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BEDEAU (Marie-Alphonse) 

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Général Marie-Alphonse Bedeau (1804-1863)

Marie-Alphonse BEDEAU est né à Vertou (Loire-Inférieure) le 9 août 1804.

Sorti de Saint-Cyr en 1820, il fut chargé, en 1836, de former un bataillon de légion étrangère à Pau, pour remplacer ceux que Louis-Philippe avait fait passer au service de la reine Isabelle d'Espagne contre les Carlistes, et partit avec lui pour l'Afrique en 1837.

Sa courageuse conduite au siège de Constantine,. où il fut cité à l'ordre, lui valut le grade de lieutenant-colonel de la légion. Ses qualités militaires et une nouvelle citation en juillet 1839, dans les affaires de Djidjelli et de Bougie, le firent nommer colonel en décembre. Placé à la tête du 17ème léger, il servit brillamment en 1840 et 1841 sous les ordres du général Duvivier.

Bedeau est resté en Afrique dix ans, de 1837 à 1847. Déjà colonel et officier de la Légion d'honneur, à 36 ans, il fut proposé pour maréchal-de-camp ; il ne put pas être nommé de suite, n'ayant pas les 18 mois de grade exigés par la loi ; mais, s'étant fait encore remarquer dans une expédition pour le ravitaillement de Médéa et Miliana, il fut promu général de brigade en mai 1841, avant d'avoir 38 ans. Général de division le 16 juillet 1844, il devint gouverneur général par intérim de l'Algérie du 29 juin au 6 octobre 1847. 

Grand officier de la Légion d'honneur le 8 août 1847. Député de la Loire-Inférieure le 23 avril 1848. Ministre des Affaires Etrangères du 29 juin au 17 juillet 1848. Député de la Seine le 13 mai 1849.

Décédé à Nantes (Loire-Inférieure, aujourd'hui Loire-Atlantique) le 30 octobre 1863.

 

I. CARRIÈRE MILITAIRE DU GÉNÉRAL BEDEAU.

Le vendredi 13 octobre 1837, en attendant le signal de s’élancer à l’assaut sur la brèche de Constantine, trois officiers causaient ensemble. « Ça va rudement chauffer, dit en riant l’un deux, capitaine au 2ème léger, et c’est bien de voir ainsi la petite Bretagne au premier rang ». Ce capitaine était Le Flô ; ses deux interlocuteurs se nommaient Lamoricière et Bedeau, celui-ci, chef de bataillon de la Légion étrangère, celui-là lieutenant-colonel des zouaves. — Tous les trois étaient Bretons, tous les trois sont l’honneur de la France et de l'Eglise.

Bedeau est le nom d’une ancienne famille du comté nantais, anoblie au commencement du XVIIème siècle. Elle a pour armoiries : d’azur au chevron d’or, accompagné en chef de trois merlettes d’argent, celle du milieu couronnée, et en pointe d’une massue d’argent.

Celui qui devait le plus illustrer cette ancienne famille, Marie-Alphonse Bedeau, naquit le 19 août 1804, à la Roberdière eu Vertou (Loire-Inférieure). Il était le troisième fils de René-Mathurin-Remy Bedeau, ancien capitaine de vaisseau, démissionnaire sous la Terreur, et de Michelle-Prudence Chalumeau de la Roberdière. — Les deux frères aisés de Marie-Alphonse étaient nés à Guérande, où leurs parents s’étaient retirés pendant les troubles de la Révolution, après que leur maison de la Roberdière eut été pillée et incendiée. — C’est dans cette maison à peine restaurée que Marie-Alphonse passa ses premières années. Le souvenir de sa mère resta particulièrement cher au général Bedeau. « J’ai été élevé, dira-t-il plus tard, par une mère chrétienne qui m’apprit le devoir et à souffrir pour lui ».

Admis, à l’âge de treize ans, à l’école militaire de La Flèche, Bedeau entra, à dix-sept ans, à Saint-Cyr, d’où il sortit, en 1822, sous-lieutenant et classé dans l’état-major. Sa première campagne fut celle de Belgique ; il la fit avec le grade de capitaine. Le siège d'Anvers lui offrit l’occasion de se signaler et lui valut la croix de la Légion d’honneur (1833). En 1836, Bedeau était nommé commandant et chargé d’organiser la nouvelle Légion étrangère, destinée à remplacer celle qu’on avait cédée à l'Espagne. Saint-Arnaud, célèbre par le coup d'Etat du 2 décembre 1851 et la victoire de l'Alma, était lieutenant dans la Légion étrangère. C’est là que se connurent les deux hommes de guerre, dont la fortune devait être si différente. Saint-Arnaud nous décrit le bataillon dans une lettre intime :

Quel drôle de régiment, mon frère ! je l’ai vu ce matin, nous avons passé l’inspection avec un temps infernal. Des hommes superbes, mais un ramassis de toutes les nations, un amalgame de tous les états, de toutes les professions, de toutes les positions sociales qui sont venus là se fondre et beaucoup se cacher. Allemands, Prussiens, Hollandais, Belges, Italiens, Espagnols, Polonais, Grecs, nous avons de tout, mais les Belges et les Hollandais, puis les Allemands, sont en majorité .... Que de peines pour faire des soldats de ces matériaux hétérogènes, pour les faire prendre goût à notre service, aimer leur drapeau ! Ils ne comprennent pas nos lois militaires, nos peines ; aussi ils désertent et emportent leurs effets.

Le 13 janvier 1837, le bataillon débarquait à Alger. En attendant l’expédition de Constantine qui se préparait, il prenait part aux petites expéditions journalières, mais fort meurtrières, qui avaient lieu aux environs d'Alger. « La Légion, écrivait Saint-Arnaud, a pris son rang glorieusement dans l’armée. Et tous les régiments, qui semblaient s’éloigner de notre étrangeté, se rapprochent aujourd’hui et fraternisent. Le général Négrier nous a trouvés si beaux, qu’il nous a désignés pour faire l’avant-garde. Nous marchions donc à la suite des zouaves et des spahis ».

Le commandant Bedeau s’était acquitté d’une manière remarquable de la tâche difficile d’organiser la Légion étrangère. Aussi le général comte de Damrémont, gouverneur général de l'Algérie, demanda-t-il avec instances la formation d’un second bataillon sous la direction de Bedeau, dont il proposait la nomination au grade de lieutenant-colonel dans la Légion étrangère (6 août 1837), — Avant que le gouvernement eût accepté les propositions du général Damrémont, la Légion étrangère et son chef s’étaient acquis de nouveaux titres à la reconnaissance de la France. Nous voulons parler de l’assaut de Constantine, le 13 octobre. — Cent hommes de la Légion étrangère faisaient partie de la deuxième colonne d’assaut ; ils avaient à leur tête le commandant Bedeau, chargé, sous les ordres supérieurs du colonel Combes, de guider la deuxième colonne. — Nous emprunterons le récit de cet exploit à Saint-Arnaud.

Enfin, le bienheureux signal est donné, la charge bat de toutes parts  .... le brave Lamoricière s’élance avec ses zouaves. Lui et le commandant Vieux, du génie, suivis du capitaine Gardens, qui porte un drapeau, gravissent la brèche, où les couleurs françaises flottent glorieuses. En quelques minutes, la première colonne couronne la brèche, la deuxième est prête à s’élancer quand la brèche sera débarrassée par la première, qui pénétrera dans la ville. Mais, en arrivant sur la brèche, au lieu de pouvoir pénétrer dans la ville comme on le croyait, la première colonne est arrêtée par un deuxième mur d’enceinte. Toutes les murailles, toutes les fenêtres sont garnies de, turbans. C’est un mur de feu que l’on a devant soi …. Les Français tombent, mais ne reculent pas. A ce nouvel obstacle, le cri des échelles ! des échelles ! est partout répété. Le génie dirige ses braves soldats sur la brèche ; ils sont pourvus d’échelles, de haches, cordes, sacs à poudre.

Alors seulement, et il s’est écoulé un grand quart d’heure depuis que la première colonne est partie, temps qui nous a paru bien long ; alors, dis-je, le général donne l’ordre à la deuxième colonne de faire son mouvement … Nous sommes arrivés au haut de la brèche … C’est dans ce moment qu’eut lieu la terrible explosion … Un silence de mort succède un instant au tumulte … Ceux qui restent debout, repoussés par la force de l’explosion, cherchent un point d’appui sur leurs sabres, leurs voisins, ou le mur à gauche. Les plus près du haut de la brèche essuient leurs yeux pleins de terre, de poussière et de poudre, et sont un moment suffoqués. — Mais alors s’offre à tous les yeux le plus horrible spectacle. Les malheureux qui ont conservé leurs membres et qui ont pu sortir des décombres fuient vers la batterie, descendent de la brèche en courant et en criant : « Sauvez-vous, mes amis, nous sommes tous perdus, tout est miné, n’avancez pas, sauvez-vous ! ! ! ».

Quand je me rappelle ces figures brûlées, ces têtes sans cheveux, sans poils et dégoûtantes de sang, ces vêtements en lambeaux, tombant avec les chairs, quand j’entends ces cris lamentables, je m’étonne que ces fuyards n’aient pas entraîné toute la deuxième colonne qui encombrait la brèche. — Combes et Bedeau étaient sur le haut de la position. D’un commun accord, ils élèvent leurs épées en l’air au cri de : en avant ! en avant !.

Les légionnaires accourent à la voix de leurs chefs, et ils se jettent dans la ville, qui est conquise, rue par rue, dans une lutte terrible. Bedeau, le digne chef de l’héroïque Légion étrangère, fut nommé commandant de place de Constantine française. Quelques jours après, il était promu lieutenant-colonel et, avec la Légion étrangère, il alla s’établir à Bougie, dont il avait le commandement supérieur (novembre 1837).

L’année suivante, Alger était érigé en évêché. Bedeau reçut à Bougie une des premières visites du nouvel évêque, Mgr. Dupuch, et il le reçut en officier chrétien, fier et heureux de pouvoir l’aider à créer une paroisse catholique. Et dans son livre, l'Algérie chrétienne, l’évêque reconnaissant consignera en ces termes l’éloge de Bedeau :

La fondation de la paroisse Saint-Joseph de Bougie eut lieu sous les auspices d’un jeune officier supérieur de la Légion étrangère, devenu depuis la plus pure peut-être, et l’une des plus brillantes de nos gloires d'Afrique. En appliquant au général Bedeau ces paroles du livre du Judith : « Il ne se trouve personne qui en dise du mal,  » je n’aurai été que l’interprète de tous ceux qui peuvent le connaître ; j’ajouterai seulement pour les autres qu’il est aussi sincèrement religieux qu’habile et vaillant.

L’évêque d'Alger ajoute ces détails qui nous feront connaître l’héroïsme de nos soldats et, par suite, celui de leurs chefs. C’est à l’occasion d’une visite à Jigelli, près de Bougie, où campaient quelques détachements de la Légion étrangère. Suivant son habitude, l’évêque avait voulu célébrer une messe militaire pour ces braves.

Un autel, dit-il, avait été improvisé sous un quinconce d'oliviers et de caroubiers. Toutes les troupes voulurent y assister en armes, ce fut impossible. A peine, en effet, les saints mystères étaient-ils commencés, qu’une trentaine de soldats au moins laissèrent échapper leurs fusils de leurs mains crispées par la fièvre, et se couchèrent à côté en grelottant ; il fallut les emporter dans les cabanes qu’on appelait l'hôpital ! Après avoir béni ceux qui entouraient encore cet autel, l'évêque, profondément ému, voulut visiter ces cabanes où gisaient si misérablement tant de braves gens. Les factionnaires étendus aux portes sur de la paille essayaient de lui présenter les armes … Le lendemain, comme encore si souvent depuis, les Kabyles vinrent tirailler entre les blockaus ; ces mêmes soldats à demi expirants avaient retrouvé leur indomptable énergie en face de l’ennemi ; à peine avaient-ils assez de force pour vivre, et ils en retrouvaient assez pour combattre et repousser l’ennemi encore une fois.

Pour former de tels hommes, les chefs avaient besoin de payer de leur personne. — Comme nous l’avons vu pour la prise de Constantine, Bedeau était partout le premier au poste le plus périlleux.

« Chaque expédition, chaque combat, dit le Moniteur de l’armée, était pour Bedeau l’occasion de se signaler. Chacun de ses grades, chacune de ses décorations fut le prix d’une action d’éclat. Colonel du 17ème régiment d’infanterie légère (4 décembre 1839), officier de la Légion d'honneur (21 juin 1840), Bedeau est général de brigade le 27 mai 1841, expressément pour faits de guerre. — Il n’avait pas encore trente-sept ans ».

A ce moment, Bugeaud arrivait en Algérie, et, avec Bugeaud, il allait commencer la vraie conquête.

Le maréchal Bugeaud signala maintes fois le général Bedeau comme un officier d’un jugement supérieur et d’une grande solidité dans le combat. « On trouve, disait-il, peu de têtes aussi bien organisées. Il serait à désirer que nous eussions en Afrique beaucoup d’hommes de cette trempe, et qu’ils voulussent consacrer dix ans de leur vie à l'oeuvre que nous poursuivons ». — On peut dire à l’honneur du général Bedeau qu’il a dignement accompli cette tâche.

Aussi les honneurs avaient-ils continué à récompenser les services du brillant général. Il est commandeur de la Légion d’honneur (30 août 1842), et chargé de la subdivision de Tlemcen, à la frontière du Maroc, poste alors le plus difficile de l'Algérie, général de division après la victoire de l'Isly (16 septembre 1844) et commandant la province de Constantine, grand officier de la Légion d’honneur (8 août 1847) et enfin gouverneur général intérimaire de l'Algérie après la démission de Bugeaud.

Le bath-agha des Beni-Amer lui rendait ce témoignage : « Cet homme excelle par sa raison, sa sagesse et sa sagacité dans toutes les circonstances ; il sait se rendre agréable à tout le monde ; tout le monde est attiré vers lui, et tous sont revenus à lui à cause de son amitié sincère et de sa générosité sans égale ».

L'historien de Mgr. Pavy, second évêque d'Alger, raconte l’anecdote suivante :

Dans le courant de novembre 1847, les généraux Changarnier, Lamoricière et Bedeau dînaient à l’évêché d'Alger, en compagnie de magistrats et de personnages de la colonie. « Messieurs les généraux, dit au milieu du repas Mgr. Pavy, vous vous connaissez, dans votre corps, mieux que nous ne pouvons le faire nous-mêmes ; donnez-nous donc, en toute franchise, vos appréciations sur les différentes notabilités militaires de l'Algérie ».

La question était brûlante ; elle n’en fut pas moins abordée et traitée. Ce fut Bedeau qui se chargea de répondre.

Monseigneur, dit-il en donnant à sa voix ce ton de solennité qu’il aimait à prendre dans ces circonstances, ce que Votre Grandeur nous demande est délicat ; néanmoins, puisque Votre Grandeur en témoigne le désir, je vais essayer de la satisfaire, en formulant nettement ce que je pense. — Mon ami de Lamoricière est le plus brillant officier de l'armée d’Afrique. Nul n’égale son intrépidité au feu. Aussi est-il le favori de la victoire ; ceux qui le suivent partagent sa fortune. — M. Changarnier, Monseigneur, est l’homme de la ressource, il sauve quand tout est perdu ; il sait tirer de nos désastres mêmes les éléments du succès. — Moi, s’il faut que je me mette en ligne, je suis l’administrateur ; j’ai l'oeil à tout, de la giberne aux boutons de guêtres ; j’oserais le dire, quand le général Bedeau a passé, on peut être sûr que tout est en règle, et engager le combat. — Mais, Monseigneur, le maréchal Bugeaud est notre maître ; à lui seul, il nous vaut tous, et nul de nous, mes collègues ne me démentiront pas, je l’espère, n’arrive à l’épaule de ce grand homme de guerre.

Le général Bedeau s’arrêta. Il put voir, aux témoignages de la satisfaction générale, combien il avait intéressé. Ses collègues, en particulier, souscrivirent de grand coeur à ses appréciations.

 

II. LE GÉNÉRAL BEDEAU ET LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 1848 - PENDANT LA SECONDE RÉPUBLIQUE - COUP D’ÉTAT DU 2 DÉ­CEMBRE 1851.

Le général Bedeau se trouvait de passage à Paris lors de la révolution de février 1848. Dans la nuit du 24 février, le maréchal Bugeaud, investi du commandement en chef des troupes, confia au général Bedeau la direction d’une des quatre colonnes qui devaient parcourir les rues, détruire les barricades et disperser les rassemblements. Entre 5 et 6 heures du matin, les colonnes se mirent en marche sous les yeux du maréchal, qui les encourageait. Les généraux avaient ordre d’annoncer partout la formation du ministère Thiers-Barrot. Dans le cas où la résistance continuerait, ils devaient attaquer.

La colonne du général Bedeau, présentant un effectif de 2.000 hommes, se dirigeait sur la Bastille par la Bourse et les boulevards. « Bedeau, lui cria le maréchal en le quittant, vous m’enlèverez cela vigoureusement ». Malheureusement, tandis que les autres colonnes occupaient les points stratégiques qui leur avaient été assignés, la colonne du général Bedeau, la plus importante et celle qui pouvait décider du sort de la journée, s’arrêta devant les barricades à l’entrée de la rue Saint-Denis. — Le général se voit entouré de donneurs de conseils au lieu de les renvoyer et de brusquer son attaque, Bedeau, un peu temporisateur par nature, les écoute et se met à parlementer avec eux. Il envoie à l’état-major chercher de nouveaux ordres.. — La foule augmente autour des soldats : les troupes sont comme enlisées dans cette foule. Bedeau est de plus en plus anxieux. Il envoie de nouveau informer le maréchal. Dans les salons de l’état-major, comme Bedeau dans la rue, le maréchal Bugeaud se trouvait, lui aussi, environné d’une foule d’inconnus qui lui donnaient des conseils.

Le maréchal s’efforçait, suivant son habitude, de discuter avec eux des théories militaires. Epuisé et troublé par ces discussions inutiles, laissé, d’ailleurs, sans autorité effective alors que, comme Cavaignac aux journées de juin suivant, il aurait eu besoin de réunir dans ses mains un pouvoir dictatorial pour briser toute résistance, le maréchal devint imbécile comme ses conseillers, a-t-il dit lui-même, et signa l’ordre au général Bedeau de rétrograder vers les Tuileries. Tous les autres généraux recevaient en même temps des ordres identiques. La garde nationale seule restait chargée de rétablir la tranquillité.

Après avoir reçu cet ordre, le général Bedeau se replie avec sa colonne. La foule est mêlée à la troupe. Bientôt l'artillerie ne peut suivre et est abandonnée à la garde nationale. « La crosse en l’air ! » crie-t-on de la foule aux soldats ; et les soldats mettent crosse en l’air. Les cavaliers sont désarmés. Chaque fantassin marche, la crosse sur l’épaule, donnant le bras à un ouvrier ou à un bourgeois. Le général Bedeau est en avant de sa colonne : il croit sa présence nécessaire pour se faire ouvrir passage. « Au nom du ciel, dit-il à l’un des bourgeois qui sont près de lui, si vous avez quelque influence sur ces hommes, faites-leur comprendre qu’ils déshonorent le soldat ». Et on voit les larmes rouler dans ses yeux. Enfin, la colonne débouche sur la place de la Concorde. Elle a l’air si peu militaire, que les hommes du poste des Tuileries la prennent pour des émeutiers et font feu.

Le général Bedeau se jette inutilement au milieu des combattants ; plusieurs personnes tombent mortes,  parmi elles, le député Jolivet. Le bruit de la fusillade de la Concorde retentit lugubrement jusque dans le palais des Tuileries. Le roi apprend ainsi la gravité de la situation qu’il avait ignorée jusque-là. En même temps, le Château d'Eau, encore plus rapproché des Tuileries, tombait au pouvoir de l’émeute. Le roi se décide à abdiquer. Vers une heure, il est en fuite, la Chambre des députés envahie et un gouvernement provisoire proclamé.

« Les événements de février, lisons-nous dans les souvenirs de Tocqueville, ont empoisonné la vie du général Bedeau et laissé au fond de son âme une blessure cruelle dont la douleur se trahissait sans cesse par des narrations et des explications éternelles sur les événements de cette époque ». Ils amenèrent plus tard une polémique publique entre le général Bedeau et le maréchal Bugeaud.

De Bazancourt écrit à ce sujet : « Le général Bedeau, susceptible jusqu’à l’excès de son honneur comme homme et comme soldat, convoqua, nous croyons nous le rappeler, un aréopage militaire, composé des premiers généraux de l’armée. Il exposa sa conduite nul doute ne pouvait s’élever sur l’honorabilité et la loyauté du général, et l’opinion unanime de ses collègues lui montra une fois de plus la haute estime dont il était entouré ».

Cependant, le soir même du 24 février, le gouvernement provisoire offrit le ministère de la Guerre au général Bedeau. Il le refusa, mais dut accepter le commandement de la garde nationale, qu’il ne garda que quelques jours. La Loire-Inférieure nomma le général Bedeau au nombre de ses représentants à l'Assemblée constituante. Il devint bientôt le vice-président de cette Assemblée, ainsi que de l'Assemblée législative élue en 1849.

Dans les journées de juin 1848, le ministre de la Guerre, Cavaignac, confia au général Bedeau la défense de l'hôtel de ville. Bedeau, grièvement blessé devant une barricade, se trouva hors de combat dès le premier jour. Le 28 juin, Cavaignac, devenu chef du Pouvoir exécutif, choisit Bedeau pour ministre des Affaires étrangères. Mais, au milieu du mois de juillet, la fièvre et la chaleur ayant aggravé les suites de sa blessure, Bedeau dut donner sa démission de ministre. Aux élections de l'Assemblée législative, le général Bedeau avait échoué dans son département d’origine, la Loire-Inférieure, mais il avait passé des premiers dans la Seine.

Comme ses compatriotes et amis, Lamoricière et Le Flô,, également membres de l'Assemblée législative, le général Bedeau prit parti contre le président de la Répulique, le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Dans la mémorable séance du 18 novembre 1851, lors de la discussion de la proposition des questeurs, l’intervention du général Bedeau redoubla l’agitation. « Est-il vrai, demanda-t-il, que le décret du 11 mai 1848, qui donnait à l'Assemblée constituante de cette époque un droit de réquisition directe qui était encore affiché dans les casernes, en ait été retiré par ordre du Pouvoir exécutif ? — Ce décret, répliqua Saint-Arnaud, le ministre de la Guerre, pouvait être une cause d’hésitation au sujet de l’exécution des ordres militaires ; je l’ai fait arracher des murs où il était encore affiché dans quelques casernes ».

Ces mots soulevèrent dans la salle une explosion de colère impossible à décrire. Saint-Arnaud se leva, en faisant signe au général Magnan, commandant de l’armée de Paris, qui se trouvait dans une tribune. « On fait trop de bruit dans cette maison, dit-il en sortant, je vais chercher la garde ». Mais la proposition des questeurs fut rejetée par 408 voix contre 355. — Dans la nuit du 1er au 2 décembre suivant, la Chambre fut occupée par un régiment, et les chefs de l’opposition arrêtés. Le général Bedeau rejoignit à Mazas le général Cavaignac, l’ancien chef du Pouvoir exécutif, et les généraux Changarnier, Lamoricière et Le Flô.

La population n’avait rien su. D’ailleurs, elle était complètement indifférente, et quand, quelques heures plus tard, les soldats emmenèrent les 200 députés qui étaient réunis à la mairie du Xème arrondissement, le peuple, écrit M. Keller dans la Vie de Lamoricière, les regardait passer d’un oeil indifférent comme. des gens qui méritaient leur sort.

Cependant leur séjour à Mazas n’avait duré que deux jours, et ils en étaient partis avant que les coups de fusil ne commençassent. Le 4 décembre, à 4 heures du matin, une voiture cellulaire était venue prendre les illustres captifs. C’était un fourgon destiné au transport des femmes ; on partit sans savoir si l’on allait à la frontière ou à Cayenne. Soit hasard, soit préméditation, le château de Ham, qui avait renfermé le prince Louis-Napoléon, était destiné à recevoir ceux qu’il regardait comme ses plus redoutables adversaires. Pendant plusieurs jours, le secret y fut rigoureusement maintenu ; puis les rigueurs diminuèrent, quelques amis de Paris furent admis dans la forteresse, et, le 7 janvier 1852, on annonça aux prisonniers que le lendemain ils seraient conduits hors du territoire français.

En vain, continue l'historien de Lamoricière, le Conseil général de la Loire-Inférieure demanda-t-il, l’unanimité, le rappel de Lamoricière et de Bedeau, ces deux gloires de la Bretagne. En vain Mgr. Jacquemet, évêque de Nantes, s’adressa-t-il à l’empereur, lui rappelant les services rendus par ces deux héros en juin 1848, alors que, simple prêtre, il montait lui-même sur les barricades, à côté de l’archevêque de Paris.

« Il est, écrivait-il dans un langage digne d’être conservé, une blessure qui saigne encore au coeur de la Bretagne. Mon diocèse attend et réclame avec d’instantes prières les généraux de Lamoricière et Bedeau, deux de ses plus illustres enfants dont il est légitimement fier. Je sais que la barrière qui les éloigne encore de la patrie est tellement abaissée que rien ne paraît plus facile que de la franchir. Mais je supplie Votre Majesté de tenir compte des délicatesses, des susceptibilités infinies de l’honneur militaire, de l’honneur français. Au lieu de la parole de ces nobles fils de la Bretagne, acceptez la parole de leur évêque, c’est-à-dire de leur père. Donnez-les-moi, qu’ils se rendent directement à ma résidence épiscopale. Je les prendrai sous ma garde, c’est moi qui leur assignerai le lieu de leur demeure. Je connais assez ces grands coeurs pour être sûr que leur dévouement filial et plein de foi les liera à ma volonté ».

Ces instances courageuses demeurèrent sans résultat. Du reste, l’antipathie de ces âmes généreuses pour le nouveau régime était si forte, qu’elles auraient difficilement vécu en sa présence.

Tous les jours, Bedeau, Lamoricière et Charras, réfugiés à Bruxelles, se réunissaient, « Bedeau, calme, patient, réservé, restant toujours l’homme du droit et de la raison ; on ne le voyait s’animer un peu qu’au souvenir du 2 décembre, quand il racontait que lui, général, revêtu de son uniforme, avait été pris et ficelé comme un saucisson ». — A ces trois amis venaient se joindre parfois Changarnier et Le Flô, arrivant de Malines et de Jersey. — L’exil finit pour eux en 1859, lorsqu’il leur fut permis de rentrer en France sans condition. Jusqu’à sa mort, Bedeau vécut dans une retraite profonde à Nantes.

 

III. LES DERNIÈRES ANNÉES — VERTUS ET MORT CHRÉTIENNE.

Le brave et modeste général Bedeau était, dit la Semaine religieuse de Nantes, « un des plus beaux caractères de notre âge. Ce que l’on ignore trop peut-être, ce sont ses vertus modestes, sa foi chrétienne, sa fidélité aux lois de l'Eglise, sa noble simplicité et sa charité pour les pauvres »

Général Marie-Alphonse Bedeau (1804-1863)

Mgr. de Ségur, dans son livre : la Confession, rapporte le trait suivant :

Le brave général Bedeau, au retour d’une de ses glorieuses expéditions d'Afrique, en 1846, rencontra un prêtre. Aussitôt, il fait faire halte à sa colonne, descend de cheval, s’agenouille au pied d’un arbre et se confesse. Puis, se tournant vers ses braves : « Mes enfants, leur dit-il, dans quelques jours, nous reparaîtrons devant l’ennemi ; si quelqu’un de vous veut mettre ordre à sa conscience, qu’il sorte des rangs et fasse comme moi ».

C’est bien là l'homme que nous avons connu. A son retour de l’exil, il s’est montré constamment religieux, sans ostentation, comme sans faiblesse. Nous l’avons vu, déjà souffrant, se faire un devoir d’assister tous les dimanches, dans l’église de Saint-Clément, sa paroisse, au Saint Sacrifice de la messe. Il se confondait dans la foule. Tous pouvaient alors le voir debout, grave, immobile, les yeux baissés, les bras croisés sur sa poitrine, ou bien à genoux sur le pavé du temple, et priant avec une ferveur qui était à elle seule une éloquente prédication. Ce n’était pas assez pour ce solide chrétien de sanctifier le dimanche ; on le voyait souvent, dans les jours ordinaires, se prosterner au pied de l’autel et s’approcher de la Table Sainte avec la piété et le recueillement d’un ange du ciel.

Il enviait le bonheur de son ancien compagnon de gloire et d’infortune, le général de Lamoricière ; il applaudissait le courage avec lequel il avait répondu à l’appel de Pic IX, et celui qui écrit ces lignes peut affirmer qu’il l’a entendu dire qu’il était prêt à suivre le général au premier appel, dès qu’on aurait besoin de ses services, et qu’il s’était mis à la disposition du Saint-Père. Quand il parlait de Lamoricière, il le faisait avec une admiration passionnée ; son visage si grave s’illuminait, son regard devenait étincelant, son coeur montait à ses lèvres, il ne tarissait pas en éloges : « Dans cet homme-là, disait-il, il y a de quoi faire trois ou quatre hommes d’un esprit supérieur ».

Le général Bedeau succomba à une maladie de coeur, dans la nuit du 30 octobre 1863. Il était âgé de cinquante-neuf ans.

Le général n’avait jamais été marié. A la première nouvelle de sa maladie. Lamoricière était accouru auprès de lui.

Général Marie-Alphonse Bedeau (1804-1863)

Sa mort, continue l’abbé Guilloux, a été celle d’un saint. « Général, lui dit son confesseur à cette heure suprême, général, vous voilà sur le seuil de l’éternité … que pensez-vous maintenant de la gloire humaine ? ». Les yeux du mourant se remplirent de larmes. « Ah ! mon Père...., voilà ma seule espérance, murmura-t-il d’une voix éteinte, en soulevant de sa main défaillante et en portant à ses lèvres décolorées la croix de son chapelet, voilà ma seule espérance … ».

Il avait répudié pour ses funérailles tout vain apparat, toute pompe militaire, tout discours, mais les amis étaient sans nombre. Lamoricière était à l’un des coins du catafalque.

Je me trouvais près de lui, raconte l’abbé Guilloux. Pendant la prose " Dies iroe ", il chantait. Je n’oublierai jamais l’impression que j’éprouvai en le voyant tout à coup s’agiter brusquement sur sa chaise, et en l’entendant de sa voix la plus forte et la plus accentuée, avec un mouvement de tête énergique, appuyer sur ces paroles de la liturgie : " tantus labor non sit cassus ". Il se rappelait alors tout ce que son vaillant compagnon d'armes avait fait et souffert, et il conjurait le Dieu juste et bon qui nous a aimés jusqu’à la mort de la Croix de lui accorder la récompense si bien méritée par les plus rudes épreuves acceptées et subies avec toutes les angoisses du coeur, toute la majestueuse sérénité d’une âme intrépide et sans reproche, et tout l’héroïsme de la liberté ! C’était le cri d’espérance immortelle sortant de la poitrine d’un homme de bien en face du cercueil d’un homme de bien.

P. TRANQUILLE.

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