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ETAT SPIRITUEL DE BELLE-ILE JUSQU'EN 1572

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Etat du spirituel de Bel-île, de temps immémorial jusqu’à l'an 1572. — Antiquité du privilège local de Bel-île. — Preuves de l’antiquité de ce privilège local. — Chartes de la donation de Bel-île faite par le duc Geoffroi Ier à l'abbaye de Redon. — Erection de l'officialité de Bel-île par les Bénédictins. 

Nota : Nous laissons à ce travail le style de l'auteur.

Aïant à traiter dans cette seconde partie de l’état spirituel de Bel-île, depuis les tems les plus reculés jusqu’à nos jours, rien sans doute n’eut plus facilité mon travail que la découverte des actes que les recteurs de Bel-île produisirent au conseil l’an 1666, pour soutenir le privilège de cette île et leur indépendance de l’évêque de Vannes contre les prétentions de Charles de Rosmadec [Note : Charles de Rosmadec, abbé du Tronchet, au diocèse de Dol, fut nommé à l’évêché de Vannes en 1647. Transféré à Tours en 1671, il occupa peu de temps ce siège et mourut en 1672] : mais comme cette découverte ne peut se faire qu’à de trop grand frais ; il n’y a que le roi seul qui, regardant aujourd’hui Bel-île comme faisant partie de son domaine, pourrait de son autorité faire déterrer ces actes dans le greffe du conseil pour enrichir de ces anciens et précieux monuments l’histoire de Bel-île. Jusques là un historien ne peut produire au public, que les pièces qu’on lui a communiquées ; c’est donc par le secours de ces pièces et de quelques autres mémoires que j’ai découverts, que je tâcherai de mettre dans tout son jour l’état du spirituel de Bel-île depuis l’établissement de la religion chrétienne dans cette île jusqu’à notre siècle : et afin de traiter cette affaire sans confusion, je suivrai l’ordre des temps.

L’on doit convenir, soit qu’il s’agisse du temporel ou qu’il soit question du spirituel, qu’il ne faut pas raisonner des îles de la mer, comme des îles et îlots de fleuves et de rivières navigables et non navigables.

A l’égard du temporel, le continuateur de Tournely observe : que, selon le droit français et romain, le domaine des îles de la mer appartient à celui qui s’en est emparé le premier « insula, quae in mari nata est, occupantis fit » ; et qu’ainsi Bel-île a pu appartenir à la Cornouaille de la Grande Bretagne, avant de passer en héritage à un comte de Cornouaille Armorique, les ancêtres d'Alain Cagnart étant sortis de la principauté de Galles. Il n’en est pas de même des îles de fleuves et de rivières navigables, elles sont dévolues de droit au domaine du Roi « sed in flumine navigabili nata, pertinet ad regem ». Quant aux îlots, qui se forment et s’élèvent par des attérissements ou autrement dans les petites rivières ou courants d’eau non navigable, ils appartiennent à ceux qui ont la propriété de ces courans ou petites rivières « quae in minoribus nascitur, eorum est ad quos ii rivi pertinent ».

Faisons l’application de cette règle à ce qui concerne le spirituel. Comme il n’est point d’église dans le continent, ni dans les péninsules, ni dans les îles de fleuves ou de rivières navigables ou non, qui ne soit du domaine de quelque diocèse ; il est incontestable, que ces églises n’ont pu ni dû être exemptes du droit commun sans concession de l'Ordinaire. Ainsi c’est des évêques diocésains que dans le continent, les abbaïes de Saint-Denis en France, de Fécamp en Normandie, de Saint-Corneille de Compiègne, de Saint-Florent le vieux en Anjou, etc... ont obtenu cette juridiction quasi épiscopale que les Abbés Réguliers de ces Abbaïes exerçaient autrefois sur les églises de leur dépendance et que les Prieurs exercent encore aujourd’hui, depuis que ces Abbaïes sont tombées en commande : car « l’histoire nous apprend que les évêques étaient charmés de trouver des moines de bonne volonté, qui voulussent bien se charger de réparer les églises ruinées dans les guerres, et d’embellir par là leurs diocèses, sans qu’il leur en coutât autre chose que des exemptions et des privilèges » [Note : Lettre de Dom Morice à l’auteur, 15 juin 1748].

Ce n’est pourtant pas de cette source que l'Abbaïe de Cluny, chef d’ordre, fondée l’an 910 tirait son exemption, quoique située dans le continent. « Ce fut Guillaume comte d'Auvergne et d'Aquitaine qui, voulant par un testament que cette abbaïe fut exempte de toute juridiction épiscopale, la soumit uniquement au Saint-Siège ; en sorte qu’elle n’était cy-devant d’aucun diocèse » (Géographie de Noblot. T. II, p. 250). Mais quoique cette abbaïe exerça une juridiction épiscopale depuis plus de 800 ans sur les églises qu’elle avait érigées, qu’elle eut été autorisée par 22 papes dont on reproduit les Bulles, que plusieurs conciles l’eussent reconnue : cependant l’évêque diocésain a fait dépouiller de nos jours par un Arrêt du conseil le Pape d’une possession qui paraissait aux Canonistes acquise et légitime. Il ne faut pas en être surpris, un autre arrêt du conseil, dont nous parlerons dans la suite, avait produit un pareil changement bien longtemps auparavant et renversé l’ancien privilège de Bel-île en 1666 : et l'Evêque de Vannes semblait être moins fondé en titre que l'Evêque de Macon ; parce que Cluny fait partie du Maconnais dans la Bourgogne et se trouve par conséquent dans le territoire du diocèse de Macon, au lieu que Bel-île est une île de la mer qui n’avait jamais été de l’ancien territoire du diocèse de Vannes ni d’aucun autre diocèse.

Quoi qu’il en soit, le privilège de Bel-île, qui la soumettait uniquement au Saint-Siège, était plus ancien que celui de Cluny. L’époque du privilège de cette abbaïe est fixée à l’an 910 : mais celui de Bel-île précède le ravage des Normands ; et les Bénédictins, qui en ont été 556 ans les Seigneurs temporels et spirituels, n’en ont pu fixer l’époque. Il n’est donc pas possible de pénétrer dans des tems aussi ténébreux et dont il nous reste si peu de monumens, ni de décider par qui, quand et comment Bel-île obtint ce privilège local. Selon l’opinion la plus commune, c’est un des ancêtres d'Alain Cagnart comte de Cornouaille à remonter jusqu’au 5ème degré en ligne directe, qui soumît immédiatement au pape Bel-île, comme le fit depuis à l’égard de Cluny le susdit comte d'Auvergne et d'Aquitaine.

L’histoire nous apprend que Rivalon, surnommé Murmarzon, est le premier des ancêtres d'Alain Cagnart qui nous soit connu, qu’il était né dans la principauté de Galles et parent du roi d'Angleterre (Histoire de Bretagne, T. II) ; et d'Argentré rapporte que ce Rivalon passa de la Cornouaille de la Grande-Bretagne à la Cornouaille-Armorique, à l’occasion des guerres sanglantes que les Anglo-Saxons faisaient aux habitants de cette île. C’est un de ses descendants qui fonda les 4 paroisses de Bel-île et qui leur donna des noms assez conformes au païs dont ses pères étaient originaires ; à l’une « Bangor », qui est le nom d’un évêché suffragant de Cantorbéri ; à l’autre « Sauzon », qui signifie dans notre langue [les Anglais] ; à la 3ème « Lomaria », à cause que cette église était dédiée à Dieu sous l’invocation de la Sainte Vierge. Et parce que saint Jéran, Evêque et irlandais d’origine, qui vivait du tems de saint Patrice et du pape saint Célestin, avait abdiqué son évêché situé Juxta Sagiram flumen [Note : Ce nom de fleuve, qu’on lit à Bel-ile dans les leçons propres et manuscrites du saint, ne se trouve dans aucun dictionnaire, ni dans le « Monasticum Anglicanum »] pour aller finir ses jours dans une solitude qu’il s’était choisie dans la partie méridionale d'Angleterre, ce fondateur en fit le titulaire de la paroisse du « Palais » chef-lieu de cette île et regardée comme le séjour des seigneurs du lieu. Et voulant que ces paroisses, qu’il avait fondées et dénommées, fussent exemptes de toute jurisdiction épiscopale, il les soumît immédiatement au Saint-Siège, en y établissant un juge d'Eglise. Telle est vraisemblablement l’origine de ce privilège local dont Bel-île jouïssait de tems immémorial, qu’aucun monument ne contredit, dont le clergé du lieu produisit les titres qui furent remis au greffe du conseil et que plusieurs mémoires venus jusqu’à nous confirment encore.

Venons aux preuves.

Comme j’avais conseillé feu M. l’abbé Cillard de Kerampoul, recteur de la paroisse de Grand-Champ et député du clergé du diocèse de Vannes, de s’adresser aux RR. PP. Bénédictins de Quimperlé sur ce qui regarde Bel-île dont il était chargé de faire le pouillé pour l’envoïer à M. Le Boeuf, ce vénérable pasteur eut la bonté de me communiquer les deux extraits tant sur le spirituel que sur le temporel de cette île transcrits sur une même feuille volante, que le R. P. Sous-prieur de l'Abbaïe de Sainte-Croix avait tirés d’une histoire manuscrite qu’on conserve dans les archives de ce monastère et que le R. P. Dom Léger-des-champs, qui en était Procureur lui avait envoïés. — Or l’extrait sur l’ancien état du spirituel de Bel-île marque positivement ce qui suit.

Après avoir dit : « Qu'Orscand évêque de Quimper et frère du fondateur de l'Abbaïe de Sainte-Croix de Quimperlé, voulant faire part de sa libéralité à l’exemple d'Alain Cagnart Comte de Cornouaille, donna du consentement de son chapitre à cette abbaïe tous ses droits épiscopaux sur les églises qu’elle avait déjà et sur celles qu’elle pourrait acquérir à l’avenir dans son diocèse ». L’extrait ajoute aussitôt ces paroles remarquables : « mais Bel-île avait déjà le même privilège, et l'Abbaïe en a toujours jouï jusqu’a la permutation ». Ces paroles méritent d’être pesées. De cet aveu de l’historien, il s’ensuit évidemment que cet Evêque de Quimper ne donna pas dans cette occasion à Gurlois premier abbé de l'Abbaïe de Sainte-Croix de Quimperlé tous ses pouvoirs épiscopaux sur les Eglises de Bel-île : puisque, selon lui, Bel-île avait ce privilège avant la donation de cette abbaïe ; et que d’ailleurs cet évêque n’avait garde d’étendre sa libéralité jusqu’à Bel-île, Bel-île n’étant pas de son diocèse ni même dans le territoire de son diocèse. Il n’est pas moins évident, que l’abbé Gurlois ne fit et qu’il n’eut pas besoin de faire aucune supplique à Judicaël II, Evêque de Vannes pour obtenir ce pri­vilège ; puisque Bel-île l’avait déjà, avant qu'Alain Cagnart comte de Cornouaille en eut fait la donation à cette abbaïe. Ce terme indéfini Avait, dont se sert l’auteur de l’histoire manuscrite, dénote bien combien ce privilège de Bel-île lui paraissait ancien ; puisqu’il n’a pu en marquer ni la source ni l’époque : ce qu’il n’eut pas manqué de faire, si Dom Mainard abbé de Redon l’avait obtenu d'Orscand II évêque de Vannes en 1006.

L’extrait confirme ce que dessus, en ajoutant : que, « l'Abbaïe de Quimperlé a toujours joui du privilège de Bel-île jusqu’à la permutation ». De ces dernières paroles, il s’ensuit conséquemment : que ce n’est pas Bel île qui a toujours joui du privilège de l'Abbaïe accordé par quelque évêque ; mais que c’est au contraire cette abbaïe qui, de l’aveu même de cet historien, a toujours jouï du privilège de Bel-île soumise uniquement au Saint-Siège par un des ancêtres d'Alain Cagnart. Privilège que Bel-île avait ab omni memoria, comme nous l’apprenons d’un monument que je produirai dans la suite et que l’on conserve dans les Archives de l'Evêché, de Vannes : privilège local dont le clergé du lieu, à l’instar des Bénédictins, continua de jouïr dans cette île après leur sortie durant 94 ans, depuis 1572 jusqu’à 1666 ; ce qui prouve encore qu’ils n’en étaient pas les propriétaires, et que ce n’était point par eux que Bel-île l’avait obtenu. Mais pour donner un nouveau degré de démonstration à ces paroles de l’extrait, faisons ce dilemme, le privilège local de Bel-île est ou antérieur à la donation ou il est postérieur : s’il est postérieur, l’historien se contredit en disant, que cette île avait ce privilège avant sa donation : s’il est antérieur à cette donation, il est incontestable que ce ne sont pas les abbés réguliers de Quimperlé qui ont étendu leur exemption jusqu’à Bel-île, et que c’est du seul Saint-Siège que cette île le tient de tems immémorial.

Mais cet historien, loin de se démentir, nous fournit de nouvelles preuves de l’antiquité du privilège de Bel-île dans l’extrait que nous avons de son histoire manuscrite : « nous voïons dans la suite, dit-il, par plusieurs Bulles des Papes, que Bel-île ne dépendait d’aucun diocèse et qu’elle était immédiate au Saint-Siège ». Il cite pour garants de ce qu’il avance les Bulles de Grégoire VII en 1078, d'Urbain II en 1091, de Calixte II en 1119 ; mais il pèse plus spécialement sur les termes de la Bulle de Nicolas V de l’an 1455, calendes de février l’an 8ème de son pontificat qui s’exprime ainsi : Insulae Bel insulae nullius Diœcesis... ad Romanam Ecclesiam nullo medio pertinentis. Cette Bulle fut donnée à Guillaume de Ville-Blanche Abbé régulier de Quimperlé, qui la fit recevoir par Yves de Ponsal [Note : Yves de Ponsal naquit à Plougoumelen, diocèse de Vannes. Il se fit religieux de Saint-Dominique et fut nommé à l’évêché de Vannes en 1444. Il demanda au Pape Calixte III la canonisation du bienheureux Vincent Ferrier, dominicain et apôtre de la Bretagne. Yves de Ponsal mourut le 7 janvier 1476 (Histoire de Bretagne. T. II)] juge et exécuteur des lettres Apostoliques, délégué de Sa Sainteté ad hoc.

Si Bel-île avait été reconnue pour être du diocèse de Vannes ou de l’ancien territoire de ce diocèse, le Pape aurait-il chargé cet évêque d’une telle députation et cet abbé aurait-il fait recevoir la bulle de ce Pape par cet évêque ? Tant il est vrai que tous les prédécesseurs de Charles de Rosmadec dans l’épiscopat de Vannes, regardaient Bel-île, comme une île protégée du Saint-Siège, privilégiée et immédiate au Pape.

Si quelqu’un de ces évêques eut en effet jamais lieu de contester et même d’anéantir le privilège de Bel-île, ce devait être Morvan II qui, « voulant revendiquer cette île l’an 1006, comme de ses biens héréditaires, fut débouté de sa prétention par sentence définitive de Raoul Archevêque de Tours et autres prélats et, qui fut confirmée par le pape Urbain II pendant qu’il tenait un concile à Tours dans la 3ème semaine de carême » (Histoire manuscrite de l’abbaie de Sainte-Croix). N’était-ce pas une belle occasion, qui se présentait à cet évêque, de rendre bien imparfaite la victoire de Benoît lors Abbé de Quimperlé, si Morvan eût dès lors entrepris de rentrer dans ses droits ? Ce qu’il ne fit pourtant pas : persuadé sans doute qu’il était que, Bel-île n’aïant jamais été du territoire de son Diocèse, aucun de ses prédécesseurs n’avait accordé ce privilège aux moines. « 21 ans après, ce même Morvan fut du nombre de ces Evêques de la Province qui accompagnèrent Conan III ; lorsque ce duc, à la prière du pape Pascal II se transporta l’an 1117 à Redon pour obliger Hervé Abbé de Saint-Sauveur de restituer Bel-île en leur présence à Gurchand Abbé de Sainte-Croix de Quimperlé » (Histoire manuscrite de l'abbaie de Sainte-Croix).

Quoique Bel-île ne fut pas censée dans ces tems là être dans le territoire du diocèse de Vannes, non plus que de tout autre diocèse : cependant, par rapport à son voisinage de la côte Vennetaise, Morvan II était sans doute mieux fondé en titre qu'Hervé de Landelleau évêque de Quimper qui, « aïant suscité l’an 1250 à l'Abbaïe de Quimperlé devant le pape Innocent IV, un procès pour rentrer dans ses droits sur toutes les Eglises dépendantes de cette Abbaïe, voulut étendre ses prétentions jusque sur les paroisses de Bel-île » (Histoire manuscrite de l'abbaie de Sainte-Croix), sous prétexte que cette île était une des possessions de cette Abbaïe et que, n’étant d’aucun diocèse il pouvait se l’arroger et en faire une partie du sien, selon cette règle déjà citée « insula, quae in mari, nata est occupantis fit » : mais en même tems que le Pape accorda à cet Evêque le pouvoir de rentrer dans ses droits sur les Eglises que les Bénédictins possédaient dans son diocèse Innocent IV qui, à l’exemple de ses prédécesseurs regardait Bel-île comme immédiate et soumise uniquement au Saint-Siège « imposa un éternel silence à l'Evêque de Quimper » (Histoire manuscrite de l'abbaie de Sainte-Croix) sur le privilège local de cette île et autorisa l'Abbé de Quimperlé à y conserver sa jurisdiction spirituelle sur le clergé du lieu et à jouïr de ce privilège comme ses prédécesseurs.

Les Abbés Réguliers de Redon avaient jouï du même privilège durant 23 ans, avant ceux de Quimperlé : car il n’y a nul monument dans l'Abbaïe de Saint-Sauveur qui démontre ni qui indique même que cette abbaïe l’ait, obtenu de quelque Evêque. S’il y en avait eu, Dom Morice qui sans doute a tiré des archives du monastère de Redon tout ce qu’il a pu pour enrichir ses mémoires, n’eût pas manqué de les transmettre à la postérité : puisqu’il rapporte que l’an 1027, Judicaël II Evêque de Vannes accorda une jurisdiction quasi épiscopale à Dom Catwallon Abbé de Saint-Sauveur de Redon sur la presqu’île de Quiberon et les terres adjacentes de Saint-Gutual, de Minihi et de Plée, qu’un nommé Gurki avait donnés à cette Abbaïe sous le bon plaisir du duc Allain qui demanda lui-même ces sortes de pouvoirs épiscopaux à Judicaël, « rogavit Judicaëlem Venetensem Episcopum, ut ipse concederet quidquide in insula Keberoën juris episcopalis esset, praeter consecrationes Ecclesiarum et ordinationes lericorum » (Mémoire de dom Morice, T. I). Tel est le titre primordial du Prieuré de Quiberon, de Saint-Gutual, de Minihi et de Plée.

Or si Bel-île n’avait pas eu ce privilège longtems avant la donation qu’en fit le duc Geoffroy Ier à l’abbaïe de Redon en 1006, certainement Mainard, qui en était lors abbé, aurait ou demandé lui-même ou supplié le Duc de demander à Orscand II Evêque de Vannes ses pouvoirs épiscopaux sur les Eglises de Bel-île ; ainsi que son successeur immédiat l'Abbé Catwallon les demanda dans la suite par la médiation du duc Allain à Judicaël II, pour la péninsule de Quiberon et les terres adjacentes.

C’est pourtant un monument, que Dom Morice n’a pu trouver dans les Archives de Redon et qui n’y a jamais sans doute été inséré : par là l’on voit que, si l'Abbé Catwallon fit demander ses pouvoirs à Judicaël II pour la presqu’île de Quiberon, c’est que Quiberon est de l’ancien territoire du diocèse de Vannes ; et qu’au contraire, si son prédécesseur l’abbé Mainard ne demanda ni par lui ni par un autre les mêmes pouvoirs à Orscand II pour Bel-île, c’est que tous savaient que cette île était immédiatement soumise au Saint-Siège, qu’elle en avait reçu son privilège local de tems immémorial et qu’elle n’était dans le territoire d’aucun diocèse. Car il est certain que, si Bel-île avait fait alors partie du diocèse de Vannes et qu’elle n’eut pas déjà eu ce privilège, l'Abbé Maynard n’eut pu se dispenser de demander à Orscand II ses pouvoirs épiscopaux ; et il n’est pas moins certain que, s’il les eut demandés et obtenus de ce prélat pour cette île, il n’aurait pas manqué d’en faire un monument des Archives de son Abbaïe, comme son successeur l'Abbé Catwallon l’a fait depuis pour la péninsule de Quiberon.

Ce qui fait voir, que la plupart des îles de la mer étaient regardées comme des dépendances immédiates au Saint-Siège pour le spirituel, surtout Bel-île : car on ne regardait pas ainsi les îles des fleuves et des rivières, ni les Péninsules. Le diocèse de Vannes en a la preuve dans les îles, de l’île Dart et de l’île-aux-moines situées dans la rivière de cette ville, et dans les presqu’îles de Rhuis et de Quiberon.

La Bulle de Léon IX, antérieure de 18 ans à celle de Grégoire VII qui est à la tête des papes que nous avons cités ci-dessus. Cette bulle « Suscepti officii », adressée à l'Abbé Catwallon, est la première qui nous apprend que : Bel-île était constamment reconnue à Rome et ailleurs pour être sous la jurisdiction immédiate de l'Eglise Romaine, « praefato monasterio... quod juris Sanctae Romanae Ecclesiae dignoscitur.... sicut constat de Bella insula » (Mémoire de dom Morice, T. I) ; Ce n’est point là une opinion probable, c’est un fait constant assure ce pape, « sicut constat » et cette Bulle émanée du Saint-Siège, l’an 1050, est la seule pièce que Dom Morice a trouvée dans les Archives de l’Abbaïe de Redon qui regardât le spirituel de Bel-île et qu’il rapporte dans ses mémoires : car il n’en faut point chercher d’autres dans son premier Tome, comme il n’en a pas trouvé lui-même aucune dans les archives de Saint-Sauveur que celle-là. Toutes ces bulles de confirmation, à l’égard du privilège de Bel-île, supposent nécessairement une bulle de concession accordée dans les siècles les plus reculés, mais que le malheur des tems aura fait perdre.

Voici la seule ressource de probabilité qui reste, pour insinuer que l'Abbé Mainard demanda et obtint d'Orscand II Evêque de Vannes le privilège de Bel-île, lors qu’il envoïa en 1006, Dom Catwallon à Bel-île en qualité de Prévôt de l’île : c’est, dit-on, qu’il y avait près de cent ans que les églises de Bel-île avaient été ruinées par les ravages des Normands dans l’intervalle de 905 à 910, et qu’on supposait le privilège tombé ; mais que les aïant fait réparer, Orscand II releva aussitôt le privilège en faveur de l'Abbaïe de Redon. Mais outre qu’il n’est ni probable ni même vraisemblable, comme nous l’avons fait voir ailleurs ; qu’après l’an 931, qui est le terme de la déprédation des Normands, Bel-île restât déserte et dépeuplée près d’un siècle et que l’amour de la patrie n’y eut pas rappelé le clergé et les colons qui en avaient été chassés : c’est que le privilège de Bel-île ne pouvait pas encore être censé prescrit ; puisque cent ans ne s’étaient pas encore écoulés depuis l’expulsion du clergé de cette île et que, suivant les canonistes, il faut cent ans pour prescrire contre un privilège accordé à une Eglise par le Pape.

Aussi ne fait-on nulle mention d’avoir obtenu ce privilège ni d'Orscand II, ni de Judicaël II dans les deux chartes de l'Abbaïe de Saint-Sauveur de Redon sur la donation de Bel-île.

La première (Première charte de la donation de Belle-île faite par le duc Geoffroy à l'Abbaïe de Redon) nous apprend : que, dès que le duc Geoffroy Ier eut donné Bel-île à l'Abbaïe de Saint-Sauveur, l’abbé Mainard chargea sur le champ Dom Catwallon du soin de cette île « Abbas Sancti Salvatoris, Mainardus videlicet, prœfatam insulam illico Catwalono monacho commendavit » (Mémoire de dom Morice, T. I) ; que ce saint moine, sans balancer un moment, obéit humblement à son Abbé et qu’après avoir reçu sa bénédiction, il s’embarqua avec joie pour se rendre à Bel-île « qui humililer praecepto Patris obediens, accepta benedictione, ad insulam perrexit laetus » (Mémoire de dom Morice, T. I) ; que là il s’associa des solitaires, qui vivaient séparément dans des hermitages qu’ils s’étaient bâtis dans l’île, pour faire avec eux le service divin « ubi plures monachos ad serivtium Dei faciendum congregavit » (Mémoire de dom Morice, T. I). Ces moines n’étaient pas Bénédictins ; puisque Dom Catwallon les engagea à vivre selon la règle de Saint-Benoît et que, les trouvant disposés à embrasser cette règle, il leur donna là dessus toutes les instructions nécessaires, « quos, ut secundum Regulam Sancti Benedicti viverent, docuit et intruxit » ( Mémoire de dom Morice, T. I) : telle est la vie que mena Dom Catwallon à Bel-île durant 20 ans consécutifs, depuis 1006 jusqu’à 1026. Cette charte ne fait nulle mention de l’office qu’il y exerçait, ni s’il y avait été envoyé en qualité de Prévôt [Note : Nom donné autrefois à certains magistrats ou officiers chargés d’une juridiction ou préposés à une haute surveillance] pour les affaires civiles ou en qualité de député du Saint-Siège pour les affaires ecclésiastiques. Judicaël signe comme témoin de cette donation, mais il n’était pas lors encore Evêque ; et l’on ne dit mot d'Orscand II alors évêque de Vannes, ni de l’obtention de ses pouvoirs : ce n’est donc que par conjecture, qu’on peut supposer qu’il les ait donnés à l'Abbé Mainard et que cet Abbé les lui ait demandés.

La charte de confirmation ne nous rond pas plus habile (Seconde charte de confirmation du don de Bel-île faite par le duc Alain). Elle nous apprend seulement : que l’abbé Mainard mourut en odeur de sainteté l’an 1026 ; « in cujus tempore Abbas ecclesiae Sancti Salvatoris Rothonensis, Mainardus scilicet magnae vitae et sanctitatis defunctus est » (Mémoires de dom Morice, T. I) ; qu’en conséquence la communauté s’assembla capitulairernent pour élire son successeur, que les moines assemblés supplièrent Judicaël II alors évêque de Vannes, le duc Alain du duc Geoffroi Ier et les Barons de Bretagne qui étaient présens, de donner leurs avis sur le choix du sujet, et que tous d’une commune voix élurent canoniquement pour Abbé de Saint-Sauveur Dom Catwallon, alors Prévôt de Bel-île « qui omnes quasi uno ore Catwalonum in Abbatem Ecclesiae Dei canonice elegerunt » (Mémoires de dom Morice, T. I).

Le duc envoïa aussitôt des députés à Bel-île, pour déclarer de sa part à Dom Catwallon qu’il eut à se rendre incessamment à Redon, sans lui notifier le sujet de leur députation. Le Prévôt de Bel-île obéit, part, il arrive ; et le Duc lui-même lui annonce : que tous unanimement ont concouru à l’élire Abbé de Saint-Sauveur. Mais, loin de laisser entrevoir quelque mouvement de joie sur ce qui faisait la joie commune de l’évêque, du duc, des barons et des moines de ce monastère, il se livra tout entier à la tristesse « magnopere tristis efficitur » : parce que d’un côté, il ne pouvait se résoudre à abandonner les insulaires qu’il avait gagnés à Jésus-Christ et qu’il aimait comme ses propres frères ; et que d’un autre côté, il ne voulait pas non plus les contrister par une si cruelle séparation, aïant éprouvé qu’ils le portaient tous dans leurs coeurs. C’est donc parce qu’il aimait tendrement ses frères insulaires et qu’il en était réciproquement aimé, qu’il balança quelque tems s’il devait accepter la nouvelle dignité ou l’on venait de l’élever par un suffrage unanime « inter utrumque stabat dubius et mœrens » (Mémoires de dom Morice, T. I). A ces traits si marqués d’un esprit désintéressé et d’un excellent caractère, l’on reconnaît visiblement : que, si Dom Catwallon était tout à fait agréable à Dieu par l’innocence de ses moeurs et par la sainteté de sa vie, il ne l’était pas moins aux hommes par tout ce qui forme le charme de la société et surtout au duc même.

Mais le duc Alain trouva le secret de fléchir cet inflexible ; soit en confirmant la donation que le duc Geoffroi son père avait faite de Bel-île à l’abbaïe de Redon ; soit en restituant Ardon, que ses ancêtres avaient ôté à cette abbaïe. Ce que le vénérable abbé aïant bénignement reçu, il prit une forte résolution qu’il tînt toute sa vie de conserver Bel île et Ardon et ordonna à ses moines de les garder de même à perpétuité. Son zèle en ce moment le porta jusqu’à fulminer anathème, en présence de l’évêque de Vannes, contre tous ceux qui auraient dans la suite la présomption d’enlever et d’arracher à l'Abbaïe de Saint-Sauveur l’un ou l’autre de ces dons, « et proprio ore anathematizavit omnes illos qui ex his donis Sancto Salvatori, suisque servientibus, auferre vel demere praesumerunt » (Mémoires de dom Morice, T. I).

La suite a fait voir, que ses confrères les Bénédictins de Quimperlé ne furent point effraïés de cet anathème, que l'Abbé de Redon avait lancé dans le premier mouvement de son zèle contre ceux qui enlèveraient Bel-île à l'Abbaïe de Saint-Sauveur ; puisque trois ans après, l'Abbaïe de Sainte-Croix ne se fit aucun scrupule d’accepter la donation de cette île faite par Alain Cagnart.

Enfin dans tout le détail de cette seconde charte on ne voit pas que Judicaël II ait confirmé, en faveur de son neveu le duc Alain, le privilège de Bel-île ; non plus qu’on n’a pas vu dans la première qu'Orscand II l’eut accordé à l’abbé Mainard. On dit seulement que l'Evêque Judicaël, en qualité de témoin, approuva la confirmation que le duc venait de faire de la donation de Bel-île à l'Abbaïe de Saint-Sauveur « teste Judicaël Episcopo Venetensi qui donum annuit » (Dom Morice). C’était pourtant la vraie occasion de produire ce monument dans l’une des deux chartes, si l’abbé Mainard ou son successeur l’abbé Catwallon avait obtenu ce privilège ou d'Orscand II ou de Judicaël II et s’il était vrai qu’ils eussent étendu leur exemption jusqu’à Bel-île. Il n’est pas nécessaire d’ajouter ici que l’on doit naturellement conclure d’un tel silence, dans un tems ou il convenait encore plus de s’expliquer sur le privilège de Bel-île pour en instruire la postérité, que sur l’exemption de Quiberon.

A plus forte raison les Bénédictins de Quimperlé sont-ils moins en droit que ceux de Redon, de prétendre avoir obtenu de Judicaël II évêque de Vannes le privilège de Bel île. Le cartulaire de l'Abbaïe de Sainte-Croix, qui ne se trouve plus dans les archives de cette abbaïe mais qui est rapporté dans les mémoires de Dom Morice, ne fait aucune mention de ce privilège, comme obtenu du susdit évêque par le saint moine Gurlois qui en fut le premier Abbé : quoiqu’il y soit marqué, qu'Orscand évêque de Quimper accorda à cet Abbé et à ses successeurs à perpétuité ses pouvoirs épiscopaux sur toutes les églises qu’ils avaient et qu’ils pourraient acquérir dans toute l’étendue de son diocèse. Or on ne peut pas dire que les églises de Bel-île soient comprises dans ce texte ; à moins qu’on ne suppose que le spirituel suivait alors le temporel, c’est-à-dire, que les églises des îles reconnaissaient pour leur évêque celui qui l’était de leur seigneur temporel et qu’ainsi le comte de Cornouaille et l'Abbaïe de Sainte-Croix aïant pour Evêque celui de Quimper, cette île faisait aussi partie de son diocèse : mais où en est la preuve ? Qui est-ce qui le sçait ? Quel est le monument qui avance ce fait ?

Je demande icy : d’ou vient que ce cartulaire, qui explique si clairement sur tout ce qui a rapport à l’état du temporel de Bel-île, ne dit rien de l’état du spirituel de cette île ? N’était-ce pas le lieu d’en parler et de rapporter, que l'Abbé Gurlois avait obtenu de l'Evêque de Vannes pour Bel-île le même privilège que l’évêque de Quimper avait accordé à cet abbé pour les églises dépendantes de son Abbaïe dans le territoire de son diocèse ? Mais l’extrait de l’histoire manuscrite de cette abbaïe nous développe le mystère de ce silence, quand il nous apprend : que lors de la donation « Bel-île avait ce privilège », sans le devoir ni à l'Abbé Gurlois ni à l'Evêque de Quimper ; et que c’est même parce que cette île l’avait de tems immémorial, que cette abbaïe en a toujours joüi jusqu’à la permutation. Par où il nous laisse à conclure : que ce fut un des ancêtres d'Alain Cagnart, dont Bel-île était l’ancien patrimoine, qui soumit cette île uniquement au Saint-Siège.

Mais quoiqu’il n’y ait aucun monument transmis jusqu’à nous qui nous apprenne, que les Abbés de Saint-Sauveur et de Sainte-Croix aient obtenu ou d'Orscand II ou de Judicaël II le privilège de Bel-île : je souscris cependant au témoignage de Dom Morice (Lettres de Dom Morice, le 13 juillet 1748), qui me mandait que c’est aux abbés de Quimperlé qu’est dûe l’érection de l'Officialité dans Bel-île. Jusques là il y avait eu dans cette île un juge d’église, dont on ignore le titre, commis par le pape dans les premiers tems jusqu’à 1006 ; et commis ensuite depuis 1006 jusqu’à la fin du XIIIème siècle par les Abbés de Saint-Sauveur et de Sainte-Croix, pour tenir la justice ecclésiastique et exercer la jurisdiction contentieuse. Mais les abbés de Quimperlé aïant remarqué qu’on commençait de tous côtés dans l'Eglise à donner le titre d'Official à ceux qui exerçaient l’office de juges d’église ; que les officialités étaient établies dans les églises d'Angleterre sur la fin du XIIème siècle et que dès le commencement du XIIIème elles étaient introduites en Bretagne ; que Guillaume était official de Corlay au diocèse de Quimper vers l’an 1219 ; qu’il y en avait un à Nantes en 1230 et à Dol en 1250 : ces Abbés jugèrent à propos d’établir un Official à Bel-île vers l’an 1253, peu de tems après leur procès terminé entre eux et Hervé de Landelleau, évêque de Quimper.

Bel-île était alors le seul endroit ou ces Abbés de Quimperlé pouvaient exercer la jurisdiction épiscopale ou par eux-mêmes ou par un official : parce que, comme nous l’avons vu, ils furent déboutés en 1250 par le pape Innocent IV de celle qu’ils avaient obtenue d'Orscand, Evêque de Quimper, sur les Eglises qu’ils possédaient, dans son diocèse, à l’instance de son successeur Hervé de Landelleau, qui voulut rentrer dans ses droits ; et que ce même pape excepta Bel-île en vertu du privilège local de cette île dont ils continuèrent à jouira jusqu’à la permutation (Histoire manuscrite de l'Abbaïe de Sainte-Croix).

« La multiplication du peuple et des églises dans Bel-île [Notes : Lettres de Dom Morice à l'Auteur. 15 juin, 6 et 13 juillet, 3 octobre 1748] demandait deux tribunaux ; l’un pour juger les affaires civiles, et, c’était le moine envoïé par l'Abbé et le premier constitué par lui en autorité sous la qualité de Bailli ou Prévot de Bel-île, qui exerçait cette charge ; l’autre, pour juger les affaires ecclésiastiques, ce qui était du ressort de l'Official et du Promoteur : tout cela fut établi par l'Abbé de Quimperlé, qui était seigneur temporel et spirituel de Bel-île et qui y avait une jurisdiction épiscopale. Lorsqu’il avait dans son monastère des religieux capables d’exercer l'Officialité, il la leur confiait ; lorsqu’il n’en avait pas, il chargeait de cet office un des vicaires perpétuels de cette île : et l'Abbé laissait toujours à l'Official la liberté de choisir un Promoteur d’entre les prêtres séculiers. L'Abbaïe étant tombée en commande l’an 1553, ce fut le prieur de cette abbaïe qui continua cette pratique jusqu’à 1572 ».

Il ne faut pas chercher un official de Bel-île avant le milieu du XIIIème siècle, ni supposer que l’officialité y ait été établie par d’autres que les Abbés de Quimperlé : mais on a reconnu dans tous les tems qu’un Juge d'Eglise, qu’il a plu dans le XIIème siècle appeler Official, y était nécessaire ; surtout pendant que cette île était sous la dépendance immédiate du Saint-Siège, par rapport à la difficulté de recourir à Rome ou aux légats dans les cas pressants. La situation de Bel-île en démontre la nécessité. L’on sçait que cette île est un territoire séparé du continent, qu’il est des tems ou l’on ne peut ni aborder cette île ni en sortir, que le passage de la mer est par lui-même dangereux, que des vents forts et contraires, surtout en hiver, peuvent y régner durant un tems considérable ; en sorte qu’il ne serait pas possible de passer la mer ou qu’on ne la pourrait passer sans grande incommodité, sans s’exposer au naufrage, sans perdre beaucoup de tems et sans faire beaucoup de dépenses durant son séjour en terre ferme, ou autres difficultés de cette nature : l’on entrevoit par toutes ces raisons, qu’il a été nécessaire d’établir dans Bel-île un juge d'Eglise, qu’on appelle aujourd’hui official, pour les cas urgens. Mais les pouvoirs de l’official ou juge d’église ont été différens dans l’île selon la différence des tems. Avant la donation de Bel-île à l'Abbaïe de Redon par le duc Geoffroi Ier, et avant l’établissement de l’officialité par l'Abbaïe de Sainte-Croix : ce juge ecclésiastique, comme nous le verrons bientôt, avait des pouvoirs fort étendus tant pour l’administration des choses spirituelles que pour le for même contentieux, eu égard à la longue distance de Bel-île à Rome et à la difficulté d’évoquer les causes ecclésiastiques devant les légats du Saint-Siège. Mais depuis que les Bénédictins de Quimperlé devinrent les seigneurs temporels et spirituels de cette île et qu’ils y eurent établi l’officialité : l’official, qu’ils nommaient pour y exercer leur jurisdiction spirituelle, n’avait qu’une ju­risdiction limitée ; et dans les cas même pressans et conjectures fâcheuses qui demandaient une prompte expédition, cet official délégué ne pouvait néanmoins qu’instruire le procès et que procéder jusqu’à la sentence définitive exclusivement. Après quoi il était obligé de renvoïer la procédure à l'Abbé de Quimperlé ; ainsi du reste des autres pouvoirs, que cet Abbé jugeait à propos de lui confier selon son bon plaisir : car comme il n’était pas official principal et ordinaire, mais seulement forain et délégué, l'Abbé limitait sa jurisdiction tant en matière ecclésiastique et personnelle que sur tout ce qui était du délit commun.

Cependant une fois nommé par l'Abbé Régulier de Quimperlé ou par le prieur de cette Abbaïe, depuis qu’elle était tombée en commande, il n’était plus amovible ; à moins que cet official ne fut moine du monastère de Sainte-Croix, et n’étant que délégué, il n’était pas nécessaire qu’il fut gradué. Il survint une ordonnance en 1539 qui dépouilla les monastères du privilège de nommer un official pour exercer leur jurisdiction spirituelle sur les églises exemptes qui étaient de leur dépendance. Cependant 33 ans après la susdite ordonnance, vers 1571 ou 1572, le prieur de l'Abbaïe de Sainte-Croix nomma official de Bel-île Vincent Le Gurun vicaire perpétuel de la paroisse du Palais. Ce qu’il n’aurait pu ni dû faire, si l'Abbaïe de Sainte-Croix n’eut exercé sa jurisdiction spirituelle qu’en vertu des pouvoirs obtenus par l'Evêque diocésain ; et ce qui confirme que ces églises jouissaient d’un privilège local obtenu originairement du Pape par celui qui en fut le Fondateur, et que cette Abbaïe en avait seulement jouï de même jusqu’à la permutation sans avoir eu besoin d’étendre leurs exemptions jusqu’aux Eglises de cette île (R. P. François-Marie de Belle-Ile).

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