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TOMBEAU DU DUC JEAN V. |
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Jean
V, dit le Sage. |
TOMBEAU
DU DUC JEAN V DE BRETAGNE.
« Jean V, qu’on appela le bon duc Jehan de Bretaigne », dit d'Argentré, « décéda sur les deux heures après minuict, vingt huictième jour d'aoust (1442), en la maison de la Tousche, près Nantes, avec grand regret de ses subjects qu'il avait maintenus en paix ».
Le manoir de la Tousche, auquel se rattache ce souvenir historique, existe encore, non plus près de Nantes comme autrefois, c'est-à-dire à un demi-quart de lieue de l'enceinte fortifiée, mais bien dans la ville même, à quelques pas de cette longue rue Voltaire qui tombe à la place Graslin. Il nous a été conservé par un homme de goût, et sa restauration est due à un des plus habiles maîtres qui aient manié de notre temps le vieux style national.
C'est aujourd'hui le seul édifice appartenant à l’architecture civile du XIVème siècle que nous ayons à Nantes. Il se trouve juste en face de la belle construction Dobrée, véritable chef-d’oeuvre d'une époque où l'inspiration du passé remplace avantageusement le goût moderne. Ce palais aux murailles dorées, découpées de baies en granit bleu, semble taillé comme un bijou dans nos rudes pierres de Bretagne. C'est bien une oeuvre à part et qui contraste, trop énergiquement, au goût de bien des gens, avec les combinaisons frelatées du gothique moderne. On y retrouve ce soin consciencieux, cet amour de la sincérité qui lui donnent le même charme qu'aux oeuvres d'autrefois.
Du manoir de la Tousche, le corps du duc fut transporté au château de la Tourneuve. La mise touchant le fait de l'enterrement du duc (Dom Lobineau, t. II, c. 1110) nous a conservé à ce sujet les indications que voici :
« A Pierre Mourandière qui fust au chateau de la Tour Neuve et y veilla avec la vraye croix de Saint Pierre le temps que le corps y fust … Au curé de Sainte-Radegonde [Note : Le château était en la paroisse Sainte-Radegonde] de Nantes, pour avoir présenté le corps … Au collège de Nantes qui fut en procession quérir le corps au chateau de la Tour Neuve … A XVI bacheliers du dit collège qui tout le temps de XVI jours, entre l'enterrement et le service, chantèrent au lutrin … Aux maczons qui furent prins et contraints à faire hastivement la fosse où fut le duc ensepulturé au cueur de Saint–Père de Nantes … A Jehan Durand pour CXXXI de bray pour la châsse de sap. Aux charpentiers, pour une table avec ses bruchets sur quoi fut le corps du duc, avec son habit roïal, à la vue de tous venans au château de la Tour Neuve … » (Compte de Jehan, trésorier de Monseigneur le Duc, du 19 août 1341 au 1er septembre 1344).
D'après ses dernières volontés, Jean V devait être enterré dans la cathédrale de Tréguier. En 1421, il avait dicté le voeu suivant : « De notre propre mouvement, et la très singulière dévotion que nous portons au très glorieux Monseigneur saint Yves, duquel le corps gist en l'église de Tréguier, nous avons eleu et choisi notre sépulture et encore de présent (sous le bon plaisir de Dieu) la choisissons et élisons dans ladite église ».
Il s'éleva au sujet de cette sépulture une violente contestation. Les tombeaux de nos ducs, traités avec tant de dédain deux siècles plus tard par les chapitres ralliés à la cause du gouvernement, étaient alors l'objet d'ardentes convoitises.
A peine Jean V avait-il rendu le dernier soupir qu'arrivaient à Nantes trois procureurs du chapitre de Tréguier chargés de réclamer la dépouille mortelle du prince : c'étaient Jean de Nandillac, Jean Gaedon et Robert Cador. Ils n'étaient pas sans inquiétude, car déjà le chapitre de Nantes avait mis en avant, pour garder la sépulture du duc, que la saison était bien chaude, le voyage bien long, et qu'il y avait danger à transférer le corps en ce moment. Aussi les trois procureurs se hâtent de pénétrer dans la cathédrale, escortés d'un notaire, et trouvant le doyen Raoul de la Moussaye, ils entament aussitôt la lecture de leur procédure. Mais celui-ci les interrompt et les laisse là, objectant que le chapitre seul a droit d'écouter leur requête.
Nos Trégorois reprennent leur promenade dans la cathédrale, cherchant un auditeur plus bénévole ou mieux fondé. En faisant le tour de l'église, ils rencontrent un officiant qui leur apprend que juste en ce moment une assemblée capitulaire se tient dans la bibliothèque du chapitre. Aussitôt Nandillac court, frappe à cette porte, et remet à l'archidiacre Pierre Bogneau la signification dont il était porteur. Puis ils rentrent tous trois dans la cathédrale, où l'on célébrait la grand'messe, et lisent à haute voix leur réclamation.
Sans paraître en tenir aucun compte, l'évêque Jean de Malestroit fait continuer les préparatifs de la cérémonie funèbre. Le lendemain il officiait solennellement pour le repos de l’âme du feu duc, lorsque l'infatigable Nandillac pénètre dans le choeur, et, élevant la voix, s’oppose au nom de Tréguier à ce que le corps de Jean V soit enseveli dans la cathédrale de Nantes.
Le débat devient tumultueux ; la foule, assemblée pour la cérémonie, se mêle à cette étrange dispute ; enfin l'évêque de Saint-Brieuc intervient et obtient un sursis.
Pour rassurer le chapitre de Tréguier, le nouveau duc prit l'engagement suivant : « FRANÇOIS, par la grâce de Dieu duc de Bretagne, etc.., comme nostre très redouté seigneur et père, que Dieu pardoint, eust esleit et ordonné estre inhumé en l'église cathédrale de Tréguier... et sou que ainsi, après le cas advenu du deceds de nostre père, par la grande chaleur de temps qui faisait et autres inconvénients, nous et aulcuns de l'église de Tréguier ayons fait mettre en dépôt le dict corps en l'église de Nantes, en attendant que après le démoliment de sa chair les os fussent portés en la dite église de Tréguier. Scavoir faisons... aux gens de la dite église de Tréguier que, le plus tôt que se pourra, ferons porter à celui lieu les ossements de notre très redouté seigneur et père. Donné en nostre ville de Nantes, le 8ème jour de septembre, l'an 1442 » (Du Paz) (Dom Morice, p. 2, c. 1358).
Cependant l'hiver vint, les saisons succédèrent aux saisons, les années aux années, le duc Pierre II remplaça François Ier et Tréguier attendait toujours le corps de Jean V. Non point patiemment, mais avec des luttes opiniâtres et cette infatigable obstination de Bretons contre Bretons. Si la cathédrale de Nantes avait un légitime désir de conserver le tombeau de ce duc, qui avait posé les premiers fondements de sa nef, plus légitime encore était le droit de la cathédrale de Tréguier, appuyé sur des conventions irrécusables.
Huit ans après la mort de Jean V, pour apaiser les inquiétudes de plus en plus vives des Trégorois, le duc François avait fait ajouter un codicille à son testament le 17 juillet 1450 : « Item ordonnons que le corps de mondit seigneur et père soit porté à Lantreguer, selon l'ordonnance de son testament, devant la Saint-Michel prochainement venant, ou autre temps que plus prochainement et convenablement faire se pourra ».
Mais de nouveaux retards survinrent ; il fallut un procès et les énergiques sollicitations de l'évêque Jean de Ploeuc pour terminer le débat. Un arrêt du Parlement de Bretagne donna enfin gain de cause aux députés de la ville de Tréguier.
Le duc Pierre II et la duchesse Françoise d'Amboise, les seigneurs bretons et le clergé accompagnèrent le corps de Jean V durant ce long voyage. Le convoi s'arrêta à trois lieues de Tréguier, au bourg de Plouec, dont l'église était consacrée à Notre-Dame. Là, le clergé de Tréguier vint à la rencontre du cortège, ayant à sa tête l'évêque Jean de Ploeuc, le chapitre de la cathédrale et les prêtres des paroisses voisines.
Le corps de Jean V fut solennellement déposé dans la chapelle du duc, près du monument qu'il avait élevé en l'honneur de saint Yves.
TOMBEAU DE JEAN. – DESTRUCTION.
Dans la cathédrale de Tréguier, commencée en 1339 sous l'épiscopat de Raoul du Perrier, on voit, au dessous du transept nord, une chapelle à trois travées, connue sous le nom de choeur du Duc ou chapelle Saint-Yves ; elle a été fondée par Jean V le 7 octobre 1420, et les restes du bienheureux saint Yves y furent déposés sous un mausolée décrit par dom Lobineau. C'est là que fut élevé le tombeau de Jean V, près de celui du saint. Malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu découvrir ni description, ni plan, ni dessin du monument de notre duc. Et cependant il existait encore, vers la fin du XVIIIème siècle, malgré le saccage de la ville et de ses monuments par les Anglais en 1346, par les Espagnols en 1592, et par les Ligueurs en 1594. « Les patriotes de la Révolution, dit M. P. Chardin, eurent moins de scrupules. En l'an II de la République, le bataillon révolutionnaire du district d'Etampes, caserné à l'Evêché et au couvent des Ursulines, transforma la cathédrale de Saint-Tugdual et de Saint-Yves en temple de la Raison. Les cloches portant les noms des deux patrons de Tréguier furent fondues pour faire des canons, les statues et autres emblèmes du fanatisme furent détruits, les portes de la sacristie défoncées, et les ornements pontificaux traînés dans les rues de la ville par les soldats ivres : En peu d'heures, dit le continuateur d'Ogée, tout fut ruiné : les autels magnifiques, le mausolée de saint Yves, l'orgue, les statues, les tableaux, tout fut brûlé ou brisé. A ces orgies succéda la guillotine ».
« Le tombeau du duc de Bretagne Jean V fut complètement rasé, comme celui de saint Yves, par cette horde avinée qui en jeta les débris à la mer ».
Peut-être un jour le retrait de la mer, dans les grandes marées, laissera-t-il découvrir quelques fragments du mausolée do Jean V, car j’aime à croire que nos patriotes de la Beauce n'avaient pas poussé bien avant au large. Jusque-là, nous n'aurons à signaler qu'une table de marbre blanc, placée autrefois dans la cathédrale de Nantes et rappelant que le duc Jean V y a été enseveli :
L'AN MIIIIe XLII, LE 29e JOUR D’AOUST
FUT ENSEPULTURÉ CÉANS LE CORPS DE NOSTRE
SEIGNEUR JEAN V, DUC DE BRETAIGNE, LEQUEL
FUT TRANSPORTÉ DANS L'ÉGLISE DE TRÉGUIER
L'AN DU SEIGNEUR MIIIIe L
Bien que cette inscription soit empruntée à l'Histoire lapidaire de Nantes par Fournier (p. 13, recueil suspect à si bon droit), nous avons cependant quelque confiance dans la véracité de cette pièce, à cause même de l'erreur qu'elle contient. La date de 1450, mise pour 1451, tient à ce que l'année, au XVème siècle, commençait à Pâques. Le transport des restes du duc eut lieu en réalité an commencement de 1451, et par conséquent en 1450 pour l'époque. Fournier, qui pillait ses inscriptions anciennes dans nos historiens modernes, n'eût sûrement pas coupé l'année à Pâques, comme on le faisait au XVème siècle (P. de Lisle du Dréneuc).
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