Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

PERSISTANCE DE LA CORVÉE EN BRETAGNE JUSQU'A LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME.

  Retour page d'accueil       Retour "Régime de Corvée en Bretagne" 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Si en Bretagne on a moins cherché qu'ailleurs à améliorer le régime de la corvée, on s'est encore moins soucié de l'abandonner. Quand l'édit de février 1776 supprima la corvée, la joie provoquée par cette mesure dans toute la France ne se manifesta pas en Bretagne ; on n'entendit pas dans les campagnes bretonnes chanter : « Je n'irons plus au chemin - Comme à la galère, - Travailler soir et matin, - Sans aucun salaire :- Le roi, je ne vous mens pas, - A mis la corvée en bas ; - Ah ! la bonne affaire, ô gué ! - Ah ! la bonne affaire ! » [Note : Deuxième couplet d'une chanson citée par Hyenne. De la corvée en France et en particulier dans l'ancienne province de Franche-Comté].

C'est que la Bretagne fut exclue de la faveur accordée par le roi à ses sujets, et que l'édit de suppression n'y fut ni enregistré ni publié. « Le mauvais état des chemins ne permit pas d'en cesser l'entretien » dit l'intendant Caze de la Bove. Pourtant les corvoyeurs bretons eurent connaissance de cet édit, qui mettait fin à leurs souffrances, et ils refusèrent pour la plupart de reprendre les travaux. Caze de la Bove dut promulguer une ordonnance pour remettre en vigueur tous les anciens règlements et enjoindre la reprise de la corvée, en menaçant les défaillants d'une amende de 50 livres ou de la mise en adjudication à leurs frais de leur tache (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 24 avril 1776). Cette ordonnance ne brisa pas toutes les résistances. Sur quelques points les corvoyeurs s'obstinèrent à déserter les ateliers. En 1782, l'intendant est obligé de jeter dans les prisons de Rennes, pendant un mois, un sieur Besnier ancien député et membre du général de Servon « qui empêche les corvoyeurs de ladite paroisse de remplir la tâche qui leur est imposée sur la route de Rennes à Vitré, en faisant en sorte de leur persuader que les travaux de la corvée ne doivent plus avoir lieu et que la réparation des grands chemins doit être faite à prix d'argent ». Besnier était écouté et l'on crut à sa parole. Les corvoyeurs à son instigation abandonnaient leur tâche, et les contraintes décrétées contre eux restaient vaines. C'est que Besnier avait réussi à se procurer un exemplaire de l'édit qui supprimait les corvées [Note : Cet édit fut rapporlé le 11 août 1776 par de Clugny, qui remplaca Turgot. L'édit de de Clugny ne changea rien en Bretagne puisque celui de Turgot n'avait pas été appliqué] et il allait partout proclamant « que le roi ne pouvait avoir deux paroles, que puisqu'il avait rendu un édit il devait avoir son exécution, que les corvoyeurs devaient être paiés et que les ingénieurs et M. l'intendant lui-même qui avaient donné des ordres contraires à cet édit étaient au moins des fripons qui avaient envie de mettre dans leur poche l'argent destiné à paier les ouvriers occupés à travailler aux chemins ». Emprisonné une première fois, Besnier est tiré de prison par le marquis de Châteaugiron qui paie les frais pour lui. Il continue de prêcher la désobéissance : il « débite qu'on avait été fort heureux qu'il avait bien voulu sortir de prison, qu'il ne lui en avait rien coûté, qu'au contraire on lui avait proposé de l'argent. ». Emprisonné de nouveau, il fait un mois de détention, paie lui-même les frais et recommence à répandre l'édit de 1776. L'ingénieur demande qu'on l'exclue du général et qu'on lui ordonne de travailler sur-le-champ à sa tâche sous peine d'y être forcé « par tous les moyens, même par punition corporelle » (A. d. I.-et-V. C. 4886. Affaire Besnier).

Les mesures prises par Caze de la Bove contre Besnier et les défaillants, l'ordre donné par lui de reprendre les travaux de corvée en 1776, malgré l'édit de suppression, pourraient faire croire que l'intendant était hostile à cet édit et que lui seul est responsable de la persistance de la corvée. Il n'en est rien. L'intendant en 1776 n'est plus que le directeur nominal de l'administration des grands chemins ; il ne peut rien décider sans consulter les Etats, qui sont les maîtres et qui sont partisans du maintien de la corvée.

En revendiquant la direction des ponts et chaussées, les Etats prétendaient agir au nom des intérêts du peuple et soulager le fardeau qui l'écrasait : le préambule de l'arrêt de janvier 1785, qui leur attribua l'administration des grands chemins, faisait allusion aux raisons émises par eux : « Sa Majesté a vu avec satisfaction, dit l'arrêt, qu'en demandant d'être seuls chargés de cette partie d'administration, les Etats n'avaient d'autres vues que celles de procurer la perfection des routes et d'alléger le poids de la corvée en améliorant les travaux par tous les moyens qui peuvent dépendre d'eux... » (B. M. R. Administration de la Commission intermédiaire, p. 757).

En réalité, les Etats se préoccupaient peu d'améliorer le sort des corvoyeurs. En 1774, Turgot, trompé par les plaintes de la noblesse et des Etats, qui ne cessaient de dénoncer la lourdeur de la corvée, crut qu'en Bretagne la suppression de cet impôt serait bien accueillie. Il promit aux Etats de leur accorder l'administration des grands chemins s'ils supprimaient la corvée et prenaient à leur charge les travaux publics. Pour couvrir les frais qu'entraînerait cette réforme, Turgot proposa ou la mise en régie de l'impôt des devoirs, ou une augmentation du vingtième. Ce projet rencontra une vive opposition dans les Etats. En vain l'évêque de Rennes s'efforça-t-il de le défendre : « J'ai fait, écrit-il, le tableau des funestes effets que produisait la corvée, de la nécessité de la suppression d'après les principes de la justice et de l'humanité... Je me suis étudié à réfuter les objections qu'on employait avec le plus de succès depuis quelques jours pour entretenir l'opposition naturelle de l'Assemblée contre l'exécution du projet. La discussion a été très longue. Elle était presque toujours inspirée par la prévention... ».

Le Tiers [Note : Ne pas oublier que l'ordre du Tiers ne représente pas les classes populaires] et la noblesse coalisés empêchèrent le projet d'aboutir. Menacés d'une augmentation d'impôts ils votèrent le maintien de la corvée [Note : Marion, Les Etats de Bretagne sous Louis XVI, dans Revue historique, t. LXXXI, janvier-avril 1903]. Ils n'en continuèrent pas moins à réclamer la direction des travaux publics. En 1785 on leur donna satisfaction. Que firent-ils quand ils eurent cette administration qu'ils avaient tant désirée ? S'empressèrent-ils de réformer les abus qu'ils reprochaient aux intendants ? Ils se bornèrent à recommander le zèle aux corvoyeurs et à promettre seulement que les paroisses ne seraient pas changées d'ateliers. « Les Etats ne se sont chargés de l'administration des grands chemins de la province, écrivent-ils en ordonnant la reprise de la corvée, que dans le désir de procurer la perfection des routes et d'éviter aux corvoyeurs, autant qu'il serait possible, les contraintes que leur négligence n'a que trop souvent contraint d'employer » (B. M. R. Administration de la Commission intermédiaire, p. 763). Ils se gardent bien de répéter aux corvoyeurs eux-mêmes que la corvée les ruine et qu'elle est injuste.

En avril 1786, quand de Calonne, après avoir constaté que depuis quatre ans on a substitué avec succès dans le Berry la contribution pécuniaire à l'ancienne corvée des grands chemins, ordonne l'essai pendant trois ans de la conversion de la corvée en une prestation en argent, les Etats entrent-ils dans les vues du ministre ? Non, ils restent hostiles à toute modification.

Le 22 avril, l'intendant répond au ministre et ne lui cache pas toutes les difficultés que rencontrera en Bretagne, où « toute réforme est plus difficile que partout ailleurs » la suppression de la corvée en nature :

« 1° L'imposition qui remplacera la corvée ne peut être faite sur les biens sujets à la taille parce que la taille est inconnue en Bretagne et que les fouages qui la représentent sont si mal répartis qu'il faut de toute nécessité changer la forme de leur assiette et de leur perception. D'ailleurs il y a beaucoup de paroisses où la très grande partie des propriétaires est exempte des fouages, attendu que leurs ancêtres en ont fait le rachat ou qu'ils ont obtenu des affranchissements : ainsi la contribution à raison des fouages ne peut avoir lieu ni quant à présent ni par la suite, à cause de la multiplicité des affranchissements.

2° L'imposition ne peut être faite au prorata des vingtièmes, parce qu'elle porterait sur les nobles comme sur les roturiers et que les premiers s'y opposeraient d'autant plus que l'imposition au marc la livre du vingtième ne porterait pas sur les ecclésiastiques ; sur quoi j'observe que si l'on veut obliger la noblesse à contribuer à la réparation des chemins il est absolument nécessaire de rendre ses obligations communes au clergé.

3° Si l'imposition ne peut être faite qu'au marc la livre de la capitation roturière, le cultivateur et tous les habitants de la campagne continueront d'en supporter seuls toute la charge ; le bourgeois riche qui paye capitation en ville, le négociant et tous ceux qui retirent la plus grande utilité des chemins en seront exempts, ainsi l'avantage de la contribution en argent sera très peu sensible (A. d. I.-et-V. C. 2407, f° Abolition de la corvée. 1786).

Certes la contribution pécuniaire eût été plus juste et plus avantageuse si les négociants et les propriétaires, sans distinction de qualité, y avaient été tous assujettis ; mais la substitution pure et simple d'une contribution en argent levée sur les corvoyeurs à la corvée en nature eût été déjà un progrès. Cela n'eut même pas lieu. L'édit du 27 juin 1787, qui supprimait définitivement la corvée en nature, ne fut pas plus observé que ne l'avait été celui de 1776.

Certaines paroisses avaient pris l'habitude de mettre leur tâche en adjudication et de la faire exécuter par un entrepreneur : « La paroisse de Saint-Guinoux a mis de tout temps sa tâche à marché, » constate en 1787 l'ingénieur (A. d. I.-et-V. C. 4887) ; en 1788 la paroisse de la Fresnaye (A. d. I.-et-V. C. 4887), en 1783 celle de Châteauneuf (A. d. I.-et-V. C. 4888) passent un bail pour l'entretien de leur tâche pendant six ans avec des entrepreneurs ; en 1785 la Chapelle-Basse-Mer (A. d. I.-et-V. C. 4895) demande à adjuger au rabais l'entretien de sa tâche pendant neuf ans. En général la plupart des paroisses maritimes en usent ainsi : les hommes sont à la mer, les femmes aux champs : les travaux de corvée sont « au-dessus des forces » des femmes « ou très mal exécutés par des bras destinés à d'autres usages qu'à charrier des pierres, les arranger sur le chemin, les briser » (A. d. I.-et-V. C. 4887).

Les Etats se bornèrent à tolérer ces marchés sur les instances de la Commission intermédiaire, qui les pria, dans son rapport de 1786, « de considérer que s'il paraissait y avoir de l'inconvénient à autoriser de semblables marchés, on ne pouvait se dispenser de convenir que l'ouvrage était beaucoup mieux fait et infiniment moins grevant pour les paroisses, qu'en un mot elle ne croyait pas qu'il fût juste d'empêcher des contribuables de prendre des arrangements pour l'acquit des charges qui leur étaient imposées, surtout lorsqu'il était démontré que les arrangements tournaient à l'avantage de la chose publique et au soulagement des contribuables, qu'en conséquence elle pensait que les Etats se porteraient à laisser la faculté aux paroisses de passer ces marchés lorsqu'elles le feraient de leur propre mouvement » (A. d. I.-et-V. C. 4895).

En 1787, les Etats manifestèrent bien l'intention de demander qu'on restreignit la liste des exemptions, mais la Commission intermédiaire leur fit remarquer que le moment était mal choisi pour une pareille demande et qu'il était à craindre qu'on ne se servît de leurs démarches pour leur faire adopter l'édit du 25 juin qui supprimait la corvée (A. d. I.-et-V. C. 4718. Registre de délibérations..., p. 226).

Les Etats persistèrent dans leur attitude jusqu'à la fin ; en 1788 la Commission intermédiaire, informée que la veuve Malassix, libraire à Nantes, avait inséré dans son Almanach une note sur la suppression des corvées dans tout le royaume, écrivait aux députés de l'évêché de Nantes : « Nous sommes persuadés, Messieurs, qu'il vous paraîtra comme à nous que cette observation pouvant induire en erreur les corvoyeurs de cette province il est nécessaire qu'elle soit promptement ratifiée. Nous vous prions de vouloir bien mander, en conséquence, la veuve Malassix et de lui enjoindre d'annoncer dans les affiches de Nantes que cette observation n'a pas été suffisamment expliquée, que l'édit concernant la suppression de la corvée n'a point d'exécution en Bretagne, n'ayant pas été délibéré par les Etats, ni enregistré au Parlement » (A. d. I.-et-V. C. 4718. Registre de délibérations..., p. 375).

La corvée subsista donc jusqu'à la fin de l'ancien régime en Bretagne. Les cahiers des paroisses contiennent les plaintes les plus vives, les paroles les plus amères contre cette charge odieuse : « l'ouverture et l'entretien des chemins ne sont plus qu'à la charge de ceux qui y marchent pieds nus..., dit le cahier de Saint-Jacques-de-la-Lande, ...tandis que les voitures de l'opulence les dégradent... ; » et Gohier montre les paysans « condamnés aux chemins comme chez d'autres peuples on est condamné aux mines, asservis à des travaux qui semblent n'avoir été rendus humiliants qu'afin qu'ils fussent gratuits » (Gohier, Mémoire pour le Tiers-Etat de Bretagne, 1789).

Il y eut un effort pour alléger la corvée : l'établissement de la taxe de 10 sols par pot d'eau-de-vie en est la preuve. Mais il n'y eut pas de réforme profonde. Plus que partout ailleurs les réformes étaient malaisées en Bretagne, car les Etats, composés de privilégiés, s'y opposaient.

(J. Letaconnoux).

© Copyright - Tous droits réservés.