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L'École à Carhaix, avant la Révolution

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Le 18 janvier 1604, Messire Alain Pottiner célébrant la messe en l'église collégiale de Saint-Trémeur, M. Yves Ely, procureur-syndic, expose au prône que « la ville doit rembourser quelques emprunts, pourvoir aux frais du procès qu'elle suit à Kerhaès et à Rennes ; enfin subvenir pour la somme de 30 écus faisant 30 livres tournois à l'entretenement d'un maître d'école pour l'instruction de la jeunesse ». Donc, la ville doit ouvrir un crédit pour les gages du maître d'école ; or, ce crédit repose sur la bonne volonté de la communauté — ce qui est beaucoup ; — mais les ressources présentes de la ville sont précaires, presque nulles, nulles, — et c'est peu. Il faut aviser.

Le Syndic propose qu' « au lieu de recourir à l'emprunt », on vende ou engage une partie des devoirs du Papegaut et joyaux qui seront abattus au mois de mai prochain au plus offrant et pour jouir de cette moitié comme ferait l'abatteur lui-même. La proposition est agréée. Quinze jours après, l'adjudication est ouverte, mais sans aboutir, et se trouve remise au dimanche suivant. Ce jour, Guillaume Morin est mis en possession de l'adjudication de la moitié des droits du Papegaut pour la somma de 246 livres, mise à prix qui n'avait pas été acceptée dans la première séance, et qu'il maintint dans la seconde, restant le plus fort et dernier enchérisseur. Or, Guillaume Morin, homme d'affaires expérimenté, en affermant la moitié pour 246 livres, comptait assurément en tirer avantage ; ce qui permet de conclure que les émoluments du Roi du Papegaut étaient supérieurs à 500 livres.

La veine était trouvée et allait être exploitée, comme nous le verrons par le document que nous produirons tout à l'heure. La communauté, le 16 avril 1606, acculée aux mêmes difficultés d'impécuniosité, recourt au même expédient que deux ans auparavant ; il n'y a plus d'engagement des droits du Papegaut par adjudication, mais il est bien entendu, — pour cette année là seulement, — sans tirer à conséquence, que le Roi se verra retenir sur ses émoluments la somme de 75 livres pour le compte du maître d'école.

Or, M. le président Trévédy, l'exactitude même, nous apprend [Note : Cf. « Les anciens jeux militaires en Basse-Bretagne » : Le Papegaut en Basse Bretagne, Mémoire de M. Trévédy, Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, année 1889] que, par édit de 1605, Henri IV réunit au domaine royal les Papegauts de Bretagne, droits évalués à 10.000 livres, et que deux ans plus tard il comprit ces droits dans la dotation du collège de la Flèche, qu'il fondait en 1607, par édit du mois de mai.

Cet acte du 16 avril 1606, bien authentique, en discordance avec la mention de l'Edit de 1605, tout aussi authentique sans doute, nous laisse fort perplexe. Si le Papegaut était aboli, comment la communauté de Carhaix pouvait-elle faire fond sur le Papegaut, qui ne fut rétabli qu'en 1609 ?

Voici le texte de cette délibération [Note : Documents extraits des Archives du Finistère ; série E, Villes : Fonds de Carhaix - Ecoles] :

Du 16 Apuril 1606.

Le Saeziesme jour d'apuril lan mil six centz six au prosne de la grande messe dominicale dicte et celebrée en l'église collégialle de Monsieur Saint-Trémeur en ceste ville de Carhaix par vénérable personne Messire Pierre Margaret, prieur de ceste église ou estoint présantz et assistantz Mre Guillaume Pierrefort, Yves Ely, Yves Quéré, Guillaume Morin, Guillaume Jézéquel, Gilles Hervé, Jan Le Roux, Renné Olymant, Laurans Le Goff, Guillaume Le Coz, Nicollas, Poulizac, Jan Jégou, Jan Marion, etc      …. (suivent encore cinquante noms) … et Mre Tanguy Corbier en chacun habitantz deladicte ville de Kerhaès et plusieurs autres faisant la plus saine et maire voix d'iceux habitantz congrégés et assemblés aud. prosne tant pour ouyr le divin office que disposer de leurs affaires politicques en forme de corps politicque et général de lad. ville.

A esté de la part de Michel Bihan ce présent procureur Sindicq desd. habitantz dict et remontré que l'année de M. Françoys Laurans à présant maistre descolle de lad. ville est bientost expiré et quils ayent à s'adviser sy ils désirent qu'il soict de rechef pryé d'y demeurer pour l'advenir et ce faisants quils ayent à nommer quelques ungs d'entreux pour le prier et conférer avec luy de demeurer en l'année prochainne pour continuer la mesme charge et function enlad. ville de M. descolle pour l'instruction et condition des enfants dicelle ville … et en cas que ledict Laurans ne voudroit y demeurer de s'encquérir de trouver ung autre Maistre descolle pour faire la mesme fonction et charge, et passer de ce, de regarder le moïen de faire du fond pour le sallaire et entretenement dudict Maistre descolle, disant ledict Bihan n'avoir deniers comptants pour y satisfaire... et dont ils pourroint les assurer pour ce subject.

Sur quoy lesd. habittantz s'estants conférés ensemble en forme de corps politicque … —, après qu'ils ont déclaré rien n'estre plus expédiant ni plus agréable en leur dicte ville que la doctrine et instruction de la jeunesse dicelle, ont d'un commun advis et assantiment sans contradiction de personne baillé et par la présente donnent charge à leur dict procureur de GARNIR ladicte ville de son Maistre descolle ou pédagongue (sic) pour l'instruction et condition des enfantz dicelle pour l'année prochaine, soict ledict Laurans ou ung autre tel qu'il advisera leurdict procureur et advis d'un bon nombre et des plus aparantz de leur dicte ville estre bon et suffisant pour avoir lad. et parce qu'ils sont bien à ung. Le général delad. ville n'a deniers communs pour payer le sallaire et entretenement dud. pédagogue et ne scachant ou trouver plus prompts deniers que deniers que dessus partyes des debvoirs du popegot …

D'un commun advis et consantement et sans contradiction ont par les présantes consanti que ceux quy abatteront les troys papegots deladicte ville du prochain moys de may poyront entre les mains de leur dict procureur dessus le debvoir qu'ils acquèreront par l'abattement dud. papegot la somme de soixante-quinze livres monnoye pour le sallaire dudict maistre descolle. … Sans touttefoys tirer ledict consantement autrement à conséquance mais seullement pour la présante année en attendant trouver quelque autre moien pour faire fond. (Suivent les signatures des deux Notaires).

 

— En 1608, — le Maître d'école s'appelait Louis Rocheffort. Pour être payé de son dû, il eut à recourir à la Cour de Carhaix et invoquer le contrat bilatéral qui le liait, pour bail d'école, à la Communauté. Lui, il avait rempli les conditions de l'acte ; à l'autre partie de garder ses engagements et de les exécuter. Mais l'autre partie, étant une collectivité, s'étant engagée in solidum, et l'un répondant pour l'autre, il lui restait à appeler le Syndic, personne morale représentant la Communauté, et à assigner, en frappant dans le tas, trois ou quatre notables. Nous ne possédons pas les pièces de procédure que dut susciter cette affaire, que nous mentionnons pour mémoire, à part la requête suivante que nous avons sous les yeux.

Du 16 d'Octobre 1608.

MESSIEURS LES JUGES DE LA COUR DE KERAHES,

Supplie humblement M. Louys Rocheffort ayant tenu et exercé l'escolle et discipline aux lettres aux jeunnes enfantz de ceste ville durant le temps de troys moys à la recquestre des bourgeoys et habittantz dud. Kerahès qui luy auroint promis payer la somme de vingt et deux livres dix sols tournoys par quartier, lesquels estants sommés de ce recquis par le suppliant au prosne de la grande messe présent M. Laurans Le Goff, procureur syndic, auroint déclaré n'avoir entre les mains pour payer ladicte somme.

Qu'il vous plaise de permettre d'apeller devant vous les habittantz en la personne de leur procureur pour voir leur demander cette promesse ….  et de s'en prendre à deux ou troys desdicts habitantz..... Sauf à eux leur recours contre général d'iceux.

 

— En 1609, — le titulaire de l'Ecole de Carhaix se trouvait être M. Augustin Cœur, de Plévin. Nous donnons le contrat avec les conditions qui y sont stipulées en détail.

15 de May 1609.

Ce jour cinquiesme de may 1609, avant midy, sont comparus en leurs personnes par devant nous nottaires royaulx et tabellions héré dictaires en la Cour de Kerhaès Maistre Laurent Le Goff, en son nom de procureur sindicq des bourgeoys et habittans de la ville de Kerahès, desmeurant aud. Kerhaès d'une part, et Maistre Augustin Cœur, desmeurent à presant au Villaige de Lannilien (?), en la paroisse de Plegvin (Plévin) d'autre part, entre lesquelles parthyes est faict et gré et constants les conditions qu'il soyt appuré par forme que led. Cœur s'oblige tenir escolle en ceste dicte ville et instruire la jeunesse d'icelle en publicq et autres qui se présanteroient à son pouvoir en toutte bonne doctrine pour l'utilité diceulx, et ce pour durant le temps d'un an enthier qui commancera lundy prochain unziesme de ce présent mois, parce que ledict Le Goff, auquel nom promelt et soblige sur obligation de tout le sien [pouvoir] payer et faire avoir aud. Cœur pour ses gaiges. En oultre des proffictz et autres émolumentz qu'il pourra avoir et rettenir des clercs et escolliers qui yront à son escolle pour leur moys, la somme de soixante livres tournois qui luy sera payé par les quattres quartiers qui est de troys moys en troys moys comme ils eschoirront à commencer dudict jour.

Et sera ledict Cœur tenu faire sa résidance eu ceste dicte ville durant ledict temps.

Faict, gré, promis et stipullé par la Court de Kerahès, sise audict Kerahès, au tablier de Guillaume Morin, nottaire, sous le signe des partyes. G. Morin, Lohou, Notaires royaux.

Ce document fait partie d'une liasse dont la cote porte cette annotation : Conventions avec le maître d'écolle pour 60 livres tournois par an, avec un mémoire de dépense faite relativement à la réception de ce maître d'école qui est curieux et prouve la bonté de ce temps (25 pièces).

L'apostille est d'un optimiste, un laudator temporis acti que dut toucher la lecture de l'addition d'un hôtelier avec le souvenir des prévenances que montrèrent, en 1610, à M. Donnart, les habitants de Carhaix, pour célébrer sa réception par une hospitalité copieuse, d'où on avait banni tout soupçon de parcimonie et de lésinerie.

Ce Maître installé en 1610, était un prêtre. Mre. Bertrand Donnart. Voici les termes de son bail d'école :

Ce jour de dismanche 24 de janvier 1610, en lendroict du prosne de la grande messe dominicalle dicte et célébrée en l'églisse collégialle de Monsieur Sainct Trémeur en ceste ville de Kerahès par Messire Yves Olymant, vicquaire et chanoyne en ladite Église ou estoint présantz et assistantz pour voir et ouyr cellébrer l'office divin et disposer de leurs affaires en forme de corps polliticque la plus grande partye des bourgeoys et habittans de ladicte ville entre autres … (Suit une énumération d'environ 35 témoins.) ..... Remonstré par noble homme Vallentin de la Bouessière, sieur de Kermarquer, à présant procureur sindic desd. habitants. Que pour la grande nécepsité qu'il y a apprésant d'avoir quelque maistre descolle pour l'instruction de la jeunesse, il auroit par ladvys de Monsieur le Séneschal et de plusieurs des habittants de ceste ville, composé, requérir un nottable personnaige digne et capable de lad. charge pour tenir lescolle et montrer et ensaigner aux lettres les enffants qui vouldront suyvre lescolle, appellé M. Bertrand Donart, prestre, lequel auroit promys de suivre pour un an, auquel il auroit promys poyer pour led. an la somme de six vingtz livres tournois. En outre que chacun Clerc qui yra à lescolle poyera aud. maistre par chascun moys cinq sols tournois les suppliantz dadviser et ont pour agréable lad. composition et.... chargé leurquel procureur de poyer aud. Donart lad. somme de six vingts livres tournois par les quattre quartiers de lad. année qui eschoirront, et ce par advance de chacun quartier et premiers deniers quil aura entre ses mains, en promelt de luy en bailler descharge sur celle des comptes quit rendra de sad. Gestion (Le Goff, Jézéquel, notaires royaux. P. Pierrefort).

L'élu de la communauté dut être touché de la frérie et réjouissance qu'on lui fit lors de son entrée en fonction, et lors surtout de son arrivée à Carhaix. Son appétit devait être robuste, et son estomac supposé bon, il faut le présumer lui-même homme d'heureuse complexion, de bonne composition et de bonne humeur. Quelques notables partagèrent sa bonne chère, et voici la note qui fut payée à Guillaume Dupont à cette occasion.

30 Mars 1610.

Mémoire de se qui fuct fourny en despanse à Monsieur le Regant de ceste ville de Kerahez.

ET PREMIER

Le mercredy 28 octobre 1609 … au souper, neuff pintes de vin : 5 sous (sols).

Plus sainsq soubz de pain : 5 sous.

Plus en viande ou cuisiné ung chapon et une besgasse et un allouiau de boeuff : 25 sous.

Plus le souper de ung serviteur : 6 sous.

Plus une nuict de cheval, plus choupine de vin et ungt soubz de pain à le serviteur quy amenay le cheval : 16 sous.

Plus trouois nuicts de deux chevaulx se font six nuicts : 6 sous.

Plus le vandredy trouais pinctes de vin au disner : 18 sous.

Plus trouais soubz de pain : 3 sous.

Deux plas de pouisson : 6 sous.

Plus une pinte de vin allant dans sa chambre : ?

Jé ai resu la somme de sept livres vingt soubs tournouais, quy est pour la despanse faicte par Monsieur Donart à son ariver. Faict soubz mon signe le 30 de mars 1610. G. DUPONT.

 

— En 1611, on trouva pour tenir l'école « un honneste homme, françois de nation » : Français pas plus que nous qui sommes bretons et bons français à la fois ; M. François Le Moyne semble être, seulement, du pays des Gallaoued :

Du dimanche vingt Fevr. 1611.

En l'endroict de la messe que céllébrait Mre Mazé Le Gal ce jour en l'église collégiale de Monsieur Saint-Trémeur ou estoint présantz pour ouyr l'office divin les cy après nommés bourgeoys et habitantz de ceste ville de Kerahès, entre autres M. Yvon Ely, greffier civil, René Olyman, noble Louis du Drézit, Laurens Le Goff, Jan Lozou, noble Vallentin de la Boysière, Jan Leménez, Paul Diner, etc. etc.

Auxquels a esté remontré par Mre Guillaume Pezron, à présant procureur syndicq desd. habitantz qu'il s'est trouvé en ceste ville un honneste homme Francoys de nation lequel s'appelle M. Francoys Le Moyne qui se seroit adressé à luy et faict entendre que moyennant le consantement desd. habitantz il eust bien désiré y résider et faire la fonction de tenir escolle de la jeunesse de ceste ville laquelle auroit esté desjà tenue quelque temps, lesquelz habitantz luy donnant un honneste gaige : suivant quoy se seroint lesd. paroissiens adressé à Monsieur le Seneschal et procureur du Roy en lad. ville, aussy présant Escuyer Vincent Le Grand, sieur de Kerscau lesquels auroint ancquis et interrogé ledict Le Moyne de sa capacité et expériance du faict de l'estude, en présance de nombre de bourgeoys convoqués par led. Perzon : … qu'ils l'auroint trouvé capable pour instruire et régir la jeunesse aux escolles de la ville, recquérant ledict Pezron que les habitantz ayent à se résouldre sur leur vollonté et advis. D'une commune voix l'on trouvé agréable et chacun s'obligeant et promettant sur obligation de tous leurs biens de payer la somme de six vingt livres par les quattre quartiers … M. LE GAL. J. Bertrand et P. Le Roux, notaires royaux.

François Le Moyne passa donc au préalable devant un Jury d'examen et, si on s'en tient aux termes de l'acte, les épreuves auraient porté sur « sa capacité et expérience du fait de l'étude » ; sur ses connaissances, avec une exposition de ses vues personnelles sur les meilleures méthodes de pédagogie.

Dans la suite, nous ne trouvons aucune indication sur les maîtres d'écoles de Carhaix, et les registres paroissiaux manquent pour nous fournir les renseignements utiles et propres à dresser une liste quelconque de ces bons Magisters. Toutefois, dans une période de dix ans (1670-1680), nous trouvons M Pierre Jouannin (acte de décès du 3 juillet 1673) « Maistre escrivain enseignant la jeunesse » ; Yves Pellé et M. Pierre Collet.

Dans la délibération de l'Assemblée de Ville, du 12 octobre 1690, le Syndic remontrait à M. de Pomereu, commissaire du Roi présent « La Communauté a besoin de votre auttorité pour entretenir suivant les lettres doctroy de Sa Majesté par des premières concessions, les deux Régents et maistres d'escoles pour l'instruction des enfants ou pauvres habitants en la doctrine chrétienne, vous suppliant de leur accorder tel appointement que vous jugerez raisonnable ».

Deux Régents enseignaient donc à cette époque à Carhaix, en outre du nombre de professeurs ambulants d'alphabet qui allaient de maison en maison montrer la Croix de Dieu, les lettres et l'art de les assembler, de lire les chiffres et de réduire les livres en sols et en deniers. Ils apprenaient à autrui tout ce qu'ils savaient, peu de choses si l'on veut. Ils avaient des procédés de didactique aujourd'hui oubliés, peut-être à tort, car c'étaient gens pratiques, patients, observateurs, et réussissant bien puisqu'ils ont réussi à apprendre à lire à ceux qui ont été nos maîtres, usant de méthodes expérimentales qu'ils n'étaient pas capables, toujours, de discuter, mais qu'ils appliquaient fort heureusement, comme l'abeille fait sa ruche et comme l'oiseau fait son nid. J'ai retrouvé, dans la minute d'une vente après décès d'une paysanne aisée de la trêve de Tréflévenez, paroisse du Tréhou, Evêché de Léon, 3 octobre 1729, dans un simple détail, le souvenir d'un de ces maîtres d'école allant à travers la campagne courant le cachet et donnant des leçons particulières. La vente se termine par cet article fort suggestif, ma foi ! « Le chien aveq sa chaîne adjugé pour trente-sept sols ». Puis vient immédiatement le relevé des sommes dues et payées aux domestiques, puis cette indication :

« A été payé aussi à Yves Lapous, maître descole à la petite mineure, pour dix mois d'escole, 10 sols ». Dont quittance signée lisiblement et correctement : Yves LABOUS.

Dix mois d'école 10 sols ! l'argent de poche du dernier valet de ferme qui prétend se rendre à un pardon ! Songez que nous sommes en 1729. De plus, maître Labous avait son repas lorsqu'il allait à Lelléouet montrer ses lettres et ses prières à la petite mineure ; il avait quelques écheveaux de lin, du beurre, un morceau de porc ou de boeuf salé, une fois le temps, par exemple lorsqu'il avait déchiffré tel acte de notaire ou telle assignation d'huissier, ou conclusions de procureur, dont il donnait connaissance à l'occasion, et après sa lecture faite à tête reposée, répétée, éclaircie par suite des interrogations multiples des intéressés voulant être édifiés par autre que par les gens de loi ! Comme tant d'autres de son acabit et de profession, si c'en est une, Yves Labous se réservait certains jours de marché pour y porter l'excédent de sa consommation, le surplus qui lui restait de ses quêtes périodiques ou de ses cadeaux accidentels et intermittents.

A Carhaix, outre ces maîtres sans caractère officiel, il y avait une organisation d'instruction gratuite soutenue par les Pères Carmes. Nous en trouvons la trace dans la délibération du Corps de Ville du 25 février 1762. Ce jour, « M. le Maire a remontré que les Révérends Pères Carmes déchaussés de cette ville lui auroient présenté une supplique tendante à demender le loyer de deux apartements servants de cazerne depuis deux ans aux différantes troupes de passage par cette ville et de sauver de l'injure du temps les lits et guérides du corps de garde et à obtenir telle somme que la Communauté voudra arbitrer sous le bon plaisir de Monseigneur l'Intendant pour l'Ecole gratuite et sans obligations qu'ils tiennent pour l'intérêt de la jeunesse » ...

« La communauté accorde la somme de cent livres pour les causes mentionnées sur le bon plaisir de Monseigneur l'Intendant ».

Le 3 août 1787, le Maire remontre à la Communauté de ville qu'il lui a été remis une requête signée du S. Paulou se disant faire pour les pères de famille par laquelle on y sollicite l'établissement d'un maître d'école, et l'on propose la suppression ou réduction en tout ou en partie des appointements du médecin ou chirurgien à l'effet de pouvoir faire un sort au maître d'école ; « en cas que la Communauté de ville de Carhaix parvienne avec l'agrément de Monseigneur  l'Intendant à prefférer ce nouvel employ des fonds de la ville affectés à la médecine ».

La Communauté est « d'avis que le fond de 250 livres fait par la Communauté au chirurgien soit sous le bon plaisir de Monseigneur l'Intendant attourné au payement des gages d'un maître décolle et attendu la modicité de cette somme et son insuffisance pour procurer à la ville un bon Maître, supplie Monseigneur l'Intendant de permettre à la Communauté de prendre sur les deniers d'octroi une somme de cent livres pour faire celle de 300 livres à laquelle elle abute les gages du maître qu'elle se propose d'appeler ... ».

On voit que pour rémunérer le maître d'école, il fallait sacrifier quelqu'un ; on se résigna sans peine à exécuter le chirurgien : Je dis : sans peine et sans chagrin, car il était déjà dénoncé à la Communauté : en effet, comme nous le voyons par les registres, ce chirurgien, qui était sans doute barbier, était de plus huissier à la Cour, de sorte que lorsqu'on le cherchait pour une amputation, il était par voies et par chemins distribuant des assignations ou exécutant des exploits ; aussi occupé de l'humanité délinquante ou plaidante que de la pauvre humanité souffrante.

Quand je trouvai cette délibération du 3 août 1787, où il est relaté que les pères de famille réclamaient instamment l'établissement d'un maître d'écolle, à première vue je restai stupéfait : Quoi ? en 1787, alors que l'on pouvait voir poindre déjà à l'horizon l'aurore de 1789, Carhaix, l'antique cité, en était à demander un maître d'école ! Vraisemblablement, on n'y savait ni lire ni écrire, on y croupissait dans l'ignorance la plus crasse... La tenue des registres, le grand nombre des signatures démentent, du reste, cette supposition. Puis je continuais la lecture des délibérations qui suivaient : Je voyais la requête de la Communauté accueillie favorablement par l'Intendant de Rennes ; il demande quelques éclaircissements : les conditions qu'il présente, sont « primo, que le sujet soit ecclésiastique et choisi par Monseigneur l'Evêque, secundo, que l'on fixe d'avance le prix de ce qu'il pourra recevoir par mois par chaque écolier ». Puis le Maire, dans une harangue emphatique, où il y a de très bonnes idées, présente un projet de règlement pour ce qui concerne le maître d'école et ses fonctions. Ce projet est revu, corrigé par l'Intendant et par l'Evêque ; les corrections sont acceptées par la Communauté. Or, l'article 1er déclare que le maître sera un ecclésiastique ; pourquoi ? parce que ce maître tiendra une sorte d'établissement d'enseignement secondaire, une classe d'humanité, et que le prêtre est latiniste, s'il n'est pas toujours cicéronien impeccable. L'écolage est porté à 15 sols par mois.

L'Art. 2 porte comme conditions d'admission à l'Ecole que les enfants pour y être reçus doivent savoir lire, écrire, calculer et être propres à être mis sur le latin.

Cet article suppose donc une instruction élémentaire donnée et reçue déjà sans difficulté, distribuée sans trop de peine par des maîtres non qualifiés, et voilà tout.

On voit qu'il ne faut pas lire rapidement et qu'il faut lire jusqu'au bout.

Les premiers éléments de la lecture et de l'écriture étaient répandus partout, et ce que l'on appelle le Maître d'Ecole a une fonction plus élevée, il travaille à perfectionner la modeste instruction déjà reçue ; il serait mieux de l'appeler Grammairien, comme on le faisait au XVIIIème siècle en Lorraine, où on disait qu'il n'y a pas de village qui n'ait son grammairien, c'est-à-dire un Maître d'Ecole.

Le projet ébauché en 1787, et dont nous ignorons l'issue, est complété et expliqué clairement par l'Assemblée du 29 mars 1789 réunie pour la rédaction de ses cahiers, dans l'art. 2 des voeux et doléances présentés aux Etats généraux : « QU'IL SOIT ÉTABLI un collège en la ville de Carhaix pour l'éducation de la jeunesse ». Il ne s'agit plus d'un maître d'école, mais d'un collège !

Nos pères connaissaient la valeur et le prix de l'instruction, puisque malgré les charges dont ils étaient accablés, ils n'hésitaient pas à s'en imposer de nouvelles pour y satisfaire ; ils comprenaient leurs devoirs de pères et de citoyens, quand ils faisaient des sacrifices pour assurer à leurs enfants l'instruction primaire. Et qui peut dire s'ils n'avaient pas puisé ces sentiments généreux dans les fréquentes assemblées de paroisses où, sous les arbres séculaires, au sortir de l'église ils délibéraient et agissaient sous l'inspiration multiple de la religion, de la famille et de la patrie, dont la communauté était l'image [Voir Babeau : le village sous l'ancien régime]. Abbé Antoine FAVÉ.

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