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LA DÉMISSION DU PARLEMENT DE BRETAGNE EN MAI 1765.

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La France ruinée par les suites désastreuses de la guerre de Sept Ans, avait besoin de refaire son trésor ; il fallut donc augmenter les impôts. Déjà les Etats de Bretagne, à la tenue de 1762, avaient refusé une nouvelle imposition de deux vingtièmes, c'est-à-dire, deux sous par livre : le duc d'Aiguillon, Commandant de la province, ne parvint à la faire enregistrer qu'en y mettant, à vrai dire, plus d'habileté que de loyauté. L'opposition venait surtout de la noblesse. Alors le Commandant, pour mettre fin à toute difficulté, entre à l'assemblée et fait enregistrer par commandement formel de Sa Majesté un ordre royal du 12 octobre portant que désormais toute résolution, même en matière d'impôts, serait prise à la majorité de deux ordres sur trois. C'était déchirer du même coup l'antique Constitution bretonne qui demandait l'unanimité. Peu importe, la manoeuvre réussit à merveille : l’Eglise et le Tiers, plus dévoués au gouvernement, concédèrent tout à l'heure le nouvel impôt. La noblesse, unanime dans sa résistance, ne put pas même obtenir l'enregistrement de son opposition ; mais en se séparant elle jeta sur le Parlement de Bretagne un regard de confiance.

Il y avait alors dans le sein du Parlement un homme dont le nom va se trouver mêlé à toutes ces luttes, dernier et suprême effort que va faire la Bretagne pour la défense de son antique. Constitution. Avant de raconter ces événements remarquables, nous devons le faire connaître, car sur lui seul repose à peu près toute l'histoire de ce temps. Déjà sans doute vous l'avez prévu, nous voulons parler du procurer général Louis-René de Caradeuc de la Chalotais.

La famille de la Chalotais, quoiqu'en aient dit ses détracteurs, était noble d'ancienne extraction. Le nom de Caradeuc vient d'une terre que ses descendants possèdent encore à côté de Bécherel ( Chef-lieu de canton du département d'Ille-et-Vilaine) et qui fut érigée en marquisat par Louis XVI ; celui de la Chalotais, d'une petite résidence de campagne, située dans la paroisse de Cesson près Rennes et que les ancêtres de la famille ont habitée vers le XVIème siècle. Aujourd'hui on l'appelle encore la Chalotais : elle appartient en 1881 au docteur Aubrée.

Né au commencement du XVIIIème siècle, grâce à sa naissance, à sa fortune et à ses talents, Louis-René était à 27 ans avocat général auprès du Parlement. En 1751, par suite de la démission de M. Charles Huchet de la Bédoyère, il devenait Procureur général auprès de la même cour. Dans ces deux postes il fit preuve de talents remarquables. Un écrit qu'il composa en 1754 sur la liberté commerciale attira pour la première fois sur lui l'attention publique. Mais là ne se bornaient pas ses aspirations et ses vues : son ambition lui avait fait apercevoir des sommets plus élevés ; pour y parvenir il ne négligera aucun moyen.

En 1761 le Parlement déclara la Compagnie de Jésus une société dangereuse et arrêta d'en examiner les constitutions. C'est alors que la Chalotais fit son fameux compte-rendu dont la composition demanda trois mois et la lecture six jours. Nous ne nous proposons pas ici de juger cette question, encore brûlante aujourd'hui : nous regrettons seulement que M. de la Chalotais, un esprit si noble, se soit fourvoyé dans dette affaire et que de sa prison comme du fond de l'exil il n'ait pas protesté ; lorsqu'à tout prix on voulait le faire passer comme une victime de la vengeance des Jésuites. Ce qui prouve que les génies ont aussi leurs travers. Certes, les Jésuites lui avaient pardonné depuis longtemps et tous ne pouvaient que l'approuver dans cette lutte héroïque qu'il soutint pour la défense des droits de la Bretagne et qui fut l'unique cause de ses malheurs.

Le Parlement était loin d'être opposé aux idées de résistance de la Noblesse des Etats. Les magistrats bretons se sentaient excités et par cette opposition qui remuait leur patriotisme jusqu'au fond de leur âme et par cette bataille que sur tous les points du territoire français les autres classes du Parlement livraient à la monarchie absolue. L'année 1763 fut remplie par ces sortes de luttes qui sapaient par la base l'ancien régime : les Parlements de Grenoble, de Pau, de Toulouse, renchérissant sur celui de Paris, osèrent aller jusqu'à traduire à leur barre, pour les juger, les gouverneurs de Province. Celui de Rennes ne resta pas en arrière. Dès les premiers mois de l'année 1763, en pleine séance et encouragé par une nombreuse assistance, il rédigeait des remontrances où il dénonçait les abus graves et nombreux introduits dans l'administration de la province et le despotisme du duc d'Aiguillon, alors commandant des troupes en Bretagne. Aussi ce dernier, de retour à Rennes, témoigna-t-il un vif sentiment de colère lorsqu'il apprit cette démarche ; il ne put s'empêcher d'en faire d'amers reproches aux magistrats venus selon la coutume pour le complimenter. Ceux-ci, revenus en séance, provoquèrent un arrêté de blâme (Registres secrets du Parlement : arrêt du 8 février 1764) contre le Commandant : le premier Président de la Briffe d'Amilly fut chargé de lui faire savoir combien sa conduite les avait offensés. Le duc d'Aiguillon répondit qu'il tenait trop à l'estime du Parlement pour ne pas être affecté des suppositions qu'on voulait lui prêter ; que s'il avait agi ainsi, c'est qu'il ne pouvait pas supporter plus longtemps de pareilles imputations ; et que pour se justifier il n'avait pas cru devoir attendre une autre circonstance. Sur ces explications la Cour [Note : Quand nous disons simplement la Cour, nous voulons parler du Parlement qu'on appelait indifféremment Cour, Compagnie, Parlement] arrêta qu'il n'y avait pas lieu à délibérer.

Le duc fit ainsi des excuses apparentes et la Cour les reçut de même ; mais déjà l'on pouvait voir que les rapports entre les deux puissances étaient bien tendus et que bientôt ils devaient se rompre.

Au fond du coeur le duc d'Aiguillon en attribuait tout le tort au procureur général la Chalotais, dont personnellement il avait à se plaindre ; il ne craignait même pas de l'accuser ouvertement (Journal du duc d'Aiguillon). En effet, à des rapports longtemps empreints de confiance avait succédé entre le Commandant et le Procureur général une grande froideur. M. de la Chalotais, devenu célèbre par son fameux compte-rendu contre les Jésuites, s'était par suite acquis la faveur du duc de Choiseul et de Mme de Pompadour, près desquels le Commandant l'accusait de le desservir secrètement. Quoiqu'il en soit, le Procureur général, chargé à, la suite de la tenue des Etats de 1762 de poursuivre certains pamphlets secrets où la réputation de M. d'Aiguillon était fort attaquée, fit peu d'efforts devant le Parlement pour obtenir leur condamnation ; aussi n'y réussit-il pas. Certains conseillers osèrent même dire qu'ils seraient fiers d'avoir composé ces écrits qu'on leur demandait de condamner (Etats de Bretagne, par le comte de Carné).

Tous ces griefs, on le conçoit facilement, n'étaient pas propres à renouer des relations amicales entre les deux puissances.

Sur ces entrefaites arriva la célèbre déclaration de Laverdy, contrôleur général, relative à la réforme des finances du royaume. Le 5 juin 1764 le Parlement fut appelé à délibérer sur cet acte gouvernemental. Le roi demandait à tous ses Parlements, chambres des Comptes et Cours des Aides, un mémoire rédigé suivant les vues des magistrats, lui proposant les moyens efficaces d'améliorer ses finances et de rendre les impôts moins onéreux pour ses sujets.

La Cour arrête l'enregistrement de cette déclaration à condition toutefois qu'il ne soit en rien préjudicié aux droits, franchises et libertés de la province. De plus elle demande qu'on ne prolonge pas au-delà de dix ans après la publication de la paix actuelle la levée du premier vingtième ; que les autres vingtièmes, déjà trop onéreux, ne soient augmentés sous aucun prétexte, et que si l'abonnement [Note : On appelait abonnement une somme déterminée que les Etats s'obligeaient à payer au roi pour une imposition quelconque, en se réservant de percevoir eux-mêmes cette imposition en dehors de l'action du gouvernement] cesse, ils soient perçus sur les rôles actuels qui ne doivent pas être augmentés, à peine contre les contrevenants d'être poursuivis extraordinairement ; que ces vingtièmes soient diminués ; que le cadastre général de tous les biens fonds ne soit dressé que si cela ne déroge en rien aux droits particuliers et aux franchises de la province. En outre, la cour arrête qu'une commission sera nommée pour dresser un mémoire sur les différentes impositions, sur le moyen de les perfectionner et de les simplifier, de reconnaître et de réprimer les abus qui se sont introduits successivement dans leur perception, et de les rendre moins onéreuses pour les sujets ; que le roi sera supplié de faire verser dans la caisse d'amortissement le surplus du second vingtième et des deux sous par livre du dixième (Impôts établis avant la tenue des Etats de 1762) après les arrérages payés, de mettre fin à la perception des cinquième et sixièmé sous par livre [Note : Ce sont les vingtièmes qui furent demandés aux Etats et refusés par la noblesse] ; de considérer que la capitation est montée à un taux excessif pour la province, que les corvées ruinent et écrasent le laboureur; qu'elles sont devenues insupportables en Bretagne par la multitude de routes ouvertes, par les ordres violents qui arrachent le laboureur à la culture et à la récolte ; que les frais de milice et de gardes des côtes en temps de paix sont intolérables ; que les communautés de ville voient leurs ressources ruinées sous prétexte d'embellissements ; qu'une pareille situation tarit toutes les sources du commerce dans la province... Le roi est donc supplié d'y mettre un terme en bannissant pour jamais tous les coups d'autorité ; en laissant son Parlement armé du glaive de la justice user de son droit de frapper les coupables de despotisme tel qu'il soit, et en rendant aux Etats leur ancienne constitution déchirée par l'acte du 12 octobre 1762.

Telle est, en résumé, la réponse du Parlement à la déclaration de Laverdy. Le même jour était nommée la commission chargée de dresser le mémoire : elle se composait desprésidents de chaque chambre ; des présidents des deux chambres des enquêtes ; de MM. du Pont, Charette de la Gascherie, Picquet de Montreuil et de Guerry, conseillers ; de MM. Euzenou de Kersalaün, du Boisbaudry, de Poulpiquet de Boispéan, conseillers aux enquêtes ; de MM. Collin, président aux requêtes, et Ravenel conseiller.

On le voit, le Commandant de la province était directement visé dans cette réponse. Trois chefs d'accusation pesaient avant tout sur sa tête : les dépenses exagérées de casernement et d'étapes, l'embellissement des villes et les corvées nécessitées par l'ouverture de routes nombreuses. Nous n'entreprendrons pas de discuter ces griefs ; nous craindrions les longueurs.
Disons seulement que le premier pouvait être fondé, parce que le duc d'Aiguillon avait fait augmenter, au détriment de la constitution bretonne, les troupes de la province ; qu'il ne méritait pas le second, vu qu'il avait souvent combattu ce projet dans des lettres particulières ; quant au troisième, c'est-à-dire, à l'ouverture des routes, personne aujourd'hui ne saurait lui reprocher cette entreprise : toutefois les moyens souvent violents dont il usa expliquent suffisamment ce concert de haine dont le nom seul du duc d'Aiguillon réveille encore le souvenir.

L'acte du 5 juin fit sensation en Bretagne. En vain le Commandant essaya-t-il de se justifier; les dénonciations suivirent leur cours et bientôt fut changée l'opinion publique qui lui était d'abord favorable.

L'effet ne fut pas moins grand à la cour de Versailles. Les ministres, très irrités, jurèrent de ne pas céder devant le Parlement de Bretagne, dont les actes avaient d'autant plus de retentissement que la notabilité de son procureur général était plus connue. En conséquence, le 22 juin le roi enjoignait à un président et à trois conseillers de se rendre près de lui pour l'entendre expliquer ses volontés sur la déclaration du 21 novembre 1763 et sur son enregistrement en son Parlement de Bretagne. Le président de Robien, MM. Charette de la Gascherie, Euzenou de Kersalaün et Picquet de Montreuil furent désignés pour se rendre auprès de Sa Majesté. M. de la Chalotais, mandé personnellement, se rendit à la cour royale avec ces messieurs.

Le roi les reçut à Compiègne, il leur reprocha vivement leur désobéissance et leur infidélité. L'oeuvre de son ministre Laverdy était une oeuvre de conciliation ; il ne comprenait donc pas qu'on pût y mettre des restrictions. Cependant cette audience fut insignifiante quant aux résultats ; elle ne répondit nullement à l'attente très excitée des esprits. Louis XV, en effet, ne désespérant pas encore de voir réussir ses projets, affecta une certaine bienveillance ; il renvoya les députés en leur disant : « Retournez sans délai dire à mon Parlement que je veux que cette affaire n'ait aucune suite ». Mais retenant M. de la Chalotais il lui dit particulièrement : « Changez de conduite, ou vous vous en repentirez, c'est moi qui vous le dis » (Journal du duc d'Aiguillon).

De retour à Rennes les députés rendent compte de leur mission aux chambres assemblées. Les magistrats se montrent pénétrés d'une vive douleur en apprenant que le roi a pu douter un instant de leur fidélité ; mais, trouvant que les ordres de Sa Majesté sont empreints d'imputations flétrissantes, ils arrêtent de nouvelles remontrances.

L'arrêt du 5 juin n'avait pour but que de mettre sous les yeux du roi la misère de son peuple accablé sous le poids des corvées de plus en plus multipliées, malgré toutes les promesses de les diminuer qu'on avait faites, et de réclamer la constitution primitive de la province ; or un monarque, père de, ses sujets, si digne du titre de bien-aimé pouvait-il s'opposer à un droit sacré que tous les deux ans il s'oblige à observer en présence des Etats assemblés ? (Registres secrets du Parlement. Arrêt du 16 juillet 1764).

Au fond les magistrats s'apercevaient parfaitement des agissements secrets du duc d'Aiguillon, qui seul, à leurs yeux, pouvait empêcher le roi de leur rendre justice. Aussi les rapports, déjà tendus depuis longtemps, furent-ils rompus du même coup. Ce jour, fut pris contre le Commandant un arrêté de scission à peu près conçu en ces termes : « Aucun des membres de la Cour n'ira visiter le sieur duc d'Aiguillon excepté ceux qui pourraient y être obligés pour traiter les affaires publiques, ou pour leurs affaires particulières, et ils devront d'abord en informer la Cour » (Registres secrets du Parlement. Arrêt du 16 juillet 1764).

Le sort en est jeté : la guerre est déclarée entre le Parlement et l'administration ; tous les deux vont en quelque sorte y succomber.

Dès les premiers jours du mois d'août, la compagnie nomme une députation pour aller présenter au roi ses humbles remontrances ; mais défense expresse est faite aux députés d'engager des négociations avec les ministres : si on leur fait des propositions, ils devront, avant d'accepter, en informer la Cour qui leur donnera ses ordres.

Louis XV refuse d'abord la députation ; puis enfin il la reçoit le 26 août à Versailles. Pendant ce temps le Parlement avait suspendu ses séances ; mais le 11 août arrivaient des lettres patentes qui lui ordonnaient de continuer jusqu'au 7 septembre tant pour les audiences que pour le rapport des procès (Registres secrets du Parlement. Arrêt du 16 août 1764).

Revenu à Rennes, M. de Robien fait au Parlement le récit de sa mission. Sa Majesté s'était montrée très mécontente de cette nouvelle démarche : son Parlement connaissait ses ordres, pourquoi ne les exécutait-il pas ? Deux des membres de la députation, MM. Euzenou de Kersalaün et Picquet de Montreuil eurent une conférence intime avec le chancelier de Maupeou ; avant de revenir ils reçurent du roi lui-même la défense d'en rendre compte à la Cour. A peine sont-ils arrivés que lé Parlement leur fait un devoir de révéler devant les chambres assemblées tout ce qu'ils ont appris (Registres secrets du Parlement. Arrêt du 3 septembre 1764).

A notre grand regret nous ne connaissons pas l'objet de cette conversation intime ; nous croyons pourtant qu'il eût bien éclairé la suite de notre récit. Quoiqu'il en soit, quelques jours après, MM. Charette de la Gascherie, Picquet de Montreuil et Euzenou de Kersalaün sont mandés à la suite du roi. Ils se rendent aussitôt à Versailles ; mais à peine arrivés, sur les ordres d'un simple secrétaire d'Etat, ils sont relégués à Sens (Remontrances du 17 juin 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1778 et sq.). En vain sollicitent-ils pendant deux mois une audience pour se justifier ; ils apprennent seulement par le même secrétaire d'Etat « que leur mandat est un mandat de rigueur et que pour eux il ne peut être question de justification » (Remontrances du 17 juin 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1778 et sq.).

Quel était donc le crime de ces magistrats ? M. de la Gascherie, chargé par ses collègues de faire une enquête sur l'administration de la province, en avait ouvertement dévoilé les vices ; il la considérait comme nuisible à la Bretagne ou tout au moins dangereuse. Alors le duc d'Aiguillon, mécontent de cette ingérence du Parlement dans ses affaires, présente M. de la Gascherie « comme excitant des divisions parmi les sujets du roi » et aussitôt il est mandé. Les deux autres magistrats, membres de la députation du mois d'août, n'avaient fait que rendre compte, sur l'ordre de la compagnie, mais contre la défense royale, de leur conférence secrète avec les ministres. En un mot ils avaient accompli leur devoir et ils en étaient les victimes. Plusieurs lettres furent écrites par la chambre des vacations et par le Parlement pour leur justification, mais tout fut inutile : ils demeurèrent éloignés jusqu'au mois d'avril de l'année suivante.

Vers le même temps, c'est-à-dire au mois d'octobre 1764, les Etats de la province se réunissaient à Nantes. Les membres de cette assemblée, surtout la noblesse, n'avait pas vu sans en éprouver une joie secrète l'opposition que le Parlement faisait à la monarchie pour la défense des droits de la Bretagne. Une correspondance active avec les principaux parlementaires n'avait fait qu'alimenter la lutte ; les nobles résolurent de la soutenir jusqu'au bout. Le roi, tenant un lit de justice, avait ordonné l'enregistrement des deux sous par livre établis par la déclaration du 21 novembre 1763 et on venait d'en commencer la levée en Bretagne : c'était une violation flagrante des droits de la province qui défendaient de faire aucune levée sans le consentement préalable des Etats. La noblesse propose donc de se pourvoir en opposition par devant le Parlement de Rennes et rallie le Tiers à son avis. Le 16 octobre le procureur syndic des Etats porte cette opposition devant la chambre des vacations. Quoique le Parlement ne siégeât pas en ce moment, celle-ci prit, quand même, un arrêt qui défendait sous peine de concussion la levée des deux sous par livre (Registres secrets. Arrêt du 16 octobre 1764).

On comprend combien cet arrêté dut irriter le Souverain. Aussi à peine le contrôleur général des finances l'a-t-il fait connaître à la cour royale, qu'il est cassé par lettres patentes datées du 7 novembre. Le Parlement répond le 4 décembre suivant en renvoyant les lettres du roi. Il arrête en outre qu'en aucun cas, il ne peut enregistrer ces lettres patentes, qu'en conséquence les travaux de l'assemblée demeurent suspendus jusqu'à ce qu'il plaise au roi de lui rendre justice et jusqu'au retour des membres exilés (Registres secrets. Arrêt du 4 décembre 1764).

Une pareille fermeté n'était nullement propre à apaiser le gouvernement : aussi, peu de jours après arrive-t-il une nouvelle lettre ordonnant aux chambres de reprendre les séances et de garder désormais le silence sur cette affaire. La Cour persiste malgré tout dans son arrêt du 4 décembre et de nouveau la lettre est renvoyée avec une copie de la présente délibération. Il est de plus décidé « que les membres qui ont assisté à la séance de ce jour ne pourront désemparer sans excuse légitime, qu'ils proposeront d'abord aux chambres, et que le présent arrêté subsistera jusqu'à ce que la Cour en ait ordonné autrement » (Registres secrets. Arrêt du 28 décembre 1764).

Vraiment l'autorité royale était battue en brèche. Nécessairement le dénouement de cette affaire devait être funeste pour l'une des deux parties : le Parlement s'était trop avancé pour reculer désormais et le ministère ne pouvait céder sans compromettre la dignité royale.

Le 31 décembre, nouvelles lettres patentes. Cette fois Sa Majesté enjoint expressément à ses « amés et féaux conseillers » de reprendre l'exercice ordinaire de leur charge et d'enregistrer immédiatement les lettres du 7 novembre. La cour ne s'en émeut pas davantage. Considérant qu'elle ne peut se départir de ses arrêts des 4 et 22 décembre, elle supplie de nouveau le roi d'examiner ses raisons et ne doute pas qu'après examen, Sa Majesté n'approuve la conduite de son Parlement. Si le roi connaissait la vérité, il renverrait certainement les membres exilés dont la punition a été surprise à sa religion, punition d'ailleurs qui n'est pas méritée et dont les suites rejaillissent par là même sur tout le corps de la magistrature. Quant à continuer de rendre la justice, le Parlement ne le peut, lorsqu'il voit la magistrature avilie par des cassations d'arrêt multipliées et que ses membres accusés n'ont pas la permission de se justifier (Registres secrets. Arrêt du 5 janvier 1765).

Une copie de l'arrêté ci-dessus est envoyée au roi. Le même jour, la Cour, chambres assemblées, ordonne la suppression de toutes les affiches où était publié l'arrêté de cassation rendu par le conseil des ministres ; et, afin de mieux accentuer sa résistance, elle décide qu'une rédaction sera faite de tout ce qui s'est passé à Rennes depuis le 31 décembre 1763 à propos de la déclaration du 21 novembre et de la levée des deux nouveaux vingtièmes et qu'une copie en sera envoyée à chacune des autres classes du Parlement (Registres secrets. Arrêt du 5 janvier 1765). C'était pour ainsi dire prêcher la révolte. Il ne faut pourtant pas s'en étonner : tous les Parlements du royaume se regardaient comme solidaires ; aussi les droits de l'un semblent-ils lésés, tous les autres prennent sa défense par le moyen des remontrances et des représentations.

Une pareille opiniâtreté ne pouvait manquer de provoquer de la part du ministère des châtiments exemplaires ; ce qui ne tarda pas. Le 12 janvier 1765 arrivent à Rennes autant de lettres de cachet qu'il y a de membres du Parlement ; elles portent injonction à tous et à chacun d'eux de demeurer dans la ville parlementaire sans pouvoir en désemparer jusqu'à nouvel ordre (Remontrances du 17 juin 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1778 et sq.).

D'autres ordres plus sévères encore sont à craindre. Chacun redoute de voir apparaître à l'entrée du palais un commissaire venant, suivi d'un escadron de la Maréchaussée, intimer l'ordre d'enregistrer les volontés de Sa Majesté. Dans la crainte d'une telle éventualité, la Cour prend le 19 janvier un arrêté de prévoyance dont voici à lieu près le résumé. S'il se présente un commissaire du roi, on examinera ses lettres de créance avant qu'il paraisse devant la Cour ; si ses lettres sont en règle, la Cour fixera le rang qu'il doit occuper. A son entrée, il lui sera annoncé que la Cour ne peut délibérer sur les ordres du roi en sa présence ; elle n'aurait plus la liberté nécessaire : il doit donc se retirer. S'il refuse, la Cour proteste dès à présent contre toute transcription illégale qui pourrait être faite sur ses registres, et contre toute voie illégale. On lui dira que les protestations seront renouvelées en sa présence contre tout ce qui pourrait être dit ou fait contre la dignité du Parlement et la Constitution de la province. En conséquence, la cour se retirera en se réservant de rentrer au palais dès que le commissaire en sera sorti. Si le commissaire notifie à tous ou à chacun des membres qu'il leur est défendu de désemparer, leur présence sera forcée et l'on ne devra pas en induire leur consentement à ce qui sera fait d'illégal. Immédiatement après sa sortie, la Cour reprendra séance pour délibérer librement. S'il défend aux présidents de continuer la séance, ils ne devront pas en tenir compte, si l'ordre du roi est verbal ; s'il est écrit, il leur sera loisible d'obéir. Si ledit ordre s'étend à tous les conseillers qui devraient présider par rang d'âge il n'en sera pas tenu compte, vu qu'il serait illégal. Si des conseillers ont défense expresse du roi de délibérer, après l'avoir notifié à la Cour ils devront se retirer : la Cour ne peut délibérer devant des porteurs d'ordre. S'ils croient ne pouvoir se retirer, celui qui présidera sera tenu, même en leur présence, de recueillir les suffrages à la place de chacun des membres (Registres secrets. Arrêt du 5 janvier 1765).

Cet arrêté visait surtout le duc d'Aiguillon. Le Parlement, que les lettres de cachet du 12 janvier trouvèrent insensible, craignait cependant de le voir, à la tête d'une compagnie de dragons d'Autichamp ou d'un bataillon de la maréchaussée, entourer le palais, forcer l'entrée de la salle des délibérations, et inscrire au bout des baïonnettes les ordres du roi. Le gouvernement n'osa pas en venir cette extrémité : il redoutait à juste titre une révolte populaire. Tous les habitants de la ville de Rennes suivaient jour par jour les actes du Parlement, l'encourageant dans sa révolte ; et ils auraient volontiers exposé leur vie pour le défendre.

D'autres lettres furent envoyées le 22 janvier, mais elles n'eurent pas plus d'effet que les précédentes. Cependant la Cour arrête de nouvelles et « itératives » remontrances qu'une députation devra présenter au roi (Registres secrets. Arrêt du 28 janvier 1765). Elle était à les rédiger lorsqu'on lui apporta une lettre close. Le roi mandait au pied de son trône tous les présidents de la cour, dix-huit conseillers et deux avocats généraux (Registres secrets. Arrêt du 6 février 1765) : ils devaient s'y rendre le 20 février.

Comme il était d'usage que tous les membres assistassent à la rédaction des remontrances et vu qu'elles ne seraient pas terminées à la date fixée par Sa Majesté, la cour décida (Registres secrets. Arrêt du 11 février 1765) de solliciter un délai pour ceux qui avaient été mandés. Elle délibéra ensuite sur la question de savoir si ces conseillers pouraient en même temps être députés pour présenter les remontrances au monarque.

A l'hôtel du duc d'Aiguillon on ne manqua pas de montrer ces retards et ces précautions comme une démarche peu décente de la part du Parlement et comme un manque de respect et d'obéissance envers les ordres du souverain (Remontrances du 10 juin 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine C. 1778 et sq.).

Cette accusation calomnieuse valut à la compagnie une nouvelle lettre de cachet, datée du 16 février, qui enjoignait au parlement tout entier, sous peine de désobéissance, de se rendre au pied du trône et d'apporter lui-même ses remontrances. Les accusateurs avaient réussi à faire donner à cette lettre de cachet tous les caractères d'un mandat rigoureux (Remontrances du 10 juin 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine C. 1778 et sq.). La cour ne pouvant supporter les imputations calomnieuses contenues dans les ordres, arrêta qu'il serait écrit au roi pour les détruire et pour le remercier de vouloir bien permettre à son Parlement de porter au pied du trône sa justification (Registres secrets. Arrêt du 18 février 1765).

Le jour du départ est fixé au 2 mars. Auparavant tous les magistrats, réunis en séance publique, arrêtent qu'aucun d'eux ne pourrait conférer avec les ministres soit directement, soit par personne interposée ; et qu'à son retour à Rennes chacun rendrait compte aux chambres assemblées de ce qu'il aurait pu apprendre concernant les affaires de la province. Nul à l'exception des présidents ne pouvait visiter les ministres avant l'audience du roi (Registres secrets. Arrêt du 18 février 1765). Évidemment toutes ces précautions étaient prises afin d'empêcher la cabale et la séduction.

La veille du départ, les avocats, les procureurs, les huissiers, la Communauté de Ville, les juges, les consuls, la faculté de Droit, les Bénédictins, le principal et les professeurs du Collège vinrent complimenter la Cour : c'était l'assurer indirectement de leur solidarité. La Bretagne toute entière accompagna de coeur au pied du trône ses magistrats, pour lesquels elle avait une vénération profonde. On voyait qu'il y avait en jeu des intérêts sérieux. On attendait avec une vive impatience le résultat de cette démarche suprême. Les Bretons allaient-ils devenir complètement Français et voir disparaître pour jamais tous les restes de leur ancienne indépendance, ou bien les vieux privilèges allaient-ils revivre une fois encore et le pays recouvrer son antique nationalité ? Telle était l'alternative proposée aux esprits et sur laquelle. on faisait mille conjectures.

Le roi reçut le Parlement avec une certaine majesté qui lui était naturelle. Il se montra froid et sévère ; il reprocha vivement aux magistrats leur désobéissance. « Est-ce que, dit-il, la Bretagne ne me doit pas l'obéissance comme toutes mes autres provinces ? Il n'y a pas de droits qui puissent tenir contre ma volonté ; je vous ordonne donc d'enregistrer mes ordres dès votre première séance ». Sa parole était menaçante, mais elle n'excita aucune émotion dans l'âme des conseillers d'où la peur était bannie. Une lutte trop longue avait tari le respect dans sa source.

De retour à Rennes le Parlement reçut une ovation populaire. Il rentra en séance au milieu des applaudissements de la foule qui le complimentait de son énergie. La partie était engagée, il fallait la jouer jusqu'au bout. Aussi le 6 avril la Cour arrêta-t-elle en principe sa démission et décida de ne continuer ses fonctions que jusqu'à ce qu'il eût plu au roi d'envoyer d'autres juges. De la sorte elle ne voulait que prouver une fois de plus son amour à son souverain et montrer à la Bretagne que si le Parlement lui avait causé un certain préjudice, selon la parole du roi, « c'était avec l'espoir qu'il en résulterait un plus grand bien pour la province ».

Cette situation critique dura un mois et demi environ. Pendant ce temps, les magistrats exilés, MM. Charette de la Gascherie, Euzenou de Kersalaün et Picquet de Montreuil, conseillers, vinrent reprendre leurs sièges aux applaudissements de leurs collègues.

La cour ne mit pas fin pour autant à ses résistances. Le 26 avril elle décide que l'arrêt de la Chambre des vacations sera bien et dûment exécuté, et fait défense à qui que ce soit, sous peine de concussion, de lever les deux nouveaux sous par livre : elle veut auparavant que les gens des trois Etats soient entendus sur leur opposition à l'arrêt d'enregistrement de la déclaration du 21 novembre 1763, et que toutes les sommes perçues jusqu'à ce jour soient restituées. Le susdit arrêt fut immédiatement signifié à tous les préposés et régisseurs de la province, et ceux-ci furent tenus d'en rendre compte à la Cour dans les huit jours qui suivirent.

D'un autre côté, elle ne négligeait pas de réclamer la justice pour les autres classes du Parlement français. Le 4 mai elle écrivit au roi en faveur des magistrats du Parlement de Pau « victimes à leur tour de l'autorité despotique et gémissant sous l'oppression la plus accablante » (Remontrances du 4 mai 1765. Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1778).

Enfin arriva le jour fixé pour mettre un terme à cette situation incertaine. Le 20 mai les motifs de démission furent dressés : on les signa deux jours après. Pour les exposer clairement nous ne saurions mieux faire que de citer ici tout au long l'arrêt du 6 avril précédent qui en est un résumé complet.

Voici cet arrêt : « La Cour, chambres assemblées, deliberant sur les ordres du 20 mars dernier (Audience royale accordée à tout le Parlement) ; vivement touchée d'avoir perdu la bienveillance du seigneur roi par les moyens les plus capables de la mériter ; pénétrée de douleur en voyant que sa conduite a paru si singulière à Sa Majesté avant même d'avoir lu les remontrances qu'elle lui présentait ; considérant que des magistrats que Sa Majesté a montrés aux yeux de la France comme coupables de désobéissance, de manquement de respect pour l'autorité royale et auxquels elle a imputé d'avoir ruiné une province confiée à leurs soins, ne peuvent plus porter avec décence le nom de magistrats ; qu'incapables de faire respecter dans leurs mains le dépôt de l'autorité royale et des lois, ils ne peuvent plus être utiles audit seigneur roi ; considérant encore ladite Cour, qu'ayant eu le malheur de perdre la bienveillance du prince, elle ne peut plus être utile à son peuple ; qu'elle en fait en ce moment la triste expérience et que la vérité semble perdre de sa force en passant par sa bouche, puisque (malgré de précédentes représentations et même des remontrances) ledit seigneur roi vient de confirmer, par un jugement de son conseil daté du quatorze mars et inscrit le trente et un du même mois sur les registres des Etats, l'évocation de l'opposition qu'ils avaient formée au Parlement et de déclarer positivement qu'il ne reconnaissait aux Etats d'autres moyens de se pourvoir en opposition que celui de les faire par devers Sa Majesté et qu'enfin elle ne peut plus se flatter d'aucun des motifs d'espérance que lui avaient tait supporter jusqu'ici tant de peines et de travaux, puisque le dit seigneur roi est instruit et persiste néanmoins à désapprouver sa conduite et à condamner les prétentions de sa province de Bretagne au sujet du plus essentiel de ses droits : ladite cour a arrêté que le roi sera très humblement supplié de trouver bon qu'elle lui remette des pouvoirs dont il l'a jugée indigne et qu'il la rend par ce jugement incapable d'exercer avec honneur ».

Il y a de l'aigreur et de la vengeance polie dans ces motifs de démission. Ne sent-on pas percer à chaque ligne l'irritation d'un corps froissé dans sa dignité ? La séance de démission fut longue et solennelle. Des hommes éminents par le savoir et la prudence, tels que les présidents de Langle, de Montbourcher, de Chateaugiron, de Robien s'opposèrent vivement à la démission, non pas qu'ils s'arrêtassent à des considérations personnelles, à des intérêts domestiques, à des vues particulières ; mais suspendre le cours de la justice, violer un serment qu'ils avaient juré d'observer à la vie et à la mort, étaient pour eux une chose grave qu'il ne fallait pas traiter à la légère. Toutefois, gentilhomme avant tout, aucun des opposants n'entendait se séparer de la fortune de ses collègues. Aussi lorsque la résolution fut mise aux voix et eut réuni la majorité, la signèrent-ils d'une main ferme. Des quatre-vingt magistrats présents, douze seulement refusèrent de s'adjoindre à cette protestation énergique.

L'acte de démission fut immédiatement expédié à Sa Majesté Louis XV. Les avocats, les procureurs et jusqu'aux huissiers jurèrent, malgré les instances des conseillers, de ne remplir leur office que le jour où l'on rendrait justice au Parlement.

(Abbé Bossard).

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