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L'ETABLISSEMENT DU RÉGIME DE LA CORVÉE EN BRETAGNE au XVIIIème siècle

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De la corvée et de son établissement. — Les fonds votés par les Etats étaient entièrement absorbés par les traitements du personnel des ponts et chaussées et par les travaux à prix d'argent, adjugés à des entrepreneurs. Mais ces travaux à prix d'argent — qui, d'ailleurs, ne furent pas toujours mis en adjudication [Note : Pour se débarrasser des entrepreneurs, qu'on accusait d'être trop exigeants, on renonçait parfois aux adjudications pour recourir au système dit « d'économie ». Ce système consistait à faire exécuter par les corvoyeurs, à prix réduit, gratuitement même, les travaux ordinairement entrepris par les adjudicataires. (A. d. I-et-V. C. 2264. Mémoire de la Commission intermédiaire, 31 juillet, 1737)] — étaient assez limités puisqu'ils ne comprenaient que les travaux d'art [Note : Le nombre des travaux mis en adjudication diminua rapidement. On chargea bientôt de l'extraction des pierres les corvoyeurs, et une ordonnance du 6 décembre 1734 arrêta « qu'il ne serait fait à l'avenir d'adjudication que pour les ponts, ponceaux et pavés dans les lieux où il serait nécessaire d'en faire » (A. d. I-et-V. C. 2261)]. Tous les autres travaux, l’aplanissement, l’empierrernent et l'entretien des routes, la construction des accotements et des fossés, l'extraction de la pierre, le transport des matériaux, étaient des « travaux de corvée ». Ces travaux de corvée, étaient exécutés par les contribuables ou corvoyeurs.

La corvée était essentiellement gratuite et obligatoire : Les corvoyeurs étaient réquisitionnés pour ouvrir ou réparer les routes et n'avaient droit à aucun salaire. Parfois, cependant, dans la première moitié du siècle, ils refusèrent de se rendre sur les chemins sous prétexte qu'on ne voulait pas les indemniser de leur travail ; mais une ordonnance de l'intendant, en les invitant à se soumettre sous peine d'amende, venait leur rappeler que les « corvées devaient être purement gratuites tant par l'intérêt personnel des particuliers qui en étaient tenus que par rapport à l'utilité publique... » (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 28 mai 1731).

L'introduction de la corvée en Bretagne date du XVIIIème siècle. Elle ne remonte pas plus haut, comme pourrait le laisser supposer une lettre-mémoire d'un membre de la commission des grands chemins, qui écrivait : « La corvée au surplus n'est point de nouvelle institution, ce n'est point une imagination de la nouvelle administration. La corvée est connue en Bretagne depuis qu'il y a des chemins  » (A. d. I-et-V. C. 1713).

L'auteur de cette lettre assimilait sans doute à la corvée les prestations en nature exigibles au temps de Colbert et sous ses successeurs. Ces prestations n'étaient demandées que de loin en loin, pour quelques réparations de routes ou pour quelque construction extraordinaire, et elles étaient rétribuées [Note : Elles furent demandées notamment. en 1689, en 1699 (Ordon. 21 avril 1699), en juin 1730 (Ordon. 16 juin 1730). (A. d. I.-et-V. C. 2261)].

Elles furent quelquefois dures ; en 1689, par exemple, pour élever les fortifications de Brest, on tira des paroisses environnantes, dans un rayon de vingt, vingt-cinq et même trente lieues, une foule de paysans qui se trouvèrent jusqu'à dix-huit mille et vingt mille ensemble sur les chantiers. Il y eut des abus : « ce que je trouve à redire, écrit l'intendant à ce sujet, est que l'on n'a point dressé d'estat au contrôle des paroisses d'où l'on devoit tirer les hommes et les charrettes, suivant le plus on moins de la force des unes et des autres, en sorte qu'on ne sait pas pourquoy on a tiré de l'une quatre et cinq cents hommes d'une autre plus ou moins, et de là il se connoist à présent qu'on a trop poussé des paroisses sur le nombre des habitans qu'on en a fait venir, et que d'autres ont esté bien mieux traitées, et dont on auroit pu retirer davantage... J'ay marqué aussy les mauvais traitements qu'ont reçus tous ces pauvres gens, et comme ils ont perdu partie de leur paye, en les faisant attendre pour la recevoir, et comme les capitaines et souvent les recteurs mesme des paroisses ont consommé en voyages et mauvaises dépenses ce qui estoit dû aux paysans qui avoient travaillé.. » [Note : Lettre de M. de Pommereu au Contrôleur général, 4 juin 1689, dans Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux..., t. II, p. 185]. Mais en général les prestations ainsi exigées étaient légères, et si ces menues réparations effectuées d'ordinaire par l'ensemble des habitants dans l'étendue du territoire de la commune ou des communes voisines sont une des origines de la corvée, il ne faudrait pas les assimiler à. la corvée, qui, à partir de 1730, fut exigée régulièrement pour la réparation ou la, construction des grands chemins [Note : Des Cilleuls, Origine et développement du régime des travaux publics en France..., p. 39].

C'est le 23 décembre 1730 [Note : Autant qu'il m'a été possible d'établir une date. Il y a peu de documents sur l'établissement de la corvée aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, et ils sont contradictoires. D'après un mémoire (Observations sur l'administration des chemins, A. d. I.-et-V. C. 2267) postérieur à 1780 « les travaux de corvée n'auraient commencé à avoir lieu que vers 1736 ». Mais cette affirmation est démentie par l'ordonnance du 28 mai 1731 qui rappelle la gratuité de la corvée, par l'ordonnance du 23 décembre 1730 qui semble bien recommander la corvée comme une innovation et par un mémoire de 1754 qui donne quelques notes rapides sur l'administration des grands chemins et sur la corvée, et qui commence ainsi : « Lors de l'établissement des corvées en 1730... » (A. d. I.-et-V. C. 2407). Gohier (Mémoire pour le Tiers-Etat de Bretagne, 1789, p. 103) fixe aussi l'introduction de la corvée dans la province au 23 décembre 1730. D'après une ordonnance de l'intendant, du 10 août 1783, ce serait en janvier 1724 que la corvée aurait été introduite en Bretagne : « L'arrêt du Conseil du 11 janvier 1724 qui fait la loi dans la province pour la corvée des grands chemins y assujettit les administrateurs des hôpitaux... » (A. d. I.-et-V. C. 2378, f° Clisson, 1776-83). C'est le seul document que j'ai vu qui donne cette date, je n'ai pas trouvé l'arrêt du Conseil en question ; un document de cette importance aurait du pourtant être conservé dans les archives de l'intendance. Est-ce par erreur alors que l'intendant a écrit janvier 1724 ? C'est possible, car à plusieurs reprises j'ai constaté que les intendants, qui rappelaient une ordonnance confirmée ou annulée par eux, qui citaient un règlement antérieur, le faisaient sans exactitude... Est-ce à la corvée payée, exigée de temps en temps avant 1730, que fait allusion cet arrêt de 1724 ? C'est possible encore ; c'est même l'hypothèse la plus acceptable à moins qu'on eût, ce que je n'ai pu savoir, essayé avant 1730 d'appliquer partiellement la corvée. En tout cas, si la corvée avait été introduite en Bretagne en 1724, on ne s'expliquerait pas l'ordonnance de décembre 1730, ou tout au moins on ne s'expliquerait pas comment cette ordonnance ne rappelle pas l'arrêt de 1724. Enfin si l'on songe qu'Orry est entré au Contrôle général en mars 1730 et qu'il s'occupa aussitôt de propager le système des corvées dans les provinces, l'introduction de la corvée à la date de 1730 ne nous surprend pas. L'intendant de Bretagne dut se ranger à l'avis d'Orry avec d'autant plus d'empressement que les fonds des grands chemins étaient plus limités et que l'état des routes était plus mauvais] que l'application de la corvée en Bretagne fut décidée par une ordonnance du duc d'Estrées et de l'intendant, de La Tour. « L'utilité des corvées, disait l'article XV de cette ordonnance, ayant été reconnue dans tous les pays où elles ont été mises en usage, non seulement pour accélérer le travail mais encore pour augmenter les ouvrages et en diminuer la dépense ; il en sera ordonné autant qu'elles seront jugées nécessaires dans les temps qu'il n'y a point d'occupation à la campagne, soit pour les semences soit pour les récoltes, en observant de choisir les paroisses de proche en proche qui seront le plus à portée et de commander tous les voituriers et journaliers chacun à leur tour et ordre sur les rolles qui seront arrêtés sans exception ni préférence, en prenant au surplus toutes les mesures pour que lesdites corvées ne soient à charge aux paroisses que le moins qu'il sera possible » (A. d. I-et-V. C. 2261. Ordon. 23 décembre 1730).

La corvée fut introduite en Bretagne de la même manière et à la même époque que dans le reste du royaume. C'est aux intendants en effet, et surtout à Orry le contrôleur général des finances qu'est due l'application de la corvée dans des provinces où elle n'existait pas au XVIIème siècle.

Au XVIIème siècle la corvée n'était employée que dans les provinces frontières, comme l'Alsace, la Franche-Comté, le Hainaut, l'Artois, le Dauphiné, où elle n'avait d'ailleurs le plus souvent qu'un caractère extraordinaire. Elle gagna rapidement les autres provinces parce que partout elle parut un moyen économique d'entretenir les routes qui, faute d'argent, étaient négligées. Un des partisans les plus zélés des corvées fut Orry, qui avait été successivement intendant des généralités de Soissons et de Valenciennes, où il avait lui-même appliqué la corvée, et qui arriva au contrôle général en mars 1730. Il préconisa aux intendants un système qu'il avait pu apprécier ; ses conseils furent écoutés ; on les suivait dèjà quand parut un Mémoire imprimé, mais anonyme, sur la conduite du travail par corvées : ce mémoire qui commençait ainsi : « Il est impossible de parvenir à l'entière réparation des chemins sans le travail des corvées... » [Note : Cf. Vignon, Etudes historiques sur l'administration des voies publiques en France aux XVIIème et XIIIème siècles… — Boyé, Les Travaux publics et le régime des corvées en Lorraine au XVIIIème siècle — Anonyme, De l'importance et de la nécessité des chemins publics en France...] fut envoyé à tous-les intendants et ingénieurs des provinces. Le 13 juin 1738, les règles posées dans ce mémoire furent confirmées par une Instruction d'Orry, qui en modifia quelques-unes. Désormais la corvée devint une mesure générale ; mais ce qu'il faut bien remarquer, c'est qu'elle ne le devint pas à la suite d'une loi, mais d'une simple circulaire du contrôleur général ; elle se transforma en institution « d'une façon pour ainsi dire subreptice et sans qu'aucun acte législatif lui eût jamais donné une existence ouvertement légale » (E.-J.-M. Vignon, op. cit., t. I, 76). Cela fut surtout sensible en Bretagne, qui était un pays d'État. La corvée y fut mise en vigueur en vertu d'une ordonnance de l'intendant, « il ne paroit pas que les Etats ayent été consultés sur cet objet ni qu'aucun arrêt du conseil leur ait attribué la moindre inspection en cette matière, les travaux ont été ordonnés, répartis et exécutés d'autorité des commissaires du roi et on ne voit pas que les Etats ayent eu la moindre part aux premiers règlements faits à ce sujet » (A. d. I.-et-V. C. 2267. Observations sur l'administration des chemins).

En Bretagne la corvée jouit d'une grande faveur auprès des intendants et des Etats, au moins à l’origine. A la fin du siècle, quelques intendants sentirent que la corvée était une source d'abus, elle était aussi un obstacle à la bonne construction et au bon état des chemins (A. d. I.-et-V. C. 2272. Gratifications et indemnités au sieur Frignet) ; mais tout d'abord les Etat qui, eux, restèrent toujours partisans des travaux par corvées, adoptèrent sans réserve un système permettant de rejeter sur les paysans une partie des charges de la province, et les intendants virent dans la corvée le moyen de suppléer à l'insuffisance des sommes affectées par les Etats aux grands chemins. Dès 1732 les députés des Etats étendent la corvée à des travaux ordinairement mis en adjudication, qu'ils font faire par « économie ». Pour se justifier de leur conduite, ils soutiennent que les ouvrages « faits par économie sont infiniment meilleurs que les ouvrages rendus par les adjudicataires », qu'ils coûtent une fois moins à la province que les autres, puisque chaque toise faite par adjudication monte à 100 sols ou à 6 francs, tandis que la toise faite par économie ne revient qu'à 50 sols ou à un écu (A. d. I.-et-V. C. 3798. Mémoire de 1732 présenté par les députés des Etats... Commission intermédiaire, Registre des délibérations pour l'année 1732).

Il semble qu'au début on ait montré de la modération dans l'emploi des corvées : en 1738, le contrôleur général écrit au commandant en chef de Brancas qu'il est surpris qu'on n'ait pas entrepris la réparation de certaines routes et il ajoute : « Il n'en est pas des ouvrages qui se font à corvées ainsy que de ceux qui se font à prix d'argent... ; » les sommes votées limitent l'étendue des travaux « au lieu qu'à l'égard des ouvrages qui se font à corvées, on peut non seulement en entreprendre plusieurs à la fois, mais il convient même d'en user ainsy... » (A. d. I.-et-V. C. 2264. Lettre du 7 décembre 1738). Les intendants pensèrent bientôt comme le contrôleur général ; ils ne se firent pas scrupule d'user et d'abuser des corvées dont, par leurs ordonnances, ils fixèrent peu à peu le régime.

Législation de la corvée avant 1754. — Il s'en faut de beaucoup que la législation des corvées ait été fixée du premier coup en Bretagne et qu'elle n'ait pas varié dans tout le cours du XVIIIème siècle. Il y a deux périodes assez nettes dans l'histoire de cette législation. De 1730, date de l'établissement de la corvée, à 1754, s'écoule une période de tâtonnements ; on assiste à des expériences, des essais fréquemment répétés, qui modifient à chaque instant le régime de la corvée : les ordonnances se multiplient, se confirmant ou se détruisant les unes les autres. En 1754, le duc d'Aiguillon promulgue une ordonnance capitale, l'ordonnance du 5 novembre 1754, qui fixe le régime des corvées, arrête les obligations des corvoyeurs, remanie le personnel des ponts et chaussées et annule les ordonnances précédentes, dont elle n'a retenu que quelques dispositions.

Quand on introduit en 1730 la corvée, on inaugure deux façons d'employer les corvoyeurs : ou ceux-ci travaillent sous la conduite de piqueurs payés par la province, ou ils sont mis à la disposition des entrepreneurs qui se sont rendus adjudicataires de certains ouvrages à condition de se servir des corvoyeurs (A. d. I.-et-V. C. 2407. Mémoire sur la corvée de 1754). Dans le premier cas, les corvoyeurs se munissent d'outils, la province ne leur fournit que les barres et la poudre nécessaires pour les « escarpements de montagnes » (A. d. I.-et-V. G: 2261. Ordon. 18 janvier 1738 (art. IV). Ordon. 6 décembre 1734 (art. V)) ; dans le second, comme l'arrête l'article X de l'ordonnance du 19 décembre 1732, les entrepreneurs doivent fournir aux corvoyeurs qu'ils dirigent les tombereaux, brouettes, pics et pelles dont on a donné le modèle (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 19 décembre 1732 et 6 décembre 1734). Ce double mode d'emploi subsista jusqu'en 1734. A cette époque on trouva que les entrepreneurs abusaient des corvoyeurs. Ceux-ci ne devaient faire pour les entrepreneurs que des ouvrages déterminés à l'avance ; mais les adjudicataires exigeaient des corvoyeurs « au delà de ce qu'ils devaient » (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 19 déc. 1732 (art. XVI) ; A. d. I.et-V. C. 2407. Mémoire sur la corvée de 1754). Aussi renonça-t-on à employer les corvoyeurs sous la conduite des entrepreneurs auxquels on ne laissa que les ouvrages de maçonnerie. Les corveyeurs travaillèrent dès lors sous la seule surveillance des piqueurs et sous la direction des Lamballais qui leur apprirent à construire une chaussée à faire les fossés et les accotements (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 6 déc. 1734).

Tout d'abord les corvoyeurs travaillèrent en bandes, et les paroisses ensemble [Note : Pourtant l'ordonnance du 19 déc. 1732 (art. XII) portait : « On fixera l'étendue du chemin à faire par chaque paroisse en tenant compte de la difficulté de l'ouvrage et du nombre des corvoyeurs de la paroisse ». La même ordonnance (art. XXXVIII) prescrivait à l'ingénieur de poser « une borne taillée carrée, dure, de six pieds en total de hauteur, de treize à quatorze pouces d'épaisseur de tous sens, qui sera enfoncée de douze pieds dans la terre maçonnée tout autour, sur laquelle sera gravée aux deux cotez opposés le nom des deux paroisses auxquelles elle servira de limite pour ledit entretien ». Ces articles, s'ils eussent été exécutés, eussent rendu la répartition des travaux plus équitable, mais ils ne le furent pas, et dès le 16 mars 1734 les routes étaient divisées en stations où plusieurs paroisses travaillaient ensemble]. Les routes furent divisées en stations et les stations subdivisées en ateliers. A chaque atelier on affecta un certain nombre de paroisses riveraines (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 16 mars 1734). La route de Rennes à Ingrandes par Nantes fut divisée, par exemple, en six stations, subdivisées elles-mêmes en vingt-huit ateliers. Nous avons le rôle des corvoyeurs employés sur cette route pour vingt-six ateliers : le nombre total des corvoyeurs appelés par jour sur ces vingt-six ateliers était de deux cent trente-quatre (A. d. I.-et-V. C. 2261. Route de Rennes à Ingrandes-Ateliers).

Bientôt on s'aperçut des inconvénients qu'entraînait ce travail en commun : toutes les paroisses ne montraient pas le même zèle et la même régularité ; le travail fourni par chacune des paroisses se trouvait être fort inégal, par suite de l'assiduité des unes, de la paresse des autres. Des paroisses réclamèrent et demandèrent « pour éviter que les plus assidus ne fissent la besogne des paresseux » qu'on leur fixât une tâche dans les ateliers. Le 20 mars 1736, le commissaire départi accéda à leur requête et ordonna de déterminer la tâche de chaque paroisse ; cette tâche devait être faite dans un délai fixé ; le général de la paroisse, en cas de retard, serait déclaré responsable (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordonnance du 20 mars 1736). Cette mesure de l'intendant fut approuvée et généralisée par un arrêt du Conseil d'Etat du 5 novembre 1737 : le roi décidait qu'il serait à l'avenir fixé une tâche à chaque paroisse affectée à la réparation des chemins, et, il confirmait la distribution des tâches que l'intendant, de sa propre autorité, avait déjà faite sur les routes de Rennes à Vitré, de Vitré à la Gravelle, de Rennes à Nantes et de Nantes à Ingrandes [Note : A. d. I-et-V. C. 2261. Arrêt du Conseil d'Etat du 5 nov. 1727. D'après cet arrêt, il est probable que les paroisses qui avaient réclamé la tâche étaient celles affectées aux routes de Rennes à Vitré, de Vitré à La Gravelle, de Rennes à Nantes et de Nantes à Ingrandes, car ce sont elles qui ont bénéficié les premières de la nouvelle mesure].

L'établissement de la tâche était un progrès et il donna d'excellents résultats. Il déplut pourtant aux commissaires des Etats, qui le critiquèrent. Ceux-ci prétendirent qu'avec la tâche il y avait eu moins de travail et plus de dépenses : l'intendant répondit que, malgré les entraves apportées par les commissaires à l'exécution de son ordonnance, on avait fait plus d'ouvrage en trois mois avec la tâche que jadis dans vingt mois avec l'ancien régime, et qu'il n'y avait pas eu « sol d'amende » de prononcé contre les corvoyeurs qui « auparavant étoient ruinés par les amendes ». Et l'intendant, à l'appui de ses dires, donnait des chiffres, qui prouvaient la supériorité du nouveau régime. Du 1er août 1734 à la fin d'avril 1736 il avait été fait :
4.218 toises de levées ;
12.949 toises d'élargissement ayant coûté plus de 20.000 livr.

Avec la tâche, depuis la fin d'avril 1736 à août 1736, on avait fait :
4.524 toises de levées ;
10.034 toises d'élargissement n'ayant coûté que 10.000 liv. (A. d. I.-et-V. C. 2264. Lettre de l'Intendant du 31 août 1736).

Durée des travaux. — A quelle époque s'effectuaient les travaux de corvée ? On peut dire que la corvée fut d'abord exigible toute l'année, sauf pendant le temps des moissons. L'ordonnance du 19 décembre 1732 arrêtait que les corvoyeurs ne pourraient être appelés « pendant la moisson, les semences, le transport des foins ou autres récoltes suivant l'usage des lieux » (art. XIII) (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 19 déc. 1732) ; en 1734, l'intendant ordonne de n'interrompre les travaux de corvée que pendant deux mois, du 1er août au 30 septembre, mais recommande toutefois d'avancer ou de retarder les deux mois suivant l'exigence des lieux (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 6 déc. 1734) (art. VIII) ; la durée des travaux était donc fixée à dix mois par an. Cette durée énorme est réduite en 1738 à quatre mois, et on distingue des travaux d'hiver et des travaux d'été : en hiver, c'est-à-dire en janvier et en février, les paroisses tireront la pierre, la toiseront et la voitureront ; en été, c'est-à-dire du 15 mai au 1er août, elles travailleront aux réparations du chemin. On les laisse libres d'ailleurs de prendre les arrangements qu'elles voudront : si elles peuvent extraire en huit jours la quantité de pierre qui leur est nécessaire, elles seront quittes de la corvée d'hiver ; on ne leur demande que d'avoir accompli leur tâche à l'expiration du délai fixé (A. d. I.-et-V. C. 2261 Arrêt du 18 janv. 1738 ; A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 18 déc. 1738). C'était là une conséquence de l'établissement de la tâche par paroisse.

Des corvoyeurs. — Les gens soumis à la corvée des grands chemins sont dits « corvoyeurs ». Tous ceux qui sont sujets au casernement, même les femmes et les mineurs taxés à vingt sols de capitation, doivent, de 18 à 50 ans [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. des 8 et 20 avril 1731. Il semble que l'âge n'exempte pas de la corvée. On voit des corvoyeurs soumis à la corvée jusque dans un âge très avancé. En 1784 Pierre Bonnefoy, qui a été vingt-quatre ans député de Credin, n'est déchargé de cet impôt qu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. (A. d. I.-et-V. C. 2426, f° Credin, 1775-84). Dans une requête adressée à l'intendant en 1775, le sieur Hauteville Le Hir, receveur des droits de l'Amirauté à Lochrist, appuie sa demande d'exemption de plusieurs raisons, mais il dit notamment « qu'il est plus que septuagénaire et qu'à cet âge tout individu est affranchi par la loy de toute espèce de corvée ». On lui accorda l'exemption, non en raison de son âge, mais à cause de sa qualité de receveur. (A. d. I.-et-V. C. 2424, 10 Lochrist). Enfin dans une réponse à la requête d'une dame Gigon qui, pour se faire dispenser, arguait de son grand âge (soixante-dix-sept ans), le général de la paroisse de La Mézière écrit : « ... Comme l'âge n'exempte point de la corvée, du moins qu'on la fasse faire... » (A. d. I.-et-V. C. 2414, f° La Mézière)], fournir la corvée. Les uns doivent la corvée personnelle ; les autres la corvée de harnais ; d'autres peuvent se faire remplacer par un ouvrier, condition que leur remplaçant ne soit ni un vieillard, ni une femme, ni un enfant hors d'état de travailler (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 16 mars 1734 (art. II et III)). Le nombre des corvoyeurs est donc considérable. En 1753, l'ingénieur en chef l'évaluait à 225.000 (A. N. H. 457. Mémoire de l'ingénieur en chef de Grandmaison, 3 avril 1753).

Le nombre des corvoyeurs, que chaque paroisse fournit, est fixé d'après le rôle des contribuables au casernement, de façon à ne pas appeler plus de deux fois par mois chaque corvoyeur sur l'atelier. Les corvoyeurs de harnais, c'est-à-dire ceux qui possèdent un harnais et qui doivent le mettre au service de la corvée, peuvent être commandés pour la « corvée à bras » quand il n'est pas besoin de voiturer des terres ou des pierres. Quand, au contraire, les harnais sont indispensables, on réduit de deux hommes par harnais le nombre de corvoyeurs à demander à chaque paroisse (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 6 déc. 1734 (art. VII et IX)). D'après une ordonnance de 1738, on ne peut réquisitionner moins du quart de tous les harnais de la paroisse à la fois (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 20 nov. prise après l'arrêt du Conseil du 18 janvier 1738).

En 1731, ce sont les représentants du général, les syndics, trésoriers et marguilliers, qui dressent l'état de tous les journaliers et manœuvres de leur paroisse, capables de travailler, depuis 18 ans jusqu'à 50 ans, et l'état de tous les charretiers, voituriers et autres ayant des chevaux de charge ; qui désignent les harnais appartenant à un seul propriétaire et ceux qui n'ont été formés qu'en réunissant les bêtes de plusieurs laboureurs (A. d. I.-et-V. C. 2261 Ordon. 8 avril 1731). Ces états sont adressés au subdélégué de l'intendant, qui arrête les rôles des journaliers et voituriers à commander pour la corvée (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 8 avril 1731). C'est d'après ces rôles que les trésoriers et les fabriciens désignent chaque semaine le nombre de corvoyeurs qu'ils sont obligés de fournir par jour. Le rôle, qu'ils dressent ainsi, est publié après la messe paroissiale, huit jours avant « son exécution » ; et un double en est remis au piqueur (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 16 mars 1734).

En 1737, lors de l'établissement de la tâche par paroisse, on donne au général la faculté de prendre les dispositions qu'il voudra pourvu que la paroisse effectue sa tâche (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 18 mai 1738 (cf. le Préambule)) ; toutefois les dispositions prises doivent être approuvées par l'intendant (A. d. I.-et-V. C. 2261. Arrêt du Conseil du 5 nov. 1737). Dès lors le général surveille et dirige les corvoyeurs par le moyen de députés et de syndics, qu'il doit élire. Ces députés et ces syndics sont choisis parmi « Les officiers de judicature et autres personnes sachant écrire » (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 20 nov. 1738). Le nombre de ces députés varia : en 1745, on nomme au moins un député par frairie, dîmerie, trait, cordelée ou autre portion de paroisse ou trêve. En général, il y a un député par trente hommes : quand deux frairies ne possèdent pas chacune quinze contribuables, on les réunit et on leur donne un député commun (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 20 déc. 1745). En 1751, on diminue le nombre des députés ; on n'en élit plus qu'un par soixante hommes (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 17 janvier 175). Aussitôt nommés, les députés sont tenus de se rendre, tous ensemble sur le chemin, aux lieu et jour indiqués par l'ingénieur ou l'inspecteur, qui les renseigne sur la nature et l'emplacement de l'ouvrage assigné à leur paroisse, et qui leur donne toutes les indications utiles (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 20 nov. 1738). Puis ils demandent, aux trésoriers, marguilliers, fabriciens et procureurs terriens, une copie fidèle dûment signée — du rôle de la capitation de la proisse; arrêtent le nombre de journaliers et de charretiers, qu'ils jugent à propos de commander, soit par jour, soit par semaine ; inscrivent le tout sur des registres spéciaux, en remettent une copie aux trésoriers et aux marguilliers... qui les font publier à l'issue de la messe paroissiale (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 18 mai 1738). Tous les dimanches ils s'assemblent et délibèrent « tant sur les moiens » propres à accélérer les travaux, « que pour se rendre compte du nombre de journaliers et de harnois » employés la semaine précédente et du travail déjà accompli. Selon que la tâche est plus ou moins avancée et que le moment fixé pour la livrer est plus ou moins rapproché, ils diminuent ou augmentent les équipes de journaliers et de charretiers. En un mot, c'est aux députés en corps qu'il appartient désormais « de faire tous les arrangemens requis et nécessaires pour l'exécution des travaux imposés à leurs paroisses ... » [Note : Les trésoriers, marguilliers, fabriciens ou procureurs terriens ne se laissèrent pas dépouiller de leurs anciennes attributions sans protester. Il y eut conflit de compétence entre eux et les députés. Ils prétendirent, en qualité de représentants du général, composer la liste des corvoyeurs à appeler par jour ou par semaine et prendre toutes les mesures nécessaires à l'exécution de la tâche de la paroisse. Les députés soutinrent que, choisis par le général parmi les plus notables et les plus intelligents pour surveiller les travaux, on s'était déchargé sur eux des soins que demandait l'exécution de la tâche fixée et que d'ailleurs les trésoriers, marguilliers... ne pouvaient pas comme eux être constamment sur les ateliers. L'ordonnance de Camus de Pontcarré, du 18 mai 1738, donna raison aux députés].

Nombre des journées de travail demandées à chaque corvoyeur. — Tous les corvoyeurs n'ont pas le même chemin à parcourir pour se rendre sur l'atelier. Ne sont assujetties à la corvée que les paroisses riveraines ; mais ces paroisses sont plus ou moins éloignées de la route à réparer ou à construire. Au delà d'une certaine distance, qui varia jusqu'en 1754, on ne peut réquisitionner les paroisses. En 1731, « sont sujettes à la corvée les paroisses ou trêves dont les charretiers et les journaliers peuvent, quand la journée de travail est terminée, retourner coucher chez eux » (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. des 8 et 20 avril 1731). Cette façon de désigner les paroisses corvéables dut donner lieu à de nombreuses contestations ; elle permettait de faire des réquisitions arbitraires. En 1732, intervient une ordonnance plus précise, qui enjoint de « n'envoyer jamais les corvoyeurs à plus de deux lieues de distance de l'ouvrage » (art. XII) (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 19 déc. 1732 (art. XII)). Cette ordonnance fut mal interprétée ; les généraux des paroisses mesurèrent la distance du clocher de la paroisse au chemin et prétendirent être exempts de la corvée quand leur clocher se trouva à plus de deux lieues de l'atelier. Ils se trompaient. Une ordonnance du 6 décembre 1734 vint dissiper leur erreur, en expliquant l'ordonnance de 1732. Dès lors toute paroissé, dont une partie quelconque n'était pas éloignée de plus de deux lieues du chemin où on travaillait, fut tenue d'y envoyer des corvoyeurs, même quand son clocher était à deux lieues et demie ou trois lieues (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 6 déc. 1734 (art. VI)). En 1738, un arrêt du Conseil d'Etat ordonna de modifier ce régime. Informé que les harnais des paroisses situées à deux lieues des chemins « où l'on a travaillé et où l'on pourra travailler à l'avenir » ne pourront suffire au charroi de la pierre nécessaire, que des harnais appelés de plus loin ne sauraient retourner coucher chez eux, mais qu'en demeurant plusieurs jours sur l'atelier ils feraient beaucoup plus d'ouvrage et pourraient remplir leur tâche en une seule fois, le roi permit de convoquer les harnais de toutes les paroisses dans un rayon de quatre lieues et de les garder plusieurs jours sur les chantiers (A. d. I.-et-V. C. 2261. Arrêt du Conseil 18 janv. 1738). Le 20 novembre de la même année, le duc de Brancas et l'intendant Camus de Pontcarré appliquèrent l'arrêt du Conseil ; ils décidèrent que les harnais, qui auraient un trajet de plus de deux lieues à parcourir ; resteraient trois jours entiers sur l'atelier ; en conséquence ils recommandèrent aux corvoyeurs d'apporter avec eux leur nourriture et celle de leurs bestiaux, les autorisèrent à exiger un logement des habitants des bourgs, villages, hameaux et maisons sis dans le voisinage du chemin, tout en leur défendant de « déloger ou déposséder les propriétaires de leurs lits ou les bestiaux de leurs étables ; » ils leur enjoignirent, quand la place manquerait, de se contenter de la place au feu et à la chandelle et de parquer leurs bestiaux dans les granges ou cours et, à défaut de granges et de cours, dans les « issues et environs desdits bourgs, villages, hameaux et maisons » [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 20 nov. 1738. Il ne s'agit ici, semble-t-il, que des corvoyeurs de harnais. Parmi les corvoyeurs qu'on appelait ainsi dans un rayon de quatre lieues, les corvoyeurs de bras ne sont pas désignés]. Le 16 mars 1750, une ordonnance renouvelait ces dispositions [Note : A. d. I.-et-V. C. 1773. Lettre d'un membre de la Commission des grands chemins].

Quant au nombre de jours que les corvoyeurs de bras devaient fournir par an, il n'est guère possible de le préciser. En 1731, on arrête que les corvoyeurs marcheront à tour de rôle et qu'avant d'appeler un corvoyeur une seconde fois tous les journaliers et les voituriers devront avoir fourni un premier jour de travail (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. des 8 et 20 avril 1731). En 1734 on limite le nombre de jours à deux par mois ; comme, à cette époque la corvée ne chôme que pendant deux mois — août et septembre — on peut donc exiger par an de chaque corvoyeur vingt journées de travail (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 6 déc. 1734 (art. VII)). A partir de 1737, il est probable qu'il y eut une transformation. On a fixé une tâche à chaque paroisse et cette tâche, qui comporte deux espèces de travaux, extraction et transport des matériaux, entretien de la route, doit être accomplie dans un temps déterminé, quatre mois ; on est donc forcé d'appeler les corvoyeurs de bras plus de deux fois par mois.

Durée de la journée de travail. — Au jour prescrit, les corvoyeurs doivent se rendre à l'atelier. En 1734, ils y restent de six heures du matin à six heures du soir ; ils ont une pause de une heure et demie pour prendre leurs repas. Ceux qui prennent plus d'une heure et demie de repos ou qui travaillent négligemment et lentement sont regardés comme « défaillans » c'est-à-dire qu'ils encourent une amende en général de trois livres pour les corvoyeurs de bras et de dix livres pour les corvoyeurs de harnais.

Les corvoyeurs ne peuvent se présenter n'importe quel jour : ceux qui ne se trouvent pas sur l'atelier au jour indiqué ne peuvent racheter leur absence par une journée ultérieure de travail. A cette époque, c'est le piqueur qui, matin et soir, fait l'appel des corvoyeurs compris dans les rôles, signale les absents et compte parmi les défaillants ceux qui sont arrivés en retard et ceux qui ont quitté l'atelier trop tôt (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 16 mars 1734). En 1751, la durée de la journée de travail est quelque peu diminuée, tout au moins sur les chemins de Lesneven à Landerneau, de Rennes à Redon : en été, au printemps et au commencement de l'automne, elle va de huit heures du matin, au plus tard, à cinq heures du soir, avec une suspension de une heure et demie ; hiver et à la fin de l’automne ; de neuf heures du matin à trois heures et demie du soir, avec une pause de une heure seulement [Note : A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 22 janv. 1751 (art. XXV). Cette ordonnance ne nomme expressément que les corvoyeurs affectés aux chemins de Lesneven à Landerneau, de Rennes à Redon ; elle ne paraît pas avoir eu une portée générale]. A partir de 1738, les députés sont obligés d'être journellement sur les chantiers pour diriger les corvoyeurs et les harnais ; ce sont eux qui font alors l'appel : ils tiennent un registre où ils marquent, chaque jour, les absents, et, parmi les corroyeurs présents, ceux qui ont travaillé et ceux qui n'ont pas voulu s'employer (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 20 nov. 1738).

Ordonnances du 5 novembre 1754 et du 30 octobre 1757 (A. d. I.-et-V. C. 2263). — Ces ordonnances sont capitales pour l'histoire de la corvée en Bretagne. Elles marquent le début d'un nouveau régime. La première fut l'œuvre du commandant, duc d'Aiguillon ; la seconde est due à la collaboration du duc et des Etats [Note : Les Etats prirent — plus ou moins sincèrement — la défense des corvoyeurs en 1757. Ils demandèrent que la corvée fût proportionnelle à la capitation et que les paroisses distantes de plus de deux lieues de l'atelier fussent exemptes de la corvée. Le gouverneur l'accorda d'autant plus facilement qu'il en avait déjà décidé ainsi en 1754. Les ordonnances rendues en 1757 furent — ce que désiraient surtout les Etats — concertées entre la Commission intermédiaire et le Commandant].

A son arrivée dans la province, le duc d'Aiguillon se rendit compte de la confusion qui régnait dans le service et de l'inefficacité des règles en vigueur. Il résolut d'y remédier. Dans ce but il étudia les mesures édictées par ses prédécesseurs et entreprit de réunir et de condenser dans une seule ordonnance, qui serait pour ainsi dire le Code de la Corvée, les multiples règlements rendus en la matière, d'y ajouter les dispositions qu'il jugerait utiles et d'y apporter les modifications que nécessitaient les abus révélés par l'expérience. Ce code fut l'ordonnance du 5 novembre 1754.

Cette ordonnance, complétée par celle du 30 octobre 1757, et légèrement remaniée par les successeurs de d'Aiguillon, subsista jusqu'à la fin de l'Ancien Régime [Note : Quand, en 1785, l'administration des grands chemins fut donnée aux Etats, on ne promulgua pas de nouveaux règlements. L'article VI de l'arrêt, qui attribuait aux Etats l'ancienne juridiction de l'intendant, portait « que les règlements relatifs aux ouvrages de la corvée continueraient d'être exécutés jusqu'à ce que l'expérience ou de nouvelles réflexions ayent instruits les Etats du changement qu'il conviendra y faire... ». L'arrêt, en outre, subordonnait toute application de nouveaux règlements à l'approbation du roi. Chardel, Administration de ta Commission intermédiaire, t. III, p. 757].

Elle déterminait la forme et la construction des chemins, les fonctions et la composition du personnel ; arrêtait des règlements de voirie et — ce qui nous intéresse le plus — fixait les obligations respectives des généraux de paroisses, des députés et des corvoyeurs.

Des corvoyeurs. — Tous les habitants sujets au casernement qu'ils demeurent à la campagne sans y faire valoir de terres ou qu'ils résident à la ville tout en faisant valoir des biens à la campagne, sont également soumis à la corvée, au prorata, les uns de la capitation qu'ils paient dans leur paroisse, les autres du revenu des terres qu'ils font labourer dans la même paroisse (article XXI) [Note : Toutes les fois que je signalerai l'article sans nommer l'ordonnance, il s'agira de l'ordon. du 5 nov. 1754]. Cette mesure est une mesure équitable ; elle établit l'égalité des bourgeois des villes et des paysans devant la corvée. Lors de l'introduction de la corvée en Bretagne, en effet, c'est en vain qu'on avait essayé de l'imposer aux villes [Note : A. Dupuy, Etudes sur l'administration municipale en Bretagne au XVIIIème siècle, p. 258].

En 1757, la tâche des habitants des villes, propriétaires à la campagne, est fixée à une toise de chemin par cinquante livres de revenu. — Les corvoyeurs qui, à l'expiration de leur bail, vont occuper une nouvelle ferme dans une autre paroisse ; ceux qui abandonnent la campagne pour la ville ; ceux enfin, qui obtiennent des commissions entraînant l'exemption de la corvée, ne peuvent délaisser la tâche qui leur a été fixée, si celle-ci, après examen, n'a pas été trouvée « aussi avancée que celle des habitans de ladite paroisse ; qui se sont le mieux acquittés de leurs obligations » (article XXXVII). De plus, les campagnards, qui se retirent dans les villes, restent soumis pendant quatre ans à la corvée (ordonn. de 1757). Enfin les héritiers d'un corvoyeur, dont la tâche est inachevée, doivent, avant de recueillir la succession, remplir les obligations du défunt. S'ils renoncent à l'héritage, ou si le mort ne laisse aucun bien, la tâche de ce dernier est supportée en commun par les autres contribuables (article XXXVIII).

Les travaux de corvée commencent au 1er mars, s'arrêtent au 15 juillet, reprennent le 15 octobre pour être suspendus le 15 décembre (article XXVII). Les travaux sont interrompus les jours de foire et de marché. La reprise et la cessation des travaux sont avancées ou retardées selon que la saison et les travaux de chaque région l'exigent [Note : Cf. aussi : Réponse de MM. les Commissaires du roi. Travaux publics. Règlements pour les grands chemins, pp. 44-45 (B. M. R., 124, E. 21)].

Les paroisses affectées à la corvée ne peuvent être éloignées du chemin de plus de deux lieues (ordonn. de 1757) ; quand on commande des paroisses à deux lieues et demie, on diminue leur tâche d'un cinquième [Note : A. d. I.-et-V. C. 1773. Lettre d'un membre de la Commission des grands chemins].

La distribution des tâches est heureusement modifiée. Le travail en commun est abandonné : la tâche de chaque paroisse est en effet subdivisée entre les corvoyeurs, au marc la livre de la capitation [Note : En 1745 (Ordon. 20 déc. 1745. A. d. I.-et-V. C. 2262), la faculté de subdiviser les tâches au marc la livre de la capitation avait été donnée aux députés, mais c'est bien en 1754 que fut introduite la subdivision obligatoire des tâches entre les corvoyeurs au marc la livre de la capitation. D'après un mémoire des Etats (Additions demandées par les Etats à Règlement des Ponts et Chaussées, 1770. A. d. I.-et-V. C. 2265), on pourrait croire que c'est en 1757 seulement et, sur leur demande qu'elle fut établie. Les Etats semblent ignorer l'ordonnance de 1754 dont ils ne parlent jamais, quand il s'agit de la répartition au marc la livre... En 1765, par exemple, quand les Etats distinguent entre la tâche d'empierrement et celle d'entretien, et décident, contrairement à l'ordonnance de 1754, que la tâche d'entretien tout entière doit être répartie entre les corvoyeurs, la noblesse réclama le maintien de l'ordonnance de 1757 (Administration de la Commission intermédiaire, t. III, p. 621. B. M. R.). Mais cette ordonnance n'est qu'une confirmation de celle de 1754. On peut supposer que l'article XXXIII ne fut pas ou fut peu appliqué. Ceci expliquerait que les Etats, en 1757, aient demandé la subdivision des tâches au marc la livre de la capitation. Ayant des prétentions à l'administration des grands chemins, ils affectèrent de ne pas connaître l'ordonnance de 1754, prise par l'intendant seul, et ne voulurent tenir compte que de l'ordonnance de 1757 qu'ils avaient suscitée.], par les ingénieurs (article XXXIII), en présence des gentilshommes et des notables de la paroisse (Réponse de MM. les Commissaires du Roi) ; les ingénieurs, dans cette répartition, tiennent compte de la plus ou moins grande difficulté du travail « afin que celui auquel il sera échu une mauvaise partie de chemin n'ait pas la même quantité de toises courantes à faire que celui qui se trouvera sur un bon terrain », et adressent au commandant et à l'intendant, qui doivent l'approuver, un état de cette répartition (art. XXXIII) ; chaque corvoyeur ne doit être chargé que d'une toise de chemin par 20 sols de capitation (ordonnance de 1757) [Note : Ce système donna de bons résultats : « En 1753 (cf. lettre d'un membre de la Commission des grands chemins. A. d. I.-et-V. C. 1773) il n'y avait pas une route à sa perfection, quoique la plupart de celles qui étaient alors ouvertes l'eussent été dès 1732, et cela parce que tout se faisait en commun et, que rien ne s'achevait. C'est donc un grand avantage, tant pour le public que pour les corvoyeurs, qu'on ait distribué à ces derniers des tâches particulières et qu'on leur ait déterminé un temps pour les faire... »] ; les parties de chemin, qui ne sont pas distribuées, soit parce que le nombre de toises à répartir est supérieur au nombre de livres de capitation, soit parce que les paroisses riveraines sont trop peu peuplées ou trop éloignées, sont faites ou réparées aux frais de la province ; mais si les fonds viennent à faire défaut, on peut appeler les paroisses éloignées de plus de deux lieues et imposer un excédent de travail aux paroisses riveraines (ordonnance de 1757).

Certains travaux [Note : Les travaux nécessaires pour l'ouverture des routes, l'alignement, l'élargissement des chemins, l'aplanissement du terrain, les remblais...] ne peuvent être subdivisés entre les corvoyeurs qui sont obligés d'y travailler en commun ; on prend soin alors de ne pas demander à tous les corvoyeurs le même nombre de journées, mais de les imposer selon le taux de leur capitation. Ceux qui paient 10 livres de capitation fournissent dix journées, ceux qui ne sont capités qu'à 20 sols n'en font qu'une (art. XIV) ; les.enfants au-dessous de dix-huit ans, les femmes et les filles, si elles ne peuvent accomplir la même besogne que les autres corvoyeurs, ne sont pas admises à travailler aux ouvrages en commun (Idem).

Il est interdit de charger les corvoyeurs de tous les travaux indistinctement, des « escarpements de rochers », des « aplanissements de montagnes », des ponts et ponceaux... [Note : L'article XIII de l'ordonnance du 20 novembre 1738, ordonnait, d'employer les corvoyeurs à tous les travaux] Les ponts et les ouvrages d'art sont faits par des adjudicataires et payés sur le fonds des grands chemins ; les sommes disponibles après le paiement des travaux à prix d'argent sont affectées à l'extraction de la pierre nécessaire à la construction du chemin. Les corvoyeurs « remuent » seulement les terres et charrient les matériaux (ordonn. de 1757).

Les corvoyeurs de harnais, c'est-à-dire ceux qui ont charrettes, boeufs et chevaux, n'ont point de tâches fixes ; ils sont tenus de voiturer les matériaux sur la réquisition des ingénieurs et des députés (article XXXIV) [Note : En 1732 (Ordon. du 19 déc.), quand les matériaux étaient à plus d'une lieue du chemin, on évitait autant que possible d'employer à leur transport les corvoyeurs d'une seule paroisse ; on préférait les faire voiturer de proche en proche par les corvoyeurs des communautés les plus voisines. Les ordonnances de 1754 et de 1757 ne contiennent pas de semblables dispositions] ; la tâche qui leur incombe d'après la répartition des travaux, suivant le rôle de la capitation, retombe sur les corvoyeurs de bras ; pourtant, dans le cas où les harnais sont inutiles, ils doivent effectuer cette tâche (ordonn. de 1757). Etant donné que le nombre de harnais varie avec les paroisses, qu'il y en a beaucoup dans quelques-unes et très peu dans d'autres, l'ingénieur, après avoir dressé un état des harnais que peuvent fournir les paroisses de son département, avec les noms et le montant de la capitation des charretiers, voituriers et bouviers, subdivise entre les corvoyeurs la quantité de matériaux à voiturer dans l'étendue de son département ; quand les harnais d'un département ne sont pas suffisants pour transporter les matériaux
Demandés, l'ingénieur de ce département, après entente avec ses collègues, prend dans les départements voisins, s'ils ont plus de harnais qu'ils n'en ont besoin, les charrettes, bœufs et chevaux qui lui manquent (art. XXXIV). Les corvoyeurs de harnais reçoivent, pendant la durée des travaux, une indemnité pour la nourriture de leurs bestiaux (ordonn. de 1757). Les corvoyeurs qui, au jour fixé, ne se trouvent pas sur l'atelier, doivent justifier leur absence : en cas de maladie ou d'affaires pressantes, ils fournissent plus tard autant de journées qu'ils en ont manquées (art. XXVIII).

Des députés et syndics. — Ce sont toujours les généraux qui élisent les députés et les syndics, chargés de mener au travail et de surveiller les corvoyeurs de la paroisse (art. XX) ; qui vérifient les rôles des contribuables à la corvée, y inscrivent ceux qu'on a pu omettre et ceux qui sont nouveaux venus dans la paroisse [Note : « Chaque habitant, ajoutait, l'article XXII, étant intéressé à la découverte desdites omissions, sera reçu à nous découvrir ceux qui par ménagement ne se trouveront point compris dans les rolles des corvoyeurs »] (art. XXII) ; qui signalent sur une copie du rôle de la capitation la profession de chaque habitant, dressent un état des corvoyeurs de bras et des corvoyeurs de harnais (art. XXIII).

Les députés sont élus à raison de un par soixante corvoyeurs, choisis de préférence parmi les officiers de judicature et, à défaut de ceux-ci, parmi les habitants les plus intelligents, sachant lire et écrire. Toutefois, les trésoriers et marguilliers en charge, les receveurs de la capitation, du casernement.... et autres privilégiés (art. XXI) ne peuvent être nommés députés. Munis des rôles, que leur remettent les généraux, les députés conduisent les corvoyeurs à l'atelier, y reçoivent les instructions des ingénieurs ou autres employés des ponts et chaussées, font travailler les corvoyeurs (art. XXVII), tiennent un rôle, dont ils remettent le double aux ingénieurs, des absents, des mutins ou des paresseux (art. XXVI), doivent suivre scrupuleusement tous les ordres des ingénieurs relatifs à la forme et à la solidité des travaux. Ils sont obligés d'être constamment sur les chantiers, de s'acquitter par eux-mêmes de leurs fonctions, sans pouvoir se faire « remplacer ni substituer par qui que ce soit » (art. XXIX) ; la maladie ou des affaires pressantes seules peuvent excuser leur absence (arts XXVIII) ; en cas d'absence légitime, ils sont remplacés par un corvoyeur choisi, par le préposé à la réparation du chemin, parmi les plus capables (art. XXIX) ; en cas d'absence injustifiée ou de négligence, ils encourent chacun une amende de douze livres (art. XXX).

De plus, les généraux des paroisses élisent un syndic des grands chemins, pris, comme les députés, parmi les notables (ordonn. de 1757), sachant lire et écrire, et, semble-t-il, capité au moins à dix livres [Note : A. d. I-et-V. C. 2289. Note de l'ingémeur Aufray, du 3 juillet 1784, f° Lannion, 1761-84]. Mais les généraux ont soin de ne le prendre, comme les députés d'ailleurs, que parmi les notables imposés à moins de dix livres ; c'est qu'en effet « un député (comme un syndic) qui payerait, par exemple, 18 livres de capitation, se trouvant exempt d'une forte tâche, deviendroit une charge pour les autres corvoyeurs » (A. Dupuy, op. cit., p. 263), car les députés et syndics, qui remplissent avec zèle leurs fonctions, sont exempts de la corvée personnelle des grands chemins, du transport des bagages des troupes, du logement des gens de guerre « et autres de cette espèce » (ordonn. de 1757) [Note : En 1785, les députés de Locminé demandèrent que l'eau-de-vie leur fût délivrée au prix des privilégiés. Leur demande ne fut pas écoutée. La même année, les commissaires de Vannes proposèrent d'exempter du tirage au sort pour la milice le fils aîné ou, à défaut d'enfants, l'un des domestiques des syndics et des députés. Je ne sais si l'exemption fut accordée. (A. d. I.-et-V. C. 4717. Registre ..., pp. 93 et 116)].

Les députés sont en quelque sorte subordonnés au syndic, dont les fonctions sont moins lourdes. Le syndic en effet, s'il « est obligé quelquefois de s'assurer par lui-même de l'état de la route » (A. Dupuy, op. cit., p. 135), n'est pas, comme les députés, sur l'atelier pendant tout le temps des travaux. Son rôle est avant tout de recevoir les devis et instructions relatifs à la tâche de la paroisse, de les communiquer aux députés, d'écouter les députés, qui l'instruisent tous les quinze jours, des progrès ou des retards des travaux, lui indiquent les défaillants, dont il adresse, deux fois par mois, la liste à l'intendant. Le syndic, en un mot, est un intermédiaire entre l'intendant, les ingénieurs et les députés, un intermédiaire responsable qui, s'il montre de la négligence ou de la partialité, s'expose à payer les contraventions faites par les ingénieurs en tournée, à la place des corvoyeurs qu'il n'a pas signalés (ordonn. de 1757).

Cette législation de la corvée, telle que l'avaient faite les ordonnances de 1754 et de 1757, était, sur bien des points, un adoucissement à celle qu'on avait suivie dans la première moitié du siècle ; elle témoignait du souci d'établir plus d'égalité, de diminuer l'arbitraire des députés et des ingénieurs. De plus elle mettait fin à une période de tâtonnements et de confusion pour l'administration des grands chemins et de la corvée [Note : A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. 5 nov. 1754 et 30 oct. 1757. Cf. aussi Marion, La Bretagne et le duc d'Aiguillon].

(J. Letaconnoux).

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