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COMMENT LES CORVOYEURS OBSERVENT-ILS LES ORDONNANCES RELATIVES A LA CORVÉE ?

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Difficulté d'application. — Si, jusqu'en 1754, il y eut tant d'ordonnances rendues sur l'administration des grands chemins et sur le régime de la corvée, et si, après 1754, l'ordonnance de d'Aiguillon est si souvent renouvelée par d'Aiguillon lui-même et par ses successeurs, c'est que les règlements relatifs à la corvée ne sont pas ou sont très mal observés par les corvoyeurs qui opposent aux employés des ponts et chaussées l'inertie ou la résistance. A aucun moment on n'a pu voir sur les chemins de Bretagne le spectacle, que l'auteur d'un livre anonyme [Note : De d'importance et de la nécessité des chemins publics en France ainsi que des moyens les plus propres à leur exécution, Amsterdam, 1777], paru en 1777, prétend avoir vu. « J'ai vu, dit cet auteur, des atteliers de sept à huit cents hommes, conduits par un seul homme, et tous ces gens travailler avec une gaieté et une ardeur, qui n'auroit pas été plus grande, s'ils avoient été payés bien chers ». Jamais non plus — et on peut s'en rendre compte en parcourant les ordonnances qui prononcent des amendes ou autres peines contre les paroisses — on n'a pu en Bretagne distinguer entre les habitants des petites villes assujettis aux corvées et les gens de la campagne, et dire que les uns étaient « difficultueux et portés à murmurer, sur le plus léger prétexte » [Note : De d'importance et de la nécessité des chemins publics en France ainsi que des moyens les plus propres à leur exécution, Amsterdam, 1777, et l'auteur ajoutait : « On voit des cordonniers, des tailleurs mal-aisés venir sur les atteliers montrer leur maladresse à remuer la terre, faisant peu d'ouvrage en beaucoup de temps et, ennuyés de leur travail remplir les cabarets, enfin se décourageant beaucoup en rendant peu de services »], et les autres « plus sobres, exercés à la forte peine, approvisionnés d'outils et accoutumés à les manier et plus dociles à suivre ce qui leur est prescrit ». Les campagnards bretons sont loin d'être dociles : quand ils obéissent, ce n'est qu'en murmurant. Parfois ils ont des moments de révolte : dans le département de Pontivy, quand l'ingénieur Saint-Jullien voulut faire élargir des chemins de traverse pour construire des routes, il rencontra les plus vives difficultés ; les campagnards firent même le projet de le tuer. Attaqué, Saint-Jullien eût été perdu sans ses pistolets, qui intimidèrent et arrêtèrent les corvoyeurs (A. d. I.-et-V. C. 2270. Pensions de retraites, 1772-1784). A chaque instant les ingénieurs se plaignent de ne pas trouver chez les corvoyeurs le zèle et la docilité qu'ils attendent d'eux ; et Lebret résumait très bien la situation quand il disait : « Quelque chose que l'on puisse faire, la corvée sera toujours fort difficile et fort embarrassante à faire aller dans ce pays-ci » (A. d. I.-et-V. C. 2266. Lettre de l'intendant à d'Aiguillon, 1758).

Négligence des corvoyeurs. — Quand les corvoyeurs se résignent à se rendre sur l'atelier et à travailler, ils s'acquittent de leur besogne avec lenteur et négligence et se dispensent de suivre dans la construction du chemin, toutes les fois qu'ils le peuvent, les recommandations des ingénieurs ; ce n'est qu'au prix d'une surveillance incessante qu'on peut les empêcher d'employer dans les recharges de la terre et du sable gras (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 17 mars 1764). En 1782, l'intendant attribue en partie à la corvée le mauvais état des chemins et, pour lui, qui dit, travaux faits par corvée dit travaux faits « avec peu de soin » (A. d. I-et-V. C. 2272. Gratifications et indemnités au sieur Frignet).

L'extraction des pierres donne lieu à de nombreux abus. Au lieu de travailler dans les carrières que leur indiquent les ingénieurs et qui sont quelquefois éloignées de leur tâche, les corvoyeurs ouvrent des carrières, sans autorisation, dans les champs voisins, où l'extraction est plus facile, et souvent jusque dans les fossés du chemin (A. d. I-et-V. C. 2273. Etat de situation des routes du département de Nantes 1769) ; leur provision faite, ils vendent la pierre qu'ils ont extraite et dont ils n'ont pas besoin (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 7 juin 1751). Il arrive même que des corvoyeurs ne se donnent pas la peine de tirer la pierre qui leur est nécessaire, mais qu'ils enlèvent, comme à Médréac, des pierres de démolition entassées dans les champs d'un sieur Lorin, directeur et receveur général des domaines du roi, et qu'ils défoncent des chemins de traverse reliant des châteaux au grand chemin, pour s'emparer de la pierre qu'on y a mise (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 29 mai 1773).

Refus de la corvée. — Souvent, ce qui est plus grave, les corvoyeurs refusent de se soumettre à la corvée ou abandonnent les ateliers avant l'achèvement des travaux. — Quelquefois ils cherchent des prétextes pour justifier leur désobéissance : les corvoyeurs de la paroisse de Rezé, affectée à la route de Nantes à Machecoul, négligent, en 1769, leur tâche « disant que le charroi du gravier que la ville prend pour la banlieue de La Rochelle et qui passe par cette route, écrase leur recharge, et qu'ils attendent que ce charroi soit fini pour la recharger ». Les corvoyeurs de Blain travaillent très peu à la route de Blain à Ancenis ; ils allèguent qu'il est inutile de réparer le chemin si l'on n'y construit pas de ponts [Note : A. d. I.-et-V. C. 2273. Etat de situation des routes du département de Nantes en 1769]. Le 13 novembre 1747, un entrepreneur chargé de la construction des ponts, ponceaux et remblais sur la route de Guingamp à Brest, se plaint que les corvoyeurs des paroisses riveraines, non seulement s'abstiennent de « caillouter les remblais des abords desdits ponts et ponceaux, mais encore semblent prétendre n'y être point, tenus, et soutiennent que ce doit être audit entrepreneur à faire lesdits cailloutages » (A. d. I.-et-V. C. 2289. F° Landivisiau, 1747). Dans le département de Nantes, où il semble que la majorité des corvoyeurs était mutine et paresseuse, suivant les expressions de l'ingénieur, qui s'en plaint fréquemment, les corvoyeurs de Saint-Cyr et de Bourgneuf, affectés à la route du Port-Saint-Père à Bourgneuf et à l'embranchement de la route de Machecoul délaissent l'atelier pendant plus d'un an, et, quand on leur demande de travailler, ils répondent qu'ils n'ont pas de pain [Note : A. d. I.-et-V. C. 2273. Etat de situation des routes du département de Nantes en 1769.]. Ce prétexte valait mieux que celui qu'invoquaient les corvoyeurs de la route de Brest, de Belle-Isle au Ponthou et, du Ponthou à Landivisiau, qui désobéissaient aux ordres du subdélégué de l'intendant parce qu'ils dépendaient, prétendaient-ils, d'autres subdélégués (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 22 janvier 1751).

Le plus souvent les corvoyeurs désobéissent et ne présentent aucune excuse. Les paroisses ne fournissent pas le nombre de corvoyeurs prescrit : en 1734, Châteaubourg fournit 8 hommes au lieu de 12 par jour, Broons 4 au lieu de 6, Cornillé 2 au lieu de 9, Champeaux 4 au lieu de 6, Domloup 3 au lieu de 6 (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 5 mai 1734) ; sur la route de Rennes à Saint-Brieuc, Parthenay 1 au lieu de 4, Breteil 7 au lieu de 14, Caulnes 6 au lieu de 22, Yvignac 11 au lieu de 21, Saint-Jouan 4 au lieu de 7, La Chapelle-Blanche 3 au lieu de 6. De plus, la plupart des corvoyeurs présents ont mérité d'être marqués comme défaillants. Sur la route de Nantes à. Ingrandes, au 31 mai, l'atelier est désert depuis le 8 : la paroisse de Saint-Julien-de-Concelles, qui fournissait 33 hommes par jour, n'a travaillé que 2 semaines; celle de la Chapelle-Basse-Mer, qui en fournissait 37, n'a donné que 3 semaines ; celle de Basse-Goulaine, qui envoyait 13 corvoyeurs, s'est retirée au bout de 4 semaines (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 31 mai 1734). On a beau sévir, faire quelques exemples ; on ne réussit pas à assurer le fonctionnement régulier de la corvée. Sur la seule route de Rennes à Nantes, la même année, l'ingénieur Loiseleur relève 42 rôles de défaillants dans les paroisses de Noyal-sur-Seiche, Châtillon, Saint-Jacques-de-la-Lande, Vern, Chartres, Saint-Armel, Saint-Herblon, Bruz, Messac, Sion, Fougeray, Derval, Lusanger, Pierric, Mouais, Jans, Trénon, Guérnéné-Penfao, Saint-Vincent-des-Landes, Marsac, Conquereuil, Nozay, Puseul, Vay, Le Gâvre, Abbaretz, Safray, Blain, Nort, Heric, Fay, Grands-Champs, Vigneux, Orvault, Saint-Herblon et Chantenay (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 31 août 1734).

Parfois les corvoyeurs s'opposent à la publication des rôles [Note : A Quintin, par exemple, en 1746 (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 24 septembre 1746)] ; parfois des paroisses entières ne veulent pas se rendre sur les chemins [Note : En 1749, c'est Plougastel et Ploumanach (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon du 29 juillet 1749)] ; en 1743, la totalité des corvoyeurs de Collinée, sauf les députés et deux contribuables, un homme et une femme, se refusent à fournir la corvée (A. d. I-et-V. C. 2262. Ordon. du 16 janvier 1743) ; en 1751, quatre piqueurs vont au Theil pour indiquer à la paroisse une tâche sur la route de Rennes à Châteaubriant ; les corvoyeurs s'ameutent, sonnent le tocsin et chassent les messagers de malheur. La plupart des paroisses affectées à la construction de la route de Rennes à Paris, laissent leur tâche inachevée. Aux instances des piqueurs, les corvoyeurs répondent « qu'ils trouvent le chemin beau et qu'ils n'y travailleront que lorsqu'ils le jugeront à propos ». Les corvoyeurs de la paroisse de Romillé restent dix ans sans paraître à l'atelier (A. Dupuy, op. cit., pp. 267-68).

Violences commises contre les piqueurs, les syndics et les députés. — Non seulement les corvoyeurs désobéissent aux piqueurs et députés, mais encore ils se livrent sur eux à des actes de violence. Fréquemment des piqueurs sont assaillis par des corvoyeurs inconnus, qui les insultent et les battent. Le 13 octobre 1742, J.-B. Tizon, piqueur de l'atelier de Plélan, est insulté et frappé par un corvoyeur, qui lui fait sauter deux dents. Au lieu d'aider les piqueurs à découvrir leurs agresseurs, les députés cachent les coupables, déroutent les recherches. Les violences sont d'autant plus fréquentes qu'elles sont en général impunies : elles se produisent parfois sous les yeux des députés, qui encouragent les corvoyeurs. Le 16 octobre 1742, Maurice Georgeau, piqueur de l'atelier de Broons, est malmené par les députés de la paroisse de Lanrelas (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 16 janvier 1743.). En 1742, le duc de Brancas et Camus de Pont-Carré durent ordonner aux députés de veiller à ce qu'on respectât les piqueurs, de dénoncer leurs agresseurs, sous peine d'être regardés comme complices et, condamnés comme tels (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 29 décembre 1742).

Les piqueurs ne s'acquittent de leurs fonctions qu'avec peine : quand ils demandent le rôle des corvoyeurs pour le vérifier, on le leur refuse, on leur réclame même le rôle des défaillants des semaines précédentes, et des corvoyeurs, tranches et pelles levées, cherchent à les leur arracher (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 15 juillet 1744).

Les députés et syndics sont eux-mêmes l'objet de violences ; ils s'exposent aux vengeances des contrevenants qu'ils signalent. Le 23 décembre 1767, Martin Rouault, député de Noyal-sur-Seiche, est attaqué, au milieu du domaine de Couasme, par Jacques Clermont, qu'il a fait condamner à la garnison, et qui lui demande de l'argent, le frappe, le blesse au visage, le mord à la main, lui enfonce deux côtes ; Martin Rouault n'est sauvé que par l'intervention d'un passant (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. janvier 1768). Le 20 décembre 1742, Guillaume l'Abbé, député de Sévignac, est insulté et battu par les corvoyeurs (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 16 janvier 1743). En 1783, quatre corvoyeurs de Cuguen injurient leur syndic, essayent de le frapper avec « un instrument de labour », casse sa toise à mesurer les tâches, le traînent par les cheveux, le blessent et le menacent « de lui faire éprouver d'autres maltraitements... » (A. d. I.-et-V. C. 2412. F° Cuguen, 1715-1783).

Incapacité et indocilité des députés et syndics. — Dangereuse et pénible, cette fonction de député et de syndic n'est guère recherchée. Elle l'est d'autant moins que sa durée est indéfinie... Des députés demandent parfois qu'on les décharge de cette fonction après de longs services ; on n'accepte pas leur démission et on les maintient de force (A. d. I.-et-V. C. 4717. Registre...) : « De même que le simple corvoyeur ne cesse point d'être assujetti à remplir sa tâche, écrit en 1773 l'intendant Dupleix, le syndic et le député peuvent être contraints de continuer à exercer des fonctions qui leur tiennent lieu de la tâche qui leur serait imposée comme aux autres corvoyeurs » (Dupuy, op. cit., p. 135). D'après l'ordonnance du 28 décembre 1759, les syndics et députés nommés par les généraux des paroisses ne peuvent être remplacés « qu'en cas de mort, infirmité, changement de paroisse, malversations ou autres causes légitimes, » et avec l'autorisation de l'intendant (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 28 décembre 1759).

Les députés et les syndics ne sont pas toujours choisis avec soin et ne possèdent pas toujours les qualités requises. En Basse-Bretagne surtout les députés sont peu instruits, la plupart connaissent à peine le français, ne savent ni lire ni écrire et sont de plus très indisciplinés (A. d. I.-et-V. C. 4881, passim). De temps en temps l'intendant sévit et fait remplacer les incapables. En 1778, il destitue le syndic de Broons, Yves Ratier (A. d. C. 2420, f° Broons, 1778) ; en 1782, il dépose celui de Bédée, qui est complètement illettré (A. d. I.-et-V. C. 2411, f° Bédée).

Incapables, les députés sont aussi souvent négligents et indociles : ils refusent les rôles des corvoyeurs, les listes de défaillants aux piqueurs, n'appellent pas les corvoyeurs à l'atelier, dispensent de la corvée leurs parents et amis, les parents des membres du général, s'absentent de l'atelier, se désintéressent de toute surveillance, laissent les corvoyeurs arriver sur les chantiers à onze heures et repartir à midi ou à une heure (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 18 avril 1749).

Désobéissance des généraux. — Les généraux eux-mêmes, dans les premiers temps de la corvée, donnent l'exemple de la désobéissance : ils ne dressent et n'envoient pas ou n'envoient qu'au dernier moment les rôles de la capitation et les listes de corvoyeurs qu'on leur demande. Le 5 mai 1734, les trésoriers de plusieurs paroisses sont punis pour n'avoir pas fourni les listes des contribuables à la corvée (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 28 juin 1734) ; le 5 mai 1735, l'intendant est averti que les trésoriers de la paroisse de Lanrelas.

Qui ne fournit que quinze hommes au lieu de vingt-deux « n'ont jamais voulu comprendre dans leurs rolles le nombre de corvoyeurs leur ordonné » (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 5 mai 1735). Quelques généraux vont même plus loin, et, comme celui de Sion, exemptent de la corvée un tiers des habitants (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. 5 mai 1734).

Oublieux des prescriptions de 1754, 1757 et 1759, les généraux, dont quelques-uns sont recrutés, comme au Ponthou, dans trois familles, qui ont soin de s'élire réciproquement, destituent, quand ils en sont mécontents, les députés et les remplacent par des gens à leur dévotion (A. d. I.-et-V. C. 2291. Ordon. de 1782). On en voit qui, comme le général du Bas-Paimboeuf, affectent « d'établir pour députés les gens les moins faits pour l'être ». Au Bas-Paimboeuf, en 1769, sur huit députés, sept sont « perruquiers... ne sont point sur leurs atelliers et ne se trouvent point aux visites, disant qu'ils ne connaissent rien aux travaux » (A. d. I.-et-V. C. 2273. Etat de situation des routes du département de Nantes, 1769). Des généraux refusent même d'élire des syndics et des députés : l'intendant est alors obligé d'en désigner d'office. C'est ce qui arriva en 1778 à Broons où l'intendant dut nommer d'office aux fonctions de syndic le sieur Jacques Picquet, notaire et procureur (A. d. I.-et-V. C. 2420, f° Broons, 1778), et aussi à Saint-Cyr et à Bourgneuf, en 1785, où le corps délibérant s'obstinait à ne pas choisir de syndic. (A. d. I.-et-V. C. 4717. Ordon. du 10 juin 1785).

Des peines et de leur inefficacité. — Pour vaincre la négligence et la résistance des généraux, des députés et des corvoyeurs, les ordonnances font suivre toujours les prescriptions de l'énumération des peines qui doivent frapper les contrevenants. Le tarif des peines est très variable ; l'intendant prononce arbitrairement, aggrave ou diminue la peine selon l'importance plus ou moins grande du délit. La sévérité est nécessaire parfois, car l'impunité aurait de fâcheux résultats ; les corvoyeurs présents sur l'atelier déclarent aux ingénieurs qu'ils ne « viendront plus désormais travailler à la corvée, si les peines portées par les ordonnances ne sont pas exécutées contre ceux qui affectent non seulement de n'y pas venir, mais qui se moquent encore de ceux qui obéissent » (A. d. I-et-V. C. 2261. Ordon. du 31 août 1734). Pourtant il n'est pas toujours facile de punir. Les fermiers des seigneurs, notamment, échappent parfois à toute répression, quand les ingénieurs se laissent intimider par les seigneurs qui leur écrivent : « Ne vous avisez pas à l'avenir de faire punir mes vassaux, autrement vous vous en repentiriez » (A. d. I.-et-V. C. 2273. Distribution des routes, 1755-1757).

La peine la plus communément infligée est celle de l'amende. L'ordonnance du 16 mars 1734 menace les défaillants d'une amende de 3 livres s'ils sont journaliers, de 10 livres s'ils possèdent un harnais (A. d. I-et-V. C. 2261. Ordon. du 16 mars 1734), et celle du 6 décembre de la même année édicte une amende de 20 livres contre les trésoriers et marguilliers qui n'auront pas satisfait à leurs obligations (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 6 déc. 1734) ; mais si, dans certains cas, le taux de l'amende est abaissé, si par exemple les délibérants du général du Ponthou ne se voient infliger que 10 livres d'amende pour avoir révoqué et remplacé leur député sans autorisation de l'intendant (A. d. I.-et-V. C. 2291. Ordon. de 1782), le plus souvent l'amende dépasse le chiffre arrêté par les ordonnances. Au lieu de condamner les corvoyeurs défaillants — qui ont pu désobéir plusieurs fois — à une seule amende de 3 livres ou de 10 livres, on les oblige parfois à payer autant de fois 20 sols d'amende, quand ils sont journaliers, et autant de fois 5 livres quand ils sont charretiers, qu'ils ont manqué de jours (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 21 déc. 1738). Les généraux surtout sont frappés de peines élevées : les amendes de 100, 200 et même 300 livres prononcées contre eux ne sont pas rares. En 1741, les trésoriers et marguilliers, qui négligent de dresser la liste des corvoyeurs commandés pour le transport de la pierre de Saint-Marc à Rennes ou qui omettent dans cette liste quelques harnais, s'exposent à une amende de 100 livres (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 21 mars 1741). En 1747, le général de la paroisse de Roz-Landrieux doit payer 200 livres pour n'avoir pas enjoint à ses députés de donner aux ingénieurs le rôle des corvoyeurs (A. d. I.-et-V. C. 2293. Ordon. de 1747). En 1734, on prescrit aux trésoriers et marguilliers de Sion de ne plus commettre d'irrégularités dans la confection des rôles, sous peine de 100 livres d'amende et d'emprisonnement (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 5 mai 1734). En 1738, le général de Thorigné, dont la tâche est en retard, est condamné à 300 livres d'amende.

Le paiement de l'amende ne dispense pas toujours les corvoyeurs de remplir les obligations auxquelles ils se sont soustraits. Ainsi, en 1738, indépendamment des amendes qu'elles devront payer, les paroisses de Cesson et de Thorigné reçoivent l'ordre de fournir par jour : Cesson 2 députés, 60 corvoyeurs de bras, 12 harnais ; Thorigné 1 député, 12 corvoyeurs de bras et 4 harnais et cela jusqu'à ce que leur tâche soit achevée ; les corvoyeurs devront travailler pendant trois jours consécutifs, de sept heures du matin à cinq heures du soir, sous la surveillance des cavaliers de la maréchaussée qui activeront les travaux, emprisonneront sur-le-champ les « mutins, rebelles et paresseux, » iront chercher les absents et les amèneront à leurs frais et de force sur l'atelier (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 21 novembre 1738). En 1753, une ordonnance enjoint aux corvoyeurs, qui n'ont pas exécuté leur tâche, d'y travailler régulièrement trois jours par semaine jusqu'à ce qu'ils l'aient terminée (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 15 septembre 1753).

D'après l'ordonnance du 16 mars 1734 les délinquants, qui paient volontairement leur amende dans les huit jours, qui suivent la condamnation, entre les mains de l'ancien trésorier de la paroisse, ont droit à une remise : les charretiers de 4 livres, les journaliers de 2 [Note : A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordon. du 16 mars 1734. Le trésorier devait rendre ses comptes tous les mois au subdélégué. (A. d. I.-et-V. Ordon. 16 mars 1753)]. Mais ils sont rares ceux qui s'empressent de payer. D'ordinaire on doit avoir recours, pour assurer la rentrée des amendes, à la maréchaussée, quelquefois même à la vente des meubles, à la garnison, à l'emprisonnement des corvoyeurs (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 21 novembre 1738).

Ce n'est pas sans difficulté d'ailleurs que les cavaliers de la maréchaussée recueillent les amendes ; ils sont obligés de faire plusieurs voyages pour trouver des défaillants qu'ils ne connaissent pas. Quand, dans un village, ils veulent se renseigner, on les trompe, on leur indique une fausse adresse pour donner le temps aux défaillants de fermer leur porte et de s'absenter. En 1742, on doit ordonner aux députés d'indiquer le domicile des défaillants et même de faire conduire les cavaliers par un guide payé sur le produit des amendes à raison de 20 sols par jour. En cas d'absence des défaillants, les cavaliers sont autorisés à ouvrir les portes fermées en présence d'un ou de deux témoins et du guide (A. d. I-et-V. C. 2262. Ordon. du 14 décembre 1742).

Le produit. des amendes est tout d'abord affecté au paiement des cavaliers de la maréchaussée, qui touchent 20 sols par corvoyeur de harnais, 10 sols par corvoyeur de bras (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 4 août 1742) et 30 sols par député défaillant (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 19 mai 1747) ; quelquefois les courses répétées des cavaliers consomment presque tout (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 14 décembre 1742). Ce qui reste est employé de différentes manières : tantôt il est distribué aux corvoyeurs, qui ont montré du zèle et de l'application ; l'ordonnance du 21 mars 1741, par exemple, affecte le produit des amendes, perçues sur les charretiers requis de charrier la pierre de Saint-Marc à Rennes et sur les trésoriers et marguilliers défaillants, au dégrèvement de ceux qui, dans les délais fixés, auront fait quatre voyages, deux de mars à mai et deux de mai à août, et à ceux qui « prouveront avoir été vexés par lesdits trésoriers, marguilliers... ; » (A. d. I.-et-V. C. 2262. Ordon. du 21 mars 1741) tantôt il est destiné à l'entretien de la route ; tantôt encore — ce qui était une façon détournée de le distribuer entre les corvoyeurs auxquels incombaient les tâches des exemptés — il est déposé dans la caisse de chaque paroisse et sert à payer l'exécution des tâches des corvoyeurs « qui, par de justes motifs, ont obtenu la décharge de la corvée » (A. d. I.-et-V. C. 2263. Ordon. du 15 septembre 1753 (art. XLV)).

Quand on ne prononce pas d'amende contre les délinquants, on embauche à leurs frais des ouvriers. On emploie surtout ce procédé quand il s'agit de faire ou de terminer l'ouvrage négligé par les corvoyeurs. Fréquemment on fait curer les fossés, abattre les arbres plantés trop près des chemins par des ouvriers que doivent payer les délinquants ; quelquefois même les tâches abandonnées sont mises en adjudication. Les chefs de route sont autorisés à passer des marchés, en présence des députés, qui les signent, avec des ouvriers qu'ils emploient pour « avancer les tâches dont les propriétaires sont paresseux ou absents ». Ouvriers et journaliers, charretiers et bouviers peuvent être requis, par les employés des ponts et chaussées ou par les adjudicataires, de travailler aux tâches abandonnées et n'ont pas la faculté de refuser. S'ils refusent, on les contraint d'obéir et même on les emprisonne. Toutefois, le travail qu'on leur demande n'est pas gratuit : les ouvriers et les journaliers sont rétribués sur le pied de 10 sols par jour en hiver et de 12 sols en été, les charretiers et bouviers sur le pied de 4 livres 10 sols par chaque charrette attelée de quatre bœufs ou de cinq chevaux [Note : Ordon. du 5 novembre 1754 (art. XXXI). Travaux publics et distribution des routes. (B. M. R, 124, E. 21)].

Une autre façon d'atteindre les contrevenants est la « garnison ». La garnison est à la fois une peine prononcée directement par l'intendant contre un défaillant et un moyen de contrainte exercée contre les corvoyeurs qui, condamnés à l'amende, ne veulent pas payer. Les garnisaires sont des cavaliers de la maréchaussée ou des invalides, qu'on envoie loger chez les corvoyeurs ou les trésoriers et marguilliers récalcitrants, jusqu'au moment où ceux-ci se décident à verser leur amende. Chaque cavalier a droit par jour au pot et au feu, plus à 3 livres; l'invalide ne touche que 30 sols [Note : Ceci nous explique pourquoi, en 1765, en 1770, on demande d'employer de préférence aux cavaliers de la maréchaussée les invalides et les autres troupes. Cf. Caron, Administration des Etats de Bretagne, p. 422, et Mémoire des Etats de 1770. (A. d. I.-et-V. C. 2265)]. Le cavalier, s'il doit toujours accepter le pot et le feu quand on les lui propose, reçoit en plus une indemnité de 20 sols par jour quand on ne veut pas les lui fournir (A. d. I.-et-V. C. 4888. Commission intermédiaire).

La garnison était très impopulaire, mais était-il possible de la supprimer ? En 1770, les Etats offrent, pour la remplacer, de remettre aux syndics un ordre de l'ingénieur « pour faire payer une amende d'un écu aux récalcitrants pendant tout le temps qu'ils ne se rendront pas au travail » (N. L. Caron, op. cit., p. 422). Mais comment donner aux syndics un moyen d'exiger, sans frais de contrainte, les amendes prononcées ? En 1764, quelques membres du Parlement « par zèle pour le public et leurs vassaux ont bien voulu se charger de l'inspection de quelques routes ; » ils n'ont pu se dispenser de recourir aux garnisons et ils en ont établi dans leurs propres paroisses où « leurs ordres, leurs prières n'ont pas suffi pour engager les corvoyeurs à faire leur devoir ». Peut-on, d'autre part, substituer à la garnison la justice ordinaire ? L'auteur de la lettre d'un membre de la Commission des grands chemins ne le croit pas. Il faudrait rendre trop d'arrêts, trop de sentences, payer trop de courses d'huissiers qui, aussi chères que celles de la maréchaussée, n'auraient pas le même effet, car « le paysan craint la visite des habits bleus » [Note : A. d. I.-et-V. C. 1773. Lettre d'un membre de la Commission des grands chemins].

Il est rare en effet que la garnison ne vienne pas à bout de la résistance des corvoyeurs et qu'on ait besoin d'aller jusqu'à l'emprisonnement, à moins toutefois que le défaillant ne soit dans l'impossibilité matérielle de payer son amende. L'emprisonnement est la peine ordinairement infligée aux corvoyeurs, qui se sont livrés à des actes de violence sur la personne des piqueurs, syndics, députés, ou qui les ont insultés. René Macé, corvoyeur de Plénée-Jugon, est condamné en 1785 à quatre jours de prison pour insultes à son député (A. d. I.-et-V. C. 4717. Registre, p. 116, à. la date du 31 mai 1785). En 1783, quatre corvoyeurs de Cuguen font quinze jours de prison pour avoir battu leur syndic (A. d. I.-et-V. C. 2412, f° Cuguen, 1775-1783). La peine est quelquefois beaucoup plus forte et peut atteindre trois mois de prison, indépendamment des dommages-intérêts et des frais (A. d. I.-et-V. C. 2261. Ordonnance du 30 avril 1735).

Il ne faut pas s'abuser sur l'efficacité des peines prononcées contre les corvoyeurs. Ceux-ci, quand ils sont en nombre et qu'ils s'unissent, s'assurent parfois l'impunité. Pour contraindre au travail les corvoyeurs de la paroisse de Romillé, qui désertent leur atelier pendant dix ans, ce n'est pas un cavalier de la maréchaussée qu'il faudrait — les corvoyeurs s'en moquent — mais toute une brigade (A. Dupuy, op. cit., p. 207). Amendes, garnisons, adjudications des travaux abandonnés, prison même, rien n'y fait. Les actes de désobéissance, de révolte, ne sont pas moins fréquents; la négligence et l'inertie des corvoyeurs et des généraux de paroisses sont aussi grandes à la fin du siècle qu'au début. On est impuissant à vaincre la mauvaise volonté des corvoyeurs, à faire observer les ordonnances, surtout les ordonnances relatives à la bonne construction des chemins, et, vers 1782, l'intendant commence à croire qu'il est impossible avec les travaux par corvée d'assurer la solidité et le bon état des routes (A. d. I.-et-V. C. 2272. Gratifications et indemnités au sieur Frignet).

(J. Letaconnoux).

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