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LE RÉGIME DE LA CORVÉE EN BRETAGNE ET L'ÉTAT DES ROUTES.

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La suppression de la corvée eût été d'autant plus désirable qu'elle eût été conforme non seulement à la justice, mais à l'utilité publique. La corvée en effet était incapable de satisfaire à l'entretien des routes.

Les documents, qui attestent le mauvais état des routes bretonnes au XVIIIème siècle, sont si nombreux qu'on a l'embarras du choix. « Malgré les arrêts du Conseil, les ordonnances sans nombre rendues depuis 1732 jusqu'en 1753..., affirme un Mémoire de 1787, on ne pouvait encore voyager en Bretagne au commencement de 1754 » [Note : A. d. C.-d.-N. C. 96. Mémoire sur les routes de la province de Bretagne, 11 janvier 1787]. « Si l'on s'en rapporte au témoignage de tous ceux qui ont parcouru la province avant 1756, dit encore le duc d'Aiguillon, les chemins y étaient absolument abandonnés ; la seule route de Rennes à Brest était praticable [Note : C'était à peu près la seule route dont on s'occupât sérieusement. Elle était de beaucoup la plus favorisée] ; les autres dans les plus beaux temps offraient à peine un passage sans danger même aux cavaliers. A la moindre pluie tout rapport, toute communication étaient interceptés entre les différentes villes » [Note : Mémoire pour le duc d'Aiguillon, cité par Pocquet, Le duc d'Aiguillon et La Chalotais, t. I, p. 27]. Le duc d'Aiguillon n'exagérait pas. Il serait facile d'accumuler les preuves de ce qu'il avançait : en 1751, les communications sont interrompues entre Lesneven et Landerneau ; une ordonnance du 10 février 1753 constate qu'elles n'existent que pendant un tiers de l'année entre Redon et le Croisic, Guingamp et Tréguier, Dol et Saint-Malo, que des mares, des fondrières très profondes, où les voituriers perdent leurs chevaux, couvrent les chemins [Note : A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 22 janvier 1751 et du 10 février 1753]. En 1777, l'auteur d'un livre anonyme sur les grands chemins rappelle que, vers 1737, il était impossible d'aller de Nantes à Lorient par terre, que tous les transports se faisaient par mer et qu'en temps de guerre, quand les navires ennemis croisaient le long des côtes, les voitures étaient forcées de prendre des détours considérables, qui augmentaient les frais de transport « sans mesure ni proportion ; » parfois on était même contraint de transporter à dos de mulets ou de chevaux les marchandises, ce qui était plus dispendieux encore [Note : De l'importance et de la nécessité des chemins publies en France..., Amsterdam. 1777]. A chaque instant les Messageries dont le service était fort difficile et souvent compromis, se plaignaient à l'intendant de l'état des routes, menaçaient d'abandonner les chemins dangereux [Note : Un sieur Moulin, fermier « des carosses et messageries » de la route de Rennes à Saint-Malo. demande en 1739 qu'on répare la route ou qu'on lui livre passage sur les champs voisins, ou bien il se verra forcé d'abandonner la route. (Ordon. 8 oct. 1739, A. d. I.-et-V. C. 2262. Cf. aussi autre ordon. relative à la même route dans C. 2293). A. Dupuy. op. cit., p. 257. donne d'autres exemples intéressants de l'état, des routes]. A vrai dire les chemins étaient tous aussi mauvais les uns que les autres ; on ne connaissait pas ce qu'on appelle de nos jours un beau chemin, c'est-à-dire un chemin solide, résistant, sans ornière, praticable en toute saison. Quand on parlait de la bonté des routes c'était une bonté relative ; le commandant duc d'Estrées l'avouait en 1735 dans une lettre à l'intendant : « ... les chemins étaient autrefois si abominables en Bretagne que l'on appelle un beau chemin un chemin qui est moins mauvais que par le passé » (A. d. I.-et-V. C. 2264. Lettre du 15 décembre 1735).

Après 1756 le mauvais état des routes subsista-t-il ? Il y eut évidemment amélioration, surtout sous le gouvernement de d'Aiguillon qui transforma et multiplia les routes. La réfection des anciennes routes, l'ouverture de nouveaux chemins rendirent les communications plus faciles et moins coûteuses, au grand avantage du public, du commerce et de l'agriculture ; les laboureurs purent écouler leurs denrées qui, jusqu'alors bien souvent, pourrissaient sur le sol ou encombraient, richesse inutile, leurs granges et leurs greniers. Les frais de transport diminuèrent : le cent pesant de marchandises, dont le transport de Nantes à Lorient coûtait vers 1737 de 40 à 50 livres, fut voituré pour 50 sols en 1777 [Note : De l'importance et de la nécessité des chemins publics en France..]. Mais l'état des routes, bien que devenu meilleur, laissa encore à désirer. En 1772, l'intendant Dupleix remarque que, depuis plusieurs années, les routes sont extrêmement négligées (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 24 février 1772) ; en 1782, l'intendant reconnaît le mauvais état des chemins (A. d. I.-et-V. C. 2272. Gratifications et indemnités au sieur Frignet) ; en 1787, malgré une déclaration du roi du 14 novembre 1724 et un arrêt du Parlement du 2 août 1766, qui défendent d'atteler à chaque charrette à deux roues plus de quatre chevaux depuis le 1er octobre jusqu'au 1er avril, et plus de trois chevaux du 1er avril au 1er octobre, sous peine de confiscation des chevaux et harnais et de 300 livres d'amende (N.-L. Caron, op. cit., p. 403), on est obligé de permettre aux rouliers et aux voituriers de se servir de chevaux de renfort dans les passages difficiles des routes [Note : A. d. I.-et-V. C. 4718. Registre des délibérations de la Commission intermédiaire. p. 238].

A quoi faut-il attribuer ce mauvais état des chemins bretons ? A la négligence des Etats, qui remplissent peu ou mal leurs devoirs et laissent en souffrance la tâche restée à leur charge [Note : A. d. I.-et-V. C. 2273. Dans l'Etat de situation des routes du département de Pontivy. dressé en 1760, on lit que les tâches des paroisses affectées sur la route de Pontivy à « Uzel sont très roullantes, mais que les tâches restantes à faire aux frais de la province sont dans le plus mauvais état... ». Même observation est faite pour la route de Pontivy à Corlaix] ; au manque de bons matériaux, dont la disette se fait sentir surtout dans la Haute-Bretagne, dans la Basse-Bretagne le sol étant ferme et les matériaux excellents [Note : Le caractère montueux de la Basse-Bretagne, où le roc n'est souvent recouvert que d'une mince couche de terre, rendait l'entretien des routes plus facile] mais surtout à la conduite des propriétaires riverains et à l'emploi des corvoyeurs, qui travaillent sans soin et de façon intermittente. Les propriétaires riverains, au lieu de veiller à l'entretien des chemins, semblaient s'ingénier à les dégrader et à les rendre impraticables.

Ils étaient tenus, d'après une ordonnance du 4 septembre 1723 fréquemment renouvelée, de curer ou de faire curer au moins une fois l'an, au commencement de l'automne, les fossés et rigoles des grands chemins, destinés à recueillir et à écouler les eaux de pluie ; ils n'en faisaient rien. Constamment les ingénieurs ou les commissaires des Etats signalaient à l'intendant de nombreux contrevenants. L'intendant avait beau édicter des peines sévères allant jusqu'à 100 livres d'amende (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 4 septembre 1723), on ne pouvait vaincre la résistance des paysans. Les ingénieurs d'ailleurs ne parvenaient que difficilement à connaître le nom des propriétaires en faute ; l'intendant était réduit à enjoindre aux marguilliers et fabriciens des paroisses d'accompagner, sur leur requête, les ingénieurs et de leur indiquer les noms et demeures des contrevenants sous peine de 50 livres d'amende [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Procès-verbaux dressés les 4 et 15 avril, 6 et 29 juin, 8 octobre et 29 novembre 1726]. Le plus souvent on était obligé d'employer des ouvriers au curage des fossés et des rigoles ou de procéder à l'adjudication des travaux à faire aux frais des propriétaires ou fermiers qui s'en étaient dispensés (A. d. I-et-V. C. 2261. Ordon. du 13 juillet 1727, du 10 août 1727, et passim). Quand ceux-ci se résignaient à curer les fossés, ils jetaient pêle-mêle sur le chemin les boues et les graviers qu'ils en retiraient, au lieu d'étendre les graviers sur la chaussée et de déposer les boues sur les champs riverains.

Mais au lieu de s'astreindre au curage, ils préféraient arrêter les eaux et les détourner sur leurs terres, creuser des fosses pour y faire des engrais [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 4 septembre 1723], extraire des banquettes du sable ou de la terre à bâtir ; en 1741, de véritables carrières étaient ouvertes sur la route de Rennes à Brest, entre Broons et Lamballe [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 3 oct. 1724. — C. 2262. Ordon. du 11 juillet 1741]. Des abus plus graves encore étaient communément commis, dans la première moitié du siècle surtout. L'appropriation d'une partie du chemin était fréquente : le 17 novembre 1740, un sieur Jacques Caresmel est condamné à rétablir les accotements, banquettes et fossés de la route de Rennes à Guingamp, situés en face de son champ et dont il s'est emparé après avoir comblé les fossés et bordé d'une haie le terrain usurpé [Note : A. d. I-et-V. C. 2263. Ordon. du 22 janvier 1751 art. XIV. — C. 2262. Ordon. du 17 novembre 1740].

D'autres campagnards enlèvent les bordures des levées, démolissent les parapets des ponts pour tenir sous l'eau les lins et chanvres qu'ils mettent à rouir dans les rivières et quelquefois dans les fossés des chemins, agrandis et transformés en mares (A. d. I-et-V. C. 2262. Ordon. du 30 septembre 1740).

D'autres encore plantent des haies ou des arbres sur les fossés en dépit des ordonnances, qui défendent de planter à moins de dix pieds du bord extérieur des fossés [Note : A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 22 janvier 1751 (art. XIV) et arrêt du Conseil du 3 mai 1720].

Les plus scrupuleux considèrent les routes comme des lieux de dépôt commodes : ils y déposent de la paille ou des fumiers (A. d. I.-et-V. C. 2378. Ordon. de 1783), y laissent des arbres abattus (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 4 septembre 1723), y entassent des bois, que de temps en temps l'administration ordonne d'enlever et qu'elle confisque et vend quand ils n'ont pas disparu dans les délais fixés (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 18 novembre 1740).

Des obstacles plus grands encore au bon état des routes, c'est la négligence des corvoyeurs [Note : A. d. I.-et-V. C. 2272. Gratifications et indemnités au sieur Frignet, et plus haut, fin du chapitre III], qui font de mauvais travail, c'est l'absence de cantonniers [Note : A la fin du siècle quelques personnes sentirent la nécessité de créer des cantonniers. En 1787, un Mémoire propose, en cas de suppression de la corvée, d'établir sur les routes « des ouvriers stationnaires qui seront entretenus à l'année » (A. d. C.-d.-N. C. 96. Mémoire sur les routes de la province de Bretagne, 11 janvier 1787)]. Une route demande des réparations quotidiennes ; la corvée n'appelait les corvoyeurs qu'à certains moments de l'année ; elle ne pouvait suffire à l'entretien et au bon état des grands chemins.

(J. Letaconnoux).

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