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SOULAGEMENTS ACCORDÉS AUX CORVOYEURS EN BRETAGNE au XVIIIème siècle

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On ne voit pas en Bretagne à la fin du XVIIIème siècle, comme dans les autres provinces, le régime de la corvée se transformer, s'alléger et s'adoucir. Depuis d'Aiguillon, il n'y a pas eu dans la législation de la corvée de modifications sensibles. On a pourtant cherché à « soulager, » comme on disait, les corvoyeurs ; mais les mesures prises ont été des mesures extraordinaires et transitoires.

Secours aux corvoyeurs victimes d'accident. — Quelquefois on accorde un secours aux corvoyeurs ou aux veuves de corvoyeurs victimes d'accident : en 1779, on donne 400 livres à la veuve et, aux enfants d'un corvoyeur écrasé sur une route des environs de Bécherel (A. d. I.-et-V. C. 2411) ; en 1782, on alloue 200 livres à Nicolas Devin, journalier, qui s'est cassé une jambe en travaillant à la corvée (A. d. I.-et-V. C. 2414, f° Livré, 1773-1784). Le 10 janvier 1784, les Etats allouent une rente viagère de 72 livres à Joseph Guihot qui s'est cassé les deux jambes en travaillant au pont de Mordelles (A. d. I-et-V. C. 4717. Registre, pp. 12-13).

Gratifications aux paroisses. — Des gratifications peuvent être accordées aux paroisses qui ont eu à effectuer des travaux difficiles. En 1763, le duc d'Aiguillon ordonne de récompenser quelques paroisses, qui ont été employées à l'aplanissement de la montagne de Keriou : Saint-Lyonnec reçoit en conséquence 708 livres ; Guimilliau 672. A la même date Lennon et la Trêve du Cloistre touchent chacune 700 livres pour avoir aplani la montagne de Guennily (A. d. I.-et-V. C. 4862).

Les intendants eussent aussi volontiers accordé des gratifications aux corvoyeurs. En 1739, l'intendant de Viarmes demandait d'allouer aux corvoyeurs 40 sols par toise cube de pierre, qu'ils tireraient dans les années 1739 et 1740 ; mais le contrôleur général lui répondait : « ... il n'y a pas d'apparences que le roi se détermine à faire rendre » un pareil projet qu'il a toujours repoussé jusqu'ici « et le roi ne permettra pas que l'on introduise en Bretagne un usage par rapport aux corvées que sa majesté n'a jamais voulu autoriser dans les autres provinces, parce que si elle se relâchait, cela tireroit à de trop grandes conséquences » (A. d. I.-et-V. C. 2264. Lettre du 7 déc. 1738). Malgré l'opinion du contrôleur général, quelques intendants et quelques commandants, dont d'Aiguillon, distribuèrent parfois des gratifications aux corvoyeurs ; les Etats, quand ils eurent supplanté les intendants dans l'administration des ponts et chaussées, les imitèrent. Le 10 juin 1785 ils distribuaient des dégrèvements aux corvoyeurs de harnais de certaines paroisses : ceux de Saint-Pierre-en-Saint-Georges reçurent pour vingt-sept toises de pierre, à raison de 6 livres par toise, 162 livres ; ceux du trait de Couasmes pour huit toises 48 livres ; ceux de Cesson pour cent deux toises, à 6 livres, 612 livres ; ceux d'Acigné pour cent douze toises, à raison de 10 livres chacune, 1.120 livres ; ceux de Noyal, de Châteauhourg, de Domagné pour quinze, vingt-quatre et cinquante toises, sur le pied de 4 livres, 60, 108 et 200 livres [Note : A. d. I.-et-V. C. 4717. Registre des délibérations de la Commission intermédiaire, p. 121], etc....

Soulagements. — Les gratifications furent tout à fait exceptionnelles. Plus fréquents furent les fonds votés par les Etats pour le « soulagement de la corvée, » en même temps que le budget des ponts et chaussées. Ces fonds étaient quelquefois presque aussi importants que le budget lui-même : ainsi en 1741 ils étaient de 200.000 livres (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 4 août 1742) ; en 1756 de 400.000 ; en 1758 de 200.000 (B. M. R. Administration de la Commission intermédiaire) ; en 1782 et 1784 de 200.000 (N.-L. Caron, op. cit., p. 388).

La façon d'employer ces fonds varia. En 1742, l'ordonnance du 4 août ordonna de les répartir entre les paroisses affectées à la corvée, au prorata de la charge de chacune (A. d. I.-el-V. C. 2262). En 1736, il fut convenu entre les commissaires du roi et les Etats que les fonds destinés au soulagement de la corvée serviraient : 1° à faire faire à prix d'argent les parties de route où l'on ne pourrait appeler de corvoyeurs à cause de l'éloignement des paroisses ou de l'étendue des tâches ; 2° à payer à chaque corvoyeur de harnais, qui aura rempli son devoir, une gratification annuelle de 12 livres ; 3° à faire extraire la pierre à prix d'argent (B. M. R. Administration de la Commission intermédiaire).

Mais il ne faudrait pas se faire d'illusion sur l'efficacité de ces « soulagements ». Il arrivait que les fonds votés ne fussent pas employés ou le fussent d'une façon défectuese. Quelquefois ils étaient absorbés « par les parties de routes restées à la charge de la province » (B. M. R. Administration de la Commission intermédiaire). Quelquefois encore les députés des paroisses prélevaient sur les sommes à partager la part du lion : en 1742 et 1743, les députés de Plédran gardèrent 445 livres 1 sol 5 deniers sur 2.737 livres (A. d. I.-el-V. C. 2262. Ordon. du 1er sept. 1744 et du 12 mai 1745) : la même année un des députés de Cintré, P. Ridel, frustra les corvoyeurs de 110 livres (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 12 mai 1745) : quelquefois les députés, « sous prétexte de délibérations des généraux » auxquelles « il n'y a qu'un certain nombre de paroissiens d'appelés, ce qui ne peut être qu'à l'oppression des pauvres, » cherchent à donner une autre destination aux « soulagements ; » tantôt, sur les sollicitations du recteur, ils veulent les affecter à des oeuvres pies ou à l'achat d'objets du culte ; tantôt ils prétendent les employer au paiement « des frais de procez ou autres usages » (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 25 juin 1745).

Ateliers de charité. — Quand la misère est trop grande dans les campagnes, quand elle multiplie le nombre des mendiants et qu'elle rend impossible le fonctionnement de la corvée, au lieu de distribuer des « soulagements » en argent, on a recours à l'établissement « d'ateliers de charité ». Ces ateliers de charité permettent d'employer, en les rétribuant, les pauvres sans travail et les corvoyeurs. En procurant aux mendiants et aux corvoyeurs les moyens de subsister, ils déchargent encore ces derniers d'une partie de leur tâche. Les ateliers de charité furent souvent ouverts ; on les préférait aux dépôts de mendicité.

Quand, en 1787 et 1788, le roi demande aux Etats 100.000 liv. pour la nourriture, la conduite et l'entretien « des mendiants » et vagabonds retenus dans le dépôt de Rennes, les Etats, à qui ce dépôt ne plaît pas, répondent : « qu'il présente plutôt une école de corruption de moeurs qu'une correction de moeurs ; qu'il ne secoure la mendicité qu'en la pervertissant ; qu'il porte atteinte aux manufactures répandues plus utilement dans les campagnes ; que d'ailleurs la somme de 100.000 livres, qui est demandée pour cet établissement comme revenu de la pauvreté, tournera au même emploi d'une manière infiniment plus utile et plus digne de la bienfaisance publique en faisant subsister les pauvres, hommes et femmes. dans des ateliers de charité... : » en conséquence ils destinent ces 100.000 livres à l'entretien d'ateliers de charité « pour le soulagement de la mendicité et de la corvée, » et les sommes seront réparties moins en raison de l'étendue des routes qu'en raison de la misère (A. d. I.-et-V. C. 3184. Rapports des Commissions aux finances, 1788).

Dès 1739 on trouve en Bretagne des ateliers de charité. Le 17 juin 1739 le contrôleur général Orry engage l'intendant à créer plusieurs ateliers sur les grands chemins et dans les banlieues des villes où les pauvres sont le plus nombreux : il l'engage même à faire travailler à des ouvrages qui « dans un autre temps pourraient ne pas être absolument nécessaires, » tout en lui recommandant de payer ce travail non à la journée mais à la tâche, et d'en fixer le prix de façon « qu'un ouvrier faible et médiocre puisse gagner au moins 8 à 10 sols par jour et qu'un bon ouvrier puisse en gagner jusqu'à 10 et 12 » (A. d. I.-et-V. C. 2264. Lettre du contrôleur général, 17 juin 1739). Le 27, l'intendant ordonne de faire travailler sur les routes de Rennes à Vitré et de Rennes à SaintAubin-du-Cormier, de réquisitionner au besoin et de laisser se présenter aussi souvent qu'ils le voudront les charretiers et bouviers, qui voitureront les matériaux sur le pied de 13 livres la toise cube (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. des 27 juin et 30 oct. 1739).

Les ateliers établis en 1739 ne le furent que sur un point déterminé; mais à la fin du XVIIIème siècle, alors que se multiplient les disettes et les crises agricoles, on en ouvre dans toute l'étendue de la province.

En 1770, une mauvaise récolte provoque une cherté excessive des grains ; l'intendant constate que « la plupart des paroisses sont dans l'impossibilité de satisfaire aux corvées par le défaut des subsistances nécessaires ». La misère est profonde : « les habitants de plusieurs paroisses sont réduits à se nourrir de marc de pommes et d'aliments que les animaux même rebutent ». Avec l'approbation de la Commission intermédiaire, l'intendant décide de faire faire la tâche ordinaire des corvoyeurs à prix d'argent par les pauvres, de payer les travailleurs sur les fonds des grands chemins [Note : L'intendant soutenait que c'était aux Etats à voter des fonds pour le soulagement des corvoyeurs et non au roi à en donner], d'admettre au travail indistinctement hommes, femmes et enfants capables de travailler, d'employer les indigents « de préférence aux pires endroits, » et d'affecter à la tâche de chaque paroisse les pauvres de cette même paroisse. Les travaux effectués cette année là dans les ateliers de charité coûtèrent 160.712 livres 13 sols 10 deniers (A. d. I.-et-V. C. 4881).

En 1785, la misère fut causée par une grande sécheresse. Les récoltes périrent sur pied. Des ateliers de charité furent établis, auxquels on affecta tout d'abord un fonds de 200.000 livres, réparti entre les neuf évêchés :

Fonds de charités de 200.000 livres réparti entre les neuf évêchés (Bretagne).

Ce fonds fut insuffisant et le roi dut en accorder un nouveau de 100.000 livres (A. d. I.-et-V. C. 4882).

En général d'ailleurs les ateliers de charité ne réussirent pas à remédier à la misère des indigents et des corvoyeurs. Ils n'étaient pas assez nombreux et étaient parfois très éloignés des paroisses, qui en réclamaient de nouveaux. On ne pouvait les multiplier car on trouvait difficilement des gens capables de conduire les travaux et de tenir la comptabilité (A. d. I.-et-V. C. 4881. Sécheresse de 1785).

Droit de 10 sols par pot d'eau-de-vie. — Les soulagements en argent et les ateliers de charité n'étaient que des expédients. En 1787, au contraire, on assiste à une tentative d'un intérêt plus général. Les Etats prirent une mesure — la seule importante qu'on puisse citer à la fin du XVIIIème siècle — pour alléger le poids de la corvée. Le 23 janvier 1787, en effet, les Etats décrétèrent qu'un droit de 10 sols serait mis sur chaque pot d'eau-de-vie et autres liqueurs vendu au détail, et que le produit de ce droit serait destiné au soulagement de la corvée {Note : A. d. I.-et-V. C. 4718. Registre de délibérations de la Commission intermédiaire, p. 131].

Si l'on remarque que nul n'était exempt des devoirs ou impôts sur les boissons « sous quelque prétexte que ce puisse être, soit officiers du Parlement, de la Chambre des Comptes, des commanderies, chancelleries, monnaies, maréchaussée, conciergeries, maisons franches, suisses de la garde du roi, commensaux de sa maison, leurs veuves, gentilshommes, gouverneurs de places... » [Note : Ces dispositions avaient été promises et accordées aux Etats en 1722 par les commissaires du roi (A. d. I.-et-V. C. 3153), renouvelées à chaque session des Etats de 1756 à 1770. (A. d. I.-et-V. C. 3156)], le droit de 10 sols par pot d'eau-de-vie soumettait indirectement à la corvée toute une catégorie de privilégiés, qui jusque-là en avaient été exempts.

Malheureusement, la tentative des Etats ne donna pas les résultats attendus. Les Etats avaient compté que le droit de 10 sols par pot d'eau-de-vie et de liqueur, perçu en régie, produirait au moins 500.000 livres par an, et ils avaient décidé que le dixième en serait affecté à la réparation des parties de routes les plus dispendieuses, que le reste serait partagé entre les neuf diocèses proportionnellement à l'étendue de leur réseau et que chaque évêché mettrait en adjudication au rabais, jusqu'à concurrence de la somme qui lui reviendrait, les ouvrages qu'il voudrait. Mais leurs calculs furent déçus dès les deux premiers mois ; le droit ne produisit en effet, en mars et avril, que 15.612 livres 16 sols 6 deniers à raison de trente et un mille cent trente pots d'eau-de-vie (A. d. I.-et-V. C. 4736). En prenant le produit de ces deux mois pour moyenne, on ne pouvait compter pour l'année que sur 183.000 livres environ. On recueillit moins encore : dans les dix mois de mars à décembre, cent soixante-deux mille quatre cent-seize pots furent vendus, qui donnèrent 81.208 livres 1 sol 3 deniers. En 1788 on ne distribua plus que 69.491 livres 14 sols aux évêchés :

Fonds de charités de 69.491 livres réparti entre les neuf évêchés (Bretagne).

Note (1) : A. d. I.-et-V. C. 4718. Registre..., p. 195

Insignifiant, ce « soulagement » est mal réparti. Dans les cahiers des paroisses beaucoup de généraux se plaignent de n'avoir rien reçu et ils demandent une vérification des comptes [Note : Dupont, Condition des paysans dans la sénéchaussée de Rennes à la veille de la Révolution, p. 141].

Il n'apparaît donc pas qu'en Bretagne on se soit employé sérieusement, comme dans les provinces de Lorraine, de Normandie, du Berry, comme dans d'autres encore, à alléger la corvée. Les Orceau de Fontette, les la Galaizière, les Turgot n'ont pas eu d'imitateurs en Bretagne. La responsabilité en incombe surtout aux Etats. Depuis le gouvernement de d'Aiguillon et de Lebret, en effet, jusqu'en 1785, les Commissaires du roi ont perdu en fait la direction incontestée des ponts et chaussées ; ils ont eu les mains liées en quelque sorte par les Etats. A partir de 1785, l'administration des grands chemins ne dépend plus que des Etats. Si on a moins fait en Bretagne qu'ailleurs pour adoucir la corvée, il ne faut en accuser que les Etats.

(J. Letaconnoux).

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