d'accéder à une tour d'angle encore munie de ses mâchicoulis. Non loin se voit un très vaste colombier admirablement conservé. Près du manoir est une chapelle sans grand style, dédiée à saint Sébastien dont la jolie statue en pierre, maintenant dans l'intérieur de la chapelle, en ornait naguère le pignon au-dessous d'un écusson écartelé aux 1er et 4 de trois fleurs de lys, aux 2 et 3 de sept billettes 4-3. Ces dernières armes doivent être celles des Liscoet sr. de Coetnempren en alliance avec les anciennes armes des Saluden de Kerazan, car ces trois mêmes fleurs de lys se devinent, quoique martelées, sur la petite porte du XIVème siècle dont nous avons parlé plus haut.

Au XVIIème siècle, époque à laquelle nous nous occupons de Kerazan, le château fut d'abord occupé par Nicolas Saluden sieur de Trémaria, fils de Jacques Saluden de Kerazan et de Marguerite du Liscoet de Coetnempren. Nicolas, conseiller au Parlement de Bretagne, se maria, le 3 janvier 1646, avec Lucrèce Simon, dame de la Vareine et en seconde noces, le 26 janvier 1651, avec Marguerite Duval, douairière de Kergondar ; veuf une seconde fois, il songeait à épouser en troisièmes noces sa parente Marguerite de Liscoet, lorsqu'avant l'arrivée des dispenses sollicitées en cour de Rome, il fut converti en 1655 par le Père Maunoir ; s'étant retiré à Paris sous la conduite du Père Bagot, il put recevoir les saints Ordres dans l'espace d'un an, si bien que le jour de la saint Jean-Baptiste 1656, jour du grand pardon de Saint-Tugeri-en-Primelin, M. de Trémaria confessait les pèlerins et édifiait par son humilité et sa pauvreté tout ce canton qui avait été autrefois témoin de son luxe et de sa vie mondaine.

La vie de M. de Trémaria a été composée par le R. P. Maunoir et n'a été publiée que par extraits. Le manuscrit original, qui n'est, croyons-nous, qu'une ancienne copie, se trouve en partie aux archives départementales du Finistère, l'autre partie appartenant à la bibliothèque de M. de Kerdanet, à Lesneven ; nous ne reproduirons pas ici ce manuscrit, mais nous donnerons quelques pièces inédites qui pourront servir à compléter cette vie si édifiante lorsqu'on entreprendra de la publier.

Ce sera d'abord son testament rédigé sur son lit de mort à Kerduel, paroisse de Plomeur-Bodou au diocèse de Tréguier où il mourut chez sa fille unique, Corentine de Kerizac, le 24 juin 1674.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit [Note : Archives départementales du Finistère. E. 128]. Testament de Nicollas de Saludem sieur de Trémaria qu'il désire estre exécutté après sa mort par Monsieur et Madame de Kerisac [Note : Corentine, fille de M. de Trémaria et de Lucrèce Simon, naquit en 1647 et épousa en 1665 M. Hingant de Kerisac]. Le tout comme suit :

Premièrement. J'ay Nicolas de Saludem soubzsignant, confesse et déclare vouloir mourir en la profession de la foy Catholique, Apostolique et Romaine, quy est la croyance en laquelle jay toujours vescu, protestant que s'il fallait mourir et donner de mon sang pour signer et confirmer touttes les articles de notre religion, je le donnerais très volontiers ; et par suggession du diable s'il m'arrive de faire ou de pancer quelque chose au contraire, je le désavoue et renonce de tout mon cœur.

2.

Et comme je suis infiniment relicataire à la divine bonté et miséricorde de mon Dieu de ces grâces lesquels je ne puis recognoistre non plus que de satisfaire à sa divine Majesté, pour tant de pensées et de crimes que jay commis en ma vie, j'ose prendre la liberté de suplier humblement mon bon Jésus cruciffié, de remercier son père et de satisfaire pour moy par les merittes de son presieux sang où je constitue toutes mes espérances de sallut.

3.

Je déclare accepter la mort de tout mon cœur, à l'heure, au moment, au lieu et en la manière qu'il plaira à Dieu me l'envoyer ; sacriffiant, immolant et hollocaustant, dès maintenant tout mon estre corporel et espirituel, temporel et esternel à sa très saincte et suradorable volonté, afin qu'il en dispose souverainement selon tous les dessains estemels qu'il a sur moy.

4.

J'accepte de tout mon coeur touttes les douleurs, croyx, tribulations et afflictions que le bon Dieu permettra m'arriver avant ma mort, suppliant humblement Jésus-Christ crucifié par un effait de sa miséricorde infinie de me communiquer une participation de son esprit et de son amour pour les croix et souffrance, affain que revestu de son divin esprit je les aime, je les honore, je les represante et les puis porter avec patiance constante et persévérance jusqu'à la mort.

5.

Je supplie humblement la Très Sainte Vierge mère de Dieu de me vouloir assister de l'honneur de sa saincte protection et des saintes intercessions à l'heure de ma mort et au redoutable jugement ; et de m'obtenir la grasse de recevoir tous les sacrements à ma mort, en bon état.

6.

J'ordonne qu'incontinent après ma mort, l'on emploie 500 l. à faire dire des messes de Requiem, pour le repos de ma pauvre âme et, le plus que faire se pourra, à des autels previlegiez, et 50 l. pour estre distribués aux pauvres le jour de mon enterrement.

7.

Je désire et souhette de tout cœur qu'après ma mort mon âme soit, par les mérites infinis de Jésus-Christ crucifié, ensevelie dans son précieux costé et quant à mon corps, je veux et ordonne qu'il soit porté et enterré dans l'église de Sainte-Anne à Kerenpont, faubourg de Lannion, dans la chapelle que les religieuses hospitalières ont fait nouvellement bastir et laquelle elles ont dédié à l'honneur de Jésus crucifié, et que mon tombeau soit placé au plus bas de la chapelle ou dans la muraille, deffandant expressément qu'il soit fait au jour de mon enterrement, service de huitaine et de jour et an, autres cérémonies, ny autre chose, par delà ce qu'on a acoustumé de faire ordinairement à l'anterrement des plus pauvres.

8.

Je veux et hordonne qu'il soit fait un fond de 30 francs de rente annuelle et perpétuelle qui sera mise en la possession des dames religieuses hospitalières de Lannion, affin que par leur soing, on entretienne une lampe jour et nuit à perpétuité, qui brullera devant l'image de Jésus crucifié en la susdite chapelle dédiée en l'honneur de Jésus-Christ en l'église de Sainte-Anne.

9.

Je les suplie encore de faire dire audit saint Anne et dans la susdite chapelle de Jésus crucifié, trois messes par semaine pour moi : l'une en l'honneur de Jésus crucifié, la seconde en l'honneur de la très sainte Vierge, la troisième en l'honneur de sainte Anne ; et pour rétribution des dites messes, j'ordonne estre payé aux dites dames religieuses, la somme de 60 l. de rente annuelle et perpétuelle, de laquelle et des 30 l. de rente pour l'entretien de la dite lampe, sera passé acte de fondation avec les dites religieuses hospitalières et fournir un bon fond d'éritage pour le paiement par Monsieur et Madame de Kérizac ; et en cas que les dites religieuses manquassent de faire célébrer les dictes messes scavoir : celle en l'honneur de Jésus-Christ crucifié à chaque vendredy, celle de la Vierge un samedi et celle de sainte Anne au mercredy, comme aussi à l'entretien de la dite lampe, il sera à la possession des dits seigneur et dame de Kérizac ou leurs héritiers d'y pourvoir et faire exécuter mon intention par autres voies et par tels prêtres qu'ils adviseront, néanmoins, à ladire chapelle nouvellement construite et retenir la rente que je désigne à la dite fin ; à commencer l'exécution de ce que dessus, dès le jour de l'érection de Jésus-Christ crucifié en ladite chapelle.

10.

Je veux et entends fonder à ladite chapelle un anniversaire d'une messe à chant par jour, pendant un an antier, qui sera respondue desdites religieuses avec nocturnes, ne recorderis et de profundis à l'issue, sur la tombe où je seroi enterré, par le célébrant lequel dira la dite messe en la dite chapelle à l'heure de neuf heures, si faire se peut, à commencer le jour de mon trépas, afin qu'il plaise à Dieu me faire miséricorde ; et pour cet effet sera payé aux dites dames religieuses la somme de 150 l., les priant de me recommander aux prières des bonnes âmes de leur cognoissance.

11.

Je suplie M. de Kerisac et ma fille de vouloir remettre à mes vassaux de Kerazan et de Trémaria, lesquels seront pauvres, ce qu'ils me devroient de présent de ferme, à l'heure de ma mort ; comme aussi de faire distribuer aux pauvres des paroisses de Cléden et de Plogoff quelques bled ou argent afin qu'ils prient bien pour le repos de ma pauvre âme.

12.

Je les suplie aussi d'assister après ma mort Monsieur des Fontaine Gorvillio, comme encore Trobleuf et Marguerite Théphany et surtout cette dernière, dans sa caducité extraordinaire par l'advis du révérend père Mannoir, de M. Hennot, de M. Chevreul et de M. Lacroix-Aumond.

13.

Pareille suplication de faire à Cléden dans deux à trois ans d'icy, d'avoir soing, autant qu'il sera à eux possible, d'avoir de bons prêtres dans la dite paroisse et que l'oraison cordiale et intérieure de recueillement en Jésus-Christ crucifié, y soit enseignée, soit par les prêtres de la paroisse, soit par les prédicateurs de Caresme.

14.

Je supplie M. et Madame de Kerisac de faire faire sur les dites terres, des missions de six ans, ou au plus tard de huit ans en huit ans, d'avoir un grand soin de leurs domestiques et n'en point souffrir chez eux de vicieux, pour quelque raison que ce soit ; d'être fort doux et charitables en leur endroict, comme aussi envers les pauvres membres de Jésus-Christ crucifié, en la personne de tous lesquels ils regarderont par la foi, la personne sacrée de Jésus-Christ ; dans ceste vue les respecteront, traiteront avec eux par douceur et subviendront à leurs nécessités et surtout aux pauvres de leur paroisse et de Servel et aux véritables pauvres, congédiant les autres pour ne pas donner le pain des enfants légitimes aux chiens et entretenir dans l'oisiveté plusieurs personnes, ce qui déplairait à Dieu.

15.

Je déclare estre fondé en procure de défunt M. Duplessy Monbart, exécuteur testamentaire du testament de défunt Mademoiselle Eraut pour y faire payer à M. et Mme Kersauzon du diocèse de Léon et leurs coobligés, ce qu'ils doivent à la dite Erault, pour, les deniers en provenant estre employés aux missions du dit diocèse, par l'ordre et sous l'autorité de Monseigneur l'Evesque de Léon ; et quant à l'exécution de la procure, j'ay déjà touché, tant de la dicte dame de Kersauzon douarière, que de Monsieur son fils dernier mort, la somme de 3,000 tant de livres, dont je leur ay donné quittance, laquelle somme j'ay employée en partie à faire des missions à Landivisiau, Lesneven et à St Paul, après quoy il me reste 2,070 l. 10 s., ce que j'ay mis entre les mains de M. Kerysac et qu'il employera à faire faire des missions au dit diocèse de Léon par l'ordre du dit seigneur Evesque, comme tous les autres deniers qu'il pourrait toucher en l'advenir des seigneurs et dame de Kersauzon ou coobligés.

16.

Je déclare aussy qu'estant à la mission de St-Paul cet automne dernier, Madame de Lanusouarn me mit entre mains 400 liv. pour estre restitués à Pierre, maître tailleur de femme, demeurant à Paris ou à ses héritiers et en cas que je n'eusse su découvrir le dit à Paris, pour estre employés en telle bonne œuvre que bon me semblerait.

Aurait-il, qu'après les exactes perquisitions que l'on a faites du dit Pierre maître tailleur on a sçu qu'il estait mort à Paris depuis les quatre ou cinq ans sans héritiers, étant Franc Comtois, c'est pourquoi j'ai laissé ceste somme de 400 liv. à M. de Kerisac pour estre employée en bonnes œuvres et surtout en quelque mission, comme de Carhaix ou autre part.

Finallement je déclare répéter la nomination que j'ai faite ci-dessus de Monsieur et Madame de Kerisac pour exécuteurs du présent testament, les priant d'abondant, de veiller en l'observance du contenu en iceluy de point en point, selon mes intentions, et révoque tous les testaments que je pourrais avoir fait précédemment comme nuls, sauf à augmenter ou diminuer le présent quand bon me semblera et afin que la chose soit plus authentique, les dits sieurs et dame de Kerisac présents et acceptants signent avec moy et prie de signer aussi avec nous Me Guy Rolland, l'un des notaires royaux de Lannion, dans l'original par devant luy fait et conclu au manoir de Kerduel le deux juin 1674.

Signé : Nicolas de Saludem, Jean-Baptiste Hingant, Corantine de Saludem et Guy Rolland, notaire royal ».

Trois semaines après avoir signé cet acte M. Nicolas Saluden mourait le 24 juin 1674. Son cœur fut déposé dans l'église de Plomeur Bodou (Pleumeur-Bodou) et à cette occasion P. Roche de Lannion réclame à M. de Kerisac 20 liv. 6 s. pour la chasse et le cœur de plomb qui devait renfermer le cœur du saint prêtre, et un certain Jagou demandait 120 liv. pour les tentes fournies « pendant l'octave de feu Monsieur de Trémaria et pour l'enterrement du cœur de ce seigneur ».

Le corps fut transféré selon la volonté du défunt dans la chapelle des hospitalières de Lannion.

Pour arriver à la liquidation de la succession, Madame de Kerisac voulut qu'on procéda à la vente du mobilier quoique ce ne fut pas l'avis de son mari. La vente eut lieu et voici le procès-verbal d'adjudication (Arch. dépt. E. 126) dressé à cette, occasion. On pourra juger avec quelle simplicité était montée la maison du saint missionnaire :

« Vente et èscantement fait par la cour Royalle de Tréguier, siège de Lannion des biens meubles que deffunt messire Nicolas de Saludem vivant sieur de Trémaria avait au manoir de Kerduel à instance de dame Caurentine de Saludem compagne espouse de messire Jean Baptiste Hingant chevalier sieur de Kerisac, authorisée de justice sur le reffus du dit sieur de Kérizac son mary de la vouloir authorizer ; icelle dame fille et héritière soubz et par beneffice d'inventaire dudit deffunt seigneur de Trémaria, à laquelle vente a esté vacqué par le soubz signant commis au greffe de la dite cour en exécution d'ordonnance judicielle du onzième de ce mois sur les lieux du dit manoir de Kerduel, distant de la ville de Lannion d'une lieue, une bannye préalablement faite au prosne de la grande messe ditte et célébrée au jour de dimanche 21 octobre 1674, en l'église parochialle de Plemeur Bodou, par le sieur Recteur d'icelle, et autre bannye faite le dit jour à son de tambour par les carrefours de Lannion par Jean Prat, tambour ordinaire d'icelle.

Et ont estes adjugés et vendus les dits meubles comme ensuit, ayant pour crieur Yvon le Penuon de la paroisse de Plemeur, le jour de dimanche 21e d'octobre 1674 :

Et premier un crucifix de bois avec une figure d'yvoire, un calice d'argent avec plattine, un ornement consistant en chasuble, estolle manicule, voile et deux petites bandes de brocard ainsi que le dit ornement, avec un autre à dentelle adjugé à vénérable et discret missire Pierre Savois, grand vicaire de Léon pour 150 l.

Un tour de brocard d'or pour garnir une niche d'autel ; une frange, de faux or et argent pour parer un autel ; trois petites pièces de dentelle de vray argent pour la dite fin ; une aulne et demy de taffetas gris ; un vieux désabiller jaune de vellours ; seize petites enseignes pour faire des processions ; des taffetas de plusieurs couleurs ; quatre chandelliers de bois dorés ; quatre bouquets et pots dorés avec une trouce d'estoffe de laine ; adjugé au sieur Recteur de Plemeur Bodou pour 20 l.

Un plat d'estain à faire le poil ; un coquemar d'estain ; un bassin d'estain pour lavement o son bourlet ; une trousse de cuir avec trois petits peignes d'yvoire ; un chandellier de bois avec une bite ; deux cartes pour dire la Sainte messe ; trois petites emplastres ; un petit bonetier d'argent de la pesanteur d'environ un escu ; une monstre à boeste d'argent et une salière d'argent non armoyés ; adjugés à M. du Faou Hingaut pour 80 l. et par prefférance à la dite dame de Kérisac.

Petite bibliothèque consistante en 73 livres tant grands que petits, ainsi qu'ils sont rapportés en l'inventaire, avec dix-sept douzaines de cantiques tant français que bretons adjugés à Missire François Guillaume pour 80 l.

Un tableau où il y a un crucifix ; huit images en papier velin ; un petit tableau sur parchemin selon l'oraison du cœur ; trente images en papier ; six images en papier enchâssé, en cadres dorés ; quatre petites pièces de tapisserie de Bergame ; deux surplis ; deux portefeuilles de cuir remplys de papiers, des sermons et une couverture de laine remply aussi de sermons et autres instructions, adjugés au sieur Recteur de Servel pour 30 l.

Un portefeuille de maroquin ; une aulne de ruban noir avec une douzaine et demy de boutons noirs ; une culotte de drap noir et un peu de Laudanum et un peu de soye ; trois cordes de montre ; une douzaine de petits boutons noirs ; six boutons de verre ; quatre bâtons de cire d'Espagne ; deux cordons noirs ; quelques rubans noirs, trois cleffes de montre ; deux boistes de montre avec un petit cercle de fer pour tenir les cleffs ; six ou sept aulne de padou noir ; une escritoire fermant à cleff ; six savonettes avec une boiste ; une autre boiste ; une escritoire avec quatre tuyaux ; un miroer ; une pierre d'ayment avec une petite boiste de cuivre ; un missel français ; une demy livre de bougie ; une trousse de cuir, adjugés à Monsieur Chevreul prestre pour 12 livres.

Un estuy garni de six razouères ; trois paires de ciseaux ; une savonette avec une pierre à affiler razoueres ; un autre estuy avec une fourchette ; une cuiler et un cousteau d'yvoire ; un arbre en peinture sur un peu de bois ; un peu de poudre d'argent dans une boiste ; un estuy d'yvoire ; un cornet d'escritoire ; un cachet d'argent où il y a un nom de Jésus ; deux grottes ; trois bouts blancs d'estain ; deux plaques d'estaim pour mettre sel ; deux bouteilles ; deux chenets de cuivre ; quatre rideaux de taffetas bleu avec leur tour de lit d'ouvrage à gros point et une petite lanterne de fer blanc, adjugés au sieur du Faou pour 24 l. retirés par premesse par la dite dame.

Une valise de cuir ; un grand coffre couvert de cuir noir ; un estuy gamy de compas et autres outils ; neuf mains de papier neuffs et huit de plus petit ; 22 collets et deux douzaines de paires de manchettes ; 18 coeffes de nuit ; 5 paires de bas de toille ; sept paires de caneçons ; six camisolles de bazin ; 29 chemises ; quatre petites calottes et une grande ; un bonet carré et un petit domino adjugé au sieur Recteur de Brelevenez pour 45 livres.

Un chapeau noir ; un manchon ; trois paires de bas ; deux paires de calsons de chamoix et un haut de chausse et un pourpoint ; trois soutenelles et une soutanne ; une robe de chambre et un manteau long ; une vieille soutenelle avec deux oreillers retaillés ; une paire de pantoufle ; une paire de souliers ; trois paires de gans ; cinq bandes d'ouvrage ; neuf mouchoirs de pochette ; cinq paires de chaussons ; un vieux pourpoint ; un grand portefeuille de cuir avec trois images de papier adjugés à M. Crochen prêtre, excepté la bande d'ouvrage, pour 40 l.

Les dites cinq, bandes d'ouvrage adjugées à la dame du faou pour 5 l.

Fait et conclud au dit manoir de Kerduel le 21 octobre 1674.

Signé : Caurentine de Saludem ; Jacques Le Roy, commis ».

Madame Corentine de Kérizac ne survécut pas longtemps à son vénérable père, elle mourut au château de Kerduel le 21 mars 1675, et ses restes furent déposés près de ceux de M. de Trémaria, dans l'église des hospitalières de Lannion ; ne laissant pas d'enfants, l'héritage de M. de Trémaria passa à son cousin, Jean de Treanna, sieur de Lanvilio, dont nous allons désormais nous occuper.

*****

JEAN DE TREANNA. — Né au château de Kerazan, en Cleden-cap-Sizun le 27 juin 1636, Jean de Treanna se maria le 19 mai 1661 à Anne de Coetelez, fille unique de Prigent de Coetelez, sieur de Coetnempren [Note : M. de Coetnempren se maria quatre fois comme nous le dirons plus tard] ; de son mariage avec Françoise Le Moyne, Jean de Treanna eut six enfants :

1° Marie-Josèphe, née le 12 juin 1662, mariée le 15 avril 1681 à Gabriel Olivier de Keroulas.

2° Urbain François, né à Kervern (Dirinon) qui ne survécut pas longtemps ou entra dans les ordres, car c'est son frère Prigent Corentin qui fut l'aîné de la maison.

3° Prigent Corentin, né le 1er décembre 1664, considéré comme fils aîné et marié en 1685 à Marguerite de Keroulas.

4° Chaude Hyacinthe, né le 30 décembre 1665.

5° Anne Guillemette, née le 14 juin 1667.

6° Robert Corentin, né le 12 décembre 1669 ; il mourut en 1684.

La fortune de M. de Tréanna n'était pas considérable et loin de l'augmenter il la vit diminuer de jour en jour, non par ses prodigalités, mais par les procès qu'il eut à soutenir et les dépenses qu'il dut faire pour l'éducation et l'établissement de ses enfants, on pourra en juger par les pièces que nous allons produire, ce sont d'abord celles qui sont relatives au mariage de son fils et qui nous font constater les anxiétés du père voulant allier l'économie aux exigences de son rang.

Le mariage n'eut lieu qu'à la fin de l'année 1686, mais dès l'année précédente et le père et le fils tiennent à être vêtus convenablement, voici un fragment de la correspondance du père et du fils avec leur fournisseur de drap, le sieur Maissonnier, demeurant à Quimper, place Maubert.

Le 2 juin 1685 M. de Lanvilio lui écrit de Rennes : « Je vous prie de me faire rendre de l'étoffe noire du plus beau drap de Hollande ou d'Espagne pour faire un juste à corps. Je veux que ce soit de bonne et fine étoffe, autrement je n'en voudrais point, estant obligé voir icy bonne compagnie. Si vous avez aussy de belle escarlate fine, je vous prierai de donner aussy à mes deux enfants ce qu'il faut pour leur faire chacun son juste à corps avec des boutons d'argent ».

Le 22 octobre 1685, le fils aîné Prigent Corentin fait lui-même ses commandes. « Vous scavez Monsieur, que mon père, la dernière foire de Pontcroix, vous demandoit quelqu'étoffe pour doubler un juste à corps ; de plus je vous prie de me faire rendre quelque belle et forte escarlate pour me faire un juste à corps, le plus tôt que vous pourrez ; vous prendrez aussi, s'il vous plait, la peine d'aller chez M. Le Grand Coc pour me choisir un caudebec fin qui aura un bord doré avec la ceinture d'or, et vous m'obligerez. Prigent Corentin de Treanna.

Vous asseurerez aussi Mademoiselle votre épouse de mes baise mains sans oublier votre illustre famille ».

Le 19 janvier 1686, M. de Lanvilio écrit à M. Maisonnier : « Il faut encore une demy aune d'escarlate et une aune de doublure pour achever les manteaux, ou demeurer imparfaits. Il faut aussy une demy once de fil d'or pour achever les boutonnières de mon just à corps. Si je scavais trouver un gros brun comme la veste de M. le Président de Kimper, je l'aymerais mieux que la panne noire que j'ai apporté de chez vous.

Je vous envoyé un eschantillon de notre galon de livrée pour scavoir si on en sçaura faire de même à Quimper. Je vous prie de donner aussy quelqu'étoffe rouge pour faire une culotte à un autre laquay qui est céans.

Envoyez moi si vous plaist le mémoire des dernières marchandises, et je vous donnerai, Dieu aydant, satisfaction. Le Bon Dieu qui est juste m'a fait la grâce de trouver des papiers qui me mettront non seulement à couvert des persécutions du sieur de Kerampuil, mais les obligeront à me rembourser de six mil livres que j'ay payées en leur acquit, avec les intérêts qu'ils me doivent depuis vingt ans.

Je suis à Mademoiselle votre épouse et à vous...

Au mois d'octobre de cette année 1686, le mariage du fils aîné est arrangé avec Mlle de Kerstrat. Le père fait les dernières commandes et promet de l'argent au fournisseur.

7 octrobre 1686, à M. Maissonier à Quimper.

« Jenvoye sçavoir si vous avez pris soin de nous faire faire des galons de livrée suivant l'eschantillon que je vous ay envoyé, car je voudrais l'avoir des premiers jours ayant consenty que mon fils aîné fiançasse Mademoiselle de Kerstrat fille aînée de M. de Kerstrat. Les noces seront le 25 de l'autre mois et je veux leur petit monde et leur train en bon ordre. Je vous prie de nous adresser un cocher si vous en cognoissez quelqu'un. Mon fils ira à la foire de Carhaix achepter des chevaux à carosse et plusieurs autres affaires et il vous portera aussi de l'argent. Je n'oserois pas le confier à ce pauvre Lazare qui est un innocent.

Nous voulons un grand tapis de bagage de nos livrées et je vous prie de dire à M. Suberville le brodeur, venir des demain à Kerazan avec les housses et chaperons de pistolets de toutes les façons qu'il peut avoir ».

Quelques jours avant la noce M. de Lanvilio est dans les transes, rien n'arrive de Quimper ni pour la cuisine ni pour le salon.

« Je ne crois pas que vous ayez manqué à m'achepter deux ou trois douzaines de perdrix et autant de bécasses avec ce que l'on pourra de canards, pluviers et autres gibiers, ou vous m'exposeriez à très gande confusion. Je n’ai reçu aucune réponse de toutes celles que je vous ai écrites sur ce subjet, ce qui me donne un peu de chagrin, enfin je vous prie de donner, à quatre hommes que j'envoye à Kimper pour les chaises et fauteuils ; je vous avais prié de donner de la serge verte pour garnir les dites-chaises. Je vous, prie de me faire rendre une bougie de demie livre de cire blanche pour la pochete. Si la vaiselle d'argent est rendue de Paris [Note : Vaisselle d'emprunt ou peut être retirée momentanément après avoir été mise en gage] on pourra la donner à ces hommes dans des panniers qu'on prendra à Kimper. Le salon de M. Dumesnil Saulnier n'est aussy rendu. Dites à mon valet à bras de donner trois escus au cocher de Lezurec qui sera logé chez Héno demain soir, c'est à dire vendredy au soir. Il faudra leur faire donner aussy deux veaux tout entiers et le contenu du mémoire adressé à Marie Goular.

C'est dans ces occasions que l'on fait preuve de bons amis, j'espère que vous n'y manquerez pas.

Je suis à Mademoiselle et à vous Monsieur votre très humble serviteur ». De Lanvilio.

Le 2 décembre 1686. La cérémonie a eu lieu, à la satisfaction générale il faut le croire, à l'exception d'un marmiton qui ne se trouve pas assez payé.

« Je vous diray que petit Jean que vous m'aviez envoyé céans pour estre aide de cuisine est allé d'ici fasché de ce que je ne luy donnais un escu par jour ; il dit devant nous, à ce que m'a dit de Laurier, qu'il se serait livré au mesme prix que Bernard le confiseur qui s'est très bien contenté de 30 sols par jour. Le dit petit Jean a desjà reçu deux escus par les mains de ma belle fille et partant il ne lui est deu que 30 sols, car la bourse de mon filz, de ma belle fille et la mienne ne font qu'une. Autrefois les aides de cuisine travailloient plus souvent à 15 sols que 30 sols ».

M. Maissonnier, comme on le voit, était non seulement marchand de drap mais aussi commissionnaire de M. de Treanna ; peut-être qu'ennuyé de faire des avances sans être toujours régulièrement remboursé, il fit des remontrances qui déplurent, toujours est-il qu'à partir de 1690, nous voyons présenter à M. de Treanna des mémoires signés de M. Després, marchand à Quimper, terre au duc, nous allons en donner quelques extraits, mais sans conserver l'ortographe qui est trop fantaisiste.

1690. Une paire de Maniquen, deux raquettes et deux volants 3 l. 6 s.
1691. Deux mains de papier et un canif 6 s.
1692. 20 avril. Deux aunes et demi-quart drap d'Espagne à 15 l. l'aune = 32 l.
3 aunes et demie de ras de crain à 48 s. = 2 l. 8 s.
11 mai. Une once et quart de gance d'or à 10s. l'once = 61.17s. Donné au garçon 3 sous.
Un bâton de cire d'Espaigne 3 s. 6 d.
Une paire de gants blancs 15 s.
22 may. Une paire decrotoir (sic) 2 s. 6 d.
26 juillet. Un couteau, une paire de gants et un peigne 1 l. 12s.
Une aune et quart de mousseline à 4 fr. l'aune — 5 l.
Un chapeau palatin 5 l. et une aune de ruban 6 sols.
5 août. Envoyé par le garçon une livre de poudre à poudrer 14 s. 5 octobre. Un chapeau pour M. Trémaria 5 .l.
Demi-once un gros 1/2 galon d'or à garnir le chapeau à 5 l. l'aune, 3 l. 8 s. 6 d.
5 décembre. Un miroir à Mademoiselle 5 sols.
Un millier d'épingles 10 s.
Six aunes dentelles 5 l.
1693. 13 janvier. Une perruque à poil 45 sols.
Trois aunes 1/2 padous [Note : Padou, ruban de bourre de soie qui se fabriquait à Padoue], à 2 sols l'aune 7 s.
Un mouchoir de soie et un peigne 30 s.
Deux paires de lunettes 5 s.
Un loup 15 s.
1er juin. Une paire de bas bleus 25 s.
Une paire de boucle 4 sols.
Six douzaines moules de boutons à six deniers la douzaine 3s.
Un bâton à M. Trémaria 15 s.
Une paire de lunettes 2 s.
Six échevaux de soie blanc et aurore 6 s.
Un chapeau Codbec 30s.
1694. Une douzaine de guenille pour Mademoiselle 15 s.
Une paire de bas drapés pour Mademoiselle 45 s.
1699. Huit aune revêche [Note : Etoffe de laine, ratine frisée à poil long] bleus à 21 s. l'aune 8 l. 8 s.
1700. Un mouchoir et un chapelet de fruit 1 fr. 3 s.
Un parapluie 2 l. 5 s.
Pour Mademoiselle : trois aunes 1/2 dentelles à 6 liv. l'aune, 21 l.
Cinq amas de gaze blanche à fleur, 45 s. l'aune.
Une bouteille d'eau de la reine de Hongrie 10 s.
Une corde à violon 3 s.
Deux tabatières à 8 sols pièce 16 s.
La jeune demoiselle a pris une bourse au petit métier 15 s.
Un chapeau au laquais de Mademoiselle 2 l.
Deux masques de drap de St-Mdur 1 l. 4 s.
Deux aunes 1/2 estamine du Mans à 55 s. l'aune.
Quatre aunes drap feuille morte à 6 l. l'aune, 24 l.

Ce qui est évident, c'est que M. de Treanna avait bien de la peine à faire foce à ses affaires. La succession de M. de Trémaria et de Mme de Kerisac demeurait grevée de dettes. Dès le décès de cette dernière les créanciers avaient fait mettre la saisie sur Kerazan, et M. de Treanna n'avait pu en prendre possession qu'à titre d'économe pour l'intérêt général des créanciers ; or on voulait lui demander compte de revenus qu'il ne pouvait plus percevoir, c'est ainsi qu'il écrit dans une note de 1692 : « On pourra demander déduction et rabais pour le moulin de Trogaer, qui depuis dix ans est sans meunier pour deux raisons : la première c'est que l'on ne trouve plus de moulage dans ce canton à cause des guerres qui empêchent la navigation des marchands de Rouen ; la seconde c'est que la plupart des meuniers se sont jetés volontairement sur les vaisseaux du Roy pour servir de matelots à cause qu'ils sont bien nourris et bien payés à raison de 14 et 15. l. par mois. S'il est besoin de l'attestation du publieur de Cléden qui a banni plusieurs fois à qui voudrait prendre le dit moulin en ferme à raison de six pippes d'orges par an, comme il a été toujours affermé. Pour la métairie haute-affermée 100 l. par an que René Elias, métayer, a abandonnée depuis les quatre ans et qui est restée depuis ce temps en friche, ne pouvant trouver un seul métayer dans le pays, vu que tous les hommes sont gens de mer comme pilotes, canoniers ou matelots ; en conséquence le comptable (M. de Treanna) demande diminution de 400 l. pour les quatre dernières années et de 100 l. pour le temps à venir par chacun an, tant que la guerre durera et qui empêchera toujours de trouver un métayer ».

Pour une raison analogue en 1689 M. de Treanna disait qu'il ne pouvait faire de lui-même les frais nécessaires pour se rendre à la convocation du ban de la Bretagne si on ne l'autorisait à prendre ce qui conviendrait sur les revenus de ses terres. Voici la supplique qu'il adressa à cette occasion : à Monseigneur le mareschal d'Estrées, premier baron du boulonnais, chevalier des ordres du Roy, vice-admiral de France et vice-roy de l'Amérique, commandant dans la ville de Brest et l'estendue des Eveschés de Léon et Cornouaille :

« Supplie humblement messire Jean, cheff de nom et d'armes de Treanna, chevalier seigneur de Lanvilio et autres lieux, qui vous remonstre que dès le moment de l'assemblée de convocation qu'il plut à Sa Majesté ordonner de la noblesse de Bretagne, il fut eslu premier brigadier de la Compagnie colonelle du régiment de Cornouaille commandée par deffunt Monsieur le Marquis de Nevet et ce à raison tant de sa personne que ses terres nobles dont il jouissait alors.

Mais depuis ayant collocqué en mariage le sieur de Treanna son fils aîné, il luy a donné en advancement une grande partye de ses terres.

Et remarquable que par les suffrages, encore à la dernière assemblée de la noblesse à Quimperlay, il a esté eslu cornette de la mesme compagnie colonuclle et le 29e du mois d'avril dernier, sur l'avis de M. duc J. Coillgny en l'absence de Monsieur de Névet, à présent commandant, il s'est trouvé en la ville de Landernéau le 4e du mois de may dernier où vous aviez souhaité le ban et assemblée de la mesme noblesse de Cornouaille.

Et il s'agit Monseigneur, que décès advenu à dame Corentine de Saluden héritière principale et noble soubs bénéfice d'inventaire de deffunct Messire Nicolas de Saluden son père, le suppliant aussy héritier principal et noble par bénéfice d'inventaire à la dite de Saluden en son vivant dame de Kerisac Hinguant, a reccueilli ces deux successions confuses ensemble, lesquelles sont obérées de debtes fort considérables, d'où il induit qu'il n'est qu'un économe du manoir de Kerazan et autres terres avec leurs annexes qui sont des dépendances des dites successions bénéficiaires et de la sorte il a été obligé de les mettre en bail judiciel le 15 avril 1676 en attendant la vente par le siège présidial de Quimper et il est comptable des biens et levées des dits héritages à tous les créanciers.

Toutefois ces mêmes terres sont également soubz le distroict du commandement de M. de Névet et le suppliant a esté obligé de remplir le service auquel sont sujettes ses terres.

Mais il n'est pas juste Monseigneur qu'il fasse à ses propres frais et particulier bien, aux dépens des levées des dites successions bénéficiaires en concurrance et à proportion leurs mérite et revenus annuels, et aussy par préférance à tous autres créanciers de quelque qualité qu'ils puissent être.

La supplique de contribution n'est pas injuste, car ses propres héritages et patrimoine ayant diminué par les avancements matrimoniaux de son fils aisné, qui est encore au service comme lieutenant de la compagnie du sieur de Kerliver et qu'il faut que le suppliant supporte sa charge et fasse les frais qui y incombent.

Il s'ensuit que les terres de Kerazan et autres doivent ayder et suppléer à ces frais soubs le service et le rang de la mesme personne que représante le sieur de Lanviliau, et on ne peut pas se dispenser de faire tourner à son profit telle somme qu'il vous plaira ordonner par jour à ce respect, depuis le 4e moy dernier pendant que l'ordre continuera, par contribution et préférance à toutes dettes des dits bénéficiaires et au suppliant à en faire article par diminution en tant que besoin dans son compte vers ses créanciers et à régler encore sur le mesme prix ses services des précédentes années, depuis le décès de ladite Saluden dame de Kerisac, jusques au jour 96 de may 1689.

Ce faisant Monseigneur vous continuerez votre zèle pour les intérêts d'un Roy si débonnaire » [(1).

En 1706, M. de Treanna renouvelait une demande semblable « à Monseigneur de Ferrand, chevalier seigneur de Villemilan, conseiller des requestes ordinaires du Roy et commissaire de party pour exécution de ses ordres en Bretagne :
Supplie humblement Jean de Treanna etc. disant qu'en la qualité de lieutenant de la compagnie colonnelle de l'Evêché de Quimper, il a rendu à Sa Majesté le service qu'il doit et qu'il continuera, mais comme son bien se trouve saisy et arresté, il se trouve obligé d'avoir recours à votre Grandeur pour obtenir la provision de 200 fr. deue aux gentilshommes, pourquoy il requiert vous plaise, Monseigneur, voir le certificat de Monsieur de Névet du 26e juin 1706 c'y attaché, et en conséquence adjuger au suppliant la somme de 400 fr. de provision sur ses biens saisis et arrestés, de laquelle somme il sera payé par préférence à tous créanciers, et ferez justice »
.

Suit le certificat du sieur de Névet qui déclare qu'aux revues passées le 14 juin 1706 à Quimper et le 26 du dit mois dans la plaine de Kerlaz, M. de Lanvilio s'y est présenté bien monté et bien équipé.

M. de Tréanna était en 1706 âgé de 69 ans, et il est triste de voir ce vénérable vieillard animé de nobles sentiments réduit à tendre la main même à ses enfants, il écrit le 5 août 1706 à sa belle-fille, Mme de Tréanna de Kerven : « Madame ma très chère fille, vous sçavez qu'il y a bientôt un an que je me suis retiré chez les Révérends Pères Jésuites, je vous ay souvent proposé de vous délaisser mes biens et à ma famille, moyennant une pension convenable pour le reste de mes jours, cependant je ne vois aucune diligence là-dessus, quelque soin que je prenne d'en rire quelque fois dans ma famille, et je ne reçois de personne que des paroles en l'air, comme si l'on voulait par là m'amuser et me laisser sans aucune subsistance, c'est ce qui m'a enfin obligé à présenter requeste à la cour pour appeler tous mes enfants en justice afin de prendre tous ensemble quelque mesure pour moy et pour les créanciers, je n'ai pas voulu passer outre sans vous prévenir là dessus et de vous prier de ne pas trouver mauvais que j'en use ainsi pour le bien commun de ma famille ».

L'année suivante., Mme de Tréanna mariait sa fille Mlle de Keroulas, il était convenable que le grand-père y assistât ; n'ayant pas les ressources suffisantes c'est sa belle-fille qui doit lui en faire les avances. Témoin ce reçu (E. 119) :
Je soubsigné connois avoir receu de Madame de Tréanna la somme de 53 fr. pour aller à la noce de ma petite-fille de Keroulas et prometz lui en tenir compte, ce jour 23e may 1707. Jean de Tréanna.

Une note écrite de sa main en 1708 nous met encore au courant de sa détresse :
« Ecrire à mon fils de Trémaria qui faira voir ma lettre à Madame de Tréanna la marquise de Keronlas, que les pères Jésuites ennuyés de voir que mes enfants ne viennent payer ma pension restée à payer depuis la Saint-Augustin 28 août 1708, il y aura deux ans, se voyant obligés d'en escrire au Révérend père de la Chaise confesseur du Roy pour faire leur plainte au Roy du tort et de l'injustice qu'on leur fait depuis si longtemps qu'ils ont advancé leur argent pour me nourrir et me fournir mon vestiaire, puisque mes enfants m'abandonnent dans l'âge de 72 ans finis le 27 juin 1708 sans valet ni aucun secours, quoique les révérends pères jésuites aient besoin de leur argent, comme je le sçay très bien pour voûter leur église neuve ».

 

M. DE TREANNA, HOMME DE DIEU.

A la mort de sa femme, Anne de Coateles, arrivée en 1676, Jean de Tréanna eut la velléité de se faire prêtre à l'exemple de M. de Trémaria, mais la tutelle de ses enfants et les soins de la succession que lui laissait Mme de Kerisac l'en détourna. Voici la lettre que lui écrivait, le 22 octobre 1682, sa tante Corentine de Saluden, qui vivait retirée chez les Dames Hospitalières de Lannion : « Vous ne m'envoirez plus mes rentes dans l'état où je suis, je ne crois pas pouvoir vivre tout au plus trois mois de temps, je vous prie de Remercier Dieu des grâces qu'il me fait de me faire souffrir le reste de ma vie. Adieu cher nepveu. Corentine de Saluden.

Je crois que ce qui est en cause de votre retardement de suivre les inspirations de Dieu, c'est que vous vous êtes trop attaché au dehors ; défunt mon frère ne fit pas de même, depuis qu'il fust inspiré de Dieu, il ne déclara son dessain qu'au père Mannoir et le suivit de point en point. Les dessains de Dieu ne doivent pas estre trop publics, c'est parceque avez trop publié votre dessain au monde, qui vous perdra si n'y faites une bonne réflection ; les secrets de Dieu doivent être cachés ; je vous assure que je suis marie de ce que vous ne suivez pas la voix de Dieu. Je vois n'obstant toutes ces bonnes inspirations que Dieu vous donne que vous écoutez plutôt la voix du monde que non pas celle de Dieu. Si M. de Kerisac eut fait de mesme, n'y eut été jamais prestre ; prenez bien garde à ce que Dieu vous inspire, il faudra lui en rendre compte, craignez que ce ne soit trop tard et que vous n'en soyez au répanty. Je crains fort que vous voudriez contenter Dieu et le monde, jamais ne le ferez, je crois que voila pour la dernière fois que vous en parlerez, je prie le bon Jésus qu'il vous fasse la grâce d'accomplir sa sainte volonté ».

M. de Tréanna de fait, n'entra pas dans les Ordres, mais il vécut dans le monde comme un saint religieux aspirant toujours à une plus grande perfection. Témoin ces notes écrites de sa main et conservées aux Archives départementales :

« Ce jour de dimanche 20e apvril estant au pied de mon crucifix dans mon cabinet à Kerazan je promis à la Très Sainte Vierge mère de mon Sauveur Jésus de dire toutes les nuits ou le jour 24 Ave Maria pour luy demander sa sainte protection à toutes les 24 heures qui composent les jours et les nuits en tous temps.

Vierge très pure et mère de Dieu obtenez moi la grace de n'y manquer jamais. Je demande la grâce de quitter les embarras du maudit monde pour ne penser uniquement qu'à servir mon Dieu et me disposer à mourir et à paraître devant mon bon Dieu. Expedi spiritum meum ab omnibus impedimentis ut tibi libere serviam, Domine ».

Avant de prendre sa pension chez les Pères Jésuites de Quimper dans les dernières années de sa vie, M. de Lanvilio aimait à s'y retirer pour y passer quelques jours dans la retraite, et les pages de son journal se trouvent souvent remplies des prières et des réflexions qui lui viennent dans ses moments de ferveur :

« Ce 30e juin 1706 prosterné à deux genoux au pied de mon crucifix et devant l'image de la Très Sainte Vierge, sur la table de ma chambre chez les Pères Jésuites de la maison de retraite de Quimper, je promets de fonder une messe en la chapelle de Notre-Dame de Bon-Voyage le 8e de décembre en l'honneur de l'Immaculée conception de la Très Sainte Vierge, si elle me fait la grâce de me protéger contre la dame de Kerampuil, de sortir heureusement de ce procès ». Jean de Tréanna Lanvilio.

Réflexions de retraite :
« Si vous aymés Dieu de tout votre cœur et que vous le regardiez comme un père, soyez asseuré que vous pouvez luy demander hardiment touts vos besoings, il vous donnera même plus que vous ne luy pourrez demander.

Si Dieu voyait que vous eussiez besoing de plus de bien que vous n'avez, il vous en donnerait encore davantage, je le sçay par mon experiance ; quand mes enfants estoient en l'âge de huit ou neuf ans, qu'il falait commencer à faire la dépense de les envoyer à l'école et à Paris pour leurs exercices, Dieu m'envoya deux successions, une de mon costé qui estoient la succession de deffuncte ma femme, que Dieu absolve, par la mort de son frère aine qui la fit héritière de deux terres de Coetnempren, Liscoet et Coetelez.

Ne doibsje pas rendre bien des grâces et des remerciements au Seigneur qui m'envoya si à propos tant de biens pour l'éducation de mes enfants que j'ay élevé de mon mieux dans l'amour et la crainte de Dieu ».

Mais où il montre le mieux le fond de son âme c'est dans les résolutions qu'il prit dans une retraite qu'il fit à Vannes en 1685 et que M. du Cleuziou a retrouvées dans les Archives départementales des Côtes-du-Nord. Nous les publions ici avec son autorisation.

Résolutions prises dans la retraite de Pentecoste à Vannes, le 9 juin 1685 :
De payer toutes mes dettes absolument et chercher tous, les moiens pour ce faire et mesme d'exécuter mon testamment [Note : Ce nombre de phrase en italique a été ajouté et semble être d'une écriture différente].

Je veux aussy demander à mon bon Jésus la grâce de marier au plustôt mon fils ainé affin de me décharger des soins de ceste pauvre vie, pour ne penser plus qu'à faire pénitence et à l'affaire de mon salut qui est mon unique affaire ; aller touts les jours visiter le Très Saint Sacrement à Cleden et le plus souvent que l'on pourra et l'accompagner chez les malades.

D'aller quelque fois dans l'isle Saint avec les prebtres missionnaires pour instruire et catéchiser les pauvres insulaires, que je veux défrayer pour la plus grande gloire de Dieu.

Faire de fréquentz pélerinaiges dans les chapelles voisines de ma demeure pour prier les Saints patrons des dites chapelles qu'il leur plaise prendre dans leur Sainte protection toute ma famille et le soin de toutes mes affaires, affin que le tout se passe pour la plus grande gloire de Dieu.

Faire à touts les serviteurs se confesser souvent, du moins une fois le mois et ne souffrir aucun libertin dans la maison ni jureur, ni yvroigne, ny taché de quelque vice.

Ne manquer à réciter touts les jours l'office de la Sainte Vierge avec mes enfans ou quelqu'un de la maison.

Tachez d'avoir des prebtres du séminaire de Quimper pour la paroisse de Cléden.

Prendre garde à ne point laisser un valet et une servante dans la maison pendant que les autres seront à la grande messe ; il vault mieux faire aller le pauvre Lazare à la messe matinale et faire aller la Troblée et Denise, à l'alternative à la première messe pour ensuilte demeurer à la maison et empescher que Dieu ne soit offensé.

Avoir le soin de faire touts mes enfans et autres de la maison, d'avoir de bons livres et faire tous les jours du matin quelque lecture spirituele.

Faire aux prebtres de Cleden aller à la retraite de Kimper et prier pour cet effet le R. P. Rolland de venir voir pour les engager d'y aller et le prebtre Doaré.

Pacifier les querelles et procès entre les pauvres paisants de campagne et autres.

Faire lire souvent l'explication des cartes [Note : Il s'agit de l'explication des cartes peintes, prises en usage pour les missions et retraites par M. le Nobletz et le P. Maunoir] qui sont dans la sale de Kerazan.

Afficher aux portes des églises de Cléden et Plogoff et Primelen, la défense de s'enyvrer, de la part du Roy des Roys et les bien coler aux portes et en faire donner dans les cabarets.

Il ne fault jamais se servir de servantes que de vieilles, à cause du grand péril qu'il y a pour la jeunesse avec les jeunes filles.

Il faut dire au père de Jeanne C... qu'il peut marier sa fille sans avoir égard à l'engagement de son année de service.

J'ay promis de faire dire trois messes à l'honneur de la Très Sainte Vierge pour luy recommander le procès que me faict Monsieur de Lionaits. Il faut les faire dire sur l'autel du Rozaire de Cléden et sur l'autel de Nostre-Dame de Pitié, aussy de Cléden.

Escrire à. M. Jauriguy avoir la bonté de dire trois messes pour moy sur l'autel de Notre-Dame de la Victoire à Saint-Corentin et à M. Guidal, trois autres messes.

Faire escrire au pied de la Sainte Vierge qui est dans mon cabinet « Notre-Dame de Victoire ».

Il fault prendre les filles débauchées pour les envoyer à Morlaix et si les paroissiens voulaient contribuer à l'escu par mois, qu'il faut donner, il ne reviendroit pas à chacun trois sols, ou bien faire une petite queste dans la paroisse.

Il faut faire prendre la fille du D. si elle retourne, qui est allée suivre ce misérable pervers on ne sçait où. Ils méritent punition, car ce pervers a quitté sa femme pour s'abandonner à ceste fille dont il a déjà eu deux ou trois enfants.

La fille de C... qui cause tant de scandale dans la paroisse à cause de M... il faut aussy l'enlever et l'envoyer à Morlaix ou Brest et tascher d'avoir, par le moien de M. Gouzerch prêtre, l'attestation des principaux de la paroisse de la vie scandaleuse de ceste fille. Les hardes de ceste fille jettée un jour de dimanche du presbitaire par les paroissiens font une assez forte preuve de sa mauvaise vie.

Demander la grâce à Dieu par toutes les prières de n'avoir jamais de procès. Je doibs sçavoir par ma propre expériance combien ils causent d'ennuis et de chagrins, outre qu'on risque à perdre son âme.

Il faut avoir un autel privilégié pour les âmes du Purgatoire à Cléden, et s'adresser à M. Cailier (Grand vicaire de Cornouaille) qui l'aura de Rome pour une pistole, ce me semble ; M. le Recteur et les prêtres en doivent estre bien aise, car cela leur fera trouver des messes pour touts les lundis et autres jours si on peut.

Le lundi de Pentecoste onziesme... 1685 estant en retraite chez les Rev. Pères Jésuites à Vannes, après avoir receu la Sainte Communion et m'étant retiré de la Sainte Table pour faire mon action de grâce !...

Je veux recommander cette affaire au divin Jésus par plusieurs messes, communions, pèlerinages et ausmônes pour demander les lumières du Saint Esprit et la grâce de les suivre sans aucun raisonnement.

Aller souvent en pèlerinage à Notre-Dame de Lanourec, y faire dire la messe et à la chapelle de Saint-Yves du Petit-Loch sans y manquer et ne fault pas que la trop grande attache des affaires temporelles nous empeschent de nous advancer dans la voix du salut. Je veux lire le grand pédagogue sur les pèlerinages ».

En marge de cette pièce on lit : « en 1686 j'ai fait faire une mission à Cléden à la Saint-Jean.

A la Pentecoste 1687, j'ai fait une retraite aux Jésuites à (Quimper) où j'ay confirmé mes précédents bons propos ».

M. de Tréanna avait goûté de si douces consolations dans les retraites spirituelles qu'il avait si fréquemment suivies, qu'il aurait voulu y attirer le plus grand nombre d'âmes possible, c'est probablement dans ce dessein qu'il composa un résumé des grâces reçues par diverses personnes dans les retraites, particulièrement dans la maison consacrée à cette œuvre à la résidence des Jésuites de Quimper, ce manuscrit qu'il avait probablement l'intention de publier est conservé aux Archives départementales du Finistère et commence par un éloge complet de M. de Névet, qui est rédigé dans la forme ordinaire employée pour parvenir à la béatification d'un saint personnage :

« Monsieur le Marquis de Névet, Lieutenant du Roy et colonel de l'arrière-ban en Basse Bretagne a fait deux retraites dans lesquelles il reçut tant de grâces de Dieu que sa ferveur le porta à les écrire de son propre sang comme on l'a découvert après sa mort. Aussy on le voyait pleurer des deux heures entières et jamais on n'entrait dans sa chambre qu'on ne le trouvait agenouillé ou prosterné contre terre. C'était probablement dans ces heureux moments que la vue sensible du sauveur du monde opérait ces effets admirables dont il parle lui-même dans le mémoire qu'il en fit, car la première fois sous la figure d'un enfant infiniment beau et aimable il le détacha si absolument de l'amour de ses enfants, qu'il regardait auparavant comme le plus grand obstacle de son salut, qu'il n'y pouvait plus penser qu'avec peine ; la seconde fois lui présentant sa croix il lui inspira un si généreux mépris du monde qu'il ne soupirait plus qu'après sa mort qui arriva le dix-huitième jour après, comme Dieu lui avait fait connaître dans sa retraite [Note : Il mourut à Locronan le 13 avril 1676].

Madame sa femme, issue de l'illustre maison de Matignon, âgée de vingt et un à vingt-deux ans, d'une complexion si délicate, fut tellement touchée par le récit que le Père de la retraite, qui avait aidé son mari à mourir, lui dît qu'elle lui demandait tous les instruments de mortification dont son cher mari s'était servi pour sa conversion, en voulant user comme de choses consacrées par son sang, surtout après qu'elle eut fait l'expériance par l'application du billet écrit de son sang, dans cette rencontre : son second fils était sur le point de mourir elle n'osait lui faire appliquer des remèdes à cause de la faiblesse de son enfance et de sa maladie inconnue ; il lui vient en penser de lui appliquer sur son petit visage cet écrit du sang de son mari disant à Dieu : « Seigneur, si l'âme du père est en votre présence, faites le ressentir à notre cher enfant par l'application du sang de son père mon époux ». Et sur-le-champ son enfant se trouva toujours mieux jusques à sa parfaite santé. C'est ce que cette marquise attesta au Père même en venant prendre congé de lui pour se retirer en un couvent ».

JÉSUS-MARIE-JOSEPH.

Remarques sur la vie et sur la mort de M. le Marquis de Névet.

« Il décéda le 13 avril 1676, en son château de Lezargan ; il nomma M. de Lanvilio pour exécuter son testament. La vertu qui éclata le plus dans sa vie fut l'équité, celle qui le couronna à la mort fut un entier attachement à la personne de Jésus.

Pendant ses humanités où il était encore comme un enfant, il faisait paraître un jugement aussi mur et un esprit aussi sérieux qu'un homme qui aurait vieilli dans les affaires.

Un respect admirable pour Madame sa mère veuve, jusqu'à la mort.

Pour son amour pour Jésus. Combien l'a-t-on vu se jetter par terre pour lui demander pardon, que de larmes il versait dans les retraites, il en était si outré de douleur, qu'une fois on craignait que sa poitrine n'en fut gâtée. L'ayant entendu pendant des heures entières pousser des soupirs qui fendaient le cœur à ceux qui étaient présents, il lui était impossible de les empêcher parce que son sauveur qui le voulait purifier les lui causait. Et puis l'ayant purifié il s'échauffait de son amour sur quoi l'on rapporte même deux choses admirables.

Il communia trois fois en la retraite qu'il avait prévu estre la dernière.

En la première communion il donna une pièce d'argent à deux pauvres aux quels il devait laver les pieds comme à Jésus-Christ. Ceste libéralité porta son sauveur à le reconnaître, lui apparaissant en sa deuxième communion comme un enfant tout plein de lumière, il chercha depuis quelqu'image ou peinture qui put y avoir du rapport, mais il n'en put trouver. Ce fut en ce moment que tout son amour vers ses chers enfants passa en son Sauveur considéré dans ceste enfance, il se résolut de ne les vouloir plus voir et lorsqu'on lui présenta son aîné qui lui tendait les bras sur son lit il lui dit : « Retire-toi d'ici, tout mon amour est pour mon cher Jésus » [Note : Cette scène ne s'est pas passée à la retraite, mais sur son lit de mort à Lezargan].

Pour son détachement des créatures : La troisième communion qu'il fit en sa retraite le lundi de Pâques, ce mesme Jésus lui présenta une croix et à mesme instant lui fit renoncer à tout le monde pour s'attacher à lui seul, qu'il a laissé écrit de sa main et signé de son sang qu'il renonçait à toute ambition, à ses biens à... à... à... en un mot l'induction qu'il fait exactement serait trop longue, pour s'attacher entièrement à Jésus qu'il traite d'époux... Je n'ose changer les termes quoique nous les admirerions mesme dans une sainte religieuse... mais aussi il ajoute qu'il jouira de son Jésus toujours et partout, dans sa campagne, dans ses bois, dans sa chambre et partout pensant en lui.

La première parole qu'il dit à son confesseur à l'heure de la mort, d'un visage riant : Hé bien, mon père ! me voilà tel que j'étais en votre retraite, je ne sache ma conscience coupable de rien qui m'aliène mon doux Jésus, je lui garde ma parole de mourir avant que de l'offenser mortellement ; je n'ai point besoin de mettre en pratique mon bon propos de me confesser sous les vingt-quatre heures après avoir crucifié mon sauveur par un péché mortel, car je ne sache point en avoir commis et que je meure plutôt présentement. C'est un terme qu'il a écrit et proféré si souvent qu'il semble que c'était ce qu'il avait le plus à cœur.

Pour sa dévotion envers la Sainte Vierge : il l'appelle sa bonne mère, il désire avoir témoignage comme il a esté de sa congrégation, il lui demande la mort présentement plutôt de crucifier le cher enfant de ses entrailles, c'était ses termes. Il a sa chapelle domestique dédiée à cette bonne mère de laquelle il attend et de son cher fils il supplie le secours nécessaire dans les affaires où il ne peut avoir de conseil de personne.

Sa dévotion vers les Saints Anges : 1° il se met de leur sainte association establie dans nostre église à Quimper ; 2° Il prend saint Gabriel pour le protecteur de sa maison, dans un ravissement qu'il eut pendant ses derniers exercices, où il se sent incontinent quitte de toute ceste tendresse extraordinaire qu'il avait eue jusqu'à ce moment pour Messieurs ses enfants, pour s'attacher uniquement à l'enfance de Jésus.

Sa dévotion vers les Sants Patrons : Les litanies des anges — outre plusieurs oraisons à la sainte Vierge il récite l'office de l'Immaculée Conception — des prières pour les défunts, s'acquitte de toutes ses confréries et tout cela inviolablement. Saint René dont il portait le nom, saint Joseph, saint Eloy, saint Hyacinthe, sainte Anne, saint Joachim ; il leur faisait sa prière, récitait leurs litanies, antiennes et oraisons particulières.

Pour sa religion, il a fondé une collégiale en son château de Beaubois, mais il en méditait une plus nombreuse au mesme lieu [Note : Au diocèse de St-Brieuc]. Outre ce qu'il y a de fondations à Locornan (Locronan), il avait résolu d'y estabfir une collégiale entretenue de bonnes rentes redoublées, il ne veut de messes que par de bons prêtres, il l'écrit et le dit.

Grand discernement pour le sang de Jésus-Christ : il l'écrit partout dans ses papiers de dévotion, dans son testament, il le recommande à son pasteur. Pour le choix de vocation, il vint faire une retraite au, collège, il en fit une chez les Révérends Pères Capucins de quelque peu de jours qu'il put soustraire à la multitude de ses affaires, il fait encore une retraite qui devait être la dernière où il reçoit des grâces miraculeuses.

La pureté de son âme et de son corps : Pour sa chasteté, il avait une telle aversion du vice contraire que ni geste, ni œillade, ni parole, etc. ne lui échappaient ; son grand sérieux y contribuait. Rien n'approchait de sa maison qui put non seulement causer un soupçon raisonnable, non pas pour lui, mais mesme pour la jeunesse qui le servait, car il faisait passer la pureté de son esprit et de son corps dans le corps et l'esprit de ceux qui l'approchaient.

Il traitait son corps rigoureusement quoiqu'il fut faible et sujet à de grandes infirmités. On lui trouva encore après sa mort une rude discipline dans sa cassette ; il faisoit mesme telle profusion de son sang, que son confesseur rapporte qu'il avait vu des pages entières écrites de son sang pour sceller, dit-il, la foi en son Jésus. C'était de ceste manière généreuse qu'il marquait ses bons propos et surtout celui-ci : plutôt mourir sur-le-champ que de l'offenser jamais mortellement. Quelques gentilshommes ont remarqué qu'il prenait la plus mauvaise viande de sa table.

Pour ses domestiques : Il les fait faire les prières du soir en commun, il a soin de les faire se confesser et communier, il avertit ceux qui sont capables de la retraite d'y aller ; ils avouent qu'ils ont perdu leur père. En sa mort, ses manoeuvres, auxquels il fait gaigner de l'argent pour la subsistance de leur pauvre famille, ses vassaux, etc., tous se jettent par terre auprès de son lit après sa mort. Si son testament n'est pas plus grand, c'est parce qu'il en a déjà exécuté la meilleure partie pendant sa vie, c'est qu'il veut, avant que de mourir, on aille prendre de sa Cassette de quoi l'exécuter.

Pour ses subjets : il servait de père, son dessain est de les rendre les plus aisés du pays, couvrant ceste charité paternelle du prétexte qu'un seigneur n'est jamais mieux payé de ses vassaux que lorsqu'il les a mis dans la facilité de le payer de terme à terme. Lorsqu'il ne pouvait avoir le payement, qu'en les incommodant, il leur demandait du travail au lieu d'argent.

Pour ses officiers : Il les eut voulu comme luy, c'est-à-dire remarquables par ceste équité qui luy estoit naturelle. Si tôt qu'il avait entendu quelqu'exaction, il y remédiait le plus tôt qu'il pouvait, il avait une certaine personne de confiance establie pour lui faire sçavoir toutes les plaintes que l'on pouvait faire de luy, luy attribuant les faultes de ses officiers ou de ses domestiques vers ses subjets, comme il arrive que le seigneur porte l'iniquité des siens, et tout ce que ceste personne luy rapportait sur ce subjet, après avoir trouvé le rapport véritable, il dédommageait l'intéressé, il avait arresté place pour ces Messieurs en retraite et y en avait fait aller quelques-uns à son exemple.

Pour ses parties : Une personne fort élevée en dignité dans le pays luy fait contester par ses officiers quelques droits qu'il jugeoit incontestables, il en fait juge le propre frère de sa partie, il le va voir... etc.

Il estoit si modéré à parler des personnes qu'il sçavait ne luy vouloir point de bien, qu'il en parlait mesme sans passion, en louant les bonnes qualités, en excusant le mieux qu'il pouvoit les entreprises qu'ils faisoient à son préjudice. Si ce n'étoit que les exemples choqueraient quelques-uns qui vivent encore aujourd'hui, il seroit facile d'en porter plusieurs.

Pendant Varrière-ban : Sa vigilance, son équité, sa sévérité à punir les exactions, il se montre vrai père de la patrie.

Pour son soin à secourir les révoltés [Note : Révolte du papier timbré en 1675] : l'inquiétude d'esprit qu'il a eu, le secours unique du ciel dans son Lezargant, la dépense qu'il lui fallut faire. Son danger à Douarnenez.

Pour entretenir l'amitié parmi les nobles, il court jour et nuit n'a de repos qu'il n'ait apaisé les troubles ».

Ici se termine la notice consacrée à M. de Névet par M. de Tréanna, que nous aurions voulu voir entrer dans plus de détails pour ce qui touche les dangers courus par M. de Névet à Lezargant et à Douarnenez pendant la révolte des paysans, mais tout ce que rapporte l'auteur tend à nous confirmer dans l'identification que nous avons déjà faite de ce René de Névet avec le Névet dont M. de la Villemarqué a publié l'élégie dans son Barz ar breiz, préférant cette identification à celles proposées soit, par M. de Carné, soit par M. Trévédy dans la Revue de l'Ouest.

PROJETS DE M. DE LANVILLIO.

Nous avons trouvé dans les notes de M. de Lanvilio, les traces de trois projets ou de trois œuvres à entreprendre et dont une seule fut menée à bien, la fondation de Notre Dame de Bon Voyage en Plogoff ; nous en parlerons tout à l'heure. Quant aux deux autres elles répondaient toutes deux aux nécessités et soucis qu'avait éprouvés M. de Tréanna lui-même. C'est ainsi que voyant les embarras dans lesquels se trouvaient les gentilshommes de la province de pourvoir à la bonne éducation des cadets de famille, les grands sacrifices d'argent étant réservés pour l'établissement des aînés, il eut la pensée d'arriver à la fondation d'un collège doté par le Roi pour obtenir ce résultat. Voici comment il expose son projet :

« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsy soit-il. Le 10ème jour de septembre deuxième dimanche du dit mois 1690, à cinq heures du matin, étant à genoux au pied de mon crucifix pour y faire mon oraison, je fus inspiré de chercher les moyens de remédier à la pauvreté et misère de tant de pauvres cadets de noblesse qui rampent honteusement dans la province de Bretagne sans aucune éducation.

M. de Keriolet, d'heureuse mémoire, avait eu le même dessein et avait dressé quelques mémoires pour y parvenir, qui sont demeurez entre les mains du Révérend Père Toussaint de Saint-Luc, religieux carme de l'observance de Rennes ; il les garde pour les donner au public lorsque ses supérieurs le luy ordonneront et que les dispositions se fairont paraistre de mettre en pratique les belles lumières de M. de Queriolet touchant à ce subject.

Si on remontrait, à nostre bon Roy les grands biens qui sont attachés à l'ordre des chevaliers de Sant-Lazare et de nostre Dame du Mont-Carmel, il accorderait peut-être une partie de ce revenu pour faire de nouveaux collèges et séminaires de gentilshommes, où l'on pourrait les bien instruire et leur apprendre le moien de bien vivre dans les conditions qu'ils choisiront.

Il y a dans la Bretagne tant de riches abbayes et tant de prieurez dont le Roy pourroit annexer une partie de revenu pour remédier à la misère des pauvres cadets de noblesse de ceste province, qui seront capables de luy rendre service et sur mer et sur terre, sçavoir plusieurs d'iceux qui prendront le parti des armes et Dieu sera beaucoup glorifié et donnera sa bénédiction à toutes les entreprises de notre grand monarque ; plusieurs autres choisiroient l'estât ecclésiastique ou la voye de la Religion.

Je veux recommander cette entreprise aux bons anges et très particulièrement à l'ange tutélaire de la Bretagne et pour cet effest je veux faire dire la messe touts les premiers mardis du mois pendant l'année présante 1690 à l'honneur des saints anges, par dom Henry Goudedran, prêtre de Cléden.

Il faut sçavoir qui est à présant le grand-maistre de l'ordre de Malte et du Mont-Carmel ; il sera peut-être à propos de luy communiquer le dessain et, s'il l'approuve, il sera le premier à en parler au Roy.

A Douarnenez, on pourroit faire bâtir une maison pour ce but ; on y peut vivre à bon compte ».

L'idée de cette fondation était venue à M. de Tréanna lorsqu'après l'établissement de son fils aîné, il se vit dans la gêne pour l'éducation de ses autres enfants.

C'est ainsi que lorsqu'il fût à bout de ressources, obligé de se retirer chez les frères jésuites de Quimper, où ses enfants le laissaient sans ressources, il eût la pensée de fonder une maison de retraite où de pieux laïcs pourraient passer quelque tems, ou y terminer leurs jours dans la tranquilité et la pratique plus exacte de leurs devoirs religieux. Voici comme il établissait par avance l'organisation de cette sorte de communauté :

JÉSUS, MARIE, JOSEPH,
« Le jour de la feste de la Toussaint, sur les trois ou quatre heures du matin, le dimanche 1er novembre 1705, je fus inspiré de tâcher de moyenner une maison à Quimper ou à Brest, pour y recevoir toutes les personnes de qualitez et bourgeois qui voudraint se retirer hors, le grand embarras du monde, où il est très difficile de se sauver, et les personnes qui y viendront, n'y resteront que le temps qui leur plaira, en payant leur pension tant pour eux que pour leurs valetz s'ils souhaitent en avoir.

Il faudra ce semble une permission du Roy pour l'établissement d'une telle maison qui sera comme une forme de communauté, soubz le titre de Nostre-Dame-de-Charitè et celuy qui sera le supérieur de la maison, soit prestre ou laïc faira un vœu solennel de rendre service aux personnes qui voudront venir dans ceste maison.

On faira une règle pour la maison pour le lever, le coucher, les heures du repas et les petits exercices chrétiens que l'on y exercera tous les jours pour la plus grande gloire, de Dieu.

Dieu soit béni et glorifié. Amen.

Consulter à M. Boquin et autres docteurs de Sorbonne s'il est à propos de faire un voeu pour le dessain du service de touts ceux qui voudront se retirer du grand embaras du monde dans une maison de solitude, pour mieux penser à l'affaire qui est unique affaire. Unum porro necessarium.

Ceste maison estant establie en chacun évesché de Bretagne et par toute la chrestienté, serait une occasion pour retirer plusieurs personnes du torrent du maudit monde, dans le temps qu'il plaist à Dieu leur verser les grâces abondantes de ce retirer de ce maudit embaras, et faute de trouver ce saint lieu d'azile, ne pouvant pas espérer de se mettre dans une communauté religieuse ; les personnes qui ont esté du grand monde et dans le commerce du monde ne peuvent pas s'y accommoder, comme dans la maison, que je prie mon doux Jésus de vouloir establir dans toute la France et partout ailleurs pour la plus grande gloire et pour le salut des âmes qu'il a bien voulu rachepter en versant jusques à la dernière goutte de son sang précieux. Amen.

Ceste maison de charité sera le vray refuge et azile de toutes les personnes de qualité et autres qui seront inspirées de Dieu, pour s'y retirer sans autre raigle de religion que de se retirer de l'embaras du monde.

On dira tous les jours l'office de la sainte-vierge, vespres et complies à l'heure qui sera marquée.

Il sera libre aux gentishommes et autres personnes de venir assister à l'office ou de rester dans leur appartement.

JÉSUS, MARIE, JOSEPH.

M. l'abbé Bocquin, qui est au Collège des Quatre-Nations et quelques autres docteurs, me pourront servir de conseiller dans ceste entreprise que je recommande à Nostre-Dame de Bon-Voyage, en la paroisse de Plogoff.

M. de Chauvigiry, qui a fait avoir les brevets de garde-marine aux trois enfants de M. du Menez Rospièc, est auprès du ministre et a grand pouvoir.

Si le bon Dieu voulait inspirer quelque docteur de Sorbonne de s'engager dans cet employ de charité, dans cette maison de Brest ou de Quimper, après que le Roy y aura donné un fond de rente pour y faire subsister quatre ou cinq personnes qui voudront bien s'engager, par voeu ou promesse, à ladite maison de charité ; le Roy prenant ce fond de revenu sur quelque Abaye, ou donner quelque prieuré on autres revenus sur autres bénéfices.

On ne demande au Roy qu'un fond pour la seule maison de Brest, uniquement pour l'entretien de six personnes, prêtres ou laïcs ;. car, si on multiplie ces maisons de charité en quelqu'autre ville, on trouvera quelque personne charitable qui donnera un fond certain pour entretien de deux personnes de qualitez ou autres qui voudront s'y retirer et suivre la mesme raigle que l'on gardera dans la maison de Brest, les autres devant y payer leur pension.

M. Touchart, très saint prestre et plain de zèle pour la gloire de Dieu, est très propre pour une maison à recevoir charitablement les personnes qui voudraient s'y retirer, c'est le frère de Mme Kerdrapé et oncle de Mme Albin, de Brest.

M. de Kerbasquen-Le Mavic, très digne prestre, a sa maison, son bois et domaine près Kimper.

Tascher de convertir des gentishommes libertins, adonnés à leurs plaisirs et les faire venir passer quinze jours dans la maison de charité et de miséricorde, leur faisant voir que la figure de ce monde passe et qu'ils courrent à leur fin, qui est la mort, plus proche qu'ils ne pensent, pour paraistre devant le Dieu tout puissant.

Faudra prendre ces gentishommes et les prier de venir, passer quelques jours, sans leur rien demander, pour tascher obtenir leur conversion et changement de vie... M. de Keridiern.

On s'obligera à réciter toutz les jours le petit office de N.-D. et le chapelet de cinq dizaines à l'heure qui sera raiglée.

Le lever sera à cinq heures du matin et le coucher à neuf heures.

On faira vigile touts les mercredis à l'honneur de N.-D. pour obtenir une bonne mort et mettre touts ceux de la maison soubz sa fidèle garde et protection.

La promesse qu'on faira à Dieu, créateur du ciel et de la terre, sera d'exercer ses charitables soins au service de toutz ceux qui voudront entrer dans ceste maison pour mieux vaquer à son salut, chacun payant sa pension suivant son bien et commodité. Dieu veuille y donner sa bénédiction.

Voir et consulter par les docteurs s'il est à propos de faire approuver la raigle par le Saint Père le Pape, affin qu'elle soit mieux establie et plus en droit d'estre multipliée pour le salut de plusieurs âmes de très grands seigneurs qui vivent sur la terre dans l'oubli de leur salut par le trop d'aize.

Faire sonner la cloche un demy quart d'heure avant le repas, comme les pères Jésuites, pour se recueillir et faire quelque réflexion avant d'aller à table. Ceste pratique est très utile pour mieux asseurer le salut de son âme et se devrait observer dans toutes les familles et maisons.

Veiller très exactement sur la conduite de toutz ceux de la maison pour empescher beaucoup d'accident, surtout que Dieu y soit bien servi et le prochain par esprit de charité ».

Tel est ce projet de M. de Tréanna qui aurait gagné à être présenté avec un peu plus d'ordre, mais nous en avons respecté la disposition pour montrer comment l'auteur le complétait en ajoutant au jour le jour les idées qui lui étaient inspirées pour le meilleur succès de son œuvre.

Nous allons maintenant parler de la seule œuvre qu'il ait réussi à établir et qui lui a survécu, la fondation de N-.D. de Bon-Voyage, en Plogoff.

Elle est racontée par M. de Treanna lui-même dans une pièce ayant pour titre : Vœu de la bâtisse de N.-D. de Bon-Voyage et un Cantique breton :

« Un gentilhomme de la basse Cornouaille, se voyant en péril de mourir, étant tombé dans l'étang d'un moulin, se voua à la Sainte-Vierge et lui promit par serment qu'il ferait bâtir une chapelle à son honneur, si elle voulait bien le délivrer du danger où il était de périr. Dans ce temps-là le gentilhomme ne fit pas réflexion sous quel titre édifier ladite chapelle ; mais quelque mois après le danger, se souvenant toujours de son vœu, il fut inspiré de la faire bâtir sous le titre de N.-D. de Bon-Voyage et de Bon-Port ». Suit le cantique breton composé de huit couplets de quatre vers chacun. Voici comme spécimen, l'un des couplets :
E parres Plougon eo ema, - Eo batisset ar chapel ma - D'an Itron-Varia veach vat ; - Deom de guelet, a galon vat.

La construction fut commencée à la fin de l'année 1698 « sur la montagne de Kerven, près le grand océan, en Plogoff ». Ce ne fut d'abord qu'une toute petite chapelle, terminée en 1699, dans laquelle on disait provisoirement la messe, mais qui était destinée à servir de sacristie lorsque la grande chapelle serait terminée. Cette dernière fut exécutée « sur les dessins de M. Favennec, de Pleyben, maître-masson et architecte ». On commençait à en poser la charpente le 24 août 1702. En 1703 la chapelle était terminée. Dans une note non datée, mais qui doit remonter à cette époque, M. de Tréanna s’exprime ainsi :

« On fera bâtir une maison où M. l'Ingénieur de Brest le jugera plus à propos, pour servir d'hôtellerie à recevoir les pèlerins qui viendront visiter la chapelle de N.-D. de Bon-Voyage, que mon fils affermera peut-être 100 liv. de rente, si la chapelle devient beaucoup hantée et visitée, comme le Bon Dieu me l'a fait espérer, avant dix ans ».

Quelques années plus tard, M. de Treanna veut parfaire son œuvre par la construction d'un mur d'enceinte. « Ce jeudi 15 juillet 1706, écrit-il, prosterné à deux genoux devant mon crucifix et l'image de la Sainte-Vierge sur la table de ma chambre de retraite, voisine de la chapelle de la ladite retraite (à Quimper, chez les Pères Jésuites), j'ai recommandé à Dieu et à sa très Sainte-Mère N.-D. de Bon-Voyage le procès que j'ai avec M. du Parc, le voyer, pour me faire payer la somme de 15 à 16,000 liv., que sa mère, Françoise de Penmarc'h, m'est condamnée à payer par sentence rendue à Châteaulin ; j'ai promis de payer 30 liv. à N.-D. de Bon-Voyage pour faire une muraille autour de la chapelle pour y faire un cimetière... ce que je promets de tout mon cœur si le Tout-Puissant Jésus me veut bien accorder la grâce de me faire payer de cette somme. Je lui demande cette somme par l'entremise de N.-D. de Bon-Voyage, en Plogoff. Jean-Baptiste TREANNA ».

Le pieux fondateur ne pouvait avec ses propres ressources faire face à toutes les dépenses nécessaires à l'établissement de la nouvelle chapelle ; aussi s'ingénia-t-il pour intéresser à son œuvre les habitants du Cap, et la rendre ainsi l'œuvre de tous. Il demande et obtient de Monseigneur l'Evêque de faire quêter dans trente paroisses pour la chapelle. Puis il ajoute :

« Demander à Monseigneur d'ordonner aux quatre paroisses voisines : Cléden, Goulien, Primelin et Esquibien, de venir en procession (à la chapelle) le jour du pardon, qui est le second dimanche de juillet ».

« Demander à Monseigneur la permission de faire venir les processions de Cléden, Goulien, Primelin et Esquibien, à N-D. de Bon-Voyage tous les mardys de la Pentecoste. Il faudra s'informer si les susdites paroisses ont coutume d'aller ailleurs dans les fêtes de Pentecoste ».

« Prier M. de Plogoff de dire la grand'messe à N.-D. le mardy de la Pentecoste et le plus souvent qu'il pourra ».

« Demander la permission à l'Evêque de faire pêcher les poissonniers de Plogoff, Audierne, Penmarc'h et l'île des Saints quelques jours de fête, pour la chapelle ».

« Faire mettre la lampe au plus tôt devant l'image de la Sainte-Vierge et recommander aux poissonniers de Plogoff, Cléden et Audierne, qui fourniront quelque huile de poisson pour l'entretien de ladite lampe allumée jour et nuit devant la Bonne Vierge, auront sa protection sur terre et sur mer et un heureux succès dans tout leur commerce et leurs affaires ».

M. de Tréanna rapporte comment son appel fut entendu tout particulièrement à Douarnenez : « Mlle Porz an bescond, de Douarnenez, venue avec Mlle Hallegoët, à Kerazan, pour aller visiter N.-D. de Bon-Voyage, m'a donné un très bon avis pour la quête d'huile de sardines pendant la pêche, fin d'août ou septembre ; elle a promis d'aller elle-même, avec une autre, faire la quête chez les bourgeois et chez tous les poissonniers de Douarnenez, Tréboul et Poullan, pour remettre le tout dans une barrique ou deux, qu'on logera, chez M. Avril ou chez M. Bonnemez, à Douarnenez. La barrique vaut de 20 à 25 escus. Mlle Porz an bescond a promis de ramasser tous les ans, pendant la pêche, sa petite aumône d'huile de sardines, pour la mettre dans une barrique. On ramassera quelques sardines fraîches à l'arrivée des bateaux que l'on pourra saler dans, une barrique pour être vendues au profit de la chapelle ».

Pendant la construction de la chapelle, il se fait quêteur lui-même. Le bois manque pour la charpente et il note sur son cahier de dépense : « je veux aller demander quelques arbres à Saint-Alouarn pour la gloire de Dieu et de sa Sainte-Mère ». Mais il faut des ouvriers pour travailler le bois, et voici que les charpentiers du Cap viennent s'offrir pour exécuter le travail gratuitement. Car nous lisons sur le manuscrit : « la nuit du mercredi de la passion, 12 avril 1702, je fus inspiré de demander à tous les charpentiers du Cap de venir, les uns, après les autres, travailler à la chapelle, et deux-mêmes sans les avoir avertis, ils sont venus la plupart me proposer de donner quelques jours à la bonne Vierge ».

Il fait quêter également dans les endroits où les hommes se réunissaient pour jouer et se récréer « il faudra donner, écrit-il, des boëtes de terre à nos bons amis Garic et Ouvran, fidèles serviteurs de la Sainte-Vierge, pour y ramasser quelques aumônes de leurs amis, soit sur le jeu, soit en tout autre occasion, pour terminer le clocher ».

M. de Tréanna n'oublie pas qu'une chapelle dévote ne saurait exister sans une fontaine. Un article de son livre journal porte pour titre :
« Fontaines à N.-D. de Bon-Voyage. On en fera une au village de Tararour, sur le chemin de la chapelle à Audierne. On y fera élever une muraille sur le chemin où l'on posera une image de la Sainte-Vierge portant son fils entre ses bras. On y posera un tronc pour recevoir les aumônes des passants.

On en fera une autre à Kerven-Izela, sur le chemin de ce village à Audierne.

La troisième se fera à Kerven-Huella, où est la plus belle source  ».

Le pieux fondateur ne pouvait omettre d'obtenir des faveurs spirituelles pour cette chapelle, dont la construction avait excité un mouvement si général de piété dans tout le Cap :

« Prier le Grand-Vicaire pour avoir des indulgences de Rome pour toutes les fêtes de Vierge ». Plus loin il ajoute : « S'adresser au Père Estin, jésuite, pour obtenir de Rome des indulgences pour ceux qui visiteront, en état de grâce, la chapelle, tous les jours d'avent et de carême, toutes les fêtes de Vierge et d'apôtres et le second dimanche de juillet, qui est le jour de la dédicace de la chapelle ».

« Miracles arrivés par la dévotion à N.-D. en sa chapelle de Bon-Voyage », tel est le titre d'une pièce dont nous allons citer quelques extraits qui nous démontreront au moins combien la dévotion à la Sainte-Vierge sous ce vocable de N.-D. de Bon-Voyage, devint promptement populaire dans tout le pays.

« Louise Lapéré, femme de Nouel Porsmoguer de l'Isle-de-Saint, malade d'un flux de sang pendant deux ans et s'estant recommandée à N.-D. de Bon-Voyage, fut guérie incontinent et est venue à pied d'Audierne où son mari l'avait rendue par son batteau pour remercier N.-D., et se porte bien.

Simon Lançon, du Dreff, en Plogoff, estant allé sur le rocher de Kervinec un jour et y pêcher de beaux poissons avec trois ou quatre, en un moment la mer se rendit si grosse qu'elle couvrait le rocher de ses flots et ceux qui y étoient se virent obligés de se recommander à N.-D. de Bon-Voyage et la mer se sauva d'abord, et ils furent sauvés.

M. Bauguyon (prêtre, directeur de l'hôpital de Châteaulin), m'a dit à son retour du Cap, quand il a été prêcher au premier dimanche de l'Avent 1705, à Plogoff, avoir appris de Jean Guillou, un miracle fait par la Sainte-Vierge au sujet d'un maître de barque et de ses matelots sauvés du naufrage et d'un péril évident de périr, sans la protection particulière de N.-D. de Bon-Voyage, à laquelle ils se sont tous recommandés dans leur péril de mort. Il faut demander à voir le tableau rendu à la chapelle, de la manière que la Sainte-Vierge a apparu à tous ceux de la barque, pendant la tempête qui arriva environ minuit dans un temps fort obscur. Il faut avoir une déclaration authentique du maître de barque et matelots devant des prêtres et autres personnes dignes de foi ».

Cette chapelle, vendue au moment de la Révolution, fut rachetée par les paroissiens et est encore, de nos jours un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés, particulièrement par les marins du Cap.

DERNIÈRES VOLONTÉS DE M. DE TREANNA.

Nous trouvons dans les notes de M. de Tréanna quelques déclarations ou projets de dispositions à prendre mais qui ne revêtent pas le caractère d'un testament légal, ils ne sont pas même datés, mais ils révèlent, mieux que l'acte authentique, que nous donnerons plus bas, les sentiments intimes du testateur :

« Je déclare avoir donné à mon fils de Trémaria et à ma fille de Lanvilio, qui n'ont jamais joui du bien qui leur compete de ma part et du bien de leur mère Anne de Coetelez, et pour recompense des voyages que mon fils de Trémaria a fait à Paris pour moy en des procès qui m'obligeaient d'y aller, et à Rennes où il a fait pareillement plusieurs voyages, qu'il pourra justifier par les reçus, je luy ai donné ma vaiselle d'argent pour une partie de recompense que je luy doibs, selon mon Dieu et à ma fille de Lanvilio un tiers de la valeur de ladite vaiselle d'argent et meubles que j'ay donné à mon filz de Trémaria, pour recompenser ma très chère fille Anne Guillemette de Trémaria qui n'a jamais fait la moindre plainte vers son père ».
(Tout cet article est barré sur la minute).

« Je prie mon filz de Trémaria d'exécuter mon testament et prie toutz mes enfants de contribuer à l'exécution d'iceluy, soubz peine du jugement de Dieu, où ils comparaîtront tous chacun à son tour.

Ils ont joui de mon bien et m'ont laissé souffrir sur la terre, je leur pardonne, mais qu'ils se souviennent de leur père après sa mort, pour ne me donner lieu de me plaindre de mes enfants devant Dieu qui ne manquera de les punir s'ils y manquent, ils doibvent bien penser à ce dernier article, ou ils courront risque de se repentir, peut estre quant il ne serait plus temps.

Si le bon Dieu me donne aucun bien avant ma mort, je le prie de tout mon cœur, par sa sainte miséricorde, qu'il me fasse la graçe d'exécuter mon testament moy mesme, depuis le premier article jusques au dernier et ne laisser l'embarras à mes héritiers de payer mon testament ».

Ce dernier article est également barré depuis la parenthèse.

Dans un autre fragment nous lisons :

« Je promets aussy un annuel miz à la chapelle de Nostre-Dame de Bon-Voyage, où mon corps sera enterré et après l'annuel fini, sera fait un service toutz les premiers samedis du mois avec messe à chant et après la messe on chantera un Recorderis et Deprofundis, Pour l'annuel on payera 15 liv, par an sur le lieu de Pommelec de Kerven, en Plogoff.

Aux très Révérends pères Cordeliers de Quimper je promets 15 liv. une fois payé, espérant qu'ils prieront Dieu pour le repos de mon âme.

Je promets aussy 50 liv. à la soeur de Jean Madec valet à bras, à Kerazan et mort dans la maison après y avoir servi huit à neuf ans.

Je reconnais aussi debvoir à Vincent Montfort valet à bras, à Kerazan depuis trente ans, la somme de 30 liv.

Aux héritiers de M. Moissonniere, marchand de drap à Kimper, la somme de 30 liv.

Aux héritiers de Guillaume Cariou, marchand de Daoulas, la somme de 30 liv. ».

Suit le dernier acte testamentaire, en bonne et due forme, de M. de Tréanna, il est daté du 4 juillet 1711, et passé à Kérazan où il mourut, peu après, le 28 septembre de la même année.

« Nous, nottaires royaux de la sénéchaussée de Quimper et Apostoliques, en Cornouaille, certifions et rapportons que ce jour, 4e juillet 1711, nous nous sommes exprès transportez au manoir de Kérazan, en la paroisse de Cléden, Cap Sizun, Evesché de Quimper, mandez l'avons estez de la part de Messire Jan de Tréanna, Seigneur de Lanvilio, Kérazan et autres lieux, où estant, le dit Seigneur de Lanvilio nous a déclaré que craignant d'estre surpris de mort subite et estant à présent plein de son bon sens, il désire faire raporter le codicille à ses précédants testaments et ordonnances de dernière volonté, sur la fin de la mission faite en la paroisse de Cléden Cap Sizun, A quoy, nous dits nottaires procédants sur ces réquisitions, le Seigneur de Lanvilio nous a déclaré que depuis le 27 may 1711 il est de retour de Quimper où il a demeuré dans la maison des pères Jésuites ; depuis lequel temps le sieur de Trémaria, son filz, lui a fourny les pensions et entretiens comme aussy à son valet, desquels pensions et entretiens il luy est redevable à raison de 600 l. par an, c'est pourquoy je charge le Seigneur de Tréanna, son petit-fils, et la dame de Tréanna, sa brue, d'y satisfaire et de consentir au payement des pensions et entretiens à estre pareillement pris et payés au sieur de Trémaria dessus le plus clair biens du sieur de Lanvilio depuis ledit jour 27e may 17.. jusques à son décez, en cas que, soubz ce temps, le sieur testateur n'aye la faculté de faire lui-même l'acquit. Enfin, à l'événement, le sieur de Lanvilio déclare et reconnaît que tous les meubles, vessailles dargeants et autres effets et ustensilles, chevaux et bétails qui sont à présent au manoir de Kérazan appartiennent audit sieur de Trémaria, son filz puisné, partye d'iceux ayant estés passez à compte par ledit sieur de Lanvilio audit sieur de Trémaria et autre partie a esté acquis par ledit sieur de Trémaria de ses propres deniers, ainsi que ledit sieur de Lanvilio le reconnaît, tout ce que dessus le sieur de Lanvilio veut, entand et ordonne estre exécutté de point en point et charge son hérittier principal et noble d'effectuer le tout sans contrevenir, pour quelque cause et prétexte que ce soit, avant que de venir à partage et disposition de ses biens et, pour cet effect, il engage, oblige et hypothèque spécialement le plus clair de ses biens et charge le sieur de Trémaria, son filz puisné, de faire dire cent messes, pour le repos de son âme, incontinent après son décez, de tout quoy, nous nottaires, avons raporté acte audit manoir de Kérazan. Signé à l'original, Jean de Tréanna, de Lanvilio. TOULLEC ET CHRISTIEN, Nottaires ».

Telles sont les pièces que nous avons choisies, au milieu de plusieurs autres, dans le volumineux dossier des Archives départementales, concernant les sieurs de Trémaria et de Tréanna, elles nous ont semblé pouvoir servir de base à une étude plus approfondie de ces deux hommes de Dieu, et permettront de mieux juger de l'état d'esprit et des mœurs de ces gentilshommes bretons du XVIIème siècle qui savaient si bien allier les exercices de la piété chrétienne avec les devoirs et les charges du rang qu'ils occupaient dans la société.

Abbé PEYRON.

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